Notules
dominicales de culture domestique n°37 - 4 décembre 2001
DIMANCHE.
Décoration intérieure.
Nous nous décidons enfin à habiller les murs du salon, repeints
depuis l'été. Quelques artistes locaux, une affiche d'exposition,
la une du n° 1 du Monde, des reproductions de Juan Gris, Jacques-Émile
Blanche (Joyce, bien sûr)... Il y a bien aussi un immense tableau
regroupant toutes les unes des Cahiers du Cinéma mais il faudrait
une perceuse pour le fixer au mur et là, je suis non-pratiquant.
Lecture. Proie facile (Easy
Meat, John Harvey 1996, 2001 pour la traduction française,
Rivages/Noir n° 409, traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias).
Nottingham. Un jeune délinquant est retrouvé pendu dans
le foyer où il attendait d'être jugé. L'inspecteur
Resnick est écarté de l'enquête au profit de Bill
Aston, un officier dépourvu d'imagination qui attend la retraite.
Peu après, Bill Aston est retrouvé sauvagement assassiné.
J'avais noté à propos de La Cinquième femme (cf.
notules 33) le parallèle qu'on pouvait établir entre Henning
Mankell et John Harvey : Charles Resnick ressemble à Kurt Wallander,
Nottingham ressemble à Ystad, la déliquescence de la société
anglaise ressemble à celle de la société suédoise
et les polices des deux pays rencontrent les mêmes difficultés.
Le parallèle est ici accentué par le fait que c'est un collègue
du personnage principal qui est trouvé assassiné, comme
dans Les morts de la Saint-Jean (cf. notules 34).
A part ça, ce n'est pas la meilleure enquête de Resnick,
pas la plus passionnante, mais l'ordinaire de Harvey est déjà
de bonne tenue. Il reste deux enquêtes à traduire avant que
Resnick prenne sa retraite, je pense que je l'accompagnerai jusque là.
Cinéma. Au tour de Caroline
d'aller rigoler devant Tanguy.
TV. Kippour (Kippur,
Amos Gitaï, Israël, 2000 avec Liron Levo, Torner Russo, Uri
Ran-Klausner, Yoram Hattab, Guy Amir).
Octobre 1973. Une attaque surprise de l'armée syrienne marque le
début de la guerre du Kippour. Deux réservistes israéliens,
Weinraub et Russo, parviennent, avec bien du mal, à rejoindre leur
unité et sont embarqués dans un hélicoptère
chargé de récupérer les blessés sur le front.
C'est sur son histoire que revient Amos Gitaï, la guerre qu'il a
vécue pendant six jours avant d'être blessé, hospitalisé
et marqué à vie par cette expérience. Le film est
voulu comme une catharsis, l'évacuation d'un traumatisme. La première
partie ne passionne guère, les réservistes sont ballottés
d'unité en unité sens parvenir à trouver leur place,
discutent dans leur voiture. On s'ennuie. On ne comprend pas bien ce qui
se passe, eux non plus. Les longues discussions en plans-séquences
dans leur casernement sont tuantes. Et puis vient le récit d'une
expédition en hélicoptère, la récolte des
blessés jusqu'à ce que l'appareil soit abattu et que l'équipage
se retrouve à l'hôpital. Dans la boue du Golan, quatre hommes
s'épuisent à essayer de convoyer un blessé jusqu'à
l'hélicoptère. C'est dans cet épisode que
le cinéaste parvient à rendre l'inhumanité, l'absurdité,
la difficulté du conflit.
Une fois qu'ils arrivent à l'hôpital, ce ne sont plus les
mêmes hommes. Mais le chemin fut long...
LUNDI.
Informatique. Un spécialiste
vient ausculter l'ordinateur et décide son hospitalisation.
Vie scolaire. Poursuite des conseils
de classe.
TV. La Famille Fenouillard
(Yves Robert, France, 1960 avec Jean Richard, Sophie Desmarets, Annie
Siniglia, Marie-José Ruiz, Gérard Darrieu, Hubert Deschamps,
André Gille, Guy Pierrault, Robert Rollis, Henri Virlojeux, Martin
Lartigue, Yves Robert, Bernard Blier, Madeleine Clairval).
Fenouillard, bonnetier à Saint-Remy où il convoite la mairie,
embarque sa femme et ses deux filles, Artémise et Cunégonde
, pour un voyage à Paris. Les Fenouillard se trompent de train,
se retrouvent au Havre d'où ils embarquent involontairement sur
un paquebot.
Pour son quatrième film, Yves Robert a choisi de tenter l'adaptation
de la bande dessinée de Christophe (on attend toujours celle du
Sapeur Camember). Le film se présente comme une succession de tableaux
: les Fenouillard chez eux, dans le train, sur un paquebot, dans la forêt
amazonienne, sur la banquise, au Japon et enfin de retour à Saint-Remy.
C'est le début qui est le plus réussi, quand Yves Robert
recourt au burlesque pour montrer les Fenouillard préparer leurs
malles et déclencher, à la gare, une gigantesque bataille
de tartes à la crème, ou plutôt de fromages blancs.
Fenouillard est le parfait petit bourgeois qui n'a pas conscience de son
ridicule, une phrase sentencieuse est toujours prête à sortir
de sa bouche. Jean Richard est alors dans sa période boulotte et
roule les r, comme dans la série des Champignol. Les aventures
de la famille autour du monde sont moins amusantes. A noter qu'Yves Robert
a déjà découvert Martin Lartigue à qui il
offre un petit rôle avant d'en faire une vedette dans La Guerre
des boutons et Bébert et l'omnibus.
MARDI.
Vie scolaire. Fin des conseils de
classe.
MERCREDI.
Compétence professionnelle.
Première journée de stage ("Enseigner le français
au collège") à Malzéville. Je m'y rends avec
J.-C.F. qui a accepté de me convoyer : je n'aurais pas pu y aller
seul en voiture. A part nous, qui faisons figure de vieillards, l'assemblée
est composée de jeunes gens (23 filles et 2 garçons, en
gros) fraîchement diplômés ou vacataires recrutés
à la va-vite en septembre et qui attendent encore leur premier
salaire. Ca doit faire cinq ans que je n'ai pas mis les pieds dans ce
genre de cénacle. Je n'en garde pas un souvenir éblouissant.
En général, on était convoqués à 9
heures, à 9 heures 45 tous les stagiaires étaient là,
la formatrice arrivait parfois avant 10 heures, un tour de table pour
se présenter, arrivée de la gestionnaire pour savoir qui
mange à la cantine à midi, bon, on fait une pause pour boire
un café, bon, déjà 11 heures 30, on va constituer
les groupes pour cet après-midi, allez, on se retrouve à
13 heures 30 pour finir à 16 heures 30 plutôt qu'à
17 heures, hein, il y en a qui on des enfants, on sait ce que c'est, à
14 heures 15 on reprenait, bataillait une demi-heure pour trouver un couillon
qui accepte d'être le rapporteur du groupe, à 15 heures 30
on commençait à entendre des raclements de chaises et des
claquements de cartables, vous comprenez, mes enfants à l'école,
j'habite loin, j'ai un conseil de classe, allez, à demain, c'était
très enrichissant. Moi, je m'en fichais, je m'inscrivais à
tous les stages qui se déroulaient à Nancy pour pouvoir
aller coucher à Liverdun chez Y. et J., les enfants étaient
contents de me voir et de me céder une chambre, on faisait de la
musique, on se couchait tard et ça me changeait de ma solitude.
Là, c'est un peu différent. L'inspectrice en chef est venue
nous honorer de sa présence et entame son discours aux jeunes recrues
à 9 heures 10 : "Faites-vous respecter", "Parlez
un français correct", "L'élève est là
pour travailler"... Passionnant. Elle laisse la place à notre
mentor, formateur IUFM, inspecteur à ses heures et toujours professeur
en collège pour ne pas perdre la main. Compétent, quoi.
C'est parti. Bien entendu, tout ce que je fais en classe est à
ranger dans la rubrique "A proscrire". A midi, nous filons,
J.-C.F. et moi, à Nancy chez J. où nous mangeons et évoquons
quelques frais souvenirs de Lozère. L'après-midi, le prof
parfait nous montre les travaux
parfaits qu'il fait réaliser à ses élèves
parfaits, enfin, ils ne sont pas parfaits au départ, c'est lui
qui les rend comme ça. Ca pourrait être imbuvable mais ça
ne l'est pas, du moins pas encore car l'homme est fin rhéteur,
il sait être intéressant et captiver son auditoire en multipliant
les anecdotes, les changements de ton, les mimiques, joue avec son visage,
ses mains, ses lunettes. Bref, c'est "Alain Decaux raconte".Du
point de vue de ce qu'on peut en retirer, c'est proche du néant
mais on passe un bon moment à écouter les histoires de l'Oncle
Paul, pédagogue hors pair.
Travaux. La phase destruction est
terminée. De toute façon, il n'y avait plus rien à
détruire. La structure de la nouvelle vitrine est posée.
Courrier. Je reçois une longue
lettre de B. Pour elle, pas de doute, mes problèmes de vue viennent
du fait que je passe trop de temps sur des livres et devant un écran.
Il y a sûrement du vrai, d'autant que ça ne va pas en s'améliorant
de ce côté-là. Par ailleurs, coup de téléphone
de F. qui se demande pourquoi les notules n'ont pas encore été
livrées. Enfin quelqu'un qui s'inquiète !
Puériculture. Alice fait ses
trois premiers pas.
TV. La Fin d'une liaison (The End of the Affair,
Neil Jordan, G.-B., 1999 avec Ralph Fiennes, Julianne Moore, Stephen Rea,
Ian Hart).
Londres 1945. Maurice Bendrix, écrivain, se met à raconter
la liaison qu'il a eue l'année précédente avec une
femme mariée, Sarah Miles.
Neil Jordan, en adaptant ce roman de Graham Greene, signe un film pépère,
sans inventivité, très loin de son Crying Game. La narration
est fondée sur une succession de retours en arrière : parallèlement
au récit de la perte de Sarah, que Maurice raconte en voix off,
Jordan montre les efforts qu'il fait pour la reconquérir. Tout
ça se terminera bien tristement (ce qu'on devine dès la
première quinte de toux de Sarah) sauf pour le spectateur, heureux
de ne plus avoir à subir les mines affligées des interprètes
et les effets de brouillard systématiques du chef-opérateur.
JEUDI.
Compétence professionnelle (suite).
Retour à Malzéville pour la deuxième journée
de stage à l'issue de laquelle J.-C.F. et moi décidons que
la troisième se fera sans nous. L'homme parfait devient un rien
gonflant. D'autant que je ne peux m'empêcher, derrière ses
airs mielleux et pontifiants, d'imaginer la vigueur avec laquelle il m'incendiera
si un jour il débarque dans ma classe. A la fin de la matinée,
j'en ai ma claque de ce poseur et me surprends à songer à
changer de métier. Nous retrouvons J. qui travaille dans le collège
qui nous accueille. A la cantine, dans la file d'attente du self, des
élèves lui demandent si nous sommes les deux anciens déportés
qui doivent témoigner plus tard dans la journée dans leur
cours d'histoire. Ca ne nous rajeunit pas. L'après-midi, le formateur
nous passe des diapositives. Je pique du nez.
J'aurai tout de même la satisfaction, avant la fin de la journée,
de le surprendre en étant le seul de l'assemblée à
connaître le poète Georges Fourest et même de lui apprendre
que, contrairement à ce qu'il affirme, il n'a pas écrit
un seul recueil (La négresse blonde), mais deux (Le géranium
ovipare). le retour est très éprouvant : pluie battante,
embouteillages jusqu'à Houdemont, des camions fous qui doublent
à toute allure en balançant des trombes d'eau. Je bénis
mon chauffeur et me promets de ne plus jamais remettre un pneu dans cette
galère. Je parviens à atteindre la crèche avant la
fermeture. Alice vient à moi en marchant, effaçant d'un
fier et franc sourire toutes es avanies de cette journée.
Presse. Titre du Figaro du jour :
"Par excès de nickel, l'euro pourrait être allergisant".
Voilà une bonne excuse pour ne pas donner d'argent de poche à
Lucie.
VENDREDI.
Vie scolaire. Retour à l'ordinaire
châtellois. je profite d'un moment de libre en fin de matinée
pour aller photographier le monument aux morts de Badménil-aux-Bois,
première commune en B de mon Itinéraire patriotique départemental.
Courrier. Nous recevons un faire-part
de naissance (pas trop cucul, ça devient rare) d'un jeune Léon.
TV. Un bon épisode de PJ. Léonetti
a gagné au Loto. Comme il est gentil, il offre des cadeaux à
tout le monde.
Lecture. La Faim (Sult, Knut Hamsun, 1890, traduit du
norvégien par Georges Sautreau, Le Livre de Poche, coll. Biblio,
n° 3118).
Un homme erre dans Christiana, l'actuelle Oslo, tenaillé par la
faim. Il est chassé de la chambre qu'il occupe, écrit des
articles qu'il parvient de temps en temps à placer, ce qui lui
permet de survivre un moment.
C'est un roman vraiment étrange, déroutant, que cette Faim
due à un écrivain norvégien qui reçut le Prix
Nobel de Littérature en 1920. C'est un récit à la
première personne, un récit d'errance et de misère.
le narrateur sillonne Christiana dans tous les sens et , parallèlement,
son esprit se met lui aussi à divaguer. Sa déchéance
physique influe sur son mental, le conduit à avoir des comportements
illogiques (comme celui qui le pousse à donner à autrui
l'argent qu'on lui donne en aumône), le mène aux confins
de la folie. Cependant, cet itinéraire de misère ne donne
lieu à aucune critique sociale, à aucune révolte
sinon contre Dieu et on est plus proche de Kafka que de Dickens ou Jules
Vallès.
Curiosité : à sa parution en France, en 1926, le roman fut
préfacé par André Gide, auteur... des Nourritures
terrestres.
Citation : "Finalement, je fourrai mon index dans la bouche et me
mis à le téter. Quelque chose remua dans mon cerveau, une
idée qui se frayait un chemin là-dedans, une invention totalement
démente : Hein ! Si je mordais ? Et sans une minute de réflexion,
je fermai les yeux et serrai les dents."
SAMEDI.
Courrier. Je reçois l'Histoire
de l'Art d'Ernst Gombrich, récemment disparu (c'est d'ailleurs
ce qui m'a permis de faire sa connaissance).
TV. Un de la Légion
(Christian-Jaque, France, 1936 avec Fernandel, Paul Azaïs, Suzy Prim,
Thérèse Domy, Robert Le Vigan, Jacques Varennes, Paul Amiot).
Fernand et Antoinette Espitalion font le voyage de Montréal à
Marseille pour toucher un héritage. Pendant qu' Antoinette est
chez le notaire, Fernand rencontre un certain Durand qui le fait boire
et échange ses papiers et ses vêtements avec les siens. Durand
avait signé un engagement pour la Légion étrangère
: Fernand se trouve donc embarqué à sa place pour Sidi Bel
Abbès.
Contre toute attente, voilà un film qui parvient à surprendre.
On s'attend en effet à une comédie plutôt lourde,
on connaît ce que peut donner Fernandel sous un calot. Or, la comédie
n'occupe que le premier tiers du film : le voyage en train, l'arrivée
à Marseille, épisodes marqués par la soumission du
mari à sa femme, et, bien sûr, le réveil de Fernand
sur le bateau et ses premiers jours sous l'uniforme. Peu à peu
cependant, Fernand s'aperçoit que la vie de la Légion est
cent fois préférable à celle qu'il connaissait et
il se cache de sa femme qui le recherche. Christian-Jaque change alors
de registre et vante l'uniforme, le drapeau, les colonies et l'amitié
virile (avec Paul Azaïs qui joue un natif de Ménilmontant
dont la gouaille annonce celle de Carette dans La Grande Illusion).Fernand
subit l'épreuve du feu, se comporte héroïquement, est
décoré : il est devenu un vrai légionnaire. On n'est
pas très loin alors de certains films de John Ford...
Bonne semaine, et pardon pour le retard.
Notules
dominicales de culture domestique n°38 - 9 décembre 2001
LUNDI.
Informatique. Retour de l'ordinateur,
débarrassé de ses virus et bardé de protections pour
éviter toute rechute. Je passe la soirée à lire les
111 messages qui se sont entassés dans la boîte à
lettres. La plupart viennent des [listeoulipo et perec]. Deux abonnés
s'inquiètent pour les notules. J'envoie le n°36, rédigé
le dimanche précédent.
Lecture. Peabody met un genou en
terre (Patrick Boman, Le Serpent à Plumes, coll. Serpent Noir,
2000).
Plaine du Gange, 1899. L'inspecteur Peabody enquête sur la découverte
d'un tronc humain dans la cuve d'un teinturier et sur l'assassinat d'un
ingénieur des chemins de fer.
Le personnage créé par Patrick Boman n'est pas des plus
sympathiques : Peabody est gras, suant, atteint de dysenterie et vaguement
libidineux. Sous ces dehors peu amènes, on peut tout de même
apprécier son indépendance, son franc-parler et son refus
des compromissions. Attitude plutôt originale et difficile à
tenir dans un milieu colonial déliquescent où la corruption
règne en maître. C'est d'ailleurs le milieu, le cadre, qui
intéresse Boman : un pays dont les habitants ont un mode de vie
incompréhensible pour l'occupant anglais, dominé par le
système des castes, la corruption, la saleté. Le livre est
une succession de courtes scènes dont Peabody occupe la plupart
du temps le centre. c'est original, parfois intéressant mais ça
n'autorise pas Boman à négliger l'intrigue policière.
Cette négligence débouche sur un effet
carte postale un peu décevant.
MARDI.
Informatique. J'entame à l'aube
la rédaction des notules n°37, et parviens à les terminer
et à les envoyer dans la soirée.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète à
Panorama 88 la correspondance Botul -Landru et le premier tome des romans
de Stendhal en Pléiade. Il est peut-être temps que je relise
Le Rouge...
Presse. Fait divers trouvé dans La Liberté de
l'Est du jour : la camionnette contenant les jouets destinés
à l'arbre de Noël des enfants du commissariat de police dérobé
sur un parking d'Épinal. Il y a quatre compléments du nom
introduits par "de" dans la phrase qui précède.
Et Flaubert qui regretta toute sa vie dans avoir laisser échapper
deux consécutifs dans sa Bovary...
Toile. J'envoie à [listeoulipo],
rubrique aptonymes, la publicité suivante, que Caroline a dénichée
dans Le Monde :
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tous les jours
Cinéma. The Barber, L'Homme
qui n'était pas là (The Man Who Wasn't There,
Joel Coen, U.S.A., 2001 avec Billy Bob Thornton, Frances McDormand, Adam
Alexi-Malle, James Gandolfini, Michael Badalucco, Katherine Borowitz,
Jon Polito, Scarlett Johansson, Richard Jenkins, Tony Schalhoub).
Santa Rosa, Californie, 1949.Ed Crane travaille comme coiffeur dans le
salon de son beau-frère. Un client de passage lui fait miroiter
un projet sensationnel : s'il trouve 10 000 dollars à investir,
il l'associera à l'entreprise de nettoyage à sec qu'il est
sur le point de monter. Pour trouver l'argent, Crane décide de
faire chanter le patron de sa femme, qui a une liaison avec elle.
Les frères Coen qui, à leur habitude, se partagent réalisation,
scénario et production, ont ici délaissé le côté
loufoque de leurs deux précédents films, The Big Lebowski
et O' Brother pour une plongée dans le film noir des années
40 en tout point enthousiasmante. D'abord grâce à la photo
(due à Roger Deakins), un noir et blanc somptueux, une classe folle.
Ensuite grâce à une histoire empreinte d'un grand classicisme,
intéressante de bout en bout. L'histoire d'un type ordinaire qui
rêve de sortir de sa condition et se trouve dépassé
par une succession d'événements qu'il déclenche involontairement.
C'est l'univers des Série Noire des années 50 (A contre-voie
de Gertrude Walker, par exemple) et des nouvelles de William Irish. La
vie d'une petite ville américaine est admirablement rendue, avec
les intrigues sordides, les jalousies, les rêves et les frustrations
qui hantent ses habitants. Ce sont des petites gens (des coiffeurs), parfois
des petits notables (le directeur d'un grand magasin, un juge,...) mais
qui ne sont jamais traités avec mépris (une attitude qui
sépare le cinéma américain du cinéma français).
Il n'est qu'à voir la tenue digne de Doris, la femme de Crane,
emprisonnée alors qu'elle n'a rien fait de ce qu'on l'accuse.
L'interprétation est impeccable, menée par un Billy Bob
Thornton impassible qui porte la cigarette à la Bogart et le chapeau
à la Sinatra. On pourrait reprocher aux Coen de faire des films
pour cinéphiles mais ce n'est même pas le cas ici. Il n'est
pas besoin de reconnaître, dans un voyage en voiture qu'effectue
Crane en compagnie d'une jeune pianiste, des plans de la Lolita de Kubrick
ou d'autres citations pour apprécier le parcours de Crane qui passe,
en l'espace de deux heures, du siège de coiffeur à la chaise
électrique.
Un reproche à adresser au distributeur : ne pas avoir fait coloriser
les sous-titres. Des lettre blanches sur la blouse blanche d'un coiffeur,
ça ne saute pas aux yeux. Il est cependant essentiel de voir le
film en version originale pour goûter la voix sépulcrale
de Thornton qui raconte son histoire en voix off.
Lecture. On n'est pas sérieux
quand on a 117 ans, Portrait de l'artiste en Vieilheggen (zuteries) (Jean-Pierre
Verheggen, Gallimard, coll. l'arbalète, 2001).
Poèmes.
Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de lire un recueil de poète
vivant. Et Verheggen est un poète belge vivant, bien vivant, et
même bon vivant.
Outre ce livre au titre rimbaldien, il a déjà commis Le
degré Zorro de l'écriture, Divan le Terrible, Artaud Rimbur,
Les Folies-Belgères, Ridiculum Vitae, Debord les mous, ce qui donne
un aperçu de sa relation au langage. Il aime triturer, plier, bousculer
les mots pour les faire jouer entre eux avec une bonne humeur communicative.
Ce n'est pas de la poésie compassée, c'est de la poésie
vivante qui va chercher sa source peut-être chez Desnos ou Tardieu
et dans les chansons loufoques du groupe belge Sttellla. la forme est
libre et le calembour règne en maître, qu'il soit bon ("Eschyle
Zavatta", "le p'tit gars de Sénilmontant", "Bidasse
de Loyola"...) ou moins bon ("Perec ben qu'oui, Perec ben qu'non").
Citation :
"ou la Bruna la matrone du four à pain,
sa concurrente directe
sur le plan du poids des seins,
des potins et du popotin - tous felliniens -
comme dans Amarcord
où la gorge hautement laitière
et le postère de la postière
remplissent à eux seuls l'écran ! "
JEUDI.
Mail. Un message de X. avec une recette
pour éviter les virus. Ca peut être utile.
Un autre de F. qui s'interloque devant mon appétence pour P.J.,
série plutôt médiocre, je ne le dispute pas. Malheureusement,
je ne suis pas un être culturellement parfait, j'ai comme tout le
monde, ma part d'ombre et mon lot de mauvais goût : j'aime Proust,
Minnelli, le Quattrocento, mais aussi le football, le ketchup, les chansons
de Tino Rossi et les films de La 7ème Compagnie...
Presse. La Liberté de l'Est
: "Le club Land Lorraine organise ce week-end des baptêmes
en 4x4 au profit du Téléthon". On croit qu'on a fait
le tour de la bêtise humaine, et puis on s'aperçoit, avec
une jouissance toute flaubertienne, qu'il n'est même pas besoin
de gratter pour découvrir des strates, des sous-couches...
Travaux. Ca s'active dans la boutique.
Maçons, plâtriers, menuisier aluminium, plombier, électriciens
sont à pied d'œuvre. Une nouvelle porte menant à l'appartement
est posée. Quand on arrivera à l'ouvrir, ce sera un progrès
certain.
Courrier. J'envoie une pétition
pour le commerce équitable à la CFDT et la nécrologie
de Robert Scipion parue dans Le Monde et qui mentionne Perec à
l'AGP.
TV. Appâtés par les louanges
publiées dans Le Monde, Télérama et Libération,
nous regardons le premier épisode de Six Feet Under, une
série américaine consacrée à une famille d'entrepreneurs
de pompes funèbres. Il s'agit là de réparer un manque
qui me pèse. Le monde de la série télévisée
m'est totalement étranger. De ma vie, j'ai dû voir en tout
et pour tout un épisode de Chapeaux melons et bottes de cuir et
un de Starsky et Hutch. La raison en est que je ne suis jamais parvenu
à regarder quelque chose d'une façon fragmentaire. Si série
il y a, je me dois de la voir du début à la fin. De la même
façon, je suis incapable de regarder un film dont j'ai manqué
le générique. Si je continue à regarder P.J., c'est
en grande partie parce que j'en ai vu le premier épisode... De
même, dans mon adolescence, il ne s'agissait pas
de lire Les Misérables, Le Père Goriot ou Germinal, mais
de lire TOUT Hugo, TOUT Balzac et TOUT Zola, entreprise dans laquelle
j'ai bien sûr échoué mais après avoir quand
même fait une bonne partie du chemin. D'autre part, j'avoue être
un peu intrigué par ces nouvelles séries télévisées
qu'on dit de grande qualité, comme The Sopranos ou Oz et avoir
envie de voir ce que ça peut être. Six Feet Under, donc.
C'est l'épisode pilote, donc il est difficile de se faire un jugement,
on cerne les personnages, on lance quelques pistes. Nous verrons bien
avec les épisodes à venir puisqu'il n'est pas question,
voir plus haut, que j'en rate un désormais.
VENDREDI.
Mail. J'adresse à Télérama
et aux Cahiers du cinéma la liste de mes meilleurs films de l'année
pour leur palmarès annuel des lecteurs (en sachant les reproches
qu'on peut adresser à ce genre d'exercice, lacunes, prégnance
des films vus le plus récemment et autres). Ce qui donne :
1. Le Cercle
2. The Barber
3. La Ville est tranquille
4. C'est la vie
5. Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain
6. La Chambre du Fils
7. La Pianiste
8. Traffic
9. Mercredi folle journée
10. Seul au monde
Vie professionnelle. Rencontre parents-professeurs
au collège, exercice honni entre tous. Je vois 33 parents entre
17 heures 15 et 20 heures, ce qui fait exactement 5 minutes par personne.
Ce n'est pas mal : les gens s'étaient inscrits pour me voir de
quart d'heure en quart d'heure. Pendant ce temps, les filles assistent
au défilé de Saint-Nicolas organisé dans le quartier
de Saint-Laurent. Somptueux : deux chars. Mais ça nous évitera
d'aller demain dans la foule et le froid à Épinal.
SAMEDI.
Passage de saint Nicolas à l'école et dans les foyers. En
guise de Père Fouettard, nous avons dans l'après-midi la
visite de l'entrepreneur qui vient raboter les portes de l'appartement
qui ne ferment ou ne s'ouvrent plus à l'issue des travaux de soutènement
qu'il a dû faire au rez-de-chaussée. Je passe une partie
de l'après-midi avec Alice, épouvantée par le bruit,
sur les bras et une autre à aspirer les copeaux.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°39 - 16 décembre 2001
DIMANCHE.
Cinéma. Mulholland Drive
(David Lynch, U.S.A., 2001 avec Naomi Watts, Laura Elena Harring; Justin
Theroux, Ann Miller, Dan Hedaya, Robert Forster).
Betty, une jeune comédienne, arrive à Hollywood. Dans l'appartement
que lui a laissé sa tante, elle trouve Rita, une jeune femme rendue
amnésique par un accident de voiture qu'elle va aider à
rechercher son identité. Il y a a aussi un metteur en scène
à qui on veut imposer une vedette, un jeune homme hanté
par une créature qu'il voit en rêve...
La juxtaposition de ces différents éléments s'explique
certainement par le fait que Mulholland Drive est, à l'origine,
un épisode pilote pour une série qui a été
refusée par les chaînes et auquel Lynch a rajouté
des scènes. Il y a donc des histoires amorcées dont on ne
connaîtra jamais la fin. Celle de Betty et Rita voit son dénouement
dans un dernier quart d'heure totalement embrouillé, où
les identités s'entremêlent et où on ne sait plus
du tout ce qui est réel, imaginé ou fantasmé. Et
malgré tout, on ne s'ennuie pas une seconde au cours des 2 heures
30 que dure le film.
Je ne connais pas ce qu'a fait David Lynch entre Eraserhead et Une histoire
vraie (à part Elephant Man), deux films plutôt atypiques.
En tout cas, il est arrivé à une maîtrise parfaite
des éléments dramatiques, de la construction d'une atmosphère
dérangeante, de la direction d'acteurs (deux femmes superbes ici)
et de la peinture de l'environnement urbain. De plus, il a parfaitement
digéré les influences de ses prédécesseurs
(Hitchcock, dans une scène de transformation digne de Vertigo)
et de ses contemporains (Tarantino dans une scène située
dans une cafétéria tirée de Pulp Fiction). Hollywood
est le pays des rêves, mais aussi de toutes les menaces, l'identité
y est malléable, on ne sait plus qui est qui. Les mêmes mots
peuvent recouvrir des situations différentes, comme le montre Betty
qui répète, puis joue
une scène de deux manières opposées en étant
aussi crédible dans l'une que dans l'autre. On ne comprend rien
au dénouement, soit, mais on ne comprend rien non plus aux intrigues
des romans de Chandler qui se déroulent dans cette même ville.
La petite clé bleue, que Lynch s'amuse à faire apparaître
de temps en temps n'ouvre aucune serrure. Qu'importe, on se laisse tout
de même prendre au piège et posséder par cette superbe
machination. Je regrette déjà d'avoir envoyé si tôt
ma liste des dix meilleurs films de l'année.
TV. Dancer In The Dark (Lars
von Trier, Danemark, 2000 avec Björk, Catherine Deneuve, David Morse,
Peter Stormare, Jean-Marc Barr).
Selma, une jeune Tchèque, vit aux États-Unis. Elle travaille
en usine, bien qu'elle soit en train de devenir aveugle. Son fils souffre
de la même maladie et, pour le faire opérer, Selma économise
sou après sou. Elle se fait licencier. Son voisin s'empare de sa
cagnotte, elle le tue et est condamnée à mort.
Doublement primé à Cannes (Palme d'Or et meilleure interprète
féminine), Dancer In The Dark est un film américain au carré.
Lars von Trier s'est lancé en effet dans un exercice purement hollywoodien,
à savoir le film de genre, ou plutôt de genres puisqu'il
combine la comédie musicale et le mélodrame. Un pari osé,
et mené à bien. Les scènes dramatiques, lourdes (Selma
qui n'arrive pas à suivre la cadence à l'usine, Selma condamnée
à mort, Selma en route vers la pendaison) sont interrompues par
des scènes chantées. L'opposition se retrouve dans le traitement
stylistique : plans séquences et panoramiques pour les premières,
montage rapide et multiplication des points de vue pour les secondes (grâce
au procédés des cent caméras qui enregistrent simultanément).
A l'arrivée, une oeuvre forte qui témoigne des
sentiments de fascination et de répulsion que Lars von Trier éprouve
pour l'Amérique.
LUNDI.
Vie professionnelle. Grève
des personnels de l'Éducation Nationale. Deux profs grévistes
au collège. C'est maigre.
Cinéma. Millenium Mambo
(Hou Hsiao-hsien, Taïwan, 2001 avec Shu Qi, Jack Kao, Tuan Chun-hao,
Takeuchi Jun, Takeuchi Ko, Niu Chen-er, Kao Kuo-guang).
Vicky vit avec Hao-hao, un oisif qui la brutalise et l'exploite. Elle
se réfugie chez Jack, qui disparaît et qu'elle espère
retrouver au Japon.
Encore une confirmation de mon incapacité à partager l'enthousiasme
pour le nouveau cinéma asiatique. Pas plus que Wong Kar-Waï,
Hou Hsiao-hsien ne réussit à me convaincre. Il est certain
que ces gens s'y entendent pour construire un plan, connaissent l'art
du cadrage, font des merveilles avec la couleur (la blancheur du soutien-gorge
de Vicky). Mieux encore, H. H.-h. fait preuve d'une virtuosité
remarquable dans les mouvements de caméra pour les scènes
se déroulant dans l'appartement de Hao-hao : c'est incroyablement
exigu, et pourtant, on ne se cogne nulle part, ça glisse, ça
serpente...
Mais au service de quoi, de qui, cet art est-il mis en oeuvre ? C'est
ce que je ne saisis pas. Je n'arrive pas à suivre les personnages,
à m'intéresser à ces inévitables scènes
de boîtes de nuit, à ces interminables scènes muettes,
à ces ellipses, à ces visages fermés sur lesquels
un sourire serait aussi incongru que l'apparition d'une poupée
Barbie dans les fontes de selle de John Wayne...
Lecture. Le voyage à Nanga
Un racontar extrêmement long (Rejsen til Nanga, en usoedvanlig
lang skrone, Jorn Riel, 1981, 1997 pour la traduction française,
traduit du danois par Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet, 10 18 n°
3027, coll. domaine étranger).
Chroniques arctiques.
Jorn Riel a acquis une petite reconnaissance en France puisque ce volume
est le cinquième des ses racontars arctiques à paraître
chez 10 18. Il s'agit de la vie d'une petite communauté installée
au Nord-Est du Groënland, à la vie fruste dominée par
la ronde des saisons et l'arrivée, une fois l'an, de la Vesle Mari
, le bateau qui apporte provisions et matériel d'Europe. Les hommes
se déplacent en traîneau à chiens, en raquettes, à
ski, vivent dans des cabanes, chassent, tentent de se lancer dans l'élevage
de bœufs musqués. Parmi eux, un jeune novice assez simplet, un
poète, un trappeur qui, dans une aventure précédente,
a mangé son compagnon qu'il avait fini par prendre pour un cochon,
un autodidacte sentencieux, un chef de poste qui perd sa pipe et qui est
épouvanté à l'idée de passer un hiver complet
sans fumer, et d'autres comparses. Des hommes carrés, simples,
privés de femmes, dont les aventures la plupart du temps insignifiantes
sont contées avec un humour et une tendresse de bon aloi. Une découverte
intéressante.
MARDI.
Courrier. Je reçois une carte
postale de Y., en bordée à Reims pour son Christmas shopping.
Kit mains libres. Je conduis les filles
chez mes parents où elles resteront jusqu'au lendemain.
Cinéma (à deux, pour une fois).
Le Sortilège du Serpent de Jade (The Curse of the Jade
Scorpion, Woody Allen, U.S.A., 2001, avec Woody Allen, Helen Hunt,
Dan Aykroyd, Elisabeth Berkley, Charlize Theron, David Ogden Stiers, Wallace
Shawn).
New York, 1940. C.W. Biggs est le meilleur enquêteur des assurances
North Cast. sa place est menacée par l'arrivée de Betty-Ann
Fitzgerald, en charge de la réorganisation de la compagnie. Biggs
enquête sur une série de cambriolages retentissants. Ce qu'il
ignore, c'est qu'il en est l'auteur...
On sent que Woody Allen a pris plaisir à écrire et à
réaliser cette histoire basée sur l'hypnose dans un cadre
historique parfaitement reconstitué et photographié par
Zhao Fei. Et plus de plaisir encore à jouer le rôle de C.W.
Biggs, un homme qui a réussi dans sa branche et qui voit sa routine
menacée par une enquiquineuse de première (Helen Hunt, qui
illumine tous les films auxquels elle prend part). Reste à faire
partager ce plaisir au spectateur. Or, depuis quelque temps, avec Célébrités
ou Accords et désaccords, on a quand même la vague impression
que Woody Allen n'innove plus et tourne en rond. Le voir commettre un
cambriolage sous hypnose est amusant une première fois, au bout
de trois fois, c'est lassant. Son jeu de comédien est également
répétitif, toujours les mêmes mouvements d'yeux au
ciel et de mains qui s'agitent pour marquer l'incompréhension d'une
situation. Ce n'est pas désagréable, il y a des moments
drôles, des répliques brillantes, mais c'est un peru longuet.
Le Woody Allen des années 80 (Manhattan, Hannah et ses sœurs, Alice
pour ce que j'en connais) avait plus de force.
Web. N., qui se remet à peine
d'un virus, m'envoie une phrase de Joyce dont elle ignore l'origine. Je
lance quelques limiers joyciens sur la piste.
Longue haleine. Je viens à
bout, quasi simultanément, de l'écoute de l'Histoire du
cinéma américain par Jean Douchet, enregistrée sur
France Culture cet été (10 cassettes) et des Entretiens
de Paul Léautaud avec Robert Mallet qui ont enchanté mes
pérégrinations automobiles ces dernières semaines
(10 CD).
MERCREDI.
Presse. Toujours pas de trace de la
contrepèterie que j'ai envoyée dans Le Canard Enchaîné
du jour. Pourtant, la semaine dernière, j'ai reçu une lettre
accusant réception de mon courrier et disant qu'on allait "l'étudier
avec attention afin de voir si, le cas échéant, [on pouvait]
utiliser ces informations dans nos colonnes."
Voyage. En route pour l'Alsace et
une journée sans enfants. Il s'agit d'aller chercher une maison
de poupée pour le Noël de Lucie chez un artisan de la région
de Colmar. Elsenheim, précisément. Un village coquet, désert,
un homme attache des guirlandes à un sapin dans son jardin. le
genre de village alsacien où on n'a jamais vu l'ombre d'un Arabe
et où on vote à 65% pour le Front National. Nous prenons
livraison de l'objet et partons vers Colmar pour la suite des courses
de Noël. On peut penser ce qu'on veut de Noël, on peut penser
ce qu'on veut de l'Alsace, ce qui est indéniable, c'est que les
deux vont bien ensemble. Les maisons sont belles, le marché de
Noël n'a pas l'air d'une brocante comme chez nous. Nous mangeons
à La Maison Rouge et nous mettons en quête de cadeaux. Dans
une librairie (rayon religieux
impressionnant), je trouve un dictionnaire des citations qui contient
la phrase de Joyce que je recherche. C'est dans Ulysse. C'est un progrès,
reste, comme le dira N. quand je lui apprendrai la chose, à trouver
le caillou dans le plat de lentilles. Le problème des cadeaux réglé,
reste à faire ce qui constitue le but véritable de notre
venue ici : voir le retable d'Issenheim, de Grünewald, au Musée
d'Unterlinden. On passe d'abord par une belle collection de peinture médiévale
(Holbein, une Mélancolie de Cranach, une surprenante et anonyme
Résurrection des poulets rôtis) avant d'arriver devant la
chose que je rêve de voir depuis que j'en ai vu l'analyse dans un
épisode de la série Palettes. Le cadre est idéal,
une chapelle absolument glaciale. Le retable est monumental, complet,
avec sa prédelle et les multiple volets dont celui de la fameuse
Crucifixion aux doigts noueux et une saisissante Tentation de saint Antoine.
Après les nourritures spirituelles, nous faisons provision de charcuteries
dans une boutique où on voudrait tout acheter et reprenons la route.
Travaux. Pose de la nouvelle croix.
Web. Je jette deux messages de G.N.,
infectés.
TV. Les Combinards (Jean-Claude
Roy, France, 1966 avec Darry Cowl, Jacques Bernard, Agnès Spaak,
Michel Serrault, Noël Roquevert, Maria Pacôme, Florence Blot,
Mary Marquet, Jane Sourza, Mathilde Casadesus, Monique Tarbès,
Gérard Hernandez).
Deux jeunes oisifs montent diverses combines pour se faire de l'argent.
L'une d'elles consiste à escroquer des femmes qui ont rédigé
des petites annonces matrimoniales.
C'était au temps béni (circa 1995) où R.T.L. Télévision
diffusait dans la nuit des nanars français des années 60
que je ne manquais jamais d'enregistrer. Des films de Guy Lefranc, Jean
Bastia, Jean Cherasse ou ce Jean-Claude Roy qui n'a rien réalisé
d'autre à ma connaissance. De même, Jacques Bernard, l'acteur
principal aux côtés de Darry Cowl, ne semble pas avoir fait
carrière. Autour d'eux, on a plaisir à reconnaître
des comédiens de renom, serviteurs prolifiques de la comédie
française des années 60. Un genre qui vole plutôt
en rase-mottes, ce film en est une bonne illustration. On retiendra tout
de même l'arrivée, chez ses complices, de Darry Cowl porteur
d'une tête de veau et annonçant fièrement : "C'est
la dot de ma bouchère !"
JEUDI. (Sainte Lucie)
Courrier. J'envoie des informations
à l'AGP (une page de Verheggen, nécrologie de l'éditeur
André Balland qui publia Un cabinet d'amateur tirée du Figaro
du jour, compte rendu d'une émission de radio avec Robert Bober
où Perec fut mentionné), une coupure de La Liberté
de l'Est à H. (je n'ai pas réussi à le faire par
scanner), un article du Monde Diplomatique à Y. qui comprend des
interventions d'un de ses homonymes.
Web. M. donne la composition de l'équipe
et le menu prévu pour la célébration de l'an neuf.
Puériculture. Alice vomit quatre
fois entre 19 heures et minuit. Le plus beau jet atterrit sur la bibliothèque,
rayon des dictionnaires, encyclopédies et livres d'art.
Cinéma. 2001 : l'Odyssée
de l'espace (2001 : A Space Odyssey, Stanley Kubrick, G.-B.,
1968 avec Keir Dullea, Gary Lockwood, William Sylvester, Daniel Richetel,
Douglas Rain).
A l'aube de l'humanité, des singes découvrent un monolithe
noir. L'un d'eux se sert d'un os comme d'une arme pour tuer. Quatre millions
d'années plus tard, le Dr Floyd va sur la lune enquêter sur
un monolithe noir qui émet des signes mystérieux. Un vaisseau
spatial commandé par l'ordinateur Hal part en mission pour Jupiter.
Pour la fin de l'année 2001, la Boîte à Films a eu
la bonne idée d'inviter ses adhérents à revoir ce
classique. Pour une fois, ça se passe dans la grande salle du Palace
(qui doit être dévolue à Harry Potter le reste du
temps) et rien que ça, c'est magique : son grandiose, écran
immense alors que la salle où ont lieu d'habitude les projections
de la B.A.F. est d'un confort beaucoup plus modeste. On ne peut pas dire
que 2001 est un film dont le sens s'éclaire à chaque nouvelle
vision. On y trouve une réflexion sur l'homme et le temps, la vie,
la mort, le pouvoir, un peu tout quoi. Qu'est-ce que ce monolithe noir
? Un avatar de l'arbre de la
connaissance ? Dans tous les films de Kubrick, l'homme doit lutter : contre
sa condition dans Spartacus, contre ses semblables dans Les Sentiers de
la Gloire, contre la folie et son inconscient dans Shining, contre ses
pulsions dans Eyes Wide Shut. Ici, c'est contre un ordinateur que l'astronaute
Bowman se bat. S'il y a de longues séquences un peu vaines (les
effets spéciaux de la séquence animée ont plutôt
mal vieilli), des tunnels où on ne comprend rien, il reste des
moments d'anthologie comme le premier épisode avec les primates
dans son ensemble, les signes de plus en plus inquiétants donnés
par l'ordinateur Hal et la scène finale, le vieillissement et la
renaissance de Bowman dans un décor glacial. Il y a surtout la
certitude de voir une oeuvre d'un grand créateur telle qu'il l'a
voulue, puisque Kubrick, pourtant sous contrat avec la MGM, avait obtenu
d'aller tourner en studio à Londres afin d'avoir les mains libres
et n'avoir de comptes à rendre à personne avant le final
cut.
VENDREDI.
Web. A. a trouvé où
se cachait la citation de Joyce dans Ulysse. Lui aussi se relève
d'un virus. J'espère que ce n'est pas moi qui ai contaminé
tout le monde.
Voyage. Caroline me conduit à
la gare. Le train pour Nancy a un quart d'heure de retard. Il fait un
froid de gueux et je termine à peine mon processus de décongélation
quand j'arrive à Paris.
SAMEDI.
V.I.P. Chaque fois que je suis à
Paris, je scrute attentivement tous les gens que je vois dans l'espoir
de reconnaître une célébrité. Bonne récolte
aujourd'hui : je tombe sur ma sœur et mon beau-frère. La journée
commence par le séminaire Perec à Jussieu. Je donne la nécrologie
d'André Balland parue dans Le Monde du jour à Danielle Constantin,
la secrétaire québécoise de l'Association qui s'étonne
de ma faculté à tout repérer de ce qui concerne Perec,
surtout à la radio. La communication du jour porte sur le rêve
dans les écrits narratifs de Perec. Rien de bien passionnant, et
comme la conférencière lit ses papiers à toute vitesse,
je perds rapidement le fil.
Bianca Lamblin, la cousine de Georges, qui est venue s'asseoir à
côté de moi (une grande complicité nous unit depuis
que je lui ai prêté un stylo au cours d'un précédent
séminaire) ne comprend pas plus que moi. Bernard Magné annonce
la prochaine parution des romans de Perec en Pochothèque. Je passe
à la librairie Dédale, rue des Écoles, acheter les
oeuvres complètes de Jean-Pierre Brisset, prince des penseurs,
inventeur, grammairien et prophète et sa biographie par Marc Decimo.
Je mange dans une nouvelle cantine, le Royal Jussieu, c'est déjà
mieux que le Petit Cardinal mais pas encore le top. Après-midi
studieuse à la BiLiPo où je travaille sur les Série
Noire 69 et 70. Magie de l'euro : chez Gibert, j'achète deux livres
à 10 francs (un K.C. Constantine d'occasion et un Mille et une
nuits, La vie sexuelle d'Emmanuel Kant par Jean-Baptiste Botul). Total,
à la caisse : 20 F 14. Comme la caissière n'a plus de pièces
de 5 centimes, ça me coûte 20 F 20. Plus tard, à la
Brasserie de l'Est, je bois un thé à 3 90, soit 25
F 58, ce qui est déjà un prix costaud, et le garçon
encaisse royalement 26 F. Ca promet.
Lecture. Débine blues
(Bottom Liner Blues, K.C. Constantine, 1993, 1996 pour la traduction
française, traduit de l'américain par Stéphane Carn
et Catherine Cheval, Gallimard, coll. La Noire).
Rocksburg, Pennsylvanie. Le chef de la police, Mario Balzic, est appelé
dans un quartier ouvrier. Une femme veut lui confier qu'un homme se livre
à des actes pédophiles.
De cette ébauche d'intrigue, qui occupe le début du roman,
il ne sera plus question avant les toutes dernières pages, et encore,
sans qu'il lui soit donné un véritable dénouement.
Ce qui fait de Constantine un auteur vraiment atypique dans le monde du
polar américain. Après la lecture de son Meurtre au soleil,
publié trois ans plus tôt, j'avais comparé Balzic
au Steve Carela d'Ed McBain, ce qui était une erreur. Steve Carella
travaille en équipe, on connaît ses collaborateurs, alors
que Balzic est un solitaire. Il dirige la police de Rocksburg mais on
ne voit pas les gens avec qui il travaille. La dimension privée
du personnage est aussi, sinon plus importante que ses activités
professionnelles : sa femme remet en cause leur mode de vie de couple,
sa mère est morte depuis le roman précédent. le personnage
le plus important face à
Balzic est Myushkin, un romancier d'origine russe qui rencontre toutes
sortes de difficultés pour survivre. cela donne lieu par exemple
à une discussion de 80 pages (!) sur le bien-fondé du prêt
payant dans les bibliothèques ! C'est comme ça que Constantine
travaille, sans règle, sans contrainte. On passe ainsi d'une scène
qui se déroule au mois d'août à une scène hivernale
sans être prévenu. C'est assez irritant dans un premier temps,
on ne peut s'empêcher de penser que l'auteur se fiche de ses lecteurs
mais il finit par se dégager un certain charme de tout ça.
Balzic est un personnage entier qui se démène comme il peut
dans les décombres d'une ville moyenne de l'Amérique industrielle.
Ex-industrielle plutôt puisque les usines ont fermé les unes
après les autres, laissant la population sans repère. Balzic
a 64 ans et devrait atteindre la retraite à peu près en
même temps que Charles Resnick et Kurt Wallander.
Web. Je trouve à mon retour
un message de Bernardo Schiavetta, directeur de la revue Formules (revue
des littératures à contraintes) que j'ai déjà
côtoyé au séminaire Perec. Il me demande de faire
quelque chose pour sa revue dans la presse, à l'occasion de la
parution de son 6ème numéro qui coïncidera avec le
vingtième anniversaire de la mort de Perec. Je surmonte ma surprise
et lis son message jusqu'au bout : il me croit (pour quelle raison?) journaliste
au Nouvel Observateur ! Je lui réponds pour le détromper.
Bonne semaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°40 - 23 décembre 2001
DIMANCHE
(sainte Alice).
Caducée. Journée de
garde pour Caroline. J'entame vers 11 heures la rédaction des notules
auxquelles je ne mettrai un point final que dans la soirée. Entre
temps, les filles m'accaparent et mon père passe pour effectuer
quelques tâches de bricolage. Ce n'est pas qu'il soit plus doué
que moi, c'est de son adresse manuelle que j'ai hérité,
mais lui au moins il essaie.
Web. Schiavetta pense que j'ai un
homonyme au Nouvel Observateur. Ce sera à vérifier.
TV. Deuxième épisode
de Six Feet Under. On commence à accrocher.
LUNDI.
Courrier. Vœux de M., de Montréal.
Je joins à ma réponse quelques exemplaires des notules et
une proposition d'abonnement.
Courriel. Je reçois un mot
gentil de Bianca Lamblin. "...Vous étiez mon voisin lors du
denier séminaire..." Comme si je ne savais pas qui elle était
! (A la mort de ses parents, Georges Perec fut recueilli par ses oncle
et tante Bienenfeld et passa son enfance et son adolescence auprès
de ses cousines Ela et Bianca. Celles-ci sont donc aujourd'hui celles
qui ont le plus, sinon le mieux connu Perec).
Cinéma. Caroline va voir L'Emploi
du Temps de Laurent Cantet et ne semble pas le regretter.
TV. En quête des sœurs Papin
(Claude Ventura, France 2000).
Documentaire.
Le 2 février 1933, au Mans, les sœurs Papin, Christine et Léa,
employées comme bonnes dans la famille d'un avoué, assassinent
sauvagement leurs patronnes, Mme Lancelin et sa fille. L'aînée
sera condamnée à mort et Léa à dix ans de
travaux forcés.
Claude Ventura met en scène une enquêtrice qui revient sur
les lieux du drame, cherche des témoins, fouille dans les archives
pour essayer de comprendre le geste des sœurs Papin. Le cadre est parfait,
une ville de province, ses notables, ses secrets. L'enquête n'aboutira
à rien en ce qui concerne le mobile proprement dit. Tout juste
apprend-on que Lancelin, sous des dehors honorables, a été
mêlé à des scandales financiers. Dès lors,
on peut imaginer que Christine Papin, au courant, ait pu agresser sa patronne,
d'abord verbalement et que le pire en a découlé. Ventura
met en scène l'enquête comme un véritable polar :
ambiance pluvieuse, nocturne, salles d'archives glauques, registres moisis,
effets musicaux, zooms... On finit par avoir l'impression qu'on tourne
en rond, qu'on n'aboutira à rien quand, à la fin, tout s'accélère :
l'enquêtrice retrouve la trace de Léa Papin, que tout le
monde croyait morte depuis 1982 et qui vit à Nantes dans une maison
de santé, sourde et muette, les lèvres
définitivement scellées sur son passé...
MARDI.
Vie professionnelle. Journée
sans élèves au collège où le personnel, un
rien désabusé, est invité à débattre
de la énième réforme qui va lui être imposée.
Les râleurs râlent, les taiseux se taisent, l'essentiel est
de faire semblant de s'intéresser. Comme notre patron n'est pas
un stakhanoviste, ladite journée se termine à 13 heures.
Un repas commun est prévu dans une ferme-auberge des environs mais
personne n'a songé à m'y convier. Ça ne me rend pas
amer : j'ai tellement bien travaillé mon insignifiance que j'en
suis arrivé à devenir transparent.
Obituaire. Mort de Gilbert Bécaud.
"Gilbert Berger s'appelle Gilbert, en dépit de l'effet peu
euphonique produit par le redoublement du "ber", parce que ses
parents se rencontrèrent lors d'un récital que Gilbert Bécaud
- dont ils étaient tous deux fanatiques - donna en 1956 à
l'Empire et au cours duquel 87 fauteuils furent brisés."
Travaux. Les employés du gaz,
qui travaillent aux nouveaux branchements, quittent le chantier à
17 heures sans prévenir et sans remettre l'installation en service,
nous laissant sans chauffage. La nuit promet d'être fraîche,
la température extérieure est au-dessous de zéro.
Nous rapatrions des appareils soufflants de chez nos parents et emmitouflons
les filles.
TV. Hidden Agenda (Ken Loach, G.-B.,
1990 avec Brian Cox, Frances McDormand, Brad Dourif, Mai Zetterling, John
Benfield).
Belfast. Un avocat américain de la Ligue internationale pour les
droits civils est abattu par les forces de l'ordre. Peter Kerrigan, un
inspecteur venu de Londres, enquête, rencontre Ingrid, l'amie de
la victime, et découvre les vraies raisons - politiques bien sûr
- du meurtre.
Quand Ken Loach, le plus anti-britannique des cinéastes anglais,
se penche sur le problème irlandais, on se doute que ce n'est pas
pour ajouter des lauriers à la Couronne. Mais, contrairement à
ce qu'on pourrait craindre, le film n'est pas caricatural et n'élude
pas le côté fanatique de l'I.R.A.. Autre bonne surprise,
le rythme soutenu sur lequel est menée l'enquête de Kerrigan,
ce qui la rend passionnante à suivre. Malheureusement, les révélations
finales, livrées au cours de longs et pesants dialogues, sont bien
obscures : complot politique - pour renverser le gouvernement travailliste
de Wilson et installer Margaret Thatcher au pouvoir - espionnage, services
secrets, rumeurs... On n'y voit goutte. A noter la présence de
l'actrice américaine Frances McDormand, égérie des
frères Coen et épouse de l'un d'eux, vue récemment
dans The Barber (cf. notules n° 38).
MERCREDI.
Emplettes. J'utilise mon avoir de
fin d'année à Panorama 88 pour acquérir des usuels :
un dictionnaire des citations, un dictionnaire des acteurs, un dictionnaire
des réalisateurs.
Hibernatus. Les filles sont envoyées
dans des foyers aux températures plus clémentes. Pour ma
part, je passe l'après-midi à lire dans un sac de couchage.
L'architecte, venu pour la réunion de chantier hebdomadaire, pique
une colère noire devant notre situation frigorifique. Au téléphone,
l'abruti de G.D.F. qui bloque la procédure, un certain M. Messe,
lui annonce que la reprise du chantier ne se fera pas avant le 2 janvier.
L'architecte décide alors de lui rendre une visite de courtoisie.
Il évoque devant lui la réjouissante perspective d'une visite
d'huissier pour constater un abandon de chantier et l'obligation de nous
loger à l'hôtel, arguant du fait qu'on ne laisse pas "une
femme et deux enfants sans chauffage en plein hiver". Encore un effet
de ma transparence. Comme par miracle, les ouvriers reviennent dans l'après-midi,
font les branchements nécessaires et le chauffage est rétabli.
L'incident aura eu raison de mes dernières illusions concernant
le service public et je formule des vœux pour
que vienne le plus tôt possible le temps où G.D.F. sera soumis
à la concurrence privée.
Courrier. Je reçois le bulletin
annuel (n° 51) de la Société des Amis de Marcel Proust.
Courriel. Échange sur Cami
avec Y. qui essaie, d'abord en vain, de m'apprendre à faire un
C cédille majuscule sur le clavier.
TV. Les Blessures assassines
(Jean-Pierre Denis, France, 2000 avec Sylvie Testud, Julie-Marie Parmentier,
Isabelle Renauld, Dominique Labourier, Michael Abiteboul, François
Levantal, Jean-Gabriel Nordmann).
Adaptation de l'histoire des sœurs Papin (cf. supra).
Jusqu'à maintenant, que ce soit au théâtre avec Jean
Genet (Les Bonnes) ou au cinéma avec Claude Chabrol (La Cérémonie),
le massacre perpétré par Christine et Léa Papin avait
été vu sous son aspect social, voire marxiste : les employées
réglant leur compte à leurs patronnes. C'est d'ailleurs
sous cet angle qu'elles furent jugées et condamnées (un
procès d'une demi-journée !). Les experts avaient conclu
à la parfaite santé mentale des accusées et n'avaient
rien décelé d'anormal dans leurs relations.
Jean-Pierre Denis, lui, choisit d'évoquer ces zones d'ombre et
de faire une analyse psychanalytique des sœurs Papin : le père
absent, la mère volage, la sœur aînée qui a pris le
voile, les relations incestueuses. Il s'agit d'une interprétation,
un choix qui ne repose que sur la conviction de l'auteur car Christine
et Léa sont toujours restées muettes sur les motivations
de leur geste et les circonstances du drame. C'est là l'intérêt
du film, car si on se place d'un point de vue purement cinématographique,
que ce soit dans la mise en scène ou l'interprétation, le
film de Chabrol est cent fois supérieur à celui-ci.
Lecture. Quoi de neuf sur la guerre
? (Robert Bober, 1993, Folio Gallimard n° 2690).
La vie dans l'atelier d'un tailleur juif parisien en 1945-1946.
Robert Bober évoque, d'un manière à peine déguisée,
son enfance dans l'atelier de son père. Les personnages, qui prennent
tour à tour la parole, sont des survivants, des rescapés
de la Shoah : les patrons, Albert et Léa, leurs enfants, Raphaël
et Betty, les mécaniciens, le presseur, les finisseuses. Bober
montre comment la vie reprend peu à peu le dessus après
le traumatisme subi, parmi les ombres des absents. C'est parfois drôle,
toujours émouvant mais assez négligeable d'un point de vue
littéraire. (on songe au Sac de billes de Joseph Joffo, la sincérité
en plus).
L'auteur est plus convaincant dans une courte deuxième partie où
il décrit une cérémonie du souvenir au cimetière
de Bagneux au début des années 80, au moment où émerge
le Front National.
Perec, qui fut l'ami de Bober, avec qui il écrivit et réalisa
Récits d'Ellis Island, apparaît discrètement sous
les traits d'un camarade de Raphaël : "...qui s'appelle Georges.
Il a une manie, il fait des listes. Surtout des listes de films. A tout
le monde il demande des noms de films qu'on a vus et il les inscrit sur
des feuilles. Mais il recommence tout le temps parce qu'il les recopie
par ordre alphabétique et il y en a toujours de nouveaux alors
on retrouve des listes partout, dans les chambres, dans la tente ou dans
le parc du château."
JEUDI.
Courriel. Des nouvelles de F. et de
H.
Courrier. Je reçois la B.O.
de Mulholland Drive et une carte de vœux de C., qui passe son dernier
hiver au Lycée français de Vienne. J'envoie des coupures
à l'AGP (Télérama) et à Y. (Le Monde) ainsi
que ma réponse à C.
VENDREDI.
Téléphone. J'essaie
de joindre M. Messe à GDF pour lui présenter mes vœux mais
l'homme s'avère curieusement introuvable.
TV. La Dernière Marche
(Dead Man Walking, Tim Robbins, U.S.A., 1995 avec Susan Sarandon, Sean
Penn, Robert Prosky, Raymond J. Barry).
Louisiane. Matthew Poncelet, condamné à mort pour viol et
meurtre, vit ses derniers jours. La sœur Helen Prejean est son guide spirituel
jusqu'à son exécution.
Tim Robbins, acteur devenu réalisateur, présente un face
à face entre une ordure et une sainte. Poncelet est une petite
frappe sans envergure, qui a commis l'irréparable un soir de défonce.
Helen s'occupe des Noirs déshérités de son quartier.
Malgré ses efforts - révision du procès, appel auprès
du gouverneur - Poncelet sera exécuté. Mais avant cela,
il aura confessé ses crimes et sera devenu, aux dires de la sœur,
"un fils de Dieu." D'où un sentiment ambigu face à
cette adaptation de l'autobiographie de Helen Prejean : le film se situe
contre la peine de mort mais la sérénité ne revient
qu'une fois que Poncelet a disparu du monde des vivants. La dernière
image de Poncelet, les bras en croix sur la table d'exécution le
place au même niveau que ses victimes, retrouvées dans la
même position, et que le Christ. Dans le fond, c'est peut-être
par honnêteté que Tim Robbins se refuse à trancher
dans ce sujet difficile. Il ne condamne pas, par exemple, la réaction
des parents des victimes qui
réclament vengeance. Sean Penn et Susan Sarandon (Oscar) font preuve
de conviction dans leur interprétation.
SAMEDI.
Vie sociale. Nous passons la soirée
à Ludres, chez les G. Retour à 3 heures du matin, la neige
rend la route difficile.
Bonne semaine et bon Noël.
Notules
dominicales de culture domestique n°41 - 30 décembre 2001
DIMANCHE.
TV. Épisode 3 de Six Feet
Under. Chacun de ceux-ci s'ouvre sur une petite séquence qui
montre la mort d'une personne dont le corps va atterrir chez les Fisher
(la famille centrale de la série, qui possède un salon funéraire)
et qui est déjà en soi une petite merveille d'humour noir.
Mail. des nouvelles de J., de G.N.
guéri de ses virus.
Lecture. Un jumeau singulier
(Two Much, Donald Westlake, 1975, 1993 pour la traduction française,
traduit de l'américain par Claude Benoit, Rivages/Noir n°168).
Art Dodge fait la connaissance de deux sœurs jumelles, Liz et Betty, riches
héritières dont il convoite la fortune. Il séduit
Liz et s'invente un frère jumeau, Bart, qui part à la conquête
de Betty.
C'est un Westlake jubilatoire, qui a déjà donné lieu
à deux adaptations cinématographiques plutôt décevantes
(Le Jumeau, d'Yves Robert avec Pierre Richard et Two Much, de Fernando
Trueba). On y voit clairement l'influence de P.G. Wodehouse. Art Dodge
est un héritier de Bertie Wooster, le narrateur-héros de
la série des Jeeves. Comme lui, il a le chic pour se fourrer dans
des aventures impossibles, se mettre tout le monde à dos et s'en
sortir au mépris de toute moralité. C'est très drôle,
très réussi, comme à peu près tout ce que
fait Westlake.
LUNDI.
Mail. J'annonce sur [listeperec] une
émission radiophonique consacrée au livre Mode et contre-mode,
une anthologie de Montaigne à Perec.
Vœux d'A.
Nativité. Nous passons la soirée
chez les parents de Caroline. Je reçois 1650 pages de Kafka (journaux
et lettres), ce qui devrait me faire tenir tranquille pendant un moment.
MARDI.
Nativité. Un vrai Noël
de carte postale. la dernière fois que j'ai vu un Noël sous
la neige, c'était dans La Vie est belle, de Frank Capra...
Nous passons la journée chez mes parents. Leurs sept petits-enfants
présents ont tôt fait de transformer leur maison en cour
du roi Pétaud.
Mail. Vœux des E., d'O.
MERCREDI.
Jack London. Je prends le premier
bus pour la ville, qui ne passe qu'à 9 heures 17 à cause
des rues enneigées. L'imprimeur est fermé, le marchand de
fournitures de bureau est inondé, le PMU est en panne, fiasco total.
En plus, je dois rentrer à pied faute de bus.
Presse. Télérama publie
son palmarès des 10 meilleurs films de l'année. Logiquement,
les lecteurs plébiscitent Amélie Poulain et les critiques
Mulholland Drive, que j'aurais placé en tête si je l'avais
vu à temps (mais mon premier choix, Le Cercle est également
cité) ainsi que des films surestimés à mon goût
comme Va savoir, Je rentre à la maison et L'Anglaise et le Duc.
TV. Erin Brockowich, seule contre
tous (Erin Brockowich, Steven Soderbergh, U.S.A., 2000 avec Julia Roberts,
Albert Finney, Aaron Eckhart, Cherry Jones, Marg Helgenberger, Peter Coyote).
Los Angeles. L'alerte Erin élève seule ses trois enfants.
Elle réussit à se faire embaucher dans le cabinet de l'avocat
Ed Masry. Elle découvre une affaire de pollution industrielle qui
va la mener à se battre contre une grosse société.
Ça ressemble à une fable, mais c'est paraît-il une
histoire vraie. David contre Goliath, une petite sœur des pauvres en croisade
contre les puissants. Une pauvre mère de famille qui n'y connaît
rien en droit mais qui, au culot, entre au service d'un avocat, qu'elle
finit par mener par le bout du nez. Et qui, malgré ses difficultés
financières, possède une garde-robe impressionnante, composée
de morceaux d'étoffe légère ajustés, propres
à mettre en valeur les roberts de la môme Julia.
Et alors ? Mieux vaudra toujours un film à la gloire de Julia Roberts
qu'un film à la gloire de Chuck Norris. Et quand ce film est confié
à quelqu'un qui n'est pas trop maladroit avec une caméra,
ça donne un résultat tout à fait honnête. Soderbergh
est le genre de cinéaste qui a plusieurs cordes à son arc,
qui sait être personnel (Traffic) ou se mettre au service d'une
star (Roberts ici, George Clooney dans Hors d'atteinte ou Terence Stamp
dans L'Anglais), un peu comme Barbet Schroeder. Il sait en outre très
bien filmer le désert californien, comme il le confirmera plus
tard dans Traffic.
JEUDI.
Sports d'hiver. Séance de luge
sur le talus du jardin avec Lucie.
Vacances. Premières démarches
pour retenir un gîte estival. La contrainte qui régit notre
choix de villégiature est celle-ci : il s'agit de trouver un département
que nous serions totalement incapables de situer sur une carte de France.
L'été dernier,ce fut la Creuse, l'été
prochain ce sera l'Eure.
Courrier. J'envoie des coupures à
l'AGP (revue Mouvements, Télérama), à Y. (Le Figaro
Littéraire), à H. et X. (La Liberté de l'Est), à
J. (Le Figaro), des vœux à I., aux M., aux N., et renouvelle mes
adhésions au Collège de 'Pataphysique, à la Société
des Amis de Marcel Proust et mes abonnements aux revues Temps Noir et
Histoires littéraires, histoire de liquider mes derniers chèques
en francs.
TV. Les Mains d'Orlac (Mad Love, Karl
Freund, U.S.A., 1935 avec Peter Lorre, Frances Drake, Colin Clive, Ted
Healy, Edward Brophy).
Paris. Le Dr Gogol est amoureux d'Yvonne Orlac, une comédienne
mariée à un pianiste. Lorsque celui-ci a les mains broyées
dans un accident, Gogol accepte de lui greffer celles d'un assassin qu'on
vient de guillotiner.
Avant de passer à la réalisation, Karl Freund fut un chef-opérateur
de renom, qui travailla entre autres sur le Métropolis de Fritz
Lang. Il n'est donc pas surprenant qu'on retrouve dans Orlac les caractéristiques
de l'expressionnisme allemand, avec un noir et blanc très stylisé,
des jeux sur les ombres (l'apparition de Gogol dans sa loge de théâtre,
le visage symétriquement partagé entre ombre et lumière
symbolisant sa double personnalité), les reflets. Sans compter
la présence de l'inquiétant Peter Lorre, ex-M. le Maudit,
et Colin Clive,
ex-Frankenstein. Il y a d'ailleurs une part de Frankenstein dans cette
histoire (tirée d'un roman de Maurice Renard, pape de le science-fiction
française) puisque Gogol, rien qu'en lui greffant de nouvelles
mains, a créé un Orlac qui ne ressemble pas à celui
d'avant l'accident. Parallèlement, le film revisite aussi le mythe
de Pygmalion avec la présence d'une statue d'Yvonne que Gogol essaie
de rendre vivante.
Les Mains d'Orlac est devenu un classique, qui a donné lieu
à un remake en 1960 et dont on retrouve aussi la trace dans Les
Yeux sans visage de Georges Franju.
VENDREDI.
Cinéma (ciné-junior).
Noiraud porte-malheur (Bad Luck Blackie, Tex Avery, U.S.A., 1949).
Un petit chat, souffre-douleur d'un énorme chien, bénéficie
de l'assistance d'un de ses congénères.
Celui-ci lui offre un sifflet. Dès que le petit est menacé,
il siffle, le chat noir apparaît et le chien reçoit quelque
chose sur la tête : d'abord un pot de fleurs, puis des briques,
quatre fers à cheval suivis de leur propriétaire, jusqu'à
un rouleau-compresseur, un avion, un paquebot...
C'est du grand art.
La Souris du Père Noël (Vincent Monluc, France, 1991).
Deux souris aident le Père Noël à livrer un cheval
à bascule au petit Hans Petersen.
Un dessin animé (au crayon), bien dosé dans l'émotion,
au service d'une histoire belle et simple.
Courrier. Je reçois les voeux
d'I. et trie tout le courrier administratif de l'année.
Cinéma. Mariage tardif (Hatouna
mehuheret, Dover Kosashvili, Israël, 2001 avec Lior Askhenazi, Ronit
Elkabetz, Moni Moshonov, Lili Kosashvili, Aya Steinovitz Lair).
Tel-Aviv. A 31 ans, Zaza n'est pas encore marié, ce qui cause le
désespoir de ses parents. Alors que ceux-ci s'entêtent à
essayer de le caser, il file le parfait amour avec une divorcée
marocaine.
Pour son premier film, Dover Kosashvili a essayé de jouer sur trois
tableaux. Il veut faire rire devant les vains efforts de la famille de
Zaza, faire réfléchir en montrant l'intolérance de
la famille juive traditionnelle, et émouvoir devant la situation
de Judith, divorcée, mère célibataire ET arabe. Total,
il échoue sur les trois niveaux, en effleurant chacun d'eux sans
l'approfondir. Des séquences trop longues (l'étreinte interminable
entre Zaza et Judith), des redites, mêlées à une interprétation
médiocre rendent le tout plutôt pesant à suivre.
Lecture. La Lutte avec l'Ange
(Jean-Paul Kauffmann, La Table Ronde, 2001).
Enquête.
La Lutte avec l'Ange est une peinture murale qui orne une chapelle de
l'église Saint-Sulpice, à Paris. Eugène Delacroix
y a consacré plusieurs des dernières années de sa
vie, luttant lui-même contre la muraille qui absorbait sa peinture,
s'interrompant longuement, revenant sans cesse à sa tâche.
Jean-Paul Kauffmann a essayé de percer le mystère de cette
peinture, savoir pourquoi Delacroix s'était intéressé
à cet épisode biblique, déterminer le sens caché
de son oeuvre. Pour cela, il a longuement fréquenté Saint-Sulpice,
en réalité et dans la littérature, y découvrant
des choses aussi improbables que des appartements, des ateliers... Il
s'est aussi plongé dans la vie de Delacroix, visitant ses écrits,
sa correspondance, ainsi que les lieux où il a vécu. A partir
de ces éléments, Kauffmann avance plusieurs interprétations
possibles, se livre à l'exégèse de l'Écriture,
disserte sur la perte de la foi, le délabrement de la
religion et de ses édifices. C'est très brillant, jamais
ennuyeux, parfois passionnant.
Mais il y a plus à mes yeux. Kauffmann montre, et pour moi confirme,
que si l'on prend la peine de s'atteler à l'étude d'une
oeuvre (un tableau, un livre) et à ce qui l'attache à son
auteur, on se livre à une quête formidable, on voyage, on
découvre, on se perd, on se décourage, on rebondit, ce que
je n'ai jamais cessé de faire depuis des années entre Ulysse,
La Vie mode d'emploi et la Recherche.
Citation. "Je me souviens du jour où tout a commencé.
Nous étions assis à la terrasse du Café de la Mairie,
place Saint-Sulpice. Je l'écoutais discourir sur le texte de Georges
Perec, Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, paru quelques
années plus tôt."
SAMEDI.
Mail. Maintenant que je maîtrise
le Ç, Y. s'emploie à m'apprendre à faire des œ.
Le peuple migrateur. Déferlante
d'anciens spinaliens, retour au bercail pour les Fêtes. L'après-midi,
X. (miraculé de la transplantation hépatique) et S. (désireuse
de mettre un visage sur les notules) nous arrivent de Montréal.
Le soir, nous dînons avec F. et F. en provenance de Clichy.
Bonne fin d'année.
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