Notules dominicales 2007
 
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Notules dominicales de culture domestique n°322 - 7 octobre 2007

DIMANCHE.
TV. Rugby. France - Géorgie 64 - 7 (en direct sur TF1).

Transport sanitaire. Nous partons à la découverte de Bourbonne-les-Bains, où ma mère doit suivre une cure pour ses bronches. Mon père a décidé de l'accompagner. Il lui faut du calme, l'endroit ne semble pas en manquer.

LUNDI.
TV. J'invente rien (Michel Leclerc, France, 2006 avec Kad Merad, Elsa Zylberstein, Claude Brasseur, Patrick Chesnais; diffusé en septembre dernier sur Canal +).

MARDI.
TV. Mangeclous (Moshé Mizrahi, France, 1988 avec Pierre Richard, Charles Aznavour, Jean-Luc Bideau, Bernard Blier, Jean Carmet, Jacques Dufilho, Jacques Villeret; diffusé le mois dernier sur Cinécinéma Famiz).

MERCREDI.
Vie hospitalière. Rendez-vous à l'hôpital de Saint-Avold pour Lucie cet après-midi. Félicitons-nous tout d'abord du fait que, par la grâce de ses dix ans, elle puisse désormais occuper le siège passager de l'auto, ce qui me permet de roupiller tout mon soûl à l'arrière pendant le voyage aller. Nous arrivons en avance, ce qui autorise une petite déambulation au coeur de la ville. Le temps est printanier, propice à une station en terrasse. Le Queen's Café et son architecture typiquement britannique feront l'affaire. C'est bien simple, on se croirait en vacances. Mais le docteur K a tôt fait de siffler la fin de la récré. Les résultats ne sont pas bons, hémoglobine glyquée à 8,1, hyperglycémies à répétition en fin de journée, amplitude des fluctuations glycémiques trop forte, mauvaise proportion entre le débit de base de la pompe et les bolus administrés, je sais, je sais, tout cela est bien compliqué. Nous repartons avec une nouvelle feuille de route, une nouvelle politique thérapeutique à mettre en place et la nette impression que les vacances sont finies pour de bon cette fois. Le saviez-vous ? Jules Verne est mort du diabète.

JEUDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Marc Cherry, 2007 avec Eva Longoria, Teri Hatcher, Felicity Huffman, Marcia Cross; saison 3, épisodes 10 & 11 diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
Piscine. La dame du vestiaire lit Témoignage de Nicolas Sarkozy.

TV. Vol de nuit (émission littéraire de Patrick Poivre d'Arvor diffusée lundi sur TF1).

SAMEDI.
TV. Rugby. France - Nouvelle-Zélande 20 - 18 (en direct sur TF1). Avec, en prime, la perspective réjouissante de se frotter aux Anglais samedi prochain.

Lecture. Paris, musée du XXIe siècle. Le dixième arrondissement (Thomas Clerc, Gallimard, coll. L'arbalète, 2007; 264 p., 18,50 €).
Chronique à rédiger pour La Liberté de l'Est.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°323 - 14octobre 2007

DIMANCHE.
Courriel. Réception d'un message de Bernard Magné susceptible d'éveiller l'intérêt de la mouvance pereco-notulienne :
"Malgré la création par notre ami P.B. d'un forum perecquien, la circulation de l'information dans notre petit milieu de perecophiles reste difficile. Au moment où l'activité de notre séminaire va reprendre, sous une nouvelle forme, j'ai pris l'initiative de créer sur Google un nouveau groupe perecquien susceptible de pallier cette difficulté. Bien entendu, il ne s'agit pas d'un quelconque groupe dissident, mais bien d'un moyen technique pour que nous puissions tous rester à nouveau en contact facilement et échanger des informations, comme nous le faisions avant que l'ancienne liste "canal historique" soit obligée de changer d'hébergeur.
Description du groupe : Réunion des amateurs de l'oeuvre de l'écrivain français Georges Perec.
Informations relatives à Google Groupes. Vous pouvez accepter cette invitation en cliquant sur l'URL suivante : ici."

TV. The Kovak Box (Daniel Monzon, G.-B./Espagne, 2006 avec Timothy Hutton, Lucia Jimenez, David Kelly; diffusé en août dernier sur Canal +).

LUNDI.
TV. 13, rue Madeleine (13 Rue Madeleine, Henry Hathaway, E.-U., 1947 avec James Cagney, Annabella, Richard Conte; diffusé ce mois sur Cinécinéma Classic).
L'adresse est celle (réelle ?) du siège de la Gestapo du Havre.

MARDI.
Vie littéraire. Je rédige ma chronique sur le livre de Thomas Clerc. Citation (du livre, pas de la chronique) : "Au 264 [de la rue du Faubourg Saint-Martin], je souris à Créa-tifs, calembour fréquent chez les coiffeurs (j'en connais au moins trois variantes, Epi-thète, Infini-Tif, Tif'fany)." Si tu avais, Thomas, simplement tourné la tête et jeté un oeil sur le numéro 255, tu aurais vu qu'il en existe déjà plus que trois variantes...


(photo de Pierre Cohen Hadria)

Lecture. Les Caractères ou Les Moeurs de ce siècle (Jean de La Bruyère, huitième édition, Michallet,1694; rééd. Gallimard, bibliothèque de la Pléiade n° 23, 1951; édition établie et annotée par Julien Benda, 740 p., 38,50 €).
On garde de La Bruyère les souvenirs scolaires, les peintures de Gnathon le glouton, Acis le précieux, Arias qui connaît tout, Ménalque le distrait, et c'est comme ça qu'on prend Les Caractères pour une galerie de portraits caricaturaux destinés à moquer les travers humains. Ce n'est qu'en découvrant l'oeuvre dans son entier qu'on s'aperçoit qu'il s'agit d'une idée fausse, incomplète en tout cas, et qu'on a en réalité affaire à un traité de philosophie morale et politique qui étudie la société sous ses aspects principaux comme l'indiquent les titres de chapitres : De la Ville, De la Cour, De l'Homme, Des Femmes, De la Mode et ainsi de suite. Le comique des portrait célèbres est bien rare, La Bruyère n'a pas grand-chose d'un fantaisiste. A un point tel que la lecture devient vite chose ardue, la langue employée, soigneusement polie au fil des huit éditions qui parurent du vivant de l'auteur, étant très exigeante et parfois difficile à saisir dans toutes ses nuances. On peut quand même louer le choix des pédagogues, le portrait de Ménalque dans son entier (on n'en connaît en général que la première partie) est tout de même un morceau de bravoure digne de Chaplin. Pour le reste, le chapitre le plus intéressant est celui qui ouvre le volume, consacré aux ouvrages de l'esprit. La Bruyère y parle du métier de l'écrivain, de la critique, de la lecture, du goût du public dans des termes qui sont toujours valables aujourd'hui ("C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule : il faut plus que de l'esprit pour être auteur"). Les considérations sur la Cour, les dévots et les moeurs du temps sont beaucoup moins accessibles, nécessitent des connaissances historiques qui ne sont pas l'apanage de chacun. La lecture complète apprend que c'est un ouvrage qui réclame davantage le glanage que l'exploration méthodique. On remplit son panier petit à petit :
"Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent."
"Certains poètes sont sujets, dans le dramatique, à de longues suites de vers pompeux qui semblent forts, élevés, et remplis de grands sentiments. Le peuple écoute avidement, les yeux élevés et la bouche ouverte, croit que cela lui plaît, et à mesure qu'il y comprend moins, l'admire davantage; il n'a pas le temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d'applaudir."
"Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent que l'expression qu'il cherchait depuis longtemps sans la connaître, et qu'il a enfin trouvée, est celle qui était la plus simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter d'abord et sans effort." Une phrase que n'aurait pas reniée Léautaud, dont on connaît le goût pour les auteurs de ce siècle-là et qui a maintes fois tenu le même discours dans des termes presque semblables.
"La gloire ou le mérite de certains hommes est de bien écrire; et de quelques autres, c'est de n'écrire point." (Des Ouvrages de l'esprit)
"Le sage quelquefois évite le monde, de peur d'être ennuyé." (De la Société et de la Conversation)
"La modestie n'est point, ou est confondue avec une chose toute différente de soi, si on la prend pour un sentiment intérieur qui avilit l'homme à ses propres yeux, et qui est une vertu surnaturelle qu'on appelle humilité. L'homme, de sa nature, pense hautement et superbement de lui-même, et ne pense ainsi que de lui-même : la modestie ne tend qu'à faire que personne n'en souffre; elle est une vertu du dehors, qui règle ses yeux, sa démarche, ses paroles, son ton de voix, et qui le fait agir extérieurement avec les autres comme s'il n'était pas vrai qu'il les compte pour rien."
"L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus dans la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racine; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé." (De l'Homme)
"Il ne faut pas vingt années accomplies pour voir changer les hommes d'opinion sur les choses les plus sérieuses comme sur celles qui leur ont paru les plus sûres et les plus vraies." (Des Jugements)
"Un dévot est celui qui sous un roi athée, serait athée." (De la Mode)
"Il s'est trouvé des filles qui avaient de la vertu, de la santé, de la ferveur et une bonne vocation; mais qui n'étaient pas assez riches pour faire dans une bonne abbaye voeu de pauvreté." (De Quelques Usages)
"La religion est vraie, ou elle est fausse : si elle n'est qu'une vaine fiction, voilà, si l'on veut, soixante années perdues pour l'homme de bien, pour le chartreux ou le solitaire : ils ne courent pas un autre risque. Mais si elle est fondée sur la vérité même, c'est alors un épouvantable malheur pour l'homme vicieux : l'idée seule des maux qu'il se prépare me trouble l'imagination; la pensée est trop faible pour les concevoir, et les paroles trop vaines pour les exprimer. Certes, en supposant même dans le monde moins de certitude qu'il ne s'en trouve en effet sur la vérité de la religion, il n'y a point pour l'homme un meilleur parti que la vertu." (Des Esprits forts) La Bruyère n'est pas loin ici du pari de Pascal, qui est de peu son aîné.
Les notes de Julien Benda donnent bien sûr les clés des personnages que La Bruyère a cachés sous des noms d'emprunt et qui sont pour la plupart inconnus des non-spécialistes. On remarquera que l'intérêt de Benda pour La Bruyère ne le conduit pas à l'admiration béate : "La pauvreté de toute cette argumentation est confondante" (p. 715); "Il faut bien reconnaître que la faiblesse de raisonnement chez les gens de lettres n'a pas toujours attendu le romantisme" (p. 717) et autres compliments viennent donner un peu d'agrément à ces notes austères.

MERCREDI.
Les invasions barbantes. La maison est investie par les condisciples de Lucie, venues célébrer son anniversaire avec un peu de retard et beaucoup d'énergie. Comment voulez-vous regarder tranquillement Equidia dans des conditions pareilles ?

TV. Esprits libres (émission fourre-tout de Guillaume Durand, diffusée vendredi dernier sur France 2).
Une heure de discussion entre Guillaume Durand et Patrick Modiano, ça vaut le détour sur le plan de la rhétorique. Mais ça ne m'empêche pas de trouver l'écrivain toujours touchant et sincère.

JEUDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Marc Cherry, 2007 avec Eva Longoria, Teri Hatcher, Felicity Huffman, Marcia Cross; saison 3, épisodes 12 & 13 diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
Insolite. Un chamois égaré dans le jardin. A quand un ours polaire dans la Moselle ?

TV. La Couleur du crime (Freedomland, Joe Roth, E.-U., 2006 avec Julianne Moore, Samuel L. Jackson, Edie Falco, Ron Eldard; diffusé sur Canal + en août dernier).

SAMEDI.
Football. SA Epinal - Racing Club Strasbourg (B) 1 - 2.

Courriel.
Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Rugby. France - Angleterre 9 - 14 (en direct sur TF1).
C'est bien dommage pour les joueurs, et pour les joueurs seulement. Pour le reste, c'est plutôt un soulagement dans la mesure où l'on a pu voir pendant la semaine ce qui nous attendait en cas de victoire française, la cocarde obligatoire, la mainmise de TF1 qui, Dieu merci, a raté son OPA sur le Tournoi des Six Nations, et la récupération politique que Bernard Laporte avait tenté d'anticiper dès avant le premier match avec le succès que l'on sait. La transformation du rugby en football bis ayant tourné court, on va pouvoir désormais revenir au véritable rugby international qui n'est autre que l'occasion d'aller échanger pendant les froids samedis d'hiver quelques ramponneaux et liqueurs diverses avec des insulaires rosâtres et anglophones dont les sourires édentés à la fin des matches ont longtemps assuré la promotion de leur système de santé. J'excipe ici pour une fois d'un semblant d'autorité glanée d'une part sur les travées de l'Arms Park (Cardiff), du stade Michelin (Clermont-Ferrand) et du Parc des Princes (Paris), et d'autre part sur les pelouses pelées des quelques stades de rugby d'Alsace-Lorraine que j'ai eu l'imprudence de fouler il y a bien longtemps sous les couleurs du Rugby Athlétique Epinal - Golbey, le mot drôle dans l'histoire étant l'adjectif athlétique pour ceux qui connaissent ma carrure.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°324 - 21 octobre 2007

DIMANCHE.
Vie thermale. Visite à mes parents, à Bourbonne-les-Bains. Le saviez-vous ? Maurice Constantin-Weyer, Prix Goncourt 1928 pour Un homme se penche sur son passé, est né à Bourbonne. C'est marqué sur sa maison.

Lecture. J'ai déjà donné... (A.D.G., Le Dilettante, 2007; 288 p., 19,50 €).
On croyait avoir dit adieu à A.D.G. en 2003 avec Kangouroad Movie, son polar australien qui prouvait que l'auteur avait encore du ressort. Mort un an plus tard, A.D.G. avait encore un roman dans ses tiroirs, proposé aujourd'hui par Le Dilettante. C'est sans doute le point final qu'il souhaitait donner à son oeuvre puisqu'il mettait en scène une dernière fois les personnages qui l'avaient accompagné depuis ses débuts, le journaliste Machin et l'avocat Pascal Delcroix, dans une histoire qui se partage entre ses deux pôles géographiques, la Touraine et la Nouvelle-Calédonie. On croit pendant un temps, celui des deux ou trois premiers chapitres, retrouver la verve qui faisait le charme des Série Noire qu'A.D.G. alignait dans les années 80, La Nuit des grands chiens malades, Berry Story, Je suis un roman noir et autres. Mais bien vite l'intrigue (une histoire presque autoréférente de manuscrit retrouvé, c'est semble-t-il le lot des romans posthumes, voir le 53 jours de Perec) s'essouffle et perd tout intérêt, les notations politiques (A.D.G. n'a jamais été un gauchiste acharné) prennent un goût rance, le calembour patine et le mélange des registres, qui fonctionnait si bien dans les premiers romans, n'amuse plus. J'ai déjà donné... offre l'image d'un auteur aigri qui ne parvient pas à se détacher de ses personnages dépassés et de ses idées un peu faisandées. Le pire, c'est qu'il s'en était rendu compte et qu'il n'avait pas publié ce récit qui ne méritait pas d'être repêché. La fin de carrière d'A.D.G. donne une impression de gâchis, de talent mal ou pas employé. C'est à la Série Noire qu'on a manqué de flair. Ce qu'il fallait faire avec A.D.G., c'était l'enfermer dans un bureau avec la tâche de retraduire les cinq cents premiers titres de la collection, trop souvent confiés à des tâcherons sans talent. Il aurait dépoussiéré l'argot pâteux qui sévit dans ces premiers titres, il aurait gagné des sous et il n'aurait pas éprouvé le besoin d'écrire des âneries dans Minute.
Curiosité. La relecture du Dilettante laisse un peu à désirer : "Je frissonnai dans le blouson de cuir que m'avait prêté mon camarade" (p. 138); "Machin, dit-il en lorgnant la grosse veste de laine canadienne à carreaux qu'il m'avait prêtée" (p. 142).

TV. Love, etc. (Marion Vernoux, France, 1996 avec Yvan Attal, Charles Berling, Charlotte Gainsbourg; diffusé ce mois sur Cinécinéma Emotion).

LUNDI.
TV. Je vais bien, ne t'en fais pas (Philippe Lioret, France, 2006 avec Mélanie Laurent, Kad Merad, Julien Boisselier, Isabelle Renauld, Aïssa Maïga; diffusé ce mois sur Canal +).

MARDI.
Lecture. Voyage au centre de la Terre (Jules Verne, Bibliothèque d'Éducation et de Récréation J. Hetzel et Cie, 1864; rééd. Presses de la Cité, coll. Omnibus, vol. "Les romans du feu", 2002, édition présentée et commentée par Claude Aziza; 950 p., 22,20 €).
Jules Verne, la lecture d'enfance, les livres à lire à plat ventre sur son lit, Nemo, la progéniture du capitaine Grant, Fogg et Passe-Partout, vingt mille lieues en quatre-vingts jours, je n'ai pas connu. Jules Verne, pour moi, ce fut une série de rendez-vous manqués. Il reste bien le souvenir de Robur le conquérant entamé sans conviction chez ma grand-mère à Paris, celui d'un volume disparu rassemblant sous une jaquette bleu turquoise les deux romans lunaires, sans doute un cadeau, jamais ouvert perdu depuis, et puis une tentative vers Les Tribulations d'un Chinois en Chine mais ça ne ressemblait vraiment pas au film avec Belmondo. Depuis rideau, un rideau d'au moins trente ans jusqu'à cette lecture née des aléas scolaires. Avec à la clé cet immense soulagement : Jules Verne, ça marche encore. Sans aller jusqu'à affirmer avec Raymond Roussel qu'il est "monstrueux de le faire lire à des enfants", force est de constater qu'il est tout aussi délectable au lecteur adulte. Il faut dire que Voyage au centre de la Terre est un des premiers titres de la série des "Voyages extraordinaires", que c'est le roman d'un homme encore jeune, trente-six ans, et qu'il ne souffre peut-être pas de la masse de considérations techniques et scientifiques qui, dans mon esprit, allaient alourdir les volumes à venir. En fait il y a bien ici des notations savantes mais elles ne sont pas indigestes, elles sont de plus forcément limitées dans la mesure où Jules Verne parle d'un monde souterrain totalement inconnu, les explorations d'Édouard-Alfred Martel, l'inventeur de la spéléologie moderne, ne devant venir qu'un peu plus tard. Un autre préjugé concernant les romans de Jules Verne a trait à la longueur et à la fréquence des descriptions. Là aussi, c'est une fausse idée, du moins pour ce volume. Les passages descriptifs sont pure poésie, un enchantement de lecture qui ajoute au plaisir de suivre une aventure vraiment palpitante. Le roman est assez court, nerveux, toujours en mouvement et ne laisse pas un instant de répit. Il est raconté par le jeune Axel, neveu d'un professeur intrépide qui l'entraîne dans une aventure à laquelle il ne veut pas vraiment participer. Jules Verne inverse ici intelligemment le schéma habituel des romans de jeunesse, c'est l'adulte qui est téméraire et l'enfant pantouflard. Le roman raconte aussi, c'est son côté formateur qui correspondait à la vision de l'éditeur Hetzel, l'évolution de ce dernier, son éveil au courage et à l'intérêt scientifique.
Curiosité. J'apprends, dans le dernier chapitre, que les habitants de Stromboli s'appellent les Stromboliotes. C'est pour moi une grande nouvelle, comme le devinent ceux qui se souviennent de cette notule d'octobre 2004 : "TV. Football : Chypre - France (0 - 2). La présence des Chypriotes me remet en mémoire la grande affection que j'entretiens pour le suffixe "ote" qui, ajouté à un nom de lieu, en désigne les habitants. Le match n'étant guère passionnant, je pars à la recherche de la liste de ces lieux que j'avais commencé à établir. Elle n'est pas très longue, puisque, outre les Chypriotes susmentionnés, elle ne comprend que les habitants de Smyrne (Smyrnotes), du Caire (Cairotes), Istanbul (Stambouliotes), Skopje (Skopjotes), Sofia (Sofiotes), Andros (Andriotes). Je n'ai jamais trouvé d'où venaient Judas Iscariote et Simon le Zélote. Mais j'ai connu une grande félicité lorsque j'ai découvert dans le Larousse illustré de 1905 que les habitants de Chio ("île de l'archipel ottoman") étaient les Chiotes. L'article précise même qu'au Moyen Âge, "Arabes, Turcs et Européens s'en sont constamment disputé la domination". Ce qui me permet d'affirmer, renouant avec un humour de cour de récréation que je n'ai jamais totalement renié, que les Chiotes ont été souvent occupés."

TV. The Mortal Storm (Frank Borzage, E.-U., 1940 avec Margaret Sullavan, James Stewart, Robert Young, Frank Morgan; diffusé ce mois sur TCM).

MERCREDI.
Vie publique. Je reçois une journaliste qui veut, malgré les réticences dont je lui fais part (il y a sans doute un tas de gens plus ferrés que moi sur le sujet), m'interviewer sur la Colombière. Finalement, on parle surtout d'autre chose, de mes notules et de mes chantiers. Ceux-ci étant, par nature et par choix, interminables, je parle toujours des mêmes, ce qui va bien finir un jour par lasser les lecteurs de la presse locale.

TV. Indigènes (Rachid Bouchareb, France, 2006 avec Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem, Sami Bouajila, Bernard Blancan; diffusé en septembre dernier sur Canal +).

JEUDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Marc Cherry, 2007 avec Eva Longoria, Teri Hatcher, Felicity Huffman, Marcia Cross; saison 3, épisodes 14 & 15 diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
TV. Félix et Lola (Patrice Leconte, France, 2001 avec Philippe Torreton, Charlotte Gainsbourg, Alain Bashung; diffusé ce mois sur Cinécinéma Emotion).

SAMEDI.
Lecture. Le Disparu de Marburg (Il Disperso di Marburg, Nuto Revelli, Einaudi, Turin, 1994; Payot & Rivages, 2006 pour la traduction française, traduit de l'italien par Olivier Favier; 174 p., 17 €).
C'est, je crois, ce qu'on appelle la micro-histoire : l'étude d'un cas particulier, d'un individu ayant participé à un fait historique sans forcément le marquer de son empreinte. Nuto Revelli, spécialiste de l'histoire orale en Italie, a entendu parler dans sa région du Piémont de la "légende du cavalier solitaire". En 1944, dans les environs de Cuneo, un officier de l'armée allemande avait pris l'habitude de quitter chaque matin sa caserne pour une promenade à cheval au cours de laquelle on dit qu'il s'arrêtait pour discuter avec les habitants et cajoler les enfants. Cet officier fut tué par une bande de partisans au cours d'une de ces sorties pacifiques. Nuto Revelli décide de tout faire pour découvrir qui était ce mystérieux officier. Il interroge les témoins de l'époque, noue des contacts avec des chercheurs allemands qui vont fouiller pour lui des monceaux d'archives à la recherche du cavalier sans nom. Son livre raconte sept années d'enquête par le biais des témoignages recueillis, des correspondances entretenues avec les archives allemandes et de ses propres réflexions sur son cheminement. Revelli espère en fait trouver un "bon" Allemand, un seul, celui qui permettrait de racheter tout un peuple. Le découvrir lui permettrait de donner un sens à son parcours personnel : fasciste zélé, Revelli participa à un corps expéditionnaire adjoint aux troupes allemandes en route pour Stalingrad. Il connut le front russe, la retraite, croisa des Juifs déportés, fut témoin des brutalités nazies, une expérience qui devait le mener à rejoindre la Résistance italienne : "J'étais convaincu que cet Allemand avait vécu une expérience au moins aussi dramatique que la mienne et je m'étais identifié à lui". La quête de Nuto Revelli aboutira, il retrouvera le nom de l'officier allemand mais n'aura jamais la certitude qu'il s'agissait d'un "bon". Comme le lui écrit un de ses correspondants, cet homme était "lui aussi un rouage de la machine de guerre allemande au service des nazis. Celle-là même qui a fait naître ce conflit déchaîné et l'a porté ensuite dans l'Europe tout entière."

TV. La Tourneuse de pages (Denis Dercourt, France, 2006 avec Catherine Frot, Déborah François, Pascal Greggory, Clotilde Mollet, Jacques Bonnaffé; diffusé en septembre dernier sur Canal +).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°325 - 28 octobre 2007

DIMANCHE.
TV. Deux hommes dans Manhattan (Jean-Pierre Melville, France, 1958 avec Jean-Pierre Melville, Pierre Grasset, Christiane Eudes, Ginger Hall, Glenda Leigh; diffusé ce mois sur Cinécinéma Classic).

LUNDI.
Vie épistolaire. Les professeurs de lycée sont requis pour lire la lettre de Guy Môquet le petit doigt sur la couture du pantalon. Par solidarité, je lis les Lettres de mon moulin les mains dans les poches.

Courrier. Arrivée d'un disque de Benny Goodman contenant la version recherchée de "On the Alamo".

TV. Les Aiguilles rouges (Jean-François Davy, France, 2006 avec Jules Sitruk, Damien Jouillerot, Jonathan Demurger, Pierre Derenne; diffusé en juillet dernier sur Canal +).

MARDI.
TV. Bob le flambeur (Jean-Pierre Melville, France, 1955 avec Roger Duchesne, Daniel Cauchy, Isabelle Corey, Simone Paris, Guy Decomble, Howard Vernon; diffusé dimanche dernier sur 13e Rue).

MERCREDI.

Presse. Parution de mon portrait dans La Liberté de l'Est avec un large extrait de la notule "Quarante ans de Colombière". J'aime beaucoup le titre, "Philippe Didion, l'infra-ordinaire", qui me met à ma juste place parmi les "moins-que-rien, fils aînés de personne..." de Jacques Roubaud.

Bougies. Alice a sept ans.

TV. Président (Lionel Delplanque, France, 2006 avec Albert Dupontel, Jérémie Renier, Mélanie Doutey; diffusé en septembre dernier sur Canal +).

JEUDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Marc Cherry, 2007 avec Eva Longoria, Teri Hatcher, Felicity Huffman, Marcia Cross; saison 3, épisodes 16 & 17 diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
TV scolaire. L'Affaire Dreyfus (téléfilm, Yves Boisset, France/Allemagne, 1994 avec Thierry Frémont, Philippe Volter, Laura Morante, Pierre Arditi, Helmut Berger; diffusé sur Direct 8 en janvier dernier).

Piscine. La dame du vestiaire lit Le Voile de la peur de Samia Shariff.

Lecture. Biscotti à Sarasota (Vengeance, Stuart Kaminsky, 1999; Alvik éditions, 2005 pour la traduction française; rééd. Payot & Rivages, 2007, coll. Rivages/Noir n° 642; traduit de l'américain par Jean-Noël Chatain; 352 p., 9  €).
C'est la quatrième phase de la carrière de Kaminsky, connu principalement pour la première, celle qui mettait en scène le privé Toby Peters dans des histoires ayant pour cadre le Hollywood des années quarante. Les démêlés de Peters avec Al Capone, son amitié avec Errol Flynn, ses enquêtes pour Howard Hughes, Judy Garland et les frères Marx donnèrent lieu à de délicieux polars érudits, drôles et passionnants qui firent les beaux jours de la Série Noire. Stuart Kaminsky rencontra moins de succès avec ses séries suivantes, l'une consacrée à un policier russe dont j'ai oublié le nom (je crois que c'était au Masque) et l'autre à un policier de Chicago, Lieberman (pas lu). On le retrouve ici en grande forme avec un nouveau personnage, Lew Fonesca, un huissier de justice qui joue aussi au détective privé à Saratoga, Floride. Le premier volet de cette série arrive aux éditions Rivages (qui publient aussi une nouvelle aventure de Toby Peters, il n'est pas toujours facile à suivre, le sieur Kaminsky) après un détour par les éditions Alvik, qui continuent à éditer, apparemment, les titres suivants (décidément, il n'est vraiment pas facile à suivre). Bon, l'essentiel n'est pas là. L'essentiel, c'est qu'on retrouve ici le Kaminsky des débuts, celui qui sait si bien planter un décor par la multiplication des détails et des touches de réel : chansons, marques de dentifrice, émissions de radio, publicités, il est aussi à l'aise et complet dans la Floride contemporaine que dans la Californie d'antan. Le personnage de Lew Fonesca est une sorte de Toby Peters du XXIe siècle, un être simple, marqué par la vie, obstiné et terriblement attachant. L'enquête qu'il mène ici a beau ne pas tenir toutes ses promesses, on n'en tiendra pas rigueur à l'auteur : après une longue parenthèse, on est prêt à repartir avec lui.

SAMEDI.
TV. Football. F.C. Metz - A.S. Nancy-Lorraine 0 - 0 (en direct sur Canal +).

Le Boucher (Claude Chabrol, France, 1970 avec Jean Yanne, Stéphane Audran; diffusé ce mois sur Cinécinéma Classic).

Lecture. Philosopher ou l'art de clouer le bec aux femmes (Frédéric Pagès, Mille et Une Nuits n° 515, 2006; 80 p., 2,50 €).
"Ce texte est la version développée et actualisée d'un exposé prononcé le 2 février 2006 dans le cadre du salon Botul, sous le titre : Le botulisme expliqué aux dames."
Tout démarre d'une réflexion de Jean-Baptiste Botul que Pagès date de la fin des années 1920 : "Où sont les femmes ? Où sont les femmes philosophes ? Où sont les femmes aux idées pleines de charme ? Où sont les femmes, les femmes ?" Simone Weil, Simone de Beauvoir, Hannah Arendt : voilà les trois noms qui reviennent lorsque l'on parle de femmes philosophes. "Trois noms concentrés sur un seul siècle, ce n'est pas beaucoup !" remarque Pagès, qui part de ce constat pour fouiller rapidement l'histoire de la philosophie et en rapporter les preuves de présence féminine, de l'hétaïre antique à la salonnarde de l'époque récente. Il met à mal la distinction paresseuse et tenace (on la trouve encore chez Michel Onfray) habituellement établie entre l'homme tenant de la vérité et de l'universel, et la femme placée du côté du bonheur, de la consolation et du particulier. C'est un aspect du livre. L'autre concerne Botul, dont l'étude continue de passionner un cercle de chercheurs malgré la difficulté de la tâche (rappelons que Botul fut un philosophe oral, qu'il n'a produit aucun écrit). Frédéric Pagès est au centre de ce cercle et c'est à lui que revient l'honneur de mettre au jour les dernières connaissances sur la vie de Botul : sa présence sous les traits du garçon de café dans L'Être et le Néant de Sartre, sa fréquentation du salon et de la chambre d'Émilienne de Queylard, son invention du sky writing en 1939 et sa confidence à Paul Claudel : "Je suis bisexuel, c'est-à-dire que je fais l'amour deux fois par an."

Bon dimanche.