Notules dominicales 2007
 
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Notules dominicales de culture domestique n°311 - 1 juillet 2007

DIMANCHE.
Campagne (non électorale). Journée sereine - les ennuis de Lucie ne venaient que d'un cathéter malencontreusement coudé - et ensoleillée à Saint-Jean-du-Marché, dépourvue de toute contrainte électorale. Il semble que, dans nos contrées, n'importe quel âne avec un chapeau sur la tête et une étiquette UMP sur le flanc aurait été élu député au premier tour.

TV. Dexter (série américaine de James Manos Jr. avec Michael C. Hall, Julie Benz, Jennifer Carpenter, Eric King, Lauren Vélez, James Remar; saison 1, épisodes 9 & 10 diffusés jeudi dernier sur Canal +).

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules en provenance de Bruxelles.

LUNDI.
Courrier. Arrivée d'un disque d'Albert Ayler. Je me demande comment j'ai pu vivre aussi longtemps sans un disque d'Albert Ayler, moi qui professe couramment que tout foyer devrait en être pourvu, ne serait-ce que pour en éloigner les importuns qui tenteraient de s'y incruster.

TV. L'Agression (Gérard Pirès, France, 1975 avec Jean-Louis Trintignant, Catherine Deneuve, Claude Brasseur; diffusé ce mois sur Cinécinéma Frisson).

Lecture. Out (Natsuo Kirino, Kodansha, Japon, 1997; Editions du Seuil, coll. Thriller, 2006 pour la traduction française, traduit du japonais par Ryôji Nakamura et René de Ceccaty; 592 p., 21 €).
Quatre femmes sont employées à remplir des paniers repas dans une usine de Tokyo. L'une d'elle, Yayoi, victime de violences conjugales, finit par étrangler son mari. Elle demande à ses collègues de l'aider à se débarrasser du corps. Leur expérience dans l'art de découper des tranches de viande va s'avérer extrêmement utile.
C'est ma première incursion dans cette collection Thriller, lancée par le Seuil en 2005 en parallèle à son désormais prestigieux catalogue Policiers. On ne discutera pas ici sa pertinence dans la mesure où on serait bien en peine d'établir une distinction formelle entre les deux genres, mais on apprécie qu'elle nous permette de découvrir le polar japonais contemporain, qui est rarement à l'honneur. Une découverte qui s'accompagne de celle d'un Japon méconnu, celui des petites gens, des femmes ici, employées à la dure dans des usines où les postes prestigieux sont réservés aux hommes, travaillant de plus en plus pour gagner toujours aussi peu, tout juste de quoi subsister dans des logements exigus qu'elles ont à peine le temps d'habiter avant de repartir au boulot, des femmes harcelées par des sociétés de crédit facile qui fonctionnent comme de véritables petites entreprises mafieuses. L'arrivée d'un cadavre à éliminer va bouleverser la vie de quatre d'entre elles, obligées d'ajouter des activités criminelles à un emploi du temps déjà surchargé. L'intrigue policière et le documentaire social se conjuguent de façon convaincante et leur mélange permet de garder l'intérêt du lecteur tout au long du livre, ce qui n'est pas rien sur une distance de près de six cents pages. La seule difficulté pour le béotien réside dans l'onomastique, la Yoko Onomastique en l'occurrence, tant il est parfois difficile de démêler les Yoshié des Yayoi, les Sataké des Masako et les Kuniko des Kunimatsu.

MARDI.

TV scolaire. Ulysse (Ulisse, Mario Camerini, Italie, 1954 avec Kirk Douglas, Silvana Mangano, Rossana Podesta, Anthony Quinn; support DVD Fabbri, coll. Les plus grands Péplums).

TV. Camping (Fabien Onteniente, France, 2006 avec Mathilde Seigner, Franck Dubosc, Gérard Lanvin, Claude Brasseur; diffusé en mai dernier sur Canal +).

MERCREDI.

Presse. Le Monde du jour met à l'honneur un notulien de la première heure, présent ici : http://lesitedefrancis.blogspot.com/

JEUDI.
Vie festive. Difficile d'échapper à la fête de la musique avec des filles pour qui c'est une occasion inespérée de sortir jusqu'à point d'heure et de s'encanailler au son des flonflons. Seulement, cette année, pas question d'aller se faire aplatir les nougats au son des djembés en centre-ville, j'ai eu ma dose de déambulation panurgique au milieu des stands de merguez et des terrasses des limonadiers dont l'appétit musical s'arrête au bruit du tiroir-caisse. N'importe quoi d'autre fera l'affaire, un orphéon rural sur une place de village, un glauque karaoké de quartier ou le club des mandolines de Remiremont, n'importe quoi vous dis-je.

Lecture. Une jeunesse (Patrick Modiano, Gallimard, coll. nrf, 1981; 198 p., s.p.m.).
Louis se remémore ses vingt ans, la fin du service militaire, la vie à Paris, quelques amitiés et trafics louches en compagnie d'Odile qui va devenir sa femme.
On a coutume de dire que Modiano écrit toujours le même livre, qu'on a vite fait le tour de sa thématique et de son univers flottant. S'il est vrai que dans tous ses romans on trouve des personnages lancés dans une quête de racines et d'identité qui n'aboutit jamais, il en est de plus réussis que d'autres. L'exploration chronologique de son oeuvre que j'ai entreprise révèle ainsi des hauts et des bas, des déceptions (Rue des Boutiques obscures) et des sommets au rang desquels on peu compter, dans les sept livres publiés à la date atteinte, 1981, Villa Triste et celui qui nous occupe aujourd'hui, Une jeunesse. Sur le mode "Qu'avons-nous fait de nos vingt ans ?", Modiano se montre sous son meilleur jour, mêlant la nostalgie, l'amertume et le désenchantement. Ça se lit d'une traite, au cours d'une nuit de garde, ça file à la vitesse des vingt ans en question et ça laisse rêveur sur l'art qu'il faut posséder pour en arriver à une telle fluidité.

SAMEDI.
Déplacement. Je lâche ma craie et file à Epinal prendre le 12 heures 46. Trois heures et cinquante-neuf minutes plus tard je suis à Paris, ce qui est nettement mieux que les quatre heures de trajet habituelles, il faut dire que l'heure et demie d'attente de correspondance à Nancy gomme un peu l'effet TGV. Je suis toutefois presque à l'heure au Théâtre Ouvert, cité Véron, où se tient la deuxième "Nuit remue.net". En fait ça débute juste au moment où j'arrive mais comme c'est une salle où l'on doit gagner sa place depuis le bord de la scène, au vu de tout le monde, je renonce à l'escalade des gradins par peur du gadin et décide de rester sagement en coulisses pour suivre les lectures et le film de Philippe Rahmy qui clôt la première partie. Je suis particulièrement sensible au tremblement qui agite les feuilles d'une lectrice, j'en ai déjà été victime, j'y retrouve ma propre appréhension qui m'a fait renoncer à ce genre d'exercice dans des circonstances pourtant nettement plus intimes. A la mi-temps, je converse un moment avec MS, notulienne (qui m'a reconnu à ma montre !), au sujet de nos connaissances communes et de nos vagabondages sur la Toile.

DIMANCHE.
Vie parisienne. Je métrotte jusqu'à la Trinité d'où j'entreprends un périple que je m'étais promis depuis longtemps d'effectuer dans le quartier de la Nouvelle Athènes : l'église de la Trinité avec les trois statues de Carpeaux, la façade Art Nouveau du Casino de Paris, les petits palais rue de la Tour-des-Dames et rue de La Rochefoucauld, la statue de Gavarni place Saint-Georges en lieu et place du bassin où le petit Paul Léautaud faisait flotter ses bateaux, l'église Notre-Dame-de-Lorette, une halte au PMU du bas de la rue des Martyrs pour quelques paris hasardeux, les platanes gigantesques du square Montholon, le square Saint-Vincent-de-Paul qui joue un rôle important dans Les Thibault et la gare de l'Est pour boucler la boucle et repartir par le 12 heures 12. Cette fois, l'effet TGV est nettement bénéfique car je suis at home pour l'heure du tiercé, un événement heureux avec les deux pires tocards aux deux premières places : du côté de la rue des Martyrs, on doit se dire qu'il n'y a de veine que pour la crapule de passage. Le reste de l'après-midi est consacré à la remise d'aplomb d'une armoire montée il y a quelques semaines et qui montrait des signes d'affaissement inquiétants. Le résultat n'est pas fameux, le risque d'effondrement n'a pas totalement disparu. Demain, c'est décidé, avec les gains des gailles, j'achète une nouvelle armoire et un monteur d'armoire incorporé.

TV. Dexter (série américaine de James Manos Jr. avec Michael C. Hall, Julie Benz, Jennifer Carpenter, Eric King, Lauren Vélez, James Remar; saison 1, épisodes 11 & 12 diffusés jeudi dernier sur Canal +).

LUNDI.
Scission familiale. Caroline et Lucie sont à Saint-Avold, je navigue entre le collège et le domicile pour assurer les trajets scolaires d'Alice.

Courrier. Arrivée du numéro 30 d'Histoires littéraires, ce qui autorise la mise en ligne de mes textes parus dans le numéro précédent, la chronique de l'actualité littéraire et un article sur Vincent Scotto disponibles ici : http://pdidion.free.fr/chroniques/chroniques_2007.htm

Lecture.
Birdman (Mo Hayder, 2000, Presses de la Cité, 2000 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Thierry Arson; rééd. Pocket, coll. Thriller n° 11197; 448 p., s.p.m.).
Plusieurs cadavres de prostituées sont découverts dans un chantier de la banlieue londonienne. C'est avec cette affaire que l'inspecteur Jack Caffery, récemment muté au Service régional des enquêtes sensibles, inaugure son nouveau poste.
Il y a dans le personnage de Jack Caffery beaucoup de ressemblances avec le Dexter de Jeff Lindsay, du moins tel que ce dernier apparaît dans la série télévisée de James Manos. Même traumatisme hérité de l'enfance, même incapacité à se lier de façon durable en amitié comme en amour, même tendance à se comporter en justicier. Dexter et Caffery évoluent également dans le même milieu, un service criminel de pointe où l'on travaille sur des outils scientifiques très élaborés pour mettre fin à des agissements criminels particulièrement horribles. La maison Pocket semble avoir beaucoup misé sur Mo Hayder, dont elle a également publié deux autres romans qui constituent la suite des aventures de l'inspecteur Caffery. C'est une bonne pioche, plus convaincante que la précédente, Harlan Coben, beaucoup plus stéréotypé dans ses intrigues et son écriture. Mo Hayder, elle, échappe à ces travers, évite le remplissage, la niaiserie sentimentale, la psychologie de fond de tiroir et la complaisance dans la description réaliste. On lui doit en outre une reconnaissance éternelle pour cette image de la page 264 : "Son costume pendait sur son corps décharné, et ses mains sortaient de ses manches comme les battants de cloches antiques."

TV. Cette femme-là (Guillaume Nicloux, France, 2003 avec Josiane Balasko, Eric Caravaca, Ange Rodot; diffusé ce mois sur Cinécinéma Premier).

MARDI.

TV. Transamerica (Duncan Tucker, E.-U., 2005 avec Felicity Huffman, Kevin Zegers, Fionnula Flanagan, Elizabeth Pena, Burt Young, Carrie Preston; diffusé ce mois sur Canal +).

Lecture. Mon libraire, sa vie, son oeuvre (Patrick Cloux, Le temps qu'il fait, 2007; 176 p., 15 €).
Chronique à rédiger pour Histoires littéraires.

MERCREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Chobizenesse (Jean Yanne, France, 1975 avec Jean Yanne, Robert Hirsch, Catherine Rouvel, Paul Le Person; diffusé lundi sur Paris Première).

JEUDI.
TV scolaire. La Guerre de Troie (La Guerra dit Troia, Giorgio Ferroni, Italie-France, 1961 avec Steve Reeves, Juliette Mayniel, John Drew Barrymore; diffusé sur Cinécinéma Classic en ?).

TV. Célibataires (Jean-Michel Verner, France, 2006 avec Guillaume Depardieu, Olivia Bonamy, Cartouche; diffusé en avril dernier sur Canal +).

VENDREDI.

TV. Mes amis (Michel Hazanavicius, France, 1999 avec Yvan Attal, Serge Hazanavicius, Karin Viard, Mathieu Demy, Lionel Abelanski, Léa Drucker; diffusé ce mois sur Cinécinéma Premier).

SAMEDI.

Vie de quartier.

La boucherie à côté de la pharmacie est fermée, vendue. Le boucher s'appelait Jacky. Il avait une tête de boucher, des habits de boucher, des moeurs de boucher : lever à quatre heures, casse-croûte à huit, deux ou trois steaks, une andouillette, un canon, peu de légumes verts, tiercé à dix heures avec le facteur. Il avait déjà fait l'objet d'une notule en août 2004 :

Je pars pour Paris par le 7 heures 40. C'est le boucher voisin qui me conduit à la gare. Ça ne le détourne pas trop, chaque matin, vers les sept heures, il va chercher près de la gare le pain qu'il vend dans sa boutique. Car le voisin boucher vend du pain, ce qui n'étonnera que ceux qui ignorent que le boulanger du quartier vend de la viande. J'achète mon pain chez le boucher, mais pas ma viande chez le boulanger. Pour la viande, je vais au marché d'où je rapporte souvent du poisson. Il faut tout de même acheter de temps en temps du pain chez le boulanger car la boulangère est cliente de la pharmacie, il ne faut pas négliger la pratique. Remarquez, le boucher est aussi client, mais plus rarement. Les bouchers sont réputés de constitution robuste et durs au mal, c'est le cas de notre voisin. Heureusement, il exerce un métier à risques et réussit à se couper de temps en temps. C'est alors que, passant du statut de voisin à celui de client, il franchit le seuil de l'officine, le tablier un peu plus taché que d'habitude, pour se faire confectionner une poupée en s'exclamant finement "C'était pourtant pas le jour du boudin !"

Le nouvel acquéreur est un marchand de sommeil qui va convertir boutique et dépendances en logements à louer. Plusieurs petits appartements, trois ou quatre, autant de loyers. Dès le lendemain de la vente, il a fait poser des grillages pour condamner la cour où les gamins jouaient au foot et où Jacky tenait ses lapins. Verboten. Le front qu'il faut pour être propriétaire, d'un endroit que l'on n'habite pas j'entends, pour demander des loyers à des gens, et puis pas seulement des loyers, des cautions, des garanties, des bulletins de salaire, pour oser annoncer à quelqu'un que son loyer augmentera de tant à partir du tant. Je sais bien que c'est comme ça que ça marche mais je ne pourrais jamais faire ça, je crois que j'aurais honte.

TV. On va s'aimer (Ivan Calbérac, France, 2006 avec Julien Boisselier, Alexandra Lamy, Gilles Lellouche, Mélanie Doutey, Patrick Chesnais, Claire Nebout, Anne Consigny; diffusé ce mois sur Canal +).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°312 - 8 juillet 2007

DIMANCHE.
TV. L'Invité surprise (Georges Lautner, France, 1989 avec Victor Lanoux, Eric Blanc, Jean Carmet, Michel Galabru; diffusé en juin dernier sur Cinécinéma Famiz).

LUNDI.
Lecture. Bangkok 8 (John Burdett, 2003; Presses de la Cité, coll. Sang d'encre, 2004 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Thierry Piélat; 422 p., 18,90 €).
L'inspecteur Sonchaï Jitpleecheep, du huitième district de Bangkok, assiste à la mort violente d'un marine américain. L'arme du crime est redoutable : un python et une multitude de cobras drogués. Les supérieurs de Sonchaï et les officiels de l'ambassade américaine ne semblent pas vouloir faire toute la lumière sur cette affaire.
John Burdett est un avocat d'affaires anglais qui semble avoir pas mal bourlingué en Asie, notamment à Hongkong et à Bangkok. On connaît ces auteurs pour qui la littérature est un passe-temps qu'ils exercent parfois avec talent. Mais Burdett dépasse largement ce statut de dilettante doué. Le soin qu'il apporte à la description du cadre géographique, politique et social fait de son polar un documentaire passionnant sur la Thaïlande. Son personnage conduit son enquête aux côtés d'un agent du FBI, un "farang" (occidental) donc, à qui il se doit d'expliquer que dans sa ville, les choses ne se passent pas tout à fait comme à New York ou à San Francisco. De plus, Burdett agrémente son récit d'extraits d'émissions de radio, d'articles de journaux, de recettes de cuisine qui racontent la vie quotidienne du pays. On était parti pour un polar exotique et on se retrouve éclairé sur la façon dont le bouddhisme peut s'accommoder de la vie moderne, sur le rôle de la prostitution dans l'économie thaïlandaise, sur les relations entre les Khmers, les Thaïs et les Laotiens, sur le muay thaï (sport de combat), sur un tas de choses qu'on n'était pas forcément venu chercher et que l'auteur parvient à rendre intéressantes. Sur le plan policier proprement dit, l'histoire de Sonchaï est peut-être ce que j'ai lu de plus proche de Chandler depuis très longtemps. Non que Sonchaï soit une resucée du Marlowe archétypal, le privé solitaire, séducteur, bagarreur et buveur, Sonchaï est un fonctionnaire modèle assez terne en apparence, mais parce que Bangkok vu par Burdett ressemble à Los Angeles vu par Chandler : une ville dominée par l'argent et la corruption où tout se joue en sous-sol, derrière des masques et des façades qui ne sont lisibles que par Marlowe ou Sonchaï. D'où, chez les deux auteurs, des enquêtes compliquées, pleines de rebonds inattendus, d'ellipses déroutantes, dans lesquelles on se perd sans que le plaisir de la lecture en soit diminué. Ce qui n'est pas une mince réussite.

Extrait. "J'ai essayé l'amour une fois. Pour de bon. On fait encore tellement de battage autour de ça que vous vous croyez obligé de tenter le coup, non ? Mais je crois qu'aux Etats-Unis on a largement dépassé ce stade. Dans la première étape de l'industrialisation, le mariage est encore fait pour durer toute la vie, comme dans les économies agricoles non développées. A l'étape suivante, les gens se marient en sachant qu'ils divorceront. Au stade d'après, on trouve des gens qui se marient pour pouvoir divorcer. Et puis, au XXIe siècle, l'amour n'est plus qu'une petite anomalie passagère sur votre chemin de carrière, quelque chose qui peut vous faire arriver en retard à votre travail pendant une semaine avant que vous en guérissiez. La triste vérité est qu'il est incompatible avec la liberté, l'argent et l'égalité."

Courrier. Je reçois une lettre du Centre Automatisé de Constatation des Infractions Routières basé à Rennes. Je suis coupable d'une infraction prévue et réprimée par l'article R.413-14 du code de la route : excès de vitesse inférieur à 20 km/h par conducteur de véhicule à moteur. J'ai été enregistré à 58 km/h mardi dernier dans une rue d'Epinal. C'est un baptême, ma première contravention. C'est d'abord un peu vexant. Je suis plutôt attentif à ce genre de chose et je me fais agonir plus souvent qu'à mon tour au volant pour cause de lenteur excessive. Mais c'est aussi très valorisant. C'est la première fois que je suis reconnu comme un véritable conducteur, dangereux de surcroît. Parce que je dois bien l'avouer, je ne sais pas conduire. Enfin, j'ai le permis, même écorné désormais, mais ça ne se voit pas vraiment. Je sais aller tout droit, me garer tout droit, sortir tout droit en marche arrière et repartir tout droit mais c'est à peu près tout, les manoeuvres, les créneaux, les dépassements, les subtilités, tout ça je n'ai jamais essayé. Je peux aller tout seul au PMU, au boulot, à Saint-Jean-du-Marché, à Jaligny (mon record longue distance) et c'est à peu près tout, pour le reste j'ai besoin d'un chauffeur ou, à défaut, d'un copilote. Et puis une amende en vingt-sept ans quand je pense aux états dans lesquels il m'est arrivé de conduire au temps de ma jeunesse folle, ce n'est vraiment pas cher payé...

TV. La Maison du bonheur (Dany Boon, France, 2006 avec Dany Boon, Michèle Laroque, Daniel Prévost; diffusé en juin dernier sur Canal +).
Outre de bons moments de rigolade, le film offre un personnage nommé Monsieur Perec interprété par Antoine Chappey.

MARDI.
Bricolage. Les vacances débutent par un nouveau démontage remontage d'armoire. Cette fois ça semble tenir à peu près debout. Il faut dire que c'est la première fois que les montants sont posés à l'endroit.

MERCREDI.
Lecture 1. De la nature des dieux, Livre II (Cicéron, 45 av. J.-C.; traduction par E. Bréhier revue par P. Aubenque, rubriques par E. Brehier, notice et notes par P. Aubenque in Les Stoïciens, Gallimard, 1962, Bibliothèque de la Pléiade n° 156; 1504 p., 52,90 €).
Après avoir, dans un premier livre, donné la parole à un épicurien, Cicéron s'efface ici derrière un stoïcien, Balbus, chargé de prouver l'existence des dieux, de préciser leur nature et de montrer le rôle que joue la Providence. Les preuves de l'existence des dieux sont données d'emblée sous forme de syllogismes ou d'évidences : "Que peut-il en effet y avoir d'aussi manifeste, d'aussi évident, quand nous regardons le ciel et contemplons les choses célestes, que l'existence d'un pouvoir divin doué d'une intelligence supérieure, qui les gouverne." La suite du livre se présente comme une sorte de condensé d'histoire naturelle (les planètes, les parties du monde, les végétaux, les animaux, l'homme...) marquée par le géocentrisme et l'anthropocentrisme selon laquelle il apparaît que la Providence, d'essence forcément divine, a placé toutes les pièces du puzzle dans le bon ordre : "Le nez aussi doit être en haut, puisque l'odeur va toujours en montant; et puisqu'il a surtout à juger de la nourriture et de la boisson, il a été placé non sans raison dans le voisinage de la bouche. [...] Et de même que dans les maisons les architectes écartent de la vue et du nez les objets qui provoqueraient nécessairement le dégoût par leur approche, de même la nature a relégué loin de nos sens les choses de ce genre."

Lecture 2. Les Têtes de Turc (Du Lérot éditeur, coll. "En marge", 2004; 176 p., 20 €).
Septième Colloque des Invalides, 28 novembre 2003, textes réunis par Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens.
On peut voir dans ce colloque une bonne préparation à celui qui s'est déroulé, sous les mêmes auspices, en 2006 et consacré aux querelles et invectives, autant de manifestations dont les Têtes de Turc sont souvent amenées à être l'objet ou la cible. On trouve dans les différentes communications les auteurs qu'on était en droit d'attendre, les uns comme attaquants, les autres comme attaqués : Léon Bloy contre Emile Zola, Jules Lemaître contre Georges Ohnet, Baudelaire contre Narcisse Anselle, son conseil juridique, Nietzsche contre Wagner, Breton contre Cocteau, Alphonse Allais contre Francisque Sarcey. La Tête de Turc peut aussi être une collectivité : les Belges, Newfies, Irlandais et Ecossais des blagues ethniques, les Allemands dépeints par Edgar Bérillon dans une série d'écrits publiés dans les Bulletins et mémoires de la Société de médecine de Paris au début de la Grande Guerre. Les notules se sont déjà fait l'écho de ce Bérillon lorsque parut le numéro 34 des CALIS (Cahiers du Laboratoire d'Inventions Scientifiques) dans lequel Hervé Moritz reproduisait le texte de sa "Polychésie de la race allemande", un véritable monument sur la monomanie défécatoire à lire avec une pince à linge sur le nez que je peux encore envoyer en fichier Word à qui le souhaite. En dehors des cas particuliers, les participants ont aussi longuement débattu pour donner une définition acceptable de la Tête de Turc dans une série d'interventions et de discussions qui constituent la partie la plus passionnante de ce recueil. C'est Vincent Kaufman qui lance le débat en donnant sa propre interprétation : "quelqu'un envers qui on éprouve une haine non seulement irraisonnée, mais presque ridicule, incongrue, d'autant plus injustifiée qu'on ne prend la plupart du temps même pas la peine de la justifier." Il y a dans l'attaque dont la Tête de Turc fait l'objet une dimension ludique (rappelons qu'il s'agit à l'origine d'un jeu de foire, un dynamomètre qui permettait de mesurer sa force en frappant sur une tête coiffée d'un turban) et une dimension pathologique (l'acharnement). Il convient aussi de distinguer la Tête de Turc du persécuté (Salman Rushdie), du bouc émissaire, du rival, de la victime expiatoire par des traits qui lui sont propres : le consentement tacite (la Tête de Turc ne répond pas), le ridicule, la persistance (la Tête de Turc, comme à la fête foraine, revient toujours en place après les coups). Les auteurs contemporains qui se rapprocheraient le plus de cet état seraient Houellebecq, Bernard-Henri Lévy et Philippe Sollers, dont la présence active au colloque semble prouver que le turcocéphalisme n'affecte en rien la santé.

TV. Les mauvais joueurs (Frédéric Balekdjian, France, 20004 avec Pascal Elbé, Simon Abkarian; diffusé ce mois sur Cinécinéma Premier).

JEUDI.
TV. Travaux, on sait quand ça commence... (Brigitte Roüan, France, 2004 avec Carole Bouquet, Jean-Pierre Castaldi, Marcial Di Fonzo Bo; diffusé ce mois sur Cinécinéma Premier).

VENDREDI.
TV.
Walk the Line (James Mangold, E.-U., 2005 avec Joaquin Phoenix, Reese Witherspoon; diffusé en juin dernier sur Canal +).

SAMEDI.
Vie informatique. Je ne le découvre qu'aujourd'hui et par hasard : la liste d'informations sur Georges Perec, en carafe depuis des mois, a été remplacée par un forum de discussion. Apparemment, si j'en crois les noms qui y figurent déjà, on n'attendait plus que moi, mais je donne tout de même le lien s'il reste des amateurs : http://www.associationperec.org/forum/.

TV. Le Cinéma de papa (Claude Berri, France, 1970 avec Yves Robert, Hénia Ziv, Claude Berri, Alain Cohen; diffusé ce mois sur Cinécinéma Star).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°313 - 15 juillet 2007

DIMANCHE.
Lecture. L'Apprentissage (Raphaël Majan, P.O.L., 2004; 208 p., 12 €).
"Une contre-enquête du commissaire Liberty"
Le commissaire Wallance, dit Liberty, a une obsession, ne pas laisser un crime impuni, une méthode pour la satisfaire, mettre le plus vite possible un coupable en prison (et tant pis si ce n'est pas l'assassin), et une devise qui rassemble ces deux données : "Plutôt cent innocents en prison qu'un crime impuni". Ayant ainsi campé son personnage, Raphaël Majan fait le récit de deux ou trois affaires rondement menées par Wallance qui illustrent sa méthode expéditive avant de passer à l'étape suivante, la transformation de l'enquêteur en criminel, un changement de statut qui, bien évidemment, ne peut s'accompagner de la recherche d'un vrai coupable. C'est assez ingénieux, raconté de façon plaisante avec quelques mots savoureux ("De la routine, encore de la routine, toujours de la routine, dit-il, Danton du quotidien"), la dimension pathologique du personnage rappelle un peu L'homme encerclé de Michèle Rozenfarb, mais ça semble aller bien au-delà du petit polar bien ficelé pour les éditions P.O.L. qui ont fait de Raphaël Majan une véritable locomotive : la série Liberty Wallance compte aujourd'hui une douzaine d'épisodes.
Curiosité. Liberty est aussi obsédé par la pureté de la langue : "s'il y a des crimes qu'il ne supporte toujours pas, ce sont bien ceux commis contre le dictionnaire de l'Académie, il prend chaque faute de grammaire et chaque mot déformé comme une grossièreté, une insulte personnelle". On souhaite à Raphaël Majan de ne jamais tomber entre les pattes de son commissaire : une phrase comme "vous n'effectuez aucuns travaux" (p. 34) et les "quelques enfant" de la page 156 pourraient lui valoir de passer un sale quart d'heure.

TV. Good Night, and Good Luck. (George Clooney, E.-U., 2005 avec David Strathairn, Robert Downey Jr., George Clooney, Jeff Daniels, Patricia Clarkson; diffusé ce mois sur Canal +).

LUNDI.
Vie informatique. J'ai un peu exagéré en disant dans le dernier numéro que tout le monde était déjà sur le forum Perec. En fait, si j'en crois mes statistiques, des 390 inscrits sur la liste de discussion au 31 mars 2007, on est passé à 65, ce qui en laisse tout de même un bon nombre dans la nature. J'ai plaisir à constater qu'il y en a deux de plus depuis hier, suite au lien donné dans les notules.

Courriel.
Une demande d'abonnement aux notules. J'expédie quelques exemplaires du fichier Bérillon.

Vie gastronomique. La météo de ce début juillet est un désastre pour le jardinier : les salades pourrissent sur pied, les haricots refusent de sortir de terre, les tomates, déjà gagnées par le mildiou, ne mûriront jamais. Inutile de rêver d'orgies d'aubergines ou de régime crétois, rabattons-nous plus simplement sur des valeurs régionales autrement roboratives : à midi, c'est choucroute, demain c'est potée.

TV. Topaze (Louis Gasnier, France, 1932 avec Louis Jouvet, Edwige Feuillère, Marcel Vallée; diffusé ce mois sur Cinécinéma Classics).

MARDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules, émanant d'un spécialiste de l'art brouettique.

TV. Le Voyage en Arménie (Robert Guédiguian, France, 2006 avec Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Simon Abkarian, Serge Avedikian; diffusé en juin dernier sur Canal +).

MERCREDI.

Vie touristique. Le temps étant toujours aussi maussade, il est urgent d'aller voir si l'autre côté des Vosges est aussi arrosé que le nôtre. L'idée n'est pas mauvaise : nous passons la journée à Colmar sous un ciel ma foi presque clément. Pendant que les filles vont magasiner, je retourne au musée Unterlinden voir le retable d'Issenheim. Cette fois, ce n'est pas une bonne idée. J'aurais dû rester sur l'impression de ma première visite, décembre 2001, la chapelle déserte, le froid sibérien, le silence, ingrédients qui convenaient parfaitement à la découverte saisissante de la Crucifixion de Grünewald. Aujourd'hui, ça ne marche pas, il fait trop doux, il y a trop de bruit, trop de monde, un plein autocar d'Allemands casqués (l'audioguide est gratuit, c'est d'ailleurs à partir du moment où j'ai refusé d'en prendre un que la préposée a commencé à me couver d'un oeil soupçonneux, hep monsieur, ouvrez votre sac, et vos poches qu'est-ce qu'il y a dedans, on a fini par avoir des mots, c'est incroyable, à chaque fois que je viens en Alsace je finis par m'attraper avec quelqu'un, je ne sais pas à quoi ça tient, ça doit venir de moi, mais en tout cas ça marche à tout coup), les Allemands casqués donc, je pense à Bérillon et je m'enfuis en regrettant l'entorse faite à la règle que je m'efforce de suivre depuis un moment : ne jamais revenir dans un endroit dont on garde un bon souvenir, de peur de détruire celui-ci. Je décide alors de procéder à un épuisement capillaire complet de la ville pour mon Invent'Hair, histoire d'être sûr de ne pas avoir à y remettre les pieds. J'arpente, j'use mes semelles mais pas en vain. A la fin de l'après-midi, j'ai mis en boîte un Ac'Tif, un Sympa'Tifs, un Avant Premi'Hair (car situé près du cinéma), un Schongau'Hair (car situé rue Schongauer, je suis sûr que c'est un unicum) et un Hair Show (salon climatisé). Mais le Révolution'Hair de la rue Saint-Joseph est trop loin, il faudra revenir.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules qui porte le nombre de notuliens à 200.

JEUDI.
Vie politique. Nicolas Sarkozy est à Epinal. On peut vraiment à partir d'aujourd'hui parler de sa volonté d'occuper le terrain, et tout le terrain.

TV. L'autre côté de la mer (Dominique Cabrera, France, 1997 avec Claude Brasseur, Roschdy Zem, Catherine Hiegel, Marthe Villalonga; diffusé ce mois sur Cinécinéma Premier).

VENDREDI.
Climat politique. L'omniprésence signalée hier se double aujourd'hui d'omnipotence : depuis que Sarkozy est passé, il fait beau. Incroyable. Ce type est incontestablement très fort. D'ailleurs, si j'avais su, je me serais mêlé à la foule venue l'accueillir place des Vosges, j'aurais tenu Lucie à bout de bras, il aurait mis la main sur son front et elle aurait été guérie, j'en suis sûr, après tout, ses lointains prédécesseurs faisaient bien disparaître les écrouelles, ce n'est pas un petit diabète de rien du tout qui pouvait l'impressionner. Tant pis, il est reparti et nous a laissé le beau temps alors autant en profiter avant qu'il ne s'enfuie : aujourd'hui, c'est toit ouvrant, charbon de bois, crème solaire, tube de l'été, parasol, pétanque, bob Ricard, piscine, bermuda, repas en terrasse, glaçons, Tour de France, cartes postales, feu d'artifice, on ne sait pas de quoi demain sera fait.

SAMEDI.
Lecture. Les Arpenteurs du monde (Die Vermessung der Welt, Daniel Kehlmann; Rowohlt Verlag GmbH, Reinbeck/Hambourg, 2005, Actes Sud, 2006 pour la traduction française, traduit de l'allemand par Juliette Aubert; 304 p., 21 €).
Les personnages historiques sont souvent conviés dans les fictions contemporaines : Nisard chez Chevillard, Villon et d'autres poètes chez Jean Teulé, Fragonard chez je ne sais plus qui, Rousseau et son frère chez Stéphane Audeguy... Je pense à Stéphane Audeguy à propos de ces Arpenteurs, mais plutôt à son premier roman, La Théorie des nuages, qui présentait, comme celui-ci, des scientifiques de la même époque, fin XVIIIe début XIXe. Les héros de Daniel Kehlmann ne sont pas n'importe qui : Carl Friedrich Gauss, mathématicien, et Alexander von Humboldt, naturaliste et explorateur, deux des esprits les plus remarquables de l'époque. Deux amoureux de la science aux méthodes opposées : Humboldt, qui passe sa vie à tout mesurer, ne jure que par l'observation, la constatation, Gauss par l'abstraction, le calcul : "Un homme seul à son bureau. Une feuille de papier devant lui, à la rigueur une lunette astronomique et, devant la fenêtre, un ciel dégagé. Un homme qui n'abandonnait pas avant d'avoir compris. Ça, c'était peut-être de la science." Un peu avant, de l'autre côté du Rhin, Buffon et Réaumur se crêpaient eux aussi la perruque sur le même sujet ou à peu près, la méthode à suivre pour aborder l'histoire naturelle. Le récit du parcours de Gauss et Humboldt se fait en alternance, un chapitre pour l'un, un chapitre pour l'autre, jusqu'à ce que les deux hommes se rencontrent à Berlin. Cette entrevue au sommet, qui devrait être le point d'orgue du livre, en constitue paradoxalement la partie la plus faible, celle où l'auteur tourne en rond, ne sait pas comment se défaire de ses personnages. L'ironie (avec usage intensif du style indirect libre, l'auteur a eu de bons maîtres) fait merveille dans tout ce qui précède, avec un avantage pour les aventures savoureuses de Humboldt et leur côté picaresque. On ne jugera pas ici de la vérité scientifique ou biographique de l'ouvrage mais le succès que rencontre Kehlmann en Allemagne et dans les nombreux pays où il est traduit apparaît comme mérité.

TV.
Beur blanc rouge (Mahmoud Zemmouri, France/Algérie, 2006 avec Yasmine Belmadi, Kerim Belkhadra, Julien Courbey; diffusé en juin dernier sur Canal +).

Bon dimanche.