Notules
dominicales de culture domestique n°24 - 3 septembre 2001
DIMANCHE.
Mise en ordre de la maison, réinstallation des étagères,
remplissage d'icelles, tri, jet de livres (pas de gaieté de cœur
mais que faire encore à mon âge d'un Synopsis de phonétique
historique ?)
Courte visite à Saint-Jean-du-Marché où nous laissons
Lucie.
Nous passons la soirée à survoler la presse locale accumulée
en notre absence : décès de clients, mariages d'anciens
élèves, augmentation du prix des places de cinéma...
LUNDI.
Informatique. Je commence à
recopier le premier mille de mes Souvenirs quotidiens. Découverte
du traitement de texte (WinWord ?), je patauge pas mal.
Courrier. J'envoie quelques exemplaires
des notules par la poste à quelques amis non connectés avec
proposition d'abonnement et une cassette à l'AGP (émission
de radio où Anne Roche parle de la notion de voyage chez Perec).
Je reçois un mot d'Alain N. commentant ma Tentative d'épuisement
d'un lieu spinalien et m'annonçant l'envoi d'un Poulpe par
lui écrit. J'adresse son Ulysse dans Ulysses à Francis H.
Rapatriement sanitaire de Lucie, crises d'étouffement pendant la
nuit comme à chaque fois. Et le rendez-vous chez l'allergologue
n'est que pour le mois de novembre.
Je passe l'après-midi à ranger livres, cassettes et CD.
TV. Key Largo (John Huston, U.S.A.,
1948 avec Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Edward G. Robinson, Lionel Barrymore,
Claire Trevor, Thomas Gomez, John Rodney, Marc Lawrence, Dan Seymour,
Monte Blue, Harry Lewis). Frank Mc Cloud, ancien officier, arrive à
Key Largo en Floride et se rend à l'hôtel que tiennent James
Temple et sa belle-fille, père et veuve d'un de ses compagnons
d'armes. Mais l'hôtel est occupé par le gangster Johnny Rocco
et sa clique. Un ouragan est annoncé.
Adapté d'une pièce de théâtre (par Huston lui-même
et Richard Brooks) Key Largo est un film sur l'enfermement. Chaque personnage
est prisonnier d'une image (le stéréotype du gangster pour
Rocco), d'un vice (l'alcool pour sa maîtresse), de son corps (le
fauteuil roulant de James Temple), du passé (la guerre pour Mc
Cloud) et bien sûr d'un lieu, l'hôtel puis le bateau avec
lequel les bandits tentent de s'enfuir. Les deux principaux antagonistes,
lorsqu'ils font leur entrée dans le film apparaissent d'ailleurs
dans des cadres stricts : le visage de Bogart dans le rétroviseur
du bus qui l'emmène à Key Largo, celui de Robinson à
travers les pales d'un ventilateur, image en modèle réduit
de la tempête annoncée. La tension née de ce huis-clos
va bien sûr servir de révélateur de personnalité.
Ainsi l'ivrognesse saura, contre toute attente, faire preuve de courage,
le soldat ne retrouvera la bravoure qu'après avoir connu la peur.
Dans cet hôtel, le major Mc Cloud continue en quelque sorte le combat
mené au
cours de la guerre : il s'agit d'éliminer les forces du mal mais
à quoi bon éliminer un Johnny Rocco vu que d'autres sont
prêts à prendre sa place ?
MARDI.
Retour d'Alice à la crèche.
Gastronomie. Je confectionne un brouet
à l'aide des légumes ramassés dans la jungle qu'est
devenu le jardin : pommes de terre, carottes, poivrons, tomates,
piment.
Suite du rangement des livres.
Je passe une bonne partie de l'après-midi à jaser avec Hervé
B. de passage à Épinal.
TV. Un Mari idéal (An Ideal
Husband, G.-B., 1999 avec Rupert Everett, Jeremy Northam, Julianne Moore,
Cate Blanchett, Minnie Driver). Londres 1895.
L'ascension mondaine, et politique de Sir Robert Chiltern est mise en
danger par Mrs Cheveley, une aventurière qui menace de révéler
les aspects obscurs de son passé.
Dans cette adaptation d'une pièce d'Oscar Wilde, c'est le personnage
de Lord Arthur Goring, interprété par Rupert Everett, qui
est le porte-parole de l'auteur. On reconnaît Wilde -ou du moins
le Wilde légendaire, l'image de Wilde que la postérité
a modelée- dans ce jeune dandy extrêmement brillant, noctambule
dilettante qui entretient des relations électriques avec son père
qui voudrait le marier. C'est lui qui permet finalement à Chiltern
de sauver sa carrière sans trahir ses idées au bout de péripéties
que l'on suit sans déplaisir. Les comédiens sont bons, la
reconstitution soignée, ça manque certes un peu d'âme,
mais bon...
MERCREDI.
Emplettes. Je prends le 8 heures 57
pour la ville. Achats de rentrée scolaire (un carnet de notes,
mon pantalon annuel) et de rentrée littéraire (Houellebecq,
Nothomb). Retour par le 10 heures 51.
Courrier. Je commande un Bulletin
à la Société des Amis de Marcel Proust et reçois
ma convocation pour la pré-rentrée.
Littérature. J'écris
deux nouvelles en deux lignes.
Je termine le rangement de la grande pièce.
Radio. Je rate l'enregistrement du
13ème épisode de Moby Dick. Je me boufferais.
Lecture. 35 Variations (Georges Perec
et alii, Le Castor Astral, collection L'iuprimé, 2000). A l'origine
de ce recueil présenté par Hervé Le Tellier, 35 variations
que Perec avait écrites sur la première phrase de La Recherche
de Proust. Quatre auteurs de quatre nationalités et de quatre langues
différentes ont fait subir les mêmes 35 variations au "To
be or not to be" de Shakespeare, à une phrase de Goethe, de
Carducci et de Clarin. Bien sûr, il ne m'est pas permis de goûter
les textes en allemand, en italien et en castillan. Des deux langues que
je connais et des 70 variations que je peux saisir, je retiendrai celle
qui s'intitule "Autre point de vue" et qui donne "Marcel,
au lit !!!" pour Proust et "Hamlet, quit stalling !" pour
Shakespeare. On aura noté que j'ai, en entreprenant cette lecture,
laissé un peu de côté Robert Musil,
que je termine à dose homéopathique, et qu'enfin je me suis
résolu à quitter mon système aléatoire de
choix de lecture (qui serait trop long à expliquer ici) pour sélectionner
mes lectures au gré de mes envies, ce qui constitue peut-être
un pas décisif vers l'âge adulte ?
JEUDI.
Dernière journée de vacances avec la charge des deux filles.
J'aurai vécu ces journées comme un combat usant entre elles,
moi et le temps. Pourtant, je suis sûr que dans deux ou trois semaines,
je penserai à cette période avec une nostalgie douloureuse
(celle qui me rend par exemple constitutionnellement incapable de feuilleter
un album photos) infoutu que je suis d'apprécier le moment présent.
Courrier. Une carte postale de Vienne
où N. prépare sa dernière rentrée au Lycée
français.
Presse. je lis les suppléments
littéraires des quotidiens consacrés à la rentrée.
L'Huma encense Houellebecq, La Croix est contre, Libé s'intéresse
à Nothomb, Le Figaro aux premiers romans.
TV. My Beautiful Laundrette (Stephen
Frears, G.-B., 1985, avec Gordon Warnecke, Daniel Day Lewis, Saeed Jaffrey,
Shirley Ann Field). Lewisham, banlieue sud de Londres. Omar se voit confier
la gérance d'une laverie automatique par son oncle. Il la rénove
avec l'aide de Johnny, son amant. Pour comprendre le succès critique
qu'a rencontré ce film, il faut se replonger dans le contexte de
l'époque, où le cinéma britannique était franchement
moribond. Forcément, l'arrivée sur la scène d'un
jeune réalisateur (qui avait déjà tout de même
deux films au moins à son actif, dont le moyen The Hit), de jeunes
acteurs, d'une histoire mêlant des Pakistanais et des homosexuels
dans un cadre urbain marqué par le racisme et le chômage
changeait de le permanente de la Dame de Fer. Maintenant, avec le recul,
il faut bien dire que cinématographiquement ça ne vaut pas
grand-chose : photo sale (tourné en 16 mm pour la TV à l'origine),
musique pénible, mise en scène décousue plus par
malhabileté que par choix esthétique. Reste une belle étude
de personnage, celui de l'oncle, un Pakistanais parfaitement intégré
dans la société du profit et qui n'hésite pas à
expulser manu militari ses compatriotes quand ils ne paient pas le loyer
des taudis dont il est propriétaire. Sa justification : "I'm
not a professional Pakistani, I'm a professional businessman."
VENDREDI.
Radio. Fin des programmes d'été
de France Culture. Bilan : 70 cassettes à écouter. Et quand
je disais que je ne pouvais goûter quoi que ce soit sur l'instant.
C'est meilleur réchauffé.
Voyage. Je prends le 6 heures 57 pour
la gare. En attendant le 7 heures 42 pour Paris, je bois un café
à l'Arrivée, où j'ai fait mes premières armes
littéraires.
Marcel, un gars de l'Équipement avec lequel j'ai bu au Café
du Vallon, est déjà au demi ou plutôt aux demis et
se demande s'il va aller bosser. J'arrive à Paris à 11 heures 50,
file rue de Rennes récupérer mon stylo. Je fais un tour
dans les librairies de Saint-Germain pour voir les tables de nouveautés,
achète des lettres Décadry chez Gibert Beaux-Arts boulevard
Saint-Michel. Circuit habituel pour rejoindre la bibliothèque avec
pensée rue des Écoles pour Roland Barthes devant le Collège
de France, à l'endroit où il se fit mortellement renverser
par une camionnette. Je mange un filet de julienne au Petit Cardinal.
En attendant l'ouverture de la bibliothèque, je lis le programme
des activités estivales proposées par le Centre d'Assas,
sorte de M.J.C. du coin. Parmi des choses plus ou moins classiques, il
est question d'un stage de stretching postural.
Je passe quelques minutes à me demander quelle physionomie peut
avoir un être qui consacre une partie de son été à
faire du stretching postural. Je travaille à la Bilipo jusqu'à
la fermeture. Je marche plein sud dans des rues que je ne connais pas
(rue Monge, avenue des Gobelins) jusqu'à la place d'Italie. Au
passage, je jette un oeil sur les Arènes de Lutèce (on y
joue à la pétanque), aperçois la Grande Mosquée
de Paris, la Manufacture des Gobelins. Je prends le bus pour rentrer à
l'hôtel, histoire de soutenir Delanoë et de découvrir
ses fameux couloirs. C'est plus long que le métro mais il y a des
avantages : paysage, bien sûr, meilleur repérage dans l'espace,
plus grande sécurité (il y a d'ailleurs une majorité
de femmes) et surtout pas d'accordéoniste qui vient vous bêler
La Vie en rose toutes les deux stations.
Lecture. Plateforme (Michel Houellebecq,
Flammarion 2001). Michel, fonctionnaire au Ministère de la Culture,
vit le grand amour avec Valérie qu'il a rencontrée au cours
d'un voyage en Thaïlande. Plateforme est dans le prolongement des
Particules élémentaires que j'avais déjà appréciées.
On y trouve à nouveau un narrateur qui observe un monde auquel
il ne peut s'intéresser. Seul le sexe tarifé lui apporte
un peu de vie et il aura d'ailleurs l'idée de mettre sur pied un
concept de club de vacances de charme baptisé "Eldorador Aphrodite".
Comme dans son roman précédent, Houellebecq se sert de son
narrateur comme d'un observateur des rapports entre l'homme et la femme,
entre l'homme (en général cette fois) et sa famille, son
travail, ses besoins, ses loisirs. Ses notations sociologiques (sur le
tourisme, sur l'évolution des relations amoureuses en Occident)
qui, je l'avais déjà noté, le rapprochent du Perec
des Choses, si elles ne sont pas neuves, sont pertinentes. Maintenant,
l'aspect
scandale. L'anecdote d'abord : le Guide du Routard et la "chouette
bande de copains (...) dont les sales gueules s'étalaient complaisamment
en quatrième de couverture" sont un peu malmenés, ce
qui ne saurait me déplaire, n'étant pas un inconditionnel
du ton démago-superficiel des ouvrages de cette collection. Plus
sérieusement maintenant, le problème du tourisme sexuel
dont, à aucun moment, contrairement à ce qui a été
dit, Houellebecq ne fait l'apologie : il fait un travail d'observation
et d'imagination, ce qui est tout de même la moindre des choses
pour un romancier. Au total, un roman important, captivant, écrit
dans une langue sans épate, très fluide.
Dans les 360 et quelques autres romans français de la rentrée,
je doute qu'on trouver beaucoup mieux.
Je vais accueillir Caroline au train de 23 heures 32.
SAMEDI.
A la Bilipo, je travaille sur quatre Série Noire et relis en diagonale
1275 âmes de Jim Thompson pour une lecture en cours. Je retrouve
Caroline en fin d'après-midi à Saint-Sulpice, nous allons
voir à nouveau les Delacroix. Elle est porteuse de Portrait (s)
de Georges Perec, du livre de Laure Adler (ou, devrais-je dire, mon amie
Laure Adler), d'autre livres et d'autres trucs en tissu, cuir ou peluche
parce qu'elle pense aux enfants, elle. Retour en bus, on y prend goût.
Lecture. 1280 âmes (Jean-Bernard
Pouy, Baleine, 2000). Pouy inaugure ici une nouvelle série des
éditions Baleine, intitulée Pierre de Gondol. C'est le nom
du héros, libraire d'occasion (comme le Bernie Rhodenbarr de Westlake)
fort érudit à qui des clients confient des enquêtes
qui ont pour cadre la littérature. Ici, on lui demande de retrouver
les cinq personnes qui ont disparu entre la version originale du roman
de Jim Thompson Pop. 1280 et sa traduction en français 1275 âmes
(Série Noire n°1000, porté à l'écran sous
le titre Coup de torchon par Bertrand Tavernier). Son enquête le
mènera jusqu'au Texas et en Oklahoma, à la recherche de
la bourgade de Pottsville qui sert de cadre au roman de Thompson. Pouy
est vraiment à l'aise dans cette histoire et avec ce personnage
qui lui permettent d'accumuler les mauvais jeux de mots (il est ainsi
question du méchoui de Hendell et des souffrances d'une jeune vertèbre),
les digressions fantaisistes (tendant à prouver que la maison Poulaga
fut construite par Hiéronimus Poulaga à Bruxelles ou que
Pétaouchnok est une vraie ville située à 450 km de
Vladivostok -qu'il écrit faussement Vladivostock) et les allusions
littéraires avec une jubilation communicative. A noter 5 mentions
de Perec (et donc autant de photocopies à envoyer à l'AGP)
et une faute de conjugaison : "...moi qui, depuis deux jours, me
mettait à penser un peu comme Nick Corey..." Citations : "J'ai
été alors interrompu dans toutes ces pérégrinations
mentales par l'arrivée intempestive de Serge, énervé
comme un pereckiste ayant enfin trouvé le seul "E" qui,
paraît-il, existe dans La Disparition." ; "La bouffe,
à bord, avait été du genre incompréhensible,
il y avait eu une sorte de gâteau ressemblant à de l'agglo
de douze arrosé d'alcool de sapin, et le champagne, servi dans
des flûtes en plastique, avait dû être récupéré
à Monaco juste après que Coulthard eut secoué la
bouteille." ; "Le lendemain matin, à dix heures tapantes,
j'étais à la Bilipo, la Bibliothèque des
littératures policières, juste à côté
de la caserne des pompiers, derrière Polytechnique, dans la rue
du Cardinal-Lemoine." Le hasard -Pouy appellerait ça de l'incrémentation
sémantique- voulut que je lise cette phrase à une table
de la Bilipo le matin même, peu après dix heures, en attendant
les livres que j'avais demandés.
C'est aussi au même endroit que j'avais vu Pouy pour la première
fois, à l'occasion d'un Salon des petits éditeurs de polar.
Là-dessus, je vais me coucher, il est tard. Mon dimanche parisien
sera relaté dans la prochaine livraison des notules. Bonne semaine
et bonne rentrée pour ceux et celles
que cela concerne.
Notules
dominicales de culture domestique n°25 - 9 septembre 2001
DIMANCHE.
Courrier. Deux cartes postales.
Cinéma. A l'Arlequin, rue de
Rennes, avant-première de Une Hirondelle a fait le printemps (Christian
Carion, France, 2001 avec Michel Serrault, Mathilde Seigner, Jean-Paul
Roussillon, Frédéric Pierrot, Marc Berman, Françoise
Bette) dans le cadre du ciné-club qu'anime chaque dimanche matin
Claude-Jean Philippe.
Sandrine, 30 ans, quitte son emploi de formatrice internet pour devenir
agricultrice et acheter une ferme dans le Vercors.
Dès le générique, la crainte s'installe : un vrai
dépliant filmé par le Comité du Tourisme rhône-alpin.
C'est beau, vert, montagneux, sauvage; on verra plus tard qu'on peut faire
du parapente, de chouettes balades à cheval avec de chouettes gîtes
pour faire étape... Pas étonnant que la Région Rhône-Alpes
ait participé au financement... Dans cette nature splendide, mais
rude - il y a de la neige l'hiver, et les fainéants de l'Équipement
et d'EDF se fichent des fermes isolées - il reste quelques hommes.
L'un d'eux, Adrien, est un agriculteur désireux de prendre sa retraite,
interprété par Michel Serrault. ll vend sa ferme à
Sandrine, mais continue de l'habiter (la ferme, voyons !). La nouvelle
venue ne ménage pas sa peine : elle tronçonne du bois (hiver
très rude !), trait les chèvres, conduit le tracteur, fait
les accouchements des bêtes... Mais bien sûr, le vieux ne
voit pas ça d'un très bon oeil, d'autant qu'elle a aménagé
une partie de la ferme en gîte et accueille des touristes. Il va
même jusqu'à lui couper l'électricité (qui
joue ainsi le même rôle que l'eau dans Jean de Florette, ça
doit être les chèvres qui m'y ont fait penser) en plein hiver.
Il a aussi un copain (Jean-Paul Roussillon) qui vient le visiter avec
sa Volvo neuve qu'il n'arrive pas bien à faire marcher parce que
c'est très compliqué et il n'est qu'un ancien paysan enrichi;
alors ils sortent les Laguiole et saucissonnent et boivent de la poire
qui vient de l'arbre que les parents d'Adrien ont planté le jour
de sa naissance (là, c'est le côté Soupe aux choux).
Tout ça est tellement convenu, prévisible, que ça
en devient comique. Les effets sont lourds (monologue sur la vache folle
sur images de bêtes abattues), la musique est lourde, les péripéties
se devinent des heures à l'avance (sauf la dernière). Dans
tout cela, Serrault fait son boulot, Mathilde Seigner déploie une
franche énergie, ce qui évite le naufrage total.
A retenir une belle scène involontairement comique dans laquelle
Sandrine aide sa mère (qui vit seule) à ramasser son linge.
En observant le fil à linge, on s'aperçoit qu'il n'y pend
que des serviettes éponge et des torchons, et qu'il y en a assez
pour essuyer et éponger une colonie de vacances.
Le film est suivi d'un débat au cours duquel le réalisateur
(qui rappelle une fois toutes les deux phrases qu'il est fils de paysans)
teste les anecdotes de tournage qu'il racontera à Drucker et consorts.
Nous fuyons et allons manger une salade au Café du Métro
avant de reprendre le train.
Lecture. Le Bavard (Louis-René
des Forêts, L'imaginaire n°32 Gallimard, 1946). En janvier de
cette année, au cours d'un précédent séjour
parisien, j'avais appris de la bouche de Jean Lebrun (j'assistais au Bouillon
Racine, rue Racine, à son Pot-au-feu, émission de France
Culture) la mort de Louis-René des Forêts. Le concert d'éloges
qui suivit celle-ci était inversement proportionnel à l'étendue
de son oeuvre, composée d'une demi-douzaine de livres écrits
en plus de cinquante ans. Parmi ceux-ci, Le Bavard, publié d'abord
en 1946 et dont il modifia le texte en 1973. Il s'agit d'un monologue
ininterrompu, énoncé par un narrateur qui avoue à
la fin que tout ce qu'il a raconté n'était que mystification
(comme le Perec d'Un Cabinet d'amateur) et qu'il avait besoin d'un public
pour assouvir sa soif de bavardage. Son récit, logorrhée
de phrases souvent interminables à la construction alambiquée,
fait parfois penser à celui du Roquentin de La Nausée de
Sartre dont on retrouve l'ambiance portuaire provinciale un peu glauque
et l'acuité de l'analyse des sensations.
L'auteur joue avec son lecteur, essaie de montrer l'étendue de
son pouvoir de fascination et d'attachement sans que ce soit totalement
convaincant.
Lecture encore. Cosmétique
de l'ennemi (Amélie Nothomb, Albin Michel 2001). Dans un aéroport,
un homme d'affaires, Jérôme Angust, est importuné
par un certain Textor Texel qui prétend avoir violé et tué
une femme, celle de Jérôme en l'occurrence.
J'ai une certaine tendresse pour Amélie Nothomb depuis que nous
avons couché dans la même chambre. Mais pas la même
nuit. C'est une chambre d'hôtes près de Jaligny où
elle était venue recevoir le Prix René-Fallet pour son premier
roman, Hygiène de l'assassin (au titre quasi semblable à
celui-ci) et où j'ai dormi en août 2000, ce qui m'incita
à devenir lecteur pour ce prix. Fatalement, cette tendresse devait
aboutir à une lecture, voilà qui est fait. Avec ce texte,
on est quasiment au théâtre, puisqu'il y a unité de
lieu et qu'il s'agit d'un dialogue à deux voix ininterrompu (ce
qui oblige pratiquement à le lire d'une traite). Le lecteur
est tenu en haleine, désireux d'en savoir plus sur le personnage
de Textor Texel qui apparaît d'abord comme un formidable emmerdeur
(une sorte de Bavard à nouveau) avant de prendre une dimension
plus inquiétante. Malheureusement il faut bien dire que la révélation
finale
est un peu décevante.
Citation : " La personne humaine ne présente qu'un seul point
faible : l'oreille." Particulièrement pertinent quand on lit
cette phrase dans un compartiment où claironnent les voix de deux
vieillards à demi sourds lancés dans une conversation inepte.
Nous récupérons les filles chez mes parents.
Courrier. Longue lettre de N. qui
s'abonne aux notules papier.
Je rédige les notules 24 jusqu'à 1 heure 30.
LUNDI.
Vie scolaire. Pré-rentrée au collège. Un nouveau
principal adjoint, beaucoup de têtes nouvelles qu'on ne verra bientôt
plus, le collège étant un port d'attache pour nombre de
titulaires remplaçants. J'ai décidé, à la
suite du repas de fin de l'année dernière où je
m'étais bien amusé après avoir vécu toute
l'année dans un isolement pas du tout splendide, d'être un
bon camarade. D'où les résolutions de rentrée : fréquenter
la salle des profs; ne pas arriver systématiquement le premier
le matin et repartir le dernier le soir pour ne croiser
personne; parler (enfin, ça, c'est pas gagné). je vais donc
manger avec les autres au restaurant. je suis officiellement certifié
stagiaire en lettres modernes, ce qui ne m'empêche pas d'avoir à
faire....14 heures d'anglais. Enfin, si c'est pour faire mes adieux à
la discipline... Mon emploi du temps me laisse libre le jeudi après-midi
et le samedi matin.
Courrier. Carte postale de Tunisie.
J'envoie les notules papier, des photocopies de Houellebecq et de Pouy
à l'AGP.
Presse. Je reçois le numéro
de septembre des Cahiers du cinéma. J'ai la satisfaction de retrouver
certaines choses que j'ai écrites dans la critique d'Une Hirondelle
a fait le printemps (ce qui me permet de préciser que je ne
lis aucune critique avant de rédiger mes notes
cinématographiques).
Cinéma. La Répétition
(Catherine Corsini, France, 2001 avec Emmanuelle Béart, Pascale
Bussières, Jean-Pierre Kalfon, Pierre-Louis Rajot, Dani Lévy,
Sami Bouajila, Marilu Marini).
Louise et Nathalie se retrouvent après une séparation de
dix ans. Nathalie est devenue une actrice de théâtre renommée;
Louise, qui a eu le rêve de le devenir, va s'immiscer dans sa vie.
C'est la déception qui domine devant cette histoire quand on pense
aux possibilités qu'elle offre et qu'elle n'explore que du bout
d'une caméra prudente. Ce n'est qu'en de rares moments que les
relations entre les deux femmes atteignent une sorte de perversion hitchcockienne
prenante jouant sur l'humiliation, la relation dominant-dominé,
le désir de vengeance né de la vocation contrariée
de Louise. En de rares moments et surtout au bout d'une exposition très
longue au cours de laquelle les extraits de théâtre montrés
donnent une idée de ce qu'est l'enfer. La fin m'a totalement surpris
et laissé sur ma faim, mais peut-être est-ce dû à
la somnolence contre laquelle je luttais. Il est possible qu'une des clés
du film tienne dans le personnage de Lulu qu'interprète Nathalie
sur scène mais je ne
connais pas les pièces de Wedekind. Reste à saluer la composition
de Pascale Bussières, étonnante.
MARDI.
Vie scolaire. Deuxième journée de pré-rentrée.
Ca fait penser au service militaire : beaucoup de temps à meubler
avec très peu de choses à faire, on ne pense qu'à
partir en permission. Le nouvel adjoint la joue "copain" : s'en
méfier. En tout cas, je suis content de mes
résolutions de début d'année : je suis détendu,
je m'amuse.
Courrier. Je reçois le nouveau
manuscrit de F.
Je recopie les notes prises au cours du séjour parisien.
Presse. Augmentation du Monde, 7F90.
Web. Échange avec F. et A.
sur Houellebecq, avec G.N. sur La Disparition.
TV. Pecker (John Waters, U.S.A., 1999
avec Edward Furlong, Christina Ricci, Bess Armstrong, Mark Joy).
Baltimore. La passion du jeune Pecker est de prendre en photo tous les
gens et lieux de son quotidien. Il est remarqué, expose à
New York et devient une célébrité.
Film bruyant et bavard qui se veut certainement une étude sur la
renommée et une satire des milieux artistiques new yorkais, et
qui rate complètement son but.
Lecture. L'Agrume (Valérie
Mréjen, Allia 2001).
Même principe que pour Mon grand-père, du même auteur
: un texte court (80 pages), succession de paragraphes qui n'ont pas toujours
de liens logiques entre eux et finissent par raconter une histoire. Histoire
d'une banalité confondante centrée cette fois non plus sur
la famille mais sur une relation amoureuse. La narratrice est amoureuse
d'un certain Bruno qui la traite par-dessus la jambe.
Un amour de midinette affreusement banal et, en fait cruel. Petit à
petit, de livre en exposition (j'avais vu celle dont elle était
l'objet rue du Faubourg-du-Temple), Valérie Mréjen trace
son sillon, crée son petit monde et ramasse des clients. J'en suis.
Citation : "Au bout de quelques mois, je me suis dit que cette histoire
devait finir. Il n'y avait plus de feu, ma chandelle était morte.
J'avais suffisamment pleuré.
A la scène de vaudeville en peignoir, j'ai proposé que nous
rompions. Il a tout de suite été d'accord.
Je m'étais attendue à une apocalypse. Qu'allait-il se passer
?
Je ne voulais pas voir ça.
En fait, il ne se passa rien : le téléphone n'a plus sonné.
Ca n'a pas trop été brutal comme transition."
MERCREDI.
Heure du conte à la Bibliothèque Municipale avec Lucie.
Cinéma. Trouble Every Day
(Claire Denis, France, 2001 avec Béatrice Dalle, Vincent Gallo,
Tricia Vessey, Alex Descas, Florence Loiret-Caille, José Garcia,
Aurore Clément, Hélène Lapiower).
Dans le précédent film de Claire Denis, Beau Travail, il
y avait un plan magnifique d'un jet de sang qui se mêlait à
l'eau à l'issue d'un accident d'avion ou d'hélicoptère.
Ici, le sang est omniprésent. Coré (Béatrice Dalle)
en est couverte : elle dévore les hommes qu'elle a séduits,
elle s'en sert aussi comme décoration murale. Son mari tente de
la protéger en la séquestrant. Il est médecin et
apparemment a réalisé des expériences sur le cerveau
en utilisant Coré comme cobaye, ce qui explique le comportement
de celle-ci.
Arrive à Paris le Dr Shane Brown, qui est en voyage de noces et
recherche Coré et son mari. A la fin, il séduit une employée
de l'hôtel où il réside et leur union se termine en
bain de sang. Voilà. Ce n'est guère clair, pour moi tout
au moins. Claire Denis nous donne les pièces d'un puzzle qui ne
se mettra pas en place. Peut-être estime-t-elle que c'est au spectateur
de recoller lui-même les morceaux et de construire l'histoire. J'en
ai été incapable. On peut tout de même, malgré
la frustration ressentie, apprécier le travail de la réalisatrice
sur le corps ( à la suite de Beau Travail), sur la violence (à
la suite de J'ai pas sommeil) et la musique des Tindersticks.
JEUDI.
Courrier. Une lettre à France
Télécom mobiles sur la sécurité et les portables,
une à l'Office du Tourisme creusois sur notre séjour, des
tapuscrits à mes derniers lecteurs.
Rentrée des classes pour Lucie. Pleurs.
Alice s'ouvre l'arcade sur l'arête d'une table basse. Pleurs et
hémoglobine.
Web. J'envoie sur [listeperec] l'annonce
du décès de Carl-Gustav Bjurström (traducteur suédois
de Perec) trouvée dans Le Monde.
TV. Les Rois du sport (Pierre
Colombier, France 1937 avec Fernandel, Raimu, Jules Berry, Lisette Lanvin,
Nita Raya, Julien
Carette, Georges Flamant, Aimos).
Deux garçons de café marseillais montent à Paris
pour y retrouver un escroc organisateur de rencontres sportives.
Comme dans Le Schpountz tourné par Pagnol la même
année, Fernandel interprète un provincial qui monte à
Paris pour s'apercevoir que la capitale n'est pas faite pour lui. Le film
nous le montre en gardien de but de football, en coureur automobile, en
boxeur,
compositions dans lesquelles il joue sur l'étendue de son comique
habituel, qui apparaît assez limitée. Heureusement, il y
a Raimu qui ajoute un peu d'attrait à un ensemble plutôt
convenu.
Lecture. A ce soir (Laure Adler,
Gallimard 2001).
L'auteur revient, dix-sept ans après, sur la perte de son bébé,
mort d'une détresse respiratoire.
Propos d'Isabelle Huppert dans Télérama de cette semaine
: "J'ai lu aussi le livre de Laure Adler, A ce soir. Je veux juste
dire qu'il appelle le recueillement plus que le commentaire." Tout
est dit.
VENDREDI.
Informatique. J'essaie de lancer le programme pour mettre en route le
scanner. Échec, comme attendu.
Vie scolaire. Premiers cours l'après-midi.
Web. David Bellos réagit sur [listeperec] et ajoute
des précisions sur Bjurström. N'empêche que c'est par
moi qu'il a appris sa mort, ce qui me flatte.
TV. Bulworth (Warren Beatty, U.S.A., 1997 avec Warren Beatty,
Halle Berry, Don Cheadle, Oliver Platt, Christine Baranski).
Jay Bulworth se représente au poste de sénateur de Californie.
Dégoûté de la politique, il engage un tueur et lance
un contrat contre ... lui-même.
On craint au départ de devoir assister à un film politique
américain peu enthousiasmant, modèle Oliver Stone, disons.
Mais rapidement on quitte les sentiers balisés quand Bulworth lui-même
quitte sa défroque de politicien bon teint et se lance dans une
campagne hors normes. Il abandonne la langue de bois pour un discours
- rimé et scandé sur un rythme rap - dans lequel il dénonce
l'hypocrisie du clan démocrate auquel il appartient. Les relations
avec la communauté noire, les compagnies d'assurances, les acteurs
économiques et culturels sont mises à nu par un Warren Beatty
déchaîné. On assiste à la dénonciation
(démagogique ?) d'un système à
laquelle on est peu habitué et on échappe même, de
peu, au happy end obligatoire. Bien sûr, le film a connu aux États-Unis
un échec retentissant.
SAMEDI.
Courrier. Je reçois le Bulletin Marcel Proust désiré
avec l'article sur Proust et Perec qui suscitait ma convoitise.
Vie sociale. Mariage de Séverine,
préparatrice de la pharmacie. Bénédiction nuptiale
(Lucie :"Il est où le petit Jésus, je ne le vois
pas..."), on boit un coup, je m'ennuie.
Notules
dominicales de culture domestique n°26 - 16 septembre 2001
DIMANCHE.
Manifestation. Braderie d'Épinal inaugurée par Séguin
(ou était-ce Jean Yanne ?) : fuir la ville. Nous passons la journée
à Saint-Jean-du-Marché.
TV. Alice (Woody Allen, U.S.A.,
1989 avec Mia Farrow, William Hurt, Joe Mantegna, Alec Baldwin, Blythe
Danner, Judy Davis, Keye Luke).
Que faire quand on est new-yorkaise aisée et qu'on s'ennuie auprès
d'un mari qui ne vous intéresse plus ? L'adultère,
bien sûr, rien n'a changé depuis la Bovary. Alice rencontre
un homme à la sortie de l'école où elle va chercher
ses enfants mais hésite à franchir le pas... Les tergiversations
et les minauderies de Mia Farrow conduisent le film sur les rails de la
comédie et Woody Allen n'hésite pas à parsemer des
ingrédients parfois surprenants : retours en arrière sur
l'enfance, rêves, séquences fantastiques (Alice et son amant
deviennent invisibles, ce qui leur permet, à elle de découvrir
l'infidélité de son mari, à lui de se rendre compte
de l'amour que lui porte toujours son épouse et met fin à
leur liaison). Finalement, Alice se réalisera en allant travailler
avec Mère Teresa à Calcutta, ce qui donne une fin très
politiquement correcte à cette chronique féminine parfois
un peu paresseuse.
Lecture. Portrait(s) de Georges Perec
(sous la direction de Paulette Perec, Bibliothèque Nationale de
France 2001).
Paulette Perec s'est occupée de la partie biographie, qui couvre
la moitié de l'ouvrage. Ca évite de relire David Bellos
et la proximité de l'auteur avec Perec permet bien sûr d'apporter
des choses nouvelles (les lectures de GP, son état d'esprit général
à tel ou tel moment...). Paulette Perec a également sorti
de ses archives bon nombre de photos inédites.
Dans la deuxième partie sont réunis quelques témoignages
: des proches (Pierre Getzler, Marcel Cuvelier), des admirateurs (Paul
Auster), des collègues de l'Oulipo (Roubaud, Jouet...), des spécialistes
(Bernard Magné). C'est dans la contribution de celui-ci que l'on
apprend le plus de choses sur le texte perecquien qu'il décortique
avec sa précision habituelle : nouvelles impli-citations,
nouvelles occurrences du 11 et du 43, etc.
LUNDI.
J'annote mon exemplaire de La Vie mode d'emploi à la lumière
des découvertes faites dans Portait(s).
Vie scolaire. Je fais ma rentrée
chez Pitance, bar-PMU-articles de pêche à Nomexy, où
je passe depuis deux ans mes heures de déjeuner. Mes résolutions
de bon camarade ne vont pas jusqu'à me faire fréquenter
la cantine. Chez Pitance, je suis tranquille, je lis la presse, je perds
des sous sur les chevaux.
Mail. Réaction aux notules
d'A. sur Nothomb, des Forêts, Téchiné.
Bits. O., appelé à mon
chevet informatique, ne parvient pas plus que moi à lancer le programme
du scanner. Ca semble venir du disque. Ca me rassure.
MARDI.
Écrits. A l'aube, je reprends
mon travail sur l'Atlas de la Série Noire.
Grande distribution. Je me rends dans
la grande surface où je n'aurais dû acheter mon scanner.
Je dois attendre vingt-cinq minutes avant que le vendeur d'informatique
se rende disponible, ce qui me met en condition. Idées de meurtre.
Bien entendu, le disque fonctionne
parfaitement sur ses machines de démonstration mais je suis déterminé
à ne pas quitter les lieux sans qu'il me soit changé. Je
dois certainement excéder le vendeur (je peux sans me forcer avoir
un comportement de parfait abruti quand il s'agit d'informatique) qui
finit par
briser de rage mon disque entre ses doigts (il se coupe, ce con). Je repars
avec un disque neuf et installe sans problème le programme sur
la machine. Reste à savoir s'en servir, mais une étape est
franchie.
TV. Des salopiauds ont chié
dans le képi du gendarme du monde et lui ont enlevé ses
deux dents de devant sans anesthésie.
Nous regardons les images de New York, l'avion s'enfoncer dans la tour
comme la capsule spatiale dans la lune de Méliès.
Dans la peau de John Malkovich (Being John Malkovich, Spike Jonze,
U.S.A., 1999 avec John Cusack, Cameron Diaz, Catherine Keener, John Malkovich,
Sean Penn).
Le scénario, signé Charlie Kaufman, est un des plus originaux
des dernières années. Le marionnettiste Craig Schwartz trouve
par hasard dans le fond d'un bureau poussiéreux le passage qui
mène...dans la tête de l'acteur John Malkovich. Peu à
peu, il fait visiter
celle-ci à des touristes d'un nouveau genre qui lui assurent de
solides rentrées financières. Parallèlement, sa femme
Lotte tombe amoureuse de la collègue de travail de Craig, Maxine.
Or, Maxine n'aime Lotte que quand celle-ci se trouve dans la tête
de Malkovich...
La logique se trouve salement malmenée dans cette histoire. L'aspect
loufoque, absurde (le côté burlesque de l'éjection
de la tête de l'acteur - la visite ne dure que quinze minutes) se
mêle à une réflexion sur la manipulation des corps
et des esprits, l'identité, la
possession, le désir.
Reste le plus dur à faire dans une telle aventure : conclure, ce
que n'a pas totalement réussi Spike Jonze avec un dernier quart
d'heure plutôt confus et précipité.
A noter le goût du moment pour les lieux intermédiaires :
la voie 9 3/4 des aventures de Harry Potter et ici l'étage 7 1/2
où travaille Schwartz.
Lecture. Autobiographie d'un lecteur
(Pierre Dumayet, Pauvert 2000).
A près de 80 ans, Pierre Dumayet n'avait certainement pas envie
de se lancer dans un exercice autobiographique traditionnel et lourd.
Il a choisi de continuer à faire ce qu'il a fait tout au long de
sa vie, flâner et glaner. Pourtant, il fait des efforts : ça
commence par "J'ai sept ans et j'écoute la radio." et
on se dit qu'on va avoir une longue partie sur l'enfance. Mais rapidement,
l'auteur dévie, passe du coq à l'âne, de digression
en digression, essayant de temps en temps de revenir à un certain
ordre par un "Bien." ou autre mot de raccroc. Ca rend son récit
extrêmement vivant, fluide.
Les souvenirs de télévision portent la marque d'une époque
révolue où on pouvait consacrer une émission de 52
minutes à La Chartreuse de Parme mais Dumayet ne se lamente pas
sur la télé du passé, ne larmoie pas, ce qui est
un bien. Là où il m'intéresse davantage, c'est quand
il parle des livres, de ses lectures, notamment celle de Madame Bovary,
où il a l'art de s'attarder sur des aspects inattendus du livre
: les mouches, les jours de la semaine, les ronds de serviette fabriqués
par Binet...
Citation : "Raymond Queneau a tenu à jour son carnet de lectures
pendant soixante ans." J'entame ma 22ème année, j'ai
de la marge.
MERCREDI.
Heure du conte à la B.M. avec Lucie.
Lecture. Bonjour, je suis ton nouvel
ami (Marc Villard, L'Atalante 2001).
Comme tant d'autres auteurs de polar, Marc Villard a éprouvé
un jour le besoin d'être reconnu comme un écrivain à
part entière. Pour ce faire, il faut se faire publier par une maison
d'édition et dans une collection "normales". Depuis deux
ou trois titres, Villard a donc tourné le dos à la Série
Noire et à Rivages où il a écrit de bons polars (Le
petit prince a dit, Ballon mort) et de moins bons (La porte de derrière,
Coeur sombre).
Malheureusement, les nouvelles de ce recueil n'ajouteront rien à
sa gloire. On y trouve pêle-mêle des souvenirs d'enfance,
de vie familiale et professionnelle, tous bien plats. Seul ou presque
surnage Ovronnaz, où l'auteur raconte sa participation à
un festival de polar suisse particulièrement gratiné.
Curiosité : dans Homme de lettres, Villard raconte comment il est
devenu secrétaire d'un maître-chanteur analphabète.
On se souvient que dans de nombreux écrits et entretiens, Léo
Malet a raconté qu'il avait occupé cette fonction. Prenons
ça comme un hommage.
JEUDI.
Vie scolaire. Lucie, trop malheureuse dans la classe de grands, est recasée
dans celle des moyens.
Courrier. J'envoie des coupures de
presse à l'AGP.
Informatique. 18 heures 30. J'essaie
d'envoyer un document à G.N. à l'aide du scanner.
20 heures. Je vais chercher une enveloppe et un timbre.
TV. Il faut marier papa (The
Courtship of Eddie's Father, Vincente Minnelli, U.S.A., 1962 avec
Glenn Ford, Shirley Jones, Stella Stevens).
Depuis la mort de sa femme, Tom Corbett élève seul son garçon
âgé d'une dizaine d'années. Celui-ci l'exhorte à
lui trouver une nouvelle mère.
Vincente Minnelli mêle habilement les deux ingrédients principaux
du film : la comédie et l'émotion. Dès que la première
apparaît, la seconde n'est pas loin. C'est l'insistance et l'obstination
de son fils qui feront faire à Corbett le bon choix. Ce n'est pas
un grand Minnelli, mais il sait transformer un matériau scénaristique
ordinaire en bon film.
Lecture. La sieste assassinée
(Philippe Delerm, L'Arpenteur, 2001).
Je ne sais par quel miracle j'ai échappé à la lecture
de La première gorgée de bière. Delerm reprend ici
la recette qui lui valut tant de succès avec ce titre : un petit
volume rempli de textes courts (il s'agit de ne pas effaroucher l'acheteur
non-lecteur) centrés sur l'évocation de souvenirs, de sensations,
de lieux, de situations, de micro-événements baignant dans
une nostalgie, un amour des choses simples qui sonnent particulièrement
faux. Le tout avec une écriture pleine d'afféteries : chez
Delerm, les choses ne ralentissent pas, elles s'alentissent (deux occurrences),
de même, elles ne ramollissent pas, elles s'amollissent. Crispant.
VENDREDI.
Vie scolaire. Je n'ai pas cours à
midi et suis bien aise d'échapper au devoir de faire célébrer
une minute de silence en mémoire des victimes américaines.
C'est que depuis mardi, on est passé de la compassion à
une "France totalement solidaire "(Chirac) d'une Amérique
lancée dans la lutte du "Bien contre le Mal" (Bush),
à la défense de l'Occident (bientôt l'Occident chrétien),
à la croisade.
Gageons que le fils Bush et ses compatriotes sauront bientôt se
rendre encore plus détestables qu'ils l'étaient avant les
attentats. Comme s'ils faisaient semblant de ne pas voir que leur morgue,
leur suffisance, leur certitude du bon droit n'est pas pour rien dans
ce qu'ils ont pris sur la gueule.
Cinéma. La Pianiste
(Michael Haneke, France-Autriche 2001 avec Isabelle Huppert, Benoît
Magimel, Annie Girardot, Anna Sigalevitch, Cornelia Köngden, Susanne
Lothar, Udo Samel).
Erika est professeur de piano au Conservatoire de Vienne. Un élève,
Walter, tombe amoureux d'elle.
Les films de Haneke (c'est mon premier) ont toujours un parfum de soufre,
dû à l'utilisation de la violence ou du sexe. Ici, c'est
la sexualité d'Erika qui est totalement perturbée. Au point
de tenter une relation incestueuse avec sa mère (Annie Girardot)
dont elle partage le logis et la couche. Elle ne connaît que les
rapports de force : conflits perpétuels avec sa mère possessive,
humiliations infligées à ses élèves. Quand
Walter entre dans sa vie, elle pense pouvoir donner libre cours à
ses fantasmes sado-masochistes.
Grâce à l'interprétation d'Isabelle Huppert, Haneke
réussit parfaitement à obtenir ce qu'il veut : créer
un sentiment de malaise, d'inconfort et d'incompréhension chez
le spectateur. Le film a reçu le Grand Prix du Jury et les deux
prix d'interprétation (pour Magimel, ce n'était peut-être
pas justifié) au dernier Festival de Cannes. Il n'empêche
qu'après avoir vu les films de Claire Denis, de Catherine Corsini
et de Haneke, plutôt obscurs dans tous les sens du terme, on comprend
mieux que pour la Palme d'Or, les jurés se soient plutôt
tournés vers la lumière de La Chambre du fils de Moretti.
Notules
dominicales de culture domestique n°27 - 23 septembre 2001
DIMANCHE.
TV. Le Talentueux Mr Ripley (The Talented
Mr Ripley, Anthony Minghella, U.S.A. 1999 avec Matt Damon, Jude Law, Gwyneth
Paltrow, Cate Blanchett).
Tom Ripley a été chargé par un riche industriel américain
d'aller chercher son fils Dickie qui mène une vie oisive en Italie.
Tom trouve Dickie et tombe sous son charme.
Dans un premier temps, on ne pense qu'à comparer cette version
avec celle que René Clément avait faite du même roman
de Patricia Highsmith, Plein Soleil en 1959. A côté de Maurice
Ronet, Alain Delon et Marie Laforêt, leurs équivalents blondinets
made in U.S.A. font plutôt pâle figure. Le traitement cinématographique
n'est pas le même non plus : Minghella s'intéresse plus à
l'environnement dans lequel l'action se déroule que René
Clément pour qui primaient les relations entre les personnages
et les symboles (j'ai le souvenir d'un plan dans un marché sur
une balance, préfigurant la justice qui va condamner Ripley).
Minghella aime l'image soignée, voire sophistiquée, le détail,
la reconstitution parfaite, on l'avait déjà remarqué
dans Le Patient anglais. Ce souci ne nuit pas à son film à
part quand sa stylisation est outrancière - notamment quand il
y a la moindre goutte de sang. C'est que l'histoire est particulièrement
prenante, le suspense est bien mené tout au long des deux heures
passées que dure le film. De l'esthétique sur un bon scénario,
donc.
Un bon point pour Minghella : les Italiens qu'il met en scène en
Italie parlent italien, ce qui devient de plus en plus rare dans les films
U.S.
Lecture. L'inceste (Christine
Angot, Stock 1999).
Avec Angot, on s'évite la question qui agite les commentateurs
de Houellebecq, à savoir si le je du narrateur et le je du romancier
font un ou sont différents. Ici, pas de masque, c'est bien Christine
Angot qui se dévoile, à la suite de Sujet Angot dont le
titre était déjà assez clair.
Le livre s'ouvre sur l'évocation d'une relation homosexuelle tourmentée
qui mène l'auteur au bord de la folie. Elle s'interroge alors sur
les causes de ses troubles et replonge dans son adolescence au cours de
laquelle son beau-père a abusé d'elle.
Ici, il n'est pas question de mettre en cause la profondeur du traumatisme,
la violence du comportement, la sincérité de Christine Angot
mais simplement de s'interroger sur le traitement littéraire qu'elle
utilise pour les traduire. Long monologue volontairement confus (on supprime
même la ponctuation dans certains passages pour faire joycien),
pages entières recopiées dans le Dictionnaire de la psychanalyse
d'Élisabeth Roudinesco, voilà les ingrédients. C'est
extrêmement pénible à lire, on cherche à s'intéresser,
à comprendre, mais c'est en vain.
LUNDI.
Santé. Lucie tousse à
s'en faire vomir (bronchite asthmatiforme), Alice fiévreuse. La
nuit fut rude.
MARDI.
Nettoyage par le vide. Nous traînons sur le trottoir un nombre impressionnant
de vieux présentoirs et autres vieilleries pour le ramassage des
objets encombrants.
Courrier. J'envoie des copies de l'introduction
du Cahier des charges de La Vie mode d'emploi à GN.
Mail. X. se propose de m'aider à
mettre mes notules sous une forme plus attrayante et à leur assurer
une plus large diffusion en créant un site. Il y a peu, c'est V.
qui proposait de me guider pour les envoyer sous forme de "newsletter".
Je m'interroge. Ma présentation est, c'est vrai, plutôt austère,
mes lecteurs et lectrices peu nombreux mais triés sur le volet.
Cette audience me suffit pour le moment : il s'agit de donner des
nouvelles, de faire partager des impressions à des gens qui me
connaissent; j'ai d'autres chantiers destinés à un public
plus large. Quant à l'habillage, il faudrait, pour l'améliorer,
que j'y consacre plus de temps, ce qui ne m'est pas possible. Pour rendre
compte de livres lus et de films vus, il faut que je garde du temps pour
les lire et les voir. Donc statu quo, pour le moment disons.
Échange avec S. sur New York, ses misères et ma façon
d'en parler qui a un peu choqué.
TV. Harry, un ami qui vous veut du
bien (Dominik Moll, France, 2000 avec Laurent Lucas, Sergi Lopez, Mathilde
Seigner, Sophie Guillemin).
On a beaucoup parlé de Hitchcock à la sortie du film, succès
français de l'été dernier. On peut donc le regarder
en cherchant les clins d'œil : le titre, bien sûr, référence
à Mais qui a tué Harry ? , un plan de campagne déserte
pour La Mort aux trousses, des cris d'oiseaux dans une séquence
onirique, une course-poursuite automobile évoquant Complot de famille,
la musique orchestrale ("musique à suspense" disait le
sous-titre - j'ai vu le film dans une version destinée aux sourds
et malentendants). Au delà de ces détails, c'est l'ambiance
générale qui rappelle Hitchcock car on a affaire à
un vrai suspense angoissant à souhait. Harry (formidable Sergi
Lopez qui a fait, Dieu merci, des progrès en français depuis
les films de Manuel Poirier) fait irruption dans la vie de Michel et Claire
et de leurs trois filles. Il se présente comme un ancien condisciple
de Michel, admirateur de ses écrits parus dans un journal lycéen.
Il veut l'aider à écrire et pour cela supprime ce qui l'en
empêche : il lui
achète une voiture neuve, tue ses parents envahissants et est à
deux doigts de faire de même avec le reste de la famille.
C'est peut-être un exercice de style, mais il est réussi
de façon brillante. La séquence d'ouverture, un voyage dans
une voiture inconfortable et surchauffée avec des enfants intenables,
est un petit bijou.
Lecture. Longues peines (Jean
Teulé, Julliard 2001).
Scènes de la vie quotidienne dans une maison d'arrêt.
Jean Teulé a rassemblé diverses anecdotes réelles
de la vie pénitentiaire. Son propos est de montrer que dans ce
monde, on est malheureux d'un côté des grilles comme de l'autre.
Il y a le maton compréhensif amoureux d'une détenue, le
maton corrompu, le prisonnier pédophile, le prisonnier illettré
qui fait écrire à ses compagnons de cellule ses lettres
à sa correspondante de prison, celui qui est amoureux d'une pensionnaire
du quartier des femmes qu'il n'a jamais vue. Ca fait un peu collection
artificielle mais ça se lit sans déplaisir. Il me semble
que Jean Teulé a travaillé, et travaille peut-être
toujours à la télévision. Il donne là matière
à un bon téléfilm.
MERCREDI.
Emplettes. Razzia dans les rayonnages
de la Licorne et de Panorama 88 : Brasseur, Block, Alexakis, Garnier,
Roegiers, Svevo, Rivière. Je renouvelle ma
carte de la Boîte à Films pour la saison cinématographique
(65 francs pour des séances à 27 francs).
TV. In The Soup (Alexandre
Rockwell, U.S.A. 1992 avec Steve Buscemi, Seymour Cassel, Jennifer Beals,
Jim Jarmusch, Carol Kane).
New York. Adolpho Rollo rêve de mettre en scène son scénario
de 500 pages. Il finit par trouver un producteur, Joe, qui s'avère
être un truand.
Encore un film sur un jeune cinéaste, ou plutôt un jeune
tout court voulant devenir cinéaste. Rollo est admirateur de Tarkovski
( ce qui explique les couleurs anémiées du film - curieusement
annoncé dans les programmes et dans le Guide des Films de Jean
Tulard comme étant en noir et blanc) et on se doute que son scénario
est plutôt aride.
Rockwell, dans ce qui doit être une histoire largement autobiographique,
enchaîne les saynètes entre Rollo et son producteur, Rollo
et sa voisine qu'il veut faire tourner dans son film, sans parvenir à
éveiller l'intérêt.
JEUDI.
Courrier. Je renouvelle mon abonnement aux Cahiers du cinéma, envoie
une proposition d'abonnement aux notules aux G. dans l'Aveyron, des coupures
de presse et une cassette d'entretiens de Raymond Queneau à l'AGP.
Mail. Danielle Constantin, secrétaire
de l'AGP, m'informe qu'elle a retrouvé un exemplaire des Cahiers
Georges Perec n°2 que je cherche depuis longtemps. Je le commande
immédiatement. Au passage, elle parle de ma "contribution
inestimable" au Bulletin de l'Association qu'elle est en train de
mettre en forme.
J'investis quelques gains de PMU dans la commande des Entretiens de Paul
Léautaud avec Robert Mallet en 10 CD. Je les ai déjà
sur 6 cassettes mais c'est une version tronquée.
VENDREDI.
Lucie a quatre ans. On mange du gâteau.
Mail. Echange avec GN sur Houellebecq
et le monothéisme.
Cinéma. The Mission
(Cheug Fo, Johnnie To, Hongkong/Chine 1999 avec Francis Ng Chun-Yu, Anthony
Wong Chau-Sang, Jackie Lui Chun-Yin, Simon Yam Tat-Wah, Ron Cheung Yiu-Yeung,
Lam Suet, Eddy Ko Hung).
A la suite de la tentative d'assassinat d'un parrain local, cinq professionnels
retirés du milieu sont engagés afin d'assurer sa protection.
Lorsqu'on trouve les cinq tueurs -qui ont tous des tronches impossibles-
obligés de cohabiter dans la villa du parrain qu'ils doivent protéger,
on pense immédiatement à la bande de yakusas de Sonatine.
Comme les personnages de Kitano, ceux de Johnnie To tuent le temps en
se faisant des farces stupides, jouent à des jeux d'enfants comme
improviser une partie de football avec une boule de papier.
L'histoire n'est pas claire -surtout quand on s'assoupit- les motivations
des personnages non plus. Il n'empêche qu'il y a dans ce film des
moments splendides, comme cette séquence dans un centre commercial
où le parrain va être attaqué sans qu'on sache de
quel côté va venir le danger. L'ironie n'est jamais loin,
on sent la jubilation de Johnnie To à mettre en scène une
histoire de durs où les flingues parlent sans cesse, jubilation
qu'il parvient souvent à faire passer.
Lecture. Le cinquante-quatrième
jour (Roland Brasseur, Baleine 2001).
C'est la quatrième aventure de Pierre de Gondol, le libraire-enquêteur
récemment découvert dans 1280 âmes de Jean-Bernard
Pouy. Il déniche ici des inédits de Perec qui le conduisent
à rechercher les liens qui pourraient exister entre celui-ci et
l'auteur de L'Atlantide, Pierre Benoit. Il est ainsi amené à
fréquenter les cénacles perecquiens, le séminaire
et l'association, et leurs membres.
Sur [listeperec], il y a peu, Roland Brasseur se plaignait du silence
qui avait entouré la sortie de son livre, disait qu'il avait retrouvé
des exemplaires du service de presse dans les caisses des soldeurs. C'est
qu'il n'a pas conscience que son livre est absolument illisible pour qui
n'a pas passé les dix (au moins) dernières années
de sa vie à étudier Perec et à vivre dans son univers.
C'est ce qu'a fait Brasseur, notamment pour écrire son Je me souviens
de Je me souviens, et ça lui a fait perdre tout sens des réalités.
Là où il n'était même pas nécessaire
de connaître l'œuvre de Jim Thompson pour apprécier le livre
de Pouy, il faut un D.E.A. en perecologie pour suivre Brasseur. Le personnage
de Pierre de Gondol n'est plus qu'un prétexte, un ectoplasme chargé
de véhiculer les passions (Perec et Benoit), les recherches, les
convictions de Roland Brasseur (qui en profite pour régler quelques
comptes avec Bernard Magné). Bien sûr, connaissant assez
bien Perec, je me suis un moment régalé aux allusions, aux
clins d'œil, amusé à reconnaître des personnes connues
sous des anagrammes un peu poussives (Brenda Mergan pour Bernard Magné,
Vlad Bodelis
pour David Bellos, Bernard Salours pour Roland Brasseur lui-même,
etc.), plu à voir reconstituée dans l'Épilogue, la
séance du séminaire à Jussieu du 20 janvier 2001
à
laquelle j'assistais. Il y a d'ailleurs un certain vertige à se
retrouver, même si ce n'est qu'au rang des figurants anonymes, propulsé
personnage de roman... Mais ce plaisir s'estompe rapidement car l'intrigue
imaginée par l'auteur (Perec a-t-il lu, aimé et plagié
Benoit ?) est peu intéressante et mal fichue. Je pense que la prochaine
fois que je verrai Brasseur, j'hésiterai à lui demander
de me mettre un mot sur son bouquin de peur qu'il ne me demande ce que
j'en ai pensé...
SAMEDI.
Je me lève à 7 heures 15, une heure plus tard que d'habitude
et je passe la journée à courir après cette heure
perdue.
Courrier. Carte postale d'Allemagne
où A. est en voyage.
Vie sociale. Mes parents et ma marraine
au dîner pour l'anniversaire de Lucie.
Notules
dominicales de culture domestique n°28 - 30 septembre 2001
DIMANCHE.
Plaisir de passer un dimanche at home.
Lucie et Caroline vont faire un tour à la Fête d'Épinal.
Le matin, les manèges ne tournent pas, c'est moins cher. On mange
des gaufres.
Tâches d'automne. Je rentre
le salon de jardin, ôte les jardinières, remise la piscine,
cueille les derniers piments et poivrons, écime les poireaux.
Cinéma. Le Lait de la tendresse
humaine (Dominique Cabrera, France, 2001 avec Patrick Bruel, Marilyne
Canto, Dominique Blanc, Sergi Lopez, Valeria Bruni-Tedeschi, Olivier Gourmet,
Mathilde Seigner, Yolande Moreau, Jacques Boudet, Antoine Chappey, Claude
Brasseur, Marthe Villalonga, Bruno Salvador, Antoine Bonnaire, Nour Gana,
Lena Breban, Edmée Doroszlaï).
Dans une ville du Jura, Christelle quitte le domicile conjugal, abandonnant
sans prévenir ses trois enfants et Laurent,son mari, qui la cherche
partout. En fait, elle s'est réfugiée chez une voisine.
Au départ, il y a une idée intéressante : on ne connaît
jamais la souffrance (ici le baby blues) que peut éprouver une
personne qui, pourtant, donne tous les signes d'équilibre et de
normalité. Lorsqu'il s'interroge, lorsqu'il interroge les collègues
de travail de sa femme,
Laurent ne trouve rien qui cloche. Pourtant, Christelle n'en pouvait plus,
et a fui. Le propos du film est donc de trouver le moyen de réunir
un ensemble familial décomposé. Pour cela, les bonnes volontés
ne manquent pas : de la voisine (Dominique Blanc) qui accueille Christelle
au couple (Gourmet-Bruni) qui accepte de recueillir le dernier-né,
tout le monde oublie ses propres problèmes -qui existent, et qui
ne sont pas légers- pour aider Christelle et Laurent. Comme dans
Nadia et les hippopotames, où tout le monde passait, à un
moment donné, au-dessus de ses problèmes pour le soutien
à la cause. Il y avait cependant dans le précédent
film de Dominique Cabrera le regard critique du personnage interprété
par Ariane Ascaride qui rendait les choses plus complexes et qui manque
un peu ici. N'empêche : servie par Marilyne Canto, Cabrera réussit
son portrait de femme à bout de nerfs, dont le modèle se
trouve certainement dans Une Femme sous influence de John Cassavates avec
Gena Rowlands.
Un bonus : la présence, dans chaque rôle, d'une tête
connue, pas forcément une star, comme Jacques Boudet échappé
de chez Guéguidian, Antoine Chappey de chez Oliveira, Olivier Gourmet
de chez les Dardenne... A la suite de Pascal Thomas dans Mercredi,
folle journée, Dominique Cabrera réhabilite le second rôle
et c'est tant mieux.
LUNDI.
Courrier. Carte postale du Maroc de
N.
Santé scolaire. Lucie rentre
de l'école avec une main écrasée par une semelle
ennemie.
TV. Fiesta (Pierre Boutron, France, 1995 avec Jean-Louis
Trintignant, Grégoire Colin, Marc Lavoine, Dayle Haddon, Laurent
Terzieff, Jean Davy, Françoise Christophe, Jean-Philippe Ecoffey,
Jean-Louis Richard).
Octobre 1936. Rafael, 16 ans, quitte son collège religieux d'Arcachon
: son père le réclame pour participer à la guerre
civile d'Espagne. Rafael fait ses premières armes dans un peloton
d'exécution sous les ordres du colonel Masagual.
Un an après Land and Freedom où Ken Loach montrait la guerre
d'Espagne du côté des Républicains, Pierre Boutron
présente la face franquiste du conflit. Sous les traits juvéniles
de Grégoire Colin, Rafael fait un apprentissage douloureux : lui
qui apprécie les religieux qui gouvernaient son collège
doit, à son premier peloton, fusiller un prêtre (Terzieff).
Il finira par se rebeller en délivrant une enfant de 15 ans promise
à la mort avant de partir pour le front.
Le film est dominé par la figure de Trintignant qui incarne un
colonel morphinomane autoritaire, cassant, misanthrope, sadique, qui organise
chaque dimanche des exécutions publiques dans un cloître.
Il malmène ses subordonnés, accepte la part abjecte qui
lui est
dévolue dans le conflit mais avec lucidité : "Nous
vaincrons parce que nous sommes les plus cons."
MARDI.
Santé scolaire : Lucie sort
de l'école avec une lèvre énorme, conséquence
d'une chute. On dirait que cette fille n'a pas de chance.
Courrier. Je reçois Viridis
Candela, n°5 des Carnets trimestriels du Collège de 'Pataphysique'.
Lecture. Paris-Athènes
(Vassilis Alexakis, Fayard 1989).
Récit autobiographique.
Je remonte à contre-courant l'œuvre de Vassilis Alexakis, après
l'éblouissement qu'avait été pour moi, au printemps
précédant la naissance de Lucie, la lecture de La langue
maternelle. Alexakis aime bien parler de lui. Quand il se déguise
sous le masque d'un narrateur, il choisit un masque transparent, comme
dans Le coeur de Marguerite. Ici, c'est bien de lui qu'il s'agit. Il entreprend
une fois encore de nous raconter ses rapports avec la Grèce et
la France, qu'il habite alternativement, et surtout avec les langues de
ces deux pays. A quelle langue appartient-on quand on parle français
à ses enfants et grec à ses parents ?
Il est ainsi question de ses années d'enfance, de son départ
pour la France, de son mariage raté, de ses livres, de Paris, de
France Culture et des Papous auxquels il collabore, d'Athènes,
de Lille, de Santorin, de Tinos. Alexakis aime à se donner une
apparence de sceptique, de désabusé, de rêveur qui
lui va à merveille et en fait, à mes yeux, un personnage
extrêmement attachant.
Citation 1 : " Je lisais moins. Il faut croire que je cherchais dans
les livres des autres les phrases que j'avais envie d'écrire, car
à partir où j'entrepris de les rédiger moi-même,
mon intérêt pour la lecture diminua. Je lus néanmoins
Georges Perec et la plupart des San-Antonio."
Citation 2 : "Quand je ne sais pas trop quoi dessiner, je commence
le plus souvent par tracer une ligne horizontale qui aboutit à
un gouffre."
L'automne dernier, en réponse à un mot que je lui avais
adressé, j'ai reçu un dessin de Vassilis Alexakis. On y
voit un homme minuscule au bord d'une falaise, qui se penche pour scruter
le gouffre.
MERCREDI.
Emplettes. Je trouve deux vieux Série
Noire au marché.
TV. Stand by ( Roch Stéphanik,
France, 2000 avec Dominique Blanc, Roschdy Zem, Jean-Luc Bideau, Patrick
Catalifo, Rémi Martin).
Hélène se fait plaquer par son fiancé au moment où
ils doivent partir pour Buenos-Aires. Elle décide de rester à
l'aéroport et commence à se prostituer.
La caméra suit Hélène tout au long du film : pour
exister, les personnages annexes doivent venir à sa rencontre (son
fiancé qui, regrettant son geste vient la rechercher et veut l'emmener
pour de bon cette fois en Argentine, le barman avec qui elle se lie d'amitié,
sa sœur qui tente de la ramener à la maison et à la raison,
et bien sûr ses clients). Elle s'approprie peu à peu le lieu
et ses codes, sa maîtrise de ses nouvelles occupations augmente
en parallèle avec ses tarifs. Cette vie dans un univers impersonnel
où ne résonnent que les appels et les messages des hôtesses
semble lui convenir. Seulement arrive le moment où le spectateur
se lasse un peu, lui, de tourner en rond dans Orly-Sud. Stéphanik
n'ose pas conclure son film -peut-être parce que la fin est toute
bête, qu'il n'y en a pas d'autre possible : Hélène
retrouve le grand air- et rallonge inutilement la sauce.
JEUDI.
Santé scolaire. Lucie sort
exceptionnellement indemne de l'école. Pour célébrer
l'événement, Caroline l'emmène à la Fête.
Alice malade, pas de crèche.
Courrier. Carte postale de l'île
d'Yeu; Les Cahiers du cinéma d'octobre. J'envoie des coupures de
presse à l'AGP et la nécrologie de M. Gouillart, notre professeur
d'allemand au lycée, à F.
Emploi du temps. Je suis satisfait
de ma nouvelle organisation : travail sur l'ordinateur (mail et oeuvres)
le matin de 5h 50 à 6h 45, travail de bureau (oeuvres et écrits
divers) de 18 à 19 h. Il semble que j'arrive à faire plus
de choses que lorsque je procédais à l'inverse.
Cinéma. La Chambre des officiers
(François Dupeyron, France, 2001 avec Éric Caravaca, Denys
Podalydès, Grégori Derangère, Sabine Azéma,
André Dussollier, Isabelle Renauld, Géraldine Pailhas, Jean-Michel
Portal, Guy Tréjan, Catherine Arditi, Paul Le Person).
Le (beau) roman de Marc Dugain est impeccable pour une adaptation cinématographique
: le thème du regard, une histoire d'amitié, une aventure
sentimentale, dans un cadre historique qui se prête admirablement
à la reconstitution. François Dupeyron livre un film très
"qualité française", dans la lignée des
Destinées sentimentales d'Olivier Assayas où le moindre
détail est pris en compte : scènes de foule, scènes
d'hôpital, scènes de rue, tout est parfaitement filmé,
cadré, éclairé.
Le contenu, maintenant. J'avoue avoir été gêné
par l'option choisie par le réalisateur entre le moment où
Adrien, le jeune officier, subit son accident et le moment où il
découvre son visage de "gueule cassée". Dupeyron
filme soit en caméra subjective, soit en cadrant le personnage
de dos de façon à ne pas dévoiler son visage. Il
entretient ainsi une sorte de curiosité malsaine chez le spectateur
qui se demande quand va lui être dévoilée la figure
du monstre. Bien sûr il y a là la volonté de coller
au personnage qui ne sait pas ce qu'est devenu son visage et qui brûle
de le découvrir (j'ai le souvenir des sentiments qui se sont emparés
de moi quand j'ai réussi à écarter les fils qui cousaient
mes paupières devant la glace du cabinet de toilette de ma chambre
à l'hôpital de Hyères) mais ce choix est plutôt
pervers.
Heureusement, une fois passé ce cap, le film atteint une dimension
beaucoup plus intéressante. Il s'agit, pour Adrien, d'accepter
son visage, d'accepter celui de ses compagnons de chambre, puis de le
faire accepter par les autres à l'extérieur. C'est ce
cheminement, ce lent basculement de la mort vers la vie qui donne son
prix au film.
VENDREDI.
Alice toujours malade.
SAMEDI.
Alice toujours malade. L'anti-vomitif qu'elle ingurgite a sur elle des
effets émétiques plutôt surprenants.
Lucie malade à son tour, mêmes symptômes.
Courrier. Je reçois le coffret des entretiens Robert Mallet-Paul
Léautaud, le N°2 des Cahiers Georges Perec, un mot de remerciements
de P.G. à la suite de la mort de son père, la réponse
de France Télécom Mobiles à ma lettre concernant
la sécurité et les portables. J'envoie ma cotisation à
la Société des Amis de Marcel Proust.
TV. L'Homme des hautes plaines
(High Plains Drifter, Clint Eastwood, U.S.A., 1973 avec Clint Eastwood,
Verna Bloom, Mariana Hill, Billy Curtis).
1870. Un étranger arrive à Lago, en Californie du Sud, abat
trois malfrats, viole une femme et met le village à sa botte.
Il pèse en fait sur cette localité une honte collective
concernant un épisode du passé : le shérif s'est
fait torturer sans que quiconque ne lève le petit doigt pour lui
venir en aide. On apprendra à la fin du film (dans sa version française,
car la fin de la version originale reste ambiguë) que l'étranger
est le frère du shérif défunt. Pour mener à
bien son entreprise, il ne fait pas dans la dentelle, humiliant les hommes,
séduisant les femmes, faisant peindre toutes les maisons en rouge,
rebaptisant la ville "Hell".
Clint Eastwood reprendra plus tard son rôle de justicier énigmatique
et solitaire dans Pale Rider. Ce n'est pas l'aspect de son oeuvre que
je préfère. Ce n'est plus tard qu'il se débarrassera
de l'influence de Sergio Leone et incorporera à son personnage
les doses d'humour, d'humanité, de distance qui donneront des films
plus réussis, jusqu'au chef-d'œuvre que constitue Un Monde parfait.
DIMANCHE.
Caroline malade. Moi-même je ne me sens pas très bien. La
guerre bactériologique a-t-elle commencé ? Ceci est peut-être
mon dernier message. Bon dimanche aux survivants.
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