Notules dominicales
de culture domestique n°314 - 5 août 2007 DIMANCHE.
Vie familiale. Nous croûtons chez mes
parents. Mon père nous raconte la visite de Nicolas Sarkozy pour laquelle,
en tant qu'élu, il était convoqué et de sa seule crainte
: que le président l'embarque pour un footing sur les bords de la Moselle.
Courriel. Une demande de désabonnement
aux notules. Moi qui étais si fier d'annoncer ce matin que le cap des 200
notuliens était franchi. TV.
Les Voleurs (André Téchiné, France, 1996 avec Catherine
Deneuve, Daniel Auteuil, Laurence Côte, Benoît Magimel, Didier Bezace;
diffusé en juillet dernier sur Cinécinéma Frisson).
MARDI. Courriel. J'apprends que Delfeil
de Ton, du Nouvel Observateur, trouve mes chroniques d'Histoires littéraires
"jubilatoires". J'apprécie aussi les siennes, mais lui, il s'en
moque. TV. Quatre étoiles
(Christian Vincent, France, 2006 avec Isabelle Carré, José Garcia,
François Cluzet; diffusé en juin dernier sur Canal +).
MERCREDI. Prévision. J'emmène
les filles faire le plein à la bibliothèque municipale. Je ne suis
pas d'un optimisme climatique débordant pour ces vacances et tout ce que
j'entrepose concerne des choses aptes à contrer la pluie. D'autant que
Nicolas Sarkozy n'a pas prévu de visite à Guéret.
TV. Femmes marquées (Marked
Woman, Lloyd Bacon, E.-U., 1937 avec Bette Davis, Humphrey Bogart; diffusé
en juillet dernier sur TCM). JEUDI. Vie
hospitalière. Je m'acquitte, avant de partir, de ma visite hebdomadaire
au chevet de R. Pas d'embellie sur le front de l'embolie. Son père, qui
traîne chaque jour jusqu'à la clinique ses quatre-vingts balais passés,
semblait ce soir plus jeune que lui. Je lui offre Le Dictionnaire des Papous
dans la tête en espérant qu'il aura trouvé, à mon
retour, la force de le soulever. TV.
Du jour au lendemain (Philippe Le Guay, France, 2006 avec Benoît
Poelvoorde, Anne Consigny, Rufus, Constance Dollé, Bernard Bloch, Anne
Le Ny, Robert Castel; diffusé en juillet dernier sur Canal +).
VENDREDI. Courriel. Une demande
d'abonnement aux notules. TV. Barton
Fink (Joel Coen, E.-U., 1991 avec John Turturro, John Goodman, Judy Davis,
Michael Lerner, John Mahoney; diffusé en décembre 2003 sur Cinécinéma
Auteur). SAMEDI. Transhumance.
Nous prenons la route des vacances au petit matin, peu rassurés sur la
solidité et la longévité du harnachement qui maintient en
équilibre l'excroissance vélocipédique ornant l'arrière
de notre carrosse. Tout se passe pour le mieux cependant et nous arrivons à
l'heure prévue à destination, Saint-Frion, département de
la Creuse. Nous frappons d'abord à la mauvaise porte et tombons sur une
propriétaire qui attendait d'autres estivants à plumer, une harpie
du genre à demander la caution avant de dire bonjour, une méchanceté
dont je me promets de faire la promotion, le moment venu, auprès des autorités
touristiques dont elle dépend. Le vrai proprio, le nôtre, est heureusement
d'une autre farine, nous accueille civilement et nous conduit au gîte :
un chalet en gros rondins, un étang devant, un étang derrière,
des prés partout ailleurs. Je regrette d'emblée tout ce que j'ai
pu raconter sur la nécessité de ne jamais retourner dans un endroit
chéri : un tel lieu m'enlève à tout jamais l'envie de passer
des vacances ailleurs, même si, dans une armoire, la découverte d'un
puzzle de mille pièces laisse deviner quelle est la température
habituelle qui règne sous ces latitudes. J'expédie les affaires
courantes et file à l'étang, celui du bas. Rien, pas une touche,
le désert. C'est donc que les poissons sont dans l'étang du haut.
J'y fonce et cueille une grosse truite que je n'arrive pas à mener jusqu'à
la rive, je suis monté pour l'ablette qui fait mon ordinaire halieutique
et bien sûr l'épuisette est restée au bord de l'autre étang.
Tant pis, je dormirai heureux et plein d'espoir. DIMANCHE.
Forfait découverte. Ravitaillement
de première urgence le matin à Felletin, le bourg le plus proche
qui abrite un festival de danse, la statue d'un savant helléniste dont
le nom est caché par une réclame pour le festival en question, un
8 à Huit, un PMU, une droguerie capharnaüm qui vend des articles de
pêche, "Le Petit Paris", mode et nouveautés, et une boucherie
qui fait des frites à emporter. L'après-midi, baignade à
l'étang de la Ramade, un désert touristique tout à fait dans
mon goût. Et le soir, ça n'est pas pour me vanter mais on mange de
la truite et il y en a presque trop pour quatre. Lecture.
De cendre et d'os (Ash and Bone, John Harvey, 2005; Payot &
Rivages, 2006 pour la traduction française, coll. Rivages/Thriller, traduit
de l'anglais par Jean-Paul Gratias; 368 p., 20 €). On avait laissé
John Harvey un peu essoufflé à la sortie de la série consacrée
à l'inspecteur Resnick (Derniers sacrements) et franchement peu
inspiré dans le premier roman qui suivit la série en question (Couleur
franche). On l'avait donc abandonné et on avait raté la première
apparition de son nouveau héros récurrent, l'inspecteur principal
Frank Elder qui poursuit ici une affaire entamée dans De chair et de
sang. Bonne nouvelle : Harvey a retrouvé la santé en reprenant,
dans un nouveau cadre (Londres remplace Nottingham), un héros qui ressemble
à Resnick sur bien des points. Comme son prédécesseur, c'est
un solitaire, un professionnel consciencieux et un sentimental. Contrairement
à Resnick, il a été marié et il a une fille, victime
d'un viol dans l'épisode précédent et qui, depuis, mène
une vie erratique en bordure du monde de la drogue. Rongé par la culpabilité,
Elder s'est retiré des affaires et reprend ici du service pour traquer
le meurtrier d'une collègue et tenter de reconquérir sa fille. On
retrouve avec plaisir un auteur qui sait mettre en scène les humbles, les
laissés-pour-compte du boom économique de l'Angleterre sans verser
dans le misérabilisme et qui réussit à mener de manière
très fluide plusieurs histoires de front (un meurtre récent, une
affaire de corruption policière, un drame familial). John Harvey a ménagé,
en clin d'oeil pour les habitués, plusieurs apparitions de Charles Resnick
dans un petit rôle. LUNDI. Presse.
"Vendredi, l'office du tourisme de Felletin renouvelle son Café Tricot
de 15 heures 30 à 18 heures au café Cluzel. Initiations, démonstrations
et créations sont au programme" (La Montagne). Une information
qui pourrait être utile si le temps ne s'améliore pas. A part ça,
on a frôlé le bredouille mais faute de poissons on a retiré
quelques écrevisses de l'étang du bas. MARDI.
Score. Bredouille. Nombreux ratés.
Projet : apprendre à faire des noeuds capables de résister à
autre chose qu'un alevin. MERCREDI. Score.
Bredouille. Heureusement, il y a une belle différence entre un bredouille
dont on rentre transi et un bredouille sous le soleil. JEUDI.
Score. Bredouille. VENDREDI.
Résurrection. Il manque peut-être
une dizaine de millimètres à la truite du matin pour égaler
celle de dimanche mais elle a au moins le mérite de mettre fin aux sarcasmes
autour de la table du dîner. Projet : acheter un centimètre. A part
ça, nous avons changé de lieu de baignade et barbotons désormais
dans le plan d'eau de Chénérailles, chef-lieu de canton pas toujours
facile à atteindre (avec le beau temps revenu, toute la gamme John Deere
est sur les routes), un café-charcuterie, une publicité peinte ("Exigez
la brillantine Forvil"), un salon Coiff'Lui qui fera pendant au Coiff'Elles
d'Epinal dans l'Invent'Hair et, ô miracle, pas de festival.
SAMEDI. Tristesse. En septembre
1989, je me remettais de mes brûlures à Hyères, dans un centre
de réadaptation fonctionnelle. J'avais raté la rentrée scolaire
bien sûr, et ne savais pas ce qu'il y avait de nouveau au collège.
Ce qu'il y avait de nouveau, entre autres, c'était un certain R., qui venait
d'être muté sur la place et qui ne tarda pas à m'envoyer un
pli volumineux contenant un mot de sa part disant son souhait de me voir guérir
au plus tôt pour me rencontrer, et des lettres des élèves
que je connaissais qu'il avait pris soin de rassembler et de m'envoyer. Parmi
tous les gestes de sympathie qui m'arrivèrent à l'époque,
ce fut celui-ci qui me souffla le plus, car émanant d'un type que je ne
connaissais ni d'Eve ni d'Adam. C'est un geste qui lui ressemblait, un geste gratuit,
simple, généreux, ouvert. Je n'ai rencontré R. qu'à
mon retour, plusieurs mois après. Ce fut le début d'une amitié
tenace, favorisée par l'ambiance qui régnait alors au collège
et qui devait durer une demi-douzaine d'années. Plusieurs facteurs contribuaient
à cette atmosphère, une direction humaine et éclairée,
un public plus difficile que celui d'aujourd'hui qui commandait qu'on se serre
les coudes pour l'affronter, un noyau de professeurs et de surveillants qui, toutes
générations confondues, avaient trouvé le moyen de bosser
en rigolant à un tel point qu'ils ne s'apercevaient même pas qu'ils
étaient au boulot, une société dangereusement permissive
qui autorisait la fumée de tabac et le jaja à la cantine, il fallait
bien un peu de carburant pour faire tourner tout ça. Là-dedans,
c'est R. qui menait la danse, c'est lui qui tenait le parapluie de l'escouade.
L'âge d'or n'est pas éternel, on le sait, et, petit à petit,
cette période a pris fin. Certains sont partis, ceux qui sont restés,
j'en suis, ont vieilli, se sont assagis, encroûtés. Comme si ça
ne suffisait pas, on est venu jouer de la faux sur notre territoire, CR fut le
premier à s'en aller, il y a trois ans presque jour pour jour, parti au
mois d'août. Ce matin, au bord de l'étang, j'ai appris la mort de
R., ça sert aussi à ça, les téléphones de poche.
Je n'en suis pas tombé à la renverse, ma dernière visite
ne m'avait pas laissé très optimiste, et son père m'avait
dit depuis au même téléphone que la fin était proche.
C'est hier qu'il a rendu son dossard, sans attendre la fin du Tour de France,
comme Fallet en son temps, Fallet auquel il ressemblait étonnamment sur
une photo de lui que je garderai. R., je l'ai dit, c'était un généreux,
toujours la main à la poche pour gonfler la cagnotte d'une collecte par
trop étique en vue d'un cadeau de départ, pour permettre à
un élève de partir en voyage scolaire, ou tout simplement pour payer
un godet au premier pochetron venu. C'est qu'il en a lustré des comptoirs,
R., avec ses limaces qui semblaient sortir du décrochez-moi-ça.
Il était secoué par une perpétuelle tremblote apte à
décomplexer tous les alcooliques de la Terre, frôlait l'énucléation
à chaque fois qu'il chaussait ses lunettes. R. était mon copain
mais ce n'était pas un saint, il pouvait même être sacrément
emmerdant à ses heures avec sa manie de ressasser toujours les mêmes
anecdotes et les mêmes blagues (il en était encore à imiter
Raymond Barre), sa façon de laisser immédiatement échapper
par une oreille ce que vous étiez en train de lui dire par l'autre, son
incapacité constitutionnelle à respecter un rendez-vous, une échéance
ou un horaire. La rage dans laquelle il savait me mettre le samedi matin quand
je passais le prendre pour aller au bahut et qu'il sortait de chez lui en pyjama
et en chaussons, j'arrive, j'arrive, je lis le journal et j'arrive... Son goût
pour les projets pharaoniques, les chevauchées au long cours, lui qui était
totalement paumé lorsqu'il sortait de la zone de diffusion de La Liberté
de l'Est, ce voyage scolaire où il avait fallu faire demi-tour à
la frontière tchèque pour aller rechercher les passeports qu'il
avait oubliés sur sa table de nuit, c'est lui qui avait payé les
kilomètres supplémentaires bien sûr... La fin de l'âge
d'or du collège a coïncidé, ce n'est pas un hasard, avec le
déclin de R. qui a accumulé en quelques années une série
d'avanies dont je ne souhaite pas le dixième à mon pire ennemi.
La mort de sa mère, un mariage raté avec une maritorne, des dettes,
plus d'auto, plus de téléphone, et puis la maladie pour couronner
le tout, la rémission, et puis la fin, hier. R., ça fait des années
que je t'ai prêté mon exemplaire des Revenentes, j'avais pourtant
juré de ne jamais prêter mes Perec, et mon dossier sur Maigret, et
des trucs que j'ai sûrement oubliés et je ne parle pas du France
Foot que tu devais me redescendre à la récré. Tu me les rendras
le moment venu, après tout, Les Revenentes, c'est un titre plutôt
optimiste. Et puis je ne serai pas là lundi pour suivre ta boîte
à dominos mais après tous les lapins que tu m'as posés, je
te devais bien celui-là. Toi, tu me dois aussi une paire de truites, j'en
ai sûrement raté quelques-unes ce matin quand j'ai appris la nouvelle,
j'avais la vue un peu brouillée, je ne distinguais plus mon bouchon.
DIMANCHE. Lecture. Omou
(Omoo, Herman Melville, Harper & Brothers, New York, 1847; texte traduit,
présenté et annoté par Philippe Jaworski, in Oeuvres I, Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade n° 433; 1432 p., s.p.m.)
"Récit d'aventures dans les mers du Sud" Melville continue
à s'inspirer librement des épisodes de sa vie pour son deuxième
roman polynésien. Après sa longue captivité aux Marquises
racontée dans Taïpi, le narrateur est recueilli sur un baleinier
dont le capitaine, malade, doit être débarqué à Papeete.
Les marins en profitent pour se mutiner, on les met en prison avant de les relâcher
dans la nature, ce qui permet au narrateur et à son ami, le docteur Long-Spectre,
de découvrir Tahiti et l'île voisine d'Eiméo. Dans sa préface,
l'auteur présente son programme : donner une idée du genre de vie
que mènent les chasseurs de baleines et offrir une description familière
de la condition des Polynésiens convertis tout en suivant l'existence vagabonde
menée par le narrateur et son ami. La partie maritime est une nouveauté,
puisque Taïpi était un récit essentiellement terrestre.
Le tableau terrifiant que donne Melville (officiers incompétents, mauvais
état du navire, nourriture insuffisante, violence, alcoolisme) est atténué
par l'oeil ironique de son double qui, par son statut de nouvel embarqué,
se tient un peu en marge de ce monde. Les portraits de loups de mer succèdent
aux récits de rixes et de beuveries sur un rythme soutenu jusqu'à
ce qu'on arrive à terre. Là débute la partie ethnographique
du livre. Dans Taïpi, Melville avait longuement décrit une
peuplade marquisienne préservée de toute civilisation étrangère.
Il passe ici au stade suivant : Tahiti n'est déjà plus, à
cette époque, un lieu primitif. C'est, dit Jaworski dans sa notice, "la
villégiature exotique de l'Europe" qui y a installé une administration
largement corrompue. C'est l'occasion pour Melville de dénoncer assez fermement
le rôle des Européens en général et des missionnaires
en particulier, de montrer leur influence désastreuse sur un peuple auquel
on a ôté sa religion, son roi, ses coutumes, son art de vivre et
désormais livré à la maladie, à l'ivrognerie et à
la corruption. Comme sur le bateau, la noirceur du trait est estompée par
la truculence avec laquelle Melville raconte les aventures de ses deux personnages,
leurs rencontres, leurs échecs, leurs maladresses. L'ensemble est peut-être
moins captivant que Taïpi car il n'y a pas ici la menace de mort permanente
qui pesait sur le prisonnier des indigènes mais c'est une étape
dans la formation de l'écrivain qui, peu à peu, prend de plus en
plus de liberté avec le matériel autobiographique dont il dispose
pour mêler l'imagination à l'observation. L'édition de Philippe
Jaworski est remarquable, les notes et la traduction qu'il propose montrent qu'il
possède parfaitement les trois éléments essentiels de la
littérature anglo-saxonne et donc melvilienne : le vocabulaire maritime,
les citations de Shakespeare et les allusions bibliques. Extrait. "Le
second, pourtant, non content de naviguer à l'estime prétendait
vérifier sa distance méridienne par rapport aux cloches de St. Mary-le-Bow
en observant de temps à autre la lune. L'opération consiste, je
crois, à calculer à l'aide des instruments appropriés la
distance angulaire entre la lune et l'une des étoiles. Elle exige en général
la présence de deux observateurs qui font les visées au même
moment. Or, bien que l'on puisse juger que le second eût été
parfaitement apte à effectuer cette mesure tout seul, puisque d'ordinaire
il voyait double, on demandait habituellement au docteur de venir jouer en quelque
sorte le rôle de deuxième octant aux côtés de Jermin.
Et leurs clowneries à tous deux nous les rendaient fort divertissants.
Les efforts tremblotants du second pour pointer son instrument sur l'étoile
qu'il cherchait, étaient du plus haut comique. Pour ma part, quand il avait
fini par la trouver vraiment, je me demandais comment il parvenait à la
distinguer de la légion d'astres qui tournoyaient dans son cerveau."
LUNDI. Score. Bredouille.
Projet : cesser de comptabiliser mes bredouilles, ça commence à
devenir blessant. Même si, aujourd'hui, un groupe est venu pêcher
en haut et n'a pas fait mieux que moi. Autant conserver le soupçon d'honneur
qu'il me reste. En attendant, je pêche des perles dans le bêtisier
que constitue le guide des festivals de l'été : Arles sert de cadre
à une manifestation intitulée "La Nuit des Envies Rhônement".
Celui qui a déniché cet intitulé devrait se lancer dans le
salon de coiffure. MERCREDI. Lecture.
Le Petit Chose (Alphonse Daudet, Hetzel, 1868; rééd. Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade n° 333, Oeuvres I, 1736 p., s.p.m.)
"Histoire d'un enfant" Pour son premier roman, Daudet s'adonne à
ce qu'on peut appeler un roman autobiographique dans la mesure où les éléments
tirés de sa jeunesse sont mêlés à des épisodes
totalement fictifs. Parmi ceux-là, la ruine de l'entreprise familiale,
le départ de Nîmes pour Lyon, la place de pion à Alès
et l'installation à Paris avec son frère, et pour ceux-ci quelques
portraits colorés, une aventurière, la bourgeoisie boutiquière
("les Fougeroux, avec leurs six demoiselles rangées en tuyau d'orgue"),
quelques figures de la bohème littéraire parmi lesquelles on peut
reconnaître Leconte de Lisle qui a droit à un traitement spécial
en raison des liaisons tendues entre Daudet et les Parnassiens. Ce côté
mêlé se retrouve dans le mode de narration choisi par l'auteur qui
passe sans cesse de la première à la troisième personne,
et ce parfois dans la même phrase ("A dire vrai pourtant, l'arrivée
du petit Chose ne fit pas grande sensation, et je fus bien vite oublié,
dans le coin de la salle où je m'étais réfugié timidement...").
En revanche, sur le plan du ton adopté, pas de mélange : c'est du
bon mélodrame d'époque, les "Ô", les "Ah"
et les "Hélas" pullulent avec option moralisatrice en prime puisque
le jeune héros, après être tombé dans la débauche,
retrouve le droit chemin en suivant le modèle de son frère qui,
bien sûr, meurt en route. Hetzel accentuera cet aspect édifiant en
établissant une édition édulcorée du livre pour sa
"Bibliothèque d'éducation et de récréation",
raison pour laquelle c'est souvent le seul aspect du livre qu'on a retenu. Le
Petit Chose vaut cependant bien mieux que sa réputation, et s'il est
vrai que les scènes entre les deux frères (qui semblent avoir marqué
le Martin du Gard des Thibault) sont bien lourdes, on y trouve aussi du
vocabulaire pour les amateurs de lexique, des tableaux de genre très réussis,
une profession de foi esthétique contre le Parnasse et un morceau de choix,
tout l'épisode scolaire au cours duquel le jeune héros exerce la
fonction de maître d'études dans un collège cévenol.
Extrait (le petit Chose appartient à une troupe de comédiens ambulants).
"Il restait là, taciturne et triste comme les grands comiques, l'oreille
fermée à toutes les trivialités qui bourdonnaient à
ses côtés. Si bas qu'il fût tombé, ce cabotinage roulant
était encore au-dessous de lui. Il avait honte de se trouver en pareille
compagnie. les femmes, de vieilles prétentions, fanées, fardées,
maniérées, sentencieuses. Les hommes, des êtres communs, sans
idéal, sans orthographe, des fils de coiffeurs ou de marchandes de frites,
qui s'étaient faits comédiens par désoeuvrement, par fainéantise,
par amour du paillon, du costume, pour se montrer sur les planches en collants
de couleur tendre et redingotes à la Souwaroff, des Lovelace de barrière,
toujours préoccupés de leur tenue, dépensant leurs appointements
en frisures, en vous disant, d'un air convaincu : "Aujourd'hui, j'ai bien
travaillé", quand ils avaient passé cinq heures à se
faire une paire de bottes Louis XV avec deux mètres de papier verni..."
JEUDI. Score. Une truite.
Même calibre que les précédentes. Le proprio a dû en
acheter tout un lot dans une officine de déstockage massif. VENDREDI.
Vie folklorique. Nous faisons nos adieux à
Felletin où le marché est encore plus animé que la semaine
dernière. C'est que le festival de danses du monde a débuté
et que les participants ont pris possession du bourg. On croise des mandarins,
des moujiks, des bachi-bouzouks, des Burkinabés d'ébène,
des Annana des Annana des Annamites, des naturels échappés d'un
roman de Melville et des Tyroliens fessus. L'événement cause même
des embarras de circulation dans lesquels il vaut mieux ne pas se trouver coincé
derrière l'autocar de la troupe biélorusse sous peine d'avoir à
réviser ses certitudes sur la pureté de l'air creusois.
Lecture. La Femme du Ve (The Woman
in the Fifth,Douglas Kennedy, Hutchinson, Londres, 2007; Belfond, 2007 pour
la traduction française; traduit de l'américain par Bernard Cohen;
384 p., 22 €). Avant de devenir un auteur de best-sellers, Douglas
Kennedy débuta dans la Série Noire (Cul-de-sac) et écrivit
quelques polars d'excellente facture concernant tous des personnages en rupture,
obligés ou désireux de changer de vie. De cet apprentissage, Kennedy
a conservé un certain sens de l'efficacité, un savoir-faire qu'on
retrouve dans ce dernier roman, même s'il ne s'agit plus de conquérir
uniquement les amateurs de roman policier : c'est ici le grand public qui est
visé, le produit est un roman de l'été, les caractères
sont immenses, le papier bien épais pour transformer en pavé un
roman de taille standard. Kennedy a gardé le goût pour les changements
de vie et présente ici un professeur américain déchu débarquant
à Paris sans le sou ou presque et obligé de reconstruire sa vie.
On trouve là un thème privilégié des romanciers américains,
le mythe de l'artiste exilé dans la capitale, les souvenirs d'Hemingway
et consorts. Kennedy ne se prive pas de donner dans la mythologie, dépeint
un Paris à deux visages, celui sordide du Xe arrondissement sous la coupe
de la mafia turque et celui rêvé du Quartier latin avec les souvenirs
culturels qui y sont attachés. Dans le Paris de Douglas Kennedy, un médecin
peut prescrire au premier touriste américain venu cent vingt comprimés
de Zoplicone suite à une simple grippe. Dans le Paris de Kennedy, tous
les flics ont la clope au bec et des cendriers débordants sur leur bureau.
Dans le Paris de Kennedy, les Américains exilés ont si bien oublié
d'où ils viennent qu'ils parlent du Tahore Lake lorsqu'ils évoquent
le lac Tahoe. Mais tout cela n'est pas bien grave car dans le Paris de Kennedy,
il se passe des choses encore plus bizarres pour ne pas dire surnaturelles. Dans
ce domaine, l'auteur pousse le bouchon assez loin mais après tout, pourquoi
lui refuserait-on le droit de jouer avec la réalité alors qu'on
accorde facilement ce droit à Echenoz (Au piano) ? Kennedy est un
très bon dérouleur d'histoire, il sait très bien captiver
son lecteur et il en donne ici encore la preuve. Seule réserve : les longues
et oiseuses conversations entre le narrateur et la fameuse femme du Ve sur la
culpabilité, le remords, la vengeance et je ne sais quoi encore. La femme
du Ve, au fait, habite 13, rue Linné. C'est probablement plus un hasard
qu'un hommage mais les perecquiens apprécieront. SAMEDI.
Fin de séjour. C'est le moment de quitter
les lieux en emportant la cargaison habituelle de souvenirs : les filles gorgées
d'Intervilles, de Fort Boyard et des âneries de la 7e Compagnie, plaisirs
inconnus at home de la télévision de l'après-dînée,
les quarante-cinq mètres de plage de la baignade de Chénérailles,
les vaches allaitantes et le pêcheur à l'étang, le cerf-volant
qui ne voulut jamais voler, les trois tables bancales de la Foire aux livres de
M., le diabète pas oublié mais relégué après
huit mois passés à ne penser qu'à ça, l'écoute
religieuse du bulletin météo du soir qui annonçait invariablement
le retour du beau temps pour le lendemain, l'inconfort retrouvé des selles
de bicycles, les nécrologies à lire (Serrault, Bergman, Antonioni,
Isou) et à écrire, le lest constitué par les spécialités
locales, pâté de pommes de terre et gâteau creusois, après
ça les pieds du tabouret de pêche s'enfoncent tout seuls dans le
sol, et, pour finir, le regret de partir avant la Journée du livre de Felletin
(ce n'est plus de l'animation, c'est de l'épilepsie) vendredi prochain
avec Raymond Poulidor comme invité d'honneur. Bon dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°315 - 12 août 2007 DIMANCHE.
Revue de presse. La Liberté de l'Est,
2 août 2007 : "Un convoyeur laisse tomber une valise de billets
- Hier, vers 18 h 30, un employé d'une société de gardiennage
s'est rendu à l'agence bancaire de la BNP de Golbey, située 21 rue
d'Epinal, où une alarme avait été déclenchée.
Sur les lieux, l'employé a découvert que la porte du local du distributeur
automatique de billets (DAB) donnant sur la rue avait été laissée
ouverte et qu'une longue traînée d'encre indélébile
s'en échappait. Jusqu'à l'autre côté de la rue, vers
une place de parking. [...] Après avoir passé de nombreux coups
de fil, un responsable de la banque a finalement pu savoir ce qui s'était
passé : un convoyeur a tout simplement laissé tomber à terre
l'une des valises qu'il transportait après avoir changé les caissettes
du DAB. Le flacon d'encre s'est brisé et son contenu s'est déversé
sur le trottoir. Jusqu'au coffre du véhicule du convoyeur. Une première
bévue suivie d'une autre puisque ce dernier a en plus oublié de
refermer la porte du local du DAB derrière lui avant de quitter les lieux."
En voilà un qui est mûr pour la médaille du travail.
Même journal, même jour :"J.C.,
née V., est décédée subitement à l'âge
de 83 ans, victime d'un malaise cardiaque alors qu'elle se rendait mardi matin
aux obsèques de son grand ami R.G. [...]" Sacré R., même
du fond de son sapin, il continue à faire des siennes. TV.
Football. Le Mans - FC Metz 1 - 0, en direct sur Canal + Sport. TV.
La Rumeur court (Rumor Has It, Rob Reiner, E.-U., 2005 avec Jennifer
Aniston, Kevin Costner, Shirley MacLaine, Mark Ruffalo, Mena Suvari, Kathy Bates,
Alexandria Bachman, Mike Balbridge; diffusé sur Canal + en juillet dernier).
LUNDI. Hommage. Je rends visite
à R., au cimetière de Golbey, puis à son père.
MARDI. Fin de trêve.
J'achète mon abonnement pour la saison 2007-2008 du SA Spinalien, championnat
de France amateur, groupe B. TV.
L'Horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier, France, 1974 avec Philippe
Noiret, Jean Rochefort, Jacques Denis, Yves Afonso, Julien Bertheau, Jacques Hilling,
Clotilde Joano; diffusé sur ARTE en juillet dernier). MERCREDI.
TV. Le Passager de l'été
(Florence Moncorgé-Gabin, France, 2006 avec Catherine Frot, Laura Smet,
Grégori Derangère, François Berléand, Jean-Paul Moncorgé;
diffusé sur Canal + en juillet dernier). JEUDI. Lecture.
Traité du destin (De Fato, Cicéron, 44 av. J.-C.;
traduction par E. Bréhier revue par P. Aubenque, rubriques par E. Bréhier,
notice et notes par P. Aubenque in Les Stoïciens, Gallimard, 1962, Bibliothèque
de la Pléiade n° 156; 1504 p., 52,90 €). La question
posée par Cicéron est de savoir si la liberté humaine est
compatible avec le destin, comme le pensent les Stoïciens qui s'opposent,
sur ce sujet comme sur tant d'autres, aux Epicuriens. Pour ces derniers, le possible
est le réel, ce qui élimine toute forme de simple potentialité.
Pour Chrysippe au contraire, "tous les événements sont déterminés
par des causes antécédentes, voilà l'affirmation du destin;
mais elle ne veut nullement dire que chaque événement est déterminé
tout entier par des causes antécédentes." La démonstration
des opinions en présence n'est pas facile à suivre du fait des nombreuses
lacunes qui mutilent le texte tel qu'il nous est parvenu et on a intérêt,
comme je l'ai fait ci-dessus, à se raccrocher à la préface
pour tenter d'y voir clair. Curiosité. La physiognomonie est loin d'être
une invention du XIXe siècle : "Et Socrate ? N'avons-nous pas vu en
quels termes le désignait Zopyre, le physionomiste, qui se vantait de reconnaître
les moeurs et la nature des gens d'après leur corps, leurs yeux, leur visage
et leur front; Socrate, disait-il, est un homme stupide et lourd, parce que sa
gorge ne se creuse pas sous le menton; cette région est donc obstruée
et bouchée; il est adonné aux femmes, ajoutait-il, ce qui fit éclater
de rire Alcibiade." TV. Les
Fantômes du chapelier (Claude Chabrol, France, 1982 avec Michel Serrault,
Charles Aznavour, Monique Chaumette, Aurore Clément; diffusé le
soir même sur ARTE). Lecture.
Clefs pour la 'Pataphysique (Ruy Launoir, Seghers, 1969; nouvelle édition
revue et augmentée, L'Hexaèdre, 2005, coll. Bibliothèque
Pataphysique; 224 p., 13,50 €). Samedi dernier à mon retour
de vacances m'attendaient deux lettres provenant de deux éminences du Collège
de 'Pataphysique. La première du Provéditeur-Editeur Général,
Représentant Hypostatique de Sa Magnificence, l'autre du Régent
Administrateur des Quinconces. Pour qui ne serait pas versé dans les arcanes
de la hiérarchie collégiale, disons que cette double intrusion épistolaire
équivaut, dans un autre domaine, à l'irruption de l'archange Gabriel
dans la chambrette d'une jeune fiancée à un charpentier nazaréen.
Il convenait, pour faire honneur à cette distinction, de réviser
et d'enrichir mes connaissances plutôt sommaires dans le domaine de la Science.
L'ouvrage de Ruy Launoir s'est avéré un excellent moyen pour y parvenir.
Bien sûr, la première phrase n'est pas très encourageante
et menace presque de faire de l'ouvrage un volume unifolié : "Il n'y
a pas de clef pour la 'Pataphysique." Science du Particulier, Science des
Solutions Imaginaires, Science des Sciences, toutes les définitions qu'on
peut en donner sont insuffisantes et il est préférable de s'arrêter
à savoir que la 'Pataphysique est dans tout et que tout est dans la 'Pataphysique.
Si j'avais à donner une définition de la 'Pataphysique, ce qui n'arrive
heureusement que lorsque j'en viens à me poser moi-même la question,
je ne pourrais répondre que par un exemple : devant une scène bien
connue, celle de la Crucifixion, là où certains s'intéressent
au message religieux, où d'autres, s'il s'agit d'une représentation,
s'attacheront aux données picturales ou sculpturales de l'objet, le Pataphysicien
s'intéressera aux clous, à leur matière, leur longueur, leur
forme, leur degré d'inclinaison et leur coefficient de pénétration
selon les essences de bois utilisées. Je ne suis pas Pataphysicien, je
suis simple Auditeur du Collège (que Ruy Launoir définit plus facilement
comme une "Société de Recherches Savantes et Inutiles"),
le seul collège auquel je m'enorgueillis d'appartenir et, par là
même, le seul que j'autorise à s'enorgueillir de ma présence
en son sein. Mes chantiers ne sont pas pataphysiques, celui qui s'en approcherait
le plus serait l'Invent'Hair mais il est nettement insuffisant : là
où je me contente d'une banale recension des salons de coiffure à
l'intitulé en forme de mauvais calembour, il faudrait ajouter une étude
historique, linguistique, sociologique, géographique et économique
pour que ça ressemble à de la Science, un travail d'ailleurs entrepris
par le Régent Pascal Bouché dans un récent numéro
de Viridis Candela. Après avoir, à la recherche d'une
définition satisfaisante (celle-ci n'est pas mal : "La 'Pataphysique
est une attitude intérieure, une discipline, une science et un art qui
permet à chacun de vivre comme une exception et de n'illustrer d'autre
loi que la sienne"), examiné les tenants et aboutissants philosophiques
de la Science, l'auteur déroule son histoire en présentant ses figures
légendaires, Jarry, Faustroll, Julien Torma et le docteur Sandomir, premier
Vice-Curateur du Collège. Le Collège proprement dit est ensuite
étudié à travers son fonctionnement, sa subtile hiérarchie
toujours en mouvement et, partie la plus passionnante de l'ouvrage, son histoire
humaine, politique et économique : les quatre Magistères (Sandomir,
Mollet, Opach, Lutembi) et la période d'Occultation sont finement analysés
selon ces critères. On découvre les grands hommes, les grandes heures,
les grandes oeuvres mais aussi les luttes d'influence, les zones d'ombre et les
querelles intestines. L'avenir du Collège est également évoqué,
son expansion démographique ne le mettant pas à l'abri, selon Ruy
Launoir, "d'une seconde Occultation". On devrait en savoir plus à
ce sujet lorsque paraîtra la Circulaire-Manifeste annoncée dans le
dernier numéro de Viridis Candela. L'ouvrage est complété
(mais pas complet, il y manque à mon goût un chapitre sur le vocabulaire
pataphysique) par un index, des documents (dont le précieux calendrier
pataphysique) et une bibliographie qui, même si elle n'atteint pas l'exhaustivité
du catalogue des Publications Internes du Collège de 'Pataphysique et
du Cymbalum Pataphysicum réalisé par la lyonnaise Librairie
du Scalaire, permettra au néophyte curieux de trouver ou au moins d'essayer
de nouvelles clés. VENDREDI. TV.
Un ami parfait (Francis Girod, France/Allemagne, 2006 avec Antoine de Caunes,
Jean-Pierre Lorit, Carole Bouquet; diffusé sur Canal + en juin dernier).
SAMEDI. Football. SA Epinal
- AS Saint-Priest 0 - 1. Allons bon. Ça commence mal. Bon
dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°316 - 26 août 2007 DIMANCHE.
TV. Football. FC Metz - Lille OSC 1 - 2, en
direct sur Canal + Sport. Le marasme continue. TV.
Les deux crocodiles (Joël Seria, France, 1987 avec Jean Carmet, Jean-Pierre
Marielle; diffusé ce mois sur Cinécinéma Famiz).
LUNDI. TV. Les Irréductibles
(Renaud Bertrand, France, 2006 avec Jacques Gamblin, Kad Merad, Rufus, Anne Brochet,
Hélène Vincent, Valérie Kaprisky, Edouard Colin; diffusé
en juillet dernier sur Canal +). On notera que le personnage interprété
par Anne Brochet travaille dans un salon de coiffure "Créa'Tifs",
c'est la raison sociale annoncée lorsqu'une employée répond
au téléphone. Malheureusement, il n'y a aucun plan de la devanture.
Dommage, pour une fois j'aurais pris la télé en photo.
MARDI. TV. Les Durs à
cuire (Jack Pinoteau, France, 1964 avec Roger Pierre, Jean Poiret, Michel
Serrault, Mireille Darc; diffusé ce mois sur Cinécinéma Classic).
Extrait de dialogue. "Qu'est-ce que tu en penses ? - Je ne pense
pas. Et quand je pense, je ne pense à rien." MERCREDI.
Lecture. Sur la ligne noire (A Fine
Dark Line, Joe R. Lansdale, Mysterious Press, 2003; Editions du Rocher, 2006,
coll. Thriller pour la traduction française, traduit de l'américain
par Bernard Blanc; 308 p., 18,50 €). Deuxième chance pour
Lansdale après la déception de L'arbre à bouteilles
paru en Folio il y a deux ans. Restant fidèle à son cadre de l'East
Texas, l'auteur se raccroche ici à une tradition du polar tombée
en désuétude ou réservée aux collections jeunesse
: une enquête menée par un adolescent. Sans remonter à Emile
et les détectives, le genre a connu de belles réussites dont une
remarquable nouvelle de William Irish, Une incroyable histoire. Le rôle
principal est ici tenu par Stanley Mitchell, treize ans, fils du propriétaire
d'un cinéma en plein air, qui découvre par hasard une boîte
remplie de lettres d'amour dont les auteurs sont morts tragiquement. L'enquête
qu'entreprend le jeune homme avec l'aide du projectionniste de l'affaire familiale
n'est pas vraiment passionnante mais heureusement l'intérêt est ailleurs.
La reconstitution de l'atmosphère qui pouvait régner dans une petite
ville du Sud en 1958 semble avoir davantage intéressé l'auteur qui
se montre, dans cet exercice, beaucoup plus convaincant. L'émancipation
des jeunes filles, la ségrégation raciale, la violence domestique
sont les thèmes qu'il aborde par petites touches en suivant le jeune héros.
Cet aspect du livre est beaucoup plus réussi et transforme le polar traditionnel
en roman d'apprentissage plutôt probant. Invent'Hair.
Un envoi de MGM m'amène à étudier les variantes orthographiques
des enseignes homophones, le Frange'In (Paris) qu'il me fait découvrir
aujourd'hui se rapprochant, à un poil près, du Franges'In de Port-Vendres
et du Frang'ines de Saint-Gérand-le-Puy. Alors, que choisir ? "Diminutif"
doit-il s'écrire Diminu Tifs comme à Dieppe, Diminu'Tif (Bellegarde-en-Marche,
Couiza, Saumur), Diminu-tif (Paris) ou Diminu'Tifs (Trèbes) ? Doit-on titrer
Créa Tif comme à Buis-les-Baronnies, Créa'Tif (Chambéry,
Lyon, Rupt-sur-Moselle, Saint-Arnoux), Créa-Tif (Le Theil), Créatif
(Villefranche-sur-Saône), Créa'Tifs (Trèbes) ou Créa-Tifs
(Valence) ? Faut-il choisir le Capilhair de Bordeaux ou le Capil'Hair de Mirecourt
? Le Caract'Hair de Nancy est-il préférable au Caracthair de Valkenburg
? Le Coupe-Tif de Bellac au Coup'Tifs de Cuxac-d'Aude ? Là, je sens que
l'on s'approche de la Science... Vie sociale.
"Papa ? Avoir peur ? Pour moi, il était invincible. C'était
le genre d'homme à aller à la chasse à l'ours avec une tapette
à mouches et à obliger l'ours à rentrer à la maison
avec lui, en portant la tapette." Tel est le portrait que le jeune narrateur
fait de son père dans le livre de Lansdale. Et c'est à ce portrait
que je pense chez la voisine qui nous a invités à festoyer en compagnie
de sa fille et de son gendre. C'est le gendre qui est assis à côté
de moi. Le genre d'homme à aller à la chasse à l'ours etc.
Un camionneur. Sa voix prouve qu'il a l'habitude de se faire entendre malgré
le bruit du moteur. Quand il connaît mon métier, il me dit qu'il
a un livre (à sa femme : "Hein maman j'ai un livre !", tremblements
du lustre) dans sa table de nuit, il en est sûr mais pas moyen de se rappeler
le titre. A la fin du repas, légèrement étourdi mais diablement
impressionné (je me félicite, lorsqu'il me raconte ses frasques
adolescentes, de l'avoir connu comme commensal plutôt que comme élève),
je n'ignorerai rien des secrets de sa meuleuse, des manoeuvres à entreprendre
pour relier une chaudière à gaz à un compteur électrique,
des mérites comparés de Bricodépôt et de Monsieur Bricolage
et serai capable de réciter les principaux versets de l'évangile
selon Sintofer. JEUDI. TV.
La Menace (Alain Corneau, France, 1977 avec Yves Montand, Carole Laure, Jean-François
Balmer; diffusé en juillet dernier sur Canal +). VENDREDI.
Voyage. Départ en trio pour Paris,
Alice restant en villégiature à Saint-Jean-du-Marché. Paris
a changé : les tickets de métro n'ont plus la même couleur,
les Vélib' sont partout, on trouve Histoires littéraires
chez Gibert, la Brasserie de l'Est, en travaux lors de ma dernière visite,
est devenue le Café de l'Est et a perdu, en même temps que la moitié
de son nom, la totalité de son charme ou du moins ce que je prenais pour
son charme. Pour couronner le tout, le taulier inconnu de l'hôtel où
j'ai mes habitudes nous a casés dans une turne infecte où les puciers
tiennent plus de la planche de fakir que d'autre chose. Heureusement, il reste
une valeur stable, le travail dans lequel je m'abîme à la Bilipo
jusqu'à la fermeture pendant que Caroline et Lucie font ce qu'elles peuvent
pour doper une consommation et une croissance que l'on dit moroses. SAMEDI.
Vie parisienne. Pas de bibliothèque,
la journée se passe à déambuler dans divers azimuts touristiques
et commerciaux avec une pause en milieu de journée : Lucie a besoin de
repos, elle brûle du sucre à la cadence d'une glucoserie et je remonte
avec elle au garni pour la sieste. Hicham, un de mes bons amis dans la place,
est navré de l'accueil qu'on nous a fait hier. On a dû me prendre
pour un client ordinaire, c'est sûr. Il nous transfère dans la suite
royale de la place, en pestant contre l'incurie des intérimaires.
DIMANCHE. Vie ferroviaire. Nous
sommes à la gare de l'Est pour attraper le 12 heures 12. Depuis des temps
immémoriaux, les voyageurs pour les marches de l'est se tiennent sous le
panneau Grandes lignes pour connaître le numéro de la voie d'où
leur train doit partir. Dès son annonce, environ vingt minutes avant le
départ, c'est la ruée, un grand mouvement dans le hall, les nougats
souffrent sous les roulettes des valoches qui s'entrechoquent, à croire
que tout le monde attendait le même train et que vingt minutes ne suffiront
pas pour atteindre le quai désigné distant de quelques dizaines
de mètres. Enfin ça, c'était avant le TGV. Aujourd'hui, le
panneau Grandes lignes est muet, remplacé par des écrans
disséminés sur toute la longueur du hall. Qu'à cela ne tienne
: chez nous, on ne change pas comme ça les vaches d'herbage et les Vosgiens
campent toujours à la même place, ne consultent que l'écran
situé à côté du grand tableau vide. Et quand survient
l'annonce, c'est le même mouvement de foule au départ du même
point. Je ne dis pas ça pour faire le malin : si je raconte ça d'aussi
près, c'est parce que j'attends au même endroit que tout le monde...
Lecture/Ecriture. Mots croisés
2 (Michel Laclos, Zulma, coll. Grain d'orage; 112 p., 49 francs).
LUNDI. Invent'Hair. Plusieurs notuliens,
qu'ils soient ici remerciés, sont allés à la pêche
au merlan pendant leurs vacances. La palme de la plus belle prise est attribuée
à CG pour le Néferti Tifs de Fréjus. TV.
Docteur Petiot (Christian de Chalonge, France, 1990 avec Michel Serrault,
Pierre Romans, Zbigniew Horoks, Bérangère Bonvoisin; diffusé
ce mois sur Cinécinéma Frisson). MARDI. TV.
CQ (Roman Coppola, E.-U./France/Italie/Luxembourg, 2001 avec Jeremy Davies, Angela
Lindvall, Elodie Bouchez, Gérard Depardieu, Massimo Ghini; diffusé
sur Canal + en juillet dernier). MERCREDI. Emplettes.
Le mercredi, je fais en général le tour des librairies locales.
C'est vite fait, il n'y en a que deux de fréquentables dans la ville. Mais
aujourd'hui, c'est un peu plus long : un nouveau libraire a ouvert ses portes,
ce qui est plutôt téméraire vu les difficultés que
rencontre la branche en ce moment. Moi, je suis pour que tout le monde vive mais
ça va être difficile d'accorder ma pratique à trois enseignes
en parallèle. Pour l'ouverture, je fais tout de même un effort et,
histoire de ne pas passer pour un rigolo, commande le Tractatus de Wittgenstein
chez le nouveau marchand. Courrier.
Arrivée d'un disque de musique russe (pour les Danses polovtsiennes
de Borodine, le thème de Stranger In Paradise dans Kismet).
TV. Une semaine de vacances (Bertrand
Tavernier, France, 1980 avec Nathalie Baye, Gérard Lanvin, Michel Galabru;
diffusé ce mois sur Cinécinéma Emotion). JEUDI.
Courrier. J'adresse à AZ mes dernières
trouvailles aptonymiques : un prêtre nommé Petitclerc, un Pied footballeur
à l'Olympique Lyonnais, un Desbrosses peintre de son état (1835
- 1906) et un docteur Soucachet. TV. L'Art
(délicat) de la séduction (Richard Berry, France, 2001 avec
Patrick Timsit, Cécile De France, Richard Berry, Alain Chabat; diffusé
ce mois sur Canal +). VENDREDI. Lecture.
Temps Noir n° 10 (Éditions Joseph K., mars 2006;
224 p., 13 €). " La Revue des Littératures Policières
" Le dossier qui occupe la moitié du volume est comme d'habitude
remarquable. Il est consacré à Pierre Véry, qui ne fut pas
que l'auteur des Disparus de Saint-Agil. Comme c'est Jacques Baudou qui
est aux manettes, on peut considérer la chose comme exhaustive : biographie
fouillée, bibliographies et filmographies complètes, tout y est
et donne envie de se mettre à la recherche des trois tomes de l'intégrale
parus au Masque. A côté de cette étude exemplaire, l'hommage
à Albert Simonin paraît un peu maigrelet mais il faut dire que l'auteur
est tout de même moins intéressant que Véry. On préférera
le texte que Jim Nisbet (à qui l'on doit Prélude à un
cri, un bon roman sur le trafic d'organes) consacre à Jean-Patrick
Manchette, un auteur toujours d'actualité qui pourrait lui aussi faire
l'objet d'un dossier complet. Quand ? Mystère. La parution de Temps
Noir est assez aléatoire, deux numéros en 2004, ce numéro
en 2006, rien depuis. Claude Mesplède, un des piliers de la revue, est
actuellement accaparé par la réédition de son Dictionnaire
des littératures policières qui pourrait, confidence de l'éditeur
recueillie cette semaine par le notulographe, paraître en novembre prochain.
Qu'on se le dise : la première édition fut épuisée
en trois semaines. Vie musicale.
Rendez-vous manqué place des Vosges avec les Fatals Picards, un groupe
que l'on dit drôle et qui l'est certainement quand il est audible.
SAMEDI. Football. SA Epinal - US Raon-l'Etape
2 - 0. Un vrai derby, de l'ambiance (mille spectateurs, ou pas loin), de la
bagarre, des gros mots, pas de doute, je me sens rajeunir. Bon dimanche. |