Notules dominicales
de culture domestique n°9 - 6 mai 2001 DIMANCHE.
La fréquentation du séminaire de la veille me donne envie de replonger
dans Perec. Ma pêche est fructueuse : je réussis à localiser
dans La Vie mode d'emploi les deux citations du Procès de Kafka;
dans Récits d'Ellis Island, je découvre la phrase "Ils partaient
tous de Rotterdam, de Brême, de Göteborg, de Palerme, d'Istanbul, de
Naples, d'Anvers..." qui ouvre l'énumération des ports d'où
sont partis les émigrants : ils commencent par les initiales de Robert
Bober, Georges Perec, et de l'Institut National de l'Audiovisuel, qui a commandité
le film. La pratique de Perec se nourrit de petits plaisirs de ce genre...
Le soir, je regarde l'épisode de PJ que Caroline m'a soigneusement
enregistré : s'agit pas de rater un fait qui rendrait incompréhensible
les épisodes suivants. Je sursaute en entendant le dialogue d'une scène
qui se déroule dans le bureau du commissaire et au cours de laquelle le
lieutenant Poret annonce "On a convoqué le garagiste, l'employé
de Berthier...". Dans le bureau, personne ne bronche. Pourtant, il est clair
depuis le début de l'histoire que le garagiste est l'employeur et non l'employé
de Berthier. Alors que s'est-il passé au moment du tournage ? Soit personne
n'a rien remarqué, ni les acteurs, ni le réalisateur, ni la script,
ni les assistants, soit on a remarqué mais on n'a pas jugé bon
de refaire la prise pour des raisons de temps, d'argent, ou alors en pensant que
de toute façon personne ne relèverait la bourde. Raté.
LUNDI. Courrier. J'envoie
des coupures de presse à toi, à l'AGP (Association Georges Perec),
à Voune. Je m'amuse à écrire une lettre soulignant l'incurie
des producteurs de PJ que j'envoie à France 2, à Télérama
et au Monde. Cinéma. Le
fabuleux destin d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet bien sûr.
Comment y échapper ? Comment échapper au charme du film ?
Ce qui frappe d'entrée, c'est la richesse du film, telle que chaque spectateur
peut en privilégier une lecture qui l'intéresse et le satisfasse.
Première lecture, un film sur la médiation : Amélie
s'offre en intermédiaire pour que les gens qu'elle aime trouvent le bonheur
mais passe à deux doigts de rater le sien : heureusement elle le trouve
grâce à un intermédiaire qui s'intéresse à son
bonheur à elle, et ainsi de suite. Deuxième lecture, un film sur
le cinéma. Jeunet aime toutes les formes de cinéma, les utilise,
les cite, les recycle sans établir entre elles de hiérarchie : films
d'archives, d'actualité, cinéma américain, du burlesque des
origines à Incassable de M. Night Shyamalan (le peintre qui est
aussi un homme de verre) en passant par Minnelli (le Paris montré, qui
ressemble à une carte postale, est celui des films américains comme
Un Américain à Paris), le réalisme poétique
(les décors de Trauner pour les films de Carné), la Nouvelle Vague
(extrait de Jules et Jim de Truffaut), le cinéma italien (Vacances
romaines avec la balade en mobylette qui clôt le film) et ... le cinéma
de Jean-Pierre Jeunet : l'intérieur de l'immeuble évoque la maison
de Delicatessen, Urbain Cancelier, qui joue un épicier, prenant
la suite de Jean-Claude Dreyfus; effets spéciaux nous rappellant qu'il
a tourné un épisode d'Alien... Troisième lecture, celle que
je privilégierai bien sûr, un film perecquien, comme le suggérait
le critique du Monde. Par la situation centrale de l'immeuble et la description
de la vie de ses occupants; par le regard porté sur les objets porteurs
de sens et de mémoire* (la boîte de bergamotes de Nancy, les figurines
de coureurs cyclistes, celles-là même avec lesquelles je jouais enfant
et dont la vue me fit monter les larmes); par les occupations quasi monomaniaques
des personnages (celui de Kassovitz qui reconstitue des puzzles de photos déchirées,
celui du peintre, qui a la tête d'un autoportrait de Van Gogh, qui peint
chaque année une nouvelle copie d'un tableau de Renoir); par l'onomastique,
le goût des noms propres (Quincampoix, Poulain...); par les "j'aime/j'aime
pas" qui caractérisent les personnages...Tout rappelle La Vie mode
d'emploi. Au total, un film-monde où chacun peut venir chercher ce
qui l'intéresse, où l'humour et l'émotion s'échappent
de chaque image, et ce dès le générique où les facéties
d'Amélie enfant évoquent celles de La vie ne me fait pas
peur de Noémie Lvovsky. *"Où étaient-elles les
boîtes de cacao Van Houten, les boîtes de Banania avec leur tirailleur
hilare, les boîtes de madeleines de Commercy en bois déroulé ?
Où étaient-ils les garde-manger sous les fenêtres, les paquets
de Saponite, la bonne lessive avec sa fameuse Madame Sans-Gêne, les paquets
de ouate thermogène avec son diable cracheur de feu dessiné par
Cappiello, les sachets de lithinés du bon docteur Gustin ?" (La
Vie mode d'emploi, Hachette 1978, p.91). MARDI. 1er
Mai. Seul jour de l'année sans journaux. Seule alternative :
en écrire un... Nous passons la journée à Montbéliard,
chez ma sœur. Au retour, dans l'auto, je termine L'île au trésor
de Stevenson (Folio Junior, 1883).C'est le genre de livre qu'on ouvre avec méfiance,
de peur que sa réputation ait pris le pas sur ses véritables mérites,
comme ces chefs-d'œuvre incontournables de la littérature de jeunessequi
sont illisibles à n'importe quel âge de la vie. Heureusement, il
n'en est rien et le livre contient assez de péripéties pour tenir
en haleine n'importe quel lecteur. De plus, sa construction est habile, Stevenson
utilisant ce qu'en cinéma on appelle le montage alterné, utilisant
soit le docteur Livesey, soit le jeune Jim Hawkins comme narrateur. Le récit
n'est pas alourdi par les descriptions, celles-ci étant au service de celui-là
et Long John Silver est un personnage ambigu très intéressant.
TV. L'Anglais (The Limey, Steven
Soderbergh, 1999). L'Anglais, c'est Wilson qui, à sa sortie de prison,
débarque aux États-Unis pour y tirer au clair les circonstances
de la mort de sa fille. C'est un personnage qui n'a pas grand-chose à perdre.
Il arrive au terme de sa vie, fait le tri et s'aperçoit que seule sa fille
le relie encore à ce monde, qu'il a manqué les moments qu'il a passés
avec elle. Pour effacer cet échec, il se doit d'expliquer le mystère
de sa mort, punir ceux qui l'ont tuée. Le milieu californien dans lequel
il débarque comme un chien dans un jeu de quilles ne l'impressionne nullement
et sa détermination -parfaitement inscrite sur le visage de Terence Stamp
qui a quelque chose de Clint Eastwood- le conduira à la vérité,
dans un dénouement bien trouvé. Bien sûr, Soderbergh n'atteint
pas ici le niveau ni la complexité de son futur Traffic (où
l'on retrouvera Luis Guzman), et signe un film honnête, sans plus. Un procédé
de mise en scène intéressant : le discours d'un personnage
ininterrompu, malgré le fait qu'il soit tenu dans divers endroits. Ainsi,
les plans, voire les séquences, se succèdent mais c'est toujours
le même discours, qui agit à la manière d'une voix off, ce
qui supprime les sutures, les transitions, les temps morts. MERCREDI.
Au petit matin, travail sur l'ordinateur. Je finis de recopier mon cahier de Propos
sur l'Art Peint. Ca y est, je suis à jour, je vais pouvoir progresser
au rythme de mes recherches désormais. Il me reste à en faire de
même avec mon Atlas du polar afin d'avoir le temps d'entreprendre d'autres
projets : transférer sur informatique mes répertoires de Films vus
et de Livres lus, recopier mes mille premiers Souvenirs quotidiens et les communes
en A de mon Itinéraire patriotique départemental alphabétique,
tâches pour lesquelles je compte sur ta collaboration technique. En
ville, j'achète Le livre de l'intranquillité de Pessoa, Chiens
sales, un Série Noire de François Bracelo et Place de l'Étoile
de Modiano, un auteur qui m'attire de plus en plus. J'ai découvert dans
les critiques de son dernier roman;, La petite Bijou, que son attrait pour
le vide, l'absence, la mémoire tenait dans la disparition de son frère
à l'âge de dix ans. D'où vient que je sois attiré par
cet univers du manque qui est le même que celui de Perec à propos
de ses parents ? Pas de réponse. Je reçois une carte postale
de Voune, en séjour à Étretat et j'envoie un mot à
Nanou. Cinéma.
A la recherche de Forrester (Finding Forrester, Gus Van Sant, 2000). Le
film s'ouvre sur une pile de livres dans laquelle on reconnaît le Finnegans
Wake de Joyce. C'est dire qu'on va se frotter à un milieu auquel Hollywood
ne s'attaque pas souvent, la littérature. William Forrester (Sean Connery)
est l'auteur d'un chef-d'œuvre, d'un seul livre en fait, et s'est retiré
dans un appartement du Bronx dont il ne sort jamais. Il ne consent à sortir
de sa solitude que pour aider un jeune Noir aussi doué avec un ballon de
basket qu'avec un stylo à faire ses premiers pas en écriture. On
a plaisir à voir ce que peut faire un réalisateur intelligent (voir
My Own Private Idaho) d'un produit en toute apparence calibré. D'abord,
rappelant qu'il vient de tourner un remake -plan par plan ! - de Psychose,
Gus Van Sant reste chez Hitchcock en montrant Sean Connery épier le monde
d'une fenêtre d'un appartement tout droit sorti de Fenêtre sur cour.
Il s'est amusé à composer un personnage solitaire et misanthrope
(le Paul Léautaud du Bronx !) obligé de revoir ses préjugés
devant un jeune phénomène. Ce côté phénomène
porte la même interrogation que les films de M. Night Shyamalan : quelle
place le monde accorde-t-il à ceux qui font exception? Gus Van Sant ne
rentre dans le rang qu'avec le rôle du méchant professeur (F. Murray
Abraham) qui ne veut pas reconnaître le talent du jeune prodige et l'accuse
de plagiat, et avec un final poussif et attendu. Ce qui précédait
aura été suffisamment plaisant pour qu'on mette ça sur le
compte du calibrage du film. Et si la question valait aussi pour le cinéma
: quelle place le monde (hollywoodien) accorde-t-il aux cinéastes qui font
exception ? Voune
m'envoie un site de fesse, Temple of Genitals, qu'un obsédé
a balancé sur son site comme cela se produit de temps en temps. C'est la
première fois que je regarde un tel objet, qui appartient pourtant à
la catégorie qui suscite le plus grand nombre de connexions. J'abandonne
rapidement, je suis moins libidineux qu'avare et je ne veux pas trop écorner
mon forfait. TV.
La Vie est belle (It's a Wonderful Life, Frank Capra, 1946). Le
jour de Noël (ce qui explique le fait que le film soit régulièrement
diffusé au moment des fêtes par les télévisions américaines
malgré les tares dont il est affligé : noir et blanc, pas de
violence, pas de sexe) George Bailey, citoyen modèle, va tenter de se suicider.
Heureusement, son projet est connu en haut lieu et le ciel lui envoie un ange
gardien. On est ici en présence d'un pilier de la comédie humaniste
américaine, Capra est au sommet de son art dans sa description d'un petite
communauté de laquelle émerge Georges Bailey, sorte de Bon Samaritain
qui a sacrifié ses rêves pour se consacrer aux siens. Dans l'Amérique
de Capra, du moins à cette époque car le propos se fera plus pessimiste
par la suite (voir L'Enjeu, 1948), celui qui donne ne le fait jamais en
vain et sera récompensé au centuple, ce qui ne manque pas de se
produire pour George.Comme dans M.Smith au Sénat (1939), c'est James Stewart
qui est chargé d'incarner les idéaux de Capra et qui fait merveille
dans le rôle. On peut voir d'autres constantes dans son oeuvre : son goût
des discours, celui que prononce Bailey face à l'ignoble Mr Potter (Lionel
Barrymore) est un écho de celui de Mr Smith face aux sénateurs;
son goût pour les escaliers dans les maisons : on se souvient des "Charge
!" de Raymond Massey (je crois) dans Arsenic et vieilles dentelles
(1942), ici c'est la boule qui se trouve au bas de la rampe qui est à la
base d'un gag récurrent. Il est assez vertigineux de constater la richesse
des scénarios de Hollywood à cette époque : une idée,
celle de montrer à George Bailey ce que serait sa ville sans lui, s'il
n'avait pas existé, et qui, étirée, ferait (et a sûrement
fait, même si je n'ai pas de titre en tête) le propos unique d'un
film de deux heures, occupe ici une vingtaine de minutes. VENDREDI.
Après Libération hier, Le Monde aujourd'hui fait sa une sur Loft
Story. Je ne regarde pas, je ne me scandalise pas (c'est pour moi une évolution,
si j'ose dire, inévitable de la télévision, depuis longtemps
prévisible) mais j'aime bien lire ce qu'on en dit. Échange
de courriers acerbes avec ma banque. Cette BG qui s'occupe de mon compte et veut
absolument me fourguer une autorisation de découvert payante dont je ne
veux en aucun cas commence singulièrement à me chauffer le groin.
Dès que j'ai remis mon compte à flot, je file voir ailleurs.
Je finis de lire le n°3 des Cahiers de l'Enclume, une revue littéraire
publiée par les Amis de Jean-Baptiste Botul, parmi lesquels on trouve les
noms de Frédéric Pagès, Gérard Mordillat, Henri Cueco,
Emmanuel Brouillard,Hervé Le Tellier, Patrice Minet, soit bon nombre des
membres de l'équipe des Papous dans la tête, l'émission oulipienne
dominicale de France Culture. Autant dire que la morosité ne règne
pas vraiment. Jean-Baptiste Botul, auteur de "botulèmes" définitifs
comme "l'existence précède l'essence, mais de peu" ou
"Quand le héron prend son pied, il se casse la gueule" est un
philosophe né en 1896, dont la phrase fondatrice "Tiens ! Une enclume"
a ouvert, selon ses spécialistes, une nouvelle période de la modernité.
Au cours de sa vie, il séjourna sur l'îlot de Clipperton, au Paraguay,
au Mexique, à Vienne, rencontra Pancho Villa, Zapata, Freud (qu'il
cocufia), Stefan Zweig et eut une relation avec Simone de Beauvoir. C'est du moins
ce qu'on peut lire ici, en essayant de repousser le doute qui s'insinue : et si
Botul avait vraiment existé ? TV.
L'épisode de P.J. est insignifiant. J'ai oublié de noter, à
la page du dimanche, qu'on voyait Pierre Aussedat, le frère du notaire
spinalien, dans un grand rôle dans l'épisode précédent
(le père du jeune garçon mort par la négligence d'un prêtre).
D'habitude, il se contente de faire des apparitions éclair, comme dans
Les Visiteurs où il joue le rôle d'un gendarme.
SAMEDI. Je termine Machenka (Pléiade, Gallimard, 1926),
le premier roman de Nabokov, écrit en russe alors qu'il habitait à
Berlin, comme les personnages qu'il met en scène ici. On n'est pas étonné
donc de trouver des traces autobiographiques, Machenka empruntant ses traits à
une Tamara que l'auteur évoquera plus tard dans Autres Rivages,
le récit de sa vie. A moins de trente ans, il fait déjà preuve
d'une grande maîtrise, notamment dans la mise en place de ses personnages,
chacun étant représentatif d'une catégorie d'émigrés
russes, et du cadre, magistral décalque de la pension Vauquer dans Le Père
Goriot. Force de l'exil, puissance évocatrice du souvenir, impossibilité
de renouer ce qui a été défait dans le passé, trois
axes possibles de la thématique du jeune Nabokov. TV.
Le Vent nous emportera (Abbas Kiarostami, 1999). Ébloui par Le
Cercle, je m'engage plein de confiance dans le cinéma iranien dont
Kiarostami est le maître incontesté. Patatras. Rien compris. Les
paysages du Kurdistan, montagnes de terre rouge piquées d'arbres solitaires,
sont splendides. C'est tout. DIMANCHE. Je constate que mes
notules prennent de l'ampleur. Je prends beaucoup de plaisir à les rédiger,
à fouiller dans mes notes et mes archives pour les nourrir. J'espère
que ce plaisir est partagé par mon lecteur. Bises. Notules
dominicales de culture domestique n°10 - 13 mai 2001 DIMANCHE.
Je reçois tes Confessions. Thérèse sur le flanc. C'est
la maison Camel qui peut commencer à se faire des cheveux. J'avais
retenu Intuition comme film à voir éventuellement, surtout
parce que j'avais bien aimé Un Plan simple, le précédent
film de Sam Raimi et que j'aime voir le Sud américain au cinéma
(The Gingerbread Man de Robert Altman par exemple). Loft
Story.
Tu regrettes qu'il n'y ait pas d'introvertis dans les spécimens présentés.
Mais, c'est Caroline qui me souffle la remarque, comment voudrais-tu qu'un introverti
vienne se présenter à des castings, des sélections pour participer
à ce truc ? N'empêche, et c'est un type du Monde qui écrivait
ça, que ce serait un beau pied de nez aux producteurs que d'en voir un
qui passerait ses journées à bouquiner au bord de la piscine...
Aucun risque. Je relis le dossier des Cahiers du cinéma
sur le film de Kiarostami vu la veille et auquel je n'ai rien compris. En fait,
il y avait des tas de choses à voir, à interpréter. Je me
disais que je commençais peu à peu à savoir écrire
sur le cinéma, que mes années de ciné club commençaient
à porter leurs fruits en me dotant d'un corpus de références
conséquent mais je vois que j'ai encore des progrès à faire.
La presse locale me met à l'honneur à propos d'un concours
auquel certains de mes élèves ont participé. Cinéma.
Trois Huit, de Philippe Le Guay. Un type devient le souffre-douleur
d'un de ses collègues de l'équipe de nuit. Après Ressources
humaines et Selon Matthieu, un film ancré dans le monde du travail,
dans une usine. Sauf que là, ce n'est pas un licenciement qui est à
la base d'un drame mais un cas de harcèlement moral. L'histoire d'un type
normal, dont la vie devient un enfer. Son tortionnaire joue avec lui comme le
réalisateur avec le spectateur, en faisant alterner les périodes
de répit et celles de tension. C'est bien fait, les acteurs, peu connus
(Gérald Laroche, Marc Barbé) sont très bien. LUNDI.
41 ans aujourd'hui. A l'école, je termine la lecture de Harry
Potter et la coupe de feu à mes élèves, leur montrant
qu'on pouvait venir à bout d'un volume de 650 pages. A cet étage
de la fusée (j'ai sauté les épisodes 2 et 3) la machine est
parfaitement rodée, les personnages bien balisés. Les points forts
sont le 1er chapitre (dont la lecture m'a donné envie de connaître
le reste), la description de la vie de Harry chez les Dursley et les chapitres
consacrés aux épreuves du Tournoi des Trois Sorciers où le
suspense est bien entretenu. Mais il y a aussi beaucoup de remplissage, et une
incapacité chronique de J.K. Rowling à écrire des dialogues :
chaque réplique contient, en incise, le nom du locuteur accompagné
d'un complément de manière. Illustration, page 413 : "dit-elle
en clignant des yeux..." "répondit Mimi d'un air affligé..."
"dit Harry en fléchissant un peu les genoux..." "Répondit
Mimi en tripotant d'un air maussade un bouton..." "avoua Mimi d'un
air un peu sournois..." Ca finit par lasser... Jardin
: je plante oignons et échalotes.
Courrier : envoi de coupures à l'AGP. Je reçois
des nouvelles rassurantes de Thérèse en te téléphonant.
TV. Le Poulpe (Guillaume Nicloux,
1998). Le personnage est assez fidèle à ce qu'il est dans les bouquins
- son créateur, Jean-Bernard Pouy, a participé au scénario
- taciturne, indépendant, efficace, aux prises avec les dérives
de la société, extrême-droite en tête. Jean-Pierre Darroussin,
dans un registre inhabituel, s'en sort bien. Traitée sérieusement,
cette histoire de profanateurs de tombes n'aurait pas donné grand-chose.
Heureusement, Guillaume Nicloux a choisi le registre de la fantaisie : crudité
du langage et de certaines situations, le personnage de Chéryl (la copine
du Poulpe) échappée d'un roman de Chase, les apostrophes entre personnages
("Tu ne suis pas l'histoire !") destinées en fait au spectateur...
On s'amuse de tout ça jusqu'à ce que ça tourne au procédé
et l'ennui finit par l'emporter. MARDI. J'installe la webcam
qu'on m'a offerte pour mon birthday sur l'ordinateur. Miracle, j'y parviens. Reste
à savoir ce que je vais pouvoir en faire. Il y a bien des programmes prévus
livrés avec mais je manque de temps pour les consulter. Travail
sur mes oeuvres. Jardin : je plante
mes patates. Je termine la lecture de Pour tout l'or des mots
de Claude Gagnière, entamée en décembre 1998. C'est un Bouquin
dans lequel Gagnière a rassemblé sur un peu plus de mille pages
les curiosités de la langue française. Il y parle d'aphorismes,
de barbarismes, de palindromes, de lipogrammes, d'Alphonse Allais beaucoup, de
Perec un peu... Les citations sont abondantes, malheureusement noyées dans
le verbiage de l'auteur qui accumule les calembours vaseux et étale son
érudition à la manière d'un Jean Dutourd dans Les Grosses
Têtes. Son propos est le plus souvent réactionnaire : le français
fout le camp, les jeunes ne savent plus le parler, forcément, quand on
voit comment il est enseigné... A quand une rubrique dans Le Figaro pour
Claude Gagnière ? TV.
Scènes de crimes (Frédéric Schoendoerffer, 2000).Un
film policier très classique, très "procedural" et au
total, très plaisant. Schoendoerffer suit les enquêteurs (Charles
Berling, André Dussollier) pas à pas, filme leurs progrès
mais aussi leurs hésitations, les fausses pistes... avec le souci de ne
rien laisser dans l'ombre. Ainsi, on a droit à une scène d'autopsie
saisissante mais pas complaisante, une recherche d'empreintes au Luminil pour
montrer l'aspect scientifique de l'enquête. Malheureusement, une demi-heure
avant la fin, Dussollier disparaît et l'enquête que poursuit Berling
en solo n'est plus intéressante. Le film est orphelin du personnage et
ne marche plus que sur une jambe. MERCREDI. Bibliothèque
Municipale avec Lucie pour L'heure du conte. Jardin.
Tonte de la pelouse (c'est pas Wimbledon !) et repiquage de salades.
Ouverture du Festival de Cannes, auquel j'accorde beaucoup d'intérêt
et d'heures de lecture, sur l'aspect cinématographique j'entends. Je n'oublie
pas que c'est le palmarès 1999 (Rosetta, L'Humanité)
qui m'a redonné le goût du cinéma. TV.
Cantique de la racaille (Vincent Ravalec, 1998). A force de magouilles
et de trafics, Gaston (Yvon Attal) réussit à monter une entreprise
qui lui permet d'écouler des stocks de matériel volé. C'est
son propre roman que Ravalec met ici en scène, avec une certaine réussite.
D'abord parce que l'histoire est intéressante, ensuite parce que Yvon Attal
est parfait. Son personnage semble tiré d'un Série Noire des années
50. Son seul but : avoir pignon sur rue, gagner la respectabilité, être
un véritable manager. Il utilise le vocabulaire qu'il a appris dans les
médias et cela crée un contraste comique entre ses mots ("mes
collaborateurs") et la réalité (un ramassis de petits malfrats).
On assiste à son ascension, et, bien sûr, à sa chute. Une
virée au Cap d'Agde évoque Les Particules élémentaires
de Houellebecq. JEUDI. Travail sur mes oeuvres. TV.
Loft Story en bruit de fond pendant que je finis de lire la presse. Je tiens 20
minutes tout de même, mais ne peux m'intéresser même si l'instant
est grave : il s'agit de savoir qui va être viré. TF1 fait la
gueule parce que M6 pique ses spectateurs. Je savoure. Patrick Le Lay qui s'insurge
dans Le Monde, se pose en parangon de vertu et de déontologie télévisuelle,
ça vaut son pesant de cacahuètes. La frontière semble s'établir
: TF1 pour les vieux cons, M6 pour les jeunes cons. Encore une fois, Loft Story
ne me paraît pas plus obscène ou vulgaire qu'un commentaire de Thierry
Roland, un journal de Jean-Pierre Pernault ou une émission de Christine
Bravo. On enchaîne donc sur Les Acteurs (Bertrand Blier, 1999). Une fois
qu'on a fini de jouer à reconnaître tous les membres de la prestigieuse
distribution qui jouent leur propre rôle, que reste-t-il ? De la réflexion
sur le métier d'acteur, on retient les démêlés de Marielle
(le meilleur) avec un pot d'eau chaude, le couple homo Arditi-Brialy, l'hommage
de Blier à son père, les chaises vides de Gabin et de Ventura. On
se perd la plupart du temps dans un flot de paroles et de scènes plutôt
vaines : les acteurs, on peut toujours retenir ça, sont pathétiques
quand ils sont privés de scénarios. D'actrices, point. Si, Balasko.
Et encore, Jean Yanne la confond avec Dussollier. La subversion du monde par l'outrance
(Les Valseuses) ou par l'absurde (Buffet froid) semblent appartenir au passé
de Bertrand Blier. Pour te plaire : on voit Jacques François. Pour me plaire
: on voit Pierre Aussedat. VENDREDI. Première phrase
de Voyage au bout de la nuit : "Ca a débuté comme ça."
Première phrase de La Vie Mode d'emploi : "Oui, cela pourrait
commencer ainsi, ici, comme ça..." Je suis content de ma trouvaille.
TV. Je m'endors devant l'épisode
de PJ. SAMEDI. Travail sur mes oeuvres. TV.
Une leçon d'amour (En lektion I kärleck,
Ingmar Bergman, Suède, 1954). Beaucoup d'appréhension : c'est la
première fois que je me risque dans un film de Bergman, qui n'a pas la
réputation d'être un Claude Zidi scandinave. Heureusement, il n'en
est pas encore à l'époque de Cris et chuchotements (1972) ni même
à celle des Fraises sauvages (1957), ses grandes oeuvres contemplatives.
Il s'agit tout simplement d'un comédie sentimentale à la thématique
très classique (un homme tente de reconquérir sa femme qui, lassée
de ses aventures extra-conjugales, décide de le quitter). La réflexion
sur la fidélité y est plus poussée que ce qu'on trouverait
dans un produit de base hollywoodien (ce qui est normal quand on connaît
la biographie du réalisateur), c'est certain, mais surtout Bergman se singularise
par la construction très sophistiquée de sa narration, basée
sur des retours en arrière en désordre chronologique. L'actrice
principale, Eva Dahlbeck, est très belle. DIMANCHE.
Je prends connaissance de ton courriel. Je vais regarder si j'ai une reproduction
du Renoir en question. Jamais vu Germinal. Pas de nouvelles du
commando de Zaléa TV sur le loft. Tu m'avais écrit que Nanou
semblait un peu paumée. Qu'en est-il à la lumière de sa visite
chez vous ? Et Thérèse ? Bon dimanche sans
sel. Notules
dominicales de culture domestique n°11 - 20 mai 2001 DIMANCHE.
Nous passons la journée à Blainville-sur-l'Eau chez mon copain de
régiment. Ma satisfaction d'avoir un copain de régiment n'a d'égale
que mon regret de ne pas avoir de camarade de communion. Nous parlons de la guerre,
mais pas trop. J'en repars avec 14 Série Noire qu'il ne voulait pas conserver.
Ca ne pouvait mieux tomber, je n'avais justement plus que 140 livres à
lire. LUNDI. J'apprends par voie syndicale que je serai à
partir de la rentrée prochaine certifié stagiaire en lettres modernes.
C'est une étape et je suis ravi, même si cela m'oblige à rester
sur mon poste un an encore et si je sais déjà que j'aurai quand
même 8 heures d'anglais à faire. J'envoie des photos de
vacances à Joëlle, à toi, des coupures à Frédo,
à Jo, à l'AGP. Cinéma.
Beaucoup dormi devant Ring (Hideo Nakata, Japon, 1998), film d'angoisse
extrêmement populaire au Japon (où un Ring 2 est déjà
sorti). Nakata ne renouvelle pas le genre mais fait un véritable travail
sur l'image et la lumière. L'histoire était trop embrouillée
cependant pour que je résiste à l'appel de Morphée.
Au retour, je termine Pêche en eau trouble de Carl Hiaasen (Pocket
1987), un polar qui prend pour cadre le milieu des pêcheurs de compétition
de Floride. L'histoire là aussi est un peu confuse mais la galerie
de personnages présentés vaut le détour : un incroyable
ramassis de beaufs et de tarés qui fait frémir quand on sait que
c'est eux qui ont décidé du résultat de la dernière
élection présidentielle. Carl Hiaasen est journaliste au Miami Herald
et on peut supposer qu'il parle en connaissance de cause. MARDI.
Je trouve le tableau de Renoir que tu cherches sur le site du Musée, comme
je te le conseillais. (http://www.multimania.com/reno3000/renoir.htlm).
TV. L'Été de Kikujiro
(Takeshi Kitano, Japon, 1999). L'histoire d'un voyage à travers le Japon
d'un bon à rien, KIkujiro, qui doit emmener un jeune enfant chez sa mère.
Le thème de l'adulte obligé de cohabiter avec un enfant qui l'encombre
et qui se laisse peu à peu conquérir par lui, on l'a déjà
vu dans Un monde parfait d'Eastwood, Kolya de je ne sais plus quel réalisateur
tchèque, sans remonter au Kid de Chaplin. Difficile de renouveler le thème
donc, et il ne peut donc s'agir que d'une question de style. Et là, Kitano
n'a pas d'égal. Il figurait déjà parmi mes réalisateurs
préférés, ce film n'a fait que conforter mon goût.
C'est un des rares auteurs dont je peux voir n'importe quel plan et savoir que
c'est du Kitano. Des ses précédents films, on retrouve la musique,
superbe, de Joe Hisaishi, son compositeur attitré, de longs travellings
de personnages marchant au bord de l'eau (A Scene at the Sea), des adultes qui
jouent comme des gosses (Sonatine), les interludes (Hana-Bi), son habitude de
filmer le champ vide une fois que les personnages l'ont quitté par le côté
ou s'en éloignent par le fond. Malgré le choix du thème,
Kitano ne tire pas sur la corde sensible : l'émotion est là
bien sûr, mais pas de façon racoleuse (plan magnifique sur la mère
de Kikujiro aperçue par une fenêtre). Kitano joue le rôle de
Kikujiro, un ours mal léché (il en a la démarche) au langage
peu châtié. Grand film. MERCREDI. J'achète
La Montagne magique de Thomas Mann et L'Homme sans qualités
de Robert Musil, deux grands romans de langue allemande du 20° siècle,
dit-on. Bilan : 2 600 pages. J'écris à l'Association
des Amis de Jean-Baptiste Botul pour leur demander de me tenir au courant de leurs
prochaines publications. Cinéma. Quand on sera grand (Renaud Cohen,
France 2000).Un premier film, certainement en grande partie autobiographique ,
qui rassemble quelques travers du genre, notamment le désir de l'auteur
de tout mettre dans sa première oeuvre, phénomène qu'on rencontre
souvent en littérature bien sûr, mais aussi des qualités comme
la sincérité et la spontanéité. L'atout principal
est la présence de Mathieu Demy qui campe un personnage immature obligé
de se colleter aux aléas de la vie adulte. Mais que c'est dur de voir un
film ordinaire, même sans nuance péjorative, après la forte
commotion que m'a value Takeshi Kitano... JEUDI. Mes parents
m'offrent le volume 4 de la Correspondance de Flaubert. Je viens de terminer
le troisième, qui recouvre la période de rédaction de L'Éducation
Sentimentale, qu'il faut absolument que je trouve le temps de relire, notamment
pour y trouver les passages que Perec a repris dans Les Choses.
TV. Beaucoup souffert devant Sombre
(Philippe Grandrieux, France 1999). Au moins, il n'y a pas tromperie sur la marchandise.
Sombre est l'image (surtout en vidéo), sombre est le propos, sombres sont
les motivations du metteur en scène et celles qu'il accorde à son
personnage, un homme qui tue des femmes après les avoir séduites.
L'histoire n'intéresse pas Grandrieux : si l'homme laisse des cadavres
derrière lui, jamais il n'est question d'une enquête. Ce qui l'intéresse,
c'est l'image, le mouvement des corps filmés à fleur de peau, ce
qui distille un ennui et un désintérêt sans nom. Marc Barbé,
revu depuis dans Trois Huit, a bien du mérite de tenir jusqu'au bout. Le
spectateur aussi. VENDREDI. Au courrier, je reçois
une lettre de la Préfecture de Police de Paris qui m'annonce que mon affaire
contre le factionnaire de l'Élysée est classée sans suite
après enquête. Ca les aura occupés un moment, et moi aussi,
c'est déjà ça. Un gros paquet du Collège de 'Pataphysique
avec un tas de publications et l'annonce de mon intronisation au titre de membre
héroïfique. Je biche. Mail.
Sylvie, la conjointe (c'est ainsi qu'elle se qualifie. Jean Savard, un copain
québécois m'apprend que c'est un signe de correction politique venu
des États-Unis, on ne se dit pas la "femme" d'un homme, ça
fait trop esclavagiste. On vit une époque formidable.) de Xavier m'apprend
qu'il a été opéré (greffe du foie) et que tout s'est
bien passé. Je croise les doigts. TV.
Épisode de PJ. C'est le dernier de la saison, qui n'aura pas été
formidable. Lassitude ? SAMEDI. Journée de grande
migration. Je me rends à Jaligny (Allier) pour l'élection du Prix
René-Fallet. 4 heures 30 de voiture, c'est une vraie épreuve pour
moi mais pas moyen de rejoindre ce bled par le train. Il faut passer par Paris,
trop loin, trop long, trop cher. Enfin, je ne regrette pas le déplacement.
C'est le livre que j'avais choisi, La femme manquée, d'Armel Job, qui a
été élu. Expérience intéressante, c'est un
milieu très éloigné des cercles universitaires que je fréquente
à l'AGP mais tout aussi enrichissant. J'y retourne en juin pour la remise
du prix. DIMANCHE. Je te lis. Correspondance avec
Voune : il ne se passe pas de jour sans qu'on s'envoie une ou deux lignes,
mais nous n'avons pas toujours grand-chose à nous dire. Seulement, comme
l'autre répond toujours, on trouve toujours quelques mots à envoyer.
En fait, je préfère l'écriture du dimanche, un grand moment
passé à collationner les événements de la semaine
plutôt que les sauts de puce quotidiens mais je ne peux faire ça
avec tout le monde. Considère-toi donc comme un privilégié.
Date libre : samedi soir du week-end de la Pentecôte. Ca colle ?
Cinéma. J'ai hâte de voir
le Moretti (Palme d'Or ce soir ?). J'avais beaucoup aimé son Journal
intime (1993). Tout comme j'avais apprécie The Big Lebowski dont je
me rappelle quelques scènes hilarantes (le mégot dans la voiture,
la dispersion des cendres). Jeff Bridges y traverse un monde en pleine décomposition
avec une placidité confondante, une attitude plutôt pleine de sagesse...
Littérature. Le Pronto dont tu
parles est certainement celui d'Elmore Leonard, auquel cas tu devrais passer un
bon moment de lecture avec Harry Arno, l'escroc amoureux d'Ezra Pound et de l'Italie.
En tout cas, ce livre fut pour moi le début d'une liaison que j'entretiens
toujours avec Elmore Leonard. Santé
: merci pour les nouvelles de Thérèse. Soigne
ton bronzage. Notules
dominicales de culture domestique n°12 - 27 mai 2001 Non
diffusé. |