Notules dominicales 2008
 
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Notules dominicales de culture domestique n°369 - 5 octobre 2008

DIMANCHE.
Vie notulienne. Quel tintouin mes aïeux ! Quel ramdam dans le Landernau notulien ! Imaginez : un dimanche, vous devez voyager loin, jusqu'à la frontière luxembourgeoise où vous êtes attendu pour une croûte amicale. Vous bousculez donc un tantinet les rites dominicaux et envoyez les notules beaucoup plus tôt que d'habitude en vous disant que de toute façon, à cette heure-là, le notulien est encore dans les toiles et qu'il ne prendra connaissance de ses messages qu'une fois de retour du marché, du jogging, du tiercé ou de la messe. Pensez-vous ! Le notulien est à l'affût dès l'aurore, il trempe ses tartines dominicales dans les cristaux liquides. C'est un fait désormais avéré : the sun never sets on the Notulian Empire. La preuve : à peine les notules envoyées, c'est le tohu-bohu général. On s'agite dans les colonnes du petit journal ("8 heures 31, les notules sont tombées du lit !", "j'ai reçu les miennes à 8 heures 32", "moi à 8 heures 30", etc.), les courriels arrivent en masse ("c'est pas l'heure", "qu'est-ce que je vais faire jusqu'à midi ?", etc.). La secousse se fera sentir jusqu'à Salonique où l'on demandera un abonnement d'urgence, le premier d'une surprenante série. Le krach boursier à côté ? De la gnognotte.

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). La Psy de Jonathan Kellerman, polar en Points Seuil.

MERCREDI.
Courrier musical. Arrivée d'un CD de Duke Ellington dont j'aime à recueillir les enregistrements en petite formation. Là, c'est Piano in the Foreground avec juste Aaron Bell à la basse et Sam Woodyard à la batterie et il y a en bonus des plages d'improvisation remarquables.

VENDREDI.
Lecture. Le Correspondancier du Collège de 'Pataphysique. Viridis Candela, 8e série, n° 1 (15 septembre 2007, 128 p., 15 €).
Suivant le cycle habituel, les Carnets du Collège de 'Pataphysique se sont interrompus après 28 numéros. Les rumeurs d'une deuxième occultation n'ayant débouché sur rien de concret, la gidouille pataphysique continue donc à tourner et se lance dans une nouvelle série sous le titre de Correspondancier. Le papier est plus riche, le volume plus maniable et la maquette plus soignée avec des notes qui s'insèrent aisément dans le corps des articles. Le premier dossier est consacré au Catalan Joseph Baqué et aux 1500 dessins de monstres qui sont sortis de sa plume au cours de son existence. Gérard Berry conduit ensuite une longue réflexion sur les unités de poids et mesures visant à chiffrer des données aussi insaisissables que le quart de poil, la trotte ou la portée de fusil, à localiser des endroits aussi vagues que Pétaouchnock ou le Diable Vauvert, à déterminer le temps réel qui s'écoule en un clin d'oeil ou en un éclair. Le reste est moins capital. On regrettera, par rapport à la formule précédente, la quasi-disparition du Courrier des sous-commissions (ramené ici à quelques articulets en fin de volume) qui rassemblait avec bonheur un grand nombre d'informations éditoriales, scientifiques, artistiques et autres qui constituaient à chaque fois un véritable trésor pataphysique.

SAMEDI.
Lecture. L'Homme du lac (Kleifarvatn, Arnaldur Indridason, 2004; Métailié Noir coll. Bibliothèque nordique, 2008 pour la traduction française; traduit de l'islandais par Eric Boury; 352 p., 19 €).
Au bout de cette quatrième traduction, on commence à y voir plus clair dans le dossier Indridason, à cerner ce qui rend cet auteur si particulier. On ne parle pas du cadre islandais de ces histoires auquel on est désormais habitué mais plutôt de la manière dont il traite son héros récurrent, le policier Erlendur. Rarement on aura vu un auteur faire autant d'efforts pour empêcher tout lien de sympathie entre le lecteur et son héros décrit comme "un bonhomme solitaire et neurasthénique, reclus dans un appartement obscur". Des ours mal léchés, il y en a bien d'autres dans le polar mais leurs créateurs s'arrangent toujours pour montrer qu'un coeur d'or bat sous la cuirasse et finissent par lier le lecteur à leur personnage. Indridason ne fait rien dans ce sens : Erlendur traverse les livres sans qu'on éprouve quoi que ce soit pour lui : s'il a raté sa vie, échoué dans tout ce qu'il a entrepris sur le plan des relations humaines avec ses collègues ou avec les membres de sa famille, c'est de sa faute et c'est bien fait. Alors pourquoi ça marche, Indridason ? Ça marche parce que le héros n'est pas seul, parce que, à la limite, le héros n'est pas le héros. Les affaires auxquelles il s'attache permettent de découvrir des personnages autrement plus intéressants et plus riches que lui : une femme battue dans La Femme en vert, un portier d'hôtel dans La Voix, des personnages dotés d'un passé douloureux que le policier exhume et au contact duquel il finit tout de même par gagner un peu d'humanité. Ici, le rôle est tenu par Tomas, jeune communiste islandais des années cinquante envoyé à Leipzig par le Parti pour y suivre ses études. La découverte de la réalité socialiste de l'Allemagne de l'Est le conduira successivement à la désillusion, à la révolte puis au meurtre, un meurtre sur lequel Erlendur se penche cinquante ans plus tard. Mais Erlendur, et c'est là que réside l'habileté d'Indridason, reste au second plan, ce n'est pas son destin qui importe mais celui de ce Tomas dont le parcours tragique résonne étrangement quand on a pu enfin voir cette semaine La Vie des autres à la télévision. Faire du personnage principal un personnage secondaire, un obscur qui illumine les autres par effet de contraste : il fallait y penser, Indridason l'a fait et de belle manière.

IPAD. 17 janvier 1999. 101 km (521 km).


275 habitants

Le village est loin d'être coquet mais le monument est très bien entretenu. Il est adossé au mur aveugle d'une maison, sur une petite esplanade dallée.


A nos morts de la Grande Guerre
1914-1918

GERARD Paul 1915
GISCARO Paul 1915
CHATELAIN Félix 1916
CHATELAIN Henri 1917
JEANNOT-MUNIER Henri 1918
TREVILLOT Henri 1918
POTIER Gabriel 1918
GROSJEAN-FRICOT 1918
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DONNEL-JEANNOT Gustave 1918

COLINMAIRE Charles 1940

Trois noms composés, et l'un d'eux est tellement long qu'on n'a même pas pu graver le prénom. Sur un côté de la stèle, d'autres noms sont inscrits sur deux colonnes :

Aux anciens élèves de l'école

BASTIEN Joseph LAURENT Alphonse
CHATELAIN Félix LEGRAS Louis
CHATELAIN Henri PARISOT Alexandre
GERARD Paul POIRET René
HALLY Louis POTIER Gabriel
JEANNOT-MUNIER HRI SCHNEIBERGER Louis
JEANNOT-COLLIGNON HRI TREVILLOT Henri

Six noms sont communs aux deux listes. Comment, où et quand les autres sont-ils morts ? Dans l'annuaire, il reste un seul nom composé, Thomas-Voirot. Mais les Grosjean-Fricot, Donnel-Jeannot, Jeannot-Munier et Jeannot-Collignon ont disparu. On note dans les L une abonnée sous le titre La Baronne d'Ambacourt (qui n'existe plus dans l'édition 2008, au moment où je recopie ces notes).
Le 22 janvier 2000, j'ai téléphoné à la Mairie. La secrétaire, qui n'est pas d'Ambacourt, m'a passé une dame qui m'a expliqué que l'école avait accueilli des élèves venant des villages environnants, eux aussi morts à la guerre. J'aurais dû demander quels étaient ces villages : peut-être n'ont-ils pas de monuments aux morts et ont-ils, sous le prétexte d'une scolarité commune, laissé le soin à Ambacourt de les honorer.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Mesnil-le-Roi (Yvelines), photo d'Alain Zalmanski, 1er mai 2005

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°370 - 12 octobre 2008

DIMANCHE.
Joie de vivre. De plus en plus souvent, le dimanche, quand je ne suis pas de monument aux morts, je vais au cimetière Saint-Michel. Question de tempérament. J'y trouve toujours de quoi raviver quelques souvenirs, de quoi nourrir quelques songeries et la carte mémoire de mon appareil photo. Aujourd'hui, je traîne mes guêtres dans le carré réservé aux enfants, une section dont j'ignorais l'existence. Des tombes grandes comme deux boîtes à chaussures, des cailloux blancs, des petites voitures, des angelots, des Bambi, des dates rapprochées, des prénoms quand on a eu le temps d'en donner un. "Oh ! les après-midi solitaires d'automne..."

LUNDI.
Vie ferroviaire. 7 heures 46. Je descends du train à Châtel-Nomexy, un peu frustré de n'avoir pu identifier la lecture du supporter de Sochaux repéré il y a deux semaines. Un jeune gars me tombe sur le râble : "Je n'ai pas pu éditer mon ticket, la machine est en panne !" Il a l'air confus, je le rassure, la machine est toujours en panne et puis je suis un simple voyageur, je n'appartiens pas à la SNCF. C'est mon cartable qui a dû causer la méprise. N'empêche que ça me donne des idées : ce soir j'achète une casquette, une agrafeuse grand modèle et demain j'attaque la collecte des amendes.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Lecture. Guide érotique du Louvre et du Musée d'Orsay (Jean-Manuel Traimond, La Musardine, 2008; 162 p., 14, 90 €).
On peut supposer que ce petit guide (papier) dû à un guide (humain) a rencontré un certain succès : publié d'abord par le valeureux mais confidentiel Atelier de Création Libertaire en 2005, il est aujourd'hui repris par La Musardine après avoir été remarqué par Le Canard Enchaîné, Le Nouvel Observateur et VSD dont les commentaires louangeurs sont repris en quatrième de couverture. A cet endroit aurait pu également figurer un extrait de l'article du numéro 25 d'Histoires littéraires mais on ne prête qu'aux riches. Malgré ce succès, on ne voit pas encore, tout du moins au Louvre où je suis assidu, de visiteurs avec le guide en main en train d'inspecter si le centaure de la Galerie Thorvaldsen empoigne vraiment la bacchante à laquelle il est soudé "avec une telle passion que son majeur cache et presse l'anus de la bacchante pendant que son annulaire en cache et en presse la vulve." Jean-Manuel Traimond y va de son palmarès, révélant où se trouvent les seins les plus pointus, les plus belles jambes, le plus beau derrière féminin et le plus beau pénis érigé du Louvre - qui n'est pas celui de l'Enfant Jésus pourtant saisi d'une incontestable vigueur ascensionnelle dans une Adoration des bergers due à Giulio Romano. Mais la promenade sert surtout à rappeler une flopée de mythes antiques plus ou moins oubliés ou méconnus (Apollon et Marsyas, Atalante et Hippomène, Cybèle et Attis...) et à dérouler des citations littéraires qui mettent à l'honneur Pierre Louÿs, Théophile Gautier et d'autres moins connus mais non moins lestes. Le tout est frappé d'une érudition de bon aloi tempérée par un humour nécessaire.

VENDREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Voie express : Méthode intensive d'anglais britannique. Bon courage.

SAMEDI.
IPAD. 17 janvier 1999. 133 km (654 km).


109 habitants

A l'entrée du village, un champ de pneus sur la droite. Il règne une odeur pestilentielle. L'attention est attirée par une bâtisse imposante, genre gentilhommière. Le monument aux morts se trouve justement sur le chemin d'accès à cette bâtisse. C'est une colonne de petite taille, élevée sur deux marches au centre d'un carré matérialisé par une grille. Quatre obus sont dressés aux quatre coins. Une torchère est sculptée au sommet de la colonne, ornée elle-même d'un casque, d'un rameau de quelque végétal, d'un drapé d'étoffe et d'une épée portant les initiales RF à la garde.


1914-1918
Ameuvelle
A ses enfants
Morts pour la France

BARTHELEMY Maurice chef d'escon cl. 1886
TETEVUIDE Emile sergent cl. 1914
BESANÇON Henri caporal cl. 1900
CLAIRIOT Jules cl. 1902
GUILLAUME Paul cl. 1893
LIEGEY Louis cl. 1911

Au pied du monument, une plaque fendue au milieu :

Les prisonniers d'Ameuvelle
A leur camarade Emile BERTOT
Mort au champ d'honneur
1945

Madeleine Bertot habite toujours Ameuvelle. Tous les noms de la guerre 14-18 ont disparu de l'annuaire.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Bordeaux (Gironde), photo anonyme, 1er mai 2005

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°371 - 19 octobre 2008

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. J'en demanderai confirmation par téléphone à la Mairie mais apparemment il n'y a pas de monument aux morts à Châtas, village minuscule perché dans les hauteurs de Senones.

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le supporter du FC Sochaux attaque La Fascination du pire de Florian Zeller (J'ai lu). Sa voisine est plongée dans Birmane de Christophe Ono-dit-Biot (Pocket). Au retour, une grande gueule ferait mieux de ligoter La première loi de Joe Abercrombie (J'ai lu grand format) qu'il a posé sur ses genoux plutôt que de bassiner le wagon avec sa conversation inepte.

Comme la vie est lente. Alice revient de l'école couverte de poux. C'est ce qu'on se dit, plutôt que d'avouer qu'on l'a envoyée à l'école couverte de poux.

MARDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le type devant moi a dégainé trop vite pour que je puisse saisir le titre de son bouquin. Je me console en chipant une phrase à la volée : "Il se précipita à l'intérieur du Whistling Dick".

Lecture. La Princesse des glaces (Isprinsessan, Camilla Läckberg, Bokförlaget Forum, Stockholm, 2004; Actes Sud, coll. Actes noirs, 2008, pour la traduction française, traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain; 384 p., 21  €).
On trouve tout chez Camilla Läckberg : meurtre, suicide, faux meurtre et faux suicide aussi d'ailleurs, disparition, inceste, pédophilie, corruption, secrets de famille, tout le catalogue des turpitudes du polar est ici réuni, et on se demande ce qui l'a retenue de nous coller une petite prise d'otages en prime. Au lieu de ça on a droit, pour enrober le tout, à une histoire sentimentale harlequinesque dont les scènes torrides dégagent autant d'érotisme qu'un stand de la Leche League sur le marché de Felletin (Creuse). Bref, c'est de la soupe, du gnangnan et c'est bien dommage. Car au milieu de tout cet étalage finit par se dégager une trame policière qui, miraculeusement, tient la route et empêche le lecteur de quitter son poste. Pour s'y intéresser, il faut malheureusement oublier l'écriture pleine de clichés et les poncifs psychologiques qui surgissent à chaque page. Enivrées par le succès de Millenium, les éditions Actes Sud essaient de faire passer Läckberg pour l'équivalent féminin de Stieg Larsson ("En Suède tous ses ouvrages se sont classés parmi les meilleures ventes de ces dernières années, au coude à coude avec Millémium", quatrième de couverture) dont ils reproduisent les couvertures quasiment à l'identique mais il faut se méfier des imitations.

JEUDI.
Itinéraire patriotique départemental. Celui-là, je n'ai pas à me détourner beaucoup pour l'étudier : il s'agit du monument aux morts de Châtel-sur-Moselle devant lequel je passe presque tous les jours en montant au boulot.

Courrier musical. Arrivée d'un disque des Parisiennes. Vous vous souvenez des Parisiennes et des arrangements que leur tricotait Claude Bolling ? Ça a plutôt bien vieilli.

Lecture. Une saison avec Marcel Proust (René Peter, Gallimard, nrf, 2005; 176 p., 13,50 €).
Souvenirs.
On croyait bien que tous ceux qui avaient côtoyé Marcel Proust avaient fait leur devoir de mémorialiste et s'étaient acquitté de leur volume de souvenirs sur l'air de "J'ai bien connu le grand homme". La bibliographie du Proust de Jean-Yves Tadié en recense presque une cinquantaine et on peut penser qu'elle est loin d'être exhaustive. Or voici que surgit du néant ou presque, plus exactement du grenier de sa petite-fille, un recueil de souvenirs dû à un certain René Peter. René Peter n'est pas un inconnu du monde littéraire (biographe de son ami Debussy, historien de l'Académie française, auteur dramatique à succès avec Chiffon) ni du monde proustien : il figure dans le Tadié, dans le Painter et dans le Dictionnaire Marcel Proust des éditions Champion. Il est le fils d'un collègue du docteur Proust, fréquenta Marcel dans son enfance et on retient généralement de lui qu'il se vit proposer par celui-ci l'écriture d'une pièce en commun dont Proust se contenta de fournir le titre, Le Sadique. C'est également Peter que Proust envoya visiter un certain nombre d'appartements parisiens en vue d'une future installation, dont celui du 102 boulevard Haussmann. On est alors en 1906, et Proust vient de perdre sa mère. Pour l'été, il renonce aux villégiatures normandes et s'installe à Versailles, à l'Hôtel des Réservoirs, où René Peter vient en voisin lui rendre des visites presque quotidiennes. C'est une saison difficile pour Marcel, sur le plan affectif, familial, mais aussi littéraire : Les Plaisirs et les Jours et ses traductions de Ruskin n'ont rencontré qu'un succès confidentiel et il est à la recherche de ce qui deviendra La Recherche. L'amitié de René Peter lui sera un soutien précieux et apprécié comme on peut le voir dans les extraits de lettres fournis par celui-ci. L'amitié de Peter est sincère, désintéressée et on sent dans le récit qu'il fait de cette saison une admiration et une compassion qui ne sont pas feintes. On y découvre un Proust un peu désemparé mais brillant et drôle plus souvent qu'à son tour, et à bien des égards fascinant pour son interlocuteur. Ecrit en 1947, le texte fait un va-et-vient entre le Proust obscur de 1906 et l'écrivain adulé qu'il deviendra : René Peter ne cache pas sa préférence pour le premier. Teinté de nostalgie, son récit nous présente un Proust simple et humain, éloigné des mondanités et des excès qui font l'ordinaire de ses biographies. A la fin de l'année 1906, Proust s'éloigne de Versailles et de son ami, s'installe boulevard Haussmann et se souvient tout à coup que longtemps il s'est couché de bonne heure.

VENDREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Voie express : Méthode intensive d'anglais britannique. C'est le même lecteur que vendredi dernier. Un consciencieux. Cette fois je suis assis à côté de lui et je peux piquer une phrase : "The company is doing very well : La société marche très bien." Il s'agit assurément d'un manuel optimiste. Au retour, aperçu par la vitre du train, La Vie en sourdine de David Lodge (Rivages). Le soir (je fais deux allers et retours aujourd'hui, je joue en nocturne dans une réunion de parents d'élèves), un homme roupille consciencieusement avec Les Enfants de Dune de Frank Herbert (Pocket) sur les genoux.

SAMEDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Les Assassins sont parmi nous de Pierre Bellemare (tome 1 au Livre de poche) et au retour Lucky You de Carl Hiaasen (Pan) en version originale. La lectrice doit être une jeune Anglaise égarée dans nos contrées. Son téléphone de poche sonne. "Allo, c'est toi ?" Ce n'est pas une jeune Anglaise.

IPAD. 19 avril 1999. 89 km (743 km).


164 habitants

Au vu du nombre d'habitants, je ne me faisais pas de souci. Cruelle désillusion : pas de monument, pas d'église, et même pas de cimetière ! J'ai demandé à un gamin. Il ignorait l'existence d'un monument aux morts mais savait que l'église et le cimetière se trouvaient à Ménil-sur-Belvitte, à deux kilomètres de là. Il y a bien une église et un cimetière à Ménil-sur-Belvitte, il y a même un monument mais celui-ci est consacré aux seuls morts de la commune. Nulle part il n'est question d'Anglemont. Nous avons même trouvé un cimetière militaire avec une nécropole imposante (la Chipotte n'est pas loin) mais son tour n'est pas venu : il reste des kilomètres à faire avant d'arriver à la lettre M.
Le lendemain, j'ai laissé un message sur le répondeur de la Mairie d'Anglemont. Le maire m'a rappelé dans l'après-midi : il n'y a pas de monument aux morts dans sa commune. Je ne lui ai pas demandé si c'était parce qu'il n'y avait pas eu de victimes, j'aurais dû. Cependant, un soldat avait été tué à Anglemont pendant la Seconde Guerre mondiale, une stèle en commémorait l'événement.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Auray (Morbihan), photo de Christine Gérard, 5 mai 2005

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°372 - 26 octobre 2008


DIMANCHE.
Football. SA Epinal - GS Neuves-Maisons 3 - 1.

Lecture. Les Feuilles mortes (Red Leaves, Thomas H. Cook, 2005, Gallimard, coll. Série Noire, 2008 pour la traduction française, traduit de l'américain par L.; 288 p., 22,50 €).
En donnant un coup de plumeau à son catalogue pour sa nouvelle formule, la Série Noire a su conserver quelques piliers de la collection, dont ce Thomas H. Cook qui y publie ici son huitième titre. On s'en veut de ne le découvrir qu'à cette occasion parce que si le reste de sa production est du niveau de ces Feuilles mortes, on est passé à côté de quelque chose. En tout cas, ce roman est une vraie réussite. Il met en scène Eric Moore, petit commerçant de la côte Est des Etats-Unis qui mène une vie prospère et sans histoires jusqu'au jour où Amy, une jeune voisine âgée d'une huitaine d'années, disparaît. Ce soir-là, les parents de la gamine étaient de sortie et avaient confié sa garde à un baby-sitter qui n'est autre que le fils du photographe. A partir de là, il n'y aura pratiquement plus d'événements, on recherche la fillette mais il n'y a pas de traces, pas de piste. Le roman se contente de raconter comment le doute s'installe dans l'esprit du photographe qui, petit à petit, va être amené à soupçonner son fils. Un doute qui va en amener d'autres sur la fidélité de son épouse, sur les circonstances de la mort de sa mère, sur les vices cachés de son frère... Thomas H. Cook emmène le lecteur dans une randonnée mentale au pays du mensonge, montre comment le soupçon peut détruire un homme une fois qu'il se met à douter de ce qu'il a de plus cher. Le résultat est absolument glaçant.

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). La Promesse de l'aube de Romain Gary (Folio) à ma droite et Ne le dis à personne de Harlan Coben (Pocket) posé sur le siège devant moi.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MARDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). La Place d'Annie Ernaux (Folio).

MERCREDI.
Courrier littéraire. Arrivée du numéro 35 d'Histoires littéraires, ce qui autorise la mise en ligne de mes textes parus dans le numéro précédent, la chronique de l'actualité littéraire et un article sur Léo Malet, que je signalerai le moment venu.

JEUDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Celle de gauche a sorti un roman chinois dont je n'ai pu retrouver le titre, celle de droite un Livre de poche fatigué, L'Adieu à la femme sauvage d'Henri Coulonges. La première avoue n'en avoir lu que les dix premières pages, la deuxième dit que ça se passe pendant la guerre. La première : "Laquelle ?" Ce sont deux lycéennes qui me font face, elles partent en voyage à Nancy avec leurs professeurs. De bonnes élèves, elles parlent de cours de grec et d'une prof d'allemand (que j'ai eue moi-même dans mes jeunes années, ça m'étonne qu'elle soit encore de ce monde) dont le parfum "sent le répulsif à moustiques." Si elles pouvaient mettre le nez dans leur bouquin... Au retour, Les Enfants de la liberté de Marc Levy (Pocket) et Le peintre de la Reine. Elisabeth Vigée Lebrun de Geneviève Chauvel (Pygmalion).

Lecture. Europe (revue trimestrielle, n° 923, mars 2006; 384 p., 18,50 €).
"Franz Kafka"
300 pages sur Kafka, 300 pages de glose, de pose, de commentaire littéraire amphigourique et indigeste. Sur Kafka, il y en a des milliers d'autres, j'en ai lu mon content, j'en ai même écrit, mais là je sature, j'abandonne. J'ai l'impression que Marthe Robert a tout dit, et c'était tout de même en 1946 (Initiation à la lecture de Franz Kafka). Depuis, on tourne autour du Château, on se perche sur La Muraille de Chine et on rouvre Le Procès sans apporter grand-chose de neuf. Pourtant, il y avait là des intitulés prometteurs, des articles sur "La soumission et la loi", "Bruno Schulz et Franz Kafka", sur "Kafka ethnologue" qui semblaient intéressants, il y avait des contributeurs qu'on estime, Pierre Pachet, Elfriede Jelinek mais rien de lisible n'en ressort. A noter tout de même, hors dossier, un article intéressant de Jean-Marie Lamblard sur le sculpteur Dalou, auteur entre autres du célèbre gisant de Victor Noir au Père-Lachaise.

VENDREDI.
Comme la vie est lente. Alice peut aujourd'hui entrer dans sa neuvième année totalement dépouillée, grâce à de frêles doigts aux ongles argentins.

SAMEDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Stupeur et tremblements d'Amélie Nothomb (Livre de poche). J'échange quelques mots avec le lecteur, qui a été mon élève il y a quelques années. C'est une lecture obligée, scolaire, mais il me dit l'apprécier. Nous parlons un peu de l'auteur. Juste après l'avoir quitté, je regrette d'avoir oublié de lui confier que j'avais dormi dans la même chambre qu'Amélie Nothomb mais ça, je l'ai déjà raconté dans un vieux numéro des notules : http://pdidion.free.fr/notules_2001/notules_2001_septembre.htm

Comme la vie est féculente.
C'est en mars 2005, à l'occasion de sa mort, que j'avais dit ici mon goût pour le travail de Yann Paranthoën. Cet incomparable tailleur de sons avait réalisé le meilleur documentaire que j'aie jamais entendu sur France Culture, Les Mangeurs de pommes de terre, une enquête menée en Hollande sur les origines du tableau de Van Gogh, je me souviens encore de ses questions posées aux paysans du cru pour savoir quel type de patate pouvait bien figurer sur le tableau dont il leur montrait une petite reproduction. Cette notule était tombée sous les yeux d'une spécialiste en tubercules, résidant en Bretagne, près du berceau d'origine de Paranthoën. Devenue notulienne, elle me fit part de son intérêt pour l'homme et l'oeuvre, dont on put réentendre la diffusion cet été au cours de l'exposition "Histoires de pommes de terre" au domaine de Trévarez (Finistère). Aujourd'hui de passage à Epinal (dont elle est originaire, c'est même à son frère que Caroline a racheté la pharmacie de Saint-Laurent, c'est incroyable Internet, c'est juste Epinal en un peu plus grand) elle me rend une visite surprise qui me permet d'apprendre que peut-être, dans un avenir plus ou moins proche, Les Mangeurs de pommes de terre feront l'objet d'une édition sur disque. En attendant, je lui passe Lulu (l'histoire d'une femme de ménage dans les couloirs de Radio France), elle me confie Un Paris-Roubaix parmi 100 (celui de la victoire de Bernard Hinault en 1981), deux autres bijoux dus à Paranthoën, et nous épluchons quelques souvenirs.

Football. SA Epinal - Vesoul Haute-Saône Football 2 - 2.

IPAD. 8 mai 1999. 127 km (870 km).


2960 habitants

Face à la Mairie, une grande esplanade est dominée par une vaste composition qui se tient au sommet d'une montée de cinq marches. L'ensemble est imposant, propre, bien entretenu. La date choisie pour notre visite y est peut-être pour quelque chose.

Sur la quatrième marche, à gauche, une hampe et un drapeau, à côté d'une statue représentant une femme embrassant un Poilu. A droite, une stèle irrégulière dont la forme rappelle la silhouette d'un menhir.

The town of Anould
In gratitude
To the Soldiers of the 36th U.S. Infantry Division
Who died for the liberation of the community
In November 1944

(Hommage de la commune d'Anould
A ceux de la 36e Division US
Qui sont morts au combat, sur son territoire en novembre 44,
Pour qu'elle recouvre la liberté)

En écriture manuscrite : "Ces soldats sans doute ne reviendront pas, mais ils se taisent, par pudeur. Cet assaut est dans l'ordre. On puise dans une provision d'hommes. On puise dans un grenier à grains. On jette une poignée de grains pour les semailles." Terre des hommes, A. de SAINT-EXUPERY

Sur la cinquième marche, à gauche, une stèle :

Aux morts pour la Patrie

Guerre de 1870-1871
Outremer
14 noms sur deux colonnes Tonkin-Annam-Sénégal-Maroc
de GEORGEON J.Octave 7 noms de DURAND Nicolas
à NOEL Jean-Baptiste à GEORGES Félicien

A nous le souvenir, à eux l'immortalité

Au centre, le monument proprement dit, surmonté du mot Honneur. De chaque côté, 67 noms répartis sur quatre colonnes dans une symétrie parfaite : de gauche à droite 14 + 15 + 17 + 21/21+ 17 + 15 + 14. Au total, 134 morts rangés par ordre alphabétique d'ANTOINE Louis à VINCENT Gaston qui n'est que l'avant-dernier nom, suivi de celui de MATHIEU Camille, probablement retrouvé après l'inscription. On note quatre GERARD, quatre HOUSSEMAND, cinq JEANDEL et cinq PARISOT.

Sur la colonne centrale :

Aux enfants d'Anould
Morts pour la Patrie
1914-1918

Hymne

Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d'eux passe et tombe éphémère;
Et, comme ferait une mère,
La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau.

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
A ceux qu'enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourront comme ils sont morts !

Extrait des Chants du crépuscule
1831 Victor HUGO

A droite, une stèle :

A nos morts
1939-1945

AUX ARMEES
F.F.I.
VICTIMES DES MINES
12 noms 6 noms 10 noms
de FLAYEUX Roger de CLAUDE André d'ANTOINE Gilberte
à LACAQUE Robert à THIRY Marcel à LACAQUE Félicien
     
 
INDO-CHINE
DEPORTE DU TRAVAIL
  2 noms un nom

Deux gerbes ont été déposées ce matin au pied du monument.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Larmor-Baden (Morbihan), photo de Christine Gérard, 5 mai 2005

Bon dimanche.