Notules dominicales 2009
 
janvier | février | mars | avril | mai | juin | juillet | août | septembre | octobre | novembre |décembre
 

Notules dominicales de culture domestique n°382 - 6 janvier 2009

DIMANCHE.
Lecture. Sartoris (William Faulkner, Harcourt & Brace, 1929; Gallimard, 1937 pour la première traduction française, rééd. in Oeuvres romanesques I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 269, 1977; traduit de l'américain par René-Noël Raimbault et Henri Delgove, traduction revue par Michel Gresset, notice, notes et variantes de Michel Gresset; 1620 p., 57,50 €).
Ce qu'on savait de Faulkner avant de l'aborder : le Sud, Oxford, Mississipi, la création d'un territoire fictif au nom imprononçable, genre Saskatchewan en plus compliqué, le Nobel, Sartre, l'admiration de Pierre Bergounioux, l'alcool, un passage à Hollywood, les traductions de Maurice-Edgar Coindreau auteur du coup de génie consistant à rendre As I Lay Dying par Tandis que j'agonise, et, pour le physique, une tête à moustache grisonnante, quelque chose entre Noël-Noël et Gaston Dominici en plus émacié. Ce que l'on sait maintenant après la lecture du livre, de la notice de la Pléiade et de quelques pages de la biographie d'André Bleikasten : Sartoris, qui apparaît en première position dans le volume, est en fait le troisième roman de Faulkner mais celui qui pose les bases de son oeuvre, en présentant une thématique, une localisation et des personnages qui réapparaîtront dans les titres à venir, plus connus. L'histoire se déroule dans le cadre attendu, dans les années 1919-1920, et concerne les membres de la famille Sartoris qui, outre le fait qu'ils semblent tous se prénommer John ou Bayard, ont tous en commun un désir de mort qu'ils réussissent à assouvir à plus ou moins long terme. L'ombre des guerres plane sur la famille, la Guerre de Sécession pour l'ancêtre disparu, la Première Guerre Mondiale pour ses petits-fils, l'un mort au combat, l'autre faisant tout pour le rejoindre dans l'au-delà en menant une vie pleine de dangers. Ce n'est pas très limpide, pas toujours facile à suivre. Il faut dire que pour arriver à faire publier son texte, Faulkner a multiplié les coupures d'un premier état intitulé Etendards dans la poussière (Flags in the Dust). On sent qu'on est en présence d'un continent littéraire qui ne fait ici que dévoiler des contours assez vagues mais dont l'exploration minutieuse vaudra le détour. Avant de s'y plonger plus avant, on peut déjà remarquer ce que les auteurs américains doivent à Faulkner, notamment les auteurs de polars, sur le plan technique : ouvertures de chapitres dans lesquelles le pronom personnel est systématiquement employé avant le nom du personnage, ce qui laisse le lecteur dans une incertitude plus ou moins longue, l'accent porté sur l'action plutôt que sur ce qui la motive, les préoccupations métaphysiques accordées aux personnages les plus humbles. Un type comme Dave Robicheaux pourrait très bien passer sans difficulté d'un polar de James Lee Burke à un roman de Faulkner et les Sartoris pourraient habiter chez Chandler ou chez Hammett. Enfin, mais on se trompe peut-être, on croit deviner d'où pourrait venir le goût de Bergounioux pour Faulkner à la lecture de certaines phrases dont il a dû apprécier, au point de les mettre lui-même en pratique, la sinuosité et la rigueur de construction : "Puis ils étaient partis, lui et son frère, exilés par la guerre comme deux chiens bruyants qu'on enferme au loin dans un chenil. Miss Jenny lui donnait de leurs nouvelles d'après les lettres insipides qu'ils se croyaient obligés d'envoyer chez eux à de rares intervalles. Et puis il était mort - mais loin, au-delà des mers, et il n'y avait pas eu de corps que l'on dût prosaïquement restituer à la terre; aussi, pour elle, il semblait continuer à rire de ce mot comme il avait ri de tous ceux que prononcent les lèvres pour signifier le repos, lui qui n'avait pas attendu que le Temps et son train lui enseignent que le suprême degré de la sagesse est d'avoir des rêves assez élevés pour ne pas les perdre de vue pendant qu'on les poursuit."

Itinéraire patriotique départemental. A la découverte du monument aux morts de Circourt.

LUNDI.
Vie sanitaire. C'est le volet touristique de ces vacances, l'expédition à l'hôpital de Saint-Avold pour le rendez-vous trimestriel de Lucie. Les résultats sont moins bons qu'en septembre, hémoglobine glycquée à 8,2 peut-être n'aurait-il pas fallu la laisser regarder Charlie et la chocolaterie hier soir à la télévision. Au-delà de ça, j'ai de plus en plus de mal à supporter le ton inquisitorial de l'infirmière qui, en examinant sur son ordinateur les données fournies par la pompe à insuline, nous cuisine sans aménité : "La pompe a été déconnectée samedi à deux reprises pourquoi ?", "Pourquoi les bolus ont-ils été fractionnés à telle et telle date ?", "Pourquoi le débit de base de nuit a-t-il été modifié ?" et ainsi de suite. Parce qu'en cette période il y a des repas plus longs que d'autres, parce qu'on ne prend pas une douche avec une pompe à insuline, parce que cette nuit encore à deux heures du matin, Lucie culminait à plus de quatre grammes, parce qu'on fait ce qu'on peut et puis c'est tout, non mais.

Lecture. Laissez bronzer les cadavres (Jean-Pierre Bastid & Jean-Patrick Manchette, première édition Gallimard, coll. Série Noire n° 1394, 1971; rééd. in Jean-Patrick Manchette "Romans noirs", Gallimard, coll. Quarto, 2005, 1344 p., 29,50 €).
Relecture.
Jugement rétrospectif de Manchette dans une interview au Monde (1974) : "Eh bien , je dois dire que nous sommes arrivés à remplir 240 pages avec pour toute matière, à partir de la page 40, des gens qui rampent dans la pierraille et se canardent. Sur le plan du travail, c'était passionnant et hilarant." Passionnante aussi la redécouverte de cette première apparition de l'auteur dans la Série Noire dont il entend respecter à la lettre le cahier des charges de l'époque avec un seul mot d'ordre : "Action !". C'est un exercice de style, certes, mais aux mains d'excellents stylistes qui ne laissent pas un instant de répit aux protagonistes de ce règlement de comptes ayant pour cadre un village abandonné des Cévennes. Manchette fait ses gammes en virtuose et laisse apparaître par moments l'ironie froide avec laquelle il peindra la société de consommation des années 70 dans ses romans à venir. C'est un polar qui ressemble à ces westerns de Série B avec Randolph Scott ou Joel McCrea, une oeuvre dans laquelle il ne manque pas grand-chose au savoir-faire pour se transformer en réel talent.
Curiosité. "Je t'ai pas donné du feu, fit Rhino qui allait se détourner. Il sortit son Dupont en or à ses initiales. H.R. pour Henri Noblet, d'où Rhino."

MARDI.
Ivresse des cimes. H., de passage pour la croûte de midi, nous relate son périple au Népal. Je riposte en lui racontant notre excursion de dimanche dernier à la Croix de Virine (altitude 465 mètres).

MERCREDI.
Presse. Je lis le dernier numéro de La Liberté de l'Est qui sera remplacée, dès ce vendredi, par un nouveau quotidien, Vosges Matin, fruit de la fusion de ladite Liberté et de l'édition vosgienne de L'Est Républicain. Difficile pour moi d'imaginer un monde sans Liberté dont j'ai dû manquer à peu près autant de numéros que de matches du SAS à la Colombière. J'espère que Gérard Noël conservera, dans ce nouveau titre, la page littéraire mensuelle dans laquelle il a eu à plusieurs reprises l'amabilité d'accueillir mes chroniques.

Lecture. Histoires littéraires n° 28 (octobre-novembre-décembre 2006, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 312 p., 20  €).
Revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIXe et XXe siècles.
Le numéro met à l'honneur des figures connues (Jarry, Dumas) et méconnues (l'éditeur belge Vital Puissant, René Dalize, ami d'Apollinaire) sans oublier celles qui naviguent entre les deux (Marcel Schwob). Dalize, on ne le connaissait que par ces vers de Zone, "Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize / Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église". On apprend ici ce que recouvre cette camaraderie, une correspondance entretenue au hasard des affectations pendant la Grande Guerre et leur collaboration à des revues de Poilus comme le Tranchman' Echo et Les Imberbes. L'entretien met à l'honneur le bibliophile Thierry Bodin qui se révèle plutôt pessimiste sur l'avenir des collections privées : "Avant, les grands collectionneurs, [...] c'étaient des notables de province, des médecins, des pharmaciens, des notaires, bref des gens qui avaient fait leurs humanités, qui savaient lire le latin et le grec, qui connaissaient la littérature et pouvaient réciter des tragédies de Racine entières ou des poèmes de Victor Hugo. Or, à l'heure actuelle, beaucoup de ceux qui les ont remplacés ne lisent pas un seul livre dans l'année et passent leurs loisirs à jouer au golf ou à partir en vacances aux Seychelles ou aux Maldives. Autrefois, et j'en ai connu, c'étaient des gens qui se constituaient des bibliothèques extraordinaires, et qui étaient aussi des érudits parfois remarquables. Il y en a encore, mais ce sont un peu les derniers représentants, et je crains qu'il n'y ait pas de relève." A transmettre aux médecins, pharmaciens et notaires de votre connaissance.

JEUDI.
Bilan annuel 2008.
* 85 livres lus (- 1 par rapport à 2007)
* 189 films vus (+ 37)
* 243 abonnés aux notules version électronique (sans oublier les irréductibles abonnés papier de l'Aveyron) (+ 39)
* 30.167 visites sur le site des notules (+ 6.008)

En ce qui concerne les chantiers littéraires :

* 3.696 Souvenirs quotidiens notés (+ 366, le compte est bon)
* 322 volumes étudiés dans L'Atlas de la Série Noire (+ 45)
* 106 communes visitées (+ 27) de Ableuvenettes (Les) à Circourt dans le cadre de L'Itinéraire patriotique départemental
* 125 photos de Bars clos commentées (+ 28)
* 368 entrées dans la Petite géographie de l'incipit (+ 12)
* 514 Bribes oniriques recueillies (+ 42)
* 657 tableaux commentés dans la Mémoire louvrière (+ 68)
* 194 publicités murales peintes photographiées (+ 33)
* 280 numéros de téléphone récoltés dans des films en vue d'un travail à venir (+ 78)
* 260 photographies de salons de coiffure pour l'Invent'Hair (+ 99)
* 77 frontons d'école photographiés pour l'Aperçu d'épigraphie républicaine (+ 19)
* 31 Lieux où j'ai dormi retrouvés ou ajoutés et photographiés (+ 3)
* 29 numéros de Diasporama envoyés à 35 abonnés.

Parutions :

* Bulletin de l'Association Georges Perec n° 51, 52 & 53
* Articles dans la page "Livres en liberté" de La Liberté de l'Est.
* Notes de lecture et Chroniques de l'actualité littéraire dans la revue Histoires littéraires n° 32-33-34-35.
* Reproduction de notules littéraires sur le site http://www.lecture-ecriture.com/
* Notules dominicales de culture domestique, morceaux choisis (2001-2007) chez publie.net

Remarques :

* Deux chantiers ont été abandonnés, sans trop de regrets.
* Deux autres sont désormais partie prenante des notules à la page du samedi, Itinéraire patriotique alphabétique départemental et Invent'Hair. En parallèle ont disparu toutes les notules concernant la télévision, un changement remarqué et regretté par certains. Je mesure d'autant mieux la difficulté qu'il y a à contenter la foule notulienne qu'elle n'a d'égale que celle que j'ai à me contenter moi-même dans mes multiples livraisons. On fait ce qu'on peut.

Sans oublier l'homme de l'année 2008 :


le déménageur

VENDREDI.
Courriel. Une demande de désabonnement suite à l'appel annuel envoyé il y a deux jours, rempart bienvenu contre l'autosatisfaction qui pourrait me guetter suite aux nombreux messages amicaux reçus entre-temps. Les satisfaits mènent encore 242 à 1.

SAMEDI.
Carnet. A la radio ce matin, il est question de la naissance de la fille de Mme Dati et de la mort de Laurence Pernoud. Je n'ai jamais lu Laurence Pernoud. En revanche j'ai beaucoup lu Donald Westlake dont Le Figaro du jour annonce la disparition. Et un peu Georges Belmont dont l'avis de décès figure dans le carnet du Monde, auteur d'intéressants Souvenirs d'outre-monde et surtout plume de Céleste Albaret pour Monsieur Proust. Westlake après Tony Hillerman, ça dégomme sec chez Rivages en ce moment.

IPAD. 2 janvier 2000. 200 km (1967 km).


175 habitants

Nous sommes repassés par Attignéville pour refaire des photos. Bien que nous commencions à connaître cette route par coeur, la tempête de dimanche dernier a permis d'éviter l'ennui. Beaucoup d'arbres coupés ou arrachés, la plupart des mirabelliers du Xaintois, des bâches bleues sur les toits, des tas de tuiles sur les trottoirs, les vestiaires jouxtant un terrain de foot littéralement soufflés. Une partie du toit de l'église, près de laquelle se dresse le monument, est d'ailleurs bâchée. Le Poilu qui surmonte la stèle est on ne peut plus martial. Il faut grimper six marches devant lesquelles se trouvent des jardinières vides pour atteindre une esplanade plantée d'arbres sillonnés par des guirlandes électriques. La stèle, signée E. Perrin à Pouxeux, est au milieu d'un carré orné de rosiers taillés, entouré de chaînes reliant des plots de ciment, elles-mêmes entourées d'une grille basse. La gerbe du 11 novembre achève de pourrir.

Aux enfants d'Autigny-la-Tour
Morts pour la France

Sur un côté :

ADAM Bernard
BOUCHERON Jules
CHANE Albert
FLOQUET Roger
GALANT Fernand
LAVIRON Albert
LHUILLIER Eugène
LAVIRON Emile

Sur l'autre côté :

MICHEL Maurice
NOEL Albert
NOEL Alfred
POINSOT Roger
QUINOT Alphonse
QUINOT Maurice
THIEBAUT Alfred
THIERY Pierre

INDOCHINE 1948 CHRETIEN Henri

L'Invent'Hair perd ses poils.


Ploemeur (Morbihan), photo de Ronan Céron, 4 août 2005

Bonne année.

 

Notules dominicales de culture domestique n°383 - 11 janvier 2009

DIMANCHE.
Presse. Le Monde annonce à son tour la naissance du bébé Dati et précise : "La ministre avait annoncé sa grossesse en septembre 2008 et refusé de dévoiler l'identité du père de l'enfant. Elle n'a prévu qu'une petite semaine de congé maternité." Une semaine, c'est plus proche du congé paternité que du congé maternité. A partir de ce constat, il n'y a plus de question à se poser sur l'identité du père, c'est elle.

Itinéraire patriotique départemental. Enregistrement du monument aux morts de Circourt-sur-Mouzon où j'ai bien failli me faire enfermer dans l'église.

Lecture. Léo Ferré poète et rebelle (Jean-Eric Perrin, éditions Alphée-Jean-Paul Bertrand, 2008; 256 p., 19,90 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
Comme je suis un chroniqueur consciencieux, j'ai exhumé ce matin tous mes microsillons de Léo Ferré et procédé à une écoute systématique, en partant de l'époque Saint-Germain-des-Prés jusqu'à la période déclamatoire en passant par les échappées rock avec le groupe Zoo. Ecoute systématique mais pas exhaustive : à un moment donné, ce devait être "Le Chien", sur Amour Anarchie qui passait, j'ai senti une sorte de tension dans mon entourage, un je ne sais quoi qui, bien qu'informulé, convoyait un message très clair signifiant que si je devais persister dans cet exercice jusqu'à la consommation de cette journée, mon avenir au sein de ce havre familial pourrait s'en trouver méchamment borné et que s'il advenait que l'on me priât de ficher le camp d'ici, je pourrais décamper avec mes disques de Léo Ferré sous le bras sans que personne ne s'en trouvât privé.

LUNDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Ma voisine (elle n'a pas volontiers consenti à devenir ma voisine, etc.) lit 100 mots à sauver de Bernard Pivot. A vue de nez, elle en est au quatre-vingt-quinzième.

MERCREDI.
Emplettes. Histoire de me mettre au diapason avec la température extérieure, j'achète Le roman des pôles, recueil des récits polaires de Nansen, Amundsen et Charcot paru chez Omnibus.

Parthénogenèse. "Rachida Dati participe au conseil des ministres cinq jours après son accouchement" (les radios). On ignore toujours l'identité de la mère.

Lecture. Le Fourgue (The Pusher, Ed McBain, 1956; première édition française Gallimard, Série Noire n° 383, 1956, rééd. in 87e District 1, Omnibus, 1999; traduit de l'américain par Henri Robillot; 976 p., 145 F).
Ce n'est que le troisième épisode de la saga du 87e District et déjà, tout est en place : la ville d'Isola avec ses quartiers plus ou moins chauds, le commissariat du 87e, les inspecteurs (Carella, Meyer Meyer, Kling...), les intrigues multiples (à régime réduit, il n'y en a que deux ici), les dialogues nerveux sans incises ni digressions, les interruptions dans l'aspect procédural pour donner un éclairage sur les techniques de la police ou sur les caractéristiques du milieu criminel, la peinture sociale qui oppose la violence du milieu à l'humanité des enquêteurs et des humbles et qui laisse parfois affleurer des accents moralisateurs. Ça ne bougera plus et il reste à Ed McBain plus de cinquante romans à écrire sur le même moule. Ah si, une chose tout de même n'est pas en place, un personnage plutôt, Carella. Il n'a pas encore acquis le rôle central qui sera le sien par la suite, le véritable héros de l'histoire est ici son supérieur, le lieutenant Byrnes qui a fort à faire avec la mort d'un dealer dans laquelle son fils semble bien être impliqué. Carella, lui, récolte bêtement trois pruneaux et finit à l'hôpital. Dans une première version, il succombait même à ses blessures et ce n'est que sur l'insistance de son éditeur qu'Ed McBain changea la fin de l'histoire pour le faire survivre. On connaît la suite.

JEUDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Foundation's Edge d'Isaac Asimov en version originale. Si j'en crois le n° 380 des notules, le jeune homme que j'observe était déjà plongé dans ce bouquin le 18 décembre dernier. Et il n'en est encore qu'à la moitié.

VENDREDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Charles Melman, L'Homme sans gravité (Folio Essais) et Patrick Denaud, Le Programme Okinawa, les secrets de la longévité (Pocket) pour une lectrice dont l'âge apparent explique son intérêt pour le sujet.

Courriel. Deux demandes d'abonnement aux notules.

Lecture. Le Grognard n° 8 (décembre 2008, éditions du Petit Pavé, 34 p., 7 €).
"Littérature, idées, philosophie, critique et débats"
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

IPAD. 2 janvier 2000. 200 km (1967 km) suite.


108 habitants

C'est un village rue sur la nationale qui relie Neufchâteau à Nancy. Près de l'église, une statue de Jeanne d'Arc que je prends dans un premier temps pour le monument. En fait, celui-ci se trouve à la sortie du village, près du cimetière, quasiment dans le fossé qui borde la route. Il y a une vieille stèle qui surplombe un mur en demi-cercle, sur lequel sont fixées trois plaques sombres. L'ensemble est récent.


Autreville à ses morts des deux guerres

Plaque de gauche :

AUBRY Berthe
AUBRY Mathilde
BOULE Jean
DIDIER Paul
MAY Jean

Victimes des bombardements de juin 1940

LEBLANC Bernard

tué accidentellement en 1944

Plaque centrale :

BERNARD Léon BIGEON Lucien
LAGNY Georges LIEBAULT Marcel
LEBAULT Charles LOËFFLER Charles
LOUVIOT Louis LOUVIOT Pierre
MANGEL Ernest MARCHAL Georges
ROLIN Edmond

Tombés au cours de la Grande Guerre 1914-1918

Plaque de droite :

COLOMBE Max
COLOMBE Pierre
DEMOISSON Edmond
GAILLET Germain
HENRY Gabriel
RISSER André

Fusillés le 27 août 1944

La raison de cet emplacement bizarre se trouve sur la vieille stèle qui reprend les mêmes noms que ceux de la plaque de droite (mais suivis de l'âge des victimes), surmontés de la mention :

Ici sont tombés
Lâchement fusillés
Par les Allemands

L'Invent'Hair perd ses poils.


Rubrique curiosités exotiques
Togo, photo de Ronan Céron, 16 octobre 2005

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°384 - 18 janvier 2009

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Je pars à la découverte du monument aux morts de Claudon. Sur la pointe des pneus : le fait d'être devenu un conducteur du dimanche ne m'a pas empêché d'être surpris par l'oeil électronique des pandores à 56 km à l'heure la semaine dernière dans la traversée de Valleroy-le-Sec. Pareille mésaventure m'était déjà arrivée il y a dix-huit mois à l'entrée d'Epinal, à 58 km/heure. Je progresse. Je progresse mais je ne ressens pas la même satisfaction que la première fois à l'annonce du retrait d'un point sur mon permis de conduire. Ma première infraction m'avait en effet fait découvrir que le permis était doté de douze points, alors que j'avais toujours cru qu'il n'en comportait que six. Le retrait d'un de ces points m'avait donc fait, paradoxalement, en gagner cinq, ça payait l'amende. Pareil miracle ne se produit qu'une fois malheureusement.

LUNDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Voyage au pays du coton d'Erik Orsenna en poche. Je me souviens que ce voyage se termine dans une usine des Vosges.

Lecture. Scribulations n° 1 (éditions La Malodière, 2008; 204 p., 10 €).
Cette nouvelle revue est l'aboutissement sur papier d'une expérience menée sur Internet, un atelier d'écriture en ligne qui regroupe des auteurs, certains déjà publiés, d'autres non, réunis autour d'une idée, d'un thème, d'une contrainte. Comme pour tout ce qui concerne les ateliers d'écriture, il y a les thèmes de départ et il y a les réalisations des auteurs qui, parfois, réussissent à sublimer quelque chose de banal ou à rater, avec la même aisance, quelque chose qui semblait prometteur. Parmi les contraintes proposées, ce sont les plus serrées qui sont les plus stimulantes et qui donnent des résultats appréciables. On trouvera par exemple ici une cinquantaine de haïkus composés sur le thème de la maïzena beaucoup plus légers et variés que le produit auquel ils sont consacrés. L'alternance de formes courtes (les "maïzenhaïkus" donc, mais aussi les calembours à morale, sur le modèle de ceux que Georges Perec a rassemblés dans ses Voeux) et de textes plus développés (récits, nouvelles, préfaces) donne un ensemble varié et plutôt agréable. La revue gagnerait peut-être à soumettre des contraintes plus dures, ce qui ne devrait pas effrayer ses contributeurs qui semblent à l'aise sur tous les sujets et qui possèdent, j'admire, une chose dont je suis totalement dépourvu, l'imagination. Dernier atout : le ton de l'ensemble est dénué de toute prétention, ce qui n'est pas le cas de toutes les revues.

MARDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Cigale en Chine de Paul d'Ivoi, dans un vieux J'ai Lu. Qui se doutait qu'il existait encore des lecteurs de Paul d'Ivoi ?

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MERCREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

JEUDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le Cycle du Graal, édition et tome non identifiés.

Courriel. Deux demandes d'abonnement aux notules.

Lecture. Alfred Hitchcock présente 100 nouvelles histoires extraordinaires (Collectif, Presses de la Cité, 1994; 1260 p., 145 F).
Histoires à faire froid dans le dos (Having a Wonderful Crime)
16 nouvelles policières rassemblées ici, idéalement calibrées pour un trajet ferroviaire Épinal - Châtel-Nomexy (ou retour). Mis à part Ed McBain (sous le pseudonyme d'Evan Hunter), on n'y trouve pas de vedettes, à peine quelques auteurs publiés dans la Série Noire, au Masque ou dans la collection Un mystère (Jonathan Craig, Edward D. Hoch, John Lutz...). La plupart sont des obscurs, mais des obscurs prolifiques qui ont alimenté les magazines spécialisés, Alfred Hitchcock's Mystery Magazine, Ellery Queen Mystery Magazine, Le Saint Detective Magazine et d'autres pendant des années. Dans ce genre d'exercice, tout réside habituellement dans la chute, un art que maîtrise particulièrement bien Donald Honig dans ce qui constitue le bijou de la collection, "Dans la chambre vide". Certains explorent des territoires un peu différents, on note une échappée vers le fantastique, un mystère en chambre close mais on remarque surtout leur attirance pour les drames domestiques : chez Hitchcock, il s'agit, le plus souvent, d'éliminer un mari ou, mieux encore, une épouse par trop encombrants...

VENDREDI.
Courriel. Deux demandes d'abonnement aux notules. L'année commence sur un rythme effréné, c'est le moins qu'on puisse dire.

SAMEDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Code Rousseau poids lourd (édition 2008).

Lecture. Sur le zinc. Au café avec les écrivains (Collectif, Gallimard, coll. Folio n° 4781; 128 p., 2 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires. A propos de cette revue, j'apprends par un article de Jean-Jacques Lefrère dans La Quinzaine littéraire qu'un numéro spécial sera consacré à François Caradec, qui en fut un des fondateurs. Nul doute que ce sera une belle chose, l'homme le méritait.

Le Correspondancier du Collège de 'Pataphysique. Viridis Candela, 8e série, n° 3 (15 mars 2008, 128 p., 15 €).
Le dossier du trimestre est consacré aux horoscopes, donc, je l'avoue, peu passionnant pour ma pomme. En revanche, j'ai découvert avec intérêt le portrait de William Archibald Spooner (1844-1930) dont l'élocution hasardeuse mise en oeuvre au long de sa carrière au New College d'Oxford lui valut de passer à la postérité en donnant naissance au mot spoonerism, l'équivalent du contrepet dans la langue de Shakespeare dont plusieurs exemples, plus ou moins apocryphes, sont donnés ici. Sur le même sujet, on signale p. 123 une entreprise de bonneterie troyenne, dûment authentifiée, à l'enseigne du "Tricotage du Pont".

IPAD. 7 mai 2000. 76 km (2043 km).


319 habitants*

* A partir de ce numéro, les chiffres de la population sont ceux du recensement 2006, rendus publics en janvier 2009.

Les devoirs patriotiques se conjuguent aujourd'hui avec les obligations avunculaires : c'est au retour du repas de baptême de ma nièce Louise que nous avons fait un crochet par Autrey. Le monument est une petite stèle entourée de chaînes, près de l'église. Elle semble perdue sur une place vide. A la veille du 8 mai, pas un drapeau. Une jardinière, avec des myosotis. Quatre plaques noircies au pied de la stèle, illisibles, sauf une : BRULARD Maxime 21E INF10 Août 1914. Des noms oubliés sur le monument peut-être.


Aux enfants d'Autrey
Morts pour la France
1914-1918

CHENAL M
CHENAL H
DEMANGE J
GREMILLET E
SEVERIN F
LAURENT G
JACQUEL E
CUNY E
PETITDEMANGE A
GRANDTHOUVENIN E

1939-1945

RIVOT G
POIROT J
FATT G
MANGEOLLE M
MARTRAIRE

La peinture dorée des lettres s'en va. Je ne suis pas sûr de toutes les initiales.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Villefort (Lozère), photo de l'auteur, 29 octobre 2005

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°385 - 25 janvier 2009

DIMANCHE.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules. Et pas de n'importe qui, ce qui explique que je déroge à la règle de l'anonymat : c'est Lucie qui s'abonne et je suis très heureux de lui souhaiter publiquement la bienvenue.

Vie alimentaire. Ici, le dimanche midi, c'est poulet. Poulet rôti. Un bon poulet, en général de la ferme d'Humbertois, d'ailleurs si on n'a pas eu le temps d'y aller, mais un vrai poulet. Je prends les ailes, ça croustille, ça craque c'est bon. J'estime que ce n'est pas la peine d'avoir inventé les dimanches si c'est pour les consacrer à autre chose qu'aux notules, aux monuments aux morts et aux poulets. Mais aujourd'hui, c'est la révolution dans ma basse-cour. Marre du poulet, disent-elles. J'ai beau avancer mes arguments de sophiste, d'accord on mange toujours du poulet mais on ne mange jamais le même poulet, rien n'y fait. A midi, c'est du cochon. On aura tout vu.

Itinéraire patriotique départemental. Je digère mon cochon sur la route qui me mène au monument aux morts de Clérey-la-Côte. Le village est situé au haut d'une côte. Ça me rassure : il reste quelques choses fiables en ce monde.

LUNDI.
Courriel. Mes frasques automobiles m'ont valu cette réaction d'un notulien dont je comprends le tourment : "Interloqué, je découvre que le notulographe est un dangereux fou du volant. Par les temps qui courent, autant dire un vulgaire délinquant. C'est tout un monde qui s'effondre - celui du football rural, des entreprises fantaisistes et mystérieuses, de la rébellion gentille, de la lassitude enchantée. Une analyse approximative et rapide oblige à s'interroger; le changement de quartier, voire de statut social, a-t-il occasionné de sévères ajustements (on imagine, non sans terreur le notulographe en BMW sombre à forte consommation d'énergies fossiles). Mais dans ce monde qui vacille, qui restera debout ?" Je bats ma coulpe à grands coups de cric.

SAMEDI.
Eloge du samedi travaillé. Pas de collège aujourd'hui, mes élèves sont en stage. Je peux donc, avec un peu d'avance, prendre connaissance de ce que seront mes samedis à partir de la rentrée prochaine, où les cours de cette matinée seront avancés au mercredi. Je suis de ceux qui regretteront ce changement. J'ai toujours travaillé le samedi, sauf quand les filles étaient petites et que la crèche était fermée ce jour-là. Ça m'arrangeait bien, le séminaire Perec avait lieu un samedi par mois à Paris et je n'en manquais pas un. Mais depuis trois ou quatre ans j'ai repris le chemin du collège pour cette matinée pas comme les autres et je peux dire que pour moi, le samedi est le meilleur jour de travail de la semaine. A la belle époque, le grand moment du samedi c'était l'apéro au Commerce à Nomexy avec C et R, je suis le seul survivant, au sens propre, de cette fine équipe. Mais aujourd'hui encore, le samedi comporte de précieux avantages. D'abord, on commence un peu plus tard que les autres jours, et le train de 8 heures est un vrai palace à côté du 7 heures 31. A. m'attend au bistrot, on boit un jus en écoutant le chauffeur du bus nous donner l'état des routes et nous avertir que ça va péter parce qu'en 68 ça a commencé comme ça. Comment exactement, on n'en saura rien parce qu'il faut monter au boulot et là aussi les choses sont différentes et plus agréables. Il n'y a pas beaucoup de monde au collège le samedi. Les collègues de Nancy sont autorisés à rester chez eux, certains élèves s'accordent la même liberté et personne ne se plaint de ces absences. Des parents viennent chercher leurs rejetons en survêtement et chaussures de sport immaculées, c'est le bonus esthétique du samedi, c'est très joli. Et puis il y a les cours, incroyablement calmes, une qualité d'écoute qu'on ne trouve à aucun autre moment de la semaine - ou ce que je prends pour de l'écoute et qui n'est sans doute qu'une indifférence polie mais c'est égal - un bonheur. On sait tous qu'on n'en a plus pour longtemps, que midi viendra vite. Le samedi, ça ne crie pas dans les couloirs, l'alarme incendie ne se déclenche pas inopinément, les toilettes ne sont pas saccagées, c'est comme ça, c'est un moment différent, apaisé. Un moment qu'on ne retrouvera pas le mercredi matin, j'en suis certain. Alors bien sûr, il y a la perspective d'un grand week-end mais ça je m'en tape, Caroline travaillera toujours jusqu'à 19 heures et pour nous le week-end ce sera toujours le dimanche. Enfin, au moins, j'aurai le temps d'aller acheter le poulet.

Eloge du samedi, par quelqu'un d'autre. "Le retour de ce samedi asymétrique était un de ces petits événements intérieurs, locaux, presque civiques qui, dans les vies tranquilles et les sociétés fermées, créent une sorte de lien national et deviennent le thème favori des conversations, des plaisanteries, des récits exagérés à plaisir : il eût été le noyau tout prêt pour un cycle légendaire, si l’un de nous avait eu la tête épique. Dès le matin, avant d’être habillés, sans raison, pour le plaisir d’éprouver la force de la solidarité, on se disait les uns aux autres avec bonne humeur, avec cordialité, avec patriotisme : " Il n’y a pas de temps à perdre, n’oublions pas que c’est samedi ! " (Marcel Proust, Du côté de chez Swann)

IPAD. 8 mai 2000. 124 km (2167 km).


Auzainvillers, 220 habitants

On longe un vaste terrain militaire avant d'entrer dans le village. Le monument est placé derrière l'église, sur le côté d'une sorte de mail. Il y a une gerbe sur une des marches qui conduisent à la stèle et deux drapeaux tricolores. Les noms sont inscrits sur un parchemin figuré en granit.


Auzainvillers
A ses héros morts pour la France
1914-1918

POINSOT Henri
ANTOINE Emile
POPU Edme Henri
FOINANT Léon
SIMONET Auguste
BERNARD Georges
LECLAIRE Marcel
BICHON Marcel

Ce dernier nom m'a remis en mémoire un film loufoque, mineur mais assez réussi, de Jean-Pierre Vergne, Le téléphone sonne toujours deux fois (1985). Didier Bourdon y interprète un type qui se lance dans une carrière de détective privé. Il s'appelle Marcel Bichon. Au jour de son installation, on le voit coller les lettres de sa raison sociale sur la porte de son bureau. Il les dispose, se ravise, les déplace avec un revolver. Désormais, il s'appelle Marc Elbichon. A part ça, Lucie a fait du vélo sur l'esplanade, je me suis un peu énervé face à sa mauvaise volonté ou son incapacité à pédaler seule.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Compiègne (Oise), photo de Damien Didier-Laurent, 23 septembre 2005

Bon dimanche.