Notules
dominicales de culture domestique n°339 - 3 février 2008
DIMANCHE.
Lecture. Le Bibliothécaire
(The Librarian, Larry Beinhart, 2004; Gallimard, coll. Série
Noire, 2005 pour la traduction française, traduit de l'américain
par Patrice Carrer; 464 p., 24 €).
Un universitaire est embauché par un richissime vieillard, Alan
Stowe, pour classer sa bibliothèque. Alan Stowe est également
un des principaux bailleurs de fonds du parti républicain et du
président des Etats-Unis qui concourt pour un nouveau mandat. L'élection
a lieu dans quelques jours. Le bibliothécaire s'aperçoit
rapidement qu'il manipule des documents très sensibles.
Ce pourrait être un thriller politique traditionnel, carré,
efficace, à l'américaine, suffisamment éloigné
de la réalité pour qu'on n'y voie qu'un bon divertissement.
Mais Larry Beinhart a d'autres ambitions. Sur le modèle de ce que
fait Michael Moore au cinéma, il procède ici à un
démontage impitoyable de l'administration Bush, prenant pour cadre
la période pré-électorale qui devait être celle
de la sortie de l'ouvrage aux Etats-Unis et que l'on suit actuellement
aux informations : primaires, caucus, Super Tuesday et ainsi de suite.
Le tableau est assez effrayant mais comme Michael Moore, Larry Beinhart
ne montre que ce qu'il veut montrer et ne brille pas par son souci d'objectivité.
Néanmoins, c'est, pour cette partie documentaire, une charge forte
et passionnante. Le côté fictif du livre est également
intéressant : l'auteur a su alléger l'aspect un peu dogmatique
de son propos en donnant à son bibliothécaire vedette les
caractéristiques d'un personnage de Woody Allen compensant sa maladresse
naturelle et son inexpérience par un humour assez ravageur. Il
y a bien cent pages de trop, c'est sûr, mais ça vaut le détour,
c'est très instructif et rien n'interdit de trouver dans cette
peinture de la politique américaine quelques traits qui pourraient
s'appliquer à d'autres pays.
Extrait. "Cet investissement avait rapporté gros. Le président
Scott avait allégé la taxation des riches pour transférer
les charges vers les classes moyennes et laborieuses. Il s'y était
pris habilement, comme on le lui avait indiqué, avec des réductions
d'impôts générales qui avaient simplement été
beaucoup plus importantes pour les riches. Ces mesures, plus les dépenses
de guerre, plus la récession, avaient appauvri le gouvernement
fédéral. Du coup, les frais de police, l'éducation,
la protection de l'environnement, l'eau potable, s'étaient mis
à incomber de plus en plus aux Etats et aux régions, eux-mêmes
financés par les taxes immobilières et les taxes à
l'achat, les droits et les frais divers, les amendes; c'est-à-dire
que la charge fiscale n'était plus assumée par les riches,
mais par tous les autres."
Itinéraire patriotique départemental.
Découverte du monument aux morts de Bulgnéville.
TV. L'Attentat (Yves Boisset,
France, 1972 avec Jean-Louis Trintignant, Jean Seberg, Michel Piccoli,
Philippe Noiret; diffusé en janvier dernier sur Cinécinéma
Star).
LUNDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
TV. Le Grand Appartement (Pascal
Thomas, France, 2006 avec Mathieu Amalric, Pierre Arditi, Laetitia Casta,
Cheik Doukouré, Carmen Durand; diffusé en janvier dernier
sur Canal +).
Un divertissement de saison : c'est aujourd'hui que les dates sont tombées.
27 février, signature chez le notaire, 28 - 29 février,
déménagement. Nous fêterons donc notre installation
tous les quatre ans.
MARDI.
Cérémonie. "Le
président de la République assistera aujourd'hui à
Neufchâteau aux obsèques des trois jeunes gendarmes décédés
vendredi matin" (les journaux). On s'en souvient, ça a fait
du bruit. Trois gendarmes et un voleur happés par un train, les
informations à la radio, dans les Vosges, ce matin-là on
a poussé le volume. On s'est toujours gardé de manifester
trop de compassion pour les victimes du devoir, surtout en ces temps où
la larmoyance obligatoire et la mobilisation émotionnelle prennent
rang de grandes causes nationales. Il y a des choix, des risques, et puisqu'il
faut bien le dire, on a peu d'affection pour l'uniforme, peu de sympathie
pour ce qu'il contient. Et puis là, quand on apprend que parmi
les victimes en uniforme se trouve le fils de Mme B., on vacille un peu
sur ses certitudes et ses résolutions. Mme B., on la connaît,
une pharmacienne d'ici, forcément, mes parents se sont longtemps
approvisionnés chez elle, relations professionnelles avec Caroline
mais un peu plus que ça, elle n'était pas du genre pharmacien
requin, tenait le même genre d'officine de quartier qu'ici. Avec
elle, on a eu l'occasion de parler un peu d'autre chose que des sujets
obligatoires, donc de sa famille, de ses deux fils. Alors tout à
coup, les identités remarquables de notre jeunesse, les CRS SS
des manifs, les chasseurs gros cons des Charlie Hebdo d'antan, les anticommunistes
et les salauds de Sartre, les bons flics et les flics morts, tout ça
s'emboîte un peu moins bien et on se dit que la vie n'est pas aussi
simple qu'on avait pu le croire. Un autre exemple qui revient à
l'esprit, les pièces jaunes. Là aussi, intransigeance. Pas
question de mettre la petite boîte sur le comptoir, pas un rond
pour la femme Chirac, son judoka bouffi et ses starlettes de pacotille,
non mais et puis quoi encore. Et puis un jour vous allez voir votre fille
qui passe une semaine en pédiatrie à l'hôpital de
Saint-Avold et vous apprenez par une infirmière que tout ce qui
n'est pas médical dans le service, les peintures, la décoration,
l'espace de jeux, les jeux eux-mêmes, tout ce qui rend les choses
un peu moins pénibles a été financé par l'opération
pièces jaunes. Alors là vous avez l'air vraiment malin avec
votre intransigeance et vous êtes vraiment fier de n'avoir jamais
filé un kopeck pour ce que vous avez toujours appelé une
gigantesque mascarade.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
Lecture. Atelier 62 (Martine Sonnet, Le temps qu'il fait, 2008;
240 p., 24 €).
Compte rendu à rédiger pour La Liberté de l'Est.
MERCREDI.
TV. Rien ne va plus (Jean-Michel
Ribes, France, 1979 avec Jacques Villeret, Patrick Chesnais, Eva Darlan,
Philippe Khorsand; diffusé en janvier dernier sur Cinécinéma
Star).
JEUDI.
TV. 24 Heures chrono (24, série
américaine de Joel Surnow et Robert Cochran avec Kiefer Sutherland,
Mary Lynn Rajskub, D.B. Woodside, Peter MacNicol, Carlo Rota; saison 6;
épisodes 21 & 22 diffusés le soir même sur Canal
+).
VENDREDI.
Cérémonie. Le président
est reparti, les vrais enterrements viennent de commencer. Mercredi, le
fils B., sans nous, aujourd'hui la tante de Caroline, T., 61 ans, ce n'est
pas vieux non plus, même pas deux ans de retraite, ça fait
maigre. T., je l'ai connue avant d'entrer dans sa famille, elle habitait
à Châtel-sur-Moselle, à côté du collège,
j'avais ses enfants en classe, une fille, un garçon. J'étais
à mes débuts, et je pouvais les faire profiter pleinement
de mon inexpérience, j'enseignais même la musique en ce temps-là.
Une musique qui n'eut pas véritablement d'effet adoucissant sur
M., le garçon, qui se chargea, avec un acolyte, de signifier son
mécontentement en poinçonnant les pneus de ma 2 CV, pauvre
bête retrouvée un beau soir toute flapie sur le parking.
Un sacré raffut, conseil de discipline, exclusion définitive,
tout ça au-dessus de moi, pris en charge par les autorités.
Moi, j'ai attendu une bonne dizaine d'années pour prendre ma revanche
: je me suis vengé en épousant la cousine de M. et, depuis,
en lui imposant ma présence réfrigérante à
toutes les réunions de famille. Mais aujourd'hui, on n'a pas besoin
de moi pour rafraîchir l'atmosphère et les roues du corbillard
sont bien gonflées, il n'y a que la tristesse qui crève.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
TV. Football. RC Strasbourg - FC Metz
0 - 3 (en direct sur Eurosport).
SAMEDI.
Presse. Réchauffement climatique,
dérive des continents, on n'en sait rien mais il s'en passe de
drôles dans la géographie si l'on en croit ce bandeau pêché
ce matin dans les pages hippiques de La Liberté de l'Est.
TV.
Je pense à vous (Pascal Bonitzer, France, 2006 avec Edouard
Baer, Géraldine Pailhas, Marina de Van, Charles Berling, Hippolyte
Girardot; diffusé en décembre dernier sur Canal +).
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°340 - 10 février 2008
DIMANCHE.
Carnet blanc. On nous apprend la naissance
d'un jeune Antonin, en un seul fragment, fruit de l'union de deux notuliens.
Quand il sera abonné, nous pourrons parler de la notulie atavique.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
Itinéraire patriotique départemental.
Caroline de garde, Alice chez une condisciple, Lucie chez ses grands-parents,
il ne me reste pour toute compagnie que René Collin, Henri Balland,
Emile Froment, Joseph et Jules Forterre, Jules Mangeolle et Victor Paquin
dont les noms sont inscrits en lettres d'or sur le monument aux morts
de Bult.
TV. Esprits libres (émission
de Guillaume Durand, diffusée vendredi dernier sur France 2).
Avec une belle sortie de Michel Drucker sur Simone de Beauvoir, souvenir
d'une interview qu'il eut à faire en 1979 : "Une intolérance
antipathique. Elle m'a humilié : Qu'est-ce que vous avez comme
bagage jeune homme ? Vous savez que je suis professeur de philosophie
?" Les lecteurs des Mémoires d'une jeune fille dérangée
de Bianca Lamblin n'ont pas été surpris.
LUNDI.
TV. Un assassin qui passe (Michel
Vianey, France, 1981 avec Jean-Louis Trintignant, Carole Laure, Richard
Berry; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).
MARDI.
TV. Madame Irma (Didier Bourdon
& Yves Fajnberg, France, 2006 avec Didier Bourdon, Pascal Légitimus,
Arly Jover, Catherine Mouchet; diffusé en janvier dernier sur Canal
+).
MERCREDI.
Des banquiers et de leurs cravates. Ou
comment utiliser son temps intelligemment. Ce matin, je devais aller chercher
des cartons chez le déménageur. Avant cela, un petit tour
en ville histoire de rendre les bouquins à la bibliothèque,
ce sera toujours ça de moins à encartonner, puis un saut
chez France Télécom pour quelques démarches administratives.
Bon, ça ne se passe pas trop mal, je fais encore l'expérience,
blessante à la longue, de ma transparence au moment où l'hôtesse
de l'agence se précipite sur la dame qui entre après moi
alors que je poireaute depuis cinq bonnes minutes en attendant qu'elle
remarque ma présence mais j'arrive tout de même à
atteindre un conseiller. Il me manque un relevé d'identité
bancaire. Qu'à cela ne tienne, il y a une succursale de la banque
toute proche, j'y fais un saut et je reviens. J'arrive à la banque,
plus de banque, un trou, des balèzes avec des marteaux-piqueurs
qui transforment ça en banque moderne, là où il n'y
a plus personne pour vous servir. Une autre agence un peu plus loin, celle-ci
est déjà moderne, il n'y a plus de guichet mais je me débrouille
comme un chef pour éditer mon relevé sur une machine avec
ma carte bancaire. Retour chez France Télécom, ça
roule. Bon, mes cartons. Oui, mais il faut manger. Donc, un arrêt
au supermarché, emplettes, ça roule. A la caisse, au moment
de payer, coup de chaud, fouille et palpations multiples n'y font rien,
plus de carte bancaire. Heureusement, je suis passé au PMU un peu
plus tôt, j'ai de la fraîche, un couplé gagnant d'hier
à Cagnes-sur-Mer, pas sur Vosges, je ne comptais pas vraiment acheter
mes yaourts avec ça mais bon. A côté du supermarché,
il y a une agence de la banque qui abrite mon compte, décidément
bien représentée, il faut dire qu'on est dans un département
rural, une agence à l'ancienne avec un type en cravate qui s'occupe
des clients, mais ça ne va pas durer, des travaux sont prévus.
En attendant, je demande au cravaté de téléphoner
à l'agence moderne pour savoir si je n'aurais pas laissé
ma carte dans la machine à éditer. Quelqu'un lui répond,
il y a donc tout de même des gens qui travaillent dans les banques
modernes mais on ne les voit pas, ils sont dans les bureaux, dans le fond,
je me demande s'ils mettent des cravates. Ma carte est bien là-bas.
Je repars, quelqu'un sort d'un bureau du fond pour me restituer mon bien
mais c'est une dame donc pour les cravates je ne sais toujours pas. Il
est midi. Les cartons attendront.
VENDREDI.
Presse. Parution de ma chronique sur
Ben Schott dans La Liberté de l'Est du jour, lisible
ici.
Vie musicale. Concert de Jean-Louis
Aubert au Palais des Congrès de Vittel. Avec Aubert, ça
fait un moment qu'on ne s'est vus. Je ne sais même pas si lui s'en
souvient. Il faut dire qu'on devait être cinquante mille environ
sur la pelouse de l'hippodrome d'Auteuil en 1982. Il jouait avec Téléphone
en première partie des Rolling Stones, il faisait chaud, la bière
coûtait 10 francs le gobelet, une fortune. Avec les Stones, je bouclais
mon triangle musical, premier sommet atteint en 1978, Brassens à
Bobino, mon premier voyage à Paris en solo, deuxième sommet
Dylan à Londres, 1981. Après ça, je me disais qu'il
ne pouvait plus rien m'arriver question concert, j'avais vu ce qu'il fallait
voir. L'avenir m'a donné à peu près raison, des concerts
il y en eut bien d'autres mais aucun n'a eu autant d'importance pour moi
que ces trois-là, seul Beau Dommage à Montréal a
pu s'en approcher. Téléphone s'était d'ailleurs fait
tirer l'oreille pour accepter ce contrat, jouer en lever de rideau, fût-ce
pour les Stones, semblait un peu mortifiant aux membres du groupe. Il
n'y avait pourtant pas de quoi rougir, George Thorogood and the Destroyers,
The J. Geils Band et Téléphone pour une première
partie, ça avait tout de même de la gueule. Donc, Aubert.
La surprise en arrivant sur les lieux. La queue interminable mais disciplinée,
à l'anglaise, une salle bourrée, deux fois plus de monde
que pour Voulzy vu au même endroit il y a deux mois, à Vittel,
on s'y connaît en remplissage. Une salle fervente, chaude, alors
que je pensais que tout le monde se fichait autant que moi de ce qu'avait
fait Aubert après Téléphone. J'ai dû être
le seul à m'endormir au bout d'une heure, quand il a entamé
son oeuvre solo, mais j'avais eu le temps de l'entendre réviser
son répertoire téléphonique avec la même voix,
à peu près la même gueule et un peu de l'ironie qu'il
faut avoir quand on chante ce qu'on a écrit trente ans auparavant.
Aubert seul en scène mais réussissant à faire, avec
les samplers sur lesquels il renvoyait ses rythmiques en boucle, autant
de bouzin qu'un groupe au complet avec l'avantage appréciable de
ne pas avoir à partager le cachet. Je me suis réveillé
pour "New York avec toi", c'était très bien et
après je suis rentré à Epinal avec Caroline, c'était
très bien aussi.
SAMEDI.
Football. US Raon-l'Etape - SA Epinal
2 - 3. Incursion en territoire ennemi, voyage en autocar avec le noyau
dur des supporters, les tambours dans la soute à bagages et les
écharpes autour du cou. Une expérience. Et en plus, le meilleur
match de la saison.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°341 - 17 février 2008
DIMANCHE.
Lecture. Tishomingo Blues (Elmore
Leonard, 2001, Payot & Rivages, coll. Rivages/Thriller, 2005 pour
la traduction française, traduit de l'américain par Danièle
et Pierre Bondil; 288 p., 18,50 €).
On a passé de bons moments avec Elmore Leonard avec ses polars
situés en Floride, ses portraits caustiques des caïds de la
Mafia locale. On s'était arrêté à Punch
Créole, et puis on avait continué à acheter ses
livres sans trouver le temps de les lire. Il n'est pas sûr qu'on
remette le nez dedans après la déception que constitue ce
Tishomingo Blues, histoire d'un plongeur acrobatique professionnel
vivant d'exhibitions dans des hôtels et des parcs d'attraction du
Sud, embarqué dans la reconstitution d'une bataille de la Guerre
de Sécession. Une idée en or, qui permet de découvrir
les nostalgiques de la Confédération, toujours prêts
à bouffer du Yankee cent cinquante ans plus tard. Quelques beaux
portraits de fêlés qui jouent à la guéguerre
sur tous les sites des anciennes batailles avec les costumes, les armes
et la hargne d'époque. Mais dans ce cadre rêvé, Elmore
Leonard ne parvient qu'à insérer une histoire mafieuse particulièrement
compliquée et inintéressante qui, malgré une multitude
de départs espérés, ne parvient jamais à vraiment
démarrer. Un coup pour rien.
TV. 24 Heures chrono (24, série
américaine de Joel Surnow et Robert Cochran avec Kiefer Sutherland,
Mary Lynn Rajskub, D.B. Woodside, Peter MacNicol, Carlo Rota; saison 6;
épisodes 23 & 24 diffusés jeudi dernier sur Canal +).
Ouf. On ne nous y prendra plus.
LUNDI.
TV scolaire. Le Pull-over
rouge (Michel Drach, France, 1979 avec Serge Avedikian, Michelle Marquais,
Claire Deluca, Roland Bertin; diffusé sur Cinécinéma
Frisson en janvier dernier).
TV. La Clé sur la porte
(Yves Boisset, France, 1978 avec Annie Girardot, Patrick Dewaere; diffusé
ce mois sur Cinécinéma Star).
MARDI.
TV. Vol de nuit (émission littéraire
de Patrick Poivre d'Arvor, diffusée la veille sur TF1).
Lecture. Ma vie sans moi (Armand
Robin, Gallimard, coll. Métamorphoses, 1940; rééd.
Gallimard, coll. Poésie n° 58, suivi de Le Monde d'une voix
et de Le Programme en quelques siècles, préface d'Alain
Bourdon, 1970 puis 2004; 256 p., s.p.m.).
Bien sûr, quand on pense à la poésie du XXe siècle,
le nom d'Armand Robin ne vient pas immédiatement à l'esprit.
Mais s'il est totalement absent du Dictionnaire de la poésie
française de Jacques Charpentreau, Armand Robin n'est pas tout
à fait un inconnu. C'est dans les livres consacrés à
Brassens qu'on a pour la première fois entendu parler de lui :
Armand Robin faisait partie, en compagnie du Sétois pas encore
chantant, du groupe anarchiste du XVe arrondissement (André Breton
vint d'ailleurs faire une causerie dans ce cénacle à l'invitation
du premier) et tous deux écrivaient pour Le Libertaire dans
l'immédiat après-guerre. Robin réapparaîtra
même sous le nom de Robin-la-liste-noire comme contempteur de la
"secte des masturbateurs frénétiques" dans La
Tour des miracles, le roman que Brassens fit paraître en 1953.
A cette époque, Robin a déjà publié Ma
vie sans moi, un recueil dans lequel on trouve trace de son parcours
: huitième enfant d'une famille de cultivateurs bretons, étudiant
à Paris, il tire ses maigres revenus de sa connaissance des langues
(une trentaine) grâce à des traductions et à la rédaction
d'un bulletin d'écoute des émissions radiophoniques internationales.
Ma vie sans moi et les fragments posthumes rassemblés dans
Le Monde d'une voix témoignent d'un constant déchirement
entre le retour à ses origines rurales et la quête d'un ailleurs
rimbaldien. A peine, comme il le dit, "surgi des illettrés",
il s'interroge sur les bienfaits supposés de la connaissance, se
demande s'il n'aurait pas dû rester dans la simplicité et
l'ignorance : "Mon père, je vois bien que je me suis trompé/En
voulant devenir un poète, un lettré [...] Je suis allé
plus loin qu'à nous il est permis [...] Où je suis né
j'aurais dû rester". Coincé dans cet entre-deux, le
poète n'a plus d'existence propre et peut s'autoriser le titre
Ma vie sans moi. La poésie d'Armand Robin n'est pas une poésie
de salon, elle est celle d'un homme dont la souffrance n'est pas feinte.
Irrégulière mais semée de beaux alexandrins ("Surgi
du fond du peuple armé du fouet des mots", "Le temps
m'a rajeuni jusque dans mon enfance"), parfois répétitive
dans son ressassement des mêmes thèmes et anathèmes,
elle donne l'image d'un homme dur avec lui-même et pas tendre avec
son lecteur.
Curiosité. La maison d'édition Le Temps qu'il fait
(qui compte deux notuliens dans son écurie) tire son nom d'un recueil
d'Armand Robin et a publié certains de ses textes.
MERCREDI.
Obituaire. "Je me souviens qu'Henri
Salvador a enregistré quelque chose comme les premiers disques
français de Rock and Roll sous le nom de Henry Cording" (Georges
Perec, Je me souviens, Jms n° 135).
TV. Les Lumières du faubourg
(Laitakaupungin valot, Aki Kaurismäki, France/Allemagne/Finlande,
2006 avec Janne Hyytiäinen, Maria Järvenhelmi, Ilkka Koivula,
Maria Heiskanen, Vesa Häkli; diffusé en janvier dernier sur
Canal +).
JEUDI.
Cinéma. La Planète
des singes (Planet of the Apes, Franklin J. Schaffner, E.-U.,
1967 avec Charlton Heston, Roddy McDowall, Kim Hunter; vu dans le cadre
de l'opération "Collège au cinéma").
TV. Caméléone
(Benoît Cohen, France, 1996 avec Chiara Mastroianni, Jackie Berroyer,
Seymour Cassel, Antoine Chappey; diffusé ce mois sur Cinécinéma
Frisson).
VENDREDI.
TV. Coeurs (Alain Resnais,
France, 2006 avec Sabine Azéma, Pierre Arditi, André Dussollier,
Isabelle Carré, Claude Rich; diffusé ce mois sur Canal +).
SAMEDI.
Lecture. Raphaël. Grâce
et Beauté (collectif, Skira/Musée du Luxembourg, 2001;
192 p., s.p.m.).
Catalogue de l'exposition tenue du 10 octobre 2001 au 24 février
2002 au Musée du Luxembourg, Paris, visitée le 22 février
2002.
Le type même du catalogue inutile, ou du moins inutilisable pour
le commun des mortels en dehors des reproductions. On y discourt sur l'identité
des différents modèles (toujours douteuse), on y débat
des problèmes d'attribution (toujours incertaine), on y disserte
sur les datations (toujours problématiques). Le pékin qui
s'aventure dans ce travail fait par des spécialistes pour des spécialistes
s'y perd complètement et regrette qu'on n'ait pas laissé
la moindre place à la simple lecture des tableaux et à leur
interprétation philosophique ou religieuse.
Football. SA Épinal - Belfort
1 - 1.
TV. On aura tout vu (Georges
Lautner, France, 1976 avec Pierre Richard, Miou-Miou, Jean-Pierre Marielle;
diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).
Vie perecquienne. C'est confirmé
: le séminaire Georges Perec aura lieu le samedi 15 mars à
la Sorbonne. Programme disponible pour les notuliens demandeurs.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°342 - 24 février 2008
DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental.
Je me détourne un moment du monument aux morts de Bussang, où
figure comme il se doit un membre de la famille Pottecher, pour mitrailler
la gare dont le fronton et les dessus-de-porte valent le coup d'oeil.
TV.
Désaccord parfait (Antoine de Caunes, France, 2006 avec
Jean Rochefort, Charlotte Rampling, Isabelle Nanty, Ian Richardson; diffusé
en décembre dernier sur Canal +).
LUNDI.
Tout en cartons. Déménagement,
J - 10. Il est temps de s'y mettre. Photos (4 cartons), livres de poche
(4), bandes dessinées, cahiers (1) et Série Noire (10),
sont en boîte. Titre du Monde du jour : "Être propriétaire
de son logement fait-il voter à droite ?" On ne va pas tarder
à le savoir.
Obituaire. "Je me souviens qu'Alain
Robbe-Grillet était ingénieur agronome" (Georges Perec,
Je me souviens, Jms n° 142).
TV. Tant qu'il y aura des femmes
(Didier Kaminka, France, 1987 avec Roland Giraud, Fanny Cottençon,
Marianne Basler, Fiona Gélin, Martin Lamotte; diffusé ce
mois sur Cinécinéma Famiz).
Lecture. Little Scarlet (Walter
Mosley, Little, Brown and Company, 2004, Le Seuil, coll. Policiers, 2005,
rééd. Points Policiers P 1453, 2006; 320 p., 7 €).
On présente volontiers Walter Mosley comme l'héritier de
Chester Himes, un héritier "quelque peu surfait" d'après
le Dictionnaire du roman policier de Jean Tulard. Il faut dire
que son personnage emblématique, Ezechiel Rawlins, un Noir à
qui il arrive de donner un coup de main à la police sur certaines
enquêtes, et plus encore le cadre de ses histoires, le ghetto noir
de Los Angeles dans les années 60, ramènent immanquablement
au créateur d'Ed Cercueil et Fossoyeur. Au-delà des vaines
comparaisons, Mosley, que l'on découvre ici bien qu'il en soit
à son huitième livre, apparaît comme un auteur de
talent à qui il ne manque pas grand-chose pour être l'égal
des plus grands. Peut-être faudrait-il un peu plus de rigueur dans
l'enquête (ici, le meurtre d'une jeune femme au cours des émeutes
raciales qui parcourent la ville en cette année 1965) qui ne prend
de l'intérêt que quand elle s'accélère, dans
la deuxième moitié du roman, peut-être un peu moins
de compassion larmoyante de la part de son personnage. Rawlins est certes
un bon, un assoiffé de justice qui n'hésite pas à
utiliser des fréquentations et des méthodes douteuses pour
faire éclater la vérité mais son côté
Bon Samaritain peut parfois lasser. Cela dit, on ne peut retirer à
l'auteur son talent pour rendre le climat d'une ville déchirée
par la ségrégation et les difficultés éprouvées
par la communauté noire pour simplement survivre en milieu hostile.
MARDI.
J - 9. Au programme du jour, polars
poche (3 cartons), cassettes (1 carton, uniquement les enregistrements
des Cinglés du music-hall), 33-tours (2 cartons). Bref,
peu de chose mais il faut dire que pour chaque objet sélectionné,
il y en a deux ou trois qui sont mis de côté pour la déchetterie.
Avec à chaque fois le même dilemme, garder, ne pas garder
? La tentation de virer tous les disques noirs est bien présente,
vu qu'ils ne tourneront sans doute plus jamais, mais je n'arrive pas à
me défaire de certaines pochettes, comme celles de Chet Baker et
de Miles (je me suis arrêté à la lettre D).
TV. Pars vite et reviens tard (Régis
Wargnier, France, 2007 avec José Garcia, Marie Gillain, Lucas Belvaux,
Olivier Gourmet, Nicolas Cazalé; diffusé ce mois sur Canal
+).
MERCREDI.
J - 8. Fin des 33-tours (4 cartons),
cassettes (1 carton, feuilletons radiophoniques), polars poche (1 carton).
Comment ça, c'est peu ? Ne pas oublier qu'il y a aussi des sacs,
des bissacs, des havresacs, des caisses, des étuis, des valoches
et des sacoches, des malles, des cantines, des bacs, des housses, des
pochons, des réticules, de pleins conteneurs qui ne sont pas comptabilisés.
Un peu d'indulgence tout de même. Cela dit, c'est vrai que ça
n'avance pas. Le fait de conserver l'appartement au-dessus de la pharmacie
(loué avec l'officine) vécu dans un premier temps comme
un avantage (pas la peine de tout vider, on pourra toujours revenir récupérer
ci ou ça) se révèle être la source d'un perpétuel
casse-tête : jeter, laisser ou emporter ?
Courrier. Arrivée du n°
32 d'Histoires littéraires qui autorise la mise en ligne
de mes chroniques parues dans le numéro précédent
("Chronique de l'actualité littéraire" et compte
rendu de Mon libraire, sa vie, son oeuvre de Patrick Cloux) : http://pdidion.free.fr/chroniques/chroniques_2007.htm
JEUDI.
J - 7. Au menu, archives (4 cartons)
et fonds de tiroir (5). Bon rythme. Je garde les livres pour la fin, c'est
le plus facile.
TV. Chaos (Tony Giglio, E.-U., 2005
avec Jason Statham, Wesley Snipes, Ryan Phillippe, Henry Czerny, Nicholas
Lea; diffusé en janvier dernier sur Canal +).
VENDREDI.
Texte de saison. "Déménager
Quitter un appartement. Vider les lieux. Décamper. Faire place
nette. Débarrasser le plancher.
Inventorier ranger classer trier
Éliminer jeter fourguer
Casser
Brûler
Descendre desceller déclouer décoller dévisser décrocher
Débrancher détacher couper tirer démonter plier couper
Rouler
Empaqueter emballer sangler nouer empiler rassembler entasser ficeler
envelopper protéger recouvrir entourer serrer.
Enlever porter soulever
Balayer
Fermer
Partir"
Georges Perec, Espèces d'espaces
TV. Les Mauvais Coups (François
Leterrier, France, 1961 avec Simone Signoret, Reginald Kernan, Alexandra
Stewart; diffusé ce mois sur Cinécinéma Classic).
Lecture. Au temps des vivants
(Gérard Pussey, Fayard, 2007; 294 p., 17 €).
Gérard Pussey ne trompe personne en sous-titrant son livre "roman".
Il n'empêche personne de penser qu'il succombe à son tour
aux facilités du retour sur soi, un de plus à replonger
ses doigts dans l'encrier de la communale et ses regards sous les jupes
des filles, jupes plissées, forcément plissées. Combien
sont-ils chaque année à nous bassiner avec leurs grands-mères
à confitures et leurs pédagogues à férule
? Un sacré tas duquel, pour émerger, il n'y a que trois
pistes possibles : la force d'une écriture ou d'une construction
qui fait sortir le texte du lot commun (ce qu'a réussi récemment
Martine Sonnet avec son Atelier 62), l'originalité d'un
parcours, ou l'effacement de soi au profit de figures plus intéressantes.
C'est cette troisième voie qu'a suivie Gérard Pussey. Parce
qu'il a beau être l'auteur honnête d'une bonne vingtaine de
livres, on ne veillerait pas très tard le soir pour lire ses souvenirs
d'enfance si son père n'avait eu la bonne idée d'épouser
la soeur de René Fallet. Quand on a un tonton écrivain qui
vous emmène gamin visiter Jacques Prévert cité Véron
ou attendre la sortie de Brassens dans sa loge à Bobino, on n'a
pas vraiment une enfance comme les autres et on peut la raconter en suscitant
autre chose que des bâillements. Gérard Pussey se sert de
cet avantage sans en abuser, sans trop jouer sur le mode "j'ai bien
connu le grand homme". Son livre tient aussi par la tristesse du
regard qu'il pose sur ce parcours, par la noirceur de celui qu'il pose
sur l'homme mûr qu'il est devenu. "Il est toujours joli le
temps passé", chantait celui qu'il avoue ne plus pouvoir écouter,
quant à Fallet, "qui lit René aujourd'hui ?" Ce
désenchantement est le meilleur atout d'un livre qui se tient grâce
à lui au-dessus de l'autobiographie commune et qui dévoile
un homme marqué par le sentiment de n'avoir jamais mérité
la chance qu'il avait, d'avoir trop rarement profité des bonheurs
qui passaient à sa portée : "D'où me vient cette
conviction, désormais ancrée en moi, que mes échecs
sont mérités, et mes rares succès, le résultat
d'un mensonge ? Jamais je n'ai pu triompher en paix, savourer tranquillement
une victoire sans qu'un sentiment de culpabilité, de doute et de
honte vînt m'étrangler."
SAMEDI.
J - 5. 15 cartons de bouquins. En
l'espace d'une semaine, Caroline est devenue la déménagère
de moins de cinquante ans.
TV. Les petites vacances (Olivier
Peyon, France, 2006 avec Bernadette Lafont, Adèle Csech, Lucas
Franchi, Claude Brasseur, Claire Nadeau; diffusé ce mois sur Canal
+).
Vie sans notules. Comme toute grande
entreprise moderne, les notules cèdent à l'appel de la délocalisation.
Un nouveau foyer, un nouveau compte Internet, une nouvelle adresse électronique,
les archives dans les limbes, le carnet d'adresses envolé, on sait
ce qui nous attend. Des démarches ont été entreprises,
on a campé chez France Télécom tous les mercredis
ou presque de janvier et de février pour un déménagement
à trois rues de distance ou à peu près. On verra
le résultat. Une chose est sûre, pas de notules dimanche
prochain. Pour la suite, on verra.
Bons dimanches.
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