Notules
dominicales de culture domestique n°16 - 1er juillet 2001
DIMANCHE.
Après avoir rédigé mes notules, je regarde au magnétoscope
Afrique du Sud - France (20-15) que j'ai enregistré dans l'après-midi.
Au lit à 7 heures, debout à 9. État cadavérique,
mais je réussis tout de même à bosser sur toutes mes
oeuvres en cours.
Nous montons barbecuter à Saint-Jean-du-Marché. En route,
dans l'auto, nous (Caro, Lucie et moi) chantons à tue-tête
jusqu'au moment où je me remémore une scène semblable
dans La Chambre du fils. Mon sang se glace. J'enregistre la première
partie des Papous, on y était, et encore des tas de choses sur
Flaubert. Je termine la lecture de Les désarrois de Ned Allen de
Douglas Kennedy (Pocket, 1998).
Ned Allen est responsable de la vente d'espaces publicitaires pour un
célèbre magazine d'informatique. A New York, il vit sur
un grand pied, un peu au-dessus de ses moyens. Jusqu'au jour où,
à la suite d'une réorganisation du groupe auquel appartient
son magazine, il
perd son emploi. Dans L'homme qui voulait vivre sa vie, c'était
un avocat de Wall Street qui voyait sa vie bouleversée que mettait
en scène Douglas Kennedy. Que se passe-t-il quand la façade
se lézarde, quand les murs de l'apparence sociale s'effondrent,
voilà ce qui semble
l'intéresser. La chute vertigineuse de Ned Allen est dépeinte
avec brio, on avale les pages à haute cadence. Lorsqu'il s'agit
de sa remontée à la surface, qui s'effectue grâce
à la mise à jour d'un circuit de blanchiment d'argent, ça
devient plus touffu et moins passionnant.
N'empêche que le regard posé par Kennedy sur les mœurs économiques
et sociales de son pays est plutôt implacable.
TV. Le Fils du désert
(Three Godfathers, John Ford, U.S.A., 1948). Trois hommes cambriolent
une banque à Welcome (Arizona). Ils fuient, sans eau, dans le désert
et recueillent le bébé d'une femme qu'ils ont aidée
à accoucher. Beau western auquel John Ford donne très clairement
une dimension évangélique : les noms des villes, de Welcome
à New Jerusalem, la présence d'une Bible, les trois rois
mages, la proximité de Noël, la traversée du désert,
l'ogive formée par la bâche du chariot dans lequel naît
le bébé... Les trois hommes, une fois leur forfait accompli,
errent en quête de rédemption, comme errait Gypo Nolan dans
la ville du Mouchard. C'est simple, généreux, comme souvent
chez Ford, remarquable. Les scènes des trois gaillards autour du
nouveau-né annoncent, avec 40 ans d'avance, Trois hommes et
un couffin.
Radio. Nouvelle nuit Flaubert sur
France Cul. Cette fois, pas question de passer une nouvelle nuit blanche.
Je règle la sonnerie de mon téléphone et me réveille
toutes les 45 minutes pour tourner ou changer de cassette. C'est beaucoup
plus supportable qu'une nuit sans sommeil.
LUNDI.
Lucie en croisière sur un bateau en guise de sortie de fin d'année.
Peut-être un jour connaîtra-t-elle le pont du Vastol.
Radio. La fièvre Flaubert s'estompe.
Je n'ai qu'à me lever une fois dans la nuit pour enregistrer la
suite du feuilleton (L'Éducation sentimentale en 6 épisodes
de 90 minutes, fabuleux).
MARDI.
Dernière matinée de cours au collège. Je bosse jusqu'à
midi, ne laissant à mes élèves que la dernière
demi-heure de l'année sans travail. C'est bien assez. Le soir,
cérémonies diverses, départs en retraite, départs
tout court, suivies d'un barbecue. Je revois Jo avec plaisir. Vu mon côté
grand communicateur, il y a là des gens, des collègues,
avec qui j'ai bossé tout au long de l'année et à
qui je n'ai jamais adressé la parole. La plupart sont pourtant,
je le découvre, sympathiques, parfois drôles. Nous (Caro
m'a accompagné) passons une très bonne soirée alors
que j'étais parti avec le préjugé que j'allais me
faire tartir.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète un dictionnaire de Jean Yanne, un polar
(Miss Peabody met un genou en terre) et un bouquin sur la façon
de regarder un tableau (On n'y voit rien de Daniel Arasse), des
Série Noire d'occasion pour mon Atlas, plus une veste en solde.
Je termine la lecture du numéro d'Études Romanes
consacré à Perec et l'histoire (Actes du colloque international,
Université de Copenhague, du 30 avril au 1° mai 1998). C'est
W bien sûr, qui est l'ouvrage le plus étudié, notamment
par David Bellos qui se consacre aux erreurs historiques. Mais il est
aussi question de La Vie mode d'emploi, des Choses, de La
Boutique obscure, de la traduction de La Disparition en anglais,
et du Cabinet d'amateur. Manet van Montfrans, que j'ai entendue
l'autre jour à Paris, livre une étude sur les sources picturales
du livre (assez peu étudié par les spécialistes)
qui semble mener à des pistes innombrables. Tant mieux.
Intention d'aller au cinéma voir La Faute à Voltaire,
mais encore une fois, trop tard. Tant pis. Profiter de l'été.
En outre, la semaine prochaine, Fête du cinéma, à
fuir à cause de la foule
TV. Eyes Wide Shut (Stanley
Kubrick, U.S.A., 1999). A New York, Alice annonce à son mari, un
médecin en vue, qu'elle a un jour pensé à le tromper.
Cet aveu va totalement déstabiliser William, le docteur, que l'on
va suivre dans une déambulation qui le mènera jusqu'à
un manoir où se déroule une partouze gigantesque et raffinée.
Le doute qu'Alice a fait entrer dans son esprit se transforme en méfiance
et en incrédulité permanente. Dans ce film posthume (inachevé
?) Kubrick entend bien marquer sa singularité. Là où
Hollywood impose le toujours plus, toujours plus vite, lui impose un minimalisme
narratif (Alice n'a même pas trompé son mari !) et son rythme
d'une lenteur étudiée. Les acteurs parlent lentement, hésitent,
se répètent et on s'aperçoit en les entendant que
ce rythme de diction n'existe pas au cinéma où les choses
doivent être dites une fois pour toutes et rapidement. On retrouve
de Shining l'art de Kubrick pour filmer les lieux vastes au prix de mouvements
de caméra d'une lenteur - là aussi- hiératique et
somptueuse. Le clou du film est bien sûr la scène de partouze
à partir duquel on part dans une intrigue policière dont
le suspense habile est soutenu par une musique on ne peut plus énervante
(dans le sens qu'elle titille les nerfs).
JEUDI.
Surveillance des épreuves du Brevet.
Le plus dur est de ne pas s'endormir (en effet, le dernier épisode
de L'Éducation sentimentale était diffusé
dans la nuit mais, prévu à 1 h 30, ne l'a été
qu'à 4 h 30, d'où une longue attente) mais ça permet
d'avaler des pages.
Notamment Mort au premier tour de Didier Daeninckx (Folio policiers,
1997).L'inspecteur Cadin enquête sur la mort d'un militant écologiste
sur le chantier d'une centrale nucléaire en construction au lendemain
des élections municipales de 1977. L'éditeur signale que
Daeninckx
a entièrement revu ce livre paru pour la première fois en
1982. On se demande ce qu'il a transformé, tant le goût des
années 70 est persistant. Le tort de Daeninckx est ici de vouloir
trop embrasser et donc de mal étreindre. Comme l'inspecteur Cadin
travaille à Strasbourg, il s'est bien imprégné des
lieux et des coutumes locales (marques de bière et cervelas) mais
veut tout mêler, des Malgré-Nous aux problèmes linguistiques
en passant par la fermeture des mines de potasse, la construction d'une
centrale nucléaire, les groupuscules gauchistes, les communautés,
les politiques bien entendu corrompus...On se croirait dans un épisode
de L'Instit'...
Caro trouve une remplaçante pour le mois d'août. Il était
temps, on commençait à se demander si l'on pourrait partir.
A nous la Creuse et ses merveilles.
Courrier. Je reçois une invitation
de Frédéric Pagès pour une exposition consacrée
à Jean-Baptiste Botul. Ca se déroule chez Ali Magoudi, que
je connais comme auteur de La lettre fantôme, consacré
à La Disparition de Perec. Décidément, tout
se recoupe (d'autant que Pagès est un membre des Papous).
VENDREDI.
10 heures. Je suis en vacances. Période
attendue, période redoutée. Les filles de la pharmacie vont
prendre leurs congés (ce manque d'imagination des salariés
qui tiennent absolument à se mettre en vacances en été
alors que nous avons parfois de très beaux
mois de novembre), Caro être accaparée par la boutique et
moi occupé par Lucie et Alice. Je me rends compte que mon bahut
est pour moi un vrai lieu de repos et de lecture. S'il n'y avait les trajets
pour s'y rendre... Enfin, on verra bien. Je n'ai pas un programme démesuré,
simplement mettre à jour le recopiage des mes notes d'Atlas sur
l'ordinateur et la mise en route informatique de quelques répertoires
pour lesquelles j'aurai besoin de ton aide.
Alice se tient assise. Elle est poilante.
TV. Le Jardin du diable (Garden
of Evil, Henry Hathaway, U.S.A., 1954). Au Mexique, trois aventuriers
acceptent d'accompagner une femme dont le mari est coincé dans
une mine d'or isolée à la suite d'un éboulement.
L'opération est un succès mais au retour, les Indiens se
manifestent. C'est un western plutôt bavard, voire sentencieux,
au cours duquel les hommes s'affrontent entre eux, s'opposent à
la femme qui les dirige puis à l'homme qu'ils parviennent à
sauver. La proximité de l'or fait resurgir les véritables
personnalités, rend inconscient du danger que constituent les Apaches
invisibles. Il y avait avait certainement moyen de traiter ça sans
ennui, surtout avec des acteurs comme Gary Cooper et Richard Widmark...
SAMEDI.
Je croise Marie-Hélène Colle sur le chemin de l'école.
Elle fait un remplacement de 6 mois dans une pharmacie de Golbey. Du coup,
le soir, je téléphone à Laurent. Répondeur.
Je commence à écouter les kilomètres de bande magnétique
enregistrés au cours de l'opération Flaubert. Désir
immédiat de relire Madame Bovary, L'Éducation,
les Trois Contes, Bouvard et Pécuchet... J'aime moins
Salammbô...
Inventaire de la pharmacie. Séverine,
l'apprentie, a obtenu son Brevet de préparatrice. L'équipe
va fêter ça au restaurant. "C'est moi pauvre de moi
qui garde les enfants" (Georges Brassens, Le Cocu). J'attends des
nouvelles des examens, des tiens.
TV. Meilleur espoir féminin
(Gérard Jugnot, France 2000). Coiffeur à Cancale, Yvan Rance
voit avec effroi sa fille être engagée comme actrice de cinéma.
Jugnot fait toujours des films moins bêtes qu'ils n'en ont l'air.
Il y a ici une partie comédie (les démêlés
d'un pauvre gars dans un milieu qu'il ne maîtrise pas) sans surprise
mais aussi et surtout une histoire émouvante d'un homme et de sa
fille qui lui échappe et qui lui revient. Les ficelles ne sont
ni fines ni neuves mais le résultat est agréable.
DIMANCHE.
8 h 34. Lucie se réveille, toute fière. Première
nuit qu'elle passe sans couche et sans faire pipi au lit. Pourvu qu'elle
ne fasse pas de cinéma.
Et si vous veniez croûter un soir ici avant de partir pour la Corse
?
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°17 - 8 juillet 2001
DIMANCHE.
TV. Pendant que Caro termine son inventaire,
je regarde A bout de souffle (Jean-Luc Godard, France 1959), jalon
de l'histoire du cinéma qui ne vieillit pas, même si ses
audaces n'en sont plus : interpellation directe du spectateur (pour lui
dire d'aller se faire foutre tout de même !), son en prise directe,
caméra portée, intrigue traitée par-dessus la jambe,
fermetures à l'iris comme dans les films muets,... N'importe, ce
qui reste, ce qui compte, c'est Paris, le figure enfantine de Jean Seberg,
le premier plan (gros) sur le visage de Belmondo qui prend des airs de
Charles Bronson dans un film de Leone, le nombre incalculable de cigarettes
fumées, un parfum d'audace, de liberté, de j'm'en foutisme
inoubliable.
Nous croûtons chez mes parents où je termine Lady Fantôme
de William Irish (Omnibus, 1942). Scott Henderson se dispute avec sa femme.
Il passe la soirée avec une inconnue. A son retour, il trouve sa
femme assassinée. Il est condamné à mort : l'inconnue
qui pourrait l'innocenter est introuvable. Le thème de l'erreur
judiciare, du quidam pris dans un engrenage de faits qu'il ne maîtrise
pas, victime du "fatum", traverse toute l'œuvre de William Irish.
La fatalité qui semble poursuivre ceux qui tentent de venir en
aide à Henderson en cherchant à retrouver les témoins
de sa soirée trouve à la fin une explication logique assez
ingénieuse. On regrette simplement une plume un peu trop grandiloquente
qui en rajoute encore dans le registre de la noirceur.
Mèl. Réception de ton
compte rendu. Je reviens sur quelques points :
1. Vastol. Je suis ravi pour toi, je t'en ai déjà reparlé.
2. Daeninckx. C'est vrai qu'il m'énerve maintenant, surtout depuis
qu'il s'est lancé dans une campagne assez peu ragoûtante
de dénonciation de ses collègues (Jonquet, Quadruppani....)
accusés de faire partie d'une internationale rouge-brune, bref
d'être des fascistes de gauche et ce le plus sérieusement
du monde.
3. Diffusion des films à la TV : les films récents dont
je parle ont été vus sur Canal Plus, qui a le droit de les
diffuser 12 mois après leur sortie en salles.
4. Perec - Modiano. Même si GP a écrit La boutique obscure,
il n'est en rien à l'origine du titre du livre de Modiano qui fait
référence à une rue d'une ville italienne (Milan
?).
5. Lawrence Block. Si tu veux suivre d'autres aventures de Matt Scudder,
le privé alcoolo, tu te serviras dans mes rayonnages vendredi.
A ce propos, n'oublie pas de m'apporter Le jumeau de Westalke. Grand merci.
Littérature. Comme quoi ça
sert de se replonger dans son Flaubert :
"Je suis triste, ennuyé, horriblement agacé. Je redeviens
comme il y a deux ans, d'une sensibilité douloureuse. Tout me fait
mal et me déchire." G.F. à Louise Colet, lettre du
13 septembre 1846, in Correspondance, Pléiade Gallimard,
vol. 1.
"Je suis triste, ennuyée, horriblement agacée. Je redeviens
comme il y a deux ans, d'une sensibilité douloureuse. Tout me fait
mal et me déchire." Georges Perec, La Vie mode d'emploi,
chapitre XXVII.
LUNDI.
La première journée de vacances proprement dite. Je la mène
sur le modèle suivant que j'aimerais suivre :
6 h 00. Lever, travail sur l'Atlas à l'ordinateur.
7 h 00. Ablutions, restauration, presse locale, soins aux enfants.
9 h 00. Travail de bureau sur mes différentes oeuvres, rédaction
de chroniques littéraires ou cinématographiques, courrier.
11 h 00. Pain - presse - PMU.
12 h 00. Cuisine, repas, divers.
14 h 00. Sieste.
14 h 30. Lectures diverses, un oeil sur les courses hippiques.
17 h 00. Jardinage.
19 h 30. Soins aux enfants, repas, remise en ordre du foyer.
21 h 00. TV.
23 h 00. Lecture jusqu'à écrasement de l'appendice nasal
sur la page en cours.
MARDI.
Lucie se lève à 6 h 30, me prouvant que le respect de l'emploi
du temps fixé est pure utopie. Tant pis, tout au long de la semaine
j'essaierai de m'y astreindre peu ou prou.
TV. Saint-Cyr (Patricia Mazuy,
France, 2000). Madame de Maintenon, à l'époque (1646) maîtresse
de Louis XIV, cherche à racheter sa turbulente jeunesse en ouvrant
l'école de Saint-Cyr, destinée aux jeunes filles nobles
déshéritées, à qui elle souhaite donner une
éducation qui leur permettrait d'appréhender le monde. Mais
rapidement, les créatures qu'elle a façonnées lui
échappent. Le troupeau de sauvageonnes patoisantes que l'on voit
arriver à l'école au début du film s'est transformé
en groupe de belles jeunes filles cultivées (elles jouent Racine)
qui ne rêvent que de s'émanciper. Mme de Maintenon fait appel
à un abbé rigoureux pour remettre ce joli monde dans le
droit chemin. Mon manque de connaissances historiques est certes un obstacle
à la bonne compréhension du film qui n'est jamais
parvenu à m'enthousiasmer. Plastiquement, c'est parfait, la reconstitution,
les costumes, mais ça reste très froid, sans âme....
MERCREDI.
Trois jours de vacances et je m'aperçois que je suis déjà
claqué. La journée se termine dans le jardin où l'on
arrose, avec les filles de la pharmacie et leurs conjoints, le Brevet
de Séverine.
JEUDI.
Mèl. Suite à mon propre
coup de téléphone, Voune a à son tour appelé
Lolo et ne m'en donne pas de meilleures nouvelles. Il lui a trouvé
une élocution empâtée par les antidépresseurs
au service d'un discours plein de contradictions dominé par des
problèmes de
finances.
Cinéma. Les Portes de la
gloire (Christian Merret-Palmair, France, 2001). Un jeune homme intègre
une équipe de vendeurs de livres au porte-à porte. A leur
tête, Régis Demanet, au comportement parfois bizarre. D'une
part on a la peinture d'un groupe de V.R.P. à la fois
médiocres et insignifiants, de leurs manies, de leurs méthodes,
leurs chambres de motel aussi laides que leurs cravates. Le réalisateur
joue alors sur l'humour, parfois absurde, parfois féroce. Et d'autre
part il y a le portrait de Demanet, interprété par Benoît
Poelvoorde que
j'aime bien (Les Randonneurs, Les convoyeurs attendent). Demanet
rêve de faire marcher son équipe à l'américaine
(il est obsédé par le personnage d'Alec Guinness dans Le
Pont de la Rivière Kwaï), ne s'aime pas, n'est pas aimé,
a des tendances suicidaires, paranoïaques,
sadiques...Le problème, c'est que le film fait le va-et-vient entre
ces deux aspects, effleure les deux sans en traiter aucun du fait d'une
mise en scène molle qui ménage des scènes de transition
d'un ennui certain. Heureusement, il y a l'interprétation (Poelvoorde,
donc, mais
aussi Etienne Chicot, Michel Duchaussoy) impeccable.
VENDREDI.
Orage. Gouttières dans le salon.
Pas de nouvelles du bac de Jo dont les résultats doivent paraître
aujourd'hui. Mauvais signe ?
SAMEDI.
J'appelle Joëlle pour la convier avec vous vendredi. Je tombe sur...
Vouvoune, venu quérir ses enfants. Joëlle sera donc solo,
elle s'arrangera avec vous pour le convoyage. Comme le lendemain est férié,
vous pouvez bien entendu coucher ici et rester tant que vous voulez.
Sport. Départ du Tour de France.
Sans moi. Ma passion pour le cyclisme s'est éteinte au cours des
dernières années, conséquences des abus commis par
les coureurs et leur entourage. Je le regrette vraiment.
TV. Le Fils préféré
(Nicole Garcia, France 1994). J'avais déjà été
peu convaincu des talents de réalisatrice de Nicole Garcia à
la vision de son Place Vendôme. Confirmation avec cette histoire
de trois frères qu'un père qui disparaît réunit
et fait replonger dans leur passé. Scénario alambiqué
pour rien, auquel personne ne croit, pas plus le spectateur que les acteurs
(Lanvin, Barr,Giraudeau).
Littérature. Une affaire
d'honneur d'Hubert Monteilhet (Éditions de Fallois, 1997).
Monteilhet est un polygraphe auteur d'une trentaine de bouquins dont je
n'ai rien lu, dont une ... biographie de Paul VI, qui ne fut pas
qu'un accord de guitare. Son incursion dans le monde du polar est très
intéressante car elle nous offre une vision totalement décalée
du genre. L'histoire se déroule dans les beaux quartiers, est racontée
par un avocat de bonne famille dans un français très ampoulé
digne des mémorialistes du XVII° siècle. Une histoire
de viol, de pédophilie racontée comme une scène de
chasse à courre en Sologne, c'est très inattendu, très
plaisant.
Nous vous souhaitons un bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°18 - 15 juillet 2001
Non diffusé.
Notules
dominicales de culture domestique n°19 - 22 juillet 2001
LUNDI.
Radio. Je me réveille à
plusieurs reprises au cours de la nuit : France Culture diffuse une
adaptation dramatique de 120, rue de la Gare de Léo Malet, il faut
tourner les cassettes ou en changer.
Au matin, j'entends Didier Daeninckx reçu par Pierre Assouline
dans Première Édition, toujours sur France Q. Il
s'explique sur son obsession de la mouvance "rouge-brun" chez
les auteurs de polar. Son propos est convaincant, à mon grand agacement
: la semaine précédente, c'étaient les anti-Daeninckx,
qui parlaient de la paranoïa de celui-ci, qui me convainquaient .
Je retrouve ma propension à toujours être convaincu par le
dernier qui parle. Sauf quand c'est Chirac à propos de ses billets
d'avion tout de même.
Courrier. J'écris à
Télérama, une lettre d'emmerdeur patenté, d'éternel
pinailleur : ça fait plusieurs mois que je relève quelques
incohérences dans les jugements des films télédiffusés
qu'ils publient (certain film, doté de deux T -marque d'excellence-
dans tel numéro, n'en a plus qu'un, voire plus du tout, dans le
numéro suivant). Ca m'amuse.
Alimentation. Je mange un steak de
cheval pour me consoler de mes déboires au PMU.
Toile. Depuis quelques semaines, je
me suis inscrit sur une [listeperec] qui rassemble les amateurs et professionnels
de l'écrivain désireux d'échanger des informations.
J'envoie l'annonce de la parution d'un hommage à Eugen Helmlé,
traducteur allemand de Perec,
dans Viridis Candela, la revue du Collège de 'Pataphysique.
TV. Le Paltoquet (Michel Deville,
France, 1986). Un professeur, un docteur, un journaliste et un commerçant
ont l'habitude de se retrouver dans un bar d'un port apparemment colonial.
Un meurtre a lieu dans un hôtel voisin, ils sont soupçonnés.
Michel Deville, qui n'est pas mon réalisateur préféré,
signe ici un brillant exercice de style. Le décor, quasi unique
(c'est une pièce de théâtre à l'origine) est
un bar qui tient plutôt du hangar à marchandises désert.
Derrière le bar, une tenancière, un loufiat (le Paltoquet)
lecteur et virevoltant; dans la
salle, les quatre clients habituels, une femme dans un hamac et le commissaire
qui vient de temps à autre leur rendre visite. Les dialogues ciselés
laissent la part belle à l'absurde, aux jeux de mots, à
l'humour. On est ici dans un monde qui évoque à la fois
les films de Bertrand Blier et le théâtre de Jérôme
Deschamps et de Ionesco.On regrettera que la deuxième partie du
film, où l'enquête policière prend le dessus, marque
un certain essoufflement.
Lecture. Ma reprise de L'Education
sentimentale s'avère bénéfique, puisque j'y trouve
l'impli-citation programmée par Perec dans le chapitre XXIV de
La Vie mode d'emploi :
"Elle aurait une robe de velours ponceau avec une ceinture d'orfèvrerie,
et sa large manche
doublée d'hermine laisserait voir son bras nu qui toucherait à
la balustrade d'un escalier montant derrière elle. A sa gauche,
une grande colonne irait jusqu'au haut de la toile rejoindre des architectures,
décrivant un arc. On apercevrait en dessous, vaguement, des massifs
d'orangers presque noirs, où se découperait un ciel bleu,
rayé de nuages blancs. Sur le balustre couvert d'un tapis, il y
aurait, dans un plat d'argent, un bouquet de fleurs, un chapelet d'ambre,
un poignard et un coffret de vieil ivoire un peu jaune dégorgeant
des sequins d'or; uelques-uns même, tombés par terre çà
et là, formeraient une suite d'éclaboussures brillantes,
de manière à conduire l'œil vers la pointe de son pied,
car elle serait posée sur l'avant-dernière marche, dans
un mouvement naturel et en pleine lumière." Gustave Flaubert,
L'Éducation sentimentale, Pléiade Gallimard p.181.
"Elle a une robe de velours ponceau avec une ceinture d'orfèvrerie,
et sa large manche
doublée d'hermine laisse voir son bras nu qui touche à la
balustrade d'un escalier montant derrière elle. A sa gauche, une
grande colonne va jusqu'au haut de la toile rejoindre des architectures
décrivant un arc. On aperçoit en dessous, vaguement, des
massifs d'orangers
presque noirs où se découpe un ciel bleu rayé de
nuages blancs. Sur le balustre couvert d'un tapis il y a, dans un plat
d'argent, un bouquet de fleurs, un chapelet d'ambre, un poignard et un
coffret de vieil ivoire un peu jaune dégorgeant des sequins d'or;
quelques-uns même, tombés par terre çà et là
forment une suite d'éclaboussures brillantes, de manière
à conduire l'œil vers la pointe de son pied, car elle est posée
sur l'avant-dernière marche, dans un mouvement naturel et en pleine
lumière." Georges Perec, La Vie mode d'emploi, Hachette
p.141.
MARDI.
Radio. J'enregistre Tire ta langue,
sur France Culture, consacré au... patois creusois. On ne sait
jamais, s'ils ignorent encore l'ordonnance de Villers-Cotterêts...
Puériculture. Alice se met
assise seule dans son lit.
Toile. Je demande sur [listeperec]
où je peux trouver les propos de Bernard Magné (le spécialiste
n°1 de l'auteur) sur les transformations que Perec fait subir à
l'extrait du Procès de Kafka impli-cité dans le chapitre
I de La Vie mode d'emploi dont il avait parlé lors du dernier séminaire.
TV. Mafia Blues (Harold Ramis,
U.S.A., 1999). Paul Vitti, capo mafioso, fait appel à un psychiatre
pour résoudre ses angoisses.
Avant Mon beau-père et moi, Robert De Niro avait déjà,
dans ce film, amorcé son virage vers la comédie. Ce qui
est savoureux ici, c'est qu'il interprète et parodie un personnage
issu des films qui l'ont rendu célèbre, Le Parrain 2,
Il était une fois dans le Bronx ou Les Affranchis,
celui d'un membre de la Mafia, mais d'une Mafia obsolète, qui n'est
plus que l'ombre de ce qu'elle a été. En même temps
que son organisation se lézarde, les fissures apparaissent dans
la personnalité de Paul Vitti qui s'avère traumatisé
par la mort violente de son père. La rencontre accidentelle d'un
psychiatre donnera lieu à une relation soignant-soigné assez
chaotique, pleine de situations assez drôles.
Voyage. Je commande mes billets de
train et ma chambre d'hôtel pour mon prochain déplacement
à Paris.
MERCREDI.
Littérature. Ma sœur m'offre
La petite Bijou de Modiano. Je trouve au marché un lot de
12 Série Noire pour 20 francs qui me seront utiles pour mon Atlas.
Lecture. Vision nouvelle d'une collection,
catalogue de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de- Vence, visitée
en août 1999. Ce qui peut dérouter ici, ce ne sont pas les
oeuvres qui pourtant sont très éloignées de tout
académisme, mais les commentaires, souvent dus à des artistes
eux-mêmes qui font preuve d'un hermétisme, d'un pédantisme,
souvent formidables. Un exemple : "Non, étant donné
qu'il suppose un monde advenu, mais chaque toile peut-elle assumer d'être
ce point qui ne se double pas tout en pouvant se répéter,
et qui à la fois suppose un spectateur libéré de
la présence et un excès d'absence tel qu'il se retournerait."
Il n'y a pas d'analyses brillantes, celle du Sigmund Freud in viaggio
verso Londra de Valerio Adami faisant exception. C'est dommage car bon
nombre d'œuvres ne passent pas toutes seules et nécessiteraient
un guidage...
Toile. Bernard Magné lui-même
satisfait à ma demande sur [listeperec].
JEUDI.
Ambiance. Journée merdique,
filles pénibles, visites d'indésirables, pas moyen d'aligner
deux lignes d'écriture ou de lecture sans être importuné.
Je peste, en viens à appeler la rentrée scolaire de mes
vœux.
TV. Love ! Valour ! Compassion
! (Joe Mantello, U.S.A., 1997). Huit homosexuels se retrouvent régulièrement
dans une grande maison à la campagne. Parmi ces résidents,
il y en a qui sont en couple, d'autres seuls, certains qui essaient de
changer de partenaire ou de rompre avec la solitude. D'où jalousies,
scènes de ménage, jeux de séduction, le tout avec
la menace du sida qui plane.
C'est filmé sans âme, de façon platement académique,
les acteurs se donnent des mines torturées pour montrer qu'ils
se sentent concernés par leur personnage. Alors bien sûr,
c'est un film gay et, politiquement, ça ne se fait pas de descendre
un film gay car ça relève
de l'homophobie. Il n'empêche que ce film serait tout aussi nul
s'il mettait en jeu des couples hétéros. Seul le personnage
de Buzz (Jason Alexander) qui entame le film comme s'il sortait de La
Cage aux Folles et atteint peu à peu une dimension tragique,
peut susciter quelque
intérêt.
VENDREDI.
Puériculture. La mâchoire
d'Alice s'orne d'une troisième dent. Je la conduis à la
crèche puis vais me balader avec Lucie au Parc du Château
que l'heure matinale et le temps gris ont rendu désert, et donc
fréquentable.
Courrier. Je reçois un double
CD de Vincent Scotto (1922-1947), le n° 6 de la revue Histoires Littéraires
(dans lequel je trouve une critique du Théâtre I de Perec
que je balance immédiatement sur [listeperec]) et un volume, Perec
et la contrainte du réel, de Manet Van Montfrans, une universitaire
hollandaise rencontrée lors du dernier séminaire.
Téléphone. Appel de
François D. qui se décommande pour l'assistance informatique
que je lui avais demandée. J'ai assez de chantiers en cours pour
tenir jusqu'à sa prochaine visite.
SAMEDI.
Lecture. Claude le Lorrain et le monde
des dieux, catalogue de l'exposition en cours au Musée d'Épinal.
Satisfaction de pouvoir lire un catalogue avant de visiter une exposition,
l'inverse étant trop souvent source de regrets de n'avoir pas prêté
attention à telle ou telle
chose au moment de la visite. C'est un ouvrage assez mince (18 oeuvres
exposées, toutes consacrées à des scènes mythologiques),
très, voire trop documenté avec un appareil de notes assez
lourd. Ce qui m'intéresse ici, c'est que je trouve un écho
à toutes les
préoccupations qui meublent mes Propos sur l'Art peint : variété
onomastique (Claude Gelée, Claude Gellée, Claude le Lorrain
?), variété de l'intitulé des oeuvres (Marine avec
Esaque et Hespérie dit aussi Bacchus et Ariane à Naxos ou
Ulysse apparaissant à Nausicaa), multitude des traitements d'un
thème par plusieurs artistes ou par le même (trois Parnasse
par exemple pour le Lorrain).
Jardinage. Retour du beau temps. Je
passe toute mes plantations à la bouillie bordelaise, produit miracle
dont j'entends vanter les mérites depuis des lustres à un
tel point que je m'étonne que Caroline n'en vende pas, espérant
protéger mes tomates du mildiou qui les
décime chaque année.
TV. Cap Canaille (Juliet Berto
et Jean-Henri Roger, France 1982). Marseille. Une pinède prend
feu, on pense à un incendie criminel destiné à dégager
des terrains dans un but immobilier. Un journaliste local (Anconina) et
un confrère parisien (Bohringer) enquêtent, notamment dans
l'entourage d'un avocat arménien (Brialy). Rien à retirer
de ce polar invraisemblable et caricatural. La bande-son est sale, les
dialogues (Boris Bergman) indigents, l'intrigue rendue incompréhensible
par un montage qui, censé intriguer, ne fait qu'irriter.
En vous souhaitant un bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°20 - 29 juillet 2001
DIMANCHE.
Sport. Les coureurs du Triathlon des
Images passent sous nos fenêtres. Il est certains spectacles sportifs
qui, esthétiquement, ravissent l'œil. Pas celui de coureurs à
pied en maillot de bain.
Musique. J'écoute mon disque
des chansons de Vincent Scotto. Sur le livret, une phrase de Brassens
: "Je donnerais tout Wagner pour une chanson de Scotto." Je
ne suis pas loin de penser la même chose, surtout si elle est chantée
par Tino. Les N. en Corse, les D. en Corse, les S. en Corse. Si un jour
je vais en Corse, j'emmène tous mes enregistrements de Tino Rossi.
J'aurai de la place sur la plage.
Lecture. Cadillac juke-box
(James Lee Burke, Rivages Thriller 1996). Dave Robicheaux est persuadé
de l'innocence d'Aaron Crowne, ex-membre du KKK, emprisonné pour
le meurtre d'un défenseur des droits de l'homme. Cette opinion
n'est pas du goût du nouveau sénateur. Il s'agit de la 9°
aventure de Robicheaux dans sa paroisse de New Iberia (Louisiane), la
7° pour moi. Le poids du passé s'y fait sentir, comme d'habitude,
passé historique de la région avec la Guerre de Sécession
qui explique encore bien des comportements actuels, passé personnel
de Robicheaux qui a connu une aventure avec Karyn LaRose, femme du nouveau
sénateur. La lutte de Robicheaux contre les forces du mal comporte
son lot d'échecs et de victoires (la mort symbolique des LaRose
dans leur maison en flammes). Avant de s'emballer dans les 50 dernières
pages, l'histoire est, il faut le dire, plutôt compliquée,
difficile à suivre du fait des ellipses dont Burke est coutumier,
que ce soit dans les conversations où les sous-entendus sont nombreux,
ou dans la conduite de l'intrigue elle-même. Au total, on observe
tout de même une baisse de l'intérêt pour l'histoire
de Dave Robicheaux, un peu comme si l'auteur avait fini de faire le tour
de son personnage et si celui-ci fait lui-même le tour de son entourage
et de ses contradictions. Le dernier roman traduit de Burke est d'ailleurs
centré sur un nouveau personnage.
LUNDI.
Courrier. Envoi de découpures
de presse aux D. et à l'AGP.
Lecture. Temps Noir n°4
(La Revue des Littératures Policières). Principaux articles
de cette livraison, un sur Vernon Sullivan, le pseudonyme utilisé
par Boris Vian pour ses romans noirs à l'américaine et un
sur le véritable lancement de la Série Noire. A la lecture
de celui-ci, on prend conscience du travail immense de Marcel Duhamel
qui, seul, sans grand soutien de la maison-mère (Gallimard), contacte
les auteurs d'outre-Atlantique et d'outre-Manche (Cheyney et Chase en
premier), leurs agents, fait signer des contrats, trouve des annonceurs
publicitaires, rédige les dos de couverture, fait traduire ou parfois
traduit lui-même... Par ailleurs, on peut lire un portrait du Marlowe
de Chandler en héros du roman de chevalerie, une étude sur
J.S. Le Fanu (1814-1873) que je ne connaissais pas et la toujours très
complète actualité du semestre.
Informatique. En bidouillant un peu,
je m'aperçois que j'arrive à créer une banque de
données, ce qui me sera utile au moment où je voudrai transférer
mes répertoires de Films vus et de Livres lus. Mais la priorité
est de me mettre à jour dans mon Atlas.
Mail. Jean S. me raconte sa partie
de pêche au Québec. Souvenir des achigans et des poissons-chats
attrapés en chaloupe sur la rivière Outaouais...
TV. Signs & Wonders (Jonathan
Nossiter, U.S.A. 2000, avec Stellan Skarsgard, Charlotte Rampling, Deborah
Kara Unger, Dimitris Katalifos). Athènes. Alec est homme d'affaires,
sa femme Marjorie travaille à l'ambassade américaine. Au
retour de sa deuxième escapade extra-conjugale, Alec trouve Marjorie
engagée dans une aventure avec Andreas, une ancienne victime du
régime des colonels. Il cherche à réintégrer
le domicile conjugal. Après le très réussi Sunday,
Nossiter signe une oeuvre magistrale. D'une banale histoire de couple,
il tire un thriller, une tragédie digne de la Grèce qui
lui sert de cadre. Il y a d'abord la famille unie, la grande complicité
entre un père et sa fille, le sentiment bien américain de
représenter la modernité et la civilisation dans une contrée
reculée où subsistent quelques personnages typiques, rescapés
du régime dictatorial que les U.S.A. ont soutenu. Quand Alec retrouve
sa femme dans les bras d'un de ces autochtones, une sorte d'illuminé
qui veut construire un Musée de la Mémoire de cette époque,
il ne comprend pas. Mais Marjorie s'est éveillée, a pris
conscience de l'histoire, apprend le grec, ne veut plus rien recommencer
avec lui. Il s'accroche, tente de reconquérir sa femme par le biais
de sa fille, puis le drame survient, Andreas est victime d'un attentat,
Alec est emprisonné. On ne saura jamais qui est le vrai coupable,
la fille probablement. Le film est véritablement envoûtant,
intriguant. La caméra trouve des angles improbables, a des mouvements
déstabilisants; la lumière change selon les lieux; la couleur
jaune trace un leitmotiv tout au long de l'histoire, symbolisant l'infidélité,
la faute première d'Alec qui lui est sans cesse rappelée.
Chaque plan est le fruit d'un travail extrêmement minutieux, c'est
vraiment du grand art, la plus belle chose faite à ce jour, pour
moi, en caméra vidéo numérique.
MARDI.
Voyage. Je prends le bus de 6 h 57
et le train de 7 h 42 pour Paris. Je termine 99 francs (Frédéric
Beigbeder, Grasset 2000). Octave, créateur pour une grosse agence
de publicité, prend la plume pour décrire son milieu professionnel
dans le but de se faire virer. Sous forme de roman, Beigbeder règle
ses comptes avec sa profession. Le monde qu'il dépeint et dénonce
est aussi détestable qu'on peut l'imaginer, monde de l'ambition,
de l'argent roi, des fausses amitiés, des jalousies, de la manipulation.
On peut penser qu'il est un repenti sincère, sa participation,
aujourd'hui qu'il s'est fait vraiment mettre à la porte, aux actions
du R.A.P. (Résistance à l'Agression Publicitaire) plaide
pour lui. Le problème, c'est qu'en ajoutant quelques éléments
de fiction, il veut faire oeuvre de littérature et que là,
ce n'est pas vraiment convaincant. Dans le genre, Les désarrois
de Ned Allen de Douglas Kennedy est à cent lieues au-dessus, avec
l'histoire d'un responsable d'achats publicitaires qui perd son emploi
et à qui il arrive de vraies aventures. Sur le plan documentaire,
mieux vaut certainement s'atteler au No Logo de Naomi Klein. La faiblesse
du roman de Beigbeder vient du fait qu'il n'a pas su vraiment choisir
entre document et fiction.
Je dépose mon stylo qui a besoin d'une révision à
la boutique Montblanc de la rue de Rennes et vais voir, à l'intérieur
de l'église Saint-Sulpice le Combat de Jacob avec l'Ange, de Delacroix
(j'ai en projet la lecture du livre que Jean-Paul Kauffman lui a consacré).
Rue de l'École de Médecine, des grip-cars, des barrières,
un tournage en cours. Jean-François Balmer (le Charles Bovary de
la version de Chabrol, décidément, je n'en sors pas) sort
du camion-loge.
Je travaille à la BiLiPo (Bibliothèque des Littératures
Policières).
J'erre place Saint-Sulpice, qui éveille en moi des souvenirs littéraires.
Le quatrain de Raoul Ponchon d'abord :
"Je hais les tours de Saint-Sulpice
Si, par hasard, je les rencontre,
Je pisse
Contre !"
Perec ensuite, bien sûr : "Il y a beaucoup de choses place
Saint-Sulpice, par exemple : une mairie, un hôtel des finances,
un commissariat de police, trois cafés dont un fait tabac, un cinéma,
une église..." Le café-tabac dont il parle et où
il a écrit a été transformé en magasin de
vêtements. Je me réjouis de l'avoir fréquenté
avant sa disparition.
Boulevard Saint-Germain, j'entre à La Hune et à L'Écume
des Jours, les librairies que fréquente mon père. Il y a
peut-être moins de choses que chez Gibert mais c'est nettement plus
respirable.
Je monte manger des moules-frites et lire L'Éducation sentimentale
face à la Gare du Nord.
MERCREDI.
La bibliothèque n'ouvrant qu'à 14 h, je me rends boulevard
Bourdon, près de l'Arsenal, pour y accomplir un pèlerinage
littéraire auquel je tiens beaucoup. Sur un banc, à peu
près au milieu du boulevard, je lis la première page de
Bouvard et Pécuchet : "Comme il faisait une chaleur de
33 degré, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.
(...) Deux hommes parurent. (...) Quand ils furent arrivés au milieu
du boulevard, ils s'assirent, à la même minute, sur le le
même banc." Me vient alors l'idée d'un nouveau travail
d'écriture: chercher, dans les romans, tous les incipit où
un lieu géographique est mentionné et en faire la recension.
Ainsi, pour rester dans Flaubert, le boulevard Bourdon pour Bouvard, Carthage
pour Salammbô, Pont-l'Évêque pour Un cœur simple...
Après, avec l'aide du Latourex (Laboratoire de Tourisme Expérimental),
pourquoi ne pas organiser des pèlerinages de lecture d'incipit
sur les lieux qu'ils mentionnent... Je le proposerai à Joël
Henry, dudit Latourex, si je mène à bien ce projet. En tout
cas, j'ai déjà le titre : Petite géographie de l'incipit.
Sur un banc du Jardin des Plantes, dos au Muséum d'Histoire Naturelle
(on aperçoit par les fenêtres la colonne vertébrale
d'un dinosaure immense qui ondule tout le long d'un bâtiment grand
comme une usine) je lis Chiens et louves (Jean-Pierre Perrin, Série
Noire n°2556, Gallimard 1999). Un ex-otage de Beyrouth se voit offrir
la possibilité de rendre la pareille à un de ses tortionnaires.
En cherchant dans un petit village de Haute-Saône un endroit où
le cacher, il remue de vieilles rancœurs issues de la Résistance
parmi les habitants. Nouveau venu dans la Série Noire, Jean-Pierre
Perrin ne parvient pas vraiment à convaincre avec cette histoire
plutôt invraisemblable (on va jusqu'à assister à une
attaque du Hezbollah contre une ferme haut-saônoise !) de jalousie
et de traîtrise entre anciens maquisards. On peut cependant faire
semblant d'y croire et se laisser conduire par une écriture plutôt
agréable, même si certaines choses agacent : essuie-glaces
pour essuie-glace; Berthe Silva pour Berthe Sylva; ceux-là pour
ceux-ci; Robert Cappa pour Robert Capa (le photographe). Les lieux me
sont familiers, la ville de Lure, la chapelle de Ronchamp, il est même
question d'un résistant qui s'est fait arrêter "peu
après son arrivée à Épinal", de La Liberté
de l'Est et d'un de ses anciens journalistes, Jean Bossu, que j'ai personnellement
rencontré.
Je passe devant chez Perec rue Linné, achète La chambre
des officiers à la Librairie Dédale près de Jussieu.
Je trouve des mentions de Perec dans un Dictionnaire du plagiat et dans
la biographie de Jean-Pierre Brisset par Marc Decimo, que j'enverrai à
[listeperec] à mon retour. Je vais travailler à la bibliothèque.
Retour par le 18 h 50. Lecture de La chambre des officiers (Marc
Dugain, Pocket 1998). 1914. Dès sa première mission dans
la Meuse, Adrien est victime d'une explosion. Défiguré,
il passe le reste de la guerre au Val-de-Grâce, avec d'autres gueules
cassées. La guerre de 14 est toujours celle qui m'intéresse
et m'émeut le plus. Avec ce court roman, Marc Dugain ne nous conduit
pas sur le front, sauf pour la brève mission d'Adrien. La guerre
est vécue de l'intérieur, de cette chambre des officiers
où les gueules cassées se succèdent auprès
d'Adrien qui en est un des piliers. Ce ne sont pas les offensives qui
rythment le temps, mais les opérations de chirurgie maxillo-faciale.
Histoire d'amour, histoire d'amitié, histoire de guerre...mais
ce n'est pas La bicyclette bleue. Marc Dugain a une justesse de ton, une
sobriété, une retenue qui siéent parfaitement à
la gravité de son sujet. Il reste à voir ce qu'aura fait,
cinématographiquement parlant, François Dupeyron de ce texte.
JEUDI.
Courrier. Les premières cartes
postales arrivent : Italie, Espagne, Gréoux-les-Bains, Corse.
Écriture. J'achète un
cahier et j'attaque ma Petite géographie de l'incipit.
Informatique. J'essaie de créer
un dossier où ranger mes notules. Échec.
TV. Les Frères Sœur (Frédéric Jardin, France 2000,
avec José Garcia, Denis Podalydès, Édouard Baer,
Jackie Berroyer, Alexandra London, Daniel Emilfork, Pierre
Aussedat, Isabelle Nanty, Sylvie Joly, Bernard Verley, François
Rollin). Jacques et Charly Sœur sont prêts à tout pour mener
à bien leur projet de film et devenir les égaux
des frères Lumière, Taviani ou Coen. Inutile de bouder son
plaisir devant cette comédie hypervitaminée qui, Dieu merci,
n'a pas pour ambition de délivrer un message sur le
milieu du cinéma dans lequel elle se déroule. L'interprétation
marque un certain renouvellement du genre, tout à fait bénéfique,
et offre même le plaisir de voir des acteurs
rares (Daniel Emilfork et le Spinalien Pierre Aussedat). Il faut voir
Jackie Berroyer, producteur mollasson, être obligé de se
transformer en homme d'action entouré de
cadavres qui ne cessent de ressusciter.
VENDREDI.
Loisirs nautiques. Je bataille toute la journée à traquer
les fuites dans la piscine de Lucie, mettre des rustines, constater leur
inefficacité, actionner la pompe à
pied. Enrichissant.
Courrier. J'envoie un mot à Frédéric Pagès
pour le remercier de me tenir au courant des manifestations organisées
par Les Amis de Jean-Baptiste Botul
(exposition, banquet du bac philo). Je ne désespère pas
pouvoir faire un jour coïncider une de celles-ci avec un de mes séjours
parisiens.
Mail. Francis H. me narre les déconvenues de son séjour
en Italie, écourté pour cause de carte Visa avalée
car considérée comme perdue. Je note la phrase
dont il s'est servi : "Il bancomat a mangiatto la mia carta".
La rubrique "Quelques phrases utiles" des guides de voyage à
l'étranger a toujours fait mes délices, catalogue
improbable de tous les emmerdements que l'on peut rencontrer, avec des
phrases qui vont de "Notre emplacement est infesté de moustiques"
à "Quelles sont les
formalités à accomplir pour rapatrier le corps ?".
SAMEDI.
Gastronomie. Je cueille, cuisine et mange le premier chou du jardin.
Puériculture. Alice commence à explorer l'appartement à
quatre pattes.
Jardinage. Je repique 40 poireaux.
Publicité. Perec sert de prétexte à un message sur
http://perso.wanadoo;fr/jb.guinot/pages/GPpubMSN.htlm
Mais l'accent est superfétatoire...
Mail. Exchange avec Francis H. sur les impli-citations dans La Vie mode
d'emploi.
Radio. Sur France Culture, Finkielkraut reçoit Serge Kaganski,
des Inrockuptibles, dans Répliques à propos du Fabuleux
destin d'Amélie Poulain. J'enregistre :
je me demande si celui-ci va être aussi dur avec le film qu'il l'a
été dans son papier de Libération. Déjà
dans un récent Masque et la Plume, il avait mis un peu d'eau dans
son vin. Le problème, avec ce genre de critique, c'est qu'on ne
peut plus filmer un champ de patates sans être taxé de pétainisme
(syndrome "La terre, elle ne ment
pas.").
TV. Drôle de frimousse (Funny Face, Stanley Donen, U.S.A. 1956,
avec Audrey Hepburn, Fred Astaire, Kay Thompson, Michel Auclair). Une
équipe d'un
magazine de mode new-yorkais se rend à Paris pour y promouvoir
Jo Stockton, un nouveau mannequin. Le cadre parisien, le genre (comédie
musicale), la musique de
Gershwin, tout pousse à établir une comparaison avec Un
Américain à Paris, tourné 5 ans plus tôt par
Vincente Minnelli. Et Stanley Donen perd, et de beaucoup, le
match. Le Paris présenté dans les deux films est un Paris
de pacotille, vu par Hollywood, mais là où les personnages
de Minnelli l'habitaient, ceux de Donen ne font que le
visiter, ne s'intègrent pas au cadre. Le regard posé est
même plutôt méprisant. La jeune Jo Stockton est une
intellectuelle (voir son apparition dans une librairie
poussiéreuse au début du film) : si elle accepte de venir
à Paris, c'est pour y fréquenter les caves où discourent
les philosophes, notamment un certain un certain
Professeur Flostre (sans doute la contraction du Flore et de Sartre !),
son idole, spécialiste de l'empathicalisme (sic). Le comportement
libidineux de celui-ci (Auclair) lui
fera préférer le photographe américain de son équipe
(Astaire), porte-parole de la joie de vivre, de l'insouciance et de la
sincérité des sentiments. On notera pour s'amuser,
la légère confusion qui régnait dans l'esprit du
scénariste qui situe une scène de tauromachie en plein Paris
et donne à un prêtre le titre de "Padre". Les Parisiens,
chose
amusante aussi, roulent en 2 CV (l'une tire une remorque contenant une
vache) ou en Isetta (cf. Georges Perec, Je me souviens n° 367 : "Je
me souviens des Isetta , et
aussi de la vogue des scooters.").
Bon dimanche et bons baisers.
|