Notules
dominicales de culture domestique n°1 - 11 mars 2001
Non diffusé.
Notules
dominicales de culture domestique n°2 - 18 mars 2001
Ca y est,
le nucleus familial est reconstitué, fin de la semaine horribilis.
Le médecin a donné son nihil obstat (je mets un peu de latin,
c'est dimanche) hier matin et nous avons pu rentrer avec Alice hier soir
vers 20 heures, pas fâchés de voir le bout de cette période
inquiétante et épuisante. Tant pis pour Perec, il y avait
en plus des perturbations sur la ligne Paris-Strasbourg dues à
une grève des contrôleurs. Je me faisais une joie de voir,
enfin, le film Récits d'Ellis Island qui était diffusé
hier soir au Forum des Images et d'assister au colloque dominical au Musée
d'Art et d'Histoire du Judaïsme...
Les Blessures assassines. J'avais
vu le film de Chabrol au moment de sa sortie en 95 ou 96, mais à
l'époque je ne savais pas que c'était tiré de l'histoire
des sœurs Papin. D'ailleurs, dans le film, Huppert et Bonnaire ne sont
pas sœurs et seule Bonnaire est embauchée comme bonne. En tout
cas, c'est, à mes yeux, le dernier grand Chabrol. Je ne prenais
pas à l'époque de notes sur les films que je voyais mais
je me souviens de la férocité de la description de la famille
bourgeoise -férocité qui traverse toute l'œuvre de Chabrol-
en passe d'être trucidée. En décembre 1979, c'est
dire si ça nous rajeunit, j'avais lu Les Bonnes, la pièce
que Jean Genet avait tirée du fait divers, sans l'apprécier.
J'aimerais bien, maintenant que je suis plus mûr, m'attaquer de
nouveau à Genet, notamment à ses écrits autobiographiques
(Journal du voleur, je crois), mon père m'en parle souvent, c'est
un de ses écrivains de chevet.
Le Meurtre au soleil que tu es en train de lire doit être
de K.C. Constantine, un auteur que j'ai découvert cet hiver et
que j'ai beaucoup apprécié, au point que je cherche à
me procurer, ce qui n'est pas facile, d'autres aventures mettant en scène
le personnage de Mario Balzic. Mais méfiance : j'avais eu
le tort de faire part à Rémi de mon enthousiasme, il acheta,
il lut ... et il n'apprécia pas outre mesure.
Passons aux Chroniques cinématographiques.
Vu Samia, de Philippe Faucon, l'histoire d'une jeune beurette à
Marseille. Son père est hospitalisé et son frère
aîné veut imposer son autorité sur la famille, sur
ses sœurs qui veulent vivre à l'européenne. Le cadre géographique
et social évoque Guédiguian mais contrairement à
ce dernier dans La ville est tranquille, Faucon n'a pas voulu d'une histoire
surscénarisée, se contente d'une chronique quotidienne,
de quelques épisodes banals de la vie de Samia qui prennent valeur
d'exemples. Il y là-dedans un personnage, celui du grand frère,
inoubliable : c'est un tel connard, bête, brutal, qu'il justifie
à lui seul le racisme qui rampe en chacun de nous...
Après ça, comme je te l'avais dit, je suis allé voir
L'Exorciste, qui ressort dans une version quelque peu différente
de celle d'origine, ce qui ne m'a pas sauté aux yeux puisque je
n'avais jamais vu le film, même à la télévision.
Première surprise, une salle (la plus grande du Palace) bondée
et très jeune (ce qui, en tant que vieux con en devenir, ne me
plaît guère; j'aime mieux les vieux schnoques qui regardent
les films sans éprouver le besoin de raconter leur vie à
leur voisin(e) entre deux plans).
Deuxième surprise, le film, qui date de 1973, n'a pas vieilli et
fait preuve d'une efficacité, c'est le mot, redoutable. Depuis,
le genre a dû, pour se renouveler, soit faire dans la surenchère
(série des Freddy), soit ajouter une dose de second degré
(série des Scream). Un film comme Sixième sens doit,
je m'en suis rendu compte, beaucoup à L'Exorciste dans sa
thématique (un adulte essaie de venir en aide à un enfant
doté d'étranges pouvoirs), dans sa façon de traiter
l'environnement familial (les proches sont impuissants, ne comprennent
pas) et géographique (une petite ville, un intérieur domestique
étouffant et inquiétant). Il y a dans cette nouvelle version
une scène ajoutée, dite "marche de l'araignée"
proprement sidérante qui vaudrait presque le déplacement
à elle seule.
A la télévision, vu Peau d'homme, cœur de bête d'Hélène
Angel (1999), sorte de western (le titre évoque le Chasseur blanc,
cœur noir d'Eastwood) bas-alpin dans lequel trois frères retournent
dans le foyer maternel et sèment la violence autour d'eux. Très
belle photo, c'est filmé comme un western je l'ai déjà
noté, bonne interprétation (Serge Riaboukine) , univers
à la Jim Thompson, à la Steinbeck (un frère tue son
frère, pardon pour la formulation, pour l'empêcher de nuire
comme George tue Lennie à la fin de Des Souris et des Hommes),
manquant peut-être un peu de nuances.
Je t'avais laissé dimanche dernier sur un polar anglais, suivi
d'un polar suisse. J'ai poursuivi mon tour d'Europe de la littérature
policière avec La forme de l'eau, d'Andrea Camilleri, auteur
italien ou plutôt sicilien, qui met en scène le commissaire
Montalbano, un personnage très ancré dans sa ville, comme
le Montale d'Izzo, mais dont la façon d'agir, de foncer, fait plutôt
penser à Maigret (celui des livres, du moins des premières
aventures que j'ai lues, pas le monument marmoréen de la télévision).
L'histoire est menée de façon très nerveuse, très
rythmée, sans qu'il y ait de description par exemple. Pas désagréable,
de là à justifier les dithyrambes critiques qui ont accueilli
la chose...
Terminé Ingrid Caven, de Jean-Jacques Schuhl, couronné
par le Prix Goncourt, dont les jurés ont voulu semble-t-il faire
preuve d'audace, rompre avec l'ordinaire fictionnel.
L'ouvrage n'en méritait peut-être pas tant, les "audaces"
stylistiques de Schuhl (narration décousue, flou entourant l'identité
des personnages) paraissant bien fades.
Le film hollywoodien classique, de Jacqueline Nacache, destiné
à cultiver ma connaissance cinématographique. Harry Potter
à l'école des sorciers, de J.K. Rowling, qui, si on fait
abstraction du phénomène éditorial et publicitaire,
est loin d'être une lecture désagréable. Le volet
aventure est plutôt décevant mais la description du monde
dans lequel évolue Harry (l'école des sorciers dont il est
question dans le titre) est intéressante, parfois drôle et
riche en trouvailles originales. En fait, dans ce premier volet, l'auteur
met en place son décor, ses personnages (ils sont stéréotypés
mais on ne les oubliera pas, c'est fait pour), en vue des aventures qui
vont suivre. C'est un véritable plan marketing, en fait, mais ça
marche.
Bon, je te laisse, en te souhaitant un bon dimanche. Le nôtre devrait
être plus paisible que le précédent.
Notules
dominicales de culture domestique n°3 - 25 mars 2001
Semaine cinématographiquement
très riche avec pour commencer le meilleur film que j'aie vu depuis
mon retour dans les salles obscures : Le Cercle, de Jafar Panahi.
J'y étais allé sans gaîté de cœur, plutôt
par obligation cinéphilique que par plaisir : un film sur la condition
féminine en Iran, il y a des intitulés plus alléchants.
Eh bien je n'ai pas eu à regretter mon déplacement. A Téhéran,
trois femmes sortent de prison et essaient de regagner leur village. La
caméra portée, façon reportage, suit l'une d'elles,
Nargess, pas à pas jusqu'à ce qu'elle rencontre une autre
femme que la caméra va suivre à son tour et ainsi de suite
jusqu'à ce que la dernière femme soit jetée en prison.
Dans la cellule, on devine le visage de
Nargess, à nouveau arrêtée : la boucle est bouclée,
le cercle peut se refermer. Cette caméra-crampon fait penser à
celle des Dardenne qui ne lâchait pas Rosetta d'une semelle. Pardon
pour la référence. Au cours de la narration très
fluide, le réalisateur va nous montrer quelques aspects de la vie
des femmes en Iran. C'est bien sûr le propos du film mais il évite
tout aspect démonstratif . Ce n'est qu'incidemment qu'on découvre
que les femmes n'ont pas le droit de fumer dans la rue, de prendre le
bus seules, d'entrer dans un hôpital sans tchador, de monter en
auto avec un homme...Quant à avorter, n'en parlons pas. Si les
réalisations d'Abbas Kiarostami ou des Makhmalbaf, dont je n'ai
vu aucun film, sont de ce niveau, on s'étonne moins du fait que
le cinéma iranien rafle autant de prix dans les festivals européens
(Le Cercle a obtenu le Lion d'Or à la dernière Mostra de
Venise).
Mademoiselle, de Philippe Lioret, autre plaisir de la semaine.
Sandrine Bonnaire est ma Binoche à moi (à ce propos, ça
m'étonne que tu ne m'aies pas encore parlé de Chocolat).
Ici, elle est mariée, deux enfants, et se faire appeler "Mademoiselle"
par un garçon de café amène le sourire sur son visage.
Et le sourire de Bonnaire, qui apparaît plusieurs fois, c'est quelque
chose de merveilleux, qui éclaire un film d'une façon inégalable.
Face à elle, Jacques Gamblin, qui joue un comédien improvisateur
avec lequel elle va connaître une brève histoire d'amour,
en fait peut-être un peu trop dans le genre bohème-mal rasé-poète...N'importe,
on a ici affaire à une comédie légère, brillante,
qui évite intelligemment quelques écueils : les mots d'auteur
et surtout le parallèle entre la vie domestique de Claire et son
aventure. En effet, sa famille reste toujours hors-champ, ce qui supprime
les parallèles faciles entre le mari qu'on imagine expert-comptable
par exemple, la maison bourgeoise d'un côté et l'amant aux
semelles de vent de l'autre, tels qu'on a pu les voir récemment
dans Le Bleu des villes de Stéphane Brizé ou Rien
à faire de Marion Vernoux. Philippe Lioret manie habilement l'ironie
en situant son idylle... au Campanile de Feyzin ! Il parvient même
à filmer de façon poétique les lumières nocturnes
des raffineries...
Légère déception en revanche face à Sous
le sable, de François Ozon. Je crois que j'avais lu trop de
critiques flatteuses sur ce film. Comme toi vis-à-vis de Traffic,
j'ai plus été déçu de mon manque d'enthousiasme
que du film lui-même. Là aussi, les conditions y sont pour
beaucoup : j'étais crevé, n'avais pas vraiment envie de
sortir ce dernier vendredi mais tenais absolument à voir le film
avant l'opération Le Printemps du Cinéma, synonyme d'affluence
dérangeante, ne sachant s'il serait encore à l'affiche la
semaine prochaine. Pourquoi cette légère déception
? On ne peut guère en vouloir à Ozon de livrer un film vide
puisque c'est le vide, l'absence, qui en est le thème. Ni, pour
la même raison, de négliger le suspense (Jean est-il vivant
? s'est-il suicidé?). Mais j'aurais aimé que la vie de Marie
prenne un véritable tournant, alors qu'elle ne fait qu'effleurer
quelques pistes : la folie; la consolation dans les bras d'un autre homme
qui " ne fait pas le poids", et c'est bien vrai; l'errance ,
la dégringolade. Il y a une amorce de tournant quand Marie se met
à divaguer dans la ville -une scène dans un restaurant rapide
où elle est totalement déplacée- qui fait penser
que sa vie pourrait alors basculer comme celle de Sue perdue dans Manhattan
d'Amos Kollek, mais non. Peut-être, c'est en tout cas la thèse
du critique des Cahiers du Cinéma,que la vie de Marie ne change
pas vraiment parce qu'elle est aussi soumise à son mari mort qu'elle
l'était lorsqu'il était vivant. Ces réserves mises
à part , il reste la belle composition de Charlotte Rampling bien
sûr, la présence minérale de Bruno Cremer, la composition
picturale des plans sur la plage de Lit-et-Mixte, sable blond, mer grise,
robe rouge, serviettes rouge et turquoise. Et la littérature :
tu n'auras pas été insensible à la citation des Vagues
de Virginia Woolf; j'ai noté pour ma part que Marie lisait sur
la plage Le Lys dans la Vallée, de Balzac, un roman dans lequel
Mme de Mortsauf, dans une lettre à Félix de Vandenesse,
avoue que sa vie "est dominée par un fantôme".
A la télévision, j'ai été déçu
de découvrir Manhattan à la télévision
justement. L'univers urbain filmé en noir et blanc est totalement
gâché par l'étroitesse du petit écran. Il
reste la musique de Gershwin et le propos d'Allen, formidablement narcissique.
Quant à La Vie moderne, de Laurence Ferreira Barbosa, avec Isabelle
Huppert (1999), disons pour rester perecquien que je n'en ai pas trouvé
le mode d'emploi.
J'ai eu un mal fou à venir à bout de la lecture du Murmure
des loups de Serge Brussolo, un auteur polygraphe qui fait dans la
science-fiction , dans le polar, dans tout ce qu'on veut. Ici, il s'est
mis en tête d'inquiéter son lecteur et ne lésine pas
sur les effets : ambiance nocturne, glauque, humide; présence d'ordures,
de rats, de sueur, de personnages inquiétants, d'onirisme... L'accumulation
d'effets noie l'effet. C'est ce que je me disais en sortant de L'Exorciste
: tout est dans le dosage. Dans ce film, comme dans toutes les grandes
réussites du genre (Shining de Kubrick, Psychose d'Hitchcock),
il y a à tout casser quatre ou cinq scènes-choc, pas plus,
ça suffit.
Bartleby, une nouvelle d'Herman Melville que j'ai lue d'abord dans
le cadre de ma formation perecquienne. Bartleby est en effet la moitié
du Bartlebooth de La Vie mode d'Emploi (dont la seconde est le
Barnabooth de Valéry Larbaud). Un homme de loi de Wall Street engage
comme copiste un jeune homme pâle et mystérieux, Bartleby,
qui refuse de lui obéir. Le "I would prefer not to..."
que Bartleby oppose à chaque demande de son patron est une curiosité
universellement connue, avant tout parce qu'elle n'a rien perdu de son
mystère. D'où vient Bartleby ? A quoi pense-t-il lorsqu'il
passe des heures entières à contempler le mur de briques
qui constitue son horizon ?
Pourquoi refuse-t-il de sortir ? de travailler ? Pourquoi se laisse-t-il
mourir de faim ? Melville ne donne aucune réponse, et son récit
a donné lieu à des exégèses multiples.
On peut le voir comme une préfiguration du théâtre
de l'absurde à venir (on pense à Ionesco), une histoire
comique, une fable philosophique...Un siècle et demi après
sa
création, Bartleby garde tout son mystère, Melville a réussi
son coup. J'ai été regarder à la Bibliothèque
Municipale : incroyable ce qu'on a pu écrire sur ces 60 pages...
Appris dans Le Monde de mercredi la mort de John Phillips, le fondateur
des Mamas And The Papas. Leur musique est pour moi indissociable
de la journée du 14 juillet 1999 que nous passâmes ensemble
chez Nanou (veau Strogonoff) et au cours de laquelle nous écoutâmes
leur best of. J'ai acheté le disque depuis pour garder cette
journée en mémoire.
Alice est encore interdite de crèche la semaine prochaine, la pédiatre
qui l' a vue vendredi l'a trouvée très affaiblie mais elle
récupère lentement. Quelques rayons de soleil m'ont valu
de reprendre mes activités jardinières. Encore quelque chose
de plus à loger dans un emploi du temps assez chargé. Je
redoute plus que je ne souhaite les vacances car, je ne te l'apprends
pas, le métier d'homme ou de femme au foyer n'est pas de tout repos.
Quand je pense qu'il y en a qui prennent des congés parentaux en
disant qu'ils vont en profiter pour préparer le CAPES ou je ne
sais quoi...Je n'affectionne pas particulièrement mon métier
mais il y a des jours où je suis soulagé d'y aller. Heureusement,
nous partons une semaine à Cannes, ça fera un agréable
changement.
Bon dimanche.
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