Notules dominicales 2008
 
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Notules dominicales de culture domestique n°361 - 10 août 2008

DIMANCHE.
Vie insulaire. La moitié des gens que je connais est partie en vacances en Corse. L'autre moitié, ou presque, s'apprête à en faire autant. J'ai été obligé, il y a quelque temps, de fréquenter un Corse, un fat de première bourre qui se prenait pour le Napoléon de la molaire. Je sais bien que chaque arpent du globe produit son quota de fâcheux mais celui-là, c'est certain, en était un si fameux qu'il inspira chez moi un fort sentiment de méfiance à l'égard de son pays d'origine. C'était, comment dire, un crétin tellurique : il ne pouvait pas avoir fait ça tout seul, le sol devait y être pour quelque chose. Ce matin, j'ai décidé de passer outre ce jugement hâtif et de prendre ma part du tropisme insulaire. Je dégaine pour saluer l'aube naissante ma plus belle compilation de Tino Rossi : Marinella, Tchi Tchi, Catari, Vienni vienni, Bohémienne aux grands yeux noirs, Guitare d'amour, tout y passe. Enfin non, pas tout, parce que tout le monde finit par se lever et que ce tout le monde ne partage pas forcément mon goût immodéré pour les roucoulades. N'empêche, c'était bien la Corse, j'y retournerai.

LUNDI.
TV. Les Aventures de Huckleberry Finn (The Adventures of Huck Finn, Stephen Sommers, E.-U., 1993 avec Elijah Wood, Courtney B. Vance, Robbie Coltrane, Jason Robards; diffusé en juillet dernier sur Canal +).

MARDI.
TV. Tentative d'épuisement d'un lieu parisien (documentaire de Jean-Christian Riff, France, 2007; diffusé la semaine dernière sur Planète).
Le texte de Perec, description de "ce qui se passe quand il ne se passe rien" place Saint-Sulpice en 1974, est illustré par des images d'aujourd'hui. Les 2 CV vert pomme ont disparu mais les pigeons sont toujours là et les bus ont gardé les mêmes numéros et destinations. Un des lieux d'observation de Perec, le Tabac Saint-Sulpice, est aujourd'hui un magasin de sacs à main. En juillet 2001, déjà (notules n° 20), je me félicitais de l'avoir fréquenté avant sa transformation.

MERCREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Je déteste les enfants des autres (Anne Fassio, France, 2007 avec Elodie Bouchez, Julie De Bona, Axelle Laffont, Valérie Benguigui, Lionel Abelanski, Arié Elmaleh; diffusé en juillet dernier sur Canal +).

JEUDI.
TV. Le Gendarme à New York (Jean Girault, France, 1965 avec Louis de Funès, Geneviève Grad, Michel Galabru; diffusé le soir même sur M6).
Avis du supplément TV du Monde : "Va-t-on se farcir, une fois de plus, toute la série ?" J'y compte bien.

VENDREDI.
Lecture. De la brièveté de la vie (De brevitate vitae, Sénèque, 49, traduction par E. Bréhier, revue par J. Brunschwig, rubriques, notice et notes par J. Brunschwig in Les Stoïciens, Gallimard, 1962, Bibliothèque de la Pléiade n° 156; 1504 p., 52,90 €).
Cessons de nous lamenter, nous dit Sénèque, sur cette prétendue brièveté de la vie : "La vie est longue si l'on sait en user". Encore une fois, comme dans ses autres traités, Sénèque met en avant l'attitude du sage, la seule à pouvoir donner une autre dimension à la vie : "La vie du sage s'étend donc au large; elle n'est pas enfermée dans les mêmes limites que celles des autres hommes; seul il est affranchi des lois du genre humain". La sagesse s'obtient en cultivant le fameux otium, ce temps du loisir consacré à l'exercice de l'esprit, de préférence aux occupations politiques, professionnelles, mondaines et ce, sans attendre l'heure de la retraite. Car "c'est pendant la vie entière qu'il faut apprendre à vivre, et, ce qui paraîtra peut-être plus étonnant, c'est pendant la vie entière qu'il faut apprendre à mourir." Les leçons de Sénèque sont toujours aussi salutaires. De plus, on ne perd pas son temps à le lire, car il recommande fortement la fréquentation des grands auteurs : "Ces grands hommes te conduiront à l'éternité, ils t'élèveront en un lieu d'où personne ne te chassera; c'est la seule manière de prolonger ton état mortel, et même de le changer en immortalité." Devenez immortel : lisez Sénèque.

SAMEDI.
Transhumance. Le gilet Bons Mayennais est dans la boîte à gants, mon drap de bain Bons Mayennais est dans ma valise. Vêtu de mon t-shirt Bons Mayennais, je consulte ma montre Bons Mayennais : il est 8 heures 30, top départ. Huit heures plus tard à la même montre, le gilet n'a pas servi, le tee-shirt est recouvert d'un bon pull et le drap de bains semble un bagage superflu. Nous arrivons dans la Creuse sous une pluie battante. Pas de plaisir de la découverte cette fois, nous sommes au même endroit que l'an passé, un chalet en plein désert. Rien n'a changé, j'ai tout revu, l'humble terrasse avec les chaises de plastique, le jet d'eau fait toujours son murmure argentin et le vieux tremble sa plainte sempiternelle. Le soleil revient, pailletant chaque fleur d'une humide étincelle, premier coup de pêche, premiers poissons, vacances.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Maxéville (Meurthe-et-Moselle), photo de l'auteur, 1er janvier 2005

LUNDI.
Lecture. Marcel Proust 1871-1922 (George D. Painter, 1959, 1965; Mercure de France, 1966 pour la traduction française, traduit de l'anglais par G. Cattaui et R.-P.Vial; rééd. Tallandier, 2008, coll. Texto; 958 p., 16 €).
Se trouvent ici rassemblés en un volume les deux tomes de ce qui fut longtemps, avant les travaux de Jean-Yves Tadié je pense - je manque de documentation par ici et l'annuaire n'indique aucun cercle proustophile à Felletin et dans ses environs - la biographie la plus complète de Marcel Proust. Bien sûr, elle peut sembler un peu surannée aujourd'hui et Jean-Yves Tadié exécute son auteur en deux lignes dans sa propre préface, lui reprochant l’absence de témoignages oraux, sa trop grande propension à extrapoler, à induire des choses fausses (notamment l'existence d'un roman disparu que Proust est censé avoir entrepris en 1905), lui préférant même la biographie d'André Maurois qui doit dater de 1949. C'est aller un peu vite en besogne et traiter de façon cavalière un travail auquel Painter a tout de même consacré dix-huit ans de sa vie. Un travail sérieux, étayé, où toutes les sources sont scrupuleusement citées, un travail à l'ancienne, chronologique, systématique, destiné à ne laisser de côté aucun aspect, aucun moment de la vie et de l'oeuvre de Proust. La vie, l'oeuvre, pour Painter les choses sont claires : la vie explique l'oeuvre et l'oeuvre reproduit la vie. Ce parti pris amène l'auteur à une recherche souvent fastidieuse pour faire coïncider chaque événement de la vie de Proust, chaque personne rencontrée, chaque lieu visité, chaque sentiment éprouvé à un passage de la Recherche. Au bout de cette somme, on peut penser que tout est dit, que Proust n'a plus de secrets pour le lecteur. Painter consacre de longs chapitres à la vie des salons du Faubourg Saint-Germain, à l'affaire Dreyfus, à l'influence de Ruskin, à la genèse de la Recherche bien sûr, mais n'élude pas le côté homosexuel de son sujet, malgré l'époque à laquelle il écrit, malgré les réticences que l'on devine et les circonlocutions dont il s'entoure ("Ce chemin le conduisit dans la profonde vallée des Cités de la Plaine..."), ce qui lui vaudra ce commentaire sans appel de la part de Céleste Albaret : "Voilà comment ces messieurs accommodent la vérité, la fable les arrange !" Mais le plus grand mérite que l'on puisse accorder à Painter, c'est son amour sincère pour son modèle, son souci de le comprendre toujours, de l'excuser parfois, sa volonté de faire passer ses qualités avant ses défauts. Et cela, seul peut-être un Anglais était capable de le faire.
Extrait. "Ils déposèrent Mme Scheikévitch à moitié endormie devant sa porte, et ils se rendirent au 102 boulevard Haussmann, où, dans l'ascenseur préhistorique, Proust s'aperçut soudain que son hôte était parfumé et enfouit son visage dans un immense mouchoir. Maurice [Rostand] attendit dans le plus petit des deux salons, parmi les housses couvertes de poussière, observé avec attention par le portrait d'un jeune homme revêtu d'un habit impeccable, avec une légère moustache, un pâle sourire et des yeux brillants : c'était le portrait de son hôte, peint par Blanche en 1892; et Maurice, essayant de trouver un lien entre ce portrait et le pantin spectral qui se trouvait dans l'autre pièce, et dont le smoking semblait avoir été frotté volontairement de miettes par un valet fou, remarqua que le regard était le même. Il entra dans la chambre tapissée de liège, où il trouva son hôte étendu sur son lit, parmi les médicaments, les invitations, les ordonnances, les cravates et les piles de livres. Et Proust se mit à lire, à haute voix, les épreuves de son livre : "Longtemps, je me suis couché de bonne heure..."

MARDI.
Presse. "Ivre au volant. Un aveugle âgé de 29 ans, qui conduisait le véhicule d'un ami installé à ses côtés, devra répondre prochainement de conduite en état d'ivresse, défaut de permis de conduire et mise en danger de la vie d'autrui. Une patrouille de gendarmerie, qui avait repéré le véhicule zigzaguant sur la chaussée à Neuves-Maisons (Meurthe-et-Moselle), a interpellé les deux hommes." (La Montagne)

TV. Les Hommes préfèrent les grosses (Jean-Marie Poiré, France, 1981 avec Josiane Balasko, Daniel Auteuil, Luis Rego; diffusé le soir même sur TF1).

JEUDI.
TV. Le Gendarme se marie (Jean Girault, France, 1968 avec Louis de Funès, Claude Gensac, Geneviève Grad; diffusé le soir même sur M6).
Avis du supplément TV du Monde : "Ca ne s'arrêtera donc jamais ?" J'espère bien que non.

SAMEDI.
Presse. "Nu au volant. Un Belge qui circulait nu en voiture dans la province de Liège a été appréhendé jeudi soir par la police au moment où il enlevait les fausses plaques néerlandaises qu'il avait posées sur son véhicule pour s'assurer de l'impunité." (La Montagne)

L'Invent'Hair perd ses poils.


Dieppe (Seine-Maritime), photo de Jacques Mitelman, 21 décembre 2004

DIMANCHE.
Vie aquatique. Après Chénérailles et Vassivières, expérimentation d'un troisième lieu de baignade, le plan d'eau de la Naute. Ce n'est pas de l'eau de mer et je le regrette. J'aurais aimé pouvoir dire "La Naute est salée".

LUNDI.
Lecture. Les Disparus (The Lost, Daniel Mendelsohn, Harpercollins Publishers, 2006; Flammarion, 2007 pour la traduction française, traduit de l'américain par Pierre Guglielmina; 656 p., 26 €).
Daniel Mendelsohn a treize ans quand il décide d'essayer de mettre bout à bout les histoires de famille que lui raconte son grand-père dans le but initial de construire son arbre généalogique. Peu à peu, il concentre son intérêt et ses recherches sur son grand-oncle Shmiel Jäger, sa femme et ses quatre filles, "tués par les nazis". Les Jäger habitaient Bolechow, une ville autrichienne, puis polonaise, puis russe (Bolekhov) et aujourd'hui ukrainienne (Bolekhiv), un parcours assez semblable à celui de Lubartow, berceau des Peretz, dont elle n'est peut-être pas très éloignée. Bolechow abritait trois communautés, les Polonais, les Ukrainiens et les Juifs, vivant à peu près en bonne entente jusqu'à l'arrivée des Allemands en juillet 1941. A Bolechow, "sur les six mille Juifs ne survivaient que quarante-huit personnes en 1944, ce qui veut dire que quatre-vingt-dix-neuf virgule deux pour cent des Juifs ont été tués à cet endroit." Après avoir recueilli tout ce qu'il pouvait savoir sur les Jäger auprès de sa famille, Daniel Mendelsohn, de New York, se met en quête des survivants, en retrouve une poignée éparpillés entre l'Australie, la Suède, Israël, le Danemark, part à leur rencontre, les interroge. Il effectue également plusieurs voyages à Bolechow, à la recherche d'éventuels témoins polonais ou ukrainiens. Toutes ces personnes ont plus de quatre-vingts ans, des souvenirs flous, incomplets, parfois contradictoires, des secrets aussi. Et puis "comment quiconque a survécu peut savoir avec certitude ? C'est toujours ce que quelqu'un leur a dit. Ils n'y étaient pas. S'ils ont survécu, c'est qu'ils étaient cachés au moment où c'est arrivé." Petit à petit cependant, le puzzle se met en place et Mendelsohn parviendra à une connaissance satisfaisante du sort connu par ses parents. Il consigne ici ses recherches avec méthode, ses progrès, ses échecs, ses doutes mais cette partie factuelle n'est qu'un aspect de son travail. Le livre contient aussi une réflexion sur la mémoire, la famille, la transmission, sur l'Histoire, sur le judaïsme. L'auteur met constamment en parallèle la période historique qu'il explore, celle de l'Holocauste, avec des épisodes de la Torah (le Déluge et ses rescapés, la destruction de Sodome et Gomorrhe, Abraham et Canaan...) et des événements contemporains à l'écriture de son oeuvre (les pyramides de prisonniers formées par les Allemands lors de leur première Aktion à Bolechow et celles, identiques, constituées par les soldats américains à Abou Ghraib, en Irak). Avec Les Disparus, le fruit d'une enquête de trente ans, Daniel Mendelsohn a écrit un grand livre, sensible, humain, justement salué par la critique lors de sa sortie à l'automne dernier. Mendelsohn est de plus un conteur habile, qui sait rendre son récit captivant de bout en bout. Mais c'est peut-être cette habileté qui constitue le seul bémol qu'on puisse apporter à son travail. Mendelsohn est un pur Américain, un enfant des années soixante, du cinéma et de la télévision dont il a assimilé toutes les ficelles : art du teasing ("Il se trouve que ce n'était pas encore le choc ultime, la déception ultime, l'ultime ajustement nécessaire concernant l'histoire de la famille"), découpage (les fins de chapitre qui sont autant de chutes), gros plans (l'usage intensif des italiques), suspense, fausses fins, pré-générique, rebondissement final, générique (la litanie des remerciements). On n'ira pas jusqu'à parler de roublardise, ce serait exagéré et injuste, il est après tout logique que Mendelsohn utilise les ressources de son pays et de son temps pour explorer son ailleurs et son passé.

Coïncidences. J'attaque le deuxième Carnet de notes de Pierre Bergounioux. Première page : "Felletin a quelque chose de tragique, en cette fin de nuit...". Dernière phrase (p. 1261) : "Puis je reviens au Proust de Painter". Felletin, j'y étais ce matin; le Proust de Painter, j'étais dedans la semaine dernière. Mine de rien, je vis une existence très bergounienne.

MARDI.
Presse. "Alcoolémie. Un conducteur bulgare a surpris la police avec un taux d'alcoolémie de 8,15 grammes par litre, alors qu'il était arrêté pour un léger accident de la route près de Batak (sud-ouest)." (La Montagne)

MERCREDI.
Découverte. C'est par un pur hasard que je déniche à Saint-Quentin-la-Chabanne cette publicité peinte qui pourrait bien être la plus ancienne de ma collection. Penser au retour à se renseigner sur les dates d'existence du Petit Journal et l'époque à laquelle ce slogan était utilisé pour sa publicité.

JEUDI.
Tourisme littéraire. S'il faut passer des vacances bergouniennes, autant le faire jusqu'au bout. Je traverse de part en part le plateau de Millevaches pour me retrouver dans la Corrèze de Bergounioux, pas celle de Brive et de l'enfance, mais celle des vacances. Je découvre Meymac, son magnifique monument aux morts dont le socle est orné, aux quatre coins, par des têtes de béliers sur fond de feuilles de chênes et de châtaigniers, Maussac, Davignac et son imposante mairie école, et m'arrête en bordure des Bordes, au bout d'un pèlerinage qui me tenait à coeur. Peut-être, s'il n'a pas changé de mode de vie, est-il ici à cette heure, occupé à souder je ne sais quelles ferrailles. Nous le saurons en lisant le troisième tome de son Carnet de notes, à l'entrée du 7 août 2008. Je vois déjà le passage : "Un importun s'arrête pour photographier la pancarte du hameau et fait bruyamment demi-tour sur le chemin. Où et quand trouverons-nous la paix ?"

TV. Le Gendarme en balade (Jean Girault, France, 1970 avec Louis de Funès, Michel Galabru, Claude Gensac, diffusé le soir même sur M6).
Avis du supplément TV du Monde : "Encore ? Il n'y a pas de raison que cela s'arrête." J'allais le dire.

VENDREDI.
L'Adieu à la Creuse. Un dernier tour à Aubusson pour ma rentrée au PMU et au Loto Foot et une longue exploration de la librairie locale d'où les filles rapportent quelques volumes et Caroline le dernier livre d'Arto Paasilinna. Je souhaite aussi prendre une dernière vue de Felletin avant le départ. Les lettres en bas à droite se sont effacées en une facétieuse apocope avant de renaître en haut à gauche, couleur bleu horizon, établissant un lien que seuls les malveillants trouveront logique.

SAMEDI.
Retour. Sur la route, j'ai beau scruter les automobilistes que nous côtoyons, pas un aveugle, pas même un borgne, pas un homme nu, pas un seul Bulgare, même légèrement gris. On s'ennuie un peu.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Dieppe (Seine-Maritime), photo de Jacques Mitelman, 26 décembre 2004

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°362 - 17 août 2008

DIMANCHE.
Vacances (retour de). Parmi les choses et les êtres qui nous attendaient ici et à la pharmacie, le Journal de Jules Renard, un disque de Harry Sweets Edison, une gerbille vivante (soulagement), une mauvaise nouvelle concernant la santé d'un membre de la famille, une quinzaine de numéros de La Liberté de l'Est, une ou deux invitations et quelques cartes postales dont le maigre tas tend à prouver qu'elles appartiennent désormais à une pratique archaïque, raison pour laquelle je m'y adonne toujours.

LUNDI.
Football. Mes premiers pas spinaliens me conduisent au stade de la Colombière afin d'y retirer mon abonnement pour la saison qui va s'ouvrir. Le SAS a été relégué, jouera désormais en Championnat de France Amateur 2, ce qui ne présente pas que des désavantages : les équipes sont plus petites et surtout plus proches, ce qui, je l'espère, me permettra d'effectuer quelques déplacements.

MERCREDI.
Livres. S'il est un lieu spinalien que j'aurai fréquenté aussi assidûment et aussi longtemps que le stade de la Colombière, c'est bien la bibliothèque municipale. Je m'y rends aujourd'hui pour la dernière fois : le site actuel ferme à la fin du mois, un nouvel édifice, aujourd'hui en construction et destiné à un autre public, devrait ouvrir en avril prochain. Depuis que j'achète des livres, je n'en emprunte plus guère et j'allais surtout à la bibliothèque ces derniers temps avec et pour les filles mais j'en ai rapporté des brouettées dans mes jeunes années, à une époque où le nombre d'ouvrages que l'on pouvait emprunter était de deux par membre de la famille, ce qui me faisait regretter que mes parents ne m'aient pas doté de plus de frères et soeurs.

JEUDI.
TV. Le Gendarme et les extraterrestres (Jean Girault, France, 1978 avec Louis de Funès, Michel Galabru; diffusé le soir même sur M6).
Avis du supplément TV du Monde : "De plus en plus idiot." C'est vrai que ce n'est pas le meilleur de la série.

VENDREDI.
Itinéraire patriotique départemental. Retour aux affaires ordinaires avec la découverte du monument aux morts de La Chapelle-aux-Bois. Des monuments aux morts plutôt, puisque les Poilus sont célébrés de façon laïque devant la mairie et sur le mode religieux à l'intérieur de l'église, dont j'ai eu la bonne idée de pousser la porte.

SAMEDI.
Vie liturgique. C'est toujours l'été, une saison propice aux retrouvailles familiales. Celles du jour se déroulent en la basilique Saint-Maurice pour les obsèques de D.A. Des dix enfants d'Albert Abel, le chand de vin de la rue Saint-Michel à l'enseigne des vins Bèlébon qui fut le grand-père de Caroline, il en reste huit, dont quatre sont aujourd'hui veufs ou veuves. On assiste ainsi, impuissants, à l'effacement progressif, inéluctable et régulier (la dernière fois, c'était en février) d'une génération, celle qui nous précède, celle de nos parents.

Football.
SA Epinal - ASM Belfort 1 - 1.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Dieppe (Seine-Maritime), photo de Jacques Mitelman, 21 décembre 2004

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°363 - 24 août 2008

DIMANCHE.
Presse. Il manquait un épisode aux facéties automobiles relevées dans le numéro des vacances.
"Le conducteur était un caniche. La police chinoise a été alertée par l'allure lente d'un véhicule qui circulait sur une voie express. Et pour cause. Lorsque la voiture fut arrêtée, quelle a été la stupeur des policiers lorsqu'ils ont constaté que le conducteur était un chien ! Sa maîtresse avait laissé le volant à son toutou, considérant que le trafic et la météo étaient propices... Bien qu'elle contrôlât les pédales, on peut dire qu'elle avait perdu la tête." (Marianne, 2-8 août 2008, merci à FD.).

Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de La Chapelle-devant-Bruyères est enregistré.

LUNDI.
Vie parisienne. Départ pour Paris par le 6 heures 23. De suite au Louvre : le chantier de La Mémoire louvrière est béant depuis le 16 mars, il importe de le remettre en route. J'y ajoute donc l'étude de la salle 29, aile Richelieu, deuxième étage, ça va vite. Un détour par le Forum des Halles pour trouver une bricole à rapporter aux filles et je file à mon rendez-vous. D'ordinaire, quand je viens à Paris, c'est pour voir des choses, des rues, des tableaux, des vitrines, des bâtiments, des tombes, pas des gens. Bien sûr, des gens, j'en vois dans les rues, devant les tableaux et les vitrines, dans les bâtiments, j'en devine sous les tombes mais ce sont des passants, des curieux, des badauds, des touristes, des squelettes. Aujourd'hui c'est différent parce que je dois voir une personne, une vraie, en chair et en os, pas mal de chair après l'os d'ailleurs, un bon quintal à vue de nez, on sait de suite à nous voir côte à côte qui a joué dans les lignes arrière et qui a joué dans le pack. J'ai rendez-vous avec PdJ, notulien et surtout maître d'oeuvre de desordre.net, qui m'attend rue du Faubourg Saint-Antoine, histoire de faire connaissance, de mettre un visage sur ce que l'on ne connaît que par web-dire, de se livrer à une activité à laquelle je ne m'adonne pratiquement jamais en dehors de mes activités professionnelles et qui d'ordinaire m'effraie : parler. Nous partageons la croûte dans l'annexe du Café de l'Industrie, proche de la Bastille, là où Frédéric Mitterrand enregistrait ses émissions du samedi après-midi pour France Culture. Hasard, à la table voisine se trouve Timothée Rolin, instigateur de l'adamproject auquel PdJ a participé. Les deux photographes se saluent en se photographiant mutuellement, un rite de la corporation. Après la croûte, nous poursuivons notre discussion sur un banc de la place des Vosges. Parce que je parle, j'y arrive, pas très bien, pas très facilement mais c'est un début, j'écoute, j'ai, c'est assez étonnant, une conversation. Une conversation sur tout et n'importe quoi, nos chantiers respectifs bien sûr mais aussi nos enfants, Bergounioux, Raul Hillberg, le rugby, Misery, François Bon sans qui je ne serais pas là, d'autres choses encore. Après, il est temps de retourner aux choses, aux rues, aux vitrines, aux bâtiments, aux tombes. Je passe devant le lycée Arago, place de la Nation, là où j'ai été particulièrement terne un jour lointain où déjà je ne savais pas parler, lors d'un oral d'épreuve académique, et contourne l'hôpital Rothschild. J'ai en tête de visiter le cimetière de Picpus mais l'endroit est fermé non seulement tout le mois d'août mais aussi les lundis, comme les coiffeurs, même si on a coupé un peu plus que les cheveux à ceux qui y reposent. Je photographie boulevard de Picpus un coiffeur-salon de thé à l'enseigne du Cheveu dans la soupe, une raison sociale assez maladroite aussi bien sur le plan capillaire que pour la gastronomie, ce qui m'évite un bredouille complet. Après un détour par Saint-Germain, je gagne mon galetas proche de la gare de l'Est, rompu. J'y vois mes premières images des Jeux Olympiques, une heure de plongeon masculin, sans le son, ça repose.

MARDI.
Vie parisienne (suite). Par crainte de la presse, je suis au Musée du quai Branly avant l'ouverture. Pas question de visiter le musée dans son intégralité, les musées sont trop vastes de toute façon et celui-ci, j'ai du mal à le saisir, à en comprendre la distribution et l'architecture. Et puis les "cultures non occidentales", les arts premiers, je ne vais pas jouer au spécialiste ni même à l'amateur, moi qui ai lu Lévi-Strauss il y a deux mois à peine. En revanche, cela fait un peu plus longtemps que je pratique, à temps perdu, une anthologie sur le voyage en Polynésie "de Cook à Segalen", ce qui devrait me permettre d'appréhender correctement une exposition intitulée "Polynésie, Arts et Divinités 1760 - 1860" qui se tient sur une galerie suspendue. Je ne suis pas déçu, j'ai bien fait de venir. Des objets somptueux (des capes, des bijoux, des masques, des coiffes), ingénieux (armes, vaisselle, outils), des explications claires, un parcours intelligent et surtout, surprise, un public calme et étonnamment respectueux, comme si chacun savait qu'on touche ici à des choses sacrées, que la partie où sont exposés des objets religieux n'a été ouverte qu'après un rituel approprié de levée de tapu (tabou). Je passe un long moment devant la vitrine consacrée au matériel de pêche : les lignes en fibre végétale, les leurres en soie de porc, les hameçons en bois, en os, en écaille de tortue ou en coquille d'huître perlière dont les irisations imitent l'éclat de l'appât vivant pour la pêche à la traîne, c'est fascinant. Tout comme ce couteau scarificateur des îles Sandwich, un peu plus loin, au sujet duquel on apprend que "c'est avec un couteau comme celui-ci que le capitaine Cook fut coupé en morceaux". Ça ressemble à un cuir à aiguiser pour coiffeur, en bois avec des dents de requin sur le pourtour. Même si celles-ci sont affûtées, on est loin de Solingen : sûr qu'il a dû trouver le temps long, le brave pitaine. Retour au travail ensuite à la Bibliothèque des Littératures Policières où je m'appuie quelques Série Noire pour mon Atlas entre deux ronrons. Je rentre par le 18 heures 12.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MERCREDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 27 (juillet-août-septembre 2006, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 256 p., 20 €).
Le dossier d'ouverture concerne Laurent Tailhade dont je connaîtrai désormais autre chose que le seul nom. On passe ensuite à Rimbaud, vu à travers quelques manuscrits, à une étude de La Force mystérieuse de Rosny aîné, aux démêlés de ce dernier avec les Naturalistes et à un article sur Christian Prigent qui fut un des rares en son temps à avoir la dent dure pour Les Champs d'honneur de Jean Rouaud : "On y dit "maman" comme dans Proust. Mais c'est Proust pour débutants. Du côté de chez Swann en abrégé Bibliothèque verte. Comme dans Céline, on y évoque le quotidien d'une famille de Français moyens. Mais c'est Mort à crédit repeint en bleu layette, Mort à crédit raconté aux petits." Suivent un entretien avec Michaël Packenham, éditeur de la correspondance de Verlaine, et les rubriques habituelles : ma chronique sur l'actualité, celle des ventes et catalogues qui fait découvrir, au détour d'une lettre, un Anatole France plutôt inattendu ("Naples est une ville délicieuse. J'en rapporte de bons morceaux de marbre antique et j'ai vu, pour vingt francs, grâce à un macquereau [sic], des gars qui baisaient, et un jeune garçon qui a enfoncé une pine énorme dans le cul d'un pêcheur napolitain. C'était superbe") et celle des livres reçus dans laquelle je découvre ébloui cet alexandrin d'un certain André Druelle, à propos de boeufs qui "Dorment, fesses serrées, cornes nues sous la lune". J'aimerais bien, ceci est un appel à la notulie érudite, connaître le reste du poème...

VENDREDI.
Epigraphie politique. Je me rends à Thaon-les-Vosges pour prendre livraison d'un tombereau de Série Noire et photographier ce mur, repéré en janvier dernier et qui m'intrigue fortement.

Qui m'intrigue dans la mesure où le Doriot que je connais, l'ancien communiste puis collaborateur Jacques Doriot, a tout de même cessé de sévir en 1945... J'ai cru à une homonymie, à un ancien avant-centre de l'ES Thaon, à un candidat à un quelconque mandat électif, ne pouvant envisager que les édiles successifs de la commune aient toléré pendant soixante ans et plus un tel hommage au créateur de la LVF. Jusqu'à ce que je tourne la tête et que je découvre le mur d'en face, où il me semble bien deviner "Vive Staline", un Staline jeté pour l'occasion aux poubelles de l'Histoire :

Décidément, on ne recrépit pas souvent les murs, à Thaon-les-Vosges.

SAMEDI.
Football. Jarville JF - SA Epinal 1 - 2. Je profite d'une halte sur le chemin du retour et de mon moral de vainqueur pour épingler le monument aux morts de Charmes au tableau de chasse de l'Itinéraire patriotique départemental.

Annonce. La semaine prochaine, c'est la rentrée. Pour l'occasion, les notules ouvriront au public un nouveau chantier. Après l'Invent'Hair qui met au jour chaque semaine un élément de ses trésors photographiques, c'est L'Itinéraire patriotique départemental qui sera livré à la gourmandise des rétines notuliennes à raison d'un monument aux morts par semaine dans la page du samedi. Avant de dévoiler ses richesses, rappelons les principes de ce chantier :
1. Visiter une à une les 516 communes du département des Vosges dans l'ordre alphabétique figurant sur le calendrier des Postes, des Ableuvenettes à Zincourt, d'où l'intitulé complet Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental et l'acronyme IPAD qui sera utilisé comme titre de rubrique.
2. Prendre en photo le panneau d'entrée de la commune.
3. Prendre en photo le monument aux morts.
4. Recopier les noms qui y figurent.
5. Ecrire quelques lignes de commentaire, sans contrainte.
6. Voir Zincourt et mourir, mais pas forcément dans la minute qui suit, disons plutôt ne pas mourir avant d'avoir vu Zincourt.
Remarque préventive. Les photos des débuts sont lamentables, certaines sont tellement loupées qu'elles en deviennent comiques. Heureusement, l'ère numérique qui est apparue en cours de route a pu apporter un peu plus d'habileté artificielle à l'opérateur. Il aurait été facile d'aller refaire les premiers clichés avec un appareil plus perfectionné. Je ne l'ai pas fait. C'est un chantier, et dans un chantier il y a des ratés, des retards, des accidents, de la boue. Prévoir donc des bottes et un casque et à la semaine prochaine, baïonnette au canon.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Strasbourg (Bas-Rhin), photo de Sylvie Murat, 8 mars 2008

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°364 - 31 août 2008

DIMANCHE.
Jouons un peu. "Le grand nageur ! Le grand nageur ! criaient les gens. Je venais des Jeux Olympiques d'Anvers où j'avais gagné de haute lutte le record mondial de natation. J'étais debout sur le perron de la gare de ma ville natale - où est-elle ? - et je regardais la foule indistincte au crépuscule du soir. Une jeune fille à qui je caressai distraitement la joue me ceignit prestement d'une écharpe qui portait, en langue étrangère, l'inscription Au Vainqueur Olympique. Une voiture passa, quelques messieurs me poussèrent dedans, deux d'entre eux montèrent d'ailleurs avec moi, c'était le maire et quelqu'un d'autre. Nous nous trouvâmes aussitôt dans une salle de réception; quand j'entrai un choeur se mit à chanter du haut de la galerie, tous les invités - il y en avait des centaines - se levèrent et crièrent en mesure une phrase dont je ne compris pas immédiatement le sens. A ma gauche il y avait un ministre, je ne sais pourquoi le mot m'effraya si fort au moment des présentations, je le toisai d'abord d'un air farouche, mais je ne tardai pas à me ressaisir; à ma droite était assise la femme du maire, une personne opulente, tout son corps, surtout à hauteur des seins, me parut couvert de roses et de plumes d'autruche. [...] Au son d'une cloche - les valets se figèrent entre les rangées de chaises - le gros monsieur se leva et fit un discours. [...] Quand il eut fini, ce fut naturellement à mon tour de me lever et de prendre la parole. Il me tardait positivement de le faire, car bien des choses ici, et ailleurs aussi sans doute, me paraissaient avoir besoin d'éclaircissements publics et francs, je commençai donc ainsi : "Mes chers hôtes ! Je vous concède que j'ai remporté le record du monde, mais si vous me demandiez comment je l'ai obtenu, je ne pourrais pas vous donner de réponse satisfaisante. En vérité, je ne sais absolument pas nager, j'avais depuis toujours l'intention d'apprendre, mais l'occasion ne s'est pas présentée. Mais alors, comment se fait-il que mon pays m'ait envoyé aux Jeux Olympiques ? C'est justement la question qui me préoccupe [...]"
C'est en pleine quinzaine olympique que j'ai découvert ce texte. Saurez-vous en trouver l'auteur ?

LUNDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MARDI.
Epinal - Charleville. Le rayon orthopédie de la pharmacie bénéficie, en vitrine, d'un spécialiste en semelles de vent grâce à l'intervention d'un artiste du cru.

MERCREDI.
Courrier. Arrivée d'un CD contenant les "Trésors de la radio (1930-1950)". Sketch de Bach et Laverne, cours de gymnastique de Robert Raynaud, publicités interprétées par Jacques Hélian, radio-crochet Monsavon, interview de Berthe Sylva, chansons d'André Claveau, Léo Marjane et j'en passe, rien que du bon.

JEUDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Vie sociale. C'est l'heure de la rencontre semestrielle avec les H. En général, à cette époque de l'année, l'hôte reçu offre à l'hôte recevant le dernier livre de François Bon et après les Stones et Dylan, c'était normalement au volume de Led Zeppelin de changer de mains. Las, il s'en est fallu de quelques jours : le bouquin n'a pas encore atteint nos rivages. Nous nous consolerons en écoutant de vieux 33-tours de Captain Beefheart et de Kevin Coyne qui doivent dater à peu près de la même époque.

VENDREDI.
Retour sur le numéro précédent. "... je découvre ébloui cet alexandrin d'un certain André Druelle, à propos de boeufs qui "Dorment, fesses serrées, cornes nues sous la lune". J'aimerais bien, ceci est un appel à la notulie érudite, connaître le reste du poème..." Un appel qui n'a pas été vain, merci à CD, ça en valait la peine :

"Les grands boeufs harcelés par le gel qui massacre
Les mares autour d'eux et la haie somnambule
Et l'herbe malfaisante et barbare à fouler
Dorment, fesses serrées, cornes nues, sous la lune.
N'aie pas peur de leur masse respirante, ils dorment.
Je connais un talus bien abrité, le saule
Y frémit, sans répit comme un coeur végétal.
Viens, écartons l'espace où nos ombres se fondent.
Vite, donne-moi tes lèvres, j'ai si soif d'elles.
Laisse mes doigts chercher ta robe, ton corsage,
Ce bruissement de jais qui est la vie en toi.
Toute la nuit d'hiver étincelle... la prairie
Et le ciel et les bois étoilés de hiboux.
Ah ! Laisse-moi saisir tes seins, pareils au gel !"

André DRUELLE, La Terre est en sève, Sagittaire, 1936, p. 144.

SAMEDI.
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Football. SA Epinal - AS Pierrots Vauban Strasbourg 3 - 2.

IPAD. 13 décembre 1998. 98 km.

A l’origine, je ne devais entreprendre ce chantier que le 1er janvier 1999 : mes précédents inventaires avaient toujours couru du 1er janvier au 31 décembre. Cependant, je n’ignorais pas que cette entreprise allait m’occuper plus de 365 jours. J’avais hâte de m’y mettre, tout simplement, et comme c’était dimanche, qu’il faisait beau, que c’était la Sainte Lucie, que les magasins étaient ouverts, raison de plus pour fuir la ville, je n’ai pu tenir plus longtemps. J’avais l’impression d’entamer une véritable aventure.


(70 habitants)

Nous arrivons aux Ableuvenettes par la route de Ville-sur-Illon. Première déception : pas de monument aux morts en vue. Ça commence mal, il n’y a même pas d’église. Premier coup de chance de la journée : une vieille dame est en train d’arracher les mauvaises herbes devant sa maison. Je l’interroge, elle m’apprend que le monument se trouve à l’intérieur du cimetière, à la sortie du village. Il s’agit d’une simple stèle blanche, peut-être en comblanchien, érigée au bout de l’allée centrale, juste devant un grand crucifix. Elle se dresse au milieu d’un quadrilatère délimité par une grille en fer forgé. La gerbe du 11 novembre dernier est toujours là, défraîchie.


Aux enfants des Ableuvenettes
Morts pour la France
C. JACQUOT
P. MARCHAND
L. PERNOD
H. COLIN
H. JEANROY
J. JEANROY
P. KOLB

Les noms sont classés dans l’ordre chronologique de leur disparition, d’octobre 1914 à février 1919. 1919 m’a intrigué, mais j’ai pensé à Capitaine Conan de Bertrand Tavernier, aux combats qui se sont déroulés après l’Armistice, dans les Balkans. Je n’avais pas encore pris en compte le fait qu’on pouvait mourir longtemps après des blessures reçues au combat. Je me suis demandé si les deux Jeanroy étaient frères. Le soir même, j’ai téléphoné à Bernard Jeanroy, seul abonné au téléphone des Ableuvenettes portant un des six noms. Il m’a appris que J. Jeanroy se prénommait Jules, que c’était son grand-père et qu’il était enterré dans le même cimetière, la première tombe à droite en entrant. Sur le coup, je n’ai pas réagi, mais ça m’a étonné qu’on ait ramené son corps. Je croyais que tous les morts de 14 reposaient sur les champs de bataille. J’aurais dû lui demander où Jules Jeanroy avait été tué, et comment. En tout cas, H. Jeanroy n’était pas le frère de Jules. Il y a trois familles Jeanroy aux Ableuvenettes et ces deux-là étaient issus de deux branches différentes. (à suivre)

L'Invent'Hair perd ses poils.


Strasbourg (Bas-Rhin), photo de l'auteur, 8 mars 2005

Bon dimanche.