Notules dominicales 2008
 
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Notules dominicales de culture domestique n°343 - 9 mars 2008

DIMANCHE.
J - 4. Les étagères sont vides, 72 cartons de bouquins attendent les bras solides des déménageurs. Je redoute l'arrivée de ceux-ci qui, c'est connu, ont toujours préféré les collectionneurs de bulles de savon aux amateurs de livres.

TV. La Fille de Hambourg (Yves Allégret, France, 1958 avec Hildegarde Knef, Daniel Gélin, Jean Lefebvre, Daniel Sorano; diffusé en février dernier sur Cinécinéma Classic).

LUNDI.
Vie sanitaire. Jour de visite pour Lucie à l'hôpital de Saint-Avold où, pour la première fois depuis un an, les résultats ont une coloration un peu plus positive. Pour les initiés, hémoglobine glyquée à 8,3, c'est beaucoup mieux que les 8,9 de janvier mais il faut arriver à passer en dessous de 8. C'est encourageant mais ça n'empêche pas Lucie de se liquéfier quand le docteur K. l'interroge sur la façon dont elle reçoit le regard des autres sur sa maladie et son appareillage, laissant un moment entrevoir à mes yeux trop souvent obscurcis la détresse qui peut parfois la saisir et la volonté dont elle fait preuve pour n'en rien laisser paraître au quotidien. Je me laisse traîner dans un hangar à meubles voisin où nous lui achetons le lit de ses rêves pour le nouvel appartement. Je bougonne un peu pour la forme mais j'y ajouterais volontiers mon bras droit si ça pouvait changer quelque chose.

Vie électorale. J'assiste à une réunion de quartier tenue par le maire en place.

TV. Truands (Frédéric Schoendoerffer, France, 2007 avec Benoît Magimel, Philippe Caubère, Béatrice Dalle, Olivier Marchal, Mehdi Nebbou; diffusé ce mois sur Canal +).

MARDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 26 (avril-mai-juin 2006, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 232 p., 20 €).
Hara-Kiri fait partie de l'histoire littéraire. La preuve, Hara-Kiri fait partie de ce numéro d'Histoires littéraires. C'est même son dossier d'ouverture, dû à Stéphane Mazurier qui présente l'historique de cette publication d'avant-garde, née de la rencontre entre François Cavanna et Georges Bernier, futur Professeur Choron. Les débuts (le premier numéro, septembre 1960, est distribué par colportage), la construction d'une équipe (Cabu, Gébé, Topor, Wolinski arrivent avant 1962), la ligne éditoriale (défense et illustration de la bêtise et de la méchanceté), le choix d'un humour décapant opposé à celui qui a cours au Canard EnchaînéHara-Kiri, on professe la haine du calembour) et bien sûr les démêlés avec la censure sont retracés avec précision grâce aux témoignages des acteurs de l'épopée. Quelques illustrations, dont une magnifique scène d'orgie intitulée "Invitez-nous à dîner", viennent rappeler le côté délibérément iconoclaste de l'entreprise. Fernando Stocès se penche ensuite sur les secrets du Livre de Jade, premier recueil de poésie chinoise en français dû à Judith Gautier, la fille du bon Théo. A l'époque, le recueil est présenté comme une suite de poèmes composés "d'après" plusieurs auteurs chinois (1867, première édition) puis "traduits du chinois" (1902 pour la seconde version). Fernando Stocès s'applique à rechercher les origines de chaque pièce, à démêler les éléments purement chinois de l'oeuvre des inventions et ajouts de Judith Gautier. Même si on peut lui reprocher d'avoir mal compris l'esprit de la poésie chinoise ("elle brode et remplit l'espace laissé à l'imagination du lecteur, sans comprendre que c'est dans ce vide que réside la beauté du poème"), ses poèmes sont d'une grande beauté et valent sûrement la peine qu'on se mette en quête d'une éventuelle réédition du recueil.

"Je me suis couché dans ce lit d'auberge; la
lune, sur le parquet, jetait une lueur
blanche.

Et j'ai d'abord cru qu'il avait neigé sur le parquet.

J'ai levé la tête vers la lune claire, et j'ai
songé aux pays que je vais parcourir et aux
étrangers qu'il me faudra voir.

Puis j'ai baissé la tête vers le parquet et
j'ai songé à mon pays et aux amis que je ne verrai plus."

Dans le reste du numéro : Cioran, Villiers de l'Isle-Adam, Yourcenar, une présentation de la Bilipo par Catherine Chauchard, une interview de Fernando Barros, responsable de la librairie Tschann, chroniques habituelles, livres reçus.

Vie électorale. J'assiste à une réunion de quartier tenue par le principal opposant du maire en place.

MERCREDI.
Vie immobilière. Signature de la vente chez le notaire. Le plus dur de la manoeuvre étant encore de dénicher, avant de s'y rendre, une limace présentable dans le capharnaüm qu'est devenu notre lieu de vie.

JEUDI.
Jour J.

Lecture. La Mort sans peine (Step to the Graveyard Easy, Bill Pronzini, Walker & Company, 2002, L'Ecailler du Sud, coll. Spéciales/Polar USA n° 17, 2005 pour la traduction française, traduit de l'américain par Pierre Sérisier; 200 p., 13,50 €).
On ne sait comment Bill Pronzini, après un passage remarqué à la Série Noire et chez Rivages, a atterri dans la bourriche de l'Ecailler mais à coup sûr, c'est une recrue de choix pour cette petite maison d'édition. Le métier du vieux briscard du polar qu'est Pronzini fait une fois de plus merveille dans l'histoire de Matthew Cabe qui, saisi par la crise de la quarantaine, décide de plaquer femme, emploi et logement pour courir les routes en vivant au hasard de rencontres faites le plus souvent autour de tables de poker. Où on ne trouve pas que des enfants de choeur : un couple d'escrocs voit en lui un pigeon facile, sans se douter de sa coriacité. Intrigue nerveuse, style acéré, dialogues ping-pong à la Ed McBain, rebondissements, pirouette finale, c'est de la belle ouvrage.

VENDREDI.
Presse. La Liberté de l'Est publie mon article sur Atelier 62 de Martine Sonnet, lisible ici. Il y a aussi un papier sur le même livre dans Le Monde du jour, mais signé par un parfait inconnu.

Vie salissante. Avis aux futurs déménageurs ou déménagés : ne surtout pas oublier d'ôter les cartouches d'encre de l'imprimante.

Texte de saison (face B). Emménager

nettoyer vérifier essayer changer aménager signer attendre imaginer inventer investir décider ployer plier courber gainer équiper dénuder fendre tourner retourner battre marmonner foncer pétrir axer protéger bâcher gâcher arracher trancher brancher cacher déclencher actionner installer bricoler encoller casser lacer passer tasser entasser repasser polir consolider enfoncer cheviller accrocher ranger scier fixer punaiser marquer noter calculer grimper métrer maîtriser voir arpenter peser de tout son poids enduire poncer peindre frotter gratter connecter grimper trébucher enjamber égarer retrouver farfouiller peigner la girafe brosser mastiquer dégarnir camoufler mastiquer ajuster aller et venir lustrer laisser sécher admirer s’étonner s’énerver s’impatienter surseoir apprécier additionner intercaler sceller clouer visser boulonner coudre s’accroupir se jucher se morfondre centrer accéder laver lessiver évaluer compter sourire soutenir soustraire multiplier croquer le marmot esquisser acheter acquérir recevoir ramener déballer défaire border encadrer sertir observer considérer rêver fixer creuser essuyer les plâtres camper approfondir hausser se procurer s’asseoir s’adosser s’arc-bouter rincer déboucher compléter classer balayer soupirer siffler en travaillant humecter s’enticher arracher afficher coller jurer insister tracer poncer brosser peindre creuser brancher allumer amorcer souder se courber déclouer aiguiser viser musarder diminuer soutenir agiter avant de s’en servir affûter s’extasier fignoler bâcler racler dépoussiérer manoeuvrer pulvériser équilibrer vérifier humecter tamponner vider concasser esquisser expliquer hausser les épaules emmancher diviser marcher de long en large faire tendre minuter juxtaposer rapprocher assortir blanchir laquer reboucher isoler jauger épingler ranger badigeonner accrocher recommencer intercaler étaler laver chercher entrer souffler
s’installer
habiter
vivre

Georges Perec, Espèces d'espaces

SAMEDI.
Vie postale. Si mes comptes sont exacts, l'étiquette que je colle ce matin sur la boîte à lettres correspond à ma dix-huitième adresse. Tentative de reconstitution autobiographique rapide à partir des adresses précédentes.
1. x, rue de l'Epargne, Epinal. Prime enfance. Pas de souvenirs. Je connais la rue mais serais incapable de dire quelle maison j'y ai habité.
2. 6, rue des Villes-Jumelées, Epinal. Enfance. Quartier de la ZUP, tout neuf. Rêve de mixité des origines sociales et géographiques, un rêve qui fonctionne. J'ai des copains dans les maisons de la rue du Clair-Matin mais aussi dans les blocs de la rue du Parc. Fierté, encore aujourd'hui, d'être un gosse de la ZUP, d'avoir fréquenté des établissements scolaires dont le simple nom fait aujourd'hui trembler les enseignants à l'idée d'y être nommé. Depuis, quartier ghetto, actuellement en reconstruction. Mon père passe du Solex à la Mobylette, puis de la Mobylette à l'auto.
3. 17, avenue des Cèdres, Epinal. Adolescence. Une maison plus grande, commandée par l'arrivée de deux frères et d'une soeur, passage de la ZUP à la ZAC. Malgré les initiales nouvelles, c'est la même chose.
4. 5, rue Marcelle-Dorr, Nancy. Internat de l'Ecole Normale. Expérience de la grande ville. J'apprends à détester cordialement ses habitants, ses étudiants prétentieux et son club de foot sans me douter qu'une de mes plus solides amitiés résidera plus tard dans cette ville.
5. 22, The Grove, Aberdare, Pays de Galles. Exil. J'apprends le rugby, j'achète des livres français à l'Université de Cardiff.
6. 1D, Wellington Street, Robertstown, Pays de Galles. Première expérience de vie de couple, harmonieuse.
7. Dyllas Cottage, Llwydcoed, Pays de Galles. Je réside chez les parents de ma bien aimée, cours les collines avec le fiston, lui porteur de fusil, moi non. J'apprends l'ornithologie, encore aujourd'hui je ne connais la plupart des oiseaux que sous leur nom anglais. Je découvre l'Oulipo.
8. x, rue du Chanoine-Jacob, Nancy. Poursuite de la vie de couple, orageuse.
9. Café d'Argonne, Bar-le-Duc. Chambre meublée et triste, je ne m'y attarde guère.
10. 32, boulevard des Flandres, Bar-le-Duc. Appartement HLM obtenu grâce à mon statut tout neuf de fonctionnaire d'Etat. J'occupe mon premier poste dans un collège de la ville.
11. x, avenue des Vosges, Strasbourg. Ecole Militaire où j'enseigne à des engagés plus vieux que moi dans le cadre de mon service actif. Mon copain de régiment s'appelle Francis Henné, nous lisons des Léo Malet et des Série Noire à la chaîne. Didion et Henné, c'est du solide, on se voit toujours.
12. 6, rue Cour-Billot, Epinal. Retour au bercail. Bel appartement mais sans chauffage. Depuis, je ne supporte pas le froid. Mais c'est un sérieux coup de chaud, un incendie, qui m'en chassera.
13. Hôpitaux. Je découvre France Culture qui m'apprend tout ce qui m'intéressera dans les années à venir : André Frédérique, Jean-Pierre Brisset, Georges Perec, tout.
14. 10, rue du Lac, Sanchey. Vie avec F, beaucoup d'alcool. La petite maison au bord du lac deviendra célèbre quand F décidera de s'accrocher à une poutre à l'intérieur. Je ne l'ai jamais revue, quand je passe devant, je détourne les yeux.
15. 48, faubourg d'Ambrail, Epinal. Vie en solo, je crois être fait pour ça. Années fastes pour la musique avec le groupe Garlamb'Hic, les concerts s'enchaînent mais l'alcool m'a pogné. Je garde assez de lucidité pour préserver ma vie professionnelle de mes turpitudes.
16. 10, quai Colonel-Renard, Epinal. Je m'installe chez Caroline qui m'aidera à me défaire de mes démons. Naissance de Lucie.
17. 9, rue du Char-d'Argent, Epinal. Achat de la pharmacie, mariage, naissance d'Alice, je lâche la six cordes et le goulot pour devenir notulographe.
18. 16, avenue du Général de Gaulle, Epinal. En 1996, je fais mes gammes avec un exercice d'imitation perecquienne intitulé Tentative d'inventaire d'un lieu spinalien. Je passe une matinée par mois à une table du café de l'Arrivée, face à la gare, où je note tout ce que je peux capter : véhicules, personnes, bruits, odeurs, animaux, objets, mouvements. Au mois de septembre, j'écris : "Un homme à sa fenêtre, au-dessus de Micro Edite". Le magasin Micro Edite a aujourd'hui disparu mais c'est de cette même fenêtre que je peux voir aujourd'hui le café de l'Arrivée, promis à une fermeture prochaine, et ce qui l'entoure. J'ai pris la place de l'homme saisi alors dans cette posture. Nous voici désormais installés dans ce nouveau quartier. A Saint-Laurent, c'était la route, les camions, impossible de traverser sans mettre sa vie en jeu. Ici, c'est la rue, la place même, la gare, les bus, les autos, les feux rouges. Ça piétonne dès six heures du matin, ça ronronne et ça klaxonne toute la sainte journée et ça me rend heureux. Ça ressemble, toutes proportions gardées, à ce que je vois depuis ma piaule de l'hôtel Amiot, face à la gare de l'Est.

Je n'habiterai jamais à Paris, c'était un vieux rêve, mais j'en réalise un autre en habitant un ancien hôtel. Ici, c'était l'hôtel des Vosges, ça ne se voit plus guère, mais il en reste quelques vestiges quand on arpente le sous-sol.

Football. SA Epinal - FC Metz B 0 - 3. L'arbitre distribue 7 cartons. Pas de quoi m'impressionner, il nous en reste 150 à défaire.

DIMANCHE.
Vie informatique. Pas de connexion. Les notuliens font carême.

Aménagement du territoire. Quand je vois les dégâts que je parviens à occasionner avec un simple marteau et un clou, je me dis qu'il est plus sage de laisser tranquille la perceuse que l'on m'a prêtée.

LUNDI.
Nouveauté. J'expérimente en ce matin de rentrée une nouvelle pratique, qui est en fait une des raisons de notre migration dans ce nouveau quartier : j'ajoute un riflard à mes impedimenta, laisse l'auto au garage et pars au boulot en train. Je biche tellement que j'ai l'impression de partir en vacances. Sous la grêle.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MARDI.
Lecture. Le Paris de Nestor Burma. L'Occupation et les "Trente glorieuses" de Léo Malet (Laurent Bourdelas, L'Harmattan, coll. Sang maudit; 194 p., 18 €).
Chronique à rédiger pour Histoires littéraires.

MERCREDI.
Vie informatique. Il devrait y avoir des notules dimanche. Le technicien est à l'oeuvre pour les branchements téléphone, télévision et Internet. Tout se passe bien, trop bien même pour le notulographe friand de catastrophes domestiques en miniature. Ce qui est encore plus surprenant, c'est le langage de l'homme, une novlangue assez effrayante constituée uniquement de phrases types, formatées, du genre de celles qu'on entend dans les enquêtes téléphoniques. Là où tout un chacun dirait "Bon, eh ben on va voir si ça marche", lui déclare "tester les paramètres avant de procéder à la finalisation de l'opération". Je suis sûr que si une envie pressante le saisissait, il serait incapable de demander où sont les toilettes si la phrase n'a pas été prévue dans son manuel. Parallèlement, l'aménagement intérieur se poursuit, un plaisir comparé à la corvée de la mise en cartons des semaines passées. Je suis devenu un client assidu du magasin de bricolage voisin (Monsieur Bricolage, aptonyme au petit pied) où j'achète, imperturbable, des ampoules qui claquent, des vis trop grandes, des tringles trop longues et des rideaux qui pendent. La caissière me salue désormais avec déférence.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°344 - 23 mars 2008

DIMANCHE.
Lecture. Motus et bouche cousue (Put A Lid On It, Donald Westlake, 2002, Payot & Rivages, coll. Rivages/Thriller, 2005 pour la traduction française, traduit de l'américain par Doug Headline; 240 p., 18 €).
"Meehan avait remarqué au fil des ans que les escrocs dans les romans et au cinéma échafaudaient toujours toutes sortes de choses, avec des plans de secours, des cartes, des horaires, des graphiques, parfois même des maquettes à l'échelle de différents trucs. Il avait aussi remarqué au fil des ans que ni lui-même ni les gars qu'il connaissait ne faisaient jamais ce genre de chose, et n'auraient pas eu la moindre idée de comment s'y prendre pour faire ces trucs. On se forgeait une idée générale de ce qu'on voulait et de comment on s'imaginait procéder pour mener l'affaire à bien, et puis une fois sur les lieux, on improvisait, en se basant sur la situation concrète, qui n'était jamais exactement, précisément, ce qu'on avait cru qu'elle serait. [...] Meehan et ses camarades n'étaient pas des planificateurs, se faisaient simplement une idée générale, s'envoyaient un petit bourbon juste avant le coup histoire de se calmer les nerfs, et inventaient ce qu'il fallait une fois que le boulot était en cours." Si on relit les lignes qui précèdent en remplaçant le mot escrocs par romanciers, les mots affaire et coup par polar, on a peut-être bien ici l'exposé par Westlake de sa méthode de travail. Elle n'est peut-être pas applicable pour tout le monde mais elle est diablement efficace comme il le prouve ici pour la énième fois. Meehan est une sorte de clone de Dortmunder, héros fétiche de Westlake, en moins ahuri quand même, un cambrioleur invétéré que des politiciens viennent tirer d'une prison fédérale pour utiliser ses compétences : il s'agit de récupérer un document compromettant pour la réélection du Président des États-Unis, rien de moins. Fantaisie et ironie, les atouts maîtres de Westlake, sont ici au rendez-vous et d'autant plus efficaces que la cible contre laquelle elles s'exercent, le monde politique, est une proie facile à atteindre.

Vie électorale. Retour à Saint-Laurent pour les opérations électorales. Une semaine d'exil n'a pas suffi à nous faire oublier le quartier et ses atouts :


son totem


son fronton d'école,
unique en son genre


le goût de ses habitants pour la décoration...



pour la politique...


et pour l'orthographe.

LUNDI.
Vie sanitaire. C'est à croire que privés de l'égide de la croix verte, nous sommes désormais une proie facile pour les microbes. La semaine dernière, c'est Lucie qui ramassait la grippe, la vraie, aujourd'hui c'est moi qui passe une journée atroce au boulot, fébrile, égrotant, enchifrené comme pas un. Je me couche tôt, comme le commandant, et enfile neuf heures de sommeil, ce qui ne m'était pas arrivé depuis ma première communion.

MARDI.
Courrier. Arrivée d'un double CD d'Irving Berlin.

MERCREDI.
Aménagement du territoire. On commence à fixer aux murs les étagères qui, avec le temps et le poids des bouquins qu'elles ont dû supporter, sont devenues bien vacillantes. La Série Noire est déjà en place dans la chambre du crime.

JEUDI.
Aménagement du territoire. Mise en fonction des appareils à musique. La platine à vinyles est en marche, il est hors de question que les 33-tours restent à la cave.

VENDREDI.
Vie ferroviaire. En prenant le train de 18 heures pour Paris, je m'aperçois de la vitesse avec laquelle, en à peine deux semaines, je suis passé entièrement sous la coupe de la SNCF et j'en suis arrivé à ne plus penser qu'en termes ferroviaires. C'est qu'en quinze jours, j'ai déjà beaucoup appris. Je sais déjà que le 7 heures 31 a une fâcheuse tendance à ne partir qu'aux alentours de 7 heures 35 le vendredi, je sais que le 11 heures 04 du mardi est tellement tranquille et confortable qu'il m'est interdit de m'y endormir sous peine de ne me réveiller qu'à Nancy, je sais, dans l'autre sens, que j'aurai du mal à prendre le 12 heures 50 du vendredi en finissant à 12 heures 25 (il y a quand même deux bons kilomètres du collège à la gare) mais j'essaie tout de même à chaque fois en allongeant le pas, il me passe toujours sous le nez mais bon le 13 heures 12 n'est pas trop loin, je sais que le samedi il me faut absolument trouver un collègue charitable si je veux choper le 12 heures 03 parce qu'après, le 12 heures 50 ça fait trop d'attente mais pour les autres jours, je peux atteindre la gare sans problème pour le 17 heures 48 même en marchant sur les mains. Et je sais que le jeudi, je prends l'auto parce que je récupère les filles à l'école. J'ai aussi appris à voyager léger, j'ai réduit la voilure en ne gardant dans mon cartable que le viatique de base, un bouquin, un journal et mon casse-croûte. C'est d'ailleurs cette remarquable faculté d'adaptation qui me vaut ce soir d'oublier sans aucune difficulté ma valoche dans le dur à l'arrivée en gare de l'Est.

Lecture. Narcisse Ancelle, persécuteur ou protecteur de Baudelaire (Catherine Delons, Du Lérot éditeur, 2002; 232 p., 38 €).
Dès 1844, la chose est entendue : le jeune Charles Baudelaire ne sera jamais capable de garder un liard en bourse et encore moins de gérer les biens de son patrimoine familial. L'épisode maritime sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud a connu le succès que l'on sait. Sa mère, Madame Aupick, garde encore un mince espoir de le voir mener une vie moins agitée que celle qu'il semble avoir choisie, mais pour ce qui est de la finance, la guirlande de créanciers que Charles trimballe à ses basques comme autant de casseroles commande d'agir vite. Madame Aupick fait appel au notaire de la famille, Narcisse Ancelle, et obtient par un jugement du tribunal que ce dernier devienne le conseil judiciaire de son fils. Le 21 septembre 1844, Baudelaire redevient mineur, placé sous l'inflexible tutelle d'un homme armé "d'une patiente lucidité jointe à une pratique notariale déjà longue" susceptibles de mener à bien "la tâche que devaient lui confier le tribunal de la Seine ainsi que la famille d'un jeune homme prodigue et, accessoirement poète." Si cette décision ne modifiera pas vraiment les habitudes dépensières de Baudelaire, le reste de sa vie sera tout de même marqué par ce carcan. Il trouve l'allocation annuelle qu'on lui accorde notoirement insuffisante ("Supposez, écrit-il à Madame Aupick, une oisiveté perpétuelle commandée par un malaise perpétuel, avec une haine profonde de cette oisiveté, et l'impossibilité absolue de s'en sortir, à cause du manque perpétuel d'argent") et sa correspondance va désormais s'enrichir d'une multitude de demandes de rallonge envoyées à sa mère et à Ancelle. Il déteste cordialement ce dernier, qualifié de "parfait fléau", "un homme insupportable, le type du jocrisse, du lambin, de l'hurluberlu, et de l'homme de désordre", en un mot, "l'horrible plaie de [sa] vie". Plus encore, il déteste l'entente qu'il devine, à juste titre, entre sa mère et Ancelle, qui s'ingénient à assortir sa tutelle financière d'une tutelle morale. Ces deux-là ne comprendront de toute façon jamais que "la littérature doit passer avant tout, avant mon estomac, avant mon plaisir, avant ma mère". Ancelle encaisse les coups, ne se laisse pas démonter. Son éducation, son milieu, sa carrière ont fait de lui un homme qui fait passer son devoir avant toute chose. On lui a confié une mission, il la mènera jusqu'à son terme qui sera, il le devine assez tôt, la mort du poète. Mais Ancelle n'est pas inflexible, il se laisse parfois attendrir, accorde des avances, discute, argumente, il va même jusqu'à jouer, assez maladroitement, les agents littéraires pour Charles qui ne lui en demande pas tant ("Ancelle se connaît en littérature comme les éléphants à danser le boléro"). Baudelaire, peu à peu, va nourrir des sentiments moins abrupts envers son tuteur, la haine du départ ne reviendra que par à-coups, une entente se crée, des liens amicaux finissent par se tisser. Ancelle, au bout du compte, aura fait tout ce qui était en son pouvoir pour venir en aide à Baudelaire dans les limites de sa charge et de sa mission mais aussi en déployant des qualités humaines qui ne lui étaient pas demandées. En fait, son travail ne s'arrêtera pas à la mort de Baudelaire, il sera chargé de régler sa succession, puis celle de sa mère, il s'occupera même de l'entretien de la tombe familiale au cimetière du Montparnasse. La fidélité du notaire traversera les générations: ce sont aujourd'hui les héritiers d'Ancelle qui entretiennent cette même tombe.

Catherine Delons réalise ici un beau travail d'histoire littéraire en mettant en valeur un personnage un peu oublié mais dont le rôle fut essentiel dans la vie de Baudelaire. C'est, on peut le croire, absolument exhaustif, et parfois un peu austère : il est vrai que la vie d'un notaire du XIXe siècle, fût-il maire de Neuilly, retracée ici dans ses moindres détails, n'est pas toujours très exaltante. Heureusement, celle de Narcisse Ancelle s'effectua en grande partie en compagnie d'un homme peu commun dont la connaissance se trouve ici enrichie de façon notoire.

SAMEDI.
Vie parisienne. Ce qu'il y a de bien avec Perec, c'est que, outre l'occasion qu'il me donne de rencontrer et d'entretenir commerce avec des gens nettement au-dessus de ma condition intellectuelle, il me permet de mettre les pieds dans des lieux prestigieux, du moins à mes yeux, où je n'aurais jamais rêvé de poser ne serait-ce qu'un nougat. C'est grâce à Perec que j'ai hanté les couloirs de Jussieu et de l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm, que j'ai fréquenté un certain appartement de la rue Linné, et que je me retrouve aujourd'hui à la Sorbonne pour suivre le séminaire devenu annuel. Bien sûr, il y a l'étiquette et il y a la réalité. En fouinant, je réussis à entrevoir quelques amphis à l'ancienne richement décorés mais les couloirs de la Sorbonne sont aussi lépreux que ceux du Palais de Justice que j'ai eu aussi l'occasion d'arpenter et la salle où se trouve réunie la cohorte perecquienne ressemble à une salle de Nancy 2. Et c'est dans cette salle que ça se gâte pour moi. Pour la première fois depuis un bon mois, je me retrouve sans cartons à faire ou à défaire, sans cours à délivrer, sans train à prendre, sans aménagement ou déménagement à effectuer, en un mot, inactif. Le manque de pratique conduit à l'inévitable : j'ai beau lutter, je roupille comme un bienheureux toute la matinée en essayant de garder au maximum les yeux ouverts pour ne pas paraître inconvenant mais c'est dur. Pendant la pause méridienne, je décide de combattre cet état stuporeux par le sport, je casse-croûte sur un banc en regardant les joggeurs au Luxembourg et l'après-midi me trouve un peu plus vaillant, apte en tout cas à échanger quelques mots au sujet d'Emmanuel Brouillard avec Marcel Bénabou, à faire bonne figure devant la délégation notulienne plutôt fournie et à suivre des communications annonçant quelques travaux d'importance, la création d'un dictionnaire Perec (présenté par Véronique Montémont) et la confection d'un numéro des Cahiers Georges Perec consacré à la réception de Perec chez les plasticiens contemporains sous la houlette de Jean-Luc Joly. Je renonce à me rendre ensuite rue Linné, je serais bien capable de m'endormir debout.

DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Un petit tour au Louvre en matinée, histoire de reprendre le cours de ma Mémoire louvrière, laissée en plan depuis bientôt un an. Je me consacre à la salle 28, aile Richelieu, 2e étage (l'exposition Jan Fabre, en cours d'installation, promet des surprises) et m'offre un petit parcours dans l'expo consacrée à Babylone avant de reprendre le train. Paris Est 12 heures 12, Épinal 14 heures 27, à 14 heures 28 je suis en chaussons, le nez dans mes cartons, là je dis vive le TGV.

Lecture. Loin des humains (Pascal Dessaint, Payot & Rivages, 2005, rééd. Payot & Rivages, coll. Rivages/Noir n° 639, 2007; 288 p., 8 €).
Pascal Dessaint a pris depuis quelques années une place intéressante dans le polar français, se signalant par une belle noirceur (Bouche d'ombre) et l'ancrage géographique de ses intrigues dans la région toulousaine. On retrouve ici Toulouse peu après l'explosion de l'usine AZF en septembre 2001, une catastrophe qui a marqué les corps et les esprits des habitants. Dans ce climat particulier, Dessaint met en place une enquête destinée à faire la lumière sur un meurtre au sécateur commis dans un jardin. Un whodunit assez classique qui trouvera sa résolution dans l'exploration du parcours de la victime. Secrets de famille, poids du terroir, personnages marqués par leurs choix passés, il y a dans tout cela matière à un téléfilm qualité française plutôt qu'à un bon film noir ce qui est, à vrai dire, un peu décevant.
Bourde. "Sa mère lui lance un regard inquiet. Que Rémi pense une seconde à elle, car toute la journée ensuite, si jamais il avait une parole de travers, elle aurait son homme sur le dos, aussi sûrement que la lave coule d'un volcan en irruption."
Extrait :
« Tu as un nom ?
- On m’appelle Perec.
- Comme l’écrivain ?
- Non, l’athlète. »

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MERCREDI.
Aménagement du territoire. Toutes les étagères sont désormais fixées aux murs et prêtes à recevoir bouquins et babioles. C'est un peu plus mouvementé quand il s'agit de se lancer dans l'électricité. Des choses bénignes, une applique à poser, un luminaire à accrocher. N'empêche. A la fin de la journée, le rayon fusibles de Monsieur Bricolage est quasiment razzié.

JEUDI.
Lecture. Ap. J.-C. (Vassilis Alexakis, Stock, 2007; 396 p., 20,99  ).
C'est ma première incursion dans les romans de la rentrée 2007, autant dire que je ne suis pas en avance. Mais Alexakis, je ne pouvais pas le rater, même avec un temps de retard. J'ai à peu près tout lu de lui, échangé même une correspondance amicale et respectueuse avec l'homme mais ce n'est qu'à l'issue de ce dernier livre que j'ai compris pourquoi je l'appréciais tant. J'ai trouvé trois raisons à ce goût. La première, c'est que je connais sa voix, une voix unique, teintée d'accent, longtemps entendue chez les Papous de France Culture. Quand je le lis, j'entends cette voix, c'est à moi qu'il raconte ses histoires. La deuxième, c'est que Vassilis Alexakis est grec et que ses années de présence en France n'ont rien changé à cela : il est pour moi l'héritier d'une civilisation antique, il converse avec les dieux, il tutoie Homère et je fais de même par son truchement. La troisième raison ne tient pas à sa personne mais au contenu de ses livres. On y trouve à chaque fois un narrateur embarqué dans un chantier littéraire : la quête d'une lettre (l'epsilon de La Langue maternelle), l'apprentissage d'une langue (Les Mots étrangers), ici l'étude d'une communauté, celle des moines du Mont Athos. Il achète un cahier, taille ses crayons et note le déroulement de son enquête, un déroulement souvent plus intéressant que son aboutissement. Une telle démarche ne peut que plaire à un entrepreneur de chantiers de mon acabit, secrètement admiratif du fait que les héros des livres d'Alexakis parviennent, eux, à les mener à bien.

SAMEDI.
TV. Fréquence meurtre (Elisabeth Rappeneau, France, 1988 avec Catherine Deneuve, André Dussollier, Martin Lamotte; diffusé en février dernier sur Cinécinéma Frisson).
Un bel appartement, vraiment. Depuis hier, il y a même la télévision.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°345 - 30 mars 2008

DIMANCHE.
Cinéma. Bienvenue chez les Ch'tis (Dany Boon, France, 2008 avec Kad Merad, Dany Boon, Zoé Félix).
"Recension critique hebdomadaire des livres lus et films vus pendant la semaine", c'est la phrase qui figure sur la page d'accueil du site des notules, une phrase mensongère, qui ne correspond plus à la réalité depuis un moment. En effet, et on m'en fait parfois le reproche, les critiques du film ont disparu des notules en janvier 2007. Je m'en étais expliqué à l'époque : "Ça y est j'arrête, j'abandonne, je jette l'éponge. C'est en septembre 1999 que j'avais entrepris d'écrire systématiquement sur les films que je voyais, à la télévision comme au cinéma. L'exercice est en passe de devenir un pensum, je m'en rends compte depuis quelques semaines, et ne m'intéresse plus. Il s'agissait au début de voir si j'étais capable d'écrire sur des images, de donner un éclairage un peu différent des critiques habituelles mais ça tourne au ronron et je préfère y mettre fin avant qu'on s'en plaigne. Les films vus seront toujours consignés dans les notules mais sans commentaires, sauf éventuelles exceptions." Ce que je ne disais pas à ce moment-là, c'est que si j'estimais que mes connaissances historiques étaient à peu près suffisantes, je manquais par trop de savoir technique, de grammaire cinématographique pour que mes critiques aient quelque valeur. De plus, je ne pouvais plus voir un film sans penser à ce que je pourrais bien écrire dessus, ce qui m'a paru assez usant à la longue. Désormais, je fais mes critiques in petto, et elles tiennent en deux phrases. La première concerne les films qui cherchent à faire rire, comme celui-ci, un film gentil qui m'a rappelé la mutation du gendarme Cruchot à Saint-Tropez : "C'est bien, mais ça ne vaut pas La Grande Vadrouille". La seconde, destinée aux films qui ne cherchent pas à faire rire : "C'est bien, mais ça ne vaut pas Autant en emporte le vent". On comprendra qu'il vaut mieux que je me taise.

TV. Babel (Alejandro Gonzalez Inarritu, Mexique/E.-U., 2006 avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal, Adriano Barraza, Rinko Kikuchi; diffusé en janvier dernier sur Canal +).

LUNDI.
Lecture. Les Ombres mortes (Christian Roux, Payot & Rivages, 2005, coll. Rivages/Noir n° 575; 256 p., 7,50 €).
Geoffrey Martin apprend coup sur coup le suicide de sa fiancée et celui de son meilleur ami. Le policier chargé de l'enquête convainc Geoffrey que ce double drame est lié à son passé. Problème : depuis un accident de voiture survenu huit ans auparavant, Geoffrey Martin est amnésique.
Christian Roux propose une intrigue intéressante à partir d'un thème éculé, celui de l'amnésie, qu'il parvient à renouveler. L'enquête personnelle de Geoffrey Martin va mettre au jour son passé d'activiste gauchiste et réveiller quelques réseaux dormants comme dans les livres d'Hervé Jaouen (qu'est-il devenu ?) et le Larchmütz 5632 de Jean-Bernard Pouy. On a plaisir à découvrir ici un auteur de polar doté d'une conscience politique à l'ancienne, selon laquelle la bonne vieille lutte des classes reste tout de même le moteur de la société. Ça pourrait être rance et poussiéreux, c'est plutôt rafraîchissant.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Croix de fer (Cross of Iron, Sam Peckinpah, Allemagne/G.-B., 1977 avec James Coburn, Maximilian Schell, James Mason; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).

MARDI.
TV. Chacun pour toi (Jean-Michel Ribes, France, 1994 avec Jean Yanne, Albert Dupontel, Roland Blanche, Michèle Laroque; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).

MERCREDI.
TV. Balance maman hors du train (Throw Momma from the Train, Danny DeVito, E.-U., 1987 avec Danny DeVito, Billy Crystal, Kim Greist, Anne Rasey; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).
Surtout pas de football ce soir, on a appris hier la mort du commentateur qui devait officier ce soir. Comme il s'agit de TF1, on devine la légèreté de l'hommage qu'on aurait été obligé de comparer à celui rendu l'autre dimanche dans les Papous à Emmanuel Brouillard.

VENDREDI.
Vie ferroviaire. J'ai toujours été curieux de ce que lisaient les autres. Dans les bibliothèques, dans les trains, dans les librairies, je scrute, je louche, je guigne, parfois au prix de contorsions qui ne sont plus de mon âge, dans l'espoir d'apercevoir le titre du bouquin que le quidam est en train d'emprunter, de ligoter ou d'acheter. J'aime bien ranger des bouquins, je viens de passer quinze jours à mettre les miens en place, mais j'aime aussi ranger les lecteurs, voir si leur dégaine, leur accoutrement, leur physionomie correspondent à ce qu'ils sont en train ou sur le point de lire. Dans les années 1990, je suivais une petite émission littéraire délicieuse, Qu'est-ce qu'elle dit Zazie ? Ma séquence préférée était celle où un interviewer abordait des gens, dans un jardin public, et leur demandait ce qu'ils étaient en train de lire. Dans Charlie Hebdo, il y a une rubrique, "Paris-Pontoise", constituée de brèves de chemin de fer, des bouts de conversation chopés au hasard du trajet par un journaliste. J'avais l'idée de faire pour les notules une rubrique semblable, "Epinal - Châtel-Nomexy (et retour)", avec les titres des livres lus par les voyageurs. Ce n'est pas facile. Déjà, c'est une petite ligne, on n'a pas trop le temps de s'y plonger dans un bouquin. Ensuite, elle est principalement fréquentée par des lycéens qui discutent, écoutent de la musique, bricolent leur téléphone de poche ou s'emmerdent à cent sous de l'heure mais qui lisent peu, le fait que j'en aie eu beaucoup comme élèves les années précédentes ne change rien à l'affaire. Ce matin, j'ai quand même failli pouvoir ouvrir et nourrir cette rubrique mais la moisson est maigre. De l'autre côté de l'allée centrale, un jeune lisait un livre de Camus, je n'ai pas vu le titre, un gros Folio, bien plus gros que La Peste, je me demande encore ce que c'est. Derrière moi, un type plongé dans un livre illustré de photographies, apparemment des planètes, j'ai fait tomber mon crayon trois fois pour essayer d'apercevoir le titre par en dessous, bernique. Enfin une dame, près de la porte, au moment où je sortais, j'ai vu le titre en haut de page, assez long avec le mot "maladies" dedans, c'est tout. Mais je persévérerai.

TV. Dressé pour tuer (White Dog, Samuel Fuller, E.-U., 1982 avec Kristy McNichol, Burl Ives, Paul Winfield; diffusé cette semaine sur RTL 9).

Lecture. Proust vous écrira (Marie-Odile Beauvais, Melville, 2004; 208 p., 20 €).
On n'a pas fini de chroniquer un livre sur Proust qu'un autre vous arrive entre les mains, ça n'arrête pas, ça tombe comme les madeleines en bout de chaîne à Commercy. C'est normal, Proust, on a chacun le sien, chaque lecteur a droit à une interprétation et à un enchantement personnels. Le Proust de Marie-Odile Beauvais, c'est celui de la correspondance : "Pour ceux qui ont découvert dans la Recherche le plus grand de tous les conservatoires d'impressions, avec son splendide catalogue raisonné où ne manque pas une pièce maîtresse, qu'ils sachent que la Correspondance en est la réserve, l'atelier, la cave, le grenier, les cuisines, les cagibis, les couloirs. Et toutes les places perdues." Marie-Odile Beauvais nous prend par la main pour nous faire visiter la maison à l'aide de nombreux extraits présentant l'épistolier dans les différentes positions qui l'amènent à écrire : Proust le fils (lettres à Maman), Proust le quémandeur, Proust l'entremetteur, Proust le flagorneur, Proust le querelleur, Proust l'auteur (lettres à Gaston Gallimard), etc. Elle ajoute à ces citations des considérations personnelles qui expliquent son goût pour ces lettres et l'homme qui les écrivit, des passages autobiographiques, un pastiche et une envolée contre Mauriac (auteur d'un portrait écoeurant : "Ce dernier mois, étrange souper à dix heures du soir au chevet de Proust : draps douteux, odeur de ce meublé, tête de Juif, avec sa barbe de dix jours, revenu à la saleté ancestrale") qui a de quoi soulever la toiture de Malagar. C'est un livre engagé, engageant, qui donne vraiment envie de se plonger dans les lettres de Proust, d'aller voir plus loin que les extraits proposés. C'est là que ça se complique : la correspondance rassemblée tout au long de sa vie par Philip Kolb, c'est vingt et un volumes, cinq à six mille lettres (qui ne représenteraient qu'un vingtième de l'ensemble écrit par Proust !), un poids trop lourd pour un homme fait. Heureusement, Katherine Kolb, la fille de son père, en a réuni 627 dans un volume édité chez Plon en 2004. 1350 pages. Index compris, tout de même.

SAMEDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Ça y est, je peux ouvrir la nouvelle rubrique. Ce matin, j'ai repéré De quoi Sarkozy est-il le nom d'Alain Badiou, j'ai pu m'approcher facilement, la dame s'était endormie dessus, et un gros pavé, La Trilogie martienne de Kim Stanley Robinson.

Football. SA Epinal - FC Sochaux-Montbéliard B : 0 - 2.

L'Invent'Hair perd ses poils. Encore une nouvelle rubrique. Désormais, le lecteur parvenu au bout des notules sera récompensé de son courage et de sa ténacité par un cliché tiré de l'Invent'Hair. Il m'a en effet semblé qu'il était temps de faire profiter les notuliens des richesses de cette collection qui doit d'ailleurs beaucoup à certains d'entre eux. Ceux qui souhaiteraient en voir plus d'un coup peuvent consulter le site devantures qualifié par son auteur de "cousin de l'Invent'Hair".


Châtel-sur-Moselle (Vosges), photo de l'auteur, 15 mars 2004.

Bon dimanche.