Notules
dominicales 2009
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Notules dominicales de culture domestique n°407 - 5 juillet 2009 LUNDI. " [...] Le prof de gym qui devient principal, c’est un poncif récent de l’Education nationale. Et c’est là-dessus que je vais bâtir ma chronique annuelle en m’efforçant de répondre à cette question : qu’est-ce qui peut bien pousser ce beau spécimen de l’humanité, apparemment éloigné de tout ce qui est paperasse, dossiers, rapports ou réunions, à jouer les défroqués du survêtement pour se lancer dans une carrière administrative ? La réponse est simple : le prof de gym souffre.
Il souffre déjà du fait qu’on l’appelle prof de gym, alors qu’il exerce le noble métier de professeur d’éducation physique et sportive. Ça, c’est un syndrome connu, le syndrome de l’hypertrophie des étiquettes, qui a rayé des cadres les profs de dessin, de français, de musique ou de sciences naturelles. Désormais, les arts sont plastiques, les lettres sont modernes ou classiques, l’éducation est civique ou musicale, et la math est matique. Mais le prof de gym, même doté de son titre à rallonge, souffre encore.
Il souffre de son histoire ou plutôt de l’absence d’histoire de sa discipline. Malgré l’apologie de l’exercice physique que l’on peut trouver chez Montaigne, Rabelais ou Rousseau, il fallut en effet attendre 1791 pour voir Talleyrand proposer de faire du corps un objet central de l’instruction, 1850 pour voir la loi Falloux inscrire l’enseignement de la gymnastique dans les matières facultatives de l’école primaire, 1880 pour voir la matière faire partie de l’enseignement primaire obligatoire, 1981 pour voir l’EPS quitter le ministère de la Jeunesse et des Sports et entrer dans le giron de l’Education Nationale, et 1982 pour voir enfin la création d’un concours d’agrégation concernant la matière. Tout au long de cette jeune histoire, l’éducation physique oscille, en gros, entre un pôle militariste et un pôle hygiéniste. D’un côté la gymnastique amorosienne qui doit former un soldat polyvalent capable d’escalader un mur comme de franchir un fossé de fortification, de sauter sur un cheval au galop comme de savoir se servir de tous les types d’armes blanches ou à feu (je cite Jules Ferry en 1882 : "Nous sommes bien résolus à organiser, dans toutes les écoles de tous les ordres, une sérieuse et forte éducation militaire dont l’enseignement de la gymnastique soit la base et le principe"); de l’autre, la gymnastique suédoise, pratique hygiénique qui permet de compenser l’action débilitante des travaux intellectuels ainsi que les méfaits de l’urbanisation et de l’industrialisation, dans le but de protéger l’enfant mais aussi la race, attention, les dérives eugénistes ne sont pas loin. Mais revenons à notre prof et à ses souffrances.*
Le prof de gym souffre de son isolement dans son lointain gymnase qui sent la chaussette tiède et la douche mal rincée. Il tente bien quelques incursions en salle des professeurs pour essayer de faire comme les autres et gagner un soupçon de normalité. C’est pitié de le voir alors arriver à la récréation, le survêtement poché aux genoux et lustré aux fesses d’être resté trop longtemps assis, le sifflet pendouillant lamentablement autour du cou comme la clarine muette d’une vieille vache descendue trop tôt de l’alpage.
Le prof de gym souffre, obligé à longueur d’année de se coltiner les fins sarcasmes de ses collègues, des humoristes tous plus subtils les uns que les autres : "Pas trop de copies à corriger ce soir ? Ça va, ton cartable, pas trop lourd ?" et ainsi de suite.
Le prof de gym souffre pour faire admettre à ses élèves que l’éducation physique est une discipline aussi chiante que les autres, pour doucher l’enthousiasme de cette meute qu’il accueille en début d’année : "M’sieu, M’sieu on fait foot aujourd’hui ? Ah, non, mes enfants, là, on va travailler le cheval d’arçon. Pendant cinq semaines". Non mais.
Le prof de gym souffre tous les jours de l’année sauf un. C’est le jour de gloire du prof de gym, son triomphe, son apothéose : c’est le jour du cross du collège qu’il prend soin de mettre en place à la charnière automne hiver, histoire de bénéficier de conditions climatiques optimales pour emmerder, au sens propre si l’on peut dire, le plus de monde possible. Il plante alors ses collègues finauds le long du parcours avec une vague consigne d’observation statique et cache mal sa jubilation à les voir bleuir au fil des heures. L’événement lui permet en outre de renouer avec son passé historico-militaire, de redevenir un vrai prof d’éructation physique avec parcours balisé, mouvements de troupes et médailles en chocolat.
Un jour, à force de souffrir, le prof de gym se rebelle. On va voir ce qu’on va voir, dit-il en frottant ses mains abîmées par les multiples pressions sur le poussoir du chronomètre. Puisqu’il ne peut être l’égal des autres, il va être leur supérieur. Pour prouver qu’il n’est pas plus bête qu’un autre, il passe des concours et comme il n’est pas plus bête qu’un autre, il les réussit. Le voilà stagiaire, principal-adjoint, principal, chef. Pendant ses vacances, il s’entraîne discrètement à porter des chaussures de ville, il achète des stylos, un cartable pour ranger L’Equipe, il se rase tous les jours, apprend à faire un nœud de cravate. Les premières années sont difficiles, le job d’adjoint n’est pas une sinécure, mais il est là pour apprendre et il sait ce que c’est que souffrir. De temps en temps, il passe sa tête dans le bureau du principal, histoire de voir comment c’est meublé. Si le chef n’est pas là, il essaye son fauteuil, met ses pieds sur le bureau, comme ça, pour voir comment ça fait. En réalité, c’est plus souvent le principal qui vient le voir dans son petit bureau à lui tout riquiqui : "Dis donc, Machin, j’ai une réunion au Conseil général, alors tu gères, hein ? T’oublies pas qu’on a trois profs absents cet après-midi, que les cinquièmes sont en visite au château et qu’il me faut les emplois du temps aménagés pour le pont de l’Ascension demain matin. Allez salut je file, j’suis déjà en retard."
Un beau jour enfin, le prof de gym devient principal, son heure est venue. Pour la pré-rentrée, il a mis ses nouvelles chaussures, noué sa cravate correctement et planqué, en souvenir du bon vieux temps, une petite paire d’haltères sur l’étagère supérieure de son armoire où les dossiers sont bien rangés. Il accueille les professeurs, puis les élèves, les premiers ont remballé leurs sarcasmes, les seconds savent qu’il ne faut plus compter sur lui pour taper un foot. Il préside son premier conseil d’administration, reçoit ses premiers élèves exclus de cours, cajole son premier inspecteur, met en place des projets, des réformes, un tas de trucs ambitieux qu’il refilera comme une patate chaude à son successeur quand lui-même aura obtenu sa mutation vers des cieux plus prestigieux et plus cléments. A part ça, il est gentil avec sa secrétaire, il lit le journal, reçoit du courrier important et passe de temps en temps voir son adjoint : "Dis donc Machin, c’est toi qui verras les profs qui veulent modifier les emplois du temps, OK, moi j’ai une réunion avec l’Inspecteur d’Académie, je file, j’suis déjà en retard, etc." Il n’était pas un prof comme un autre, il est devenu un principal comme un autre. Quoique. Pour qui sait observer, le principal ex-prof de gym n’est pas tout à fait un principal comme un autre. Il a parfois gardé de ses anciennes attributions un goût marqué pour les voitures voyantes et les lunettes de soleil miroir, une tendre dilection pour la bonne plaisanterie gauloise qui sent bon la douche collective d’après match et un attrait certain pour la tape dans le dos amicale qui vous démonte l’omoplate et vous envoie valser contre l’armoire à dossiers, attention tu vas faire tomber mes haltères. [...]"
* Sources historiques : Patrick Clastres & Paul Dietschy, Sport, culture et société en France du XIXe siècle à nos jours, Hachette Supérieur, coll. Carré Histoire, 2006.
SAMEDI.
Le monument est au sommet du village, après l’église, on y accède par une volée de marches.
De face : Bazoilles A ses enfants morts pour la France 1914-1918
CAILLOT Charles 1914 GEORGES Louis 1914 MORIZOT Georges 1915 VAUTRIN Antoine 1915 COLLE Albert 1915 COLLIN Noël 1915 COLLE Clément 1917 COLLIN Henri 1918 THOMERET Marcel 1918 GAILLOT Louis 1918
1939-1945
BOURGUIGNON Pierre 1940 Côté droit :
Jacques COLLIN 8-3-1952
Côté gauche, un médaillon émaillé :
A la mémoire de mon cher Fils et Frère regretté VAUTRIN Antoine Mort pour la France 27 septembre 1915 âgé de 20 ans Priez pour lui.
Bon dimanche.
Notules dominicales de culture domestique n°408 - 12 juillet 2009 DIMANCHE. Bien sûr,
il a un peu transformé son nom, de plus il a troqué ses
lunettes pour des verres de contact, il s'est laissé poussé
la bedaine et a coupé ses cheveux, bien sûr il me regarde
bizarrement quand je le croise et que je me mets à fredonner d'un
air entendu "Imagine all the people..." mais je sais
que c'est lui. Je compte sur votre discrétion. SAMEDI.
Premier monument moderne, une flamme de bronze stylisée située devant l’église.
1914-18
CARCHON Henri DE CONTET Camille LHUILLIER Augustin MORIOT Jules MORIZOT Jules PERDRIX Jules RAOUL Jules RICHY Maurice SCHENER Marcel
1939-1945
BASTIAN Pierre
Il valait mieux ne pas s’appeler Jules à cette époque dans ce village.
L'Invent'Hair perd ses poils.
Bon dimanche. |