Notules
dominicales de culture domestique n°382 - 6 janvier 2009
DIMANCHE.
Lecture. Sartoris (William
Faulkner, Harcourt & Brace, 1929; Gallimard, 1937 pour la première
traduction française, rééd. in Oeuvres romanesques
I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 269,
1977; traduit de l'américain par René-Noël Raimbault
et Henri Delgove, traduction revue par Michel Gresset, notice, notes et
variantes de Michel Gresset; 1620 p., 57,50 €).
Ce qu'on savait de Faulkner avant de l'aborder : le Sud, Oxford, Mississipi,
la création d'un territoire fictif au nom imprononçable,
genre Saskatchewan en plus compliqué, le Nobel, Sartre, l'admiration
de Pierre Bergounioux, l'alcool, un passage à Hollywood, les traductions
de Maurice-Edgar Coindreau auteur du coup de génie consistant à
rendre As I Lay Dying par Tandis que j'agonise, et, pour
le physique, une tête à moustache grisonnante, quelque chose
entre Noël-Noël et Gaston Dominici en plus émacié.
Ce que l'on sait maintenant après la lecture du livre, de la notice
de la Pléiade et de quelques pages de la biographie d'André
Bleikasten : Sartoris, qui apparaît en première position
dans le volume, est en fait le troisième roman de Faulkner mais
celui qui pose les bases de son oeuvre, en présentant une thématique,
une localisation et des personnages qui réapparaîtront dans
les titres à venir, plus connus. L'histoire se déroule dans
le cadre attendu, dans les années 1919-1920, et concerne les membres
de la famille Sartoris qui, outre le fait qu'ils semblent tous se prénommer
John ou Bayard, ont tous en commun un désir de mort qu'ils réussissent
à assouvir à plus ou moins long terme. L'ombre des guerres
plane sur la famille, la Guerre de Sécession pour l'ancêtre
disparu, la Première Guerre Mondiale pour ses petits-fils, l'un
mort au combat, l'autre faisant tout pour le rejoindre dans l'au-delà
en menant une vie pleine de dangers. Ce n'est pas très limpide,
pas toujours facile à suivre. Il faut dire que pour arriver à
faire publier son texte, Faulkner a multiplié les coupures d'un
premier état intitulé Etendards dans la poussière
(Flags in the Dust). On sent qu'on est en présence d'un
continent littéraire qui ne fait ici que dévoiler des contours
assez vagues mais dont l'exploration minutieuse vaudra le détour.
Avant de s'y plonger plus avant, on peut déjà remarquer
ce que les auteurs américains doivent à Faulkner, notamment
les auteurs de polars, sur le plan technique : ouvertures de chapitres
dans lesquelles le pronom personnel est systématiquement employé
avant le nom du personnage, ce qui laisse le lecteur dans une incertitude
plus ou moins longue, l'accent porté sur l'action plutôt
que sur ce qui la motive, les préoccupations métaphysiques
accordées aux personnages les plus humbles. Un type comme Dave
Robicheaux pourrait très bien passer sans difficulté d'un
polar de James Lee Burke à un roman de Faulkner et les Sartoris
pourraient habiter chez Chandler ou chez Hammett. Enfin, mais on se trompe
peut-être, on croit deviner d'où pourrait venir le goût
de Bergounioux pour Faulkner à la lecture de certaines phrases
dont il a dû apprécier, au point de les mettre lui-même
en pratique, la sinuosité et la rigueur de construction : "Puis
ils étaient partis, lui et son frère, exilés par
la guerre comme deux chiens bruyants qu'on enferme au loin dans un chenil.
Miss Jenny lui donnait de leurs nouvelles d'après les lettres insipides
qu'ils se croyaient obligés d'envoyer chez eux à de rares
intervalles. Et puis il était mort - mais loin, au-delà
des mers, et il n'y avait pas eu de corps que l'on dût prosaïquement
restituer à la terre; aussi, pour elle, il semblait continuer à
rire de ce mot comme il avait ri de tous ceux que prononcent les lèvres
pour signifier le repos, lui qui n'avait pas attendu que le Temps et son
train lui enseignent que le suprême degré de la sagesse est
d'avoir des rêves assez élevés pour ne pas les perdre
de vue pendant qu'on les poursuit."
Itinéraire patriotique départemental.
A la découverte du monument aux morts de Circourt.
LUNDI.
Vie sanitaire. C'est le volet touristique
de ces vacances, l'expédition à l'hôpital de Saint-Avold
pour le rendez-vous trimestriel de Lucie. Les résultats sont moins
bons qu'en septembre, hémoglobine glycquée à 8,2
peut-être n'aurait-il pas fallu la laisser regarder Charlie et
la chocolaterie hier soir à la télévision. Au-delà
de ça, j'ai de plus en plus de mal à supporter le ton inquisitorial
de l'infirmière qui, en examinant sur son ordinateur les données
fournies par la pompe à insuline, nous cuisine sans aménité
: "La pompe a été déconnectée samedi
à deux reprises pourquoi ?", "Pourquoi les bolus ont-ils
été fractionnés à telle et telle date ?",
"Pourquoi le débit de base de nuit a-t-il été
modifié ?" et ainsi de suite. Parce qu'en cette période
il y a des repas plus longs que d'autres, parce qu'on ne prend pas une
douche avec une pompe à insuline, parce que cette nuit encore à
deux heures du matin, Lucie culminait à plus de quatre grammes,
parce qu'on fait ce qu'on peut et puis c'est tout, non mais.
Lecture. Laissez bronzer les cadavres
(Jean-Pierre Bastid & Jean-Patrick Manchette, première édition
Gallimard, coll. Série Noire n° 1394, 1971; rééd.
in Jean-Patrick Manchette "Romans noirs", Gallimard, coll. Quarto,
2005, 1344 p., 29,50 €).
Relecture.
Jugement rétrospectif de Manchette dans une interview au Monde
(1974) : "Eh bien , je dois dire que nous sommes arrivés
à remplir 240 pages avec pour toute matière, à partir
de la page 40, des gens qui rampent dans la pierraille et se canardent.
Sur le plan du travail, c'était passionnant et hilarant."
Passionnante aussi la redécouverte de cette première apparition
de l'auteur dans la Série Noire dont il entend respecter à
la lettre le cahier des charges de l'époque avec un seul mot d'ordre
: "Action !". C'est un exercice de style, certes, mais aux mains
d'excellents stylistes qui ne laissent pas un instant de répit
aux protagonistes de ce règlement de comptes ayant pour cadre un
village abandonné des Cévennes. Manchette fait ses gammes
en virtuose et laisse apparaître par moments l'ironie froide avec
laquelle il peindra la société de consommation des années
70 dans ses romans à venir. C'est un polar qui ressemble à
ces westerns de Série B avec Randolph Scott ou Joel McCrea, une
oeuvre dans laquelle il ne manque pas grand-chose au savoir-faire pour
se transformer en réel talent.
Curiosité. "Je t'ai pas donné du feu, fit Rhino qui
allait se détourner. Il sortit son Dupont en or à ses initiales.
H.R. pour Henri Noblet, d'où Rhino."
MARDI.
Ivresse des cimes. H., de passage
pour la croûte de midi, nous relate son périple au Népal.
Je riposte en lui racontant notre excursion de dimanche dernier à
la Croix de Virine (altitude 465 mètres).
MERCREDI.
Presse. Je lis le dernier numéro
de La Liberté de l'Est qui sera remplacée, dès
ce vendredi, par un nouveau quotidien, Vosges Matin, fruit de la
fusion de ladite Liberté et de l'édition vosgienne
de L'Est Républicain. Difficile pour moi d'imaginer un monde
sans Liberté dont j'ai dû manquer à peu près
autant de numéros que de matches du SAS à la Colombière.
J'espère que Gérard Noël conservera, dans ce nouveau
titre, la page littéraire mensuelle dans laquelle il a eu à
plusieurs reprises l'amabilité d'accueillir mes chroniques.
Lecture. Histoires littéraires
n° 28 (octobre-novembre-décembre 2006, Histoires littéraires
et Du Lérot éditeurs; 312 p., 20 €).
Revue trimestrielle consacrée à la littérature française
des XIXe et XXe siècles.
Le numéro met à l'honneur des figures connues (Jarry, Dumas)
et méconnues (l'éditeur belge Vital Puissant, René
Dalize, ami d'Apollinaire) sans oublier celles qui naviguent entre les
deux (Marcel Schwob). Dalize, on ne le connaissait que par ces vers de
Zone, "Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes
camarades René Dalize / Vous n’aimez rien tant que les pompes de
l’Église". On apprend ici ce que recouvre cette camaraderie,
une correspondance entretenue au hasard des affectations pendant la Grande
Guerre et leur collaboration à des revues de Poilus comme le Tranchman'
Echo et Les Imberbes. L'entretien met à l'honneur le bibliophile
Thierry Bodin qui se révèle plutôt pessimiste sur
l'avenir des collections privées : "Avant, les grands collectionneurs,
[...] c'étaient des notables de province, des médecins,
des pharmaciens, des notaires, bref des gens qui avaient fait leurs humanités,
qui savaient lire le latin et le grec, qui connaissaient la littérature
et pouvaient réciter des tragédies de Racine entières
ou des poèmes de Victor Hugo. Or, à l'heure actuelle, beaucoup
de ceux qui les ont remplacés ne lisent pas un seul livre dans
l'année et passent leurs loisirs à jouer au golf ou à
partir en vacances aux Seychelles ou aux Maldives. Autrefois, et j'en
ai connu, c'étaient des gens qui se constituaient des bibliothèques
extraordinaires, et qui étaient aussi des érudits parfois
remarquables. Il y en a encore, mais ce sont un peu les derniers représentants,
et je crains qu'il n'y ait pas de relève." A transmettre aux
médecins, pharmaciens et notaires de votre connaissance.
JEUDI.
Bilan annuel 2008.
* 85 livres lus (- 1 par rapport à 2007)
* 189 films vus (+ 37)
* 243 abonnés aux notules version électronique (sans oublier
les irréductibles abonnés papier de l'Aveyron) (+ 39)
* 30.167 visites sur le site des notules (+ 6.008)
En ce qui concerne les chantiers littéraires :
* 3.696 Souvenirs quotidiens notés (+ 366, le compte est
bon)
* 322 volumes étudiés dans L'Atlas de la Série
Noire (+ 45)
* 106 communes visitées (+ 27) de Ableuvenettes (Les) à
Circourt dans le cadre de L'Itinéraire patriotique départemental
* 125 photos de Bars clos commentées (+ 28)
* 368 entrées dans la Petite géographie de l'incipit
(+ 12)
* 514 Bribes oniriques recueillies (+ 42)
* 657 tableaux commentés dans la Mémoire louvrière
(+ 68)
* 194 publicités murales peintes photographiées (+ 33)
* 280 numéros de téléphone récoltés
dans des films en vue d'un travail à venir (+ 78)
* 260 photographies de salons de coiffure pour l'Invent'Hair (+
99)
* 77 frontons d'école photographiés pour l'Aperçu
d'épigraphie républicaine (+ 19)
* 31 Lieux où j'ai dormi retrouvés ou ajoutés
et photographiés (+ 3)
* 29 numéros de Diasporama envoyés à 35 abonnés.
Parutions :
* Bulletin de l'Association Georges Perec n° 51, 52 & 53
* Articles dans la page "Livres en liberté" de La
Liberté de l'Est.
* Notes de lecture et Chroniques de l'actualité littéraire
dans la revue Histoires littéraires n° 32-33-34-35.
* Reproduction de notules littéraires sur le site http://www.lecture-ecriture.com/
* Notules dominicales de culture domestique, morceaux choisis (2001-2007)
chez publie.net
Remarques :
* Deux chantiers ont été abandonnés, sans trop de
regrets.
* Deux autres sont désormais partie prenante des notules à
la page du samedi, Itinéraire patriotique alphabétique
départemental et Invent'Hair. En parallèle ont
disparu toutes les notules concernant la télévision, un
changement remarqué et regretté par certains. Je mesure
d'autant mieux la difficulté qu'il y a à contenter la foule
notulienne qu'elle n'a d'égale que celle que j'ai à me contenter
moi-même dans mes multiples livraisons. On fait ce qu'on peut.
Sans oublier l'homme de l'année 2008 :
le déménageur
VENDREDI.
Courriel. Une demande de désabonnement
suite à l'appel annuel envoyé il y a deux jours, rempart
bienvenu contre l'autosatisfaction qui pourrait me guetter suite aux nombreux
messages amicaux reçus entre-temps. Les satisfaits mènent
encore 242 à 1.
SAMEDI.
Carnet. A la radio ce matin, il est
question de la naissance de la fille de Mme Dati et de la mort de Laurence
Pernoud. Je n'ai jamais lu Laurence Pernoud. En revanche j'ai beaucoup
lu Donald Westlake dont Le Figaro du jour annonce la disparition. Et un
peu Georges Belmont dont l'avis de décès figure dans le
carnet du Monde, auteur d'intéressants Souvenirs d'outre-monde
et surtout plume de Céleste Albaret pour Monsieur Proust.
Westlake après Tony Hillerman, ça dégomme sec chez
Rivages en ce moment.
IPAD. 2 janvier 2000. 200 km (1967
km).
175 habitants
Nous sommes
repassés par Attignéville pour refaire des photos. Bien
que nous commencions à connaître cette route par coeur, la
tempête de dimanche dernier a permis d'éviter l'ennui. Beaucoup
d'arbres coupés ou arrachés, la plupart des mirabelliers
du Xaintois, des bâches bleues sur les toits, des tas de tuiles
sur les trottoirs, les vestiaires jouxtant un terrain de foot littéralement
soufflés. Une partie du toit de l'église, près de
laquelle se dresse le monument, est d'ailleurs bâchée. Le
Poilu qui surmonte la stèle est on ne peut plus martial. Il faut
grimper six marches devant lesquelles se trouvent des jardinières
vides pour atteindre une esplanade plantée d'arbres sillonnés
par des guirlandes électriques. La stèle, signée
E. Perrin à Pouxeux, est au milieu d'un carré orné
de rosiers taillés, entouré de chaînes reliant des
plots de ciment, elles-mêmes entourées d'une grille basse.
La gerbe du 11 novembre achève de pourrir.
Aux
enfants d'Autigny-la-Tour
Morts pour la France
Sur un côté
:
ADAM
Bernard
BOUCHERON Jules
CHANE Albert
FLOQUET Roger
GALANT Fernand
LAVIRON Albert
LHUILLIER Eugène
LAVIRON Emile
Sur l'autre
côté :
MICHEL
Maurice
NOEL Albert
NOEL Alfred
POINSOT Roger
QUINOT Alphonse
QUINOT Maurice
THIEBAUT Alfred
THIERY Pierre
INDOCHINE 1948 CHRETIEN Henri
L'Invent'Hair
perd ses poils.
Ploemeur (Morbihan), photo de Ronan Céron, 4 août 2005
Bonne année.
Notules
dominicales de culture domestique n°383 - 11 janvier 2009
DIMANCHE.
Presse. Le Monde annonce à
son tour la naissance du bébé Dati et précise : "La
ministre avait annoncé sa grossesse en septembre 2008 et refusé
de dévoiler l'identité du père de l'enfant. Elle
n'a prévu qu'une petite semaine de congé maternité."
Une semaine, c'est plus proche du congé paternité que du
congé maternité. A partir de ce constat, il n'y a plus de
question à se poser sur l'identité du père, c'est
elle.
Itinéraire patriotique départemental.
Enregistrement du monument aux morts de Circourt-sur-Mouzon où
j'ai bien failli me faire enfermer dans l'église.
Lecture. Léo Ferré
poète et rebelle (Jean-Eric Perrin, éditions Alphée-Jean-Paul
Bertrand, 2008; 256 p., 19,90 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
Comme je suis un chroniqueur consciencieux, j'ai exhumé ce matin
tous mes microsillons de Léo Ferré et procédé
à une écoute systématique, en partant de l'époque
Saint-Germain-des-Prés jusqu'à la période déclamatoire
en passant par les échappées rock avec le groupe Zoo. Ecoute
systématique mais pas exhaustive : à un moment donné,
ce devait être "Le Chien", sur Amour Anarchie
qui passait, j'ai senti une sorte de tension dans mon entourage, un je
ne sais quoi qui, bien qu'informulé, convoyait un message très
clair signifiant que si je devais persister dans cet exercice jusqu'à
la consommation de cette journée, mon avenir au sein de ce havre
familial pourrait s'en trouver méchamment borné et que s'il
advenait que l'on me priât de ficher le camp d'ici, je pourrais
décamper avec mes disques de Léo Ferré sous le bras
sans que personne ne s'en trouvât privé.
LUNDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Ma voisine (elle n'a pas volontiers consenti à devenir ma voisine,
etc.) lit 100 mots à sauver de Bernard Pivot. A vue de nez,
elle en est au quatre-vingt-quinzième.
MERCREDI.
Emplettes. Histoire de me mettre au
diapason avec la température extérieure, j'achète
Le roman des pôles, recueil des récits polaires de
Nansen, Amundsen et Charcot paru chez Omnibus.
Parthénogenèse. "Rachida
Dati participe au conseil des ministres cinq jours après son accouchement"
(les radios). On ignore toujours l'identité de la mère.
Lecture. Le Fourgue (The
Pusher, Ed McBain, 1956; première édition française
Gallimard, Série Noire n° 383, 1956, rééd. in
87e District 1, Omnibus, 1999; traduit de l'américain par Henri
Robillot; 976 p., 145 F).
Ce n'est que le troisième épisode de la saga du 87e District
et déjà, tout est en place : la ville d'Isola avec ses quartiers
plus ou moins chauds, le commissariat du 87e, les inspecteurs (Carella,
Meyer Meyer, Kling...), les intrigues multiples (à régime
réduit, il n'y en a que deux ici), les dialogues nerveux sans incises
ni digressions, les interruptions dans l'aspect procédural pour
donner un éclairage sur les techniques de la police ou sur les
caractéristiques du milieu criminel, la peinture sociale qui oppose
la violence du milieu à l'humanité des enquêteurs
et des humbles et qui laisse parfois affleurer des accents moralisateurs.
Ça ne bougera plus et il reste à Ed McBain plus de cinquante
romans à écrire sur le même moule. Ah si, une chose
tout de même n'est pas en place, un personnage plutôt, Carella.
Il n'a pas encore acquis le rôle central qui sera le sien par la
suite, le véritable héros de l'histoire est ici son supérieur,
le lieutenant Byrnes qui a fort à faire avec la mort d'un dealer
dans laquelle son fils semble bien être impliqué. Carella,
lui, récolte bêtement trois pruneaux et finit à l'hôpital.
Dans une première version, il succombait même à ses
blessures et ce n'est que sur l'insistance de son éditeur qu'Ed
McBain changea la fin de l'histoire pour le faire survivre. On connaît
la suite.
JEUDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Foundation's Edge d'Isaac Asimov en version originale. Si j'en
crois le n° 380 des notules, le jeune homme que j'observe était
déjà plongé dans ce bouquin le 18 décembre
dernier. Et il n'en est encore qu'à la moitié.
VENDREDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Charles Melman, L'Homme sans gravité (Folio Essais) et Patrick
Denaud, Le Programme Okinawa, les secrets de la longévité
(Pocket) pour une lectrice dont l'âge apparent explique son intérêt
pour le sujet.
Courriel. Deux demandes d'abonnement
aux notules.
Lecture. Le Grognard n°
8 (décembre 2008, éditions du Petit Pavé, 34 p.,
7 €).
"Littérature, idées, philosophie, critique et débats"
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
IPAD. 2 janvier 2000. 200 km (1967
km) suite.
108 habitants
C'est un
village rue sur la nationale qui relie Neufchâteau à Nancy.
Près de l'église, une statue de Jeanne d'Arc que je prends
dans un premier temps pour le monument. En fait, celui-ci se trouve à
la sortie du village, près du cimetière, quasiment dans
le fossé qui borde la route. Il y a une vieille stèle qui
surplombe un mur en demi-cercle, sur lequel sont fixées trois plaques
sombres. L'ensemble est récent.
Autreville à ses morts des deux guerres
Plaque de
gauche :
AUBRY
Berthe
AUBRY Mathilde
BOULE Jean
DIDIER Paul
MAY Jean
Victimes des bombardements de juin 1940
LEBLANC Bernard
tué accidentellement en 1944
Plaque
centrale :
BERNARD
Léon BIGEON Lucien
LAGNY Georges LIEBAULT Marcel
LEBAULT Charles LOËFFLER Charles
LOUVIOT Louis LOUVIOT Pierre
MANGEL Ernest MARCHAL Georges
ROLIN Edmond
Tombés au cours de la Grande Guerre 1914-1918
Plaque
de droite :
COLOMBE
Max
COLOMBE Pierre
DEMOISSON Edmond
GAILLET Germain
HENRY Gabriel
RISSER André
Fusillés le 27 août 1944
La
raison de cet emplacement bizarre se trouve sur la vieille stèle
qui reprend les mêmes noms que ceux de la plaque de droite (mais
suivis de l'âge des victimes), surmontés de la mention :
Ici
sont tombés
Lâchement fusillés
Par les Allemands
L'Invent'Hair
perd ses poils.
Rubrique curiosités exotiques
Togo, photo de Ronan Céron, 16 octobre 2005
Bon
dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°384 - 18 janvier 2009
DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental.
Je pars à la découverte du monument aux morts
de Claudon. Sur la pointe des pneus : le fait d'être devenu un conducteur
du dimanche ne m'a pas empêché d'être surpris par l'oeil
électronique des pandores à 56 km à l'heure la semaine
dernière dans la traversée de Valleroy-le-Sec. Pareille
mésaventure m'était déjà arrivée il
y a dix-huit mois à l'entrée d'Epinal, à 58 km/heure.
Je progresse. Je progresse mais je ne ressens pas la même satisfaction
que la première fois à l'annonce du retrait d'un point sur
mon permis de conduire. Ma première infraction m'avait en effet
fait découvrir que le permis était doté de douze
points, alors que j'avais toujours cru qu'il n'en comportait que six.
Le retrait d'un de ces points m'avait donc fait, paradoxalement, en gagner
cinq, ça payait l'amende. Pareil miracle ne se produit qu'une fois
malheureusement.
LUNDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Voyage au pays du coton d'Erik Orsenna en poche. Je me souviens
que ce voyage se termine dans une usine des Vosges.
Lecture. Scribulations n°
1 (éditions La Malodière, 2008; 204 p., 10 €).
Cette nouvelle revue est l'aboutissement sur papier d'une expérience
menée sur Internet, un atelier d'écriture en ligne qui regroupe
des auteurs, certains déjà publiés, d'autres non,
réunis autour d'une idée, d'un thème, d'une contrainte.
Comme pour tout ce qui concerne les ateliers d'écriture, il y a
les thèmes de départ et il y a les réalisations des
auteurs qui, parfois, réussissent à sublimer quelque chose
de banal ou à rater, avec la même aisance, quelque chose
qui semblait prometteur. Parmi les contraintes proposées, ce sont
les plus serrées qui sont les plus stimulantes et qui donnent des
résultats appréciables. On trouvera par exemple ici une
cinquantaine de haïkus composés sur le thème de la
maïzena beaucoup plus légers et variés que le produit
auquel ils sont consacrés. L'alternance de formes courtes (les
"maïzenhaïkus" donc, mais aussi les calembours à
morale, sur le modèle de ceux que Georges Perec a rassemblés
dans ses Voeux) et de textes plus développés (récits,
nouvelles, préfaces) donne un ensemble varié et plutôt
agréable. La revue gagnerait peut-être à soumettre
des contraintes plus dures, ce qui ne devrait pas effrayer ses contributeurs
qui semblent à l'aise sur tous les sujets et qui possèdent,
j'admire, une chose dont je suis totalement dépourvu, l'imagination.
Dernier atout : le ton de l'ensemble est dénué de toute
prétention, ce qui n'est pas le cas de toutes les revues.
MARDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Cigale en Chine de Paul d'Ivoi, dans un vieux J'ai Lu.
Qui se doutait qu'il existait encore des lecteurs de Paul d'Ivoi ?
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
MERCREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
JEUDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Le Cycle du Graal, édition et tome non identifiés.
Courriel. Deux demandes d'abonnement
aux notules.
Lecture. Alfred Hitchcock présente
100 nouvelles histoires extraordinaires (Collectif, Presses de la
Cité, 1994; 1260 p., 145 F).
Histoires à faire froid dans le dos (Having a Wonderful
Crime)
16 nouvelles policières rassemblées ici, idéalement
calibrées pour un trajet ferroviaire Épinal - Châtel-Nomexy
(ou retour). Mis à part Ed McBain (sous le pseudonyme d'Evan Hunter),
on n'y trouve pas de vedettes, à peine quelques auteurs publiés
dans la Série Noire, au Masque ou dans la collection Un mystère
(Jonathan Craig, Edward D. Hoch, John Lutz...). La plupart sont des obscurs,
mais des obscurs prolifiques qui ont alimenté les magazines spécialisés,
Alfred Hitchcock's Mystery Magazine, Ellery Queen Mystery Magazine,
Le Saint Detective Magazine et d'autres pendant des années.
Dans ce genre d'exercice, tout réside habituellement dans la chute,
un art que maîtrise particulièrement bien Donald Honig dans
ce qui constitue le bijou de la collection, "Dans la chambre vide".
Certains explorent des territoires un peu différents, on note une
échappée vers le fantastique, un mystère en chambre
close mais on remarque surtout leur attirance pour les drames domestiques
: chez Hitchcock, il s'agit, le plus souvent, d'éliminer un mari
ou, mieux encore, une épouse par trop encombrants...
VENDREDI.
Courriel. Deux demandes d'abonnement
aux notules. L'année commence sur un rythme effréné,
c'est le moins qu'on puisse dire.
SAMEDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Code Rousseau poids lourd (édition 2008).
Lecture. Sur le zinc. Au café
avec les écrivains (Collectif, Gallimard, coll. Folio n°
4781; 128 p., 2 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
A propos de cette revue, j'apprends par un article de Jean-Jacques Lefrère
dans La Quinzaine littéraire qu'un numéro spécial
sera consacré à François Caradec, qui en fut un des
fondateurs. Nul doute que ce sera une belle chose, l'homme le méritait.
Le Correspondancier du Collège de 'Pataphysique. Viridis Candela,
8e série, n° 3 (15 mars 2008, 128 p., 15 €).
Le dossier du trimestre est consacré aux horoscopes, donc, je l'avoue,
peu passionnant pour ma pomme. En revanche, j'ai découvert avec
intérêt le portrait de William Archibald Spooner (1844-1930)
dont l'élocution hasardeuse mise en oeuvre au long de sa carrière
au New College d'Oxford lui valut de passer à la postérité
en donnant naissance au mot spoonerism, l'équivalent du
contrepet dans la langue de Shakespeare dont plusieurs exemples, plus
ou moins apocryphes, sont donnés ici. Sur le même sujet,
on signale p. 123 une entreprise de bonneterie troyenne, dûment
authentifiée, à l'enseigne du "Tricotage du Pont".
IPAD. 7 mai 2000. 76 km (2043 km).
319 habitants*
*
A partir de ce numéro, les chiffres de la population sont ceux
du recensement 2006, rendus publics en janvier 2009.
Les devoirs patriotiques se conjuguent aujourd'hui avec les obligations
avunculaires : c'est au retour du repas de baptême de ma nièce
Louise que nous avons fait un crochet par Autrey. Le monument est une
petite stèle entourée de chaînes, près de l'église.
Elle semble perdue sur une place vide. A la veille du 8 mai, pas un drapeau.
Une jardinière, avec des myosotis. Quatre plaques noircies au pied
de la stèle, illisibles, sauf une : BRULARD Maxime 21E INF10 Août
1914. Des noms oubliés sur le monument peut-être.
Aux enfants d'Autrey
Morts pour la France
1914-1918
CHENAL M
CHENAL H
DEMANGE J
GREMILLET E
SEVERIN F
LAURENT G
JACQUEL E
CUNY E
PETITDEMANGE A
GRANDTHOUVENIN E
1939-1945
RIVOT G
POIROT J
FATT G
MANGEOLLE M
MARTRAIRE
La
peinture dorée des lettres s'en va. Je ne suis pas sûr de
toutes les initiales.
L'Invent'Hair perd ses poils.
Villefort (Lozère), photo de l'auteur, 29 octobre 2005
Bon
dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°385 - 25 janvier 2009
DIMANCHE.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules. Et pas de n'importe qui, ce qui explique que je déroge
à la règle de l'anonymat : c'est Lucie qui s'abonne et je
suis très heureux de lui souhaiter publiquement la bienvenue.
Vie alimentaire. Ici, le dimanche
midi, c'est poulet. Poulet rôti. Un bon poulet, en général
de la ferme d'Humbertois, d'ailleurs si on n'a pas eu le temps d'y aller,
mais un vrai poulet. Je prends les ailes, ça croustille, ça
craque c'est bon. J'estime que ce n'est pas la peine d'avoir inventé
les dimanches si c'est pour les consacrer à autre chose qu'aux
notules, aux monuments aux morts et aux poulets. Mais aujourd'hui, c'est
la révolution dans ma basse-cour. Marre du poulet, disent-elles.
J'ai beau avancer mes arguments de sophiste, d'accord on mange toujours
du poulet mais on ne mange jamais le même poulet, rien n'y fait.
A midi, c'est du cochon. On aura tout vu.
Itinéraire patriotique départemental.
Je digère mon cochon sur la route qui me mène au monument
aux morts de Clérey-la-Côte. Le village est situé
au haut d'une côte. Ça me rassure : il reste quelques choses
fiables en ce monde.
LUNDI.
Courriel. Mes frasques automobiles
m'ont valu cette réaction d'un notulien dont je comprends le tourment
: "Interloqué, je découvre que le notulographe est
un dangereux fou du volant. Par les temps qui courent, autant dire un
vulgaire délinquant. C'est tout un monde qui s'effondre - celui
du football rural, des entreprises fantaisistes et mystérieuses,
de la rébellion gentille, de la lassitude enchantée. Une
analyse approximative et rapide oblige à s'interroger; le changement
de quartier, voire de statut social, a-t-il occasionné de sévères
ajustements (on imagine, non sans terreur le notulographe en BMW sombre
à forte consommation d'énergies fossiles). Mais dans ce
monde qui vacille, qui restera debout ?" Je bats ma coulpe à
grands coups de cric.
SAMEDI.
Eloge du samedi travaillé.
Pas de collège aujourd'hui, mes élèves sont en stage.
Je peux donc, avec un peu d'avance, prendre connaissance de ce que seront
mes samedis à partir de la rentrée prochaine, où
les cours de cette matinée seront avancés au mercredi. Je
suis de ceux qui regretteront ce changement. J'ai toujours travaillé
le samedi, sauf quand les filles étaient petites et que la crèche
était fermée ce jour-là. Ça m'arrangeait bien,
le séminaire Perec avait lieu un samedi par mois à Paris
et je n'en manquais pas un. Mais depuis trois ou quatre ans j'ai repris
le chemin du collège pour cette matinée pas comme les autres
et je peux dire que pour moi, le samedi est le meilleur jour de travail
de la semaine. A la belle époque, le grand moment du samedi c'était
l'apéro au Commerce à Nomexy avec C et R, je suis le seul
survivant, au sens propre, de cette fine équipe. Mais aujourd'hui
encore, le samedi comporte de précieux avantages. D'abord, on commence
un peu plus tard que les autres jours, et le train de 8 heures est un
vrai palace à côté du 7 heures 31. A. m'attend au
bistrot, on boit un jus en écoutant le chauffeur du bus nous donner
l'état des routes et nous avertir que ça va péter
parce qu'en 68 ça a commencé comme ça. Comment exactement,
on n'en saura rien parce qu'il faut monter au boulot et là aussi
les choses sont différentes et plus agréables. Il n'y a
pas beaucoup de monde au collège le samedi. Les collègues
de Nancy sont autorisés à rester chez eux, certains élèves
s'accordent la même liberté et personne ne se plaint de ces
absences. Des parents viennent chercher leurs rejetons en survêtement
et chaussures de sport immaculées, c'est le bonus esthétique
du samedi, c'est très joli. Et puis il y a les cours, incroyablement
calmes, une qualité d'écoute qu'on ne trouve à aucun
autre moment de la semaine - ou ce que je prends pour de l'écoute
et qui n'est sans doute qu'une indifférence polie mais c'est égal
- un bonheur. On sait tous qu'on n'en a plus pour longtemps, que midi
viendra vite. Le samedi, ça ne crie pas dans les couloirs, l'alarme
incendie ne se déclenche pas inopinément, les toilettes
ne sont pas saccagées, c'est comme ça, c'est un moment différent,
apaisé. Un moment qu'on ne retrouvera pas le mercredi matin, j'en
suis certain. Alors bien sûr, il y a la perspective d'un grand week-end
mais ça je m'en tape, Caroline travaillera toujours jusqu'à
19 heures et pour nous le week-end ce sera toujours le dimanche. Enfin,
au moins, j'aurai le temps d'aller acheter le poulet.
Eloge du samedi, par quelqu'un d'autre.
"Le retour de ce samedi asymétrique était un de ces
petits événements intérieurs, locaux, presque civiques
qui, dans les vies tranquilles et les sociétés fermées,
créent une sorte de lien national et deviennent le thème
favori des conversations, des plaisanteries, des récits exagérés
à plaisir : il eût été le noyau tout prêt
pour un cycle légendaire, si l’un de nous avait eu la tête
épique. Dès le matin, avant d’être habillés,
sans raison, pour le plaisir d’éprouver la force de la solidarité,
on se disait les uns aux autres avec bonne humeur, avec cordialité,
avec patriotisme : " Il n’y a pas de temps à perdre, n’oublions
pas que c’est samedi ! " (Marcel Proust, Du côté
de chez Swann)
IPAD. 8 mai 2000. 124 km (2167 km).
Auzainvillers, 220 habitants
On
longe un vaste terrain militaire avant d'entrer dans le village. Le monument
est placé derrière l'église, sur le côté
d'une sorte de mail. Il y a une gerbe sur une des marches qui conduisent
à la stèle et deux drapeaux tricolores. Les noms sont inscrits
sur un parchemin figuré en granit.
Auzainvillers
A ses héros morts pour la France
1914-1918
POINSOT Henri
ANTOINE Emile
POPU Edme Henri
FOINANT Léon
SIMONET Auguste
BERNARD Georges
LECLAIRE Marcel
BICHON Marcel
Ce
dernier nom m'a remis en mémoire un film loufoque, mineur mais
assez réussi, de Jean-Pierre Vergne, Le téléphone
sonne toujours deux fois (1985). Didier Bourdon y interprète
un type qui se lance dans une carrière de détective privé.
Il s'appelle Marcel Bichon. Au jour de son installation, on le voit coller
les lettres de sa raison sociale sur la porte de son bureau. Il les dispose,
se ravise, les déplace avec un revolver. Désormais, il s'appelle
Marc Elbichon. A part ça, Lucie a fait du vélo sur l'esplanade,
je me suis un peu énervé face à sa mauvaise volonté
ou son incapacité à pédaler seule.
L'Invent'Hair perd ses poils.
Compiègne (Oise), photo de Damien Didier-Laurent, 23 septembre
2005
Bon
dimanche.
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