Notules
dominicales de culture domestique n°33 - 4 novembre 2001
DIMANCHE.
Préparation des bagages en vue du séjour en Lozère.
TV. La Captive (Chantal Akerman,
France-Belgique, 2000 avec Stanislas Mehrar, Sylvie Testud, Olivia Bonamy,
Liliane Rovère, Françoise Bertin, Aurore Clément).
Simon espionne son amie Ariane, qu'il soupçonne de le tromper avec
d'autres femmes.
On remplace Simon par Marcel, Ariane par Albertine et on est dans La prisonnière
de Proust. Chantal Akerman a transposé l'histoire à l'époque
moderne (téléphone, chaîne hi-fi) et a supprimé
tous les personnages annexes (Charlus, les Verdurin) pour se focaliser
sur le couple. Il semble qu'elle ait eu l'idée suivante : puisque
Proust faisait de longues phrases, traduisons-les en longs plans fixes.
Ainsi fut fait, pour le plus grand désespoir du spectateur. Tout
passe par des dialogues interminables, et, c'est ça le pire peut-être,
chuchotés et à peine audibles. Un calvaire.
LUNDI.
Informatique. A l'aube, je m'aperçois
qu'un virus affecte mon ordinateur et a pris possession de mon carnet
d'adresses. Des correspondants ont reçu des messages incompréhensibles
ou gênants (les coordonnées bancaires de la pharmacie). Je
n'ai pas le temps de m'en occuper et abandonne le problème à
Caroline : dans le fond, les virus, c'est plus son rayon que le mien.
Voyage. Départ à 9 heures,
avec la peur au ventre : je n'ai jamais conduit pour un voyage aussi long.
La traversée de Lyon, qui sera aussi une première, m'effraie
particulièrement. Craintes vaines : tout se passe bien, de
plus, Lucie est adorable, elle écoute Blanche Neige en boucle,
c'est un peu crispant par moment mais bon...
Saint-Etienne, Le Puy, Langogne, Villefort et nous arrivons à Castanet
à 16 heures. Personne à la maison, nous attendons. Le temps
est splendide, les châtaigniers donnent des couleurs magnifiques
au paysage. Une heure après toute la troupe est là : J.
(notre hôte et parrain de Lucie), ses enfants F. et P., ses amis
que j'avais déjà rencontré en 1996 Al. (tromboniste
à l'Orchestre de Radio France) et An. (professeur de musique) et
leurs enfants P. et V. Dans la soirée, arrivée de B.(directeur
d'une école de musique dans les Hautes-Alpes), frère d'An.,
rencontré lui aussi en 96. Il vit maintenant sur son bateau, à
Cogolin, le Pompon III, c'est l'adresse qui figure sur son chéquier
qu'il nous montre avec fierté. Lucie est plutôt réservée
: les autres enfants sont plus grands et plus masculins, mais tout le
monde la trouve charmante.
MARDI.
Lecture. Les moutons et l'arbre
magique (Francis Henné, manuscrit, 2001).
Un troupeau de moutons anglais est menacé par une épizootie.
Il s'agit d'une nouvelle, une sorte de conte pour enfants qui commence
de façon classique (la vie du troupeau, l'arrivée de la
menace) pour se terminer dans une séquence qui fait appel au merveilleux,
fondée sur la polysémie du mot "mouton" et qui
est une vraie réussite.
Je vais faire quelques courses à Villefort, Lucie souhaite rester
à la maison. Tout au long de mon absence, j'ai peur qu'elle enquiquine
le monde, peur inutile, tout se passe bien. Nous partons pique-niquer
au Mas de la Barque, une petite station de ski aujourd'hui fermée
que j'ai connue en activité lors de mon premier séjour ici
en 1993 ou 1994. Le temps est doux et le ciel clair, on voit les Alpes
au loin. V. s'occupe de Lucie, je parviens par moments à me détendre,
plongeant même dans une petite sieste. J. et An. corrigent des copies,
parlent de leur quotidien de professeur de musique qui est proprement
effrayant. Les enfants ramassent des cèpes et des pieds bleus.
Au retour, on s'arrête acheter des truites. Le soir, arrivée
de P. et de deux de ses copains.
Lecture. La cinquième femme (Henning Mankell, Seuil
Policiers, 2000).
Une série de meurtres particulièrement atroces se déroule
en Scanie. L'inspecteur Wallander essaie de voir ce qui peut relier les
victimes l'une à l'autre pour confondre le coupable.
Deuxième enquête de Wallander traduite, La cinquième
femme s'ouvre, comme Le guerrier solitaire sur un prologue qui raconte
un épisode qui s'est passé loin de la Suède - en
Algérie ici - apparemment sans rapport avec les meurtres qui vont
suivre mais qui en est en fait la source. De même, on assiste ici
aussi en parallèle aux agissements du meurtrier et aux efforts
de la police pour l'arrêter. La silhouette massive de Wallander,
ses relations compliquées avec son père (qui meurt au cours
de cette histoire), son ex-femme, sa fille, son amie, son mode de vie
(très peu de sommeil, alimentation anarchique), son pessimisme
devant l'évolution de la société suédoise
(la création de milices privées ici, pour suppléer
aux carences de la police), tout cela contribue à la création
d'un monde littéraire aussi attachant que, par
exemple, celui que John Harvey a construit autour de l'inspecteur Resnik.
Chez ces deux auteurs, on suit l'enquête en temps réel, c'est
à dire qu'on assiste à un nombre incalculable de réunions,
de démarches qui ne donnent rien, de tâtonnements, de fausses
pistes. Seulement, il arrive que, comme Wallander et ses collègues,
on se lasse un peu au long de ces 480 pages, ce qui n'était pas
le cas pour Le guerrier solitaire.
MERCREDI.
Je viens à bout d'une grille de mots croisés de Laclos et
rédige cinq cartes postales, dont je tire les destinataires au
sort dans mon carnet d'adresses. La brièveté de mon séjour
ne me permet pas d'écrire à tout le monde. Le temps est
maussade. je joue aux petits chevaux avec Lucie. L'après-midi,
expédition mycologique du côté de La Garde Guérin.
Lucie s'accroche à mes basques, les fourrés sont trop hauts
pour elle, elle a peur de se perdre, je m'énerve. J'essaie de la
convaincre de reprendre la route le lendemain, je commence à avoir
ma dose de nature, mais elle s'y oppose. Le soir, arrivée d'un
couple de Void, que je ne connais pas, accompagnés de leur fille.
Soirée musique : piano, trombone, deux trompettes. je m'éclipse
de peur qu'on me demande de chanter. Dans la nuit, arrivée de N.,(femme
de J.) et d'une de ses collègues, C., accompagnée de ses
deux garçons. La maison est plutôt bien remplie, il est temps
qu'on rentre. A la pharmacie, Caroline m'informe que les ouvriers
ont commencé à installer des piliers de soutènement
et dégagé en partie notre porte d'entrée.
JEUDI.
Le ciel est bleu mais le vent glacial. La troupe part le matin au marché
de Villefort et l'après-midi faire le tour du lac. Je reste avec
Lucie, on marche jusqu'au château, on va au café. Le soir,
les enfants font une parade d'Halloween. Nouvelle soirée musicale,
cette fois je n'y coupe pas, je chante quelques airs québécois
les tripes nouées. Ca fait maintenant plusieurs années que
j'ai arrêté ça, justement parce que ça me fait
trop peur et que je ne peux plus vaincre ma peur au moyen de l'alcool.
Tout se passe bien néanmoins, succès.
VENDREDI.
Départ sous le soleil à 9 heures 24. Bonne route, peu de
camions, pas de problème à Lyon. On mange des frites avant
Mâcon puis je m'arrête pour siester un brin. Nous arrivons
avant 17 heures 30. Je dépouille le courrier. Les Cahiers du cinéma,
une carte postale Brassens postée par P.P. en pèlerinage
à Sète, Bulletin n°39 de l'Association Georges Perec
dans lequel on peut lire page 17 : "Les personnes suivantes nous
ont adressé des informations précieuses pour la constitution
de ce bulletin et des documents qui ont rejoint notre fonds : Cécile
de Bary, David Bellos, Ela Bienenfeld, Pierre Brasseur (N.B. Roland Brasseur
a dû sursauter), Patrick Bideault, Denis Cosnard, Maryz Courberand,
Pierre David, Jacques Gaudier, Hans Hartje, France Jolly, Bernard Magné,
Jacques Neefs, Paulette Perec, Rémi Schulz, Serge Sion, Nicolas
Texier et, en particulier, Philippe Didion."
Visite de L. avec qui nous dînons et devisons. Il me tient des propos
alarmants concernant mon virus informatique qui peut avoir des conséquences
très dommageables.
SAMEDI.
Avec l'assistance téléphonique de Y., j'installe un antivirus
qui ne détecte rien. Ma boîte à lettres électroniques
est pleine de mots de personnes inconnues intriguées par des messages
fantaisistes et qui demandent des explications.
Lecture de la presse en retard, mise à jour de diverses paperasses.
F., à qui j'ai communiqué mon infection et qui a réussi
à s'en débarrasser, m'aide à mettre en place un autre
antivirus qui nettoie mon disque dur et me laisse à penser que
j'ai recouvré la santé informatique. Un coup de téléphone
à ma sœur m'informe que c'est d'elle que vient le mal, que j'ai
contracté en ouvrant une pièce jointe incompréhensible.
Je sais qu'il ne faut pas ouvrir de dossiers de provenance inconnue mais
le côté pervers de ce virus est qu'il est véhiculé
par des personnes figurant dans le carnet d'adresses. Je peux en tout
cas prévenir ceux qui me lisent à cette heure : je ne sais
pas me servir de mon scanner, je ne sais pas comment on envoie une pièce
jointe. Sauf mention expresse de ma part, tout dossier joint de ma part
est donc à considérer comme suspect et à détruire.
Je m'ennuite, rédigeant des mots d'excuse et d'explication aux
correspondants que j'ai pu intriguer et contaminer.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°34 - 11 novembre 2001
DIMANCHE.
Déception. J'ouvre fébrilement
Le Monde qui publie la liste des lauréats du concours qu'il a conjointement
organisé avec les dictionnaires Le Robert. Je n'y figure pas. Si
j'ai répondu correctement aux questions (d'ordre étymologique),
le tirage au sort m'a été fatal.
Excursion. Je reprends mon Itinéraire
patriotique départemental avec la visite du monument aux morts
d'Aydoilles. C'est la dernière commune en A. Dès qu'une
de mes tâches informatiques en cours sera terminée, je me
mettrai à recopier ce que j'ai déjà écrit,
en essayant d'y insérer les photos prises, ce qui doit être
possible avec le scanner. Je prends même une photo d'un café
désaffecté qui fait face au monument, réactivant
ainsi un autre travail en sommeil que j'avais intitulé Bar clos.
Lucie fait du vélo, Alice de la poussette.
TV. Jour de fête (Jacques
Tati, France 1947 avec Jacques Tati, Paul Frankeur, Guy Decomble).
A Sainte-Sévère, François, le facteur, découvre
au cours d'une fête foraine les méthodes des postiers américains
et décide de les imiter.
C'est la quatrième fois que je vois le film, et toujours avec le
même plaisir. Cette peinture idéaliste et tendre de la France
profonde possède toujours le même charme. La construction
de Tati est toujours fondée sur l'alternance de séquences
avec et sans François. Quand il n'est pas là, la vie suit
son cours sans histoire mais dès qu'il apparaît la mécanique
se dérègle. A noter l'ironie qu'on peut trouver aujourd'hui
à découvrir avec François un documentaire (même
faux) à la gloire de la poste américaine quand on sait les
problèmes dans lesquels elle se débat en ce moment.
LUNDI.
Courrier. je reçois le n°
7 de la revue Histoires littéraires et une carte postale
de H. en vacances à Lisbonne. On y voit une statue de Fernando
Pessoa, ce qui me fait penser que son Livre de l'intranquillité
attend toujours ma lecture sur mes étagères.
TV. Aïe (Sophie Fillières, France, 2000
avec Hélène Fillières, André Dussollier, Emmanuelle
Devos, Jean-Baptiste Malartre, Anne Le Ny, Gisèle Casadesus, Laetitia
Casta).
Robert, séducteur d'âge mûr, apprend que Claire, une
de ses anciennes conquêtes, vient de donner naissance à un
enfant. En plein doute sur une éventuelle paternité, il
rencontre Marie-Pierre, alias Aïe, qui décide de tomber amoureuse
de lui.
Il y a dans cette comédie des moments plutôt vides et pesants,
mais qui sont largement compensés par des séquences d'un
absurde totalement réjouissant.
Le repas chez les parents d'Aïe, à l'issue duquel celle-ci
annonce à Robert qu'elle est en fait une extra-terrestre (!) est
un vrai régal (le père qui va se coucher, la mine gourmande
et un fort volume en main : "Heidegger, vous avez lu ?"). Hélène
Fillières, vue récemment dans Reines d'un jour, est sidérante
dans un rôle d'anorexique totalement déjantée; quant
à André Dussollier, il se bonifie de film en film.
Lecture. L'Homme sans qualités
(Der Mann ohne Eigenschaften, Robert Musil, Éditions du Seuil pour
la traduction française, coll. Le don des langues, 1956).
L'Homme sans qualités est considéré comme un jalon
incontournable du roman européen. Son auteur, Robert Musil, Autrichien
né à Klagenfurt (devenu entre-temps le fief de Jörg
Haider), est mort à la tâche, laissant son roman inachevé
mais fort tout de même de 1 800 pages. Son ambition, semble-t-il,
a été de bâtir une sorte de Comédie humaine
de début du XXème siècle, avec, selon le modèle
balzacien, des Scènes de la vie privée, des Scènes
de la vie politique, des Scènes de la vie militaire, des Scènes
de la vie viennoise, le tout agrémenté d' une histoire de
la pensée de l'époque, versant philosophique de l'œuvre
plutôt ardu. L'action - quasi inexistante - s'étend d'août
1913 à août 1914. Ulrich, l'"Homme sans qualités"
("Comme la possession de qualités présuppose qu'on
éprouve une certaine joie à les savoir réelles, on
entrevoit dès lors comment quelqu'un qui, fût-ce par rapport
à lui-même, ne se targue d'aucun sens du réel, peut
s'apparaître un jour, à l'improviste, en Homme sans qualités.")
est appelé à participer à un Comité préparant
le jubilé de l'Empereur d'Austro-Hongrie, ce pays hybride que Musil
appelle la Cacanie (à partir des deux K de König et Kaiser).
C'est avec une ironie féroce que Musil décrit la vie des
hautes sphères viennoises qui hantent les salons. Ulrich, c'est
Musil, qui observe ce monde de faux-semblants d'un oeil d'entomologiste.
Ceci concerne en gros le premier tome du livre, que j'ai lu d'un trait
en Creuse. Malheureusement, la suite est plus pénible. Ulrich retrouve,
après la mort de son père, sa sœur Agathe avec laquelle
il a une relation incestueuse (c'est cet épisode qui intéressa
fortement Marguerite Duras). Les échanges philosophiques entre
Ulrich et Agathe sur la morale, l'amour, le droit, la vérité,
le sens de la vie, occupent d'interminables chapitres qui m'ont en grande
partie échappé par manque de connaissances en ce domaine.
On a cru bon d'ajouter après la mort de l'auteur les ébauches,
fragments et esquisses sur lesquels il travaillait pour la fin de son
roman. On ne sait même pas dans quel ordre il avait l'intention
de les utiliser et les cinquante derniers chapitres laissent le lecteur
dans la confusion la plus totale.
Alors, le monument annoncé ? un chef-d'œuvre ? Peut-être
bien, mais je n'ai pas les outils nécessaires pour l'appréhender.
Citation : "On signalait une dépression au-dessus de l'Atlantique;
elle se déplaçait d'ouest en est en direction d'un anticyclone
situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance
à l'éviter par le nord. Les isothermes et les isothères
remplissaient leurs obligations. Le rapport de la température de
l'air et de la température annuelle moyenne, celle du mois le plus
froid et du mois le plus chaud, et ses variations mensuelles apériodiques,
était normal. Le lever, le coucher du soleil et de la lune, les
phases de la lune, de Vénus et de l'anneau de Saturne, ainsi que
d'autres phénomènes importants, étaient conformes
aux prédictions qu'en avaient faites les annuaires astronomiques.
La tension de vapeur dans l'air avait atteint son maximum, et l'humidité
relative était faible. Autrement dit, si l'on ne craint pas de
recourir à une formule démodée, mais parfaitement
judicieuse : c'était une belle journée d'août 1913."
MARDI.
Archéologie paperassière.
Je plonge dans mes cartons d'archives pour exhumer le Magazine littéraire
n° 184 de mai 1982 consacré à Robert Musil, histoire
d'éclairer ma lanterne.
J.-C.F., un collègue, m'a confié un vieux volume, datant
apparemment du début du siècle, dont la couverture et la
page de garde ont disparu, comptant sur ma sagacité pour en découvrir
le titre et l'auteur. C'est le genre de défi qui m'enchante et
je ne suis pas peu mécontent de trouver, au prix d'une recherche
somme toute rapide, qu'il s'agit du premier volume des Voyages en zig-zag
(1844) de l'écrivain suisse-allemand Robert Töpffer.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète le dernier
John Harvey et un Terre Humaine à la Licorne, le Série Noire
n° 263 et le Seul comme Franz Kafka de Marthe Robert chez un libraire
d'occasions.
Travaux. Il y a maintenant une pelleteuse
dans la pharmacie. Les cloisons sont abattues. On s'habitue au bruit et
à la saleté. On trouve, en creusant, un ancien bras de la
Moselle.
Courrier. Je reçois le nouveau
catalogue de Frémeaux & Associés, mon disquaire de prédilection,
et une invitation à un vernissage à Illiers-Combray.
Préparatifs de voyage. Je commande
train et hôtel pour Paris en vue de la reprise prochaine du séminaire
Perec.
Cinéma. C'est la vie (Jean-Pierre
Améris, France, 2001 avec Jacques Dutronc, Sandrine Bonnaire, Emmanuelle
Riva, Jacques Spiesser, Annie Grégorio, Maryline Canto, Patrick
Lizana, Saïda Jawad).
Dimitri est condamné, il lui reste un mois à vivre. Son
médecin l'envoie à La Maison, un centre de soins palliatifs
à Gardanne où il noue une relation avec Suzanne, une bénévole.
Tout est dans la manière, quand il s'agit de traiter ce genre de
sujet. Car enfin, on est dans un volume d'Harlequin : il va mourir, il
tombe amoureux de son infirmière (même si ce n'est pas une
infirmière mais une bénévole), il meurt. Un mélodrame
donc, que Jean-Pierre Améris réussit à appréhender
avec beaucoup de justesse et d'émotion, aidé en cela par
deux interprètes exceptionnels, Dutronc, décavé magnifique,
et Bonnaire, égale à elle-même, c'est à dire
parfaite. Curieusement, c'est la séquence d'ouverture qui est la
plus glaçante : Dimitri arrive à La Maison où tout
respire la jovialité, la bonne humeur, où tout est fait
pour nier la maladie. Le personnel est tout sourire, les pensionnaires
ont l'air d'être en colonie de vacances. On raconte des blagues,
on se moque de son état, on chante "Happy birthday" aux
anniversaires (qu'on filme au caméscope) comme chez McDonald's.
(Et là, on se dit, atterré : "Qu'est-ce que je ferai,
plus tard, dans ma maison de retraite, moi qui ne sais pas parler ni jouer
aux cartes ?") Dimitri le dit à Suzanne : " Le plus angoissant,
ici, c'est que tout le monde est si gentil, si dévoué..."
Dimitri réagit de la façon la plus saine : il fait son sac
et il s'en va. Rattrapé par Suzanne,il va alors s'intégrer
petit à petit à ce milieu, s'apprivoiser, on ne peut pas
dire reprendre goût à la vie mais s'accrocher à celle-ci,
faire la nique à la mort. On a alors une succession de séquences
très belles, notamment une séance de karaoké dans
un bar où Dutronc et Bonnaire rivalisent de charme, où l'humour
et l'émotion sont
très bien dosés.
Il y a quand même quelques ratés, comme le personnage de
l'ancien pensionnaire guéri devenu cuisinier de l'établissement,
homosexuel à qui on fait chanter Où sont tous mes amants ?;
le couple ridicule chanteur-danseuse qui se marie au centre et la complicité
trop immédiate entre Dimitri et le fils de Suzanne. Il n'empêche
qu'on tient ici un des films majeurs de l'année.
JEUDI.
Satisfaction. J.-C.F. est épaté,
comme il se doit, par ma trouvaille littéraire.
Courrier. Une lettre des M., résidents
du Texas, sans traces de poudre blanche mais avec un abonnement aux notules
à la clé. J'envoie à l'AGP l'enregistrement d'une
émission sur Italo Svevo captée dimanche soir et dans laquelle
on entend Perec parler de La conscience de Zeno qu'il dit avoir lu dix
ou vingt fois.
Mail. Je transfère les derniers
numéros des notules aux M.
Sur [listeperec], je fais part de mes observations concernant les correspondances
Perec/Modiano (cf. notules n° 30).
M. m'annonce qu'elle a trouvé un gîte pour nos vacances de
février prochain, en Autriche, comme cette année. Le propriétaire
s'appelle Moosbrugger, comme un personnage de L'Homme sans qualités
de Musil : "Moosbrugger avait tué une fille, une prostituée
de bas étage, et dans des conditions particulièrement atroces".
Il faudra lui demander si c'est son grand-père.
Je transfère un message joycien reçu sur [listeoulipo] à
A.
Lecture. Temps Noir (La Revue des
Littératures Policières n° 5, Éditions Joseph
K., 2001).
Temps Noir profite de la sortie de Meurtres en soutane pour publier une
étude assez fouillée sur P.D. James. Suivent deux entretiens,
l'un avec James Ellroy, que je n'ai jamais lu, et l'autre avec Maurice
G. Dantec dont les élucubrations fumeuses ont peu à voir
avec la littérature policière. Sophie Colpaert s'intéresse
à Amanda Cross, auteur de la pâlichonne Affaire James Joyce,
et Jacques Finné à un roman de Pierre Véry, Le Pays
sans étoiles.
Dans l'Actualité du semestre, j'ai noté le dernier roman
d'Alain Gagnol (ses Lumières du frigo m'avaient plu) et un nouvel
auteur russe (traducteur de Perec dans cette langue au demeurant), Boris
Akounine.
Compétence professionnelle.
Caroline en formation sur les Bonnes Pratiques de Dispensation de l'Oxygène.
Elle rentre à une heure du matin. Comme je lui fais remarquer finement,
elle ne manque pas d'air.
TV. Coiffeur pour dames (Jean Boyer, 1952, France avec
Fernandel, Blanchette Brunoy, Renée Davillers, Georges Chamarat,
Jane Sourza, Germaine Kerjean, Arlette Poirier).
Marius tond les moutons, près de Marseille, avant de devenir Mario,
coiffeur pour dames à Paris. Ses doigts de fée électrisent
ses clientes.
En montant à Paris, Marius, comme beaucoup de personnages interprétés
par Fernandel, découvre un monde d'intrigues, de fausseté,
à mille lieues de la spontanéité et de la simplicité
méridionales qu'il retrouvera bien évidemment à la
fin de l'histoire (cf. Les Rois du sport, in notules n°25). La nouveauté
fut ici de faire de Fernandel un séducteur accumulant les conquêtes
avant de revenir vers son épouse. La période de dérèglement
se termine en effet par un inévitable retour à la norme.
L'image de la femme véhiculée à l'époque par
ce genre de film est également éclairant : elle est soit
bobonne, soit cocotte, et n'organise son existence, n'existe, même,
que par rapport à l'homme. Cela dit, certaines répliques
et certaines situations sont drôles.
VENDREDI.
Mail. Échange avec F. sur l'actualité
cinématographique.
A. me demande le texte de Perec sur le Saint Antoine d'Antonello de Messine
que je mets sous enveloppe à son intention.
Lecture. Les Morts de la Saint-Jean
( Steget Efter, Henning Mankell, 2001, Éditions du Seuil pour la
traduction française, coll. Seuil Policiers).
Ystad (Suède). Kurt Wallander enquête sur la disparition
de trois jeunes gens dont on finit par retrouver les corps exposés
dans une réserve naturelle lorsque son collègue Svedberg
est assassiné. Or il s'avère que Svedberg menait depuis
un moment sa propre enquête en solitaire sur ce triple meurtre.
Wallander, épisode 3. J'avais souligné, à propos
de La cinquième femme (cf. notules n° 33), l'apparition d'un
certain ennui devant la longueur de l'enquête. Il n'en est rien
ici, où l'histoire est palpitante de bout en bout. Mankell révèle
les indices au compte-gouttes, ménage les coups de théâtre
(l'assassinat d'un quatrième jeune qui aurait dû se trouver
avec les trois autres au cours de leur fête tragique). Fidèle
à son principe de construction, il nous montre, parallèlement
au travail des policiers, les agissements du tueur sans bien sûr
en révéler l'identité. Wallander va jusqu'au bout
de lui-même et met sa santé en péril pour découvrir
la vérité. Il a appris au début de l'histoire qu'il
était gravement atteint de diabète et sera mis en congé
de maladie à la fin. En fouillant dans la vie de son collègue,
il s'aperçoit qu'il ne sait rien de lui alors qu'il a travaillé
à ses côtés pendant des années, ce qui l'amène
à s'interroger sur la perception qu'ont les autres de lui-même.
Je crois qu'il reste trois aventures de Wallander à traduire, je
les attends avec impatience, mais pas trop tout de même pour laisser
à Wallander le temps de se soigner convenablement.
TV. Nous regardons un épisode
de la série policière P.J. dont nous sommes des fidèles
depuis ses débuts. C'est plus par habitude que par passion, la
série ronronne, les personnages sont enfermé dans leur stéréotype,
les présumés coupables avouent avec une rapidité
confondante pour que les différentes intrigues menées de
front entrent bien dans le cadre des 52 minutes.
SAMEDI.
Mail. J'ai des réponses à
ma communication sur [listeperec], dont une de Roland Brasseur qui me
dit avoir un travail en sommeil sur Perec et Modiano qu'il destine peut-être
à la publication. Il m'en envoie les grandes lignes dans un fichier
joint que je n'ouvre pas : l'antivirus me signale qu'il est infecté.
Merci, M. Norton !
Courrier. je reçois le dernier
CD de Leon Redbone, Anytime, que je vais écouter de ce pas.
TV. Je regarde France-Afrique du Sud,
c'est du rugby. Victoire prometteuse d'une jeune équipe de France.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°35 - 18 novembre 2001
DIMANCHE.
Nous passons la journée chez mes parents (veau Marengo). J'y retrouve
un exemplaire de Seul comme Franz Kafka de Marthe Robert...que j'ai racheté
le mercredi précédent.
Cinéma. Au tour de Caroline d'aller apprécier
C'est la vie.
TV. Presque rien (Sébastien
Lifshitz, France , 1999 avec Jérémie Elkaïm, Stéphane
Rideau, Marie Matheron, Dominique Reymond, Laetitia Legris).
En vacances sur la côte atlantique avec ses sœurs et sa mère
dépressive, Mathieu fait la connaissance de Cédric, avec
qui il a une liaison homosexuelle.
Ce film rassemble à peu près tous les travers du jeune cinéma
d'auteur quand il n'a rien à dire et se caricature lui-même
: une histoire creuse, des plans tout aussi creux qui se veulent lourds
de sens, des personnages transparents, des acteurs qui soupirent plus
qu'ils ne parlent, une particularité comportementale érigée
en marqueur identitaire (ici l'homosexualité). Presque rien, oui,
le titre n'est pas mal choisi.
LUNDI.
La préparatrice chargée de fermer la boutique samedi a oublié
de vidanger les conduites d'eau. Pas d'eau dans la pharmacie, tuyaux gelés.
Lecture. Monet Le cycle des Nymphéas
(catalogue de l'exposition du Musée national de l'Orangerie, Paris,
visitée le 6 juin 1999, Éditions de la Réunion des
musées nationaux, 1999).
1890. Monet a cinquante ans et achète une propriété
à Giverny. Il y aménage un jardin d'eau en détournant
- au prix de nombreux tracas de voisinage - un bras de l'Epte, la rivière
voisine. A partir de là, Monet devient un peintre sédentaire.
Adieu Étretat, Belle-Île, la Creuse, Londres, Rouen... Désormais,
et jusqu'à sa mort en 1926, il se consacre à un seul sujet,
ses Nymphéas. J'aime assez ce côté monomaniaque chez
les artistes ou les écrivains, qui se vouent à l'épuisement
d'un sujet.
L'exigence de Monet envers lui-même est telle qu'il exposera très
peu et que son grand-oeuvre, les Grandes décorations qu'il offre
à l'État pour participer à sa manière à
la victoire de 1918 (il est l'ami de Clemenceau), ne sera livré
qu'après moult renoncements, atermoiements et retards. On est obligé
de réaménager l'Orangerie pour accueillir ses oeuvres :
pour une fois, ce n'est pas la peinture qui entre au musée, c'est
quasiment le musée qu'on construit autour de la peinture. C'est
dans ces immenses panneaux que Monet peut mettre le fruit de ses années
de travail sur la couleur et la lumière, sortir vainqueur de son
combat contre le temps et la détérioration de sa vue.
Bien sûr, il n'est pas facile de faire entrer ces grandes compositions
dans un catalogue mais celui-ci contient bien d'autres choses, notamment
des extraits de la correspondance de l'artiste avec Clemenceau et d'autres
qui sont d'un grand intérêt.
Est-ce l'influence de Monet ? Toute ma semaine sera dominée par
des problèmes oculaires. Si je garde mes lentilles, la lumière
me fait horriblement mal (kératite), si j'opte pour les lunettes,
je ne peux pas lire (presbytie). J'essaie l'automédication, si
je demande un rendez-vous chez un spécialiste, je ne l'aurai pas
avant six mois.
Cinéma. Comment j'ai tué
mon père (Anne Fontaine, France, 2001 avec Michel Bouquet,
Charles Berling, Natacha Régnier, Amira Casar, Stéphane
Guillon, Hubert Koundé, Karole Rocher, François Berléand).
Jean-Luc dirige une clinique huppée à Versailles. Son père,
qu'il n'a pas vu depuis trente ans, refait irruption dans sa vie.
Tout est ici réuni pour un suspense hitchcockien de haute tenue.
Un Michel Bouquet qu'on est content de revoir et qui remet en mémoire
les Chabrol des années 70, une ambiance feutrée, lisse,
trop lisse pour ne pas cacher de graves fêlures, un non-dit pesant
entre le fils et le père, ancien médecin colonial dont on
ne sait rien, une haine sourde,contenue. Et malgré tout, ça
ne fonctionne pas vraiment. Anne Fontaine enfile les scènes à
deux personnages, le père et le fils, le fils et son frère,
le fils et sa femme, le fils et sa maîtresse, sans que l'histoire
prenne vraiment corps. On se retrouve devant un bel objet, pas vraiment
cruel ni méchant (et la pensée de Chabrol tourne au regret)
qui n'est pas à la hauteur des promesses entrevues.
MARDI.
Compétence professionnelle. Journée de formation informatique
à Nancy pour Caroline. Je reçois pour ma part une convocation
pour un stage. Je n'irai pas : je n'ai ni le loisir, ni surtout l'envie
de sacrifier trois mercredis à ça.
Travaux. Un coup de pelleteuse trop
affectueux rompt une canalisation. La Lyonnaise des eaux intervient d'urgence.
MERCREDI.
Mail. Échange avec F. sur Henning
Mankell.
Puériculture. Lucie à l'hôpital pour le
rendez-vous chez l'allergologue pris au mois de juillet. Une allergie
aux acariens est détectée. Eviter la poussière, source
des problèmes d'asthme. C'est commode : avec les travaux, notre
logis n'est plus que poussière. La cloison qui séparait
la pharmacie du couloir menant à l'appartement est abattue, le
couloir lui-même n'existe plus, n'est plus qu'une continuation du
gouffre. On passe sur des planches. La maison bouge : certaines portes
ne se ferment plus et frottent horriblement, d'autres, qui refusaient
de le faire, pivotent et se ferment sans heurts. C'est le moment de réécouter
le gag radiophonique de Jean Redoutey consacré à la ferme
qui s'enfonce. Consolation : 1200 F de gain au P.M.U.
Cinéma. Ma femme est une
actrice (Yvan Attal, France, 2001 avec Yvan Attal, Charlotte Gainsbourg,
Terence Stamp, Noémie Lvovsky, Laurent Bateau, Ludivine Sagnier,
Lionel Abelanski, Keith Allen, Roschdy Zem, Ophélie Winter, Catherine
Lara, Nagui, Marc Lavoine).
J'avais vu en 1996 le court métrage d'Yvan Attal qui se trouve
à l'origine de ce film. A une terrasse de café, le petit
ami d'une actrice était interrogé par un copain curieux
("Quand elle tourne, elle couche vraiment ?", Quand elle embrasse
dans un film, elle met la langue, non ?") et finissait, excédé,
par lui casser la figure.
C'était vif, drôle, enlevé. On retrouve cette scène
dans Ma Femme est une actrice, à l'intérieur d'un bistrot
cette fois où Attal est interrogé par Abelanski. Pour passer
du court au long métrage, Yvan Attal s'est certainement servi de
son expérience personnelle : il est à la ville le compagnon
de Charlotte Gainsbourg et les personnages s'appellent d'ailleurs Yvan
et Charlotte. Yvan a des doutes sur la fidélité de Charlotte,
partie tourner à Londres avec un partenaire qui a une réputation
de tombeur (Stamp).
Il fait des va-et-vient en TGV pour la surveiller, s'inscrit à
un cours de théâtre pour essayer de comprendre sa femme et
son métier. Comme ça fait une trame assez maigrelette, on
a donné à Yvan une sœur juive caricaturale qui se bat avec
son ami goy au sujet de la circoncision de leur fils à naître.
Bon, voilà, ça semble assez filandreux, ça l'est.
Quatre scènes vraiment drôles ponctuent le tout : celle du
bistrot (si on ne la connaissait pas), l'irruption d'Yvan au milieu d'un
tournage où toute l'équipe est à poil, la première
leçon de théâtre d'Yvan et un repas de famille. Ca
fait peu. Le reste du temps, Attal cabotine, Terence Stamp se demande
ce qu'il fait là, et Charlotte Gainsbourg, cent cinquante ans après
Diderot, découvre le paradoxe du comédien.
JEUDI.
Presse. Un article plutôt bon
sur la pharmacie dans L'Est Républicain.
Travaux. Il faut désormais passer par le jardin, qu'on
atteint par une échelle, pour rentrer chez nous. C'est pratique
avec Alice dans les bras. Un architecte spinalien qui n'a pas été
retenu pour le projet de rénovation veut se faire indemniser pour
son travail (un torchon). Qu'il aille au diable.
Courrier. A. m'envoie un CD des concertos
de violoncelle de Brahms interprétés par Pieter Wispelwey.
J'envoie à l'AGP une page du Monde contenant un entretien avec
Serge Klarsfeld, ancien condisciple de Perec, qu'il évoque brièvement,
au Lycée Claude Bernard.
TV. Lame de fond (Undercurrent,
Vincente Minnelli, U.S.A., 1946 avec Katherine Hepburn, Robert Taylor,
Robert Mitchum, Edmund Gwenn, Charles Trowbridge).
Ann Hamilton épouse le riche industriel Alan Garroway. Celui-ci
s'est fâché avec son frère Michael, qui semble avoir
disparu. Ann essaie de percer le mystère qui entoure cette absence
qui l'obsède.
Les histoires de famille pleines de secrets et de non-dit (voir Les Quatre
cavaliers de l'Apocalypse, Celui par qui le scandale arrive, Comme un
torrent...) conviennent parfaitement au talent (à mes yeux immense)
de Minnelli. Katherine Hepburn incarne ici une oie blanche qui se met
à fouiller dans un domaine qui lui est interdit -entre autres parce
qu'il est masculin - ce qui va provoquer l'effondrement du monument
social et financier qu'incarne Robert Taylor. Qui est Michael ? Où
se cache-t-il s'il est encore vivant ? Pourquoi Alan ne cesse-t-il de
mentir à son sujet ou à celui de sa mère ? L'arrivée
d'Ann dans le domaine familial des Garroway, pleine d'un secret inavouable,
est aussi réussie que celle de Mme de Winter (Joan Fontaine) à
Manderley dans Rebecca d'Hitchcock. Un fantôme rôde, il faut
le découvrir et
l'éliminer pour que la vie continue. Peu à peu, Ann voit
clair dans le jeu de son mari, comprend qu'elle n'est qu'un instrument
dans sa quête de respectabilité sociale. Cet instrument va
se transformer en obstacle, obstacle qu'Alan va essayer d'éliminer
au cours d'une promenade à cheval tragique qui est le point culminant
de ce film admirable.
VENDREDI.
Retour de Lucie à l'hôpital pour le résultat des tests.
Son eczéma trouve sa source dans une allergie au nickel. A proscrire :
conserves, couverts en métal, fermetures Éclair, bijoux,
cacao, chocolat, maïs, pommes, tomates,et d'autres choses encore.
C'est peut-être contraignant, mais au moins on connaît la
source des problèmes et ça rassure.
Mail. J'envoie sur [listeperec] un
extrait du discours de réception de Florence Delay à l'Académie
Française paru dans Le Monde où elle évoque un Je
me souviens de Perec consacré à Jean Guitton (dont elle
occupe le fauteuil et fait l'éloge).
Alain Zalmanski fait paraître sur [listeoulipo] une liste de ce
qu'il appelle des aptonymes, c'est à dire des noms de personnes
(qu'il relève dans les annuaires) parfaitement adaptés à
la profession exercées par celles-ci. On y trouve un Alain Bidet
plombier, un André Lebœuf boucher, un Louchez opticien, un Alain
Sanchez menuisier et, peut-être mon préféré,
un Jacky Pot sonorisateur. Il a également repéré
les docteurs Ildefonse et Monceix qui exercent dans la même localité
du Maine-et-Loire et que je connaissais depuis longtemps.
TV. Épisode de P.J. plutôt
réussi. Mais j'ai hâte que Léonetti rentre de vacances.
SAMEDI.
Vie militante. Assemblée Générale d'ATTAC-Vosges.
Je n'ai pas le coeur d'y passer mon après-midi, mon engagement
se limitera au règlement de mes cotisations. J'emmène Lucie
à la séance de Ciné-junior.
Cinéma, donc. Gloups ! Je
suis un poisson (Help ! I'm a Fish, Stefan Fjeldman, Danemark,
2000).
Trois enfants découvrent, dans le laboratoire du Dr Crevette, une
potion qui les transforme en poissons. Ils disposent de quarante-huit
heures pour se procurer l'antidote, faute de quoi la métamorphose
sera définitive.
Un long métrage d'animation qui ne sort ni de chez Disney, ni de
chez Dreamworks, ni de chez Miramax, c'est déjà une performance
à saluer mais il y y quelques précédents en France
(Kirikou et la sorcière) et au Japon (Le Tombeau des lucioles).
Qu'un film danois de ce genre arrive sur les écrans français,
c'est carrément un exploit. Stefan Fjeldman ne renouvelle pas le
genre (anthropomorphisme des animaux, manichéisme, séquences
chantées, multiplication des épreuves qui forgent le caractère
et l'amitié...) mais possède son originalité dans
la perspective utilisée dans ses dessins. Comme un virtuose de
la caméra, il utilise tous les
mouvements d'appareil (travellings, contre-plongées, ce qui peut
paraître normal dans le milieu aquatique choisi) au service d'une
histoire plutôt agréable à suivre.
TV. Rugby. France - Australie (14
- 13). Il y a dans cette équipe d'Australie un certain Darwin que
son illustre homonyme, s'il avait eu connaissance de son existence, eût
fait figurer dans les tout premiers chapitres de son Origine des espèces.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°36 - 26 novembre 2001
DIMANCHE.
Mail. En réponse aux aptonymes
de Zalmanski, je lui signale l'existence d'un Foumahl Salah qui apparaît
dans l'annuaire téléphonique des Vosges à la commune
des Forges (même si ça ne constitue pas un aptonyme). Il
me répond qu'il a déjà répertorié,
dans cette rubrique, trois Max Hillaire. Un autre abonné de la
[listeoulipo] prétend qu'il a personnellement connu un Omer Demol.
Les échanges sur ce thème dureront toute la semaine. Il
sera notamment question d'une entreprise funéraire qui fit un jour
paraître ce texte publicitaire : "Pompes funèbres A.
Laffut (jour et nuit)".
Vie sociale. Nous déjeunons
chez mes beaux-parents (bäkehof, orthographe incertaine) et rentrons
juste à temps pour recevoir les H. pour le thé. G.N. m'offre
deux Série Noire cartonnés.
TV. Merci pour le chocolat
(Claude Chabrol, France-Suisse, 2000 avec Isabelle Huppert, Jacques Dutronc,
Anna Mouglalis, Brigitte Catillon, Rodolphe Pauly, Michel Robin, Mathieu
Simonet).
Lausanne. Jeanne prend des cours de piano auprès d'André
Polonski, célèbre concertiste qui a un fils né le
même jour qu'elle. D'ailleurs, n'y aurait-il pas eu un échange
d'enfants à la clinique ?
Le titre original du livre de Charlotte Armstrong dont est tiré
ce film est The Chocolate Cobweb. Cette toile d'araignée, on voit
Mika, la femme d'André, la tricoter au début de l'histoire,
en laine brune bien entendu. Elle est aussi, métaphoriquement,
celle dans laquelle elle essaie d'attirer ses proies avant de les éliminer.
Elle a déjà réussi cette opération avec la
précédente épouse de Polonski, elle va tenter de
faire de même avec cette jeune pianiste en qui elle voit peut-être
une rivale. Que cherche-t-elle à supprimer ? Les êtres qui
donnent du bonheur à son mari ? Les jeunes (elle dirige une grande
maison de chocolat et refuse que les hôpitaux d'enfants reçoivent
de ses produits) ? Isabelle Huppert campe cette héroïne alambiquée
avec toute la science que lui permet sa grande complicité avec
Chabrol. Celui-ci essaie de nous embarquer dans une histoire d'enfants
échangés à laquelle il ne croit pas lui-même
("C'est comme dans La Vie est un long fleuve tranquille, non ? "
dit un des personnages), joue avec le spectateur en essayant de lui communiquer
son plaisir de filmer. Car c'est ça qui prime chez lui, le plaisir
(les scènes de repas qui ponctuent chacun de ses films, le choix
des interprètes dont il sait qu'ils raviront le public) au point
de laisser quelquefois ses histoires flotter un peu.
LUNDI.
Promotion interne. Alice passe chez
les grands bébés à la crèche.
Vie scolaire. Début des conseils
de classe. Ca se termine par une soirée beaujolais assez enjouée.
On a même pensé à me fournir de la Tourtel.
Les dates du stage auquel j'avais refusé de participer (trois mercredis)
ont été partiellement modifiées. J'y prendrai donc
part mercredi et jeudi prochains et aviserai pour la suite selon l'intérêt
de la chose.
MARDI.
Vie scolaire. Suite des conseils de
classe.
TV. Les Nerfs à vif (Cape Fear, Martin Scorsese,
U.S.A., 1991 avec Robert De Niro, Nick Nolte, Jessica Lange, Juliette
Lewis, Robert Mitchum, Gregory Peck).
Géorgie. Max Cady sort de prison, décidé à
se venger de son avocat, Sam Bowden. Il tue son chien, viole sa maîtresse,
séduit sa fille...
Du grand art, encore une fois avec Scorsese qui m'avait ébloui
avec son Casino récemment (voir notules n° 30). On est ici
dans un scénario de facture plus classique , dans un remake même
du Cape Fear de Jack Lee Thompson en 1962 dont on retrouve les deux interprètes
principaux, Mitchum et Peck, dans des petits rôles. Le suspense
distillé ici est digne des plus grands, et Scorsese ne se prive
d'ailleurs pas de citer une scène de Psychose d'Hitchcock. Robert
De Niro est un psychopathe mystique terrifiant, Nick Nolte se débat
pathétiquement dans une histoire qu'il a enclenchée et qui
le dépasse. Le rythme, spécialité du réalisateur,
ne se relâche pas, la violence est crue. Comme à son habitude,
Scorsese a donné une dimension christique à son film dans
la dernière scène : après s'être enfin débarrassé
de Cady, Sam Bowden regarde ses paumes tachées de sang (stigmates)
et les lave dans la rivière (Pilate) : de victime, il est devenu
bourreau.
Lecture. Les naufragés.
Avec les clochards de Paris (Patrick Declerck, Plon, coll. Terre Humaine,
2001).
Document.
Patrick Declerck est psychanalyste. Il a travaillé de nombreuses
au Centre d'Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre, auprès
des S.D.F. qui y transitent, amenés par la police ou le SAMU social,
ou qui y résident plus ou moins longuement en foyer ou en structure
hospitalière. Il livre ici le récit de son action et le
fruit de ses réflexions.
Action d'abord, avec une enquête ethnographique. En 1985, Declerck
décide de pénétrer le milieu qu'il compte étudier.
Il se déguise en clochard et se fait ramasser par un car de police
qui l'emmène à Nanterre. Il renouvellera l'expérience
une dizaine de fois, jusqu'à ce que la peur l'amène à
y renoncer. Les pages qu'il écrit pourraient être signées
de Robert Antelme ou de Primo Levi. On est bien dans l'univers concentrationnaire,
dominé par la promiscuité, l'odeur, les parasites, l'inhumanité.
C'est proprement (!) effrayant. Declerck s'attache ensuite à plusieurs
individus qu'Il a suivis en consultation et dont il publie les témoignages;
il raconte aussi son expérience de la pauvreté, au cours
de ses années d'étudiant parisien. Dans l'univers littéraire,
on n'est pas loin de Céline, dont on reconnaît l'influence
dans le style, du point de vue iconographique, on se trouve à l'intérieur
des tableaux de Bosch, Bruegel, Munch ou James Ensor.
Réflexion ensuite. L'auteur dénonce de façon énergique
la parfaite inanité des politiques sociales mises en oeuvre pour
cette population (autour de 10.000 individus à Paris) totalement
désocialisée, justement. A la base, un malentendu tenace :
tout est fait pour que les clochards se réinsèrent dans
la société (stages divers, petits boulots à l'intérieur
du centre...) alors qu'ils n'en ont ni les moyens (ce sont pour la plupart
des polytraumatisés physiques et/ou psychiques depuis l'enfance)
ni l'envie. "Dans toutes mes pratiques auprès des personnes
gravement désocialisées, des milliers de gens qu'il m'a
été donné de recevoir tant en psychothérapie
qu'en consultation médicale, je ne connais aucun exemple de réinsertion,
si l'on entend par là l'évolution d'un sujet qui, de gravement
et chroniquement désocialisé, parviendrait à un rétablissement
stable dans un fonctionnement socio-économique autonome au long
cours." Il prône plutôt ce qu'il appelle un espace transitionnel
de soins, une relation soignant-soigné différente des contrats
qui existent aujourd'hui et auxquels les clochards ne peuvent se tenir,
ce qui entraîne leur exclusion des lieux d'accueil. "La fonction
asilaire n'est rien moins, in fine, que l'acceptation sociétale
des clochards tels qu'ils sont, aberrations comprises. (...) Il importe
à la société d'accueillir
décemment, humainement et respectueusement les fous qu'elle engendre.
(...) Un tel changement de perspective entraîne des bouleversements
pratiques profonds, dont le premier, et non le moindre, est l'acceptation
politique du principe de la légitimité de dispenser une
aide médico-sociale sans contrepartie et sans autre objectif que
l'amélioration des conditions d'existence des bénéficiaires,
tels qu'ils sont. Il ne s'agit plus ici de donner pour faire changer l'autre,
mais uniquement de donner pour répondre à ses besoins propres."
Patrick Declerck conclut, dans une lettre à son éditeur
Jean Malaurie, sur les leçons qu'il a tirées de son expérience.
Il ne s'occupe plus de clochards. Ses vues sur l'homme, la vie et l'avenir
de la planète sont très pessimistes. On le comprend un peu...
MERCREDI.
Informatique. Je passe la journée
à essayer de me débarrasser d'un nouveau virus. Temps perdu.
J'abandonne Internet en attendant qu'un homme de l'art vienne me dépanner.
Emplettes. Les romans de Jules Verne
sont enfin réunis en volumes chez Omnibus. J'achète les
deux premiers tomes et La Faim de Knut Hamsun que Declerck, entendu
chez Jean Lebrun sur France Culture, m'a donné envie de lire.
Courrier. Je reçois le Promptuaire
des publications du Collège de 'Pataphysique et du Cymbalum Pataphysicum.
Cinéma. Tanguy (Etienne
Chatiliez, France, 2001 avec André Dussollier, Sabine Azéma,
Éric Berger, Hélène Duc, Aurore Clément, André
Wilms, Richard Guedj, Philippe Laudenbach, Roger Van Hool, Jean-Paul Rouvre,
Patrick Bouchitey, Jacques Boudet, Eddy Mitchell, Philippe Gildas).
Tanguy est un brillant étudiant de 28 ans qui prépare une
thèse et vit chez papa maman. Ses parents attendent impatiemment
qu'il parte pour Pékin où un poste lui est destiné,
afin de retrouver leur intimité. Mais son départ est repoussé
d'un an et demi. Ils décident de tout faire pour le pousser en
dehors de chez eux.
On peut faire confiance à Chatiliez, venu du monde de la publicité,
pour flairer l'air du temps. Ici, le phénomène des enfants
qui s'attardent chez leurs parents, et les procès intentés
par ceux-là à ceux-ci qui refusent de continuer à
les entretenir. On peut aussi lui faire confiance pour monter une vraie
comédie, sur un thème dont il a déjà su faire
bon usage : la famille et le lien entre les différentes générations.
L'exposition est un peu longue : le papa, son métier, la maman,
son métier, leurs amis, la grand-mère, Tanguy chez lui,
Tanguy à la fac, Tanguy et sa copine... On commence à s'amuser
quand les parents (Azéma et Dussollier s'amusent
aussi, mais ma conviction est qu'Azéma n'est pas faite pour la
comédie) décident de tout faire pour chasser Tanguy. Le
film est alors sur ses rails, menant le spectateur de gag en gag jusqu'à
la fin, happy end consensuel décevant car effaçant tout
le mordant qui précède.
JEUDI.
Vie scolaire. Nous apprenons la mort
d'un élève de troisième chez lui, d'un arrêt
cardiaque. J'ai déjà connu des morts d'anciens élèves,
la plupart du temps des suites d'accidents de voiture, c'est le premier
que je perds "en exercice". Tout le collège est assommé.
Courrier. J'envoie des coupures de
La Croix et du Monde à l'AGP, de La Liberté de l'Est à
F. et au Canard Enchaîné (un joli titre contrapétique
"Boîtes à piles, le bon réflexe" paru dans
l'édition de mardi).
VENDREDI.
Départ pour Paris par le train de 19 heures 36.
SAMEDI.
Paris. Première séance
de l'année du séminaire Perec. Un jeune doctorant de Nancy
II nous entretient des liens entre Perec et Henri Lefebvre. L'aspect politique
et sociologique de l'œuvre de Perec n'est pas celui qui me passionne le
plus. Je manque m'endormir, mais la discussion qui suit, animée
par Bernard Magné, Paulette Perec et Roland Brasseur est intéressante.
Je mange dans ma cantine habituelle, Le Petit Cardinal, en songeant,
devant le plat du jour qui doit plutôt être celui de la veille,
que je ferais bien d'en changer et vais m'enfermer à la BiLiPo
pour y étudier trois Série Noire pour mon Atlas. Je file
boulevard Saint-Germain, à la librairie Nicaise acheter le Guide
Nicaise des Associations d'Amis d'auteurs et prends le bus pour attraper
le 18 heures 50.
DIMANCHE.
Les notules sont rédigées, mais je ne peux les envoyer pour
cause de virus. Pour une fois, les abonnés papier seront servis
avant les autres. Je ne puis donc conclure par mon "Bon dimanche"
habituel.
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