Notules dominicales 2009
 
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Notules dominicales de culture domestique n°413 - 6 septembre 2009

DIMANCHE.
Lecture. Chasseurs de têtes (Hodegejerne, Jo Nesbo, Salomonsson Agency, 2008 pour l'édition originale, Gallimard, coll. Série Noire, 2009 pour l'édition française; traduit du norvégien par Alex Fouillet, 320 p., 17,90 €).
Jo Nesbo délaisse son personnage habituel, Harry Hole, dont on avait lu une aventure intitulée L'Etoile du diable en 2006 : une histoire de tueur en série, une de plus, avec un policier bourru et alcoolique, un de plus, pas vraiment envie de poursuivre la série plus avant. On avait alors remarqué le goût de l'auteur pour les machinations embrouillées mais brillamment démontées qui réapparaît ici dans une affaire d'espionnage industriel. Mais ce n'est pas l'atout maître du livre qui vaut surtout par ses scènes d'action, une traque entre deux chasseurs de têtes, l'un au sens figuré, un recruteur pour grandes sociétés, et l'autre au sens propre, un tueur. Courses poursuites, accidents, évasions, situations pour le moins surprenantes (un homme obligé de s'immerger dans la fosse d'un chalet d'aisances pour se cacher), ça bouge, c'est enlevé et le reste, la résolution de l'intrigue, paraît nettement secondaire.

Vie de Joseph Roulin (Pierre Michon, Verdier, 1988; 80 p., 9,80 €).
Ce n'est pas sans appréhension qu'on s'aventure, dans l'ordre chronologique, dans la suite des écrits de Michon après la déflagration suscitée par la lecture de Vies minuscules. Quand on lance un tel pétard, la suite risque de paraître plus fade, comme une série de répliques à l'intensité décroissante. Prenons Céline, n'ayons pas peur des comparaisons, pour moi c'est la même échelle, le Voyage comme entré en matière, boum, Mort à crédit ensuite ça bouge encore mais la suite, les Normance, les Rigodon tout ça, on a lu mais ça n'a plus le même goût. Le risque est atténué avec Michon puisqu'il ne fait ici qu'ajouter une vie minuscule de plus à son palmarès, celle de Joseph Roulin, le facteur à la barbe fleurie que Van Gogh fréquenta et portraitura en 1888 à Arles. On ne sait pas grand-chose sur le facteur Roulin, quelques dates (1841-1903), quelques lieux (Lambesc, Arles, Marseille), quelques penchants (l'alcool, la République), et les tableaux, les quatre portraits dont l'un fut donné au modèle. Ces maigres données suffisent pourtant à Michon pour construire une fulgurante traversée de vie qui, sur le plan de l'intensité sismique, n'a rien à envier à celle des Creusois anonymes des Vies minuscules. Ce qui intéresse particulièrement Michon, c'est la position de témoin du facteur, l'idiot devant le génie, Sancho devant Quichotte, l'apôtre devant Jésus (il ose la comparaison), pas une position de passeur puisqu'il n'y comprend rien, juste un spectateur abasourdi de la "besogne catastrophique" qui s'accomplit sous ses yeux. C'est une position qui m'intéresse aussi en tant que lecteur témoin de la même besogne, celle de Michon qui, comme Van Gogh, tire les humbles du néant, témoin direct, contemporain même si j'ai vingt ans de retard. Après viendront les universitaires, ils sont déjà là, ils font leur boulot, ils décortiquent, ils éclairent, mais il faut saisir la chance qu'on a de lire du Michon frais, du Michon brut, et je suis heureux de l'avoir fait en ce dernier dimanche de vacances à Saint-Jean-du-Marché sous un soleil qui n'est pas celui d'Arles mais qui fait ce qu'il peut, auprès d'une Lucie qui ressemblait à Vincent avec ses pansements autour de la tête.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

LUNDI.
Vie de fauteuil. Séance chez le dentiste qui examine mon œil. Je mesure la chance que j'ai, dans une ville où il faut des mois pour avoir un rendez-vous chez un ophtalmologiste.

Lecture/Ecriture. Mots croisés 3 (Michel Laclos, Zulma, coll. Grain d'orage; 192 p., 99 francs).

MERCREDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 33 (janvier-février-mars 2008, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 208 p., 25 €).
"Poètes maudits II"
Poète au singulier d'ailleurs puisque le dossier est consacré au seul Tristan Corbière avec des documents inédits ou retrouvés et une belle série de lettres adressées à son père, Edouard Corbière, qui eut d'illustres correspondants : Adolphe Thiers, Dumas père et fils, Jules Janin, Vidocq... L'occasion pour moi d'acheter et de découvrir enfin Les Amours jaunes. Aragon constitue l'autre grande figure du numéro avec l'étude d'un dossier de presse et un entretien avec Jean Ristat, ami et héritier du poète. On note aussi l'apparition au sommaire de Delfeil de Ton, figure historique de Hara-Kiri qui donne à partir de ce numéro une chronique intitulée "En lisant Histoires littéraires" où il revient sur un passage du numéro précédent. La rubrique des "Livres reçus" fait la part belle au recueil d'entretiens de Pierre Michon Le Roi vient quand il veut qui m'accapare pas mal en ce moment et dans lequel Michon cite Paul Valéry : "La postérité, c'est des cons comme nous".

VENDREDI.
Lecture. La Clairvoyance du Père Brown (The Innocence of Father Brown, Gilbert Keith Chesterton, édition originale Cassell and Company, 1911, première édition française Perrin, 1911, rééd. Omnibus in "Les Enquêtes du Père Brown", 2008; traduction Emile Cammaerts révisée par Anne Guillaume; 1212 p., 28 €).
Il y a une légère contradiction dans la présentation que fait le Dictionnaire des littératures policières de Claude Mesplède dans son article sur le Père Brown : "Chesterton, en se convertissant au catholicisme, rencontre le Père O'Connor dont la connaissance de la personnalité humaine l'impressionne au point de lui inspirer le personnage d'un prêtre détective". Impossible puisque la conversion de Chesterton date de 1922 et que les premières histoires du Père Brown ont paru en 1911 : on peut donc supposer qu'il connaissait O'Connor bien avant son virage théologique. Peu importe, l'essentiel est que les cinquante et quelques histoires du prêtre détective sont désormais rassemblées en un seul volume et permettent de le découvrir ou de le retrouver. La qualité proprement policière des douze nouvelles ici présentées n'est pas exceptionnelle. Si l'on compare, comme on l'a souvent fait, le Père Brown à Sherlock Homes, force est de constater que ce dernier s'attaquait à des mystères bien plus passionnants que son collègue ensoutané. De plus, les deux détectives ne procèdent pas de la même manière : en lieu et place de la déduction, le Père Brown utilise l'intuition, qui lui vient d'une étonnante capacité à se mettre à la place et dans la tête d'un assassin ou d'une victime. Ce qui est plus intéressant, c'est la position qu'il occupe dans le récit : il apparaît tout d'abord comme une silhouette, un personnage négligeable et négligé par les protagonistes et s'excuse presque d'intervenir pour remettre les choses à l'endroit et confondre un coupable qui finit par confesser, plutôt qu'avouer, son crime. Car chaque histoire ou presque a une implication théologique et les motivations des criminels viennent souvent d'un passé ou d'un environnement religieux, ce qui fait de Chesterton et du Père Brown un couple vraiment unique dans le domaine du roman policier.

SAMEDI.
Football. SA Epinal - Besançon RC 3 - 1.

IPAD. 9 octobre 2005. 94 km. (5091 km).


109 habitants

Pas de monument aux morts visible.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Narbonne (Aude), photo de Marc-Gabriel Malfant, juin 2006

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°414 - 13 septembre 2009

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Le monument de La Croix-aux-Mines est enregistré, ce qui met fin à la liste des communes commençant par C. Plus de dix ans de chantier et d'errance pour trois lettres. Il va peut-être falloir augmenter la cadence.

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Encadrer, un métier impossible ? de Frederik Mispelblom Beyer (Armand Colin). Pour avoir une idée sur le contenu du livre : le lecteur a davantage l'air d'un cadre plus ou moins supérieur que d'un encadreur.

MARDI.
Lecture. Fahrenheit 451 (Ray Bradbury, Ballantine Books, 1953 pour l'édition originale, Denoël, coll. Présence du futur n° 8, 1955 pour l'édition française; traduit de l'américain par Henri Robillot; 194 p., s.p.m.).
J'ai vu le film tellement de fois que j'avais l'impression d'avoir déjà lu et relu le livre, ce qui n'était pas le cas. Mais l'adaptation de François Truffaut et Jean-Louis Richard est finalement assez fidèle, faisant l'économie du monologue intérieur de Montag parfois assez redondant chez Bradbury. On notera toutefois chez celui-ci, en dehors bien sûr de la fable politique dont la valeur historique n'est plus à démontrer, une certaine prescience, une belle lucidité sur l'évolution de la société : envahissement des écrans, accélération des communications directes, aseptisation du discours, vacuité des images, chasse à l'homme suivie par des hélicoptères pour être diffusée en direct, évolution du vocabulaire ("le mot "intellectuel" est, bien entendu, devenu l'injure qu'il méritait d'être"). Dans tous ces domaines, la réalité a largement rejoint la fiction.
Curiosité. La page de garde annonce "Nouvelles" alors que le volume ne contient qu'une histoire qui est certes une nouvelle à l'origine, enrichie au fil de plusieurs publications. C'est la première édition américaine en volume qui contenait effectivement deux autres textes.

MERCREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Hamlet, Othello, Macbeth en un volume au Livre de poche.

JEUDI.
Itinéraire patriotique départemental. Le monument de Damas-aux-Bois, première des communes en D, est enregistré. Pas de doute, le rythme s'accélère.

VENDREDI.
Lecture. 50 ans d'art vivant (Michel Ragon, Fayard, 2001; 512 p., 275,50 F).
"Chronique vécue de la peinture et de la sculpture 1950 - 2000"
Michel Ragon a joué un rôle non négligeable dans la découverte et la défense de l'art contemporain. Grâce à un œil sûr, un flair certain (il organise la première exposition parisienne CoBrA), des prises de position affirmées (dans sa revue Cimaise), des engagements à rebours des modes (sur l'art brut) et à une bonne analyse des tendances artistiques, il a su mener, en parallèle à une carrière de romancier à succès, un riche parcours de critique d'art. Ce volume rassemble des articles, des portraits, des monographies qui balaient à peu près toute sa carrière. C'est un peu fourre-tout, un peu désordonné mais on finit par suivre, de texte en texte, l'évolution de l'art contemporain. Ragon montre comment l'art abstrait, d'art maudit, devient art officiel, comment Paris perd son statut de capitale artistique au profit de New York, comment la publicité s'invite dans la danse, discourt intelligemment sur le lettrisme, le Nouveau Réalisme et bien d'autres choses. Les artistes qu'il défend ne sont pas tous restés célèbres mais il fut un des premiers à s'intéresser à des gens comme Rothko, Soulages, Poliakoff et d'autres du même tonneau. Un tonneau dont on sortira Gaston Chaissac qui lui écrit en décembre 1946 : "La galerie Maeght m'avait invité à participer à une exposition où il est question du noir et qui a lieu chez elle ce mois-ci, mais comme il me fallait peindre pour cette circonstance des tableaux sur de la toile de préférence ou sur quelque chose de dur et que je n'avais ni toile, ni quelque chose de dur, ni même de peinture et que je n'ai pas les moyens de faire ces dépenses, j'ai répondu que ça ne m'intéressait pas."

SAMEDI.
Courrier vestimentaire. Suite à une notule hivernale, je reçois deux chemises de Philippe de Jonckheere. Constat après essayage : on peut mettre approximativement deux Didion dans une limace à de Jonckheere.

Football. SA Epinal - RC Strasbourg (B) 2 - 1.

IPAD. 13 novembre 2005. 136 km. (5227 km).


175 habitants

Le monument est au bord de la route qui traverse le village, sur un espace gazonné assez coquet. Il est neuf, composé de deux stèles, l’une horizontale, l’autre verticale. Les morceaux de l’ancien monument, plus massif, ont été conservés et gisent en amas un peu plus loin.

Stèle verticale :

Aux enfants de Belval

Morts pour la France

1914-1918

ADRIAN Clément

BOISSENIN Camille

DURAND Edmond

ETIENNE Camille

HAOUY Alphonse Cal

HAOUY Auguste Lt

HAOUY Louis

HYDULPHE Alphonse

LABOLLE René

LALLEMAND Charles

LAUNAY Alexandre

MARCHAL Aimè (sic)

MARCHAL Eugène

MASSON Eugène

NEUHAUSER Joseph

POPARD Aimé

SIMON Emile SLt

THOUVENOT Anatole

Suivent ensuite trois noms sous la date 1938. Déception pour l'amateur d'homophonie approximative : pas un seul Gérard de Belval.

Stèle horizontale :

A nos déportés

Morts dans les bagnes nazis

1944

Suivent 18 noms, dont 5 Kauffmann et 3 Meyer. Entre les deux stèles, une petite plaque avec la mention « Ici a été déposée de la terre de Dachau 22-11-1945 ».

Une photo des restes de l'ancien monument, prise par Lucie, a figuré en une du quotidien La Liberté de l'Est le 17 novembre suivant. Malheureusement, un importun le masque partiellement.

L'Invent'Hair perd ses poils.

A rapprocher de l'Intui'tifs de Lyon, paru dans les notules 406.


Mornas (Vaucluse), photo d'Hervé Bertin, 6 juillet 2006

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°415 - 20 septembre 2009

DIMANCHE.
Lecture. L'Ange noir (The Black Angel, William Irish, Doubleday, 1943 pour la version originale; Presses de la Cité, coll. Omnibus, vol. "Noir c'est noir", 1993; traduit de l'américain par Jane Fillion et Serge Chwat; 1016 p., 135 F).
Il n'y a pas de héros récurrent, à ma connaissance, chez William Irish. Il n'y a pas de héros du tout d'ailleurs, pas de fin limier, pas de policier exceptionnel, juste des gens ordinaires qui se trouvent un beau jour précipités dans une histoire qui les dépasse et dont ils essaient de s'extirper. Ainsi, dans L'Ange noir, cette femme dont le mari est condamné à mort pour un crime dont elle seule le croit innocent et qui va remuer ciel et terre pour le sauver. Le monde d'Irish est toujours le même, de l'urbain sinistre, l'Amérique des chambres d'hôtel miteuses éclairées par des ampoules de dix watts, des bistrots sordides où le whisky a le goût de punaise écrasée. Le roman noir se fait poisseux, collant, mais l'auteur parvient toujours à faire ressortir une parcelle d'humanité lumineuse de ses personnages ballottés par le destin, ce qui rend son œuvre particulièrement attachante.

Le Manteau de Proust (Lorenza Foschini, Portaparole, coll. Petits Essais, 2008; traduit de l'italien par Benoît Puttemans; 108 p., 12 €).
On savait que le moindre mot de Proust pouvait nous valoir des commentaires et des études à la louche. Voilà que ses nippes viennent maintenant enrichir la marée éditoriale avec cette fameuse pelisse à col de loutre (" il avait l'air d'être venu avec son cercueil", disait la princesse Bibesco à son sujet) dont Lorenza Foschini raconte ici l'histoire. Au centre de celle-ci, Jacques Guérin, célèbre parfumeur et collectionneur de manuscrits. Dans Proust vous écrira (Melville, 2004), Marie-Odile Beauvais avait déjà raconté comment Guérin était entré en possession d'un lot de vestiges proustiens. La version développée de Lorenza Foschini est un peu différente mais l'essentiel est là : lorsqu'il se présente en 1935 chez Robert Proust, le frère qui vient de mourir, la veuve de celui-ci s'apprête à se débarrasser de tous les souvenirs de Marcel qui l'encombrent, meubles, bibelots, tableaux, papiers, livres dédicacés et autres. En cheville avec un brocanteur, Werner, Guérin récupère tout ce qui est récupérable mais ce n'est que plus tard que Werner lui avoue qu'il a autre chose qui peut l'intéresser : la pelisse, le manteau de Proust donné lui aussi par la belle-sœur, dont il se sert pour emmitoufler ses jambes lorsqu'il va pêcher sur la Marne. Guérin vendra plus tard "les treize cahiers qui manquaient à œuvre complète, la dernière partie de la Recherche qui a été écrite une dizaine de fois, quelques lettres à ses proches, et surtout les premiers brouillons de Du côté de chez Swann publiés chez Grasset, corrigés de la main de Proust" et donnera les meubles et objets au musée Carnavalet où la chambre de Proust est reconstituée. On n'y voit pas la pelisse : celle-ci, trop abîmée, repose dans une boîte en carton, dans les réserves du musée. J'ai visité le musée Carnavalet en 2002. Je suis sûr d'y avoir vu la pelisse de Proust. Sans y prêter grande attention d'ailleurs : ce qui m'avait fasciné, c'était le lit, le lit sur lequel il avait écrit la Recherche. J'en avais tant lu sur ce lit, sur l'encombrement de papiers, de journaux, les appareils à fumigation, les bouillottes qui le couvraient que j'avais imaginé un lit princier, un plumard de lupanar. Et qu'est ce que je voyais : un tout petit lit, un lit riquiqui, un lit de pensionnat avec les bordures métalliques, un lit des Disparus de Saint-Agil. C'était son lit d'enfant ou presque, celui de ses seize ans... Alors la pelisse ? L'avais-je rêvée, était-ce une pelisse factice, une pelisse de remplacement (comme la courtepointe bleue du lit qui n'est pas authentique) ou la vraie, depuis mise au rencard ? Le numéro 44 des notules relate ma visite au musée Carnavalet : "C'est le musée de l'Histoire de Paris, contenu dans un grand hôtel particulier. Il faut suivre une enfilade de pièces meublées selon telle ou telle époque (c'est aussi passionnant que la visite d'un château anglais) pour dénicher, tout au bout du dernier couloir qui se termine en cul-de-sac, ce que suis venu chercher : la reconstitution, avec les objets authentiques, des chambres de Proust et de Léautaud : le lit métallique, la canne, l'encrier, la pelisse en loutre de l'un, le panier à chat, le pot de chambre, le fauteuil défoncé de l'autre... C'est incroyablement déprimant." Peut-être, mais la pelisse était bien là. J'ai vu la pelisse de Proust, je suis peut-être l'un des derniers à l'avoir vue. Je me sens grandi tout à coup.

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le mauvais sujet de Martha Grimes en Pocket.

MARDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Et nous nous reverrons de Mary Higgins Clark au Livre de poche et Elégance du hérisson de Muriel Barbery en Folio. On fait dans les gros tirages, cette semaine.

VENDREDI.
Vie de fauteuil. Séance chez le dentiste pour l'avulsion d'une dent cassée. Le chicot récalcitre, l'homme de l'art en bave, s'interrompt entre deux esquilles : "C'est là qu'on se dit qu'on aurait pu faire pharma..."

SAMEDI.
IPAD. 20 novembre 2005. 143 km. (5370 km).



377 habitants

Le monument est au flanc de l’église, sur un parterre de cailloux encadré par quatre obus. La stèle est en granit, elle porte à la base une palme sculptée siglée UNC. C’est un monument commun à plusieurs villages. Je suis venu le matin, c’est la messe, des chants s’échappent de l’église.

Face :

Hommage aux morts des sept communes de la grande paroisse 1914-1919

BERTRIMOUTIER

Militaires

COINCHELIN Eugène

DURAIN Jules

FEVE Augustin

FRECHIN Paul

HENRY Gaston

HERMAL Léon

LEMAIRE Eugène

MATHIS Lucien

MATHIS Paul

RICHARD André

ROVEL Camille

Civils

COLIN Gustave

ROVEL Eugène

RAVES

15 noms de militaires de BARLIER Arsène à VAUCOURT Théodore

1 civil : MAIMBOURG Eugène

Gauche :

NEUVILLERS-SUR-FAVE

9 noms de militaires de BARRETH Eugène à PAGET René

4 civils

PAIR-ET-GRANDRUPT

20 noms de militaires d’ANDLAUER Emile à TISSELIN Albert

3 civils

Dos :

BARETH Paul

Droite :

FRAPELLE

5 noms de militaires de Commandant GEORGE à TOUSSAINT Eugène

3 civils

COMBRIMONT

8 noms de militaires de CUNIN Emile à WELTER Albert

3 civils

LESSEUX

4 noms de militaires de BLAISE JN Baptiste à SCHWINT René

2 civils

Bareth Paul et Barreth Eugène sont peut-être de la même famille, on peut soupçonner une défaillance du graveur.

Les mêmes communes se retrouvent sur un autre monument, à gauche :

A nos morts

Guerre 1939-1945

Celui-ci est signé P. TRAGLIA, Ban-de-Laveline. On lit :

Monument érigé par souscription publique

L'Invent'Hair perd ses poils.


Mornas (Vaucluse), photo d'Hervé Bertin, 6 juillet 2006

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°416 - 27 septembre 2009

DIMANCHE.
Lecture. Postmortem (Patricia Cornwell, Scrimer's, 1990 pour l'édition originale, Librairie des Champs-Elysées, coll. Le Masque n° 2092 pour la traduction française, traduit de l'américain par Gilles Berton; rééd. in "Patricia Cornwell 1, Quatre romans", éditions du Masque, coll. Intégrales, 1998; 1216 p., s.p.m.).
Deux choses intéressantes à propos de ce premier roman de Patricia Cornwell. Premièrement, la manière dont elle jette toute sa vie dans la première aventure de celle qui allait devenir son personnage emblématique, le médecin légiste Kay Scarpetta : un père absent, une enfance au sein d'une famille qui n'est pas la sienne (reproduite dans le personnage de Lucy, la jeune nièce hébergée par Kay Scarpetta), son travail comme informaticienne dans un centre médico-légal, son intérêt pour le cas d'un tueur en série sévissant à Richmond. Deuxième chose : Patricia Cornwell est un peu à l'origine de l'intérêt porté aujourd'hui dans la fiction policière pour les volets scientifiques et informatiques d'une enquête. Scarpetta utilise ici un Internet aux débuts balbutiants, dissèque des cadavres, fait des prélèvements, des analyses, elle innove. Mais curieusement, la résolution du cas étudié, celui d'un tueur en série donc, viendra de la reconnaissance d'une voix sur une bande magnétique comme dans un bon vieux polar des années 1960. Les outils modernes sont bien là, et bien utilisés, mais l'efficacité reste pour l'instant l'apanage de la tradition.

Vie notulienne. Une notulienne conteste - aimablement, ai-je déjà souligné l'extrême savoir-vivre des notuliens ? - l'attribution à Hervé Bertin du cliché paru dans le dernier numéro à la rubrique Invent'Hair. Il s'avère effectivement que la notulienne en question a elle aussi envoyé une photo du même salon. C'est l'occasion de rappeler ici un point peut-être mal connu de l'Invent'Hair : "Dans le cas ou plusieurs contributeurs envoient des photos du même salon, la première arrivée est publiée dans les notules sauf si la qualité d'une des suivantes (critères de lisibilité, de cadrage, de netteté pris en compte) apparaît comme nettement supérieure" (extrait du règlement intérieur déposé chez Maître Malfaisan, huissier).

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Hésitation de Stephenie Meyer chez Hachette jeunesse.

MARDI.
Courriel. Quatre demandes d'abonnement aux notules.

JEUDI.
Histoire d'Hussein le Ténébreux. MGM est un notulien de la première heure. Il a des années d'ancienneté, pourrait être médaillé. Pourtant, je ne le connais pas, je ne l'ai jamais rencontré, ce qui est remarquable parce que les notuliens du premier cercle sont, en général, des notuliens par obligation, des gens qui connaissaient mes frasques et mes travers avant que j'en étale quelques bribes chaque dimanche. MGM est un des premiers inconnus à s'être abonné aux notules, un de ceux qui ont fait passer l'aventure d'un milieu amical bienveillant à un cercle beaucoup plus vaste et ma foi assez intimidant. Mais c'est un des inconnus que je connais le mieux. Je sais qu'il tient la Librairie du Scalaire, à Lyon, parce qu'il a commencé par m'envoyer ses catalogues, très fournis en récits utopiques, anticipations de toutes époques, fous littéraires et autres curiosités. Il semble partager son existence entre Lyon, le Sud-ouest de la France et Cadaqués, en Espagne où il a exposé le peintre David Marti. Il m'envoie régulièrement des photos pour l'Invent'Hair dont il est devenu le principal contributeur extérieur et où son nom apparaît fréquemment en entier, des photos papier plutôt que sous forme de fichiers qu'il accompagne souvent d'analyses pertinentes (la dimension scientifique que je tiens à donner à ce chantier lui doit beaucoup), mais aussi des photos des livres de Perec traduits en espagnol, des photos de fleurs ou de paysages, des textes aussi, j'y reviendrai. J'ai peu de choses à lui offrir en échange, des photocopies de pages tirées de revues où sa librairie est citée dans les rubriques bibliophiliques, le Bulletin Perec, des broutilles de temps à autre. MGM rédige des "Dossiers". Le numéro 37, dont le personnage central m'a fasciné, est daté de mai 2009 et j'en donne ici la copie intégrale avec l'autorisation de son auteur.

"Hussein le Ténébreux

Dessinateur d'architecture

Dimanche 10 mai 2009.

(...) Vers 20h30, deux parts de pizza et un peu de vin à Santa Maria del Mar. En chemin, acheté trois tableaux à un noir, que j'avais déjà repéré hier, assis par terre dans une petite rue sombre, entre Santa Maria del Mar et Pla del Palau, la Carre d'Arenes dels Canvis, sous la lueur jaune d'un lampadaire mural. Rue très peu passante. Semble s'y être mis à demeure, ses affaires déballées sur trois ou quatre mètres linéaires : surtout de quoi dessiner et boire. Etonnants dessins, d'inspiration architecturale; mine de plomb et crayons de couleur sur planches de caisses de bouteilles, assez épaisses et en bois de pin. Les lignes (toutes droites, sauf celles d'un arbre - genre de saule pleureur - présent dans toutes les compositions, parfois très grand et parfois réduit aux proportions d'un bonsaï) sont tracées à la règle (sauf celles de l'arbre). C'est d'une poésie austère.

Hier, je n'avais pas osé le déranger; aujourd'hui, j'y suis allé. A mis vingt bonnes secondes à remarquer que j'étais là, comme un benêt, à le regarder colorier. Peu accueillant, au premier abord. Entièrement vêtu de noir, la tête enveloppée dans une longue écharpe, noire aussi. Comme il m'a paru pouvoir être un Sénégalais (mais tout autant Malien, Togolais ou Burkinabé, ou finalement je ne sais quoi), je tente un bonsoir en français, qu'il comprend. L'homme paraît ivre - près de lui traînait aussi un morceau de hachich et - me sembla-t-il - une odeur d'éther -, le blanc de ses yeux est rougi, mais il se tient bien, très concentré dans son coloriage, et n'appréciant visiblement pas d'être dérangé dans son travail. A mon bonsoir, il répond : "Bonsoir. Les tableaux c'est quinze euros". Les débats esthétiques, les politesses, les vaines paroles, peu pour lui (pour moi aussi, mais si peu habitué à en être dispensé). J'en choisis rapidement trois, des tableaux. Je laisse cinquante euros. Aucun tableau ne porte de signature. Il consent, l'air excédé, à en signer deux (au verso, ce qui m'a toujours paru être une bonne manière de signer) : Most (pour Mostafa ?) et quelque chose en arabe. Puis je pars, sentant que je ne vais pas tarder à importuner, je pars avec mes trois planches sous le bras. Et avec ce frisson complexe que seule provoque la sensation d'avoir découvert et acquis de bonnes œuvres, quelles que soient les circonstances.

Lundi 11 mai 2009.

Vers 16h30, en revenant de déjeuner Taverna d'en Pap, ai fait un petit détour pour voir si notre homme était toujours à la même place, Carrer d'Arenes dels Canvis, comme les deux jours précédents. A ma déception un peu étonnée, il n'y était plus. Restaient au sol quelques traces colorées de son passage. Je me trouvai alors bien sot de n'en avoir pas acheté plus hier, de ces beaux tableaux. Un homme du genre de celui-ci, ça peut disparaître très vite : contrôlé, retenu, expulsé, attaqué par des nazis, des skinheads, des amateurs de jeux vidéo, des supporters de football, des touristes qui s'ennuient, ou parti dans quelque dérive, ou séquestré par un galeriste... Je me résignai à l'idée de ne pas le trouver cette fois, et d'essayer à nouveau plus tard. Je remontai la courte rue Carrer d'Arenes dels Canvis. Celle-ci débouche sur une rue plus large et lumineuse, plus longue aussi, mais peu fréquentée, par absence de commerce attractif, la Carrer dels Canvis Nous. C'est là qu'était notre homme, assis entre deux stores de métal clos et couverts de graffiti. Je m'approchai et me rappelai à son souvenir, qui lui revint. L'heure moins tardive qu'hier changeait un peu les données. Moins de cadavres de bouteilles à terre, moins d'alcool dans le sang. Très absorbé dans son œuvre. Guère plus loquace que la veille, mais probablement intéressé par mon éventuelle qualité d'acheteur récidiviste. J'ai quand même pu apprendre qu'il ne se nomme pas Mustapha (comme déduit par erreur de sa signature), mais Hussein. Il me l'a dit. Sa nationalité, moins précise. A bougonné sans répondre (ou répondu en bougonnant). Puis a mis fin à l'entretien en rassemblant d'un large mouvement de ses grands bras quelques planches posées par terre, devant lui - l'action a eu lieu au ras du sol, à hauteur des pneus des quelques véhicules qui passent, dont celui des nettoyeurs municipaux nous considérant avec grande curiosité, le sieur Hussein et moi. Il y en avait six, des planches. Trois grandes et trois petites. "Tout ça c'est cent euros. Tu donnes cent euros. A son initiative, il m'offrit un septième tableau, contre de quoi fumer. Cela me fit d'autant plus plaisir, que je préfère le chiffre 7 à celui qui le précède. Bien plus patiemment et consciencieusement qu'hier, il écrivit quelque chose au verso de chaque tableau, en arabe, avec un stylo feutre noir que j'avais sur moi. Avant que je ne parte, il me laissa faire deux photos : une de son attirail disposé par terre, et une de lui - pour laquelle il me fit signe de m'éloigner de quelques pas, de sorte qu'il eût le temps de tourner le dos à l'appareil.
"

Cet été, MGM m'a offert un des tableaux d'Hussein le Ténébreux. J'y attache, ainsi qu'à ce texte, le plus grand prix.

VENDREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Les Noces barbares, de Yann Queffélec en Folio.

SAMEDI.
Football. SA Epinal - RC Lens (B) 1 - 0.

IPAD. 8 janvier 2006. 71 km. (5441 km).


126 habitants

Un poilu, la bouche grande ouverte, une couronne à la main droite, le fusil à la main gauche. La statue est signée Eug. Bénet et a été réalisée aux « Etab. Métallurgiques A. DURENNE, fondeur Paris ». Sur la stèle, un crucifix.

1914 - 1918

Aux enfants de Bettegney-Saint-Brice

Morts pour la France

Gauche :

CASSIN Jules

CORDIER Charles

LANDORMY Paul

LAMOISE Paul

MARIENNE Albert

Droite :

MATHIEU Charles

MATHIEU Arthur

REMY Gabriel

REMY Julien

Une accolade réunit ces derniers noms deux par deux, certainement pour souligner le fait qu’il s’agit de frères.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Marcy-l'Etoile (Rhône), photo de Marc-Gabriel Malfant, juillet 2006

Une raison sociale énigmatique. On imagine mal des amateurs d'Anafranil tentés par une homophonie plus qu'approximative. Peut-être l'association contractée de deux prénoms, Nathalie et Françoise par exemple, Nathan et Francis, Nadège et Franklin plutôt, puisqu'il est question de mixité.

Bon dimanche.