Notules
dominicales de culture domestique n°29 - 7 octobre 2001
DIMANCHE.
Santé. Je prépare, le
cœur au bord des lèvres, des poivrons farcis auxquels personne
ne touche : la gastro-entérite qui déferle sur notre
foyer ne s'accompagne pas d'un appétit féroce. Mon médecin
de frère qui est de passage en fin de journée regrette de
n'avoir pas pris sa sacoche : quatre visites à domicile un
dimanche auraient certainement beurré ses épinards. Je récupère
des forces dans l'après-midi et vais travailler dans le jardin :
bêchage d'automne, exhumation des betteraves et des navets.
Courrier. Je mets sous enveloppe des
prospectus trouvés dans la boîte à lettres pour les
renvoyer sans timbre à leurs expéditeurs (Lidl, E. Leclerc...)
TV. Rushmore (Wes Anderson, U.S.A.,
1998 avec Jason Schwartzman, Bill Murray, Olivia Williams, Brian Cox,
Seymour Cassel).
Rushmore est le nom d'un collège où sévit le jeune
Max Fisher, cancre peut-être, mais terriblement attachant.
Le film de collège est une spécialité américaine
plutôt horripilante. Celui-ci se situe plutôt en marge du
genre avec un héros atypique dans son physique comme dans son comportement.
Le film épouse la nonchalance des belles ballades qui occupent
sa bande son (Lennon ?, Cat Stevens ?). C'est tout ce que je
peux en dire : on s'endort et on se réveille dans une douceur
parfaite.
LUNDI.
Lecture. Histoires littéraires
(Revue trimestrielle consacrée à la littérature française
des XIX° et XX° siècles, n° 5, Janvier-février-mars
2001, Du Lérot éditeur).
Le premier dossier est consacré à un événement
aujourd'hui totalement oublié et qui aurait peut-être mérité
d'être répété de temps à autre : le
Salon Poil et Plume, en 1909. Il s'agissait d'une exposition d'œuvres
peintes ou sculptées réalisées par des écrivains
alors reconnus. Il faut lire les lettres de ces auteurs, pour la plupart
oubliés depuis, qui réclament la plus grande considération
pour leurs réalisations et les estiment dignes des plus grands
musées. La modestie a rarement fait partie de la panoplie des gens
de lettres (c'est Kundera dans L'Art du roman qui parle de la musique
de la phrase de l'auteur interviewé : "Comme je le dis dans
mon livre...") mais là on atteint des sommets.
Il est ensuite question de manuscrits de Cendrars, de lettres de Mallarmé,
de Nerval, de Barbey d'Aurevilly. Un article assez virulent s'en prend
à la qualité de poète résistant accordée
à Robert Desnos.
Enfin, comme d'habitude, l'actualité des bulletins et revues d'associations
d'amis d'écrivains, et les chroniques acides sur les livres reçus.
Dans l'une d'elles consacrée à Jules Verne écrivain,
il est question d'un certain Piero Gondolo della Riva, un des "bons
connaisseurs de l'univers vernien". L'ancêtre du Pierre de
Gondol de Jean-Bernard Pouy ?
Lecture, bis. Les lettres mauves
(Lawrence Block, Seuil Policiers 2001).
Le titre original, The Burglar in the Rye, fait référence
à Salinger. Ici aussi il est question d'un auteur qui cultive et
fuit la renommée après avoir écrit un livre majeur
devenu objet de culte. Une de ses anciennes conquêtes demande à
Bernie Rhodenbarr, le libraire-cambrioleur, de voler les lettres de cet
auteur, détenues par un agent littéraire qui veut les faire
publier.
Les histoires mettant en scène Rhodenbarr sont maintenant sans
surprise : un cambriolage qui ne se déroule pas comme prévu,
Rhodenbarr obligé de démêler une énigme à
laquelle il met fin en réunissant tous les protagonistes de l'histoire
pour une explication finale très agathachristienne. Avant cela,
on a des aperçus de sa vie de libraire, de sa vie de cambrioleur
peu conformiste ou scrupuleux, des entretiens toujours à la limite
de l'absurde avec son amie lesbienne Carolyn, toiletteuse pour chiens.
On trouve aussi un revenant en la personne de Marty Gilmartin qui apparaissait
dans Le Blues du libraire. Même si on est content d'évoluer
en pays de connaissance, même si le métier de Lawrence Block
fait merveille, on se surprend parfois à penser que la série
ronronne un peu.
MARDI.
Mail. Échange avec A. sur Alexakis,
avec G.N. sur Fallet.
Vie associative. Assemblée
Générale de La Boîte à Films au cinéma
Palace. C'est ma première participation, je salue quelques connaissances
(le directeur du Palace, le journaliste local qui couvre l'événement
et qui fut un assidu des concerts de Garlamb'Hic, un couple de bibliothécaires)
et vais m'asseoir à ma place favorite : derrière tout
le monde et à côté de personne. Je file au moment
où il est question de boire un coup.
Lecture. Nul n'est à l'abri
du succès (Pascal Garnier, Zulma collection Quatre-bis, 2000).
Pascal Garnier, découvert en 1996 avec La solution esquimau est
une des plumes les plus intéressantes du polar francophone. Après
l'alcoolique des Insulaires, il présente ici un autre personnage
fort attaché à son autodestruction. Jean-François
Colombier est écrivain et s'il a échoué dans sa vie
sentimentale et familiale, il a rencontré le succès en remportant
un prix convoité. Peu après, il tombe sur une jeune femme
résolue à faire son bonheur. Mais le bonheur, ce n'est pas
ce qui lui convient : il s'enfuit, retrouve un fils qu'il ne voit jamais
et part avec lui à Lille où il se trouve impliqué
dans une histoire impossible.
Pascal Garnier manie bien les mots, trouve des formules qui sonnent bien
même s'il use et abuse du chiasme ("car quand on a trop peur
de mourir, on finit par mourir de peur") et commet ou laisse passer
des fautes ennuyeuses : Vitali au lieu de Vitalis (le personnage de Sans
famille), Tépaz au lieu de Teppaz (l'électrophone),
night-cluber au lieu de night-clubber.
MERCREDI.
Mail. N. m'annonce son arrivée
sur la Toile et quitte donc les notules papier pour leur version électronique.
Littérature. J'écris
une nouvelle en deux lignes.
Cinéma. Chaos (Coline
Serreau, France, 2001 avec Catherine Frot, Vincent Lindon, Rachida Brakni,
Aurélien Wiik, Ivan Franek, Michel Lagueyrie, Wojtek Pszoniak,
Line Renaud, Chloé Lambert, Marie Denarnaud).
Malika, une prostituée, est tabassée par trois malfrats
dans la rue. Paul et Hélène, dans leur voiture, assistent
à la scène sans intervenir. Rongée de remords, Hélène
décide de s'occuper de Malika à l'hôpital.
Coline Serreau nous livre un film sur trois niveaux : une partie polar,
une partie sociologique, une partie comédie traditionnelle. Heureusement
qu'il y a cette dernière, même si elle est sans surprise,
pour rendre le film regardable. Pour s'occuper de Malika, Hélène
abandonne le domicile conjugal, laissant Paul à ses doutes, à
son lave-linge qu'il ne sait pas faire marcher, à ses costumes
qu'il ne sait pas repasser. Frot et Lindon s'acquittent de leur tâche
(ils avaient déjà des rapports de couple orageux dans Mercredi,
folle journée de Pascal Thomas) avec conscience, ça fonctionne
bien.
L'enquête policière, qui mène au démantèlement
d'un réseau de proxénétisme, est une caricature,
avec des personnages de malfrats surtypés. Mais c'est l'aspect
sociologique qui est franchement indigne. Dans un long flash-back, Malika
raconte en voix off son parcours à Hélène. Son père
voulant la marier contre de l'argent en Algérie, elle s'est enfuie,
est tombée dans la prostitution. Mais elle en avait dans le citron,
Malika. Elle s'est mise à s'intéresser à la finance
et à boursicoter sur Internet (le plan qui la montre sur le trottoir
attendant le micheton en lisant je ne sais plus quel canard financier
est un régal). Elle finit par devenir pute de haut-vol dans un
palace de Genève et par sauver sa petite soeur à qui son
père réserve le même sort qu'à elle parce que,
n'est-ce pas, ils ont ça dans le sang. Là, c'est absolument
pitoyable, invraisemblable, boursouflé, un véritable catalogue
de poncifs. Dommage parce que Coline Serreau avait su auparavant faire
preuve de plus de subtilité que dans ce film bancal et raté.
JEUDI.
Courrier. Longue lettre de B.G., de
l'Aveyron et un abonnement aux notules papier à la clé.
Je lui réponds, et envoie des photocopies d'Alexakis à l'AGP.
TV. Retour à Marseille
(René Allio, France, 1980 avec Raf Vallone, Andréa Ferréol,
Jean Maurel, Paul Allio, Ariane Ascaride).
Michel qui a fait fortune en Italie, revient à Marseille pour l'enterrement
d'une vieille tante. Son neveu, le Minot, lui pique sa voiture. Michel
se lance à sa recherche et finit par apprendre que la voiture et
le pistolet qu'elle contient doivent être utilisés pour faire
un casse dans un entrepôt.
Le film raconte les efforts que fait Michel pour essayer d'empêcher
le Minot de commettre l'irréparable. Il est d'autant plus motivé
que ses affaires à lui, dans lesquelles les policiers risquent
de mettre le nez s'ils retrouvent la voiture avant lui, ne sont pas très
nettes. Le Minot et sa bande sont représentatifs d'une jeunesse
plus ou moins livrée à elle-même dont les Baumettes
constituent l'horizon le plus certain.
Parallèlement, le séjour de Michel à Marseille lui
permet de faire un pèlerinage (le même que le réalisateur
qui revient tourner dans sa ville natale), de retrouver
sa famille, de retourner sur les lieux de son enfance. Il semble se reconnaître
dans le Minot, qui porte le même prénom que lui.
Allio a voulu rendre hommage à sa ville, à ses habitants,
précédant de peu Guédiguian. On a d'ailleurs la surprise
de reconnaître Ariane Ascaride dans un petit rôle. C'est estimable,
sincère, mais pas franchement passionnant.
VENDREDI.
Caroline reçoit l'architecte en charge des travaux de transformation
de la pharmacie. Choix des entreprises, modalités pratiques. Les
cellules dans lesquelles l'officine sera provisoirement transférée
seront livrées dans la semaine, les travaux débuteront le
22.
SAMEDI.
Mail. Arrivée inattendue de
F. sur la Toile, qui s'abonne aux notules. Je lui adresse les numéros
en retard et parviens à faire passer un document par scanner.
Quand je regarde le résultat, je m'aperçois qu'il faudrait
un écran de douze mètres carrés à mes correspondants
pour le lire. Souhaitons qu'ils soient plus habiles que moi et parviennent
à le réduire à des proportions plus pratiques.
TV. Football. France-Algérie. Les représentants
de la civilisation occidentale, que dis-je, de la civilisation tout court,
mènent 4 à 1 devant les infidèles au moment où
les supporters sarrasins envahissent le terrain, mettant ainsi un terme
anticipé à la partie. On reconnaît bien là
leur fourberie.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°30 - 14 octobre 2001
DIMANCHE.
Silence. Caroline et Lucie à
la piscine, Alice au lit : la matinée est incroyablement tranquille,
j'en profite pour m'avancer dans la transcription informatique de mes
écrits.
Lecture. L'oculiste noyé (Patrick Roegiers, Seuil,
Coll. Fiction & Cie, 2001).
Le même jour, entre 13 et 14 heures, 15 personnes trouvent la mort,
le plus souvent de façon absurde, à 15 endroits différents.
Les 15 récits qui racontent la fin de ces personnages sont placés
chacun sous la tutelle d'un écrivain. Ce tour d'horizon de la littérature
européenne fait appel à des écrivains que je côtoie
quotidiennement (Joyce, Kafka, Perec), que j'ai lus il y a déjà
un moment (Beckett, Gombrowicz), dont je connais un peu l'œuvre sans l'avoir
lue (Michaux, Cioran, Pessoa, Calvino), que je ne connais que de nom (Bernhardt,
Zorn, Pavese, Hamsun) ou dont je n'ai jamais entendu parler (Karinty,
Achtenbusch).
A priori, c'est intéressant, voire alléchant, et c'est pour
ça que j'avais acheté le livre. La déception est
donc à la mesure de l'attente. Prenons le chapitre consacré
à Perec, puisque c'est celui que je suis le plus à même
d'apprécier. Le personnage s'appelle Serge Valène, comme
le peintre de La Vie mode d'emploi, habite Étampes où Perec
a été au lycée, joue au golf (Perec signifie "trou"
en hébreu) et c'est tout. Dans le chapitre Kafka, on trouve une
Milena, dans celui sur Joyce un Stephen Suladed, c'est dire la richesse
du cryptage... On se demande, de façon de plus en plus impatiente,
ce que Roegiers (critique photographique au Monde apparemment) a voulu
faire avec ces récits qui ne distillent rien d'autre que l'ennui.
Si c'était pour montrer qu'il connaissait bien sa littérature
(mais pas l'orthographe des noms propres : il prénomme Zsa Zsa
Gabor Za Za ), il aurait mieux fait d'écrire des pastiches, il
aurait peut-être été drôle.
Radio. Dans le jardin (bêchage d'automne, arrachage des
céleris), j'écoute Une vie, une oeuvre consacré
à Jean-Pierre Brisset, mon fou littéraire préféré,
maître-nageur-grammairien inventeur d'une ceinture-caleçon
aérifère de natation à double réservoir compensateur
et d'une théorie anthropo-linguistique qui fait de la grenouille
l'ancêtre de l'homme et de son langage. Il tenait que le latin n'était
qu'une invention des clercs destinée à torturer les élèves :
"Le latin ne vient pas plus du Latium que l'argot d'Argovie ou le
javanais de Java."
Cinéma. Eden (Amos Gitai,
France-Italie-Israël, 2001, avec Samantha Morton, Danny Huston, Thomas
Jane, Arthur Miller, Daphna Kastner).
Amos Gitai remonte le temps. Après avoir donné un portrait
glaçant de la condition féminine chez les juifs ultras aujourd'hui
en Israël (Kadosh "Sacré"), il s'est intéressé
à la guerre de 1973 (Kippour, que je n'ai pas vu) et s'arrête
ici au début des années 40, quand Israël n'est encore
que la Palestine sous mandat britannique. Samantha, une juive américaine,
a émigré par idéalisme.
Son frère la rejoint par appât du gain : il y a certainement
des affaires à faire dans un pays qui est en train de se construire.
Parallèlement, les nouvelles d'Europe sont dramatiques pour la
communauté juive.
Ici, on n'est pas chez Coline Serreau et les chemins ne sont pas balisés.
De plus, le réalisateur ne joue pas la facilité, accumulant
les longs plans séquences. C'est au spectateur d'essayer de recoller
les morceaux des histoires qu'il lui livre et j'avoue que je n'en ai pas
toujours eu la force ou l'envie.
Le film est tiré d'un roman d'Arthur Miller, qu'on découvre
dans un rôle -celui du père de Samantha et de son frère
Kalman. Il est d'ailleurs très bon. C'est lui qui dit à
Kalman, au moment où celui-ci s'embarque pour la Palestine, de
ne pas acheter trop de terre, d'en laisser un peu aux Arabes qui sans
cela, pourraient manifester quelque mécontentement...
LUNDI.
Bricolage. Je me mets en tête de
réparer le réveil de Lucie dont les aiguilles me semblent
légèrement décalées. J'ouvre l'objet, farfouille
dans ses entrailles. Caroline mettra une heure à le remonter. Désormais,
le réveil donne une heure très approximative et, si on veut
le faire sonner à 7 heures, il faut le programmer pour 7 heures
20 environ. Lorsque Lucie se mettra à apprendre les heures, elle
partira avec un certain handicap... La dernière fois que j'avais
ouvert ma boîte à outils (cadeau perfide et ironique de mes
beaux-parents à l'occasion d'un anniversaire), c'était en
août 1999, à la veille de notre départ en vacances.
La chasse d'eau fuyait très légèrement et j'avais
entrepris d'y remédier. Une heure plus tard, j'achetais un nouveau
système de chasse d'eau dans un magasin de bricolage. Plus tard
dans la journée, il fallut appeler un plombier. A notre retour
de vacances, c'est l'ensemble des WC qui dut être remplacé.
TV. Boys Don't Cry (Kimberley
Pierce, U.S.A., 1999 avec Hilary Swank, Chloe Sevigny, Peter Sargaard,
Brendan Sexton III, Alison Fottand).
1993, Falls City, Nebraska. Teena Brandon vit une crise d'identité
sexuelle. Elle se déguise en garçon, fréquente une
bande de jeunes qui l'adopte, tombe amoureuse de Lana.
Le problème, c'est que Lana et ses copains ignorent la véritable
identité de Teena. Lorsque celle-ci sera découverte, elle
sera assassinée par ceux qui l'avaient accueillie. ce n'était
certainement pas facile de traiter cette histoire (vraie) avec pudeur
et légèreté, c'est pourtant ce qu'a réussi
à faire Kimberly Peirce, aidée en cela par l'interprétation
stupéfiante de Hilary Swank (oscarisée). Dans sa tête,
Teena est un homme, tout ce qu'elle veut, c'est vivre une histoire d'amour
avec une fille mais dans ce trou perdu du Nebraska, c'est une
attitude plutôt risquée. Lana, lorsqu'elle apprend la vérité
sur Teena, ne changera pas ses sentiments envers elle-lui; ses compagnons,
qui sont toujours en prison aujourd'hui nous dit le générique
final, l'un attendant son exécution, l'autre condamné à
perpétuité, vivront cette
révélation comme une trahison et se vengeront dans le viol
et le meurtre.
Lecture. La Petite Bijou (Patrick
Modiano, Gallimard, nrf 2001).
Une femme croit reconnaître sa mère, qui l'a abandonnée
dans son enfance, dans un couloir de la station Châtelet. Elle se
met à la suivre et plonge dans ses souvenirs.
"La nuit était tombée et pourtant il était cinq
heures à peine." Tout Modiano est dans cette phrase. En cherchant,
on s'apercevrait peut-être même qu'elle apparaît dans
chacun de ses romans... L'ambiance d'un Paris entre chien et loup, les
cafés, les hôtels, les gens qui fuient leur passé,
ceux qui déménagent brusquement et dont on n'a plus de nouvelles,
les personnages énigmatiques (ce Moreau ou Badmaev, identité
incertaine, dont le métier est d'écouter la radio pour y
recopier des messages en une vingtaine de langues...), tout ça
on l'a déjà rencontré dans les précédents
livres de Modiano et pourtant, ça marche toujours, sur moi tout
au moins. La Petite Bijou fait suite aux autres histoires de femmes que
Modiano a racontées dans Dora Bruder et Des inconnues, et est tout
aussi envoûtante.
Ca fait longtemps que je me dis qu'il il y a une étude à
faire sur les correspondances entre les oeuvres de Perec et de Modiano.
On trouve à chaque fois des coïncidences troublantes. Ici,
une mère qui accompagne son enfant à la gare, l'enfant ne
la reverra plus jamais (même chose racontée par Perec dans
W ou le souvenir d'enfance). Ailleurs, une boîte à biscuits
( "sur le couvercle était collée une étiquette
à moitié déchirée, où l'on pouvait
encore lire LEFÈVRE-UTILE.") évoque le petit-beurre
LU écorné de La Vie mode d'emploi dessiné
sur une boîte en fer-blanc; Modiano situe la boîte dans une
maison 11, rue Coustou, la boîte de Perec est au 11, rue Simon-Crubellier.
Le nom incertain de Moreau (qui est aussi celui d'une des occupantes de
l'immeuble de La Vie mode d'emploi), son goût pour les langues font
aussi partie des thèmes perecquiens. Il faudrait peut-être
interroger Modiano là-dessus.
MARDI.
Web. Je trouve le calendrier du séminaire
Perec 2001-2002. Bientôt le retour des escapades parisiennes.
MERCREDI.
Cinéma, initiation de Lucie au burlesque.
1. Laurel et Hardy sèment la panique (Double Whoopee, Leo McCarey,
U.S.A., 1928 avec Stan Laurel, Oliver Hardy, Charlie Hall, Jean Harlow,
Tiny Sandford).
Un prince et sa suite sont attendus dans un palace (le film est aussi
connu sous le titre Son Altesse Royale). Arrivent un nouveau portier
et un nouveau groom qui sont pris pour ces hôtes de marque.
Le quiproquo dure assez peu de temps. C'est quand Laurel et Hardy entrent
en fonction que les catastrophes commencent vraiment. Le palace est rapidement
sens dessus dessous et tout se termine dans une bagarre où Stan
use d'une arme redoutable : le doigt dans l'œil jusqu'au coude, ou
presque.
2. Voisin, Voisine (Neighbors,
Buster Keaton & Eddie Cline, U.S.A., 1921 avec Buster Keaton, Virginia
Fox).
Buster est amoureux de sa voisine mais les parents des deux tourtereaux
ne sont pas d'accord.
Buster transforme Roméo et Juliette en performance physique. L'amour
finira vainqueur des conventions sociales et du veto imbécile des
parents après l'enlèvement de la belle par le prétendant
monté sur une échelle humaine.
3. Charlot et le comte (The
Count, Charles Chaplin, U.S.A., 1916 avec Charles Chaplin, Eric Campbell,
Leo White, Edna Purviance, Henry Bergman, Albert Austin).
Charlot, viré de chez son patron tailleur, s'invite dans une réception
mondaine.
La scène d'ouverture, au cours de laquelle Charlot prend les mensurations
d'une cliente sans oser la toucher est savoureuse. La suite montre un
Chaplin désormais bien connu, vagabond propulsé dans un
monde qui n'est pas le sien. Après avoir mis tout à sac,
Charlot s'en va une fois de plus sur une route rectiligne et disparaît,
de dos, à l'horizon.
4. Oeil pour oeil (Big Business,
James W. Horne, 1927 avec Stan Laurel, Oliver Hardy, James Finlayson).
Laurel et Hardy vendent des sapins de Noël au porte à porte
en Californie en plein mois d'août.
Au bout d'un moment, ils finissent par sonner à la porte de leur
éternel complice, James Finlayson. A partir du moment où
on voit la tête chafouine de ce dernier apparaître dans l'embrasure,
on peut se réjouir, il va se passer des choses. Le film est bâti
sur le principe de la boule de neige : Finlayson casse une branche du
sapin, Laurel répond en arrachant les numéros de la maison
et ainsi de suite jusqu'à destruction totale de la maison de l'un
et de l'automobile des autres. Mine de rien, Horne (supervisé par
Leo McCarey) met à mal le confort bourgeois matériel, mais
aussi moral, représenté par Finlayson.
Cinéma, seul cette fois. Va
savoir (Jacques Rivette, France, 2001 avec Jeanne Balibar, Sergio
Castellitto, Marianne Basler, Jacques Bonnaffé, Hélène
de Fougerolles, Bruno Todeschini, Catherine Rouvel, Claude Berri).
Camille revient à Paris avec une troupe de théâtre
italienne : elle est la compagne de Ugo, le metteur en scène qui
compte profiter de ce séjour pour mettre la main sur un inédit
de Goldoni. Camille retrouve Pierre, qu'elle a quitté il y a trois
ans et qui vit avec Sonia.
Dans ce film, on parle de Goldoni, on joue Pirandello, mais on pense à
Marivaux. Les changements de couple sont autant de scènes successives
: Ugo et Camille, Camille et Pierre, Pierre et Sonia, Sonia et Arthur,
Arthur et Do, Do et Ugo, et la boucle est bouclée. D'ailleurs c'est
sur une scène de théâtre que les couples originaux
se reforment à la fin, une fois les différentes crises passées.
On s'est exclamé sur Va savoir lors de sa présentation
à Cannes et les les critiques à sa sortie ont l'air, au
vu de leurs titres, emplies de louanges. On a a parlé d'un Rivette
burlesque, d'une comédie étincelante, que sais-je encore.
C'est vrai que si on garde en mémoire son oeuvre précédente
(1997), Secret Défense, qui m'était apparue comme
un véritable pensum, on est plutôt soulagé. C'est
vrai aussi que Rivette semble s'amuser, mais il n'y a quand même
pas de quoi s'extasier... Sauf devant le jeu de Jeanne Balibar, lumineuse,
qui irradie toute scène où elle apparaît. Autre plaisir,
celui de voir Ugo faire ses recherches sur Goldoni dans les belles salles
de la Bibliothèque de l'Arsenal que je fréquente de temps
à autre.
Sur le plan négatif, il y a le son, certains dialogues sont à
peine audibles (c'est peut-être l'âge, mais plus certainement
un choix du metteur en scène car c'était déjà
le cas dans Secret Défense). Enfin, on sait que Rivette aime travailler
dans la durée, qu'il est contre le format standard 90 minutes mais
qu'est-ce que ce serait bien s'il l'adoptait ne serait-ce qu'un fois,
pour voir...
JEUDI.
Travaux. Installation des cellules
provisoires sur le trottoir.
Puériculture. La maison résonne
des "PAPA" lancés par Alice à chaque instant.
Bon, elle dit ça quand elle s'adresse aussi bien à moi qu'à
sa mère, à sa soeur ou à la porte du frigo mais tout
de même, ça flatte.
Courrier. Envoi à l'AGP du
chapitre de Roegiers consacré à Perec, de la transcription
de propos radiophoniques de François Bon et de Marcel Benabou sur
Perec et d'un article du Figaro Littéraire.
VENDREDI.
Travaux. Première réunion
de chantier.
Cinéma. L'Anglaise et le Duc
(Éric Rohmer, France, 2001 avec Lucy Russell, Jean-Claude Dreyfus,
François Marthouret, Caroline Morin, Alain Libolt).
Grace Elliott est anglaise et vit à Paris sous la Révolution.
Elle a eu une liaison avec le duc d'Orléans qu'elle continue de
fréquenter. Celui-ci, malgré la promesse faite à
Grace, vote la mort du roi, son cousin.
Parlons d'abord du choix esthétique fait par Rohmer. Pour éviter
d'avoir à reconstituer le Paris du XVIII° siècle, il
fait évoluer ses personnages incrustés sur des toiles peintes
réalisées pour les besoins du film et conformes à
la topographie de l'époque.
Résultat : c'est fort laid, les couleurs sont ternes, pisseuses.
Mais bon, les scènes d'extérieur sont peu nombreuses, l'essentiel
du film est constitué de dialogues qui se déroulent dans
la maison de Grace. Les mines de Lucy Russell, effarée des exactions
commises par les révolutionnaires, ajoutées au jeu boursouflé
de Jean-Claude Dreyfus rendent l'ensemble bien indigeste. Sans parler
de l'idéologie sous-jacente, anti-révolutionnaire bien sûr,
mais il s'agit là de mettre en scène le journal de Grace
Elliott : disons que Rohmer (que ça arrange bien , finalement)
a été fidèle au texte original.
Heureusement, dans le dernier tiers du film, ce n'est plus au sujet de
vagues aristocrates ou de Louis XVI que Grace doit s'inquiéter
mais à son propre sujet : on a trouvé chez elle une lettre
compromettante et elle est traduite devant un Comité de Salut Public.
Il n'est plus alors question de faire des phrases entre deux ordres lancés
à ses gens de maison (des gens du peuple, mais fréquentables
et dévoués, ceux-ci), il s'agit ni plus ni moins de sauver
sa peau, et le film devient alors passionnant, récompensant le
spectateur d'avoir tenu jusque là.
SAMEDI.
Lecture. Georges Perec (Bernard
Magné, Nathan Université, coll. 128, 1999).
La collection 128 (c'est le nombre de pages que contient chacun de ses
volumes) est destinée aux étudiants. C'est donc très
sagement que Bernard Magné entame son étude en se faisant
le guide éclairé de l'œuvre de Perec : le romancier, le
poète, le dramaturge... Mais vient le moment où il touche
au concept d'"aencrage" (avec e dans l'a que je ne peux retranscrire
sur ce clavier, mot valise mêlant encrage et ancrage), concept qu'il
a créé. Dans les divers articles qu'il a publiés
dans les Cahiers Georges Perec et sa revue Le Cabinet d'amateur
et dont cet ouvrage constitue une sorte de synthèse, Magné
s'est consacré à la définition, à la recherche
et à l'interprétation de ces aencrages, à savoir
"les formes-sens qui renvoient d'un côté à des
procédés concrets d'écriture, à des réglages
textuels précis, et de l'autre à un épisode-clé
de la biographie, la mort tragique des parents, en particulier celle de
la mère déportée et disparue à Auschwitz"
: le manque (le lipogramme), la cassure, la numérologie (le 11
et le 43, la mère de Perec ayant été déclarée
officiellement décédée le 11 février 1943),
le carré, la symétrie (le palindrome), la diagonale, le
bilinguisme, l'instabilité onomastique. A partir de là,
Magné, pris par sa passion, quitte l'académisme, s'échauffe,
multiplie les exemples prouvant le bien-fondé de ses thèses
(dont certains sont quand même tirés par les cheveux...).
Enfin, l'ouvrage ne serait pas complet sans un coup de griffe à
Roland Brasseur (Qui lui a répondu, je l'ai noté, dans Le
54° jour) et à David Bellos dont la "biographie a un grand
mérite : elle est la seule." (!)
TV. Casino (Martin Scorsese,
U.S.A., 1995 avec Sharon Stone, Robert De Niro, Joe Pesci, James Woods,
L.Q. Jones, Pasquale Cajano, Vinny Vella, Catherine Scorsese, Phillip
Suriano, Erika von Tagen).
1973, Las Vegas. Sam "Ace" Rothstein dirige le casino Tangiers
pour le compte du syndicat des camionneurs. Jusqu'au jour où, trahi
par sa femme, Ginger, il voit le F.B.I. fourrer le nez dans ses affaires.
Quel regret de voir ça en plusieurs tranches sur le petit écran...
Suivre les trois heures du film dans un fauteuil de cinéma devait
être quelque chose de particulièrement sidérant. Scorsese
n'a qu'un mot d'ordre : le rythme. Le montage hallucinant découpe
les biographies de Rothstein (De Niro), le petit bookmaker juif qui est
monté jusqu'au sommet, et de Nicky Santoro, son homme de main (Joe
Pesci, boule de violence éruptive) racontée par les deux
intéressés en voix off. Comme cinq ans auparavant dans Les
Affranchis, c'est une histoire bâtie sur le thème "The
rise and fall of..." que raconte Scorsese. La chute, elle viendra,
comme de juste,à cause d'une femme, celle de Rothstein (Stone)
une ancienne arnaqueuse qui refuse de rompre avec son milieu d'origine
et de suivre le mode de vie respectable
qu'il veut lui imposer. Impossible de dire quelles scènes sont
les plus marquantes, les plus réussies, tant ça s'enchaîne
à un rythme fou.
On retiendra tout de même celles où Santoro s'emporte et
se déchaîne, les disputes homériques entre Rothstein
et sa femme et l'élimination finale des frères Santoro.
Un mot sur la bande son qui défile en continu et aligne standards
du jazz, Bach, Rimski-Korsakoff, Georges Delerue (le thème du Mépris
de Godard) et quelques dizaines d'autres.
Au total, un chef-d'œuvre.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°31 - 21 octobre 2001
DIMANCHE.
Courrier. J'envoie deux cartes postales
avec des réponses à un jeu-concours paru dans Le Monde et
organisé par les dictionnaires Le Robert. Des dicos à gagner.
J'en veux bien un, mon Robert est fatigué.
Caroline emmène Lucie faire du vélo en ville. Pas de jardin,
mal au dos. Je bouquine en jetant un oeil sur le Championnat du Monde
de cyclisme à Lisbonne (Oscar Freire vainqueur).
Lecture. Agatha Christie, duchesse
de la mort (François Rivière, Éditions du Masque,
2001).
François Rivière a remis à jour sa biographie parue
en 1981, notamment grâce aux renseignements qu'il a pu glaner au
sujet de la mystérieuse disparition d'Agatha Christie en 1926.
On n'est pas ici dans un exercice biographique traditionnel : ce que Rivière
veut porter à la connaissance du public, c'est son amour pour cet
auteur et son oeuvre. Cette admiration sans borne (il a la même,
apparemment, pour Enid Blyton) comporte sa part d'aveuglement mais c'est
intéressant aussi de voir l'auteur d'un biographie se dévoiler
derrière le sujet qu'il traite.
On se doute que l'histoire d'Agatha Christie est un peu plus complexe
que l'image de la vieille dame à lunettes dictant ses chapitres
entre deux gorgées de thé qu'elle s'est toujours ingéniée
à donner. Agatha a été jeune, a vécu chez
sa grand-mère dans un vert paradis des amours enfantines qu'elle
cherchera à recréer dans ses romans. Son premier mariage
se solde par un échec humiliant dont on trouve aussi des traces
dans l'œuvre. sa méfiance à l'égard des journalistes,
de ses confrères, ne l'a jamais conduite à se confier (son
autobiographie est pleine de lacunes) et Rivière doit creuser pour
découvrir quelques indices éclairants qu'il enrobe parfois
dans une langue un peu trop enthousiaste ou tarabiscotée.
On admirera l'habileté d'Agatha Christie à mener sa carrière,
écrivant et mettant dans un coffre dès 1943 les deux romans
racontant la mort d'Hercule Poirot et les adieux de Miss Marple. Ceux-ci
parurent en 1975 et 1976 et donnèrent alors au public et aux critiques
l'image d'une romancière de 86 ans en pleine possession de ses
moyens !
TV. The Big One (Michael Moore,
U.S.A., 1998 avec Michael Moore).
Michael Moore a décidé de s'entourer d'une équipe
pour filmer la tournée qu'il effectue pour promouvoir son livre
Downsize This !, charge virulente contre la réalité
sociale et économique américaine. Après Roger et
moi (pas vu), son précédent documentaire dans lequel il
traquait Roger Smith, P.D-G. de General Motors, Michael Moore poursuit
sur sa lancée féroce et décapante.
A chacune de ses étapes ou presque, Moore apprend qu'une usine
ferme ou est délocalisée. Il va à la rencontre des
ouvriers et cherche à voir les patrons pour leur offrir des cadeaux,
comme un chèque de 80 cents destiné à payer le premier
ouvrier mexicain d'une usine qui quitte les États-Unis pour s'installer
dans ce pays. Ce que décrit Michael Moore, c'est la mainmise des
actionnaires sur les entreprises, et le fléau, qui faisait alors
rage en Amérique, s'est depuis étendu partout ailleurs -voir
Danone. le film se termine sur une rencontre entre Moore et le patron
de Nike, sorte de Bee Gee époque Saturday Night Fever, qui assume
tranquillement le fait que ses chaussures soient fabriquées par
des Indonésiens de 14 ans.
Michael Moore est un showman, c'est ce qui le rend diablement efficace
mais suscite aussi quelque trouble. Il se met en scène, suscite
les rires du public au cours de représentations où, physique
aidant, il fait penser à Coluche. Ne profite-t-il pas lui aussi
du système qu'il dénonce ? Quel est le poids de son action,
son efficacité ?
Quelques sections syndicales créées ici ou là, un
chèque de 10 000 dollars pour les écoles de Flint, sa ville
natale... Croit-il vraiment que le P.D.-G. de Nike va perdre le sommeil
après qu'il l'a ridiculisé ? J'ai malheureusement la conviction
que ceux qui peuvent être sensibles à son discours ne pourront
pas faire grand-chose pur renverser la tendance. En tout cas, c'est un
film passionnant de bout en bout.
Caroline revient du cinéma où Le Journal de Bridget Jones
prouve que le navet pousse bien en Angleterre.
LUNDI.
Cinéma. Treize jours
(Thirteen Days, Roger Donaldson, U.S.A., 2000 avec Bruce Greenwood,
Kevin Costner, Steven Culp, Lucinda Jenney, Stephanie Romanov, Matthew
Dunn, Dylan Baker, Olek Kupra, Kevin Conway, Michael Fairman).
Octobre 1962. Les Etats-Unis découvrent que l'U.R.S.S. installe
des missiles nucléaires sur l'île de Cuba. Le président
Kennedy installe une cellule de crise avec son frère Robert et
son conseiller spécial Kenny O'Donnell.
La crise mettra treize jours à se dénouer, jusqu'à
ce que les Russes acceptent de retirer leurs missiles contre la promesse
américaine de ne jamais tenter d'envahir Cuba. Treize jours au
cours desquels l'ombre de la Troisième Guerre Mondiale aura lourdement
plané.
Lorsque l'Amérique se penche au cinéma sur son passé,
c'est en général pour se conforter dans ses certitudes (Independence
Day), quitte à prendre pour cela quelques libertés avec
la réalité historique (The Patriot). Ici, et c'est ce qui
fait l'originalité et l'intérêt du film, c'est le
doute qui est mis en scène. Trois solutions sont possibles : L'invasion
de l'île, le bombardement "chirurgical" des rampes de
lancement, le blocus. Kennedy, soucieux de préserver la paix (les
temps ont changé), s'oppose au bellicisme des militaires et choisit
la troisième voie.
Apparemment, d'après ce que j'ai lu au sortir du film dans L'Histoire
au jour le jour (Le Monde Dossiers et documents,Tome III, 1954-1962, Le
temps des ruptures) Roger Donaldson respecte la vérité historique.
La tension de l'époque se mue en suspense, les interprètes
sont convaincants. Le mauvais goût n'apparaît que dans la
musique et dans les scènes de famille dans la maison de Kenny O'Donnell
(Costner) qui sont d'une cucuterie consternante.
MARDI.
Web. Ma boîte à lettres
électronique est considérablement plus remplie depuis que
je me suis mis sur la liste Oulipo. Les messages sont loin d'être
tous intéressants mais ça fait de la lecture.
Santé. Pas d'école pour
Lucie cet après-midi, troisième crise de bronchite asthmatiforme.
Vie sociale. Visite de J.P. à
l'apéritif, qui me rapporte une platine cassettes que je lui avais
confiée il y a environ 18 mois mais qu'il n'a pas eu le temps de
réparer.
MERCREDI.
Web. A. me donne un lien pour un site
lexicographique.
Emplettes. J'achète à La Licorne un Raymond Roussel,
le dernier Elizabeth George et un livre sur Proust dont l'auteur, invité
d'Alain Veinstein sur France Culture la semaine dernière, a éveillé
mon intérêt.
Cinéma. Programme de courts métrages d'animation
avec Lucie.
1. Trois petits chats (Guy Delisle, France, 1993).
Variations graphiques sur la comptine éponyme sans intérêt.
2. Le Petit manchot qui voulait une glace (Samuel et Frédéric
Guillaume, Suisse, 1998).
Un manchot quitte sa banquise en quête d'une glace à deux
boules. Il débarque en Afrique et trouve l'amour.
Une jolie histoire poétique, réalisée à partir
d'objets hétéroclites soumis à un bricolage inventif.
3. Comment faire peur à un lion (Pal Toth, Hongrie, 1980).
Un dompteur essaie de faire passer le hoquet dont souffre son lion. C'est
assez drôle, même si le dessin n'est pas très intéressant.
4. Les Oiseaux en cage ne peuvent pas voler (Luis Briceno, France,
2000).
Un exercice de transformisme, en pâte à modeler, au parfum
surréaliste.
5. Le Chat caméléon (Gisèle et Ernest Ansorge,
Suisse-Italie, 1975).
Au Moyen-Âge, un jeune berger parvient à échapper
aux exactions du tyran local grâce à son chat qui se transforme
en d'autres animaux quand son maître joue un certain air à
la flûte.
Une belle histoire, là aussi desservie par un dessin plutôt
laid.
6. Alice
(Nicolas Bellanger, France, 1995).
Des dessins d'enfants, bien accompagnés par une ritournelle accrocheuse.
Cinéma. Sur mes lèvres
(Jacques Audiard, France, 2001 avec Vincent Cassel, Emmanuelle Devos,
Olivier Gourmet, Olivier Perrier, Olivia Bonamy, Bernard Alane, Cécile
Samie).
Carla travaille comme secrétaire dans une agence immobilière.
Elle se trouve laide, souffre de problèmes d'audition. Un jeune
qui sort de prison, Paul, est engagé pour l'épauler à
l'agence.
Qui va entraîner l'autre dans son camp, de tel ou tel côté
de la légalité ? Le problème est vite réglé.
Paul tente de se ranger, de travailler normalement mais des encaisseurs
d'une dette ancienne viennent le relancer. Pour rembourser, il doit alors
travailler dans la boîte de nuit de son créancier (Gourmet)
qu'il va tenter d'arnaquer, avec l'aide de Carla, tombée sous son
charme. On est alors dans un polar traditionnel pas du tout désagréable
à suivre, mais le fils Audiard avait su faire preuve de plus d'originalité
dans ses scénarios précédents (Regarde les hommes
tomber et Un Héros très discret). On passe sur les invraisemblances
pour suivre
Emmanuelle Devos, enlaidie, quel dommage (où est la pulpe de Tontaine
et Tonton ?) et Vincent Cassel, le poil juste assez gras, la moustache
juste assez ridicule, l'élocution juste assez graillonneuse pour
incarner un ex-taulard.
On reconnaît plus Audiard dans le personnage décalé
et énigmatique du contrôleur judiciaire (Perrier), héros
d'une intrigue secondaire beaucoup moins convenue.
Lecture. Mille six cents ventres
(Luc Lang, Fayard 1998).
Strangeways, la prison de Manchester, est aux mains des mutins. Henry
Blain, le chef cuisinier de la centrale, raconte les événements
qu'il vit depuis sa maison voisine.
Les lycéens ont eu bon goût en couronnant ce roman pour leur
Goncourt 98. Luc Lang a su trouver un sujet original qu'il traite dans
une langue intéressante, n'hésitant pas à multiplier
les longues périodes, expression des diatribes de Blain. Celui-ci
est un drôle de personnage. Son apparence de fonctionnaire sans
histoire cache une personnalité extrêmement complexe et perverse.
C'est lui qui est le narrateur, peu à peu amené à
lever le voile sur un passé plutôt trouble. C'est dans sa
cuisine qu'il tient les rênes du pouvoir, dans sa prison comme sur
les bateaux où il exerçait précédemment; c'est
lui le véritable maître de Strangeways, qui règne
sur ses mille six cents ventres : "Ce que je sais, moi, chef cuisinier
de Strangeways, c'est qu'à l'échelle de ma petite ville
de damnés le pouvoir que j'ai sur leurs boyaux me donne tout pouvoir
sur l'air ambiant, l'état des tissus et des chairs, la disposition
des esprits et des caractères, et enfin sur le fonctionnement de
la plomberie, que ce soit celle des ventres ou celle des bâtiments."
Deux perles. "Nous nous sommes remis sur le métier plusieurs
fois dans la soirée, entrecoupant nos étreintes de longues
poses parfois hébétées, gênées ou au
contraire bavardes." et "Tous deux me congratulent, Jack me
sert dans ses bras d'aventurier..."
JEUDI.
Courrier. Envoi d'une réponse
au concours Le Monde-Le Robert et de coupures (Télérama,
Le Figaro Littéraire, Viridis Candela) à l'AGP.
Compétence professionnelle. Caroline en formation sur
les troubles du sommeil chez le nourrisson.
TV. Le Cirque du Dr Lao (Seven Faces of Dr Lao, George
Pal, U.S.A., 1964 avec Tony Randall, Barbara Eden, Arthur O'Connell, John
Doucette, John Ericson).
Abalone est une petite ville de l'Arizona en train de mourir. Clint Stark
qui, seul, sait que le chemin de fer doit y passer et et lui redonner
ainsi de la valeur, propose aux habitants de racheter leurs maisons et
terrains. Son opposant Ed Cunningham, directeur du journal local, s'apprête
à jeter l'éponge quand un mystérieux Chinois, le
Dr Lao, arrive en ville avec son cirque.
Les "seven faces" du titre original permettent à Tony
Randall de tenir sept rôles dans ce film au propos plus optimiste
que celui de La Machine à explorer le temps, tourné par
George Pal quatre ans auparavant.Le Bien (Cunningham/Ericson) vient à
bout du Mal et de la cupidité personnifiés par Stark/O'Connell.
le Dr Lao délivre en outre à un jeune garçon une
leçon philosophique selon laquelle le seul fait de penser de temps
à autre qu'on est en vie est une chose merveilleuse.
Les séquences fantastiques qui se déroulent à l'intérieur
du cirque (un poisson miniature qui se transforme en monstre du Loch Ness
dès qu'il est privé d'eau, des réincarnations de
la Méduse et du dieu Pan...) font partie de l'univers habituel
de George Pal. L'étranger qui fait irruption dans la ville n'est
pas forcément un ennemi, c'est ce qu'apprennent les citoyens d'Abalone,
une fois le Dr Lao reparti aussi mystérieusement qu'il était
apparu.
VENDREDI.
Courrier. Je reçois une carte
postale de N.H. en visite à Berlin et une longue lettre de B. en
réponse aux dernières notules.
Cinéma. No Man's Land (Danis
Tanovic, Bosnie-France-G.-B., 2001 avec Branco Djuric, Rene Bitorajac,
Filip Sovagovic, Georges Siatidis, Katrin Cartlidge, Simon Callow).
1993. Ciki et Nino, un Bosniaque et un Serbe, sont isolés dans
une tranchée entre les deux lignes de front ennemies. La FORPRONU
tente d'intervenir.
La guerre de Bosnie est trop récente et trop compliquée
(pas seulement pour moi, apparemment) pour avoir suscité beaucoup
d'illustrations cinématographiques. Ce n'est pas le Blanc contre
le Noir, le Bien contre le Mal, le cow-boy contre le Peau Rouge, le G.I.
contre le Viet ou le résistant contre le nazi. Pas moyen de s'identifier...
D'ailleurs, c'est un signe, les deux antagonistes parlent la même
langue, ce qui participe au côté absurde qu'a surtout voulu
souligner Tanovic : les soldats de l'ONU (français) sont présentés
comme des fantoches (les Schtroumfs, dit-on, à cause des casques
bleus) condamnés à observer sans pouvoir intervenir et tiraillés
entre les différents commandements qui les chapeautent (français
et britannique).
Les soldats, les observateurs, il reste un troisième groupe sur
lequel s'exerce l'ironie du metteur en scène, celui des journalistes,
une meute accrochée aux basques des militaires, lesquels, on s'en
doute, ne leur laissent voir et filmer que ce qu'ils veulent bien...
On sourit, on se désole, on se rend compte de son impuissance.
La seule issue à la hauteur de cette comédie de l'absurde
(servie en outre par un ingénieux élément de suspense
qui lui valut le prix du scénario à Cannes), c'est la mort
à laquelle, après avoir tourné autour assez longtemps,
aboutissent Ciki et Nino.
SAMEDI.
J'entame la rédaction de ces notules qui n'auront de dominical
que les dernières lignes et le moment de l'envoi : l'emploi du
temps du dimanche ne me permettra pas de m'y consacrer comme à
mon habitude.
Courrier. J'envoie deux cartes postales
au concours Le Monde-Le Robert.
Pépite. Je trouve ceci dans Viridis Candela, n°5
des Carnets trimestriels du Collège de Pataphysique du 15 septembre
2001 : "En vue de mettre à jour sa liste des noms communs
et adjectifs correspondant aux noms propres de lieux - ce que les lexicographes
appellent les gentilés : les habitants de Rambouillet sont des
Rambolitains et ceux de Douarnenez des Douarnenistes ou des Douarnenéziens
- un dictionnaire bien connu adressa naguère aux communes de France
une circulaire destinée à faire issir les renseignements
des sources les plus autorisées. Les édiles devaient préciser
quels étaient les "différents mots utilisés
pour désigner les habitants de leur ville" et indiquer celui
qui était "le plus couramment employé". Réponse
de la ville de Fameck (Moselle) :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
FAMECK, le 30 août 1988
VILLE DE FAMECK (Moselle)
Le Maire
de Fameck
à Monsieur le Directeur
des DICTIONNAIRES LE ROBERT
Objet : Mise à jour de votre liste des noms communs et adjectifs
correspondant aux noms propres de lieux.
En réponse à votre lettre du 5 août 1988, j'ai l'honneur
de vous faire savoir que le nom le plus couramment utilisé pour
désigner les habitants de notre Ville est celui "d'Administrés".
Veuillez agréer
(....)
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°32 - 28 octobre 2001
DIMANCHE.
Les manutentionnaires (parents, beau-frère, employées...)
arrivent à 8 heures 30 et les hostilités commencent. C'est
aujourd'hui qu'il faut transférer la pharmacie dans les cellules
installées sur le trottoir, les travaux commençant demain.
Je fais en sorte d'utiliser au maximum mes compétences dans le
domaine du déménagement : j'habille les filles, les conduis
loin de la tourmente, prépare du café, dresse la table,
débarrasse, sers des afraîchissements, tends des outils à
ceux qui en ont l'usage, transporte tout de même quelques colis
sans trop de conviction et finis la journée sans me blesser, ce
qui est déjà une sorte d'exploit.
Coup de téléphone de J. qui propose des vacances en Lozère.
Je suis tenté.
Lecture. Proust fantôme
(Jérôme Prieur, Gallimard, coll. Le Promeneur, 2001).
Quand on veut écrire sur Proust aujourd'hui, on a intérêt
à choisir un angle de tir plutôt biscornu si on veut éviter
de marcher sur les traces des centaines de prédécesseurs
qui se sont déjà penchés sur l'homme. Et ma foi,
Jérôme Prieur, co-réalisateur de l'ambitieuse série
Corpus Christi avec Gérard Mordillat, s'en tire très bien
en centrant son étude sur les dernières années de
Proust, celles qui ont forgé la légende : la réclusion,
les vies nocturne et diurne inversées, la cérémonie
des visites reçues, le livre écrit et réécrit
sur son lit, la phobie du froid, des parfums, des courants d'air, des
microbes, Céleste comme seul témoin...
Prieur s'attarde aussi sur l'image de Proust au cinéma (pas une
seule image) et dans la photographie, qui justifie le terme de "fantôme"
du titre : soit on ne le voit pas, soit on le voit mais il a l'air absent...
On comprend l'envoûtement dont Prieur est victime quand on est soi-même
un lecteur pris au piège proustien.
Le livre s'ouvre sur une visite plutôt sinistre à la chambre
de Proust boulevard Haussmann, devant laquelle je suis passé un
dimanche matin pluvieux et que j'irai voir un jour.
LUNDI.
Mail. G.N. me demande des enregistrements
de films noirs. Coup de chance, je les ai en stock (Key Largo, Quand
la ville dort, Le Faucon maltais).
Travaux. Les ouvriers ont commencé
à jouer de la masse dans la pharmacie où on ne reconnaît
déjà plus rien. Le spectacle est très déprimant.
Courrier. Je reçois le programme
du Forum des Images et ma carte d'adhérent (n°1385)
à la Société des Amis de Marcel Proust. Ca fera une
ligne de plus dans mon article nécrologique.
Cinéma. Je rentre à
la maison (Manoel de Oliveira, France-Portugal, 2000 avec Michel Piccoli,
Antoine Chappey, John Malkovich, Catherine Deneuve, Leonor Baldaque, Leonor
Silveira, Ricardo Trepa, Jean-Michel Arnold, Sylvie Testud, Isabel Ruth).
Gilbert Valence apprend en sortant de scène que sa femme, sa fille
et son gendre viennent de mourir dans un accident de voiture. Il réapprend
à vivre auprès de son petit-fils.
La pièce que joue Valence (Piccoli) est Le roi se meurt de Ionesco.
C'est ainsi qu'Oliveira nous fait part de sa volonté de ne pas
quitter la scène, même à 93 ans. Soit. Mais comme
il étire cette -bonne- idée sur une vingtaine de minutes,
mes paupières n'ont pas tenu le choc (la vision d'un Oliveira est
à déconseiller le lendemain d'un déménagement)
et ne s'en sont jamais remises, sinon pour entr'apercevoir quelques scènes
de complicité entre le vieil homme et l'enfant, un autre long tunnel
théâtral (La Tempête de Shakespeare, d'où rechute),
une scène assez drôle de ballet entre des lecteurs de journaux
qui convoitent la même table de café. J'ai retrouvé
toute ma lucidité pour la dernière demi-heure : un metteur
en scène américain (Malkovich) engage Valence pour jouer
le rôle de Buck Mulligan dans une adaptation cinématographique
(qui n'a jamais été tentée à ce jour, à
ma connaissance) de l'Ulysse de Joyce. On assiste alors à la répétition
(sans la voir, c'est un long plan fixe sur le visage de Malkovich qui
donne ses indications, une vraie idée de cinéma, une séquence
formidable) et à la première prise de la scène d'ouverture
du livre, le lever des pensionnaires de la tour Martello à Sandycove
: "Stately, plump Buck Mulligan came from the stairhead..."
Et là ça devient passionnant de voir ce texte mis en images,
de mettre un visage sur les noms de Dedalus, Haines et Mulligan, de voir
l'intérieur de la tour que je me suis si souvent imaginé.
Valence, en proie à des troubles de mémoire, choisit alors
de jeter l'éponge et de rentrer à la maison, vivre la vraie
vie, laissant le spectateur joyceophile sur sa faim. Et si Oliveira se
mettait à filmer un Ulysse en entier ? Depuis La Lettre, adaptation
de La Princesse de Clèves, on sait que les grands textes lui vont
bien,mieux en tout cas que ses propres scénarios qui manquent cruellement
de chair.
MARDI.
Travaux. La pharmacie est en photo
dans la presse locale avec un texte inepte. L'assureur ne veut pas couvrir
les cellules provisoires contre le vol.
TV. Man on the Moon (Milos
Forman, U.S.A., 1999 avec Jim Carrey, Danny De Vito, Paul Giamatti, Courtney
Love).
Depuis son enfance, Andy Kaufman n'a qu'un rêve : monter sur scène,
devenir un amuseur public.
Le problème, c'est que Kaufman - qui a réellement existé
- a une conception bien à lui du spectacle : il arrive sur scène
avec un électrophone sur lequel il passe des disques, il chante
comme un pied, il peut passer la nuit à lire à voix haute
Gatsby le Magnifique à un auditoire abasourdi. Bien vite, un agent
voit le profit qu'il peut tirer d'un tel phénomène et voilà
la carrière de Kaufman lancée. Ce dont s'aperçoit
enduite l'agent (De Vito), c'est qu'Andy est totalement ingérable
: il multiplie les provocations, se fait chasser des plateaux de télé
par la porte avant d'y rentrer par la fenêtre. Il finit par entamer
une carrière de catcheur mais ne consent à se battre que
contre des femmes après les avoir copieusement insultées.
Il trouve l'amour et meurt d'un cancer à l'âge de 35 ans.
C'est Jim Carrey qui incarne Andy Kaufman. JIm Carrey est un acteur fatigant,
Andy Kaufman est un personnage fatigant. Ca donne un film très
fatigant : mimiques, hurlements, invectives, provocations, chaque
scène est un paroxysme. Mais c'était certainement le seul
moyen de traiter un tel personnage, totalement hors normes.
MERCREDI.
Mail. Y. me demande les dates des
chansons que nous avons enregistrées ensemble. Je plonge dans mes
écrits intimes pour les retrouver.
Vacances. J'appelle J. pour mettre
au point notre séjour en Lozère. J'emmènerai Lucie
avec moi. Il faut fuir la maison à cause du bruit qui devient insoutenable
et des risques d'effondrement. Je conduis la voiture à Xertigny
pour une révision en vue de ce long voyage. Par ailleurs, je téléphone
aux D. pour qu'on lance le programme des vacances de février.
Jeunes pousses. Alice a un an. Nous
parvenons à l'empêcher de saisir sa bougie à pleine
main, ce qu'avait fait Lucie en son temps et avait rendu la cérémonie
d'alors un rien lacrymale. Ce que c'est que l'expérience...
Travaux. Le chef du gros-oeuvre nous
apprend que, sauf pour la partie qui repose sur la cave, la maison ne
possède pas de fondations et a été posée sur
le trottoir comme un étron canin. Il faut interrompre les travaux
pour étayer d'urgence. Les menaces d'expulsion se précisent.
Un huissier vient constater l'état des maisons voisines et du trottoir
afin d'éviter d'éventuelles récriminations futures.
Cinéma. Betty Fisher et autres
histoires (Claude Miller, France 2001 avec Sandrine Kiberlain, Mathilde
Seigner, Nicole Garcia, Luck Mervil, Édouard Baer, Stéphane
Freiss, Yves Jacques, Roschdy Zem, Alexis Chatrian, Michael Abiteboul,
Pascal Bonitzer, Consuelo de Haviland).
Après avoir passé quatre ans aux États-Unis, Betty
Fisher, écrivain reconnu, s'installe à Vaucresson pour y
vivre paisiblement avec son fils Joseph.
L'arrivée de sa mère, Margot, qui n'est pas tout à
fait saine d'esprit, coïncide avec la mort de son fils, tombé
d'une fenêtre. Margot kidnappe un enfant pour l'offrir à
sa fille en guise de remplacement.
Claude Miller se tire mieux de cette adaptation de Ruth Rendell que de
celle qu'il avait faite de La Classe de neige d'Emmanuel Carrère.
Le personnage de Margot est typiquement "rendellien", une femme
qui, sous une apparence ordinaire, cache un déséquilibre
terrifiant (voir Julia, pédo-psychiatre devenue névropathe
dans Sage comme une image). Margot souffre de porphyrie (si je me rappelle
bien). Elle a mutilé sa fille dans son enfance et celle-ci a gardé
la crainte de celle-là. L'égoïsme de Margot, son éloignement
des choses réelles, donnent lieu à des scènes glaçantes
à l'hôpital où meurt Joseph.
Peut-être que le film aurait été vraiment dérangeant
s'il avait été centré sur Margot. Mais celle-ci repart
chez elle en laissant à sa fille le jeune garçon qu'elle
a enlevé à une mère (Seigner) que ça ne chagrine
guère. Plusieurs histoires se développent alors : l'enquête
sur le kidnapping, qui révèle un bon acteur, Luck Mervil,
dans le rôle du suspect n° 1; la redécouverte de
l'amour pour Betty; le retour du père de Joseph qui veut la faire
chanter; les escroqueries d'un petit gigolo (Baer) qui tente de vendre
la maison de sa maîtresse en son absence... Là, Claude Miller
(Ruth Rendell aussi, peut-être, je n'ai pas lu Un enfant pour un
autre, le livre-source) se disperse, jusqu'à une conclusion qui
réunit plusieurs protagonistes au même endroit de façon
artificielle.
A noter que malgré la coiffure ridicule dont on l'a dotée,
Sandrine Kiberlain a toujours le même charme.
JEUDI.
Travaux. Pose de madriers, de tire-fonds
pour consolider la bâtisse. Réunion de chantier : l'architecte
se veut rassurant, même si les imprévus influeront sur les
délais et les coûts. Mon beau-père déniche
une compagnie qui accepte d'assurer les cellules.
Courrier. J'envoie une coupure de
L'Huma à l'A.G.P.
Compétence professionnelle.
Caroline en formation sur l'obésité. D'où il ressort
que j'ai encore 34 kilos de marge.
TV. Décalogue 9 : Tu ne convoiteras pas la femme
d'autrui (Dekalog Dziwiec, Krzysztof Kieslowski, Pologne, 1988 avec
Ewa Blaszczyk, Piotr Machalika, Jan Jankowski).
Roman apprend quasi simultanément qu'il est impuissant et que sa
femme le trompe.
Dans Tu ne tueras point, cinquième volet de son Décalogue,
Kieslowsli présentait un récit alterné, centré
tour à tour sur le criminel et sur son avocat. Même construction
ici avec le mari trompé et la femme infidèle, l'amant n'étant
qu'un comparse insignifiant : ce n'est pas celui qui convoite la femme
d'autrui qui intéresse le réalisateur mais celui dont la
femme est convoitée, ainsi que la femme elle-même. En une
heure - la série a été tournée à l'origine
pour la télévision - Kieslowski raconte, au moyen de courtes
séquences découpées au rasoir, une histoire humaine
profonde et douloureuse. Le ton est grave, parce que le sujet l'est aussi :
qu'est-ce que l'amour, qu'est-ce qu'il en reste quand le physique n'est
plus là ?
TV, suite. Je jette un oeil (mais
pas une oreille, ça m'empêche de lire) sur le Thema d'Arte
consacré à Brassens. Beaucoup d'images inédites de
l'impasse Florimont où j'ai traîné mes guêtres
il y a bien longtemps. Souvenir de mon premier voyage solo à Paris
en 1976, pour aller voir Brassens à Bobino. Je mets le son pour
écouter Agathe Fallet, veuve de l'écrivain, que j'ai rencontrée
à Jaligny en juin dernier.
VENDREDI.
Sport. Cross du collège. Je
passe deux heures à me geler et à pester sur le parcours.
J'en récolterai une bonne sinusite. Je pense au pauvre gosse (en
l'occurrence moi il y a trente ans) pour qui le cours de gym est déjà
une torture suffisante et qu'on oblige à faire le guignol en short
par un froid de canard une matinée durant.
Vie scolaire. Lucie rapatriée
de l'école en milieu de matinée, le pouce écrasé
dans le chambranle d'une porte. La série continue.
Travaux. L'entrepreneur nous donne l'autorisation de rester
dans la maison. Nous marchons sur la pointe des pieds. La porte d'entrée
est obstruée par des madriers, impossible de la fermer à
clé depuis l'extérieur, il faut se contorsionner pour entrer
ou sortir. Le camion qui livre le béton pour consolider la masure
emboutit un Algeco, sans heureusement le chasser de ses cales. Il était
temps de trouver un assureur.
Courrier. Je reçois un CD d'Ed
Harcourt et la convocation à l'Assemblée Générale
d'Agir en Pays Jalignois.
Cinéma. Reines d'un jour (Marion
Vernoux, France, 2001 avec Karin Viard, Hélène Fillières,
Victor Lanoux, Jane Birkin, Sergi Lopez, Clémentine Célarié,
Gilbert Melki, Melvil Poupaud, Philippe Harel, Evelyne Buyle, Jonathan
Zaccaï).
Paris, un 17 décembre. Marie s'aperçoit qu'elle est enceinte.
Hortense veut profiter de l'absence de son mari pour vivre une aventure.
Maurice attend la visite d'un ancien amour. Luis est plaqué par
sa femme.
Comme il se doit, ces quatre destins, filmés séparément,
vont finir par se croiser au bout d'un parcours filmique insipide. C'est
dommage, il y a là une galerie d'acteurs et d'actrices dans l'impossibilité
de montrer leur talent, à part Karin Viard dont le personnage atteint
en bout de course un pathétique enfin parlant. Le reste du temps,
c'est fade, sans relief. Les efforts de Marion Vernoux pour donner du
corps à son film (changements de lumière, accélérations
burlesques, onirisme) tombent lamentablement à plat. Paradoxalement,
son film précédent, Rien à faire, consacré
au vide de l'existence de deux chômeurs qui conjuguaient leurs solitudes,
était beaucoup plus dense, plus rempli.
SAMEDI.
Pas de coups de masse, pas de marteau-piqueur, pas de perceuse, le ciel
est par-dessus le toit, si bleu, si calme...
Bon dimanche.
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