Notules dominicales 2008
 
janvier | février | mars | avril | mai | juin | juillet | août | septembre | octobre | novembre |décembre
 

Notules dominicales de culture domestique n°358 - 6 juillet 2008

DIMANCHE.
Anniversaire. Je m'aperçois que juin se termine et que je n'ai toujours pas parlé de Mai 68. Pour éviter de me singulariser plus longtemps, j'ai décidé de m'y coller à mon tour. Pas pour raconter mes souvenirs personnels qui sont plutôt maigres, j'avais huit ans, je me souviens d'avoir vu des images des événements à la télévision, je croyais que c'était la guerre, j'avais peur pour ma grand-mère qui habitait Paris, c'est tout, c'est peu. Non, Mai 68 quarante ans après, c'est pour moi cette photo :

Rien d'exceptionnel me dira-t-on, c'est une photo ordinaire, une photo de famille, un peu floue, mal cadrée, tout à fait caractéristique de ce que je suis capable de faire avec un appareil. Mais c'est une photo qui, dès que je l'ai vue, m'a fait penser à Mai 68 parce que j'y ai retrouvé une autre photo, une vraie celle-là, de l'époque.

 

J'y trouve la même chose que chez Cohn-Bendit, la même façon d'effacer par le regard la position d'infériorité et de toiser de bas, en quelque sorte, l'individu casqué qui domine.

LUNDI.
Lecture. De la tranquillité de l'âme (De tranquillitate animi, Sénèque, 49-61 (?), traduction par E. Bréhier, revue par J. Brunschwig, rubriques, notice et notes par J. Brunschwig in Les Stoïciens, Gallimard, 1962, Bibliothèque de la Pléiade n° 156; 1504 p., 52,90 €).
Dans ce texte, Sénèque continue à jouer les conseillers en stoïcisme pour son ami Sérénus, qu'il avait déjà initié dans De la constance du sage. Pour atteindre la tranquillité, cette ataraxie idéale qui est la marque du stoïcisme, il convient d'éviter un certain nombre d'écueils que Sénèque énumère et développe au fil des pages : amitiés mal choisies, richesses, situations trop misérables ou au contraire trop élevées, agitation mondaine, manque de souplesse et de résignation, tendances au pessimisme, manque de simplicité. "Voilà, mon très cher Sérénus, les moyens de protéger ta tranquillité, de te la rendre quand tu la perds, de résister à l'envahissement sournois des vices. Sache cependant que, pour préserver quelque chose d'aussi fragile, aucun de ces moyens n'est assez puissant, si nous n'entourons de soins toujours attentifs et vigilants une âme toujours prête à trébucher."

Vie professionnelle. Je corrige les épreuves du Brevet des collèges dans l'établissement où je fus élève. En mémoire, l'affaire d'Outreau et la déclaration du psychologue au sujet du montant de ses expertises : "Quand on paye des expertises au tarif d'une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage". Que dirait-il s'il avait à corriger des copies pour une poignée de centimes ?

TV. Bimboland (Ariel Zeitoun, France, 1998 avec Judith Godrèche, Aure Atika, Gérard Depardieu; diffusé le soir même sur W9).
Voir Judith Godrèche jouer une ethnologue juste après avoir lu Lévi-Strauss, ça tient du choc thermique. C'est la rançon de l'abandon de l'abonnement aux chaînes cinéma, qui nous oblige à nous tourner vers un tout-venant pas toujours glorieux.

MARDI.
TV. Anna M. (Michel Spinosa, France, 2007 avec Isabelle Carré, Gilbert Melki, Anne Consigny; diffusé ce mois sur Canal +).

MERCREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Souffle le vent de James Patterson, en Pocket.

Vie professionnelle. Je participe pour la première fois à la journée de solidarité envers les personnes âgées. Rappelons le but de cette journée, un temps située au lendemain de la Pentecôte, tel que le présente un site gouvernemental : "L’objectif de la journée nationale de solidarité est donc que chacun donne un peu de son temps, de son énergie, de son talent, un peu de son coeur, au service de la solidarité nationale et de nos aînés : c’est par plus de travail que l’on finance plus de social." Au vu de l'énergie et du talent déployés aujourd'hui sur mon lieu de travail (molles réunions en matinée, apéritif, pique-nique), les personnes âgées ont du souci à se faire en ce qui concerne leur pouvoir d'achat et leur espérance de vie.

Vie littéraire. Mise en ligne des chroniques d'Histoires littéraires annoncées dans le numéro précédent : http://pdidion.free.fr/chroniques/chroniques_2008.htm

TV. Une journée particulière (Una giornata particolare, Ettore Scola, Italie, 1977 avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni, John Vernon; diffusé dimanche dernier sur France 3).

JEUDI.
Météorologie ferroviaire. Ce matin, vers cinq heures, j'ai entendu le premier train. Tous les gens qui vivent à proximité d'une voie ferrée vous diront que lorsqu'ils entendent le bruit du train, c'est signe de pluie. Et ce, quelle que soit la position de leur logis par rapport à la voie ferrée. Aujourd'hui, il a plu.

Vie scolaire. Au collège, les vacances commencent après une journée passée à aligner quelques exercices gymniques, ludiques et rhétoriques. Les filles, elles, sortent ensemble de l'école pour la dernière fois (elles se rejoindront au collège dans trois ans), empruntant le chemin bucolique qui les mène à la pharmacie.

VENDREDI.
TV. American Haunting (An American Haunting, Courtney Solomon, E.-U., 2005 avec Donald Sutherland, Sissy Spacek, James D'Arcy; diffusé en juin dernier sur Canal +).

SAMEDI.
TV. Rugby. Australie - France 40 - 10, en direct sur Canal +. Laissons de côté le résultat, je tenais avant tout à voir Maxime Mermoz pour sa première sélection en équipe de France. En effet, ce n'est pas tous les jours qu'il est donné de voir un Spinalien - même s'il joue à Toulouse depuis un bon moment - devenir international de rugby. Une nouvelle d'autant plus plaisante que j'ai joué dans ma jeunesse derrière le père de Maxime, un fort pousseur de première ligne avec un physique à la Jean-Pierre Garuet.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Paris, rue du Laos, photo de l'auteur, 27 novembre 2004

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°359 - 13 juillet 2008

DIMANCHE.
Presse. La Liberté de l'Est consacre un article à Marc Ways et à son Institut de Recherches sur les fous littéraires, un sujet qui intéresse quelques notuliens. Je tiens l'article à leur disposition.

Lecture. De sang-froid (In Cold Blood, Truman Capote, 1965, Gallimard, 1966 pour la traduction française, rééd. Folio n° 59, traduit de l'américain par Raymond Girard; 512 p., s.p.m.).
"Récit véridique d'un meurtre multiple et de ses conséquences"
En 1959, Truman Capote est en pleine gloire dans son pays après la publication de Petit déjeuner chez Tiffany. Seulement, il est sec, la fiction ne l'intéresse plus et il est à la recherche d'un sujet. Le 16 novembre, il tombe sur un article du New York Times : "Un riche cultivateur de blé, sa femme et leurs deux jeunes enfants ont été trouvés abattus par balles, chez eux, aujourd'hui. Ils ont été tués par balles de fusil de chasse, tirées à bout portant, après avoir été ligotés et bâillonnés." Et si c'était ça, le sujet rêvé ? En attendant, ça peut faire un reportage pour le New Yorker : Capote ne fait ni une ni deux, il s'envole pour les lieux du drame, Holcomb, un bled du Kansas, sans savoir qu'il se lance en fait pour un travail qui ne prendra fin que le 14 avril 1965 lorsque furent pendus les deux auteurs de la tuerie, Richard Eugene Hickock et Perry Edward Smith. Entre-temps, Capote avait multiplié les visites, les notes, suivi la progression de l'enquête et la traque des assassins, était entré en contact avec les deux meurtriers une fois que ceux-ci eurent été emprisonnés au pénitencier de Lansing et attendu avec une impatience difficilement avouable leur exécution pour mettre un point final à son travail. De sang-froid est le fruit de cette longue démarche, un livre saisissant dans lequel l'auteur additionne ses talents de romancier et de reporter. L'ouverture est en montage alterné, d'un côté la peinture d'une petite ville tranquille et prospère, et dans ce cadre, le portrait de la famille Clutter, les victimes, de l'autre, la rencontre et la progression des deux tueurs, deux produits de l'Amérique déshéritée, en route vers leur forfait. Une fois celui-ci accompli, on balance cette fois entre le récit de leur cavale et les démarches des enquêteurs, Al Dewey et son équipe, qui finissent par les arrêter. La dernière partie du livre est statique, c'est le procès, la vie en prison, les demandes de révision et l'exécution finale. Le tout est construit sur un assemblage de témoignages, de retours en arrière, de comptes rendus d'enquête, de portraits, de rapports, de lettres, d'anecdotes : c'est avant tout le montage, le sens de la construction qui font de ce livre quelque chose d'unique. Sans démonstration, sans se départir d'une froideur qui se veut la même que celle dont Hickock et Smith ont fait preuve au moment du crime, Truman Capote montre la rencontre dramatique entre l'Amérique respectable et sa face cachée, celle qui génère des monstres à force de violence, d'incompréhension, d'alcool, de rejet, d'ignorance.
Extrait. "Dewey se souvint de la première fois qu'il avait rencontré Perry dans la salle d'interrogatoire du quartier général de la police de Las Vegas : l'homme-enfant, le nabot assis sur la chaise métallique, ses petits pieds chaussés de bottes n'arrivant pas jusqu'au plancher. Et lorsque Dewey rouvrit les yeux à présent c'est ce qu'il vit : les mêmes pieds d'enfant, qui pendaient et se balançaient."

Itinéraire patriotique départemental. Direction Chamagne, pour le monument aux morts bien sûr, mais aussi pour une visite à la maison natale de Claude Gelée, un peu semblable au souvenir que j'ai de celle de Shakespeare à Stratford. Les deux hommes sont d'ailleurs à peu près contemporains comme me le confirme mon Robert 2 qui fait naître le peintre à Champagne (Vosges).

Courriel. Une demande de désabonnement aux notules.

TV. La Cité des enfants perdus (Jean-Pierre Jeunet & Marc Caro, France, 1995 avec Ron Perlman, Daniel Emilfork, Judith Vittet, Dominique Pinon; diffusé la semaine dernière sur ARTE).

LUNDI.
TV. Michou d'Auber (Thomas Gilou, France, 2008 avec Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Samy Seghir, Mathieu Amalric, Fellag; diffusé en avril dernier sur Canal +).

MARDI.
Vie oisive. Premier plaisir des vacances, plaisir trivial, je n'en disconviens pas : acheter France Football et le lire de bout en bout, de l'affaire Domenech à la victoire d'Albirex Niigata sur Nagoya Grampus (2-1) dans la quinzième journée du championnat du Japon.

TV. Le Pari (Bernard Campan & Didier Bourdon, France, 1997 avec Didier Bourdon, Bernard Campan, Isabelle Ferron; diffusé le soir même sur TF1).

MERCREDI.
Courrier. Arrivée d'un CD de Helen Kane, immortelle mais bien oubliée créatrice du "Boop-Boop-A-Doop". Révérence gardée envers Marilyn Monroe, c'est bien Helen Kane qui créa I Wanna Be Loved By You, en 1928.

TV. Après lui (Gaël Morel, France, 2007 avec Catherine Deneuve, Thomas Dumerchez, Guy Marchand; diffusé ce mois sur Canal +).

JEUDI.
Cinéma. Mes amis, mes amours (Lorraine Levy, France, 2008 avec Vincent Lindon, Pascal Elbé, Virginie Ledoyen, Florence Foresti, Bernadette Lafont).

VENDREDI.
Lecture. Formules/Revue des littératures à contraintes n° 9 (Noésis, 2005; 456 p., 25 €).
"Recherches visuelles en littérature"
Formules avait déjà présenté dans son numéro 7 un dossier intitulé "Textes/Images". La revue poursuit ici son exploration des rapports entre forme plastique et forme écrite avec une prédilection pour la forme carrée : les "Carrés" de Pierre Reverdy, qui s'approchent de la poésie cubiste, les carrés magiques, dont le célèbre SATOR AREPO étudié par Alain Zalmanski à la lumière des dernières trouvailles d'Iksnamlaz ("un chercheur turc, ouroboriste notoire"), les poèmes cadrés de Denis Roche, des créations de Robert Rapilly et de Nicolas Graner. Sur un plan purement graphique, on redécouvrira les dessins animés sur Minitel étudiés par Elisabeth Chamontin et le "Soupe-sonnet" d'Etienne Lécroart. Au total, comme d'habitude dans cette revue toujours aussi généreuse, un panorama complet du thème étudié, des textes théoriques, des créations, et un cahier critique extrêmement fourni sur tout ce qui touche à la contrainte.

TV. Chocolat (Claire Denis, France, 1988 avec Isaach De Bankolé, Giulia Boschi, François Cluzet; diffusé sur ? en ?).

SAMEDI.
L'Invent'Hair perd ses poils.


Paris, rue de Buci, photo de l'auteur, 11 décembre 2004

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°360 - 20 juillet 2008

DIMANCHE.
Lecture. Le temps de la sorcière (Timi nornarinnar, Arni Thorarinsson, 2005, Editions Métailié, coll. Noir, 2007 pour la traduction française, traduit de l'islandais par Eric Boury; 336 p., 20 €).
Einar, rédacteur au Journal du soir, est envoyé à Akureyri, une ville du nord de l'Islande où il est en charge de l'antenne locale. Rien de bien folichon à première vue, chiens écrasés, stylo-trottoir, manifestations culturelles locales, jusqu'à ce qu'on découvre le cadavre d'un lycéen dans la décharge locale.
Arnaldur Indridasson n'est plus seul. Il fallait s'y attendre après le succès des aventures du commissaire Erlendur, le polar islandais intéresse désormais les éditeurs et Métailié a confié à Eric Boury, traducteur d'Indridasson, le soin de faire découvrir Arni Thorarinsson aux lecteurs français. Ceux-ci n'en tomberont pas à la renverse : les démêlés d'Einar, journaliste lancé dans une enquête policière, sont loin d'être aussi captivants que les aventures d'Erlendur. Pourtant, en s'éloignant de Reykjavik, l'auteur avait la possibilité de faire quelque chose d'intéressant en montrant une province livrée aux changements induits par la mondialisation économique : abandon des activités traditionnelles, arrivée des travailleurs étrangers, destruction du milieu naturel, perte des traditions, perte de la langue aussi avec la présence de plus en plus envahissante de l'anglais. Ces thèmes sont plus effleurés que réellement traités, au détour d'une enquête laborieuse dont Einar vient à bout grâce à une intuition assez extraordinaire, démêlant dans le dernier chapitre une histoire plutôt confuse. Les dialogues manquent de punch, l'humour tombe à plat, et le lecteur s'ennuie. Finalement, Arnaldur Indridasson est bien seul.
Curiosité. Note en bas de page, concernant le mot sjoppa, utilisé dans le texte : "Une sjoppa (dérivé de l'anglais shop) est une particularité islandaise qui n'a pas son équivalent en France. C'est un petit magasin qui vend des cigarettes, des friandises, des sodas, des magazines et des journaux." C'est tellement particulier qu'on en trouve ici à chaque coin de rue sous le nom de tabac-journaux.

Itinéraire patriotique départemental. Découverte du monument aux morts de Champdray.

TV. Le Coeur des hommes 2 (Marc Esposito, France, 2007 avec Bernard Campan, Gérard Darmon, Jean-Pierre Darroussin, Marc Lavoine; V.O.D. Orange).

LUNDI.
Itinéraire patriotique départemental. Découverte du monument aux morts de Champ-le-Duc qui permet un joli tir groupé puisqu'il accueille, outre les victimes de la commune, celles de Beauménil, de Fiménil, de Prey et sans doute d'un ou deux autres villages (il manque une plaque sur un côté).

Vie sportive. "Départ du Tour de France. Sans moi. Ma passion pour le cyclisme s'est éteinte au cours des dernières années, conséquences des abus commis par les coureurs et leur entourage. Je le regrette vraiment." Retour sur cette phrase parue dans un numéro des notules datant de juillet 2001. La passion ne s'est pas réveillée, non, mais les raisons de son extinction sont plus complexes que celles que j'évoquais à l'époque et le fait de voir partir et courir le Tour sans passion, sans émotion même, n'est pas seulement un regret mais un véritable crève-coeur. J'ai été, dès mon plus jeune âge, fou de cyclisme, passionné comme pas un. Le Tour, c'était la lecture intégrale des huit pages quotidiennes de L'Equipe, Blondin, Chany, Brunel, Ballester, Jacques Anquetil répond à vos questions, c'était le papier bistre ou sépia des Miroir Sprint que mes parents m'envoyaient quand j'étais en colonie de vacances et dont la découverte constituait le seul moment supportable de ces semaines d'ennui. C'était aussi le classement quotidien de tous les coureurs, tous, recopié sur des feuilles quadrillées, c'était l'étape reconstituée après l'arrivée à l'aide de mes figurines de coureurs sur un parcours tracé avec des cartes à jouer - pour donner une idée de l'époque, mes coureurs s'appelaient Jan Janssen, Pingeon, Gandarias, Lopez Carril, Wolfshohl, Vifian le Suisse, Van Springel, Den Hertog, Godefroot, Bitossi, Dancelli... Les flashes toutes les demi-heures sur France Inter et les heures passées devant la télé, même quand les coureurs ont commencé à mettre des casques et des lunettes, je les reconnaissais au premier coup d'oeil. J'ai été fan de Felice Gimondi, le plus grand de tous (parce qu'il courait pour Salvarani et que dans la cuisine il y avait un chauffe-eau Salvarani, ça a commencé comme ça), de Michel Laurent parce que René Fallet avait écrit un article sur lui dans L'Equipe, des frères Simon, de Giuseppe Sarroni, de Gianni Bugno, de Jalabert pour finir. J'ai vu passer le Tour à Epinal, à Lamarche, à Vittel, au Grand Ballon, à Essey-et-Maizerais, à Thann, à Luxembourg, à Manosque, à Vaison-la-Romaine, à Saint-Jean-de-Sixt et ailleurs sans doute. J'ai crié "Forza Beppe !" à Sarroni qui m'a fait un clin d'oeil, ça a été le plus beau jour de ma vie pendant au moins 48 heures, j'ai vu voler Marco Pantani, j'ai entendu Bernard Hinault râler au sein du peloton parce que des jeunots avaient osé s'échapper, j'ai vu Laurent Fignon dans son dernier coup d'éclat, j'ai bu dans le bidon de Stephen Roche, j'ai écrit à Laurent Jalabert, j'ai bousculé Jean-Pierre Danguillaume, tapé sur l'épaule de Ronan Pensec, je me suis fait marcher sur les pieds par Cyrille Guimard, j'ai vu Raphaël Géminiani attablé dans un bistrot et Raymond Poulidor assis à l'arrière d'une voiture publicitaire en train de vendre du café, j'ai rôdé autour de la Maison de la Presse à Biarritz dans l'espoir d'apercevoir André Darrigade qui en était devenu le gérant, j'ai demandé un autographe à Luc Roosen qui n'en avait jamais signé que pour sa famille. Et depuis dix ans, plus rien, je regarde le nom du vainqueur de l'étape dans le journal et c'est tout. Bien sûr, il y a eu l'épisode Festina de 98 et ce qui s'est passé depuis, je hais Richard Virenque et ceux qui continuent à lui donner la parole, mais il y a surtout, et c'est beaucoup plus grave, les passions qui s'émoussent avec le temps. Il y a comme ça un tas de trucs pour lesquels je m'enthousiasmais et qui ne me font plus soulever une paupière, ça me désole. Heureusement, il me reste l'équipe de foot d'Epinal, même à son niveau modeste, qui parvient encore à me passionner. Même si cela me vaut plus de sarcasmes que de compliments, je ne rate pas un match, les notuliens en savent quelque chose, je palpite, et je garde ce dernier feu de ma jeunesse comme un bien très précieux.

TV. Voici le temps des assassins (Julien Duvivier, France, 1956 avec Jean Gabin, Danièle Delorme, Gérard Blain, Lucienne Bogaert; diffusé en juin 1999 sur La 5e).

MARDI.
Lecture. Paris, sa vie, son oeuvre (Du Lérot éditeur, coll. "En marge", 2005; 204 p., 25 €).
Huitième Colloque des Invalides, 19 novembre 2004, textes réunis par Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens.
Avec ce huitième volume, je boucle la boucle. J'ai désormais lu tous les actes des Invalides qui se sont tenus de 1996 à 2004 et connais les trois suivants pour y avoir assisté en personne. Le sujet choisi pour celui-ci, consacré à Paris, est peut-être le moins purement littéraire de tous, ce qui le dote d'une variété et d'une richesse encore supérieures aux autres éditions. On peut faire confiance aux Invalides pour ne pas tomber dans les poncifs du Paris littéraire. Les orateurs du colloque ont dans leurs mémoires et dans leurs bibliothèques suffisamment de connaissances et d'éléments originaux pour ne pas nous infliger une tartine supplémentaire sur le Flore, la rue de Rome ou chez Drouant. Paris est donc abordé ici sous de multiples aspects : l'architecture (les immeubles de l'Avenir du Prolétariat), la sculpture (les bronzes envoyés à la fonte en 1941 pour se plier à l'ordonnance de Vichy visant la "récupération des métaux non ferreux"), les guides insolites, les petits métiers ("le ramasseur de crottes de chien, le lanceur de rats, le pêcheur de grenouilles pour amphithéâtres, la loueuse de sangsues..."), les transports (l'omnibus, le fiacre et son cocher), les sentiments (la haine de Jean Lorrain pour Paris), les tranches de vie parisienne contemporaine (par Michel Deguy, Christophe Bourseiller, Marc-Edouard Nabe), les lieux (Gourmont et les quais, la rue Aubry-le-Boucher et ses fantômes vus par Alain Chevrier), les inscriptions (la "Lecture de Paris" par François Caradec), les héros (Cartouche). Sans oublier quelques échappées vers l'extérieur, proche (la banlieue vue par Eric Dussert) ou lointaine (le Saskatchewan où Michel Pierssens a déniché une commune qui porte le nom de Montmartre). Pas de bons Invalides sans la découverte de quelques obscurs et sans-grade, le plus remarquable de cette livraison étant Ymbert Galloix "poète genevois venu à Paris en octobre 1827 et mort de misère un an plus tard" et dont Hugo put dire "Ymbert Galloix qui souffre vaut Byron". La discussion finale aborde des thèmes plus convenus, comme celui des prix littéraires qui seront au menu du prochain Colloque des Invalides le 31 octobre prochain.
Curiosité. "Le poing fermé, je regardais en passant Ivry
Etalé sur ses rives infectes sous les cieux noirs... !

rue de Tolbiac [...]
C'est le lieu maudit par une misère obscène;
Triste chantier où la Bièvre aussi épaisse que le miel est utile pour les cuirs et les toisons.

Vers Saint-Denis
Sur les quais du canal, du côté où la ville du gaz range huit cheminées,
Où, tripotant dans la graisse de la boue, l'homme respirant
Se nourrit de l'odeur sucrée de la glycérine et de l'engrais,
Sur les boulevards où les femmes vendent leurs propres intestins, à Belleville
Dans les clapiers où la fillette, épouse de son père,
Met ses bas à un gosse sans chemise, aussi pustuleux que le crapaud

[...] le quartier des coupeurs de poils aux dents bleues, et le mercure leur sort par la plante des pieds. Là les vieillards [...] se nourrissent de fruits pourris et de boyaux

J'ai vu l'homme qui s'est approché jusqu'à ce point où la borne humaine de l'anti-espoir porte ce mot : c'est là.
"

Zola ? Céline ? Cendrars ? Apollinaire ? Desnos ? Tout faux : Paul Claudel, dans La Ville. Etonnant, non ?

TV. Légère et court-vêtue (Jean Laviron, France, 1953 avec Madeleine LeBeau, Jean Parédès, Jacqueline Pierreux, Louis de Funès; DVD René Chateau Vidéo).

MERCREDI.
Lecture. Meurtre au ralenti (Boileau-Narcejac, drame en deux actes créé au Théâtre du Grand Guignol le 10 novembre 1956; in Robert Laffont, coll. Bouquins, "Quarante ans de suspense" vol. 1, édition établie par Francis Lacassin, 1988; 1340 p., 120 F).
On ne s'étendra pas sur l'intrigue, plutôt convenue, de cette courte pièce policière dont l'intérêt réside plutôt dans le cadre choisi par Boileau et Narcejac : l'histoire se déroule en effet dans un stand de ravitaillement, aux 24 Heures du Mans. Le décor : d'énormes affiches Dunlop et Shell, des drapeaux, le pavillon d'un haut-parleur qui donne des nouvelles de la course, des roues de secours, ce qui change des guéridons et des bergères. La pièce semble avoir été écrite pour la radio, où elle connaîtra plusieurs adaptations.
Extrait. "Regarde... Ces deux boîtes sont absolument identiques... Et leur contenu aussi a le même aspect... Mais pas les mêmes propriétés... Ces pilules-là, ce sont celles que Raymond avale pour se doper, quand il commence à fléchir..." Ce n'est pas les 24 Heures, c'est le Tour de France !

TV. Mais qui a tué Pamela Rose ? (Eric Lartigau, France, 2003 avec Kad Merad, Olivier Baroux, Gérard Darmon, Jean-Paul Rouve; diffusé ce mois sur Canal +).

JEUDI.
Vie matinale. Ce matin, je me suis levé de bonne heure. Comme tous les matins où je me lève de bonne heure, j'ai pensé à ce passage de Francis Grossmann : "Un matin, on se réveille vers quatre heures. On ne se rendort pas jusqu'à l'heure de se lever. On s'est couché très tard la veille. A peine trois heures de sommeil. On ne sait pas ce qu'on a, on n'a pas dormi de la nuit. On se dit que c'est pour ça qu'on se traîne toute la journée. On passe son temps à bâiller. On résiste mal aux envies de sieste après le déjeuner. La fin de journée est harassante. On ne pense qu'à se coucher, pour rattraper le rythme. Une bonne nuit et il n'y paraîtra plus. Mais arrivé le soir, on n'a plus sommeil. Impossible de se coucher. On tourne en rond, du frigo de la cuisine à la télé du salon. On se dit qu'à ce rythme on ne va pas tenir. On couve quelque chose, mais non. Le lendemain matin, on se réveille à nouveau avant l'aube. On se dit qu'il faudrait bien récupérer de toute cette fatigue. Le week-end suivant on ne fait rien. On essaie de récupérer. On se dit qu'on va faire une bonne grasse matinée. On se réveille encore avant l'aube. On ne récupère pas. Rien n'y fait. Et puis cela dure des mois, des années. Les fins de journées sont toujours harassantes et les nuits toujours aussi courtes. On sait que la fatigue ne vous quittera plus. On oublie même qu'on n'était pas fatigué. On ne fera plus jamais de grasse matinée. Il n'y a pas de remède. Le pire c'est qu'on s'y habitue. La révolte n'a qu'un temps. On préfère s'asseoir que de rester debout et même les jeunes femmes vous cèdent leur place. On ne monte plus les escaliers quatre à quatre. On ne court plus après les autobus. On n'a plus de petits matins triomphants. On ne sait toujours pas ce qu'on a. On n'a rien. On est vieux et c'est tout."

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Le Gendarme de Saint-Tropez (Jean Girault, France, 1964 avec Louis de Funès, Geneviève Grad, Michel Galabru; diffusé le soir même sur M6).
Avis du supplément TV du Monde : "Un intérêt historique et sociologique seulement". L'histoire et la sociologie m'intéressent beaucoup.

VENDREDI.
Courrier. Ça y est, je l'ai. Il est arrivé ce matin, nous pouvons partir en vacances tranquilles et en règle, puisque nous sommes désormais en possession du fameux gilet jaune fluorescent désormais obligatoire, à utiliser en cas d'immobilisation du véhicule. Moi, je le mettrais volontiers pour aller au marché. Il faut dire que le gilet que j'ai acquis n'est pas n'importe quel gilet. Présenté dans une jolie housse nylon siglée, il m'aura tout de même coûté trente camemberts.

SAMEDI.
L'Invent'Hair perd ses poils.


Nancy, (Meurthe-et-Moselle), photo de François Decq, 30 décembre 2004.

Bon dimanche.