Notules dominicales 2008
 
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Notules dominicales de culture domestique n°339 - 3 février 2008

DIMANCHE.
Lecture. Le Bibliothécaire (The Librarian, Larry Beinhart, 2004; Gallimard, coll. Série Noire, 2005 pour la traduction française, traduit de l'américain par Patrice Carrer; 464 p., 24 €).
Un universitaire est embauché par un richissime vieillard, Alan Stowe, pour classer sa bibliothèque. Alan Stowe est également un des principaux bailleurs de fonds du parti républicain et du président des Etats-Unis qui concourt pour un nouveau mandat. L'élection a lieu dans quelques jours. Le bibliothécaire s'aperçoit rapidement qu'il manipule des documents très sensibles.
Ce pourrait être un thriller politique traditionnel, carré, efficace, à l'américaine, suffisamment éloigné de la réalité pour qu'on n'y voie qu'un bon divertissement. Mais Larry Beinhart a d'autres ambitions. Sur le modèle de ce que fait Michael Moore au cinéma, il procède ici à un démontage impitoyable de l'administration Bush, prenant pour cadre la période pré-électorale qui devait être celle de la sortie de l'ouvrage aux Etats-Unis et que l'on suit actuellement aux informations : primaires, caucus, Super Tuesday et ainsi de suite. Le tableau est assez effrayant mais comme Michael Moore, Larry Beinhart ne montre que ce qu'il veut montrer et ne brille pas par son souci d'objectivité. Néanmoins, c'est, pour cette partie documentaire, une charge forte et passionnante. Le côté fictif du livre est également intéressant : l'auteur a su alléger l'aspect un peu dogmatique de son propos en donnant à son bibliothécaire vedette les caractéristiques d'un personnage de Woody Allen compensant sa maladresse naturelle et son inexpérience par un humour assez ravageur. Il y a bien cent pages de trop, c'est sûr, mais ça vaut le détour, c'est très instructif et rien n'interdit de trouver dans cette peinture de la politique américaine quelques traits qui pourraient s'appliquer à d'autres pays.
Extrait. "Cet investissement avait rapporté gros. Le président Scott avait allégé la taxation des riches pour transférer les charges vers les classes moyennes et laborieuses. Il s'y était pris habilement, comme on le lui avait indiqué, avec des réductions d'impôts générales qui avaient simplement été beaucoup plus importantes pour les riches. Ces mesures, plus les dépenses de guerre, plus la récession, avaient appauvri le gouvernement fédéral. Du coup, les frais de police, l'éducation, la protection de l'environnement, l'eau potable, s'étaient mis à incomber de plus en plus aux Etats et aux régions, eux-mêmes financés par les taxes immobilières et les taxes à l'achat, les droits et les frais divers, les amendes; c'est-à-dire que la charge fiscale n'était plus assumée par les riches, mais par tous les autres."

Itinéraire patriotique départemental. Découverte du monument aux morts de Bulgnéville.

TV. L'Attentat (Yves Boisset, France, 1972 avec Jean-Louis Trintignant, Jean Seberg, Michel Piccoli, Philippe Noiret; diffusé en janvier dernier sur Cinécinéma Star).

LUNDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Le Grand Appartement (Pascal Thomas, France, 2006 avec Mathieu Amalric, Pierre Arditi, Laetitia Casta, Cheik Doukouré, Carmen Durand; diffusé en janvier dernier sur Canal +).
Un divertissement de saison : c'est aujourd'hui que les dates sont tombées. 27 février, signature chez le notaire, 28 - 29 février, déménagement. Nous fêterons donc notre installation tous les quatre ans.

MARDI.
Cérémonie. "Le président de la République assistera aujourd'hui à Neufchâteau aux obsèques des trois jeunes gendarmes décédés vendredi matin" (les journaux). On s'en souvient, ça a fait du bruit. Trois gendarmes et un voleur happés par un train, les informations à la radio, dans les Vosges, ce matin-là on a poussé le volume. On s'est toujours gardé de manifester trop de compassion pour les victimes du devoir, surtout en ces temps où la larmoyance obligatoire et la mobilisation émotionnelle prennent rang de grandes causes nationales. Il y a des choix, des risques, et puisqu'il faut bien le dire, on a peu d'affection pour l'uniforme, peu de sympathie pour ce qu'il contient. Et puis là, quand on apprend que parmi les victimes en uniforme se trouve le fils de Mme B., on vacille un peu sur ses certitudes et ses résolutions. Mme B., on la connaît, une pharmacienne d'ici, forcément, mes parents se sont longtemps approvisionnés chez elle, relations professionnelles avec Caroline mais un peu plus que ça, elle n'était pas du genre pharmacien requin, tenait le même genre d'officine de quartier qu'ici. Avec elle, on a eu l'occasion de parler un peu d'autre chose que des sujets obligatoires, donc de sa famille, de ses deux fils. Alors tout à coup, les identités remarquables de notre jeunesse, les CRS SS des manifs, les chasseurs gros cons des Charlie Hebdo d'antan, les anticommunistes et les salauds de Sartre, les bons flics et les flics morts, tout ça s'emboîte un peu moins bien et on se dit que la vie n'est pas aussi simple qu'on avait pu le croire. Un autre exemple qui revient à l'esprit, les pièces jaunes. Là aussi, intransigeance. Pas question de mettre la petite boîte sur le comptoir, pas un rond pour la femme Chirac, son judoka bouffi et ses starlettes de pacotille, non mais et puis quoi encore. Et puis un jour vous allez voir votre fille qui passe une semaine en pédiatrie à l'hôpital de Saint-Avold et vous apprenez par une infirmière que tout ce qui n'est pas médical dans le service, les peintures, la décoration, l'espace de jeux, les jeux eux-mêmes, tout ce qui rend les choses un peu moins pénibles a été financé par l'opération pièces jaunes. Alors là vous avez l'air vraiment malin avec votre intransigeance et vous êtes vraiment fier de n'avoir jamais filé un kopeck pour ce que vous avez toujours appelé une gigantesque mascarade.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Lecture.
Atelier 62 (Martine Sonnet, Le temps qu'il fait, 2008; 240 p., 24 €).
Compte rendu à rédiger pour La Liberté de l'Est.

MERCREDI.
TV. Rien ne va plus (Jean-Michel Ribes, France, 1979 avec Jacques Villeret, Patrick Chesnais, Eva Darlan, Philippe Khorsand; diffusé en janvier dernier sur Cinécinéma Star).

JEUDI.
TV. 24 Heures chrono (24, série américaine de Joel Surnow et Robert Cochran avec Kiefer Sutherland, Mary Lynn Rajskub, D.B. Woodside, Peter MacNicol, Carlo Rota; saison 6; épisodes 21 & 22 diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
Cérémonie. Le président est reparti, les vrais enterrements viennent de commencer. Mercredi, le fils B., sans nous, aujourd'hui la tante de Caroline, T., 61 ans, ce n'est pas vieux non plus, même pas deux ans de retraite, ça fait maigre. T., je l'ai connue avant d'entrer dans sa famille, elle habitait à Châtel-sur-Moselle, à côté du collège, j'avais ses enfants en classe, une fille, un garçon. J'étais à mes débuts, et je pouvais les faire profiter pleinement de mon inexpérience, j'enseignais même la musique en ce temps-là. Une musique qui n'eut pas véritablement d'effet adoucissant sur M., le garçon, qui se chargea, avec un acolyte, de signifier son mécontentement en poinçonnant les pneus de ma 2 CV, pauvre bête retrouvée un beau soir toute flapie sur le parking. Un sacré raffut, conseil de discipline, exclusion définitive, tout ça au-dessus de moi, pris en charge par les autorités. Moi, j'ai attendu une bonne dizaine d'années pour prendre ma revanche : je me suis vengé en épousant la cousine de M. et, depuis, en lui imposant ma présence réfrigérante à toutes les réunions de famille. Mais aujourd'hui, on n'a pas besoin de moi pour rafraîchir l'atmosphère et les roues du corbillard sont bien gonflées, il n'y a que la tristesse qui crève.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Football. RC Strasbourg - FC Metz 0 - 3 (en direct sur Eurosport).

SAMEDI.
Presse. Réchauffement climatique, dérive des continents, on n'en sait rien mais il s'en passe de drôles dans la géographie si l'on en croit ce bandeau pêché ce matin dans les pages hippiques de La Liberté de l'Est.

TV. Je pense à vous (Pascal Bonitzer, France, 2006 avec Edouard Baer, Géraldine Pailhas, Marina de Van, Charles Berling, Hippolyte Girardot; diffusé en décembre dernier sur Canal +).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°340 - 10 février 2008

DIMANCHE.
Carnet blanc. On nous apprend la naissance d'un jeune Antonin, en un seul fragment, fruit de l'union de deux notuliens. Quand il sera abonné, nous pourrons parler de la notulie atavique.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Itinéraire patriotique départemental. Caroline de garde, Alice chez une condisciple, Lucie chez ses grands-parents, il ne me reste pour toute compagnie que René Collin, Henri Balland, Emile Froment, Joseph et Jules Forterre, Jules Mangeolle et Victor Paquin dont les noms sont inscrits en lettres d'or sur le monument aux morts de Bult.

TV. Esprits libres (émission de Guillaume Durand, diffusée vendredi dernier sur France 2).
Avec une belle sortie de Michel Drucker sur Simone de Beauvoir, souvenir d'une interview qu'il eut à faire en 1979 : "Une intolérance antipathique. Elle m'a humilié : Qu'est-ce que vous avez comme bagage jeune homme ? Vous savez que je suis professeur de philosophie ?" Les lecteurs des Mémoires d'une jeune fille dérangée de Bianca Lamblin n'ont pas été surpris.

LUNDI.
TV. Un assassin qui passe (Michel Vianey, France, 1981 avec Jean-Louis Trintignant, Carole Laure, Richard Berry; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).

MARDI.
TV. Madame Irma (Didier Bourdon & Yves Fajnberg, France, 2006 avec Didier Bourdon, Pascal Légitimus, Arly Jover, Catherine Mouchet; diffusé en janvier dernier sur Canal +).

MERCREDI.
Des banquiers et de leurs cravates. Ou comment utiliser son temps intelligemment. Ce matin, je devais aller chercher des cartons chez le déménageur. Avant cela, un petit tour en ville histoire de rendre les bouquins à la bibliothèque, ce sera toujours ça de moins à encartonner, puis un saut chez France Télécom pour quelques démarches administratives. Bon, ça ne se passe pas trop mal, je fais encore l'expérience, blessante à la longue, de ma transparence au moment où l'hôtesse de l'agence se précipite sur la dame qui entre après moi alors que je poireaute depuis cinq bonnes minutes en attendant qu'elle remarque ma présence mais j'arrive tout de même à atteindre un conseiller. Il me manque un relevé d'identité bancaire. Qu'à cela ne tienne, il y a une succursale de la banque toute proche, j'y fais un saut et je reviens. J'arrive à la banque, plus de banque, un trou, des balèzes avec des marteaux-piqueurs qui transforment ça en banque moderne, là où il n'y a plus personne pour vous servir. Une autre agence un peu plus loin, celle-ci est déjà moderne, il n'y a plus de guichet mais je me débrouille comme un chef pour éditer mon relevé sur une machine avec ma carte bancaire. Retour chez France Télécom, ça roule. Bon, mes cartons. Oui, mais il faut manger. Donc, un arrêt au supermarché, emplettes, ça roule. A la caisse, au moment de payer, coup de chaud, fouille et palpations multiples n'y font rien, plus de carte bancaire. Heureusement, je suis passé au PMU un peu plus tôt, j'ai de la fraîche, un couplé gagnant d'hier à Cagnes-sur-Mer, pas sur Vosges, je ne comptais pas vraiment acheter mes yaourts avec ça mais bon. A côté du supermarché, il y a une agence de la banque qui abrite mon compte, décidément bien représentée, il faut dire qu'on est dans un département rural, une agence à l'ancienne avec un type en cravate qui s'occupe des clients, mais ça ne va pas durer, des travaux sont prévus. En attendant, je demande au cravaté de téléphoner à l'agence moderne pour savoir si je n'aurais pas laissé ma carte dans la machine à éditer. Quelqu'un lui répond, il y a donc tout de même des gens qui travaillent dans les banques modernes mais on ne les voit pas, ils sont dans les bureaux, dans le fond, je me demande s'ils mettent des cravates. Ma carte est bien là-bas. Je repars, quelqu'un sort d'un bureau du fond pour me restituer mon bien mais c'est une dame donc pour les cravates je ne sais toujours pas. Il est midi. Les cartons attendront.

VENDREDI.
Presse. Parution de ma chronique sur Ben Schott dans La Liberté de l'Est du jour, lisible ici.

Vie musicale. Concert de Jean-Louis Aubert au Palais des Congrès de Vittel. Avec Aubert, ça fait un moment qu'on ne s'est vus. Je ne sais même pas si lui s'en souvient. Il faut dire qu'on devait être cinquante mille environ sur la pelouse de l'hippodrome d'Auteuil en 1982. Il jouait avec Téléphone en première partie des Rolling Stones, il faisait chaud, la bière coûtait 10 francs le gobelet, une fortune. Avec les Stones, je bouclais mon triangle musical, premier sommet atteint en 1978, Brassens à Bobino, mon premier voyage à Paris en solo, deuxième sommet Dylan à Londres, 1981. Après ça, je me disais qu'il ne pouvait plus rien m'arriver question concert, j'avais vu ce qu'il fallait voir. L'avenir m'a donné à peu près raison, des concerts il y en eut bien d'autres mais aucun n'a eu autant d'importance pour moi que ces trois-là, seul Beau Dommage à Montréal a pu s'en approcher. Téléphone s'était d'ailleurs fait tirer l'oreille pour accepter ce contrat, jouer en lever de rideau, fût-ce pour les Stones, semblait un peu mortifiant aux membres du groupe. Il n'y avait pourtant pas de quoi rougir, George Thorogood and the Destroyers, The J. Geils Band et Téléphone pour une première partie, ça avait tout de même de la gueule. Donc, Aubert. La surprise en arrivant sur les lieux. La queue interminable mais disciplinée, à l'anglaise, une salle bourrée, deux fois plus de monde que pour Voulzy vu au même endroit il y a deux mois, à Vittel, on s'y connaît en remplissage. Une salle fervente, chaude, alors que je pensais que tout le monde se fichait autant que moi de ce qu'avait fait Aubert après Téléphone. J'ai dû être le seul à m'endormir au bout d'une heure, quand il a entamé son oeuvre solo, mais j'avais eu le temps de l'entendre réviser son répertoire téléphonique avec la même voix, à peu près la même gueule et un peu de l'ironie qu'il faut avoir quand on chante ce qu'on a écrit trente ans auparavant. Aubert seul en scène mais réussissant à faire, avec les samplers sur lesquels il renvoyait ses rythmiques en boucle, autant de bouzin qu'un groupe au complet avec l'avantage appréciable de ne pas avoir à partager le cachet. Je me suis réveillé pour "New York avec toi", c'était très bien et après je suis rentré à Epinal avec Caroline, c'était très bien aussi.

SAMEDI.
Football. US Raon-l'Etape - SA Epinal 2 - 3. Incursion en territoire ennemi, voyage en autocar avec le noyau dur des supporters, les tambours dans la soute à bagages et les écharpes autour du cou. Une expérience. Et en plus, le meilleur match de la saison.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°341 - 17 février 2008

DIMANCHE.
Lecture. Tishomingo Blues (Elmore Leonard, 2001, Payot & Rivages, coll. Rivages/Thriller, 2005 pour la traduction française, traduit de l'américain par Danièle et Pierre Bondil; 288 p., 18,50 €).
On a passé de bons moments avec Elmore Leonard avec ses polars situés en Floride, ses portraits caustiques des caïds de la Mafia locale. On s'était arrêté à Punch Créole, et puis on avait continué à acheter ses livres sans trouver le temps de les lire. Il n'est pas sûr qu'on remette le nez dedans après la déception que constitue ce Tishomingo Blues, histoire d'un plongeur acrobatique professionnel vivant d'exhibitions dans des hôtels et des parcs d'attraction du Sud, embarqué dans la reconstitution d'une bataille de la Guerre de Sécession. Une idée en or, qui permet de découvrir les nostalgiques de la Confédération, toujours prêts à bouffer du Yankee cent cinquante ans plus tard. Quelques beaux portraits de fêlés qui jouent à la guéguerre sur tous les sites des anciennes batailles avec les costumes, les armes et la hargne d'époque. Mais dans ce cadre rêvé, Elmore Leonard ne parvient qu'à insérer une histoire mafieuse particulièrement compliquée et inintéressante qui, malgré une multitude de départs espérés, ne parvient jamais à vraiment démarrer. Un coup pour rien.

TV. 24 Heures chrono (24, série américaine de Joel Surnow et Robert Cochran avec Kiefer Sutherland, Mary Lynn Rajskub, D.B. Woodside, Peter MacNicol, Carlo Rota; saison 6; épisodes 23 & 24 diffusés jeudi dernier sur Canal +).
Ouf. On ne nous y prendra plus.

LUNDI.
TV scolaire. Le Pull-over rouge (Michel Drach, France, 1979 avec Serge Avedikian, Michelle Marquais, Claire Deluca, Roland Bertin; diffusé sur Cinécinéma Frisson en janvier dernier).

TV. La Clé sur la porte (Yves Boisset, France, 1978 avec Annie Girardot, Patrick Dewaere; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).

MARDI.
TV. Vol de nuit (émission littéraire de Patrick Poivre d'Arvor, diffusée la veille sur TF1).

Lecture. Ma vie sans moi (Armand Robin, Gallimard, coll. Métamorphoses, 1940; rééd. Gallimard, coll. Poésie n° 58, suivi de Le Monde d'une voix et de Le Programme en quelques siècles, préface d'Alain Bourdon, 1970 puis 2004; 256 p., s.p.m.).
Bien sûr, quand on pense à la poésie du XXe siècle, le nom d'Armand Robin ne vient pas immédiatement à l'esprit. Mais s'il est totalement absent du Dictionnaire de la poésie française de Jacques Charpentreau, Armand Robin n'est pas tout à fait un inconnu. C'est dans les livres consacrés à Brassens qu'on a pour la première fois entendu parler de lui : Armand Robin faisait partie, en compagnie du Sétois pas encore chantant, du groupe anarchiste du XVe arrondissement (André Breton vint d'ailleurs faire une causerie dans ce cénacle à l'invitation du premier) et tous deux écrivaient pour Le Libertaire dans l'immédiat après-guerre. Robin réapparaîtra même sous le nom de Robin-la-liste-noire comme contempteur de la "secte des masturbateurs frénétiques" dans La Tour des miracles, le roman que Brassens fit paraître en 1953. A cette époque, Robin a déjà publié Ma vie sans moi, un recueil dans lequel on trouve trace de son parcours : huitième enfant d'une famille de cultivateurs bretons, étudiant à Paris, il tire ses maigres revenus de sa connaissance des langues (une trentaine) grâce à des traductions et à la rédaction d'un bulletin d'écoute des émissions radiophoniques internationales. Ma vie sans moi et les fragments posthumes rassemblés dans Le Monde d'une voix témoignent d'un constant déchirement entre le retour à ses origines rurales et la quête d'un ailleurs rimbaldien. A peine, comme il le dit, "surgi des illettrés", il s'interroge sur les bienfaits supposés de la connaissance, se demande s'il n'aurait pas dû rester dans la simplicité et l'ignorance : "Mon père, je vois bien que je me suis trompé/En voulant devenir un poète, un lettré [...] Je suis allé plus loin qu'à nous il est permis [...] Où je suis né j'aurais dû rester". Coincé dans cet entre-deux, le poète n'a plus d'existence propre et peut s'autoriser le titre Ma vie sans moi. La poésie d'Armand Robin n'est pas une poésie de salon, elle est celle d'un homme dont la souffrance n'est pas feinte. Irrégulière mais semée de beaux alexandrins ("Surgi du fond du peuple armé du fouet des mots", "Le temps m'a rajeuni jusque dans mon enfance"), parfois répétitive dans son ressassement des mêmes thèmes et anathèmes, elle donne l'image d'un homme dur avec lui-même et pas tendre avec son lecteur.
Curiosité. La maison d'édition Le Temps qu'il fait (qui compte deux notuliens dans son écurie) tire son nom d'un recueil d'Armand Robin et a publié certains de ses textes.

MERCREDI.
Obituaire. "Je me souviens qu'Henri Salvador a enregistré quelque chose comme les premiers disques français de Rock and Roll sous le nom de Henry Cording" (Georges Perec, Je me souviens, Jms n° 135).

TV. Les Lumières du faubourg (Laitakaupungin valot, Aki Kaurismäki, France/Allemagne/Finlande, 2006 avec Janne Hyytiäinen, Maria Järvenhelmi, Ilkka Koivula, Maria Heiskanen, Vesa Häkli; diffusé en janvier dernier sur Canal +).

JEUDI.
Cinéma. La Planète des singes (Planet of the Apes, Franklin J. Schaffner, E.-U., 1967 avec Charlton Heston, Roddy McDowall, Kim Hunter; vu dans le cadre de l'opération "Collège au cinéma").

TV. Caméléone (Benoît Cohen, France, 1996 avec Chiara Mastroianni, Jackie Berroyer, Seymour Cassel, Antoine Chappey; diffusé ce mois sur Cinécinéma Frisson).

VENDREDI.

TV. Coeurs (Alain Resnais, France, 2006 avec Sabine Azéma, Pierre Arditi, André Dussollier, Isabelle Carré, Claude Rich; diffusé ce mois sur Canal +).

SAMEDI.
Lecture. Raphaël. Grâce et Beauté (collectif, Skira/Musée du Luxembourg, 2001; 192 p., s.p.m.).
Catalogue de l'exposition tenue du 10 octobre 2001 au 24 février 2002 au Musée du Luxembourg, Paris, visitée le 22 février 2002.
Le type même du catalogue inutile, ou du moins inutilisable pour le commun des mortels en dehors des reproductions. On y discourt sur l'identité des différents modèles (toujours douteuse), on y débat des problèmes d'attribution (toujours incertaine), on y disserte sur les datations (toujours problématiques). Le pékin qui s'aventure dans ce travail fait par des spécialistes pour des spécialistes s'y perd complètement et regrette qu'on n'ait pas laissé la moindre place à la simple lecture des tableaux et à leur interprétation philosophique ou religieuse.

Football. SA Épinal - Belfort 1 - 1.

TV. On aura tout vu (Georges Lautner, France, 1976 avec Pierre Richard, Miou-Miou, Jean-Pierre Marielle; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).

Vie perecquienne. C'est confirmé : le séminaire Georges Perec aura lieu le samedi 15 mars à la Sorbonne. Programme disponible pour les notuliens demandeurs.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°342 - 24 février 2008

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Je me détourne un moment du monument aux morts de Bussang, où figure comme il se doit un membre de la famille Pottecher, pour mitrailler la gare dont le fronton et les dessus-de-porte valent le coup d'oeil.

 

 

TV. Désaccord parfait (Antoine de Caunes, France, 2006 avec Jean Rochefort, Charlotte Rampling, Isabelle Nanty, Ian Richardson; diffusé en décembre dernier sur Canal +).

LUNDI.
Tout en cartons. Déménagement, J - 10. Il est temps de s'y mettre. Photos (4 cartons), livres de poche (4), bandes dessinées, cahiers (1) et Série Noire (10), sont en boîte. Titre du Monde du jour : "Être propriétaire de son logement fait-il voter à droite ?" On ne va pas tarder à le savoir.

Obituaire. "Je me souviens qu'Alain Robbe-Grillet était ingénieur agronome" (Georges Perec, Je me souviens, Jms n° 142).

TV. Tant qu'il y aura des femmes (Didier Kaminka, France, 1987 avec Roland Giraud, Fanny Cottençon, Marianne Basler, Fiona Gélin, Martin Lamotte; diffusé ce mois sur Cinécinéma Famiz).

Lecture. Little Scarlet (Walter Mosley, Little, Brown and Company, 2004, Le Seuil, coll. Policiers, 2005, rééd. Points Policiers P 1453, 2006; 320 p., 7 €).
On présente volontiers Walter Mosley comme l'héritier de Chester Himes, un héritier "quelque peu surfait" d'après le Dictionnaire du roman policier de Jean Tulard. Il faut dire que son personnage emblématique, Ezechiel Rawlins, un Noir à qui il arrive de donner un coup de main à la police sur certaines enquêtes, et plus encore le cadre de ses histoires, le ghetto noir de Los Angeles dans les années 60, ramènent immanquablement au créateur d'Ed Cercueil et Fossoyeur. Au-delà des vaines comparaisons, Mosley, que l'on découvre ici bien qu'il en soit à son huitième livre, apparaît comme un auteur de talent à qui il ne manque pas grand-chose pour être l'égal des plus grands. Peut-être faudrait-il un peu plus de rigueur dans l'enquête (ici, le meurtre d'une jeune femme au cours des émeutes raciales qui parcourent la ville en cette année 1965) qui ne prend de l'intérêt que quand elle s'accélère, dans la deuxième moitié du roman, peut-être un peu moins de compassion larmoyante de la part de son personnage. Rawlins est certes un bon, un assoiffé de justice qui n'hésite pas à utiliser des fréquentations et des méthodes douteuses pour faire éclater la vérité mais son côté Bon Samaritain peut parfois lasser. Cela dit, on ne peut retirer à l'auteur son talent pour rendre le climat d'une ville déchirée par la ségrégation et les difficultés éprouvées par la communauté noire pour simplement survivre en milieu hostile.

MARDI.
J - 9. Au programme du jour, polars poche (3 cartons), cassettes (1 carton, uniquement les enregistrements des Cinglés du music-hall), 33-tours (2 cartons). Bref, peu de chose mais il faut dire que pour chaque objet sélectionné, il y en a deux ou trois qui sont mis de côté pour la déchetterie. Avec à chaque fois le même dilemme, garder, ne pas garder ? La tentation de virer tous les disques noirs est bien présente, vu qu'ils ne tourneront sans doute plus jamais, mais je n'arrive pas à me défaire de certaines pochettes, comme celles de Chet Baker et de Miles (je me suis arrêté à la lettre D).

TV. Pars vite et reviens tard (Régis Wargnier, France, 2007 avec José Garcia, Marie Gillain, Lucas Belvaux, Olivier Gourmet, Nicolas Cazalé; diffusé ce mois sur Canal +).

MERCREDI.
J - 8. Fin des 33-tours (4 cartons), cassettes (1 carton, feuilletons radiophoniques), polars poche (1 carton). Comment ça, c'est peu ? Ne pas oublier qu'il y a aussi des sacs, des bissacs, des havresacs, des caisses, des étuis, des valoches et des sacoches, des malles, des cantines, des bacs, des housses, des pochons, des réticules, de pleins conteneurs qui ne sont pas comptabilisés. Un peu d'indulgence tout de même. Cela dit, c'est vrai que ça n'avance pas. Le fait de conserver l'appartement au-dessus de la pharmacie (loué avec l'officine) vécu dans un premier temps comme un avantage (pas la peine de tout vider, on pourra toujours revenir récupérer ci ou ça) se révèle être la source d'un perpétuel casse-tête : jeter, laisser ou emporter ?

Courrier. Arrivée du n° 32 d'Histoires littéraires qui autorise la mise en ligne de mes chroniques parues dans le numéro précédent ("Chronique de l'actualité littéraire" et compte rendu de Mon libraire, sa vie, son oeuvre de Patrick Cloux) : http://pdidion.free.fr/chroniques/chroniques_2007.htm

JEUDI.
J - 7. Au menu, archives (4 cartons) et fonds de tiroir (5). Bon rythme. Je garde les livres pour la fin, c'est le plus facile.

TV. Chaos (Tony Giglio, E.-U., 2005 avec Jason Statham, Wesley Snipes, Ryan Phillippe, Henry Czerny, Nicholas Lea; diffusé en janvier dernier sur Canal +).

VENDREDI.
Texte de saison. "Déménager

Quitter un appartement. Vider les lieux. Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher.
Inventorier ranger classer trier
Éliminer jeter fourguer
Casser
Brûler
Descendre desceller déclouer décoller dévisser décrocher
Débrancher détacher couper tirer démonter plier couper
Rouler
Empaqueter emballer sangler nouer empiler rassembler entasser ficeler envelopper protéger recouvrir entourer serrer.
Enlever porter soulever
Balayer
Fermer
Partir"

Georges Perec, Espèces d'espaces

TV. Les Mauvais Coups (François Leterrier, France, 1961 avec Simone Signoret, Reginald Kernan, Alexandra Stewart; diffusé ce mois sur Cinécinéma Classic).

Lecture. Au temps des vivants (Gérard Pussey, Fayard, 2007; 294 p., 17 €).
Gérard Pussey ne trompe personne en sous-titrant son livre "roman". Il n'empêche personne de penser qu'il succombe à son tour aux facilités du retour sur soi, un de plus à replonger ses doigts dans l'encrier de la communale et ses regards sous les jupes des filles, jupes plissées, forcément plissées. Combien sont-ils chaque année à nous bassiner avec leurs grands-mères à confitures et leurs pédagogues à férule ? Un sacré tas duquel, pour émerger, il n'y a que trois pistes possibles : la force d'une écriture ou d'une construction qui fait sortir le texte du lot commun (ce qu'a réussi récemment Martine Sonnet avec son Atelier 62), l'originalité d'un parcours, ou l'effacement de soi au profit de figures plus intéressantes. C'est cette troisième voie qu'a suivie Gérard Pussey. Parce qu'il a beau être l'auteur honnête d'une bonne vingtaine de livres, on ne veillerait pas très tard le soir pour lire ses souvenirs d'enfance si son père n'avait eu la bonne idée d'épouser la soeur de René Fallet. Quand on a un tonton écrivain qui vous emmène gamin visiter Jacques Prévert cité Véron ou attendre la sortie de Brassens dans sa loge à Bobino, on n'a pas vraiment une enfance comme les autres et on peut la raconter en suscitant autre chose que des bâillements. Gérard Pussey se sert de cet avantage sans en abuser, sans trop jouer sur le mode "j'ai bien connu le grand homme". Son livre tient aussi par la tristesse du regard qu'il pose sur ce parcours, par la noirceur de celui qu'il pose sur l'homme mûr qu'il est devenu. "Il est toujours joli le temps passé", chantait celui qu'il avoue ne plus pouvoir écouter, quant à Fallet, "qui lit René aujourd'hui ?" Ce désenchantement est le meilleur atout d'un livre qui se tient grâce à lui au-dessus de l'autobiographie commune et qui dévoile un homme marqué par le sentiment de n'avoir jamais mérité la chance qu'il avait, d'avoir trop rarement profité des bonheurs qui passaient à sa portée : "D'où me vient cette conviction, désormais ancrée en moi, que mes échecs sont mérités, et mes rares succès, le résultat d'un mensonge ? Jamais je n'ai pu triompher en paix, savourer tranquillement une victoire sans qu'un sentiment de culpabilité, de doute et de honte vînt m'étrangler."

SAMEDI.
J - 5. 15 cartons de bouquins. En l'espace d'une semaine, Caroline est devenue la déménagère de moins de cinquante ans.

TV. Les petites vacances (Olivier Peyon, France, 2006 avec Bernadette Lafont, Adèle Csech, Lucas Franchi, Claude Brasseur, Claire Nadeau; diffusé ce mois sur Canal +).

Vie sans notules. Comme toute grande entreprise moderne, les notules cèdent à l'appel de la délocalisation. Un nouveau foyer, un nouveau compte Internet, une nouvelle adresse électronique, les archives dans les limbes, le carnet d'adresses envolé, on sait ce qui nous attend. Des démarches ont été entreprises, on a campé chez France Télécom tous les mercredis ou presque de janvier et de février pour un déménagement à trois rues de distance ou à peu près. On verra le résultat. Une chose est sûre, pas de notules dimanche prochain. Pour la suite, on verra.

Bons dimanches.