Notules dominicales 2001
 
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Notules dominicales de culture domestique n°16 - 1er juillet 2001

DIMANCHE.
Après avoir rédigé mes notules, je regarde au magnétoscope Afrique du Sud - France (20-15) que j'ai enregistré dans l'après-midi. Au lit à 7 heures, debout à 9. État cadavérique, mais je réussis tout de même à bosser sur toutes mes oeuvres en cours.
Nous montons barbecuter à Saint-Jean-du-Marché. En route, dans l'auto, nous (Caro, Lucie et moi) chantons à tue-tête jusqu'au moment où je me remémore une scène semblable dans La Chambre du fils. Mon sang se glace. J'enregistre la première partie des Papous, on y était, et encore des tas de choses sur Flaubert. Je termine la lecture de Les désarrois de Ned Allen de Douglas Kennedy (Pocket, 1998).
Ned Allen est responsable de la vente d'espaces publicitaires pour un célèbre magazine d'informatique. A New York, il vit sur un grand pied, un peu au-dessus de ses moyens. Jusqu'au jour où, à la suite d'une réorganisation du groupe auquel appartient son magazine, il
perd son emploi. Dans L'homme qui voulait vivre sa vie, c'était un avocat de Wall Street qui voyait sa vie bouleversée que mettait en scène Douglas Kennedy. Que se passe-t-il quand la façade se lézarde, quand les murs de l'apparence sociale s'effondrent, voilà ce qui semble
l'intéresser. La chute vertigineuse de Ned Allen est dépeinte avec brio, on avale les pages à haute cadence. Lorsqu'il s'agit de sa remontée à la surface, qui s'effectue grâce à la mise à jour d'un circuit de blanchiment d'argent, ça devient plus touffu et moins passionnant.
N'empêche que le regard posé par Kennedy sur les mœurs économiques et sociales de son pays est plutôt implacable.

TV. Le Fils du désert (Three Godfathers, John Ford, U.S.A., 1948). Trois hommes cambriolent une banque à Welcome (Arizona). Ils fuient, sans eau, dans le désert et recueillent le bébé d'une femme qu'ils ont aidée à accoucher. Beau western auquel John Ford donne très clairement une dimension évangélique : les noms des villes, de Welcome à New Jerusalem, la présence d'une Bible, les trois rois mages, la proximité de Noël, la traversée du désert, l'ogive formée par la bâche du chariot dans lequel naît le bébé... Les trois hommes, une fois leur forfait accompli, errent en quête de rédemption, comme errait Gypo Nolan dans la ville du Mouchard. C'est simple, généreux, comme souvent chez Ford, remarquable. Les scènes des trois gaillards autour du nouveau-né annoncent, avec 40 ans d'avance, Trois hommes et un couffin.

Radio. Nouvelle nuit Flaubert sur France Cul. Cette fois, pas question de passer une nouvelle nuit blanche. Je règle la sonnerie de mon téléphone et me réveille toutes les 45 minutes pour tourner ou changer de cassette. C'est beaucoup plus supportable qu'une nuit sans sommeil.

LUNDI.
Lucie en croisière sur un bateau en guise de sortie de fin d'année. Peut-être un jour connaîtra-t-elle le pont du Vastol.

Radio. La fièvre Flaubert s'estompe. Je n'ai qu'à me lever une fois dans la nuit pour enregistrer la suite du feuilleton (L'Éducation sentimentale en 6 épisodes de 90 minutes, fabuleux).

MARDI.
Dernière matinée de cours au collège. Je bosse jusqu'à midi, ne laissant à mes élèves que la dernière demi-heure de l'année sans travail. C'est bien assez. Le soir, cérémonies diverses, départs en retraite, départs tout court, suivies d'un barbecue. Je revois Jo avec plaisir. Vu mon côté grand communicateur, il y a là des gens, des collègues, avec qui j'ai bossé tout au long de l'année et à qui je n'ai jamais adressé la parole. La plupart sont pourtant, je le découvre, sympathiques, parfois drôles. Nous (Caro m'a accompagné) passons une très bonne soirée alors que j'étais parti avec le préjugé que j'allais me faire tartir.

MERCREDI.
Emplettes.
J'achète un dictionnaire de Jean Yanne, un polar (Miss Peabody met un genou en terre) et un bouquin sur la façon de regarder un tableau (On n'y voit rien de Daniel Arasse), des Série Noire d'occasion pour mon Atlas, plus une veste en solde.

Je termine la lecture du numéro d'Études Romanes consacré à Perec et l'histoire (Actes du colloque international, Université de Copenhague, du 30 avril au 1° mai 1998). C'est W bien sûr, qui est l'ouvrage le plus étudié, notamment par David Bellos qui se consacre aux erreurs historiques. Mais il est aussi question de La Vie mode d'emploi, des Choses, de La Boutique obscure, de la traduction de La Disparition en anglais, et du Cabinet d'amateur. Manet van Montfrans, que j'ai entendue l'autre jour à Paris, livre une étude sur les sources picturales du livre (assez peu étudié par les spécialistes) qui semble mener à des pistes innombrables. Tant mieux.

Intention d'aller au cinéma voir La Faute à Voltaire, mais encore une fois, trop tard. Tant pis. Profiter de l'été. En outre, la semaine prochaine, Fête du cinéma, à fuir à cause de la foule

TV. Eyes Wide Shut (Stanley Kubrick, U.S.A., 1999). A New York, Alice annonce à son mari, un médecin en vue, qu'elle a un jour pensé à le tromper. Cet aveu va totalement déstabiliser William, le docteur, que l'on va suivre dans une déambulation qui le mènera jusqu'à un manoir où se déroule une partouze gigantesque et raffinée. Le doute qu'Alice a fait entrer dans son esprit se transforme en méfiance et en incrédulité permanente. Dans ce film posthume (inachevé ?) Kubrick entend bien marquer sa singularité. Là où Hollywood impose le toujours plus, toujours plus vite, lui impose un minimalisme narratif (Alice n'a même pas trompé son mari !) et son rythme d'une lenteur étudiée. Les acteurs parlent lentement, hésitent, se répètent et on s'aperçoit en les entendant que ce rythme de diction n'existe pas au cinéma où les choses doivent être dites une fois pour toutes et rapidement. On retrouve de Shining l'art de Kubrick pour filmer les lieux vastes au prix de mouvements de caméra d'une lenteur - là aussi- hiératique et somptueuse. Le clou du film est bien sûr la scène de partouze à partir duquel on part dans une intrigue policière dont le suspense habile est soutenu par une musique on ne peut plus énervante (dans le sens qu'elle titille les nerfs).

JEUDI.
Surveillance des épreuves du Brevet. Le plus dur est de ne pas s'endormir (en effet, le dernier épisode de L'Éducation sentimentale était diffusé dans la nuit mais, prévu à 1 h 30, ne l'a été qu'à 4 h 30, d'où une longue attente) mais ça permet d'avaler des pages.
Notamment Mort au premier tour de Didier Daeninckx (Folio policiers, 1997).L'inspecteur Cadin enquête sur la mort d'un militant écologiste sur le chantier d'une centrale nucléaire en construction au lendemain des élections municipales de 1977. L'éditeur signale que Daeninckx
a entièrement revu ce livre paru pour la première fois en 1982. On se demande ce qu'il a transformé, tant le goût des années 70 est persistant. Le tort de Daeninckx est ici de vouloir trop embrasser et donc de mal étreindre. Comme l'inspecteur Cadin travaille à Strasbourg, il s'est bien imprégné des lieux et des coutumes locales (marques de bière et cervelas) mais veut tout mêler, des Malgré-Nous aux problèmes linguistiques en passant par la fermeture des mines de potasse, la construction d'une centrale nucléaire, les groupuscules gauchistes, les communautés, les politiques bien entendu corrompus...On se croirait dans un épisode de L'Instit'...

Caro trouve une remplaçante pour le mois d'août. Il était temps, on commençait à se demander si l'on pourrait partir. A nous la Creuse et ses merveilles.

Courrier. Je reçois une invitation de Frédéric Pagès pour une exposition consacrée à Jean-Baptiste Botul. Ca se déroule chez Ali Magoudi, que je connais comme auteur de La lettre fantôme, consacré à La Disparition de Perec. Décidément, tout se recoupe (d'autant que Pagès est un membre des Papous).

VENDREDI.
10 heures. Je suis en vacances. Période attendue, période redoutée. Les filles de la pharmacie vont prendre leurs congés (ce manque d'imagination des salariés qui tiennent absolument à se mettre en vacances en été alors que nous avons parfois de très beaux
mois de novembre), Caro être accaparée par la boutique et moi occupé par Lucie et Alice. Je me rends compte que mon bahut est pour moi un vrai lieu de repos et de lecture. S'il n'y avait les trajets pour s'y rendre... Enfin, on verra bien. Je n'ai pas un programme démesuré,
simplement mettre à jour le recopiage des mes notes d'Atlas sur l'ordinateur et la mise en route informatique de quelques répertoires pour lesquelles j'aurai besoin de ton aide.

Alice se tient assise. Elle est poilante.

TV. Le Jardin du diable (Garden of Evil, Henry Hathaway, U.S.A., 1954). Au Mexique, trois aventuriers acceptent d'accompagner une femme dont le mari est coincé dans une mine d'or isolée à la suite d'un éboulement. L'opération est un succès mais au retour, les Indiens se manifestent. C'est un western plutôt bavard, voire sentencieux, au cours duquel les hommes s'affrontent entre eux, s'opposent à la femme qui les dirige puis à l'homme qu'ils parviennent à sauver. La proximité de l'or fait resurgir les véritables personnalités, rend inconscient du danger que constituent les Apaches invisibles. Il y avait avait certainement moyen de traiter ça sans ennui, surtout avec des acteurs comme Gary Cooper et Richard Widmark...

SAMEDI.
Je croise Marie-Hélène Colle sur le chemin de l'école. Elle fait un remplacement de 6 mois dans une pharmacie de Golbey. Du coup, le soir, je téléphone à Laurent. Répondeur.

Je commence à écouter les kilomètres de bande magnétique enregistrés au cours de l'opération Flaubert. Désir immédiat de relire Madame Bovary, L'Éducation, les Trois Contes, Bouvard et Pécuchet... J'aime moins Salammbô...

Inventaire de la pharmacie. Séverine, l'apprentie, a obtenu son Brevet de préparatrice. L'équipe va fêter ça au restaurant. "C'est moi pauvre de moi qui garde les enfants" (Georges Brassens, Le Cocu). J'attends des nouvelles des examens, des tiens.

TV. Meilleur espoir féminin (Gérard Jugnot, France 2000). Coiffeur à Cancale, Yvan Rance voit avec effroi sa fille être engagée comme actrice de cinéma. Jugnot fait toujours des films moins bêtes qu'ils n'en ont l'air. Il y a ici une partie comédie (les démêlés d'un pauvre gars dans un milieu qu'il ne maîtrise pas) sans surprise mais aussi et surtout une histoire émouvante d'un homme et de sa fille qui lui échappe et qui lui revient. Les ficelles ne sont ni fines ni neuves mais le résultat est agréable.

DIMANCHE.
8 h 34. Lucie se réveille, toute fière. Première nuit qu'elle passe sans couche et sans faire pipi au lit. Pourvu qu'elle ne fasse pas de cinéma.

Et si vous veniez croûter un soir ici avant de partir pour la Corse ?

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°17 - 8 juillet 2001

DIMANCHE.
TV. Pendant que Caro termine son inventaire, je regarde A bout de souffle (Jean-Luc Godard, France 1959), jalon de l'histoire du cinéma qui ne vieillit pas, même si ses audaces n'en sont plus : interpellation directe du spectateur (pour lui dire d'aller se faire foutre tout de même !), son en prise directe, caméra portée, intrigue traitée par-dessus la jambe, fermetures à l'iris comme dans les films muets,... N'importe, ce qui reste, ce qui compte, c'est Paris, le figure enfantine de Jean Seberg, le premier plan (gros) sur le visage de Belmondo qui prend des airs de Charles Bronson dans un film de Leone, le nombre incalculable de cigarettes fumées, un parfum d'audace, de liberté, de j'm'en foutisme inoubliable.

Nous croûtons chez mes parents où je termine Lady Fantôme de William Irish (Omnibus, 1942). Scott Henderson se dispute avec sa femme. Il passe la soirée avec une inconnue. A son retour, il trouve sa femme assassinée. Il est condamné à mort : l'inconnue qui pourrait l'innocenter est introuvable. Le thème de l'erreur judiciare, du quidam pris dans un engrenage de faits qu'il ne maîtrise pas, victime du "fatum", traverse toute l'œuvre de William Irish. La fatalité qui semble poursuivre ceux qui tentent de venir en aide à Henderson en cherchant à retrouver les témoins de sa soirée trouve à la fin une explication logique assez ingénieuse. On regrette simplement une plume un peu trop grandiloquente qui en rajoute encore dans le registre de la noirceur.

Mèl. Réception de ton compte rendu. Je reviens sur quelques points :
1. Vastol. Je suis ravi pour toi, je t'en ai déjà reparlé.
2. Daeninckx. C'est vrai qu'il m'énerve maintenant, surtout depuis qu'il s'est lancé dans une campagne assez peu ragoûtante de dénonciation de ses collègues (Jonquet, Quadruppani....) accusés de faire partie d'une internationale rouge-brune, bref d'être des fascistes de gauche et ce le plus sérieusement du monde.
3. Diffusion des films à la TV : les films récents dont je parle ont été vus sur Canal Plus, qui a le droit de les diffuser 12 mois après leur sortie en salles.
4. Perec - Modiano. Même si GP a écrit La boutique obscure, il n'est en rien à l'origine du titre du livre de Modiano qui fait référence à une rue d'une ville italienne (Milan ?).
5. Lawrence Block. Si tu veux suivre d'autres aventures de Matt Scudder, le privé alcoolo, tu te serviras dans mes rayonnages vendredi. A ce propos, n'oublie pas de m'apporter Le jumeau de Westalke. Grand merci.

Littérature. Comme quoi ça sert de se replonger dans son Flaubert :
"Je suis triste, ennuyé, horriblement agacé. Je redeviens comme il y a deux ans, d'une sensibilité douloureuse. Tout me fait mal et me déchire." G.F. à Louise Colet, lettre du 13 septembre 1846, in Correspondance, Pléiade Gallimard, vol. 1.
"Je suis triste, ennuyée, horriblement agacée. Je redeviens comme il y a deux ans, d'une sensibilité douloureuse. Tout me fait mal et me déchire." Georges Perec, La Vie mode d'emploi, chapitre XXVII.

LUNDI.
La première journée de vacances proprement dite. Je la mène sur le modèle suivant que j'aimerais suivre :
6 h 00. Lever, travail sur l'Atlas à l'ordinateur.
7 h 00. Ablutions, restauration, presse locale, soins aux enfants.
9 h 00. Travail de bureau sur mes différentes oeuvres, rédaction de chroniques littéraires ou cinématographiques, courrier.
11 h 00. Pain - presse - PMU.
12 h 00. Cuisine, repas, divers.
14 h 00. Sieste.
14 h 30. Lectures diverses, un oeil sur les courses hippiques.
17 h 00. Jardinage.
19 h 30. Soins aux enfants, repas, remise en ordre du foyer.
21 h 00. TV.
23 h 00. Lecture jusqu'à écrasement de l'appendice nasal sur la page en cours.

MARDI.
Lucie se lève à 6 h 30, me prouvant que le respect de l'emploi du temps fixé est pure utopie. Tant pis, tout au long de la semaine j'essaierai de m'y astreindre peu ou prou.

TV. Saint-Cyr (Patricia Mazuy, France, 2000). Madame de Maintenon, à l'époque (1646) maîtresse de Louis XIV, cherche à racheter sa turbulente jeunesse en ouvrant l'école de Saint-Cyr, destinée aux jeunes filles nobles déshéritées, à qui elle souhaite donner une éducation qui leur permettrait d'appréhender le monde. Mais rapidement, les créatures qu'elle a façonnées lui échappent. Le troupeau de sauvageonnes patoisantes que l'on voit arriver à l'école au début du film s'est transformé en groupe de belles jeunes filles cultivées (elles jouent Racine) qui ne rêvent que de s'émanciper. Mme de Maintenon fait appel à un abbé rigoureux pour remettre ce joli monde dans le droit chemin. Mon manque de connaissances historiques est certes un obstacle à la bonne compréhension du film qui n'est jamais
parvenu à m'enthousiasmer. Plastiquement, c'est parfait, la reconstitution, les costumes, mais ça reste très froid, sans âme....

MERCREDI.
Trois jours de vacances et je m'aperçois que je suis déjà claqué. La journée se termine dans le jardin où l'on arrose, avec les filles de la pharmacie et leurs conjoints, le Brevet de Séverine.

JEUDI.
Mèl. Suite à mon propre coup de téléphone, Voune a à son tour appelé Lolo et ne m'en donne pas de meilleures nouvelles. Il lui a trouvé une élocution empâtée par les antidépresseurs au service d'un discours plein de contradictions dominé par des problèmes de
finances.

Cinéma. Les Portes de la gloire (Christian Merret-Palmair, France, 2001). Un jeune homme intègre une équipe de vendeurs de livres au porte-à porte. A leur tête, Régis Demanet, au comportement parfois bizarre. D'une part on a la peinture d'un groupe de V.R.P. à la fois
médiocres et insignifiants, de leurs manies, de leurs méthodes, leurs chambres de motel aussi laides que leurs cravates. Le réalisateur joue alors sur l'humour, parfois absurde, parfois féroce. Et d'autre part il y a le portrait de Demanet, interprété par Benoît Poelvoorde que
j'aime bien (Les Randonneurs, Les convoyeurs attendent). Demanet rêve de faire marcher son équipe à l'américaine (il est obsédé par le personnage d'Alec Guinness dans Le Pont de la Rivière Kwaï), ne s'aime pas, n'est pas aimé, a des tendances suicidaires, paranoïaques,
sadiques...Le problème, c'est que le film fait le va-et-vient entre ces deux aspects, effleure les deux sans en traiter aucun du fait d'une mise en scène molle qui ménage des scènes de transition d'un ennui certain. Heureusement, il y a l'interprétation (Poelvoorde, donc, mais
aussi Etienne Chicot, Michel Duchaussoy) impeccable.

VENDREDI.
Orage. Gouttières dans le salon.

Pas de nouvelles du bac de Jo dont les résultats doivent paraître aujourd'hui. Mauvais signe ?

SAMEDI.
J'appelle Joëlle pour la convier avec vous vendredi. Je tombe sur... Vouvoune, venu quérir ses enfants. Joëlle sera donc solo, elle s'arrangera avec vous pour le convoyage. Comme le lendemain est férié, vous pouvez bien entendu coucher ici et rester tant que vous voulez.

Sport. Départ du Tour de France. Sans moi. Ma passion pour le cyclisme s'est éteinte au cours des dernières années, conséquences des abus commis par les coureurs et leur entourage. Je le regrette vraiment.

TV. Le Fils préféré (Nicole Garcia, France 1994). J'avais déjà été peu convaincu des talents de réalisatrice de Nicole Garcia à la vision de son Place Vendôme. Confirmation avec cette histoire de trois frères qu'un père qui disparaît réunit et fait replonger dans leur passé. Scénario alambiqué pour rien, auquel personne ne croit, pas plus le spectateur que les acteurs (Lanvin, Barr,Giraudeau).

Littérature. Une affaire d'honneur d'Hubert Monteilhet (Éditions de Fallois, 1997). Monteilhet est un polygraphe auteur d'une trentaine de bouquins dont je n'ai rien lu, dont une ... biographie de Paul VI, qui ne fut pas qu'un accord de guitare. Son incursion dans le monde du polar est très intéressante car elle nous offre une vision totalement décalée du genre. L'histoire se déroule dans les beaux quartiers, est racontée par un avocat de bonne famille dans un français très ampoulé digne des mémorialistes du XVII° siècle. Une histoire de viol, de pédophilie racontée comme une scène de chasse à courre en Sologne, c'est très inattendu, très plaisant.

Nous vous souhaitons un bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°18 - 15 juillet 2001

Non diffusé.

 

Notules dominicales de culture domestique n°19 - 22 juillet 2001

LUNDI.
Radio. Je me réveille à plusieurs reprises au cours de la nuit : France Culture diffuse une adaptation dramatique de 120, rue de la Gare de Léo Malet, il faut tourner les cassettes ou en changer.

Au matin, j'entends Didier Daeninckx reçu par Pierre Assouline dans Première Édition, toujours sur France Q. Il s'explique sur son obsession de la mouvance "rouge-brun" chez les auteurs de polar. Son propos est convaincant, à mon grand agacement : la semaine précédente, c'étaient les anti-Daeninckx, qui parlaient de la paranoïa de celui-ci, qui me convainquaient . Je retrouve ma propension à toujours être convaincu par le dernier qui parle. Sauf quand c'est Chirac à propos de ses billets d'avion tout de même.

Courrier. J'écris à Télérama, une lettre d'emmerdeur patenté, d'éternel pinailleur : ça fait plusieurs mois que je relève quelques incohérences dans les jugements des films télédiffusés qu'ils publient (certain film, doté de deux T -marque d'excellence- dans tel numéro, n'en a plus qu'un, voire plus du tout, dans le numéro suivant). Ca m'amuse.

Alimentation. Je mange un steak de cheval pour me consoler de mes déboires au PMU.

Toile. Depuis quelques semaines, je me suis inscrit sur une [listeperec] qui rassemble les amateurs et professionnels de l'écrivain désireux d'échanger des informations. J'envoie l'annonce de la parution d'un hommage à Eugen Helmlé, traducteur allemand de Perec,
dans Viridis Candela, la revue du Collège de 'Pataphysique.

TV. Le Paltoquet (Michel Deville, France, 1986). Un professeur, un docteur, un journaliste et un commerçant ont l'habitude de se retrouver dans un bar d'un port apparemment colonial. Un meurtre a lieu dans un hôtel voisin, ils sont soupçonnés. Michel Deville, qui n'est pas mon réalisateur préféré, signe ici un brillant exercice de style. Le décor, quasi unique (c'est une pièce de théâtre à l'origine) est un bar qui tient plutôt du hangar à marchandises désert. Derrière le bar, une tenancière, un loufiat (le Paltoquet) lecteur et virevoltant; dans la
salle, les quatre clients habituels, une femme dans un hamac et le commissaire qui vient de temps à autre leur rendre visite. Les dialogues ciselés laissent la part belle à l'absurde, aux jeux de mots, à l'humour. On est ici dans un monde qui évoque à la fois les films de Bertrand Blier et le théâtre de Jérôme Deschamps et de Ionesco.On regrettera que la deuxième partie du film, où l'enquête policière prend le dessus, marque un certain essoufflement.

Lecture. Ma reprise de L'Education sentimentale s'avère bénéfique, puisque j'y trouve l'impli-citation programmée par Perec dans le chapitre XXIV de La Vie mode d'emploi :
"Elle aurait une robe de velours ponceau avec une ceinture d'orfèvrerie, et sa large manche
doublée d'hermine laisserait voir son bras nu qui toucherait à la balustrade d'un escalier montant derrière elle. A sa gauche, une grande colonne irait jusqu'au haut de la toile rejoindre des architectures, décrivant un arc. On apercevrait en dessous, vaguement, des massifs d'orangers presque noirs, où se découperait un ciel bleu, rayé de nuages blancs. Sur le balustre couvert d'un tapis, il y aurait, dans un plat d'argent, un bouquet de fleurs, un chapelet d'ambre, un poignard et un coffret de vieil ivoire un peu jaune dégorgeant des sequins d'or; uelques-uns même, tombés par terre çà et là, formeraient une suite d'éclaboussures brillantes, de manière à conduire l'œil vers la pointe de son pied, car elle serait posée sur l'avant-dernière marche, dans un mouvement naturel et en pleine lumière." Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale, Pléiade Gallimard p.181.

"Elle a une robe de velours ponceau avec une ceinture d'orfèvrerie, et sa large manche
doublée d'hermine laisse voir son bras nu qui touche à la balustrade d'un escalier montant derrière elle. A sa gauche, une grande colonne va jusqu'au haut de la toile rejoindre des architectures décrivant un arc. On aperçoit en dessous, vaguement, des massifs d'orangers
presque noirs où se découpe un ciel bleu rayé de nuages blancs. Sur le balustre couvert d'un tapis il y a, dans un plat d'argent, un bouquet de fleurs, un chapelet d'ambre, un poignard et un coffret de vieil ivoire un peu jaune dégorgeant des sequins d'or; quelques-uns même, tombés par terre çà et là forment une suite d'éclaboussures brillantes, de manière à conduire l'œil vers la pointe de son pied, car elle est posée sur l'avant-dernière marche, dans un mouvement naturel et en pleine lumière." Georges Perec, La Vie mode d'emploi, Hachette p.141.

MARDI.
Radio. J'enregistre Tire ta langue, sur France Culture, consacré au... patois creusois. On ne sait jamais, s'ils ignorent encore l'ordonnance de Villers-Cotterêts...

Puériculture. Alice se met assise seule dans son lit.

Toile. Je demande sur [listeperec] où je peux trouver les propos de Bernard Magné (le spécialiste n°1 de l'auteur) sur les transformations que Perec fait subir à l'extrait du Procès de Kafka impli-cité dans le chapitre I de La Vie mode d'emploi dont il avait parlé lors du dernier séminaire.

TV. Mafia Blues (Harold Ramis, U.S.A., 1999). Paul Vitti, capo mafioso, fait appel à un psychiatre pour résoudre ses angoisses.
Avant Mon beau-père et moi, Robert De Niro avait déjà, dans ce film, amorcé son virage vers la comédie. Ce qui est savoureux ici, c'est qu'il interprète et parodie un personnage issu des films qui l'ont rendu célèbre, Le Parrain 2, Il était une fois dans le Bronx ou Les Affranchis, celui d'un membre de la Mafia, mais d'une Mafia obsolète, qui n'est plus que l'ombre de ce qu'elle a été. En même temps que son organisation se lézarde, les fissures apparaissent dans la personnalité de Paul Vitti qui s'avère traumatisé par la mort violente de son père. La rencontre accidentelle d'un psychiatre donnera lieu à une relation soignant-soigné assez chaotique, pleine de situations assez drôles.

Voyage. Je commande mes billets de train et ma chambre d'hôtel pour mon prochain déplacement à Paris.

MERCREDI.
Littérature. Ma sœur m'offre La petite Bijou de Modiano. Je trouve au marché un lot de 12 Série Noire pour 20 francs qui me seront utiles pour mon Atlas.

Lecture. Vision nouvelle d'une collection, catalogue de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de- Vence, visitée en août 1999. Ce qui peut dérouter ici, ce ne sont pas les oeuvres qui pourtant sont très éloignées de tout académisme, mais les commentaires, souvent dus à des artistes eux-mêmes qui font preuve d'un hermétisme, d'un pédantisme, souvent formidables. Un exemple : "Non, étant donné qu'il suppose un monde advenu, mais chaque toile peut-elle assumer d'être ce point qui ne se double pas tout en pouvant se répéter, et qui à la fois suppose un spectateur libéré de la présence et un excès d'absence tel qu'il se retournerait." Il n'y a pas d'analyses brillantes, celle du Sigmund Freud in viaggio verso Londra de Valerio Adami faisant exception. C'est dommage car bon nombre d'œuvres ne passent pas toutes seules et nécessiteraient un guidage...

Toile. Bernard Magné lui-même satisfait à ma demande sur [listeperec].

JEUDI.
Ambiance. Journée merdique, filles pénibles, visites d'indésirables, pas moyen d'aligner deux lignes d'écriture ou de lecture sans être importuné. Je peste, en viens à appeler la rentrée scolaire de mes vœux.

TV. Love ! Valour ! Compassion ! (Joe Mantello, U.S.A., 1997). Huit homosexuels se retrouvent régulièrement dans une grande maison à la campagne. Parmi ces résidents, il y en a qui sont en couple, d'autres seuls, certains qui essaient de changer de partenaire ou de rompre avec la solitude. D'où jalousies, scènes de ménage, jeux de séduction, le tout avec la menace du sida qui plane.
C'est filmé sans âme, de façon platement académique, les acteurs se donnent des mines torturées pour montrer qu'ils se sentent concernés par leur personnage. Alors bien sûr, c'est un film gay et, politiquement, ça ne se fait pas de descendre un film gay car ça relève
de l'homophobie. Il n'empêche que ce film serait tout aussi nul s'il mettait en jeu des couples hétéros. Seul le personnage de Buzz (Jason Alexander) qui entame le film comme s'il sortait de La Cage aux Folles et atteint peu à peu une dimension tragique, peut susciter quelque
intérêt.

VENDREDI.
Puériculture. La mâchoire d'Alice s'orne d'une troisième dent. Je la conduis à la crèche puis vais me balader avec Lucie au Parc du Château que l'heure matinale et le temps gris ont rendu désert, et donc fréquentable.

Courrier. Je reçois un double CD de Vincent Scotto (1922-1947), le n° 6 de la revue Histoires Littéraires (dans lequel je trouve une critique du Théâtre I de Perec que je balance immédiatement sur [listeperec]) et un volume, Perec et la contrainte du réel, de Manet Van Montfrans, une universitaire hollandaise rencontrée lors du dernier séminaire.

Téléphone. Appel de François D. qui se décommande pour l'assistance informatique que je lui avais demandée. J'ai assez de chantiers en cours pour tenir jusqu'à sa prochaine visite.

SAMEDI.
Lecture. Claude le Lorrain et le monde des dieux, catalogue de l'exposition en cours au Musée d'Épinal. Satisfaction de pouvoir lire un catalogue avant de visiter une exposition, l'inverse étant trop souvent source de regrets de n'avoir pas prêté attention à telle ou telle
chose au moment de la visite. C'est un ouvrage assez mince (18 oeuvres exposées, toutes consacrées à des scènes mythologiques), très, voire trop documenté avec un appareil de notes assez lourd. Ce qui m'intéresse ici, c'est que je trouve un écho à toutes les
préoccupations qui meublent mes Propos sur l'Art peint : variété onomastique (Claude Gelée, Claude Gellée, Claude le Lorrain ?), variété de l'intitulé des oeuvres (Marine avec Esaque et Hespérie dit aussi Bacchus et Ariane à Naxos ou Ulysse apparaissant à Nausicaa), multitude des traitements d'un thème par plusieurs artistes ou par le même (trois Parnasse par exemple pour le Lorrain).

Jardinage. Retour du beau temps. Je passe toute mes plantations à la bouillie bordelaise, produit miracle dont j'entends vanter les mérites depuis des lustres à un tel point que je m'étonne que Caroline n'en vende pas, espérant protéger mes tomates du mildiou qui les
décime chaque année.

TV. Cap Canaille (Juliet Berto et Jean-Henri Roger, France 1982). Marseille. Une pinède prend feu, on pense à un incendie criminel destiné à dégager des terrains dans un but immobilier. Un journaliste local (Anconina) et un confrère parisien (Bohringer) enquêtent, notamment dans l'entourage d'un avocat arménien (Brialy). Rien à retirer de ce polar invraisemblable et caricatural. La bande-son est sale, les dialogues (Boris Bergman) indigents, l'intrigue rendue incompréhensible par un montage qui, censé intriguer, ne fait qu'irriter.

En vous souhaitant un bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°20 - 29 juillet 2001

DIMANCHE.
Sport. Les coureurs du Triathlon des Images passent sous nos fenêtres. Il est certains spectacles sportifs qui, esthétiquement, ravissent l'œil. Pas celui de coureurs à pied en maillot de bain.

Musique. J'écoute mon disque des chansons de Vincent Scotto. Sur le livret, une phrase de Brassens : "Je donnerais tout Wagner pour une chanson de Scotto." Je ne suis pas loin de penser la même chose, surtout si elle est chantée par Tino. Les N. en Corse, les D. en Corse, les S. en Corse. Si un jour je vais en Corse, j'emmène tous mes enregistrements de Tino Rossi. J'aurai de la place sur la plage.

Lecture. Cadillac juke-box (James Lee Burke, Rivages Thriller 1996). Dave Robicheaux est persuadé de l'innocence d'Aaron Crowne, ex-membre du KKK, emprisonné pour le meurtre d'un défenseur des droits de l'homme. Cette opinion n'est pas du goût du nouveau sénateur. Il s'agit de la 9° aventure de Robicheaux dans sa paroisse de New Iberia (Louisiane), la 7° pour moi. Le poids du passé s'y fait sentir, comme d'habitude, passé historique de la région avec la Guerre de Sécession qui explique encore bien des comportements actuels, passé personnel de Robicheaux qui a connu une aventure avec Karyn LaRose, femme du nouveau sénateur. La lutte de Robicheaux contre les forces du mal comporte son lot d'échecs et de victoires (la mort symbolique des LaRose dans leur maison en flammes). Avant de s'emballer dans les 50 dernières pages, l'histoire est, il faut le dire, plutôt compliquée, difficile à suivre du fait des ellipses dont Burke est coutumier, que ce soit dans les conversations où les sous-entendus sont nombreux, ou dans la conduite de l'intrigue elle-même. Au total, on observe tout de même une baisse de l'intérêt pour l'histoire de Dave Robicheaux, un peu comme si l'auteur avait fini de faire le tour de son personnage et si celui-ci fait lui-même le tour de son entourage et de ses contradictions. Le dernier roman traduit de Burke est d'ailleurs centré sur un nouveau personnage.

LUNDI.
Courrier. Envoi de découpures de presse aux D. et à l'AGP.

Lecture. Temps Noir n°4 (La Revue des Littératures Policières). Principaux articles de cette livraison, un sur Vernon Sullivan, le pseudonyme utilisé par Boris Vian pour ses romans noirs à l'américaine et un sur le véritable lancement de la Série Noire. A la lecture de celui-ci, on prend conscience du travail immense de Marcel Duhamel qui, seul, sans grand soutien de la maison-mère (Gallimard), contacte les auteurs d'outre-Atlantique et d'outre-Manche (Cheyney et Chase en premier), leurs agents, fait signer des contrats, trouve des annonceurs publicitaires, rédige les dos de couverture, fait traduire ou parfois traduit lui-même... Par ailleurs, on peut lire un portrait du Marlowe de Chandler en héros du roman de chevalerie, une étude sur J.S. Le Fanu (1814-1873) que je ne connaissais pas et la toujours très complète actualité du semestre.

Informatique. En bidouillant un peu, je m'aperçois que j'arrive à créer une banque de données, ce qui me sera utile au moment où je voudrai transférer mes répertoires de Films vus et de Livres lus. Mais la priorité est de me mettre à jour dans mon Atlas.

Mail. Jean S. me raconte sa partie de pêche au Québec. Souvenir des achigans et des poissons-chats attrapés en chaloupe sur la rivière Outaouais...

TV. Signs & Wonders (Jonathan Nossiter, U.S.A. 2000, avec Stellan Skarsgard, Charlotte Rampling, Deborah Kara Unger, Dimitris Katalifos). Athènes. Alec est homme d'affaires, sa femme Marjorie travaille à l'ambassade américaine. Au retour de sa deuxième escapade extra-conjugale, Alec trouve Marjorie engagée dans une aventure avec Andreas, une ancienne victime du régime des colonels. Il cherche à réintégrer le domicile conjugal. Après le très réussi Sunday, Nossiter signe une oeuvre magistrale. D'une banale histoire de couple, il tire un thriller, une tragédie digne de la Grèce qui lui sert de cadre. Il y a d'abord la famille unie, la grande complicité entre un père et sa fille, le sentiment bien américain de représenter la modernité et la civilisation dans une contrée reculée où subsistent quelques personnages typiques, rescapés du régime dictatorial que les U.S.A. ont soutenu. Quand Alec retrouve sa femme dans les bras d'un de ces autochtones, une sorte d'illuminé qui veut construire un Musée de la Mémoire de cette époque, il ne comprend pas. Mais Marjorie s'est éveillée, a pris conscience de l'histoire, apprend le grec, ne veut plus rien recommencer avec lui. Il s'accroche, tente de reconquérir sa femme par le biais de sa fille, puis le drame survient, Andreas est victime d'un attentat, Alec est emprisonné. On ne saura jamais qui est le vrai coupable, la fille probablement. Le film est véritablement envoûtant, intriguant. La caméra trouve des angles improbables, a des mouvements déstabilisants; la lumière change selon les lieux; la couleur jaune trace un leitmotiv tout au long de l'histoire, symbolisant l'infidélité, la faute première d'Alec qui lui est sans cesse rappelée.
Chaque plan est le fruit d'un travail extrêmement minutieux, c'est vraiment du grand art, la plus belle chose faite à ce jour, pour moi, en caméra vidéo numérique.

MARDI.
Voyage. Je prends le bus de 6 h 57 et le train de 7 h 42 pour Paris. Je termine 99 francs (Frédéric Beigbeder, Grasset 2000). Octave, créateur pour une grosse agence de publicité, prend la plume pour décrire son milieu professionnel dans le but de se faire virer. Sous forme de roman, Beigbeder règle ses comptes avec sa profession. Le monde qu'il dépeint et dénonce est aussi détestable qu'on peut l'imaginer, monde de l'ambition, de l'argent roi, des fausses amitiés, des jalousies, de la manipulation. On peut penser qu'il est un repenti sincère, sa participation, aujourd'hui qu'il s'est fait vraiment mettre à la porte, aux actions du R.A.P. (Résistance à l'Agression Publicitaire) plaide pour lui. Le problème, c'est qu'en ajoutant quelques éléments de fiction, il veut faire oeuvre de littérature et que là, ce n'est pas vraiment convaincant. Dans le genre, Les désarrois de Ned Allen de Douglas Kennedy est à cent lieues au-dessus, avec l'histoire d'un responsable d'achats publicitaires qui perd son emploi et à qui il arrive de vraies aventures. Sur le plan documentaire, mieux vaut certainement s'atteler au No Logo de Naomi Klein. La faiblesse du roman de Beigbeder vient du fait qu'il n'a pas su vraiment choisir entre document et fiction.

Je dépose mon stylo qui a besoin d'une révision à la boutique Montblanc de la rue de Rennes et vais voir, à l'intérieur de l'église Saint-Sulpice le Combat de Jacob avec l'Ange, de Delacroix (j'ai en projet la lecture du livre que Jean-Paul Kauffman lui a consacré).
Rue de l'École de Médecine, des grip-cars, des barrières, un tournage en cours. Jean-François Balmer (le Charles Bovary de la version de Chabrol, décidément, je n'en sors pas) sort du camion-loge.
Je travaille à la BiLiPo (Bibliothèque des Littératures Policières).
J'erre place Saint-Sulpice, qui éveille en moi des souvenirs littéraires. Le quatrain de Raoul Ponchon d'abord :
"Je hais les tours de Saint-Sulpice
Si, par hasard, je les rencontre,
Je pisse
Contre !"
Perec ensuite, bien sûr : "Il y a beaucoup de choses place Saint-Sulpice, par exemple : une mairie, un hôtel des finances, un commissariat de police, trois cafés dont un fait tabac, un cinéma, une église..." Le café-tabac dont il parle et où il a écrit a été transformé en magasin de vêtements. Je me réjouis de l'avoir fréquenté avant sa disparition.
Boulevard Saint-Germain, j'entre à La Hune et à L'Écume des Jours, les librairies que fréquente mon père. Il y a peut-être moins de choses que chez Gibert mais c'est nettement plus respirable.
Je monte manger des moules-frites et lire L'Éducation sentimentale face à la Gare du Nord.

MERCREDI.
La bibliothèque n'ouvrant qu'à 14 h, je me rends boulevard Bourdon, près de l'Arsenal, pour y accomplir un pèlerinage littéraire auquel je tiens beaucoup. Sur un banc, à peu près au milieu du boulevard, je lis la première page de Bouvard et Pécuchet : "Comme il faisait une chaleur de 33 degré, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. (...) Deux hommes parurent. (...) Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s'assirent, à la même minute, sur le le même banc." Me vient alors l'idée d'un nouveau travail d'écriture: chercher, dans les romans, tous les incipit où un lieu géographique est mentionné et en faire la recension. Ainsi, pour rester dans Flaubert, le boulevard Bourdon pour Bouvard, Carthage pour Salammbô, Pont-l'Évêque pour Un cœur simple... Après, avec l'aide du Latourex (Laboratoire de Tourisme Expérimental), pourquoi ne pas organiser des pèlerinages de lecture d'incipit sur les lieux qu'ils mentionnent... Je le proposerai à Joël Henry, dudit Latourex, si je mène à bien ce projet. En tout cas, j'ai déjà le titre : Petite géographie de l'incipit.
Sur un banc du Jardin des Plantes, dos au Muséum d'Histoire Naturelle (on aperçoit par les fenêtres la colonne vertébrale d'un dinosaure immense qui ondule tout le long d'un bâtiment grand comme une usine) je lis Chiens et louves (Jean-Pierre Perrin, Série Noire n°2556, Gallimard 1999). Un ex-otage de Beyrouth se voit offrir la possibilité de rendre la pareille à un de ses tortionnaires. En cherchant dans un petit village de Haute-Saône un endroit où le cacher, il remue de vieilles rancœurs issues de la Résistance parmi les habitants. Nouveau venu dans la Série Noire, Jean-Pierre Perrin ne parvient pas vraiment à convaincre avec cette histoire plutôt invraisemblable (on va jusqu'à assister à une attaque du Hezbollah contre une ferme haut-saônoise !) de jalousie et de traîtrise entre anciens maquisards. On peut cependant faire semblant d'y croire et se laisser conduire par une écriture plutôt agréable, même si certaines choses agacent : essuie-glaces pour essuie-glace; Berthe Silva pour Berthe Sylva; ceux-là pour ceux-ci; Robert Cappa pour Robert Capa (le photographe). Les lieux me sont familiers, la ville de Lure, la chapelle de Ronchamp, il est même question d'un résistant qui s'est fait arrêter "peu après son arrivée à Épinal", de La Liberté de l'Est et d'un de ses anciens journalistes, Jean Bossu, que j'ai personnellement rencontré.
Je passe devant chez Perec rue Linné, achète La chambre des officiers à la Librairie Dédale près de Jussieu. Je trouve des mentions de Perec dans un Dictionnaire du plagiat et dans la biographie de Jean-Pierre Brisset par Marc Decimo, que j'enverrai à [listeperec] à mon retour. Je vais travailler à la bibliothèque.
Retour par le 18 h 50. Lecture de La chambre des officiers (Marc Dugain, Pocket 1998). 1914. Dès sa première mission dans la Meuse, Adrien est victime d'une explosion. Défiguré, il passe le reste de la guerre au Val-de-Grâce, avec d'autres gueules cassées. La guerre de 14 est toujours celle qui m'intéresse et m'émeut le plus. Avec ce court roman, Marc Dugain ne nous conduit pas sur le front, sauf pour la brève mission d'Adrien. La guerre est vécue de l'intérieur, de cette chambre des officiers où les gueules cassées se succèdent auprès d'Adrien qui en est un des piliers. Ce ne sont pas les offensives qui rythment le temps, mais les opérations de chirurgie maxillo-faciale. Histoire d'amour, histoire d'amitié, histoire de guerre...mais ce n'est pas La bicyclette bleue. Marc Dugain a une justesse de ton, une sobriété, une retenue qui siéent parfaitement à la gravité de son sujet. Il reste à voir ce qu'aura fait, cinématographiquement parlant, François Dupeyron de ce texte.

JEUDI.
Courrier. Les premières cartes postales arrivent : Italie, Espagne, Gréoux-les-Bains, Corse.

Écriture. J'achète un cahier et j'attaque ma Petite géographie de l'incipit.

Informatique. J'essaie de créer un dossier où ranger mes notules. Échec.

TV. Les Frères Sœur (Frédéric Jardin, France 2000, avec José Garcia, Denis Podalydès, Édouard Baer, Jackie Berroyer, Alexandra London, Daniel Emilfork, Pierre
Aussedat, Isabelle Nanty, Sylvie Joly, Bernard Verley, François Rollin). Jacques et Charly Sœur sont prêts à tout pour mener à bien leur projet de film et devenir les égaux
des frères Lumière, Taviani ou Coen. Inutile de bouder son plaisir devant cette comédie hypervitaminée qui, Dieu merci, n'a pas pour ambition de délivrer un message sur le
milieu du cinéma dans lequel elle se déroule. L'interprétation marque un certain renouvellement du genre, tout à fait bénéfique, et offre même le plaisir de voir des acteurs
rares (Daniel Emilfork et le Spinalien Pierre Aussedat). Il faut voir Jackie Berroyer, producteur mollasson, être obligé de se transformer en homme d'action entouré de
cadavres qui ne cessent de ressusciter.


VENDREDI.
Loisirs nautiques. Je bataille toute la journée à traquer les fuites dans la piscine de Lucie, mettre des rustines, constater leur inefficacité, actionner la pompe à
pied. Enrichissant.

Courrier. J'envoie un mot à Frédéric Pagès pour le remercier de me tenir au courant des manifestations organisées par Les Amis de Jean-Baptiste Botul
(exposition, banquet du bac philo). Je ne désespère pas pouvoir faire un jour coïncider une de celles-ci avec un de mes séjours parisiens.

Mail. Francis H. me narre les déconvenues de son séjour en Italie, écourté pour cause de carte Visa avalée car considérée comme perdue. Je note la phrase
dont il s'est servi : "Il bancomat a mangiatto la mia carta". La rubrique "Quelques phrases utiles" des guides de voyage à l'étranger a toujours fait mes délices, catalogue
improbable de tous les emmerdements que l'on peut rencontrer, avec des phrases qui vont de "Notre emplacement est infesté de moustiques" à "Quelles sont les
formalités à accomplir pour rapatrier le corps ?".


SAMEDI.
Gastronomie. Je cueille, cuisine et mange le premier chou du jardin.

Puériculture. Alice commence à explorer l'appartement à quatre pattes.

Jardinage. Je repique 40 poireaux.

Publicité. Perec sert de prétexte à un message sur http://perso.wanadoo;fr/jb.guinot/pages/GPpubMSN.htlm
Mais l'accent est superfétatoire...

Mail. Exchange avec Francis H. sur les impli-citations dans La Vie mode d'emploi.

Radio. Sur France Culture, Finkielkraut reçoit Serge Kaganski, des Inrockuptibles, dans Répliques à propos du Fabuleux destin d'Amélie Poulain. J'enregistre :
je me demande si celui-ci va être aussi dur avec le film qu'il l'a été dans son papier de Libération. Déjà dans un récent Masque et la Plume, il avait mis un peu d'eau dans
son vin. Le problème, avec ce genre de critique, c'est qu'on ne peut plus filmer un champ de patates sans être taxé de pétainisme (syndrome "La terre, elle ne ment
pas.").

TV. Drôle de frimousse (Funny Face, Stanley Donen, U.S.A. 1956, avec Audrey Hepburn, Fred Astaire, Kay Thompson, Michel Auclair). Une équipe d'un
magazine de mode new-yorkais se rend à Paris pour y promouvoir Jo Stockton, un nouveau mannequin. Le cadre parisien, le genre (comédie musicale), la musique de
Gershwin, tout pousse à établir une comparaison avec Un Américain à Paris, tourné 5 ans plus tôt par Vincente Minnelli. Et Stanley Donen perd, et de beaucoup, le
match. Le Paris présenté dans les deux films est un Paris de pacotille, vu par Hollywood, mais là où les personnages de Minnelli l'habitaient, ceux de Donen ne font que le
visiter, ne s'intègrent pas au cadre. Le regard posé est même plutôt méprisant. La jeune Jo Stockton est une intellectuelle (voir son apparition dans une librairie
poussiéreuse au début du film) : si elle accepte de venir à Paris, c'est pour y fréquenter les caves où discourent les philosophes, notamment un certain un certain
Professeur Flostre (sans doute la contraction du Flore et de Sartre !), son idole, spécialiste de l'empathicalisme (sic). Le comportement libidineux de celui-ci (Auclair) lui
fera préférer le photographe américain de son équipe (Astaire), porte-parole de la joie de vivre, de l'insouciance et de la sincérité des sentiments. On notera pour s'amuser,
la légère confusion qui régnait dans l'esprit du scénariste qui situe une scène de tauromachie en plein Paris et donne à un prêtre le titre de "Padre". Les Parisiens, chose
amusante aussi, roulent en 2 CV (l'une tire une remorque contenant une vache) ou en Isetta (cf. Georges Perec, Je me souviens n° 367 : "Je me souviens des Isetta , et
aussi de la vogue des scooters.").


Bon dimanche et bons baisers.