Notules dominicales 2009
 
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Notules dominicales de culture domestique n°421 - 1er novembre 2009

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Damblain est enregistré.

LUNDI.
Vie littéraire. Le numéro 39 d'Histoires littéraires est paru. Il fait même l'objet d'un article dans Le Figaro littéraire de jeudi dernier où il est dit que la revue de presse y est "pour le moins décapante". C'est trop d'honneur. Mes chroniques parues dans le numéro précédent (actualité littéraire, Proust, Pierre Bayard, Jourde & Naulleau, Houellebecq) sont désormais en ligne à cette adresse : http://pdidion.free.fr/chroniques/chroniques_2009.htm

MARDI.
Lecture. Grands coeurs (Cuore, Edmondo De Amicis, Emilio Treves éditeur 1886 pour l'édition originale, première traduction française par A. Piazza 1892; Librairie Ch. Delagrave, s.d.; 320 p., s.p.m.).
Mon exemplaire doit être une des trente-six éditions qui ont paru entre 1892 et 1962, probablement une des années quarante puisque le livre appartenait à mon père. C'est une de mes premières lectures, peut-être le premier livre un peu consistant que j'ai lu dans mon enfance, une des plus marquantes en tout cas puisque je ne l'ai jamais oubliée. Cuore est pour les Italiens ce qui se rapproche le plus du Tour de la France par deux enfants de G. Bruno que j'ai dû découvrir à la même époque : un manuel scolaire déguisé en récit fictionnel et destiné à l'édification des masses. Les écoliers français en ont aussi profité puisque la couverture indique "Livre de lecture pour toutes les écoles". Grands coeurs se présente comme le récit tenu par un enfant turinois d'une dizaine d'années sur la durée d'une année scolaire. Il y relate les petits épisodes de sa vie scolaire et familiale, y dépeint ses amis, ses voisins, ses maîtres. Ce journal est régulièrement entrecoupé par un "récit mensuel" qui met en scène un enfant d'une autre province, "Le petit patriote padouan", "La petite vedette lombarde", "Le petit écrivain florentin", "Le petit tambour sarde", "Sang romagnol", etc. : l'unification italienne est encore récente et il s'agit de montrer que le pays est désormais une entité. Patriotisme, solidarité, travail, tempérance sont quelques-unes des vertus mises en avant par ces pages qui ont aussi une portée sociale : le travail de l'ouvrier (qui suit aussi les cours du soir) y est magnifié alors que les personnages issus de la bourgeoisie y ont rarement le beau rôle. Le style est, comme dans le livre de G. Bruno, à la limite de la mièvrerie mais n'empêche pas de s'attacher à tous ces personnages et la plupart des récits mensuels constituent des petites nouvelles tout à fait estimables. Umberto Eco a beau voir dans ce catéchisme laïc un des ferments du fascisme italien à venir, c'est un livre que je ne parviens pas à trouver nocif ou ridicule, sans doute à cause de la part d'enfance à laquelle il est pour moi lié.

MERCREDI.
Préparatifs. J'entreprends des démarches dans les domaines ferroviaire et hôtelier pour mettre sur pied les déplacements prévus en novembre : colloque des Invalides et Fête de la Science à la Cité du même nom pour le volet parisien, colloque sur les fous littéraires à Pont-à-Mousson.

JEUDI.
Vie littéraire. Je suis à jour dans mes chroniques pour Histoires littéraires et j'envoie ce soir un papier sur Romain Gary et deux sur Boris Vian. Par ailleurs, les vacances ont été propices à la constitution d'une base de données concernant l'Invent'Hair et destinée à me fournir des outils pour une exploration scientifique et statistique plus performante de ce chantier.

Vie sociale. Visite de L. en provenance de sa Haute-Savoie, que nous n'avions pas vu en nos murs depuis deux ans.

VENDREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules, de Montréal.

Vacances. Comme j'ai bien travaillé, ce qui est tout de même le but des vacances, je m'accorde une escapade à Vittel avec Caroline et les filles. Avant d'entreprendre la lecture des souvenirs de Sylvia Beach, je tiens en effet à voir les restes du camp d'internement où elle séjourna dans les années 1942-43.

SAMEDI.
IPAD. 1er octobre 2006. 93 km. (5908 km).


18 habitants

Pas de monument aux morts visible. Voilà. On pourrait s'arrêter là, bon dimanche et à la semaine prochaine, rendez-vous à Bleurville. Seulement, Blémerey c'est, ce fut, un peu plus que cela. C'était octobre, le temps n'était pas trop mauvais, Caroline et les filles m'avaient accompagné. Le bredouille était entendu, même s'il y avait encore 26 habitants recensés à l'époque. Alors autant profiter de la sortie, on avait fait le tour du village, et puis pris une petite marche jusque sur les hauteurs où se tenait une espèce de château d'eau. Il y avait des veaux devant une ferme, les filles leur avaient caressé le museau, Alice avait cueilli des fleurs, j'avais pris une photo du fronton noirci de l'école pour ma collection. Au retour, il avait fallu s'arrêter, des chevaux dans un parc, encore des museaux à cajoler, des croupes à flatter, repartir et puis peut-être bien encore s'arrêter pour voir si on pouvait donner à manger aux chevaux, tout ce qui fait que le lendemain, au boulot, quand vient le moment de raconter ses exploits sportifs ou culturels du week-end, on préfère la fermer plutôt que d'avouer qu'on a passé son dimanche après-midi dans un bled du bout du monde à caresser les museaux humides de divers quadrupèdes. Tout ce qui fait aussi que quand on revoit, trois ans plus tard, les photos de ce dimanche, elles ne sont rien d'autre que les images d'un bonheur simple et con comme tout parce que Blémerey c'était, ce fut, un peu plus que cela, je fais traîner comme à l'époque j'aurais aimé pouvoir faire traîner, arrêter le temps. Deux jours après Blémerey, Lucie déclarait sa maladie et une nouvelle vie commençait. D'une façon assez abrupte d'abord, l'hôpital, les quatre injections quotidiennes, les contrôles continuels, les règles alimentaires et puis la décision, pas facile à prendre mais qui ne serait pas regrettée, d'opter pour la pompe à insuline qui allait imposer d'autres contraintes, un sacré bazar qui, sans les connaissances professionnelles de Caroline, aurait été encore plus compliqué à gérer. Que l'on s'entende bien, il ne s'agit pas ici de se lamenter, j'aurais mauvaise grâce à le faire alors que Lucie a pris tout ça sur le coin de la cafetière sans moufter, sans se plaindre, et qu'il suffit de passer une demi-journée à la pharmacie pour savoir ce que c'est que la mouise, la vraie, l'épaisse, ou de regarder autour de soi pour voir ce que c'est que se débattre pour des enfants à qui la vie a joué un sale tour, que ce soit dans la famille propre à Bruxelles ou dans la famille notulienne à Moncetz ou à Fontenay. N'empêche. Je n'arrive pas à me débarrasser de la sale impression que c'est à Blémerey que l'insouciance a pris fin et que je me suis mis à vieillir.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Limoges (Haute-Vienne), photo de l'auteur, 16 août 2006

L'absence d'apostrophe distingue ce salon de celui d'Epinal (Ac'tif) paru dans le numéro 348.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°422 - 7 novembre 2009

DIMANCHE.
Lieux où j'ai dormi. Comme tout bon perecquien, je m'intéresse aux lieux où j'ai dormi. Je ne décris pas les chambres qui m'ont accueilli, je me contente de les photographier. Le problème, c'est que j'ai entamé ce chantier beaucoup trop tard, au moment où ma vie prenait une tournure franchement sédentaire, ce qui fait qu'une grande partie des lieux où j'ai dormi me sont aujourd'hui inaccessibles pour des raisons liées à l'oubli ou à l'éloignement. D'autres chambres sont devenues hors d'atteinte parce que les personnes qui en sont aujourd'hui les propriétaires ou les locataires ne sont plus celles qui m'avaient logé à un moment ou un autre. Dans ce cas-là, j'ai toujours la ressource de photographier le bâtiment, la maison, à défaut du lit. Quoi qu'il en soit, c'est un chantier qui progresse peu. Quand il le fait, c'est presque toujours en direction du passé et là aussi j'atteins mes limites : la semaine dernière, j'ai photographié ce qui reste de la clinique de la Roseraie où j'ai vu le jour. Pour aller encore plus loin, il faudrait que je photographie le ventre de ma mère mais c'est assez délicat, même de l'extérieur. Pour le reste, je ne déménagerai sans doute plus beaucoup, mes lieux de vacances sont les mêmes depuis plusieurs années, j'ai à peu près épuisé toutes les chambres de l'hôtel que je fréquente lors de mes virées parisiennes et ma triste condition d'abstème me prévient désormais de m'écrouler à gauche ou à droite comme cela a pu se produire dans une vie antérieure. Il restera quelques lits blancs vers la fin, mais je ne suis pas pressé et ce n'est pas moi qui appuierai sur le déclencheur pour la dernière au funérarium. Ce matin, j'ai tout de même ajouté un cliché à ma collection. Nous étions hier invités à croûter à deux rues d'ici, charmante soirée, deux heures du matin, merci pour tout mais la route est longue, on y va. On y va et on arrive at home devant une porte qui, de jour, s'ouvre à l'aide d'un interrupteur électrique. Celui-ci est déconnecté de 22 heures à 7 heures du matin, il faut alors une clé. Une clé que, au vu de la rareté de mes virées nocturnes, j'ai retirée de mon trousseau depuis un moment. Bien joué. Que faire à deux heures du matin, sans auto, quand on ne peut même plus rentrer chez soi ? C'est simple. Faire demi-tour, repartir chez des hôtes tout récents tout à la joie de se retrouver enfin débarrassés, demander humblement un coin où l'on pourrait s'affaler sans trop déranger. Le matin venu, ne pas oublier de prendre la photo. Et c'est comme ça qu'on progresse dans un chantier nommé Lieux où j'ai dormi.

LUNDI.
Vie merdicale. Nous effectuons notre visite désormais rituelle à l'hôpital de Saint-Avold. Les résultats ne sont toujours pas satisfaisants. Lucie se voit poser un nouveau cathéter relié à un capteur qui analysera sa glycémie en continu pendant dix jours. Pose, essais, manipulations, explications nous prendront la journée.

Lecture. A mes prochains. Lettres 1943-1984 (Antoine Blondin, édition établie et présentée par Alain Cresciucci, La Table Ronde, 2009; 224 p., 20 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

Courriel. Une demande de désabonnement aux notules. J'en profite pour procéder à un désabonnement autoritaire par décision unilatérale.

MARDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 32 (octobre-novembre-décembre 2007, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 296 p., 20 €).
Verlaine et Rimbaud font l'ouverture de ce numéro avec une série de lettres inédites du premier et, pour le second, des lettres à lui envoyées par Maurice Riès qui fut un de ses correspondants commerciaux à Aden. L'autre gros morceau est consacré à Maupassant à travers un dossier de presse rassemblant des articles datant du siècle dernier où l'on voit comment l'auteur de Bel Ami fut instrumenté par les partis politiques, passant allègrement d'une lecture communiste à une lecture giscardienne. Les rubriques habituelles, Chronique des ventes et Livres reçus sont particulièrement fournies, ce qui fait de ce numéro l'un des plus consistants depuis l'apparition de la revue. Saluons également l'arrivée d'un petit nouveau qui est en même temps un grand ancien : Delfeil de Ton qui signe désormais une page intitulée "En lisant Histoires littéraires" dans laquelle il revient sur un article du numéro précédent.

JEUDI.
Vie merdicale. Caroline repart à Saint-Avold pour suivre une formation sur les glucides. C'est de la révision mais tout fait ventre quand il s'agit d'essayer d'améliorer la situation.

VENDREDI.
Lecture. Temps Noir n° 11 (Éditions Joseph K., mai 2008; 224 p., 15 €).
" La Revue des Littératures Policières "
Deux cent vingt pages sur Jean-Patrick Manchette, inventeur et pape du néo polar à son corps défendant, qui s'ajoutent aux mille trois cents des romans réédités en Quarto, aux six cents du Journal et à quelques monographies : les années 2005 - 2008 (ou plus, ce n'est peut-être pas fini) auront été les années Manchette. En grande partie grâce à l'activité de son fils, Doug Headline, que l'on retrouve ici dans la présentation et dans une interview sur les rapports entre Manchette et le cinéma. Entretiens, photographies de jeunesse, inédits, bibliographie, filmographie se succèdent pour donner un panorama exhaustif de l'univers Manchette. Sans oublier les universitaires qui se penchent désormais sur son oeuvre, parmi lesquels on reconnaît quelques perecquiens (Cécile De Bary, Matthieu Remy, Isabelle Dangy). Le morceau le plus surprenant de ce recueil est le scénario d'un film intitulé Mésaventures et décomposition de la Compagnie de la Danse de Mort, un texte halluciné qui semble absolument infilmable. Le fait que ce scénario ait obtenu l'avance sur recettes et ait même fait l'objet d'un tournage - même si le film ne fut jamais montré - est en soi le plus beau tour que Manchette ait joué à une société qu'il ne portait pas dans son coeur mais dont il savait s'accommoder quand il le fallait pour faire bouillir la marmite.

Récits et fragments narratifs (Franz Kafka, 1908-1924, in Oeuvres complètes II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 282, traductions par Claude David, Marthe Robert et Alexandre Vialatte, édition présentée et annotée par Claude David, 1980; 1330 p., 295 F).
Existe-t-il une édition française satisfaisante de Franz Kafka ? Pas pour François Bon qui, dans son Tiers livre "pense que l’édition Pléiade a raté Kafka, en partant sur le principe d’une division de l’œuvre par genre (tome 1 les romans, tome 2 les récits et nouvelles, tome 3 le journal, tome 4 les lettres), au lieu que les éditions allemandes ou traductions anglophones rassemblent récits, lettres, journal selon les époques marquées ou ancrées temporellement par les trois grands romans." Il est vrai que la frontière est tellement mouvante entre les notations personnelles, les considérations philosophiques, les morceaux narratifs, que la division effectuée par la Pléiade est forcément arbitraire et contestable. A la limite, les trois "romans" publiés dans le premier tome pourraient, par leur incomplétude, figurer dans ce volume. Contestables aussi les commentaires de Claude David qui me semble privilégier une interprétation presque toujours autobiographique des textes, même si sa réfutation des thèses antérieures est toujours bien argumentée. Quoi qu'il en soit, ce volume a le mérite de présenter un vaste ensemble de récits peu connus, de débuts de récits plus exactement, à côté des textes courts déjà répertoriés et rassemblés par ailleurs comme Description d'un combat, La Métamorphose, Le Verdict ou Le Terrier. Le choix éditorial est exposé dans l'introduction : il s'agissait de "rétablir la chronologie, isoler les textes narratifs, rendre lisibles les innombrables fragments." Il a l'avantage de suivre le cheminement d'un esprit et d'un homme qui, si on accepte l'interprétation proposée, se voit successivement hanté par sa condition familiale, ses démêlés sentimentaux et la maladie qui sont autant d'obstacles à son travail. Une situation qui pourrait être résumée par la phrase d'ouverture du fragment intitulé Le Voyageur du tramway : "Je suis debout sur la plate-forme du tramway et je suis dans une complète incertitude en ce qui concerne ma position dans ce monde, dans cette ville, envers ma famille." Le lecteur, au bout de ce voyage, n'est pas loin de partager ce sentiment.

SAMEDI.
Football. SA Epinal - USL Dunkerque 2 - 1.

IPAD. 22 octobre 2006. 95 km. (6003 km).


372 habitants

Le monument est au milieu du cimetière, une stèle très haute mais sans ornements.

Aux morts pour la patrie

1914 – 1918

Face :

PERRARD Emile

ERRARD Ferdinand

COSTILLE Ernest

DUFOUR Louis

GEOFFROY Edmond

GRILLOT Camille

MOUGENOT André

MAGNIEN Louis

BLIQUE Henri

THOMAS Gaston

Droite :

CARLY Emile

DESCHAZEAUX Louis

LORRANGE Aimé

SCHUFT Henri

GRANDCLAIR Louis

BOURGEOIS Paul

THOMERET Marcel

MAREY Lucien

POINÇOT Clément

CAPUT Paul

BISVAL André

Gauche :

LARCHE Louis

MOUTON Joseph

REGENT Edmond

MANTE Albert

ERRARD Prosper

HEURET Albert

SPIESZ Paul

HOCQUELOUX Louis

PARISOT Paul

BERNARDIN André

Et douze noms sur une plaque ajoutée Guerre 1939 – 1945, dont deux autres Mouton. Le troupeau a été décimé.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Limoges (Haute-Vienne), photo de l'auteur, 16 août 2006

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°423 - 15 novembre 2009

DIMANCHE.
Lecture. Shakespeare and Company (Sylvia Beach, Harcourt, Brace & Company, New York, 1959 pour l'édition originale, Le Mercure de France, 1962 pour la traduction française, rééd. 2008, traduit de l'américain par George Adam; 316 p., 22,50 €).
Sylvia Beach, l'histoire est connue, fut avec Adrienne Monnier une des principales figures de la vie littéraire parisienne durant l'entre-deux-guerres. Les deux femmes tenaient chacune une librairie-bibliothèque de prêt de chaque côté de la rue de l'Odéon, Shakespeare and Company pour Sylvia, La Maison des Amis des Livres pour Adrienne. La première servait de point de repère aux Américains exilés de l'époque, Hemingway, Fitzgerald et consorts, l'autre abritait l'avant-garde française, de Gide à Cendrars. Tout cela est fort bien raconté dans le livre de Laure Murat, Passage de l'Odéon (Fayard, 2003, notulisé en novembre de la même année dans le numéro 135) consacré aux deux femmes et à leur travaux. Outre leur rôle de libraires, Adrienne et Sylvia se mêlèrent aussi d'édition, et pas pour n'importe quel livre puisque c'est Ulysses de Joyce qui parut chez Shakespeare and Company et dont la traduction française vit le jour aux Amis des Livres. L'histoire est connue donc, mais il est bon de l'entendre racontée par celle qui en tint un des deux rôles principaux. Sylvia Beach livre ses souvenirs, depuis l'ouverture de sa boutique, d'abord située rue Dupuytren, le 19 novembre 1919, jusqu'à l'épisode lui aussi fameux de la libération de sa rue par une escouade emmenée par Hemingway. James Joyce y occupe une place centrale car Sylvia Beach, outre son éditrice, fut aussi sa banquière, son attachée de presse, sa confidente et son bureau de poste sans y retirer autre chose que la satisfaction d'avoir donné à un génie l'occasion de s'exprimer et d'avoir brisé les bâtons que la censure anglo-saxonne lui mettait dans les roues. La gratitude de Joyce ne fut pas éternelle et il délaissa quelque peu sa bienfaitrice une fois la gloire arrivée. Sylvia Beach n'en montre aucune amertume et ses souvenirs sont empreints d'une grande modestie, qui la pousse à s'effacer derrière ceux dont elle dresse le portrait : Larbaud, Fargue, Hemingway, Whitman, Stuart Gilbert et bien d'autres.
Extrait. Une seule phrase de la page 67, une phrase peut-être essentielle pour l'histoire de la littérature, une question posée à Joyce un jour de 1921 : "Accorderiez-vous à Shakespeare and Company l'honneur de publier votre Ulysse ?"

Vie musicale. Nous assistons au concert du quatuor de trombones Hélios en l'église de Deyvillers. Il faut de solides raisons, on s'en doute, pour que je consente à me priver du monument aux morts dominical au profit de ce genre de réjouissance. C'est avant tout une dette que je paie : François, le benjamin du quatuor, avait quatre ou cinq ans lorsque ses parents l'emmenaient dans les bouges enfumés où je chantais. Il aimait ça, il était fasciné par les instruments et n'allait pas tarder à s'y mettre, au piano d'abord puis au trombone, je me souviens de ses exercices au cours de nos séjours en Lozère. Aujourd'hui, à seize ans, il est en passe de faire une belle carrière, il joue Bruckner, Haydn, Debussy et Gershwin avec la même aisance que celle dont je fais preuve en enfilant mes pantoufles, même si je regrette un peu le temps où il me régalait avec "Le petit chapeau tyrolien" d'André Verchuren. C'est aussi l'occasion de pénétrer dans une église qui sera sans doute fermée quand je viendrai étudier le monument aux morts de Deyvillers et de photographier les plaques commémoratives qui s'y trouvent.

TV. Football. Olympique de Marseille - Olympique lyonnais 5 - 5. Joli match, c'est peut-être la première fois de la saison que je n'abandonne pas une rencontre du championnat de France en cours de route pour suivre la Liga ou le Calcio sur une autre chaîne. Forcément, les dix buts marqués suscitent la pâmoison des commentateurs enthousiastes. Aucun d'entre eux ne relève le côté inquiétant de la chose : les deux gardiens titulaires de l'équipe de France qui prennent cinq pions chacun à quelques jours d'un match important contre l'Irlande.

LUNDI.

Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Les Mains sales de Sartre, en Folio. Révision d'urgence pour une demoiselle en rail vers son lycée.

MARDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Cosmétique de l'ennemi d'Amélie Nothomb au Livre de poche.

Lecture. Rue de l'Odéon (Adrienne Monnier, Albin Michel, 1960, rééd. 2009; 272 p., 17 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

Presse. Boris Vian (beaucoup), Histoires littéraires (pas mal) et les notules (un peu) sont à l'honneur dans un article de Vosges Matin.

MERCREDI.
Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Darney est enregistré.

VENDREDI.
Vie merdicale. Restitution du matériel d'enregistrement à l'hôpital de Saint-Avold. On peut désormais suivre l'évolution de la glycémie de Lucie en continu sur les dix derniers jours au cours desquels elle a dû en parallèle noter son emploi du temps et tous ses menus. Il nous reste à attendre les conclusions du docteur K et ses nouvelles directives.

Lecture. Savant à livrer le... (Fred Kassak, Editions du Gerfaut, coll. Chut n° 3, 1957 pour l'édition originale, rééd. in Fred Kassak 1, Le Masque, coll. Intégrales, présentation de Paul Gayot, postfaces de Fred Kassak, 1998; 642 p., s.p.m.).
Des trois romans d'espionnage écrits par Fred Kassak à ses débuts, seul celui-ci a fait l'objet d'une réédition. Il faut dire qu'il est le seul dans lequel l'auteur s'écarte des conventions du genre malgré un thème correspondant à l'actualité de la Guerre froide : le passage à l'Ouest d'un universitaire russe. Comme il le dit dans sa postface, "le genre avait alors ses règles, comme la tragédie classique : le héros devait être beau, musclé, très bagarreur et très astucieux. Il devait être confronté à de redoutables malfaisants, de préférence soviétiques, qu'il massacrait avec un entrain communicatif, et à de perverses créatures de rêve qu'il carambolait de même, les chapitres devant alterner harmonieusement : un massacre, un carambolage." En choisissant comme héros un professeur falot et timoré, spécialiste en langues régionales et donc convoité par les Américains pour décrypter des codes soviétiques, Fred Kassak réussit à donner une couleur plutôt vraisemblable à son récit. La peinture de la société soviétique, si elle n'est pas chatoyante, évite la caricature alors en vogue. Le dénouement est un peu décevant, peut-être bâclé, mais l'ensemble tient debout et se lit avec intérêt et plaisir.

SAMEDI.
Football. SA Epinal - US Raon-l'Etape 0 - 0.

IPAD. 1er novembre 2006. 149 km. (6152 km).


120 habitants

Le monument est à côté de l’église, au sommet du village. Une stèle, ornée d’une simple palme. On entend le bruit de l’autoroute A 31. Les noms figurent sur une plaque neuve.

1914-1918

A nos morts de la Grande Guerre

1914-1918

DESLOGES Louis

MASSELOT Achille

ROSSI Paul

ROSSI René

THOUVENIN Achille

FICKINGER Louis

MAIGROT Charles

VEIN Georges

EMEROT Léon

MARTIN Georges

BEURNE Jules

ADAMISTRE Lucien

1939-1945

PAIN Maurice

L'Invent'Hair perd ses poils.


Bellac (Haute-Vienne), photo de l'auteur, 18 août 2006

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°424 - 29 novembre 2009

DIMANCHE.
Lecture. L'Empereur d'Occident (Pierre Michon, Fata Morgana, 1989 pour la première édition, rééd. Verdier coll. poche, 2007; 96 p., 4,50 €).
Musicien à la cour du roi goth Alaric au moment de la chute de l'Empire romain, Priscus Attalus est devenu un éphémère empereur d'Occident. Aetius, qui le rencontre après sa déchéance, recueille ses souvenirs. Comme dans ses livres précédents (celui-ci est le troisième), Michon s'empare de personnages réels dont il transforme la vie en épopée. Cependant, si les procédés et le style restent les mêmes, il semble ici que la machine tourne à vide. Il manque le côté viscéral des Vies minuscules et de Joseph Roullin, une sorte de rage d'écriture transformée ici en esthétique glacée. On dirait que Michon paie son tribut à Flaubert, à Salammbô en particulier, et il échoue pour une fois à embarquer le lecteur dans son voyage. Il reste les pépites, des phrases comme celle-ci : "... nous parlâmes naturellement de navigation, des amis de la rame et des vaisseaux noirs, de navigation et de poésie grecque : car l'une ne peut être dite sans l'autre, à tel point qu'on ne sait laquelle est le texte de l'autre, et si d'abord on jeta de frêles charpentes goudronnées, ou des mètres de juste syntaxe, sur le pur hasard de la mer et des langues."

Itinéraire patriotique départemental. L'absence de monument aux morts à Darney-aux-Chênes est enregistrée.

MERCREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Je, François Villon de Jean Teulé en Pocket.

Lecture. Les Anciens de Saint-Loup (Pierre Véry, Librairie Arthème Fayard, 1944, rééd. Librairie des Champs-Elysées, Les Intégrales du Masque, tome 1, 1992; 1024 p., s.p.m.).
C'est le Vingt ans après de Pierre Véry. Enfin, quinze ans pour être exact puisque l'histoire se déroule en 1930 et que c'est la promotion 1915 du collège de Saint-Loup qui retrouve son pensionnat le temps d'une journée et d'une nuit mouvementées. Le directeur qui les a conviés a une idée derrière la tête : en leur montrant la décrépitude des lieux, il veut faire appel à leur générosité pour entreprendre des travaux. Le parallèle avec Les Disparus de Saint-Agil est inévitable mais avec ces collégiens devenus adultes, Pierre Véry quitte le registre de la nostalgie pour celui de l'amertume. La jeunesse est enfuie et les hommes faits qui se réunissent ne la retrouveront pas malgré leurs souvenirs, leurs reconstitutions factices et leurs blagues de préau qui cèdent vite la place aux jalousies, aux rivalités et aux mesquineries : "Eux, les Anciens, ils étaient des vieux - en quelque sorte. Oui, déjà, ils s'avançaient sur le chemin de la vieillesse. Il vient un moment où notre enfance, après nous avoir accompagnés jusqu'au seuil avec une courtoisie mélancolique, retire sa main de dedans notre main et nous laisse aller - nous chasse. Car la jeunesse reste avec la jeunesse, l'enfance avec l'enfance. Telle est la loi. Il n'est pas bon que les enfants - même fantômes - courent les rues..." Dans sa préface, Pierre Véry prévient : "Ce livre n'a rien à voir, ni de près ni de loin, avec un roman policier." Coquetterie d'auteur, serait-on tenté de dire, car il y a bien dans cette histoire un cadavre, une enquête et finalement un coupable, mais pas totalement : le volet policier du roman n'est qu'un prétexte à une belle réflexion sur l'impossibilité de conserver l'enfant que l'on a été, conduite dans une langue qui, grâce à sa simplicité, n'a pas du tout vieilli. L'adaptation cinématographique des Anciens est moins connue que celle des Disparus. Elle a été tournée en 1950 par Georges Lampin et elle vaut le détour, ne serait-ce que pour la composition de Pierre Larquey dans le rôle du directeur.

JEUDI.
Transhumance. Départ pour Paris par le 16 heures 26. Arrivé dans ma chambrette, j'allume la TV et tombe sur une chaîne d'informations en continu qui me donne l'occasion de découvrir les images du match de football abandonné hier en cours de route. Pas les images, mais l'image, celle dont tout le monde parle, celle de la main de Thierry Henry. Je vais la voir environ soixante-douze fois en une heure, assortie des commentaires de Pierre, Paul, Jacques, Sean et Terry. Immense rigolade à l'écoute des récriminations des Irlandais qui jouent les rosières immaculées, jusqu'à leur premier ministre, impayable, qui demande à ce que le match soit rejoué. Tous ces nouveaux prix de vertu qui font semblant d'oublier que le football est un sport de triche, de roublardise et de mensonge... Trapattoni, qui en connaît un rayon sur la question, reste d'ailleurs discret et mesuré dans ses propos. A la Colombière, où le silence est aussi glacial que la température, quand un ballon sort en touche, on entend distinctement vingt-deux voix crier "A nous !", et si on gagne sur un coup tordu, on rentre chez soi, moi le premier, bien heureux d'avoir empoché les points de la victoire en se disant que ça rembourse toutes les fois où on s'est fait avoir. Des excuses aux adversaires ? Et pourquoi pas des cadeaux pour la Saint Nicolas de leurs bambins ? C'est comme ça, le football, faites-le jouer par des enfants de choeur qui réciteront trois Pater et deux Ave parce qu'ils ont marché sur les lacets d'un gars d'en face et il n'intéressera plus personne.

VENDREDI.
Vie parisienne. XIIIe Colloque des Invalides au Centre Culturel Canadien, rue de Constantine : "La réclame". Un colloque, ça commence toujours par une déception, quand on apprend que Truc ou Machin, qui étaient au programme, ne viendront pas pour telle ou telle raison. Quand Truc et Machin se nomment, comme aujourd'hui, Maurice Nadeau et Delfeil de Ton, que l'on se faisait une joie de rencontrer pour la première fois, la déception est encore plus forte. Une autre défection, attendue celle-là, concerne François Caradec, excusé pour cause de décès. C'est Jean-Louis Debauve qui, en ouverture, lui rendra hommage en lisant un de ses textes intitulé "La réclame". Ces dernières années, les organisateurs du colloque avaient choisi pour thèmes des intitulés qui pouvaient être interprétés de différentes façons, ce qui avait eu pour conséquence de donner lieu à des communications variées : les curiosa (curiosités érotiques ou curiosités tout court), les prix (prix littéraires bien sûr, mais aussi prix de beauté, prix scolaires, et prix de vertu). Aujourd'hui, pour tout le monde, la réclame, c'est la publicité. On entendra donc au cours de la journée des interventions sur les anciennes publicités médicales, les publicités radiophoniques chantées qui permettront à Paul Braffort, secondé par Martin Peynet, de pousser la chansonnette, les détournements de publicités opérées par les surréalistes (Marc Dachy, Henri Béhar), sur les publicités dans la presse magazine turque et québécoise, sur le product placement en littérature, sur la poésie publicitaire par Alain Chevrier et même sur la publicité extra-terrestre grâce à Christophe Bourseiller. A noter aussi un bel exercice homophonique de l'Oulipien Olivier Salon, auteur lecteur d'un texte truffé de slogans publicitaires. Mais partout, la pub, la pub, la pub, aussi envahissante que dans la vie réelle. Il faudra attendre Alain Zalmanski pour avoir enfin droit à une torsion sémantique du terme réclame. Zalmanski, on n'en attendait pas moins de lui, s'est intéressé aux objets, réclamés ou non, qui dorment sur les étagères dans les bureaux des objets trouvés à Lyon et à Paris, rue des Morillons. Un inventaire illustré dans lequel on pouvait trouver la carte d'accréditation d'un détective brésilien, des petites culottes (une trentaine par an échouent en ces lieux), une cornemuse, un pantalon de gendarme, une veste de caporal-chef, une tête de crocodile, une prothèse articulée, deux robes de mariée perdues l'une dans un taxi et l'autre dans le RER, un chariot pour handicapé, une stèle funéraire, un crâne humain peut-être égaré par un acteur shakespearien et j'en oublie. Une intervention épatante qui aura pour effet de me voir pour la première fois sortir de mon silence pour poser une question à l'orateur. Autre nouveauté sur le plan personnel, je partage la croûte commune à la pause méridienne dans une cantine proche de l'Assemblée où l'on est reçus comme des chiens dans un jeu de quilles. Mousse de je ne sais quoi, papillote de saumon et tarte aux poires, le tout avec la même consistance spongieuse et le même goût ou plutôt la même absence de goût, le tout pour trente euros, du vol qualifié.

SAMEDI.
Vie parisienne (suite). Journée consacrée à mes travaux d'aiguille, au Louvre le matin pour la Mémoire louvrière (aile Richelieu, deuxième étage, salles C et D, tout au bout, il n'y a personne, avec une très belle série de Vues du Danemark et de la Norvège dues à Peter Balke), à la Bilipo l'après-midi pour l'Atlas de la Série Noire. Ce n'est qu'en rentrant at home que j'apprendrai, le lendemain, que j'aurais pu encore densifier mon séjour en assistant à la série "Autour de Georges Perec" donnée à Ménilmontant, où trois films étaient projetés : En remontant la rue Vilin (Robert Bober), La vie filmée 1930-1934 (Michel Pamart & Claude Ventura, commentaire de Perec) et Rue de Crimée (Eric Watt).

IPAD. 12 novembre 2006. 34 km. (6186 km).


129 habitants

Pas de monument proprement dit mais une plaque sur une maison qui est peut-être la mairie, au sommet de ce village dépourvu de centre. Les noms sont répartis sur deux colonnes.

1914-1918

La commune de Bocquegney

A ses enfants

Morts au champ d’honneur

VALDENAIRE Paul 7-9 1914 Souain

MILLIARD Paul 4-3 1915 Chapelotte

CLAUDE Gaston 6-3 1915 Sains-en-Gohelle

THIEBAUT René 25-9 1915 St-Thomas

DUMONT Henri 3-4 1916 Verdun

THIERY Robert 3-6 1918 Pernant

LAHACHE Henry 7-9 1918 Nancy

GUILLEREL Emile 17-12 1918 Haxo

CLAUDE Georges 3-5 1920 Bocquegney

Dans une niche en bois, sous verre, les médaillons photographiques de six des tués, "morts pour la Ffance".

Ensuite, sur une plaque de marbre, une photo ainsi légendée : "A la mémoire de Robert Wasson, 3e Cie du 501 R.C.C. Tué à Bocquegney, le 15-9 1944 à l’âge de 22 ans, à bord de son char ARGONNE".

La gerbe du 11 novembre a été achetée chez Holst Fleurs à Golbey.

L'Invent'Hair perd ses poils.


La Madeleine (Nord), photo d'Alain Zalmanski, 21 décembre 2005

Deuxième apparition de cette enseigne après le Caract'Hair de Valkenburg (409).

DIMANCHE.

Vie parisienne (suite et fin). Je commence la journée dans le XIVe arrondissement, square Henri-Delormel, où se trouvait le logement de la famille Döblin. Je me devais de payer un tribut à Döblin en ce périple parisien dont la préparation et le déroulement m'ont privé, mercredi et jeudi dernier, de deux manifestations qui se tenaient à Saint-Dié : la projection du film Wolfgang Döblin, à la découverte d'un mathématicien et la conférence sur "Deux génies dans la tourmente" donnée par Marc Petit, l'auteur de L'Equation de Kolmogoroff que j'aurais bien aimé entendre. On ne peut pas être partout. Le numéro 5 porte une plaque commémorative qui mentionne le village d'Housseras, je prends des photos. Direction plein nord ensuite pour une aimable entrevue avec PCH, notulien parisien qui travaille actuellement à la Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette où j'ai justement affaire cet après-midi. C'est la Fête de la science et, pour l'occasion, la Cité a organisé une séance publique du Collège de 'Pataphysique ce qui ne saurait surprendre que ceux qui ignorent que "la Pataphysique est la Science". Le Collège a prévu de présenter trois séries de travaux sur des dossiers qui ont fait ou feront l'objet de publications : le décervelage, la patabotanique et la science-fiction. Où l'on retrouve des figures croisées l'avant-veille aux Invalides, Marc Décimo, Elisabeth et Maurice Chamontin, Alain Chevrier, et où l'on découvre des pataphysiciens dont on ne connaissait jusqu'alors que les signatures, Pascal Bouché, auteur d'une belle leçon d'histoire sur le décervelage, Claude Gudin, Thieri Foulc, Paul Gayot et d'autres. La partie décervelage est excellente, la partie patabotanique
un peu plus faible (je n'assisterai pas à la troisième pour cause d'impératifs ferroviaires), la salle est comble, le public ravi. La Pataphysique fait un triomphe, la Pataphysique est populaire. L'autre jour, pareil, sur France Inter, émission sur la Pataphysique, gros succès, beaucoup d'appels téléphoniques, comment on fait pour adhérer. Je ne suis pas membre du Collège depuis assez longtemps, je n'y occupe certes pas une position assez éminente, pour que je me permette de juger de ses orientations mais il y a dans cette ferveur populaire quelque chose qui me gêne et j'ai pu constater, ces jours-ci, que certains dignitaires du Collège se posaient également des questions à ce sujet. La Science ne progresse pas en plein jour, elle a besoin, pour s'épanouir, peut-être pas d'une obscurité complète mais d'un éclairage tamisé. Et la frayeur me prend à l'idée que le Collège est peut-être, à son tour, entré dans le monde de la communication.

LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). L'Elégance du hérisson de Muriel Barbery en Folio.

MARDI.
Vie littéraire. Je boucle le Bulletin Perec et l'adresse à Bernard Magné pour les opérations de mise en page et d'impression.

MERCREDI.
Lecture. Le Correspondancier du Collège de 'Pataphysique. Viridis Candela, 8e série, n° 6 (15 décembre 2008, 128 p., 15 €).
Etonnement à la découverte de ce numéro : il est entièrement publié sur un papier mauve qui semble tout droit sorti du nuancier de la gamme Lotus destinée à l'essuyage intime. Etonnement de courte durée quand on s'aperçoit que le thème du trimestre est le mauvais goût. Pour une entrée en matière, une mise dans l'ambiance, c'est plutôt réussi. Parmi les manifestations du mauvais goût pictural, littéraire, photographique ou sociétal qui sont ici déclinées, il en est une qui m'a particulièrement intéressé. C'est une coupure de presse d'origine et de date inconnues intitulée "Valentine, reine du Bingo Bouse" et accompagnée de la photo d'une vache, "Valentine, star du Bingo Bouse à Saint-Martin de la Lieue, près de Lisieux." En voici le texte : "A Saint-Martin de la Lieue le week-end dernier l'animation phare de la kermesse était le Bingo Bouse. Valentine, une charmante vache Primholstein, a été lâchée dans un herbage où avait été dessinés [sic] 1000 cases, préalablement vendues à des parieurs. Le vainqueur de ce jeu pour le moins insolite était celui qui a acheté la case dans laquelle la vache a fait sa première bouse. Un séjour à Center Park d'une valeur de 600 euros était à la clef. Malheureusement, la pauvre Valentine tout étonnée de se retrouver seule sans ses congénères, sous le regard étonné des drôles de spectateurs, n'a pas bougé pendant une bonne partie de l'après-midi. Peut-être est-elle intimidée et a-t-elle simplement fait preuve d'une pudeur bien légitime." Cet article m'a remis en mémoire une conversation tenue ici en avril 2008 avec une délégation de notuliens québécois en visite. CM m'avait à cette occasion parlé d'un concours semblable qui se déroulait au Québec sous le nom de "Concours de la vache qui chie" ou du "tas chanceux". J'ai demandé récemment à CM des renseignements complémentaires, voici ce qu'il m'a répondu : "L'endroit où j'avais vu, il y a environ quinze ans, le concours du "tas chanceux" est St-Séverin, un village près de St-Tite où se déroule chaque année, au début septembre, le plus gros festival country de la province. J'ai lu que ce concours semblait s'éteindre à cause de la mauvaise coopération de la vache."

VENDREDI.
"Fous littéraires et folies artistiques". Deux heures de cours ce matin seulement, ce qui me permet de filer vers Pont-à-Mousson par le 11 heures 17 au départ de Châtel-Nomexy. Un court périple, j'arrive aux environs de 13 heures. De la gare à l'abbaye des Prémontrés, j'ai le temps de prendre les photos habituelles : salon de coiffure, café fermé, pharmacies, monument aux morts, plaque de rue (une rue du Quai, ce n'est pas neuf mais ça fait toujours plaisir), j'ajouterai un "lieu où j'ai dormi" le soir venu. En attendant, je rencontre MP, notulienne, et nous parlons du colloque qu'elle organise le 1er avril prochain à Limoges sur le thème "Causeries brouettiques, brouettes, fous littéraires, bibliothèques imaginaires". Le programme, s'il n'est pas encore arrêté, est résolument alléchant avec la présence annoncée de Gérard Oberlé, ancien Prix René-Fallet, Henri Cueco, artiste papou, Francis Mizio à qui l'on doit le renouveau de la connaissance brouettique, André Stas, Jean-Bernard Pouy et, parce qu'il n'y a de bon colloque sans notulien, Christian Dufour. Chemin faisant, nous arrivons aux portes de la salle qui abrite depuis hier un autre colloque, intitulé "Les doux dingues aux Prémontrés". Devant la porte papote une assemblée de croque-morts raides comme la justice dans leurs costumes sombres. Que diable suis-je venu faire en cette galère ? MP me rassure, il s'agit d'une réunion de financiers du groupe Swisslife, venus sans doute s'encanailler et parler de la crise aux frais de leurs clients dans une salle voisine. Les amateurs de folie littéraire on une vêture moins académique, comme en témoigne Marc Ways, grand organisateur, qui arrive la bannière au vent. Avant la reprise des hostilités, j'ai encore le temps de me présenter à Michel Arrivé, avec qui j'ai un peu conversé ces derniers temps sur ses Remembrances du vieillard idiot et Adolphe Ripotois. Malheureusement, son intervention sur le grammairien fou Michel le Neuvillois avait eu lieu le matin, je l'ai ratée comme j'ai raté aussi des causeries aux intitulés aussi alléchants que "Mes raisons de croire que la Lune n'est pas faite de fromage vert" ou "La Corse est-elle le vrai centre du monde ?" Je me console avec une présentation de Johannes Baader, l'OberDada dont Marc Dachy avait justement dressé le portrait la semaine dernière aux Invalides, un exposé de Marc Décimo sur Olivier Brenot, de la tendance celtomaniaque, et surtout un très bel exposé de Christophe Boulanger, conservateur au Musée d'Art Moderne de Lille, sur Aimable Jayet. Avec Jayet, on est aux frontières de la folie littéraire, de l'art brut et de l'art asilaire. Ses oeuvres, de fascinants cahiers illustrés et autres écrits sur, par exemple, des sacs de ciment (voir ci-dessous), ont en effet été réalisées à l'asile de Saint-Alban, à l'époque où Lucien Bonnaffé y était médecin-chef et méritent sans aucun doute autant d'intérêt que celles d'Aloïse Corbaz.

SAMEDI.
Vie mussipontaine (suite et fin). Encore une demi-journée de colloque avec, au menu, des figures un peu plus connues : André Stas parle de Francisque Tapon-Fougas, un des chouchous de Blavier dans Les Fous littéraires, célèbre pour sa manie de la persécution (au moyen d'ondes électro-galvaniques), ses échecs répétés à diverses élections, les innombrables revues dont il fut le rédacteur et l'unique lecteur et sa haine pour Victor Hugo qu'il accusait d'avoir construit le personnage de Thénardier en s'inspirant de sa propre personne; Tanka G. Tremblay évoque la paranoïa du Prince Korab et son magnifique projet de conquérir la Chine. Ces exposés montrent qu'il n'est pas nécessaire, pour faire quelque chose d'intéressant, de chercher à tout prix des fous littéraires qui ne figurent pas dans le Blavier. Blavier, dans sa somme, ne pouvait pas tout dire sur les auteurs qu'il a inventoriés et il suffit de tirer un des fils de sa trame pour mettre au jour des univers mentaux et littéraires fascinants. Mais c'est du travail : une vie entière ne suffirait peut-être pas à une étude exhaustive de la vie et de l'oeuvre de Tapon-Fougas. Dernière intervention : Pierre Popovic, de l'Université de Montréal à Québec, s'est intéressé aux textes du siècle dernier commentant l'apparition de la bicyclette, ce qui donne lieu à de belles trouvailles sur le plan sportif, hygiénique ou militaire par exemple. Voilà, c'est fini. Les valises sont prêtes, on peut rentrer. Je regrette vraiment de n'avoir pu participer à l'ensemble des travaux, l'aperçu que j'en ai eu était de haute tenue mais le public n'était pas très nombreux : les fous littéraires n'ont pas encore l'audience de la 'Pataphysique, mais peut-être ne doivent-ils pas s'en plaindre. Avec trois colloques littéraires en l'espace de huit jours, j'ai pu observer une constante. Désormais, l'informatique fait partie du spectacle. Chaque orateur ou presque vient avec sa clé USB porteuse des illustrations graphiques ou sonores qui doivent (est-ce toujours nécessaire ?) accompagner ses propos. C'est là qu'on commence à rigoler : le fichier recherché se révèle introuvable, l'organisateur a fourni un Mac là où l'on attendait un PC, les images passent à l'envers, dans le désordre ou pas du tout. Cela ne se produit certainement pas dans les séminaires de la Swisslife mais les littéraires se révèlent souvent tâtonnants face à la bête informatique. Il faut les comprendre : ils commençaient à peine, au bout de cinquante ans, à maîtriser le projecteur à diapos et le magnéto cassettes et voilà qu'on les leur enlève... Certains restent sereins : l'autre jour, aux Invalides, j'ai pu apercevoir le texte de la communication du mallarméen Pascal Durand. Il était manuscrit.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

IPAD. 19 novembre 2006. 75 km. (6261 km).


112 habitants

C’est un village rue semé de si peu de maisons qu’on se demande où sont passés les 93 habitants recensés à l’époque. Le monument, stèle de marbre rose ou peut-être de grès poli, est planté devant l’école dont le fronton porte l’inscription suivante :

République française

Commune de Bois de Champ

Maison d’école construite grâce au généreux concours de l’Etat

Monsieur Jules Ferry étant Ministre de l’Instruction Publique Président du Conseil

Septembre 1881

Aux morts pour la patrie

1914-1918

La commune de Bois de Champ reconnaissante

Droite :

CAEL Camille

CHAUFFOUR Edmond

FLEURENCE Jules

IDOUX Charles

THOMAS Joseph

1939-1945

KILFIGER Eugène

Gauche :

ANSEL Albert

BAPTISTE Lucien

BASTIEN Charles

BASTIEN Félicien

BASTIEN Paul

La gerbe, encore fraîche, vient de la marbrerie Saclusa « face au cimetière Bruyères ».

L'Invent'Hair perd ses poils.


Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de l'auteur, 4 novembre 2005.

Encore un Caract'Hair. On se croirait chez La Bruy'Hair.

Bon dimanche.