Notules
dominicales de culture domestique n°409 - 9 août 2009
DIMANCHE.
Lecture. Les Argonautes du Pacifique
occidental (Argonauts of the Western Pacific. An Account of Native
Enterprise and Adventure in the Archipelagoes of Melanesian New Guinea,
Bronislaw Malinowski, Studies in Economics and Political Science
n° 65, Routledge and Kegan Paul, London, 1922 pour l'édition
originale; Gallimard, 1963 pour la traduction française, rééd.
Gallimard, coll. Tel n° 145, 1989; traduit de l'anglais et présenté
par André et Simone Devyyer, préface de Sir James G. Frazer,
introduction de Michel Panoff; 606 p., s.p.m.).
On s'attaque ici à un monument fondateur de l'ethnologie, une étude
reconnue comme étant le modèle type de la méthode
fonctionnelle à laquelle viendront s'opposer plus tard les tenants
de la méthode structuraliste, Lévi-Strauss en tête.
Inutile de dire que ces considérations dépassent quelque
peu le cadre de mes compétences. Il me semble toutefois avoir saisi
que pour Malinowski, chaque élément culturel ne s'explique
que par rapport aux éléments voisins et que le travail de
l'ethnographe consiste à rechercher les liens entre ces éléments.
Ainsi, plongé pendant deux ans (1914-1916) dans le monde des îles
Trobriand, à l'est de la Nouvelle-Guinée, Malinowski s'intéresse
à un fait sociologique qui semble lier les habitants à ceux
des archipels environnants et cimenter leur propre société
: la Kula. La Kula est un système d'échange intertribal
de grande envergure, "elle s'effectue entre des archipels dont la
disposition en un large cercle constitue un circuit fermé. Empruntant
cet itinéraire, deux sortes d'articles - et ces deux sortes seulement
- circulent sans cesse dans des directions opposées. Le premier
article - de longs colliers de coquillages rouges - fait le trajet dans
le sens des aiguilles d'une montre. Le second - des bracelets de coquillages
blancs - va dans la direction contraire. Chacun d'eux, suivant ainsi sa
voie propre dans le circuit fermé, rencontre l'autre sur sa route
et s'échange constamment avec lui. Tous les mouvements de ces articles
Kula, les détails des transactions, sont fixés et réglés
par un ensemble de conventions et de principes traditionnels, et certaines
phases de la Kula s'accompagnent de cérémonies rituelles
et publiques très compliquées." Ce sont ces mouvements,
transactions, conventions, rites et cérémonies que Malinowski
va s'attacher à décrire pendant six cents pages serrées,
aidé par la connaissance de la langue locale qu'il apprend au fur
et à mesure. Dire que l'ensemble est passionnant serait exagéré.
Il est cependant assez fascinant de suivre cet homme au fil de ses découvertes
et de ses analyses qui n'épargnent aucun champ, de la fabrication
des canots à l'analyse linguistique des formules magiques. Malinowski
a de plus le souci d'expliquer à chaque étape le sens de
sa démarche, le vocabulaire technique qu'il utilise et même
si ses opinions ont été depuis largement remises en cause,
il est intéressant de voir ce qu'est un véritable travail
d'ethnologue, lucide sur les limites de son activité : "L'ethnologie
se trouve dans une situation à la fois ridicule et déplorable,
pour ne pas dire tragique, car à l'heure même où elle
commence à s'organiser, à forger ses propres outils et à
être en état d'accomplir la tâche qui est sienne, voilà
que le matériau sur lequel porte son étude disparaît
avec une rapidité désespérante. Juste au moment où
les méthodes et les buts de la recherche ethnologique sur le terrain
sont mis au point, où des chercheurs parfaitement formés
pour ce genre de travail ont commencé à parcourir les pays
non civilisés et à étudier leurs habitants, ceux-ci
s'éteignent en quelque sorte sous nos yeux." Pendant la Seconde
Guerre Mondiale, les îles Trobriand furent transformées en
camp de transit pour la reconquête des îles Salomon et accueillirent
jusqu'à 60 000 G.I. On imagine ce qu'il advint des coutumes traditionnelles
de leurs habitants.
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aux notules.
LUNDI.
Fête Nat'. Tout occupé
à me dévisser le cou au milieu de mes concitoyens pour admirer
les feux d'artifice de saison en attendant qu'un pékin (et il y
en aura un) prononce la phrase rituelle ("C'était bien, mais
moins bien que l'an dernier"), je m'étonne qu'un membre de
la tribu des bien-pensants n'ait pas encore élevé de protestation
officielle contre cette pratique barbare sous un des prétextes
suivants : ça rend sourd, ça fait de la fumée, ça
fait peur aux pigeons, ça détruit la couche d'eau jaune,
ça fait fondre la banquise. Patience, on finira bien un jour par
nous mettre en garde contre le pétaradisme passif.
MARDI.
Itinéraire patriotique départemental.
Le monument aux morts de Courcelles-sous-Châtenois est
enregistré.
JEUDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
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Lecture. Revue des Deux Mondes
(juin 2008; 192 p., 11 €).
"Nous autres, méditerranéens"
C'était il y a un an et c'est déjà presque oublié,
ça s'appelait le projet d'Union pour la Méditerranée.
Une belle perspective, une belle occasion de repenser les rapports Nord-Sud
annoncée par le président Sarkozy qui, une fois l'effet
d'annonce estompé, a vite tourné les talonnettes pour aller
voir ailleurs. La chose aura au moins permis à la Revue des
Deux Mondes de bâtir un beau dossier sur le sujet, dossier qui
remet à l'honneur les travaux de Fernand Braudel sur la Méditerranée.
On en retiendra le bel article de la philosophe tunisienne Hélé
Béji qui fait avec force et lucidité le bilan de la période
coloniale en allant bien au-delà des habituelles tartes à
la crème sur la repentance et le pardon.
Le Prédicateur (Predikanten, Camilla Läckberg,
Forum, Stockholm 2004 pour l'édition originale, Actes Sud, coll.
Actes noirs, 2009 pour la traduction française, traduit du suédois
par Lena Grumbach et Catherine Marcus; 384 p., 22 €).
On le sait depuis un moment, la Suède possède de grands
auteurs de polar, les Sjöwall & Wahlöö, les Mankell,
Larsson, Theorin, ce n'est pas rien. Il manquait toutefois un petit quelque
chose pour que ce pays devienne l'égal du grand frère américain
dans ce domaine et ce petit quelque chose, on le tient enfin avec Camilla
Läckberg. Camilla Läckberg est, tirages à part mais ça
peut venir, la Mary Higgins Clark suédoise. Des personnages nunuches
à souhait, des intrigues dans lesquelles l'aquavit est baptisé
à l'eau de rose, une écriture pleine des clichés
les plus éculés, une psychologie d'arrière-cour,
un bas-bleu chaussé de gros sabots, c'est Camilla Läckberg.
Son premier livre traduit, La Princesse des glaces, faisait encore
illusion parce que l'histoire policière parvenait à cacher
par moments le côté artificiel mais ici, il n'y a vraiment
rien à sauver dans cette histoire de famille abracadabrante. Pour
le plaisir, le premier paragraphe de la page (interminable comme il se
doit) consacrée aux remerciements : "Tout d'abord je tiens
à remercier mon mari Micke qui, fidèle à son habitude,
fait passer mon écriture avant toute chose. Il est mon premier
fan. Sans toi, je n'aurais pas pu gérer en même temps le
bébé et l'écriture". Un bébé ?
Attention ! La fille de Mary Higgins Clark écrit aussi.
VENDREDI.
Vie parisienne. Soucieuse de faire
le plein de civilisation avant d'aller s'enterrer en Creuse, la Didionnée
part pour Paris. Elle a même emprunté un GPS pour que l'auto
trouve le chemin du clapier qui abrite d'ordinaire mes escapades en solitaire.
C'est d'ailleurs en solo que je débute ce séjour, abandonnant
femme et filles aux délices du magasinage. Je cours m'enfermer
à la Bibliothèque des Littératures Policières
histoire de progresser un brin dans mes travaux d'aiguille et j'en profite
pour parcourir le dernier numéro du Rocambole (beau dossier
sur le roman policier belge) et découvrir le Bulletin des Amis
de Régis Messac dans lequel François Caradec et Léo
Malet sont à l'honneur.
SAMEDI.
Vie
parisienne (suite).
La journée est consacrée au tourisme. Faire du tourisme
à Paris (ailleurs aussi peut-être mais j'ai peu d'expérience
en ce domaine), c'est en gros se livrer à d'assez longs et inconfortables
déplacements souterrains pour aller contempler des choses que le
monde entier nous envie et découvrir que justement, le monde entier
s'est donné rendez-vous à la même heure pour contempler
les mêmes choses que vous. Ce qui, avec une météo
à peu près clémente, un peu de patience et de bonne
humeur, n'est pas forcément désagréable.
IPAD. 2
janvier 2005. 140 km (4528 km)

77 habitants
Le monument
est dans l’église, heureusement ouverte. C’est un coffre de bois
surmonté d’une statue de Jeanne d’Arc et encadré de deux
peintures. Celle de gauche, surmontée de l’inscription «
EN SE » représente deux soldats dans une tranchée
enneigée. Celle de droite, surmontée de l’inscription «
ARATRO » représente des paysans qui labourent près
d’un cimetière. La liste des victimes est en lettres dorées
et s’étend sous la palme tendue par une Victoire ailée.

Pro
Deo Pro Patria
Paroisse
de Beaufremont
A
nos morts de la Grande Guerre
Albert
DARGENT ss Lt.
Août
1914 Aberschwiller Alsace
Paul
PICOCHE
Août
1914 Ansbach Bavière
Louis
BLANDIN
Septembre
1914 Deuxville M. et M.
Camille
DENIS
Janvier
1915 Rosendaël Nord
Fernand
PETIT Sergt
Mars
1915 Bois Leprêtre
Gaston
THUUS
Septembre
1915 Ripont Champagne
Ulrich
LESCOFFIE
Avril
1917 Verneuil-Beauclue Aisne
Julien
PIEROT Mal des Logis
Avril
1918 Mont-Kemmel Belgique
Achille
PLUMEREL Mal des Logis
Mai
1918 Chavigny Aisne
Louis
LARCHE
Août
1918 Cuperly Champagne
Joseph
LANTERNIER Adjt
Juin
1919 Tonkin
Alphonse
MULOT
Novembre
1914 Mon du Passeur
Edgard
CAUDIOT
Juin
1923
L'Invent'Hair
perd ses poils.

Thiron-Gardais (Eure-et-Loir), photo de Jean-Claude Bourdais, mai 2006
DIMANCHE.
Vie parisienne (fin). Les touristes,
c'est bien connu, c'est là pour choper la turista. Au réveil,
la moitié de l'effectif est sur le flanc et incapable de mettre
un pied devant l'autre. Nous décidons donc de mettre fin au séjour
et organisons un rapatriement sanitaire pour regagner le bercail plus
tôt que prévu. J'ai l'impression de conduire un VSL. A l'arrivée,
Alice et Caroline s'alitent pour une nuit de 18 heures pour l'une, de
24 heures pour l'autre.
JEUDI.
Vie merdicale. Visite d'un infirmier
éducateur qui vient constater comment Lucie se débrouille
avec la pompe à insuline, les changements de cathéter, les
réglages et tout ce qui s'ensuit. Réponse : pas mal du tout.
Fidélité. Je m'abonne
aux matches du SAS football pour la saison 2009 - 2010, championnat de
France Amateur groupe A, ouverture des hostilités le 9 août.
Lecture. Vie et aventures de Robinson
Crusoé (The Life and Strange Surprizing Adventures of Robinson
Crusoe of York, Mariner, Daniel Defoe, W. Taylor, London, 1719 pour
l'édition originale; Gallimard, bibliothèque de la Pléiade,
1959, traduit de l'anglais par Pétrus Borel, notes de Francis Ledoux;
1338 p., 55 €).
Avant d'entreprendre la lecture d'un classique si connu que l'on pense
tous l'avoir lu, il convient de savoir ce que recouvre le titre Robinson
Crusoé. C'est par là que j'aurais dû commencer, cela
m'aurait évité quelques heures de souffrance. Pour l'édition
anglaise que je possède, en Penguin Popular Classics, Robinson
Crusoé, c'est uniquement la première partie du récit
de Daniel Defoe. La Pléiade y ajoute la suite que l'auteur, au
vu du succès rencontré, lui donna la même année,
le tout dans l'élégante traduction de Pétrus Borel
parue chez Varenne et Borel en 1836. A la lecture des deux parties, il
apparaît clairement que la seconde ne présente quasiment
aucun intérêt et que l'on peut aisément s'en dispenser.
Contrairement à certaines œuvres connues sans être lues qui,
lorsqu'on en pousse la porte pour de bon, révèlent des richesses
cachées, Robinson Crusoé ne vaut que par ce qui a fait sa
légende, le récit des vingt-huit ans de solitude (mené
à la première personne dans un souci d'authenticité,
Defoe voulant faire passer la chose pour une expérience vécue)
par le navigateur naufragé. C'est dans cette première partie
que l'auteur parvient à captiver le lecteur en racontant les entreprises
de son héros tour à tour menuisier, architecte, potier,
chasseur, éleveur, cueilleur, pêcheur, cultivateur, boulanger
et on en passe au prix d'un récit bien dosé entre les menaces,
les découvertes et les initiatives. Dès que Vendredi apparaît,
bientôt suivi par d'autres personnages, l'aventure devient confuse
et perd peu à peu de son intérêt - ceux qui ont tenu
jusqu'au bout du film auront remarqué que le même phénomène
se produisait dans Robinson et le triporteur avec Darry Cowl. Dans
la seconde partie, Robinson retourne sur son île, entreprend de
la peupler et la quitte pour un voyage interminable qui le mènera
au Brésil, à Madagascar, en Chine, en Russie, voyage qui
donne lieu à une succession d'épisodes d'action des plus
confus entrecoupés de digressions philosophiques et religieuses
particulièrement indigestes. Moralité, pour paraphraser
John Ford : read the legend, ça suffira. En tout cas, on
se gardera ici de tâter des Réflexions sérieuses
de Robinson Crusoé que Defoe crut bon d'ajouter à son œuvre
un an plus tard.
SAMEDI.
Vie vacancière. Nous retrouvons
pour la troisième année consécutive notre thébaïde
de Saint-Frion (Creuse), l'endroit le plus proche du paradis à
mon gré. Un endroit qui m'est d'autant plus cher que je le sais
éphémère. Pour l'instant, tout le monde s'y plaît
mais il viendra bien un jour où les filles, Caroline ou moi-même
allez savoir, auront des envies d'ailleurs et voudront partir ivres d'un
rêve héroïque et brutal aux bords mystérieux
du monde occidental, pour regarder briller les feux de Port-Saïd,
Pondichéry, Mahé, Yanaon, Karikal, trouver de vrais amis
au Monomotapa, descendre on ne sait où des fleuves impassibles,
voir le Tibre latin et le mont Palatin, se reposer dans Ur ou dans Jérimadeth
- et pourquoi pas en Arles où sont les Alyscamps - se perdre dans
Madrid, princesse des Espagnes, Bénarès, accroupie, rêvant
le long du fleuve, en bref fuir, là-bas fuir. En attendant, à
peine les affaires rangées, je suis au bord de l'étang dans
un transat antique, gitane maïs - la cigarette du pêcheur -
au bec, et attrape mes premiers poissons. Poissonnets, dirons-nous.
Lecture. Les Hauts du Bas (Pascal
Garnier, Zulma, 2003, rééd. Le Livre de poche n° 31206;
192 p., 5,50 €).
Rien de tel qu'un petit Pascal Garnier pour se remettre d'une lecture
éprouvante, celle de Daniel Defoe m'ayant occupé trop longtemps
de façon stérile. Garnier en naturaliste des temps modernes
dans un de ses thèmes favoris, la vieillesse qu'il contemple ici
sans fioritures dans un face à face entre un vieillard richissime
qui perd un peu la boule et son infirmière dévouée.
Deux ou trois cadavres viendront pimenter la vie du duo. Mais Garnier
se fiche des lois du polar, de la règle d'or qui interdit l'usage
de sosies par exemple, de la loi qui veut que toute énigme ait
une solution. Un milieu, deux ou trois protagonistes, un enchaînement
rapide d'actions sèches, une pirouette pour finir, salut l'artiste,
c'est de la belle ouvrage.
IPAD.
9 janvier 2005. 63 km (4591 km)

133 habitants
Le monument
aux morts, dit l’autochtone interrogée, est à Champ-le-Duc.
Nous attendrons donc que l’ordre alphabétique nous conduise à
cette commune.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Valkenburg (Pays-Bas), photo de Danielle Constantin, juin 2006.
DIMANCHE.
Bulletin
de santé. "Un
haut dirigeant français victime d'un malaise alors qu'il gambadait
en culottes courtes dans les sous-bois" (les radios). A la même
heure, j'étais en pleine sieste. Je me suis réveillé
en pleine forme.
LUNDI.
Lecture.
Vies minuscules (Pierre Michon, Gallimard, nrf, 1984;
212 p., 16,10 €). En
Creuse, lisons creusois. Limousin plutôt, tant la parenté
semble grande entre Michon le Creusois et son voisin corrézien
Bergounioux qu'on lisait ici même l'an passé. Issus tous
deux d'une terre déshéritée où, à les
en croire, rien n'a changé entre le néolithique et l'arrivée
du chemin de fer, voire de la télévision, Michon et Bergounioux,
s'ils ont lutté pour s'en arracher et échapper au destin
promis par leurs origines, ne peuvent s'empêcher de se retourner
vers leur passé et leurs racines. Pour Michon, ce sera dans une
galerie de portraits, des gens de son village, un voisin de lit d'hôpital,
un prêtre, des grands-parents, une compagne, une sœur tôt
disparue, des humbles aux vies minuscules qu'il s'emploie à magnifier
par la seule arme dont il dispose, l'écriture. Chez Bergounioux,
c'est la même chose, le même arsenal dérisoire qui
permet de s'arracher à la glèbe : le savoir, les livres,
l'écriture. La même que celle de Michon d'ailleurs. Les phrases
de l'un pourraient s'insérer dans les livres de l'autre sans qu'on
le remarque, une phrase ample mais heurtée, une phrase d'effort,
d'ahan, remplie d'incises, d'images travaillées qui sinuent entre
les subjonctifs impeccables. Chez Michon, des épaules tombantes
se transforment en "retombée scapulaire d'orang-outang",
le mouvement de la mer devient une "grande reptation marine irritée"
et si quelque chose d'insolite survient, "l'inhabituel suspend son
point d'orgue parmi les bruits frais du jour". D'aucuns diraient
que c'est de la littérature de certificat d'études, celle
des "derniers rejetons pauvres de l'école laïque, ceux
qui apprenaient en classe Racine et Hugo comme une langue étrangère"
dira Michon dans un autre livre - je n'ai rien contre la littérature
de certificat d'études, je prends toujours plaisir à lire
Daudet et le compte bien un jour lire Anatole France - augmentée
chez Michon d'un goût pour l'emphase, celle du Flaubert de Salammbô
et de Saint Julien l'Hospitalier. Derrière ces portraits,
ces vies minuscules, cette glorification des gueux se dessine en creux
l'autoportrait de Pierre Michon. Michon au père enfui, Michon le
buveur, Michon le drogué, Michon le scandaleux, un homme qui ne
s'aime pas, un homme qui en a bavé, et dont la pauvre vie, à
ses yeux, ne vaut pas tripette face à celle de ceux qu'il célèbre
ici dans un livre magnifique.
Extrait.
"Car je pense quant à moi qu'il avait tout, presque, pour
être un auteur intraitable : l'enfance aimée et rompue désastreusement,
l'orgueil féroce, un saint patron obscurément inflexible,
quelques lectures jalouses et canoniques, Mallarmé et combien d'autres
pour contemporains, le bannissement et le père refusé; et
qu'il s'en fût fallu comme d'habitude d'un cheveu, je veux dire
d'une autre enfance, plus citadine ou aisée, nourrie de romans
anglais et de salons impressionnistes où une mère belle
tient dans sa main gantée la vôtre, pour que le nom d'Antoine
Peluchet résonnât dans nos mémoires comme celui d'Arthur
Rimbaud."
Vie halieutique.
Histoire d'attraper quelque chose de consommable, je me lance dans la
pêche aux écrevisses.
MERCREDI.
Vie
culinaire. J'entreprends
de cuire les écrevisses pêchées ces derniers jours.
Avant toute chose, il convient de châtrer les bêtes, à
savoir leur ôter le tube intestinal en détachant d'un coup
sec la nageoire caudale centrale (j'ai eu soin d'emporter mon Ginette
Mathiot), le tout en se gardant des pinces, toujours actives. J'ai bien
fait de lire Robinson Crusoé avant de partir.
SAMEDI.
Tourisme.
Nous profitons de la visite de mes parents pour faire une escapade à
Guéret, où je n'ai pas mis les pieds depuis 2001. On dirait
une ville morte, en comparaison avec l'animation bon enfant qui règne
à Aubusson où nous avons nos habitudes. Même les salons
de coiffure (Phil Coiff, Chris Coiff...) manquent de conviction et n'entreront
dans l'Invent'Hair que du bout des ciseaux. J'ai tout de même
la satisfaction de trouver la maison natale de Marcel Jouhandeau, rue
de l'Ancienne-Mairie, dont une boucherie occupe toujours le rez-de-chaussée.
IPAD.
23 janvier 2005. 65 km (4656 km)

173 habitants
Rien à
Begnécourt. Une habitante m’indique le cimetière, très
éloigné, de l’autre côté de la route de Vittel.
Rien au cimetière non plus. Je trouve le monument un peu plus loin,
au flanc d’une église, à Adompt. Il concerne les communes
de Gelvécourt-et-Adompt, Begnécourt et Légéville-et-Bonfays.

A
nos morts 914-1918
Cne
de Begnécourt
A.
MOUREY
G.
BOULANGIER
M.
MERLIN
R.
DELIGNY
Sur
la base de la stèle, à gauche :
Cne
de Gelvécourt Adompt
Z.
JEANROY
P.
REMY
P.
USUNIER
L.
JACQUEMIN
G.
DUVOY
P.
FRANÇAIS
J.
VERJUS
A
droite :
Cne
de Légéville
J.
DRAPIER
L.
BOURGON
L.
FRAYARD
39-45
R.
BAILLOT
Y.
MOUREY
F.
NICOLAS
Au pied,
une plaque de marbre en très mauvais état (DUVOY, mort pour
la France) et six plaques émaillées sous verre avec les
photos de :
-
MERLIN Marcel 22 ans 149e INF. mort à Souain (Aisne) le 23 septembre
1914
- MOUREY André 20 ans soldat au 170e INF. mort à Mesnil
les Hurlus le 15 mars 1915
- BOURGAUT Marc 20 ans soldat au 10e BCP mort à Aix Noulette (P.
de C.) le 19 juin 1915
- JACQUEMIN Louis 35 ans soldat au 6e COLOL mort aux Dardanelles (Orient)
le 21 juin 1915
- REMY Pierre (33 ans) soldat au 158… (illisible) mort à Aix… (illisible)
- JEAUROY (gravé JEANROY plus haut) Ze… (illisible) 30 ans soldat
au 170° IN… (illisible) mort au Plateau de Lorette (P… illisible)
le 16 octobre 1915.
L'Invent'Hair
perd ses poils.

Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de François
Bon, juin 2006.
DIMANCHE.
Tourisme
littéraire.
Le temps est gris aujourd'hui, propice à une excursion sur les
terres des Vies minuscules de Pierre Michon. C'est une autre Creuse
que celle qui nous abrite, c'est au-delà de Bourganeuf, vers Limoges,
une Creuse qui tutoie la Haute-Vienne, sillonnée par les minuscules
vermicelles blancs de la carte Michelin, aussi tortueux que les noms des
patelins, tous ces "bleds aux noms impossibles". J'ai pris des
photos, les mêmes que d'habitude, des publicités pâlies
peintes aux murs des maisons, des bistrots borgnes, des pancartes, des
cimetières, des tombes, des noms, des monuments aux morts où
sont alignées des vies minuscules brutalement interrompues. J'ai
vu ce qui reste des cafés de Châtelus, Saint-Goussaud, Mourioux
où Fiéfié Décembre chanta l'odyssée
américaine d'Antoine Peluchet, j'ai vu, dans son église
déserte, saint Goussaud - un de ces "saints frustes, guérisseurs
de bestiaux" comme l'est peut-être saint Frion - et son taureau
couché, piqué "des mille épingles que les filles
rieuses, éplorées, maladroites, y plantent en faisant vœu
de trouver l'amour", j'ai vu Marsac et son école "où
mes parents étaient en poste", j'ai raté le cimetière
de Châtelus-le-Marcheix où reposent les grands-parents de
Michon et sans doute sa mère. J'ai vu Pierre Michon, aux Cards
où je m'étais aventuré comme je m'étais aventuré
l'an passé aux Bordes en redoutant les ferrailles torturées
que Pierre Bergounioux n'allait pas manquer de balancer sur ma carrosserie,
oui, j'ai vu Pierre Michon et je m'en excuse auprès de lui, Pierre
Michon devant sa maison, intrigué par les aboiements de son chien
au passage de l'auto qui manœuvrait péniblement au fond du cul-de-sac.
Je suis passé devant lui la tête dans les épaules,
l'air d'un abruti qui a perdu sa route soit, en gros, mon air de tous
les jours, et j'ai mesuré le chemin parcouru entre Les Cards
et les tables des libraires, accompli, et c'est ça le plus important,
sans oublier ni renier d'où l'on vient et ce que l'on doit à
ceux qui n'en sont jamais partis, j'ai sillonné le cimetière
de Marsac, ma foi fort pentu, à la recherche de la tombe de la
petite morte, je ne l'ai pas trouvée parce qu'elle doit être
ailleurs mais j'ai pris en photo celle du curé qui l'enterra devant
"l'auditoire de mangeurs de raves", j'ai sans doute vu, au Châtain,
la ferme des Peluchet et à Mourioux la maison où la grand-mère
gardait leur trésor et j'ai cru voir, dans le cimetière
de Saint-Goussaud, la place vide d'Antoine où Michon veut être
enterré. J'ai lu, à la recherche d'un Jumeau, les noms du
monument aux morts de Mourioux, juste devant l'église, là
où l'abbé Bandy avait garé sa moto avant de célébrer
sa première messe qui devait tant remuer Marie-Georgette. J'ai
compris pourquoi "il n'y a pas de cimetière à Saint-Priest-Palus",
c'est trop petit, et pourquoi Rémi Bakroot a dû être
enterré à Saint-Amand-Jartoudeix, vêtu de son uniforme
de Saint-Cyrien, "dans le peuple anonyme des paysannes à chapeaux
noirs, à fichus, à frisettes de chef-lieu de canton",
j'ai cherché sa tombe, j'ai vu des Jeu, des Poulidor mais pas de
Bakroot, j'avais oublié que "les Bakroot n'avaient pas de
caveau" et puis qui, à part moi, croit à ces histoires
? Alors je suis revenu devant l'église, "une petite église
écrasée comme on en voit dans le Borinage, à La Drenthe
ou Nuenen, au pays des tableaux et des tourbes", et j'ai relu les
pages de Michon sur l'enterrement de Rémi Bakroot, "un enterrement
comme tous les autres, dans Courbet, dans Greco, à Saint-Amand-Jartoudeix",
j'ai relu ces pages et je ne dirai pas l'émotion qui m'a alors
envahi, je dirai juste le regret que j'ai eu d'avoir vécu si longtemps
sans les connaître.
MARDI.
Presse.
On pourrait ici ouvrir une nouvelle rubrique intitulée "Y
a pas que les coiffeurs" (sous entendu "pour trouver des appellations
tartignolesques") : "Les Centres musicaux ruraux de la Creuse
sont devenus P'Art Si P'Art La depuis le 27 juin" (La Montagne
du jour).
Tourisme patriotico-tumulaire. Je
laisse mon trio barboter dans le lac de Vassivière pour partir
à la recherche de quelques monuments aux morts locaux. J'ai en
effet repéré trois monuments pacifistes à La Forêt-du-Temple,
Royère-de-Vassivière et Gentioux. Le premier est trop loin,
le deuxième est décevant (c'est au cimetière que
j'aurais dû me rendre, sur la tombe d'un soldat fusillé pour
l'exemple) mais le troisième est une merveille, avec la statue
d'un enfant tendant un poing serré en direction de l'inscription
"Maudite soit la guerre".
MERCREDI.
Emplettes.
Je fais le plein de Michon à la librairie d'Aubusson.
Lecture.
La Beauté du monde (Michel Le Bris, Grasset,
2008; 688 p., 21,90 €). Ce
livre est une énigme. Comment un Michel Le Bris, un homme qui a
un parcours, un homme qui se réclame de Stevenson, Conrad, Melville,
un homme qui est à tu et à toi avec Jim Harrison peut-il
signer un tel livre ? Bien sûr, Le Bris a commis des erreurs, des
maladresses comme son engagement "pour une littérature-monde"
qui se défend très bien toute seule, des bizarreries comme
celle qui consiste à régulièrement enfermer dans
une ville fortifiée ces fameux "écrivains voyageurs"
dont il s'est fait le héraut, mais de là à signer
ce roman, sept cents pages de sirop, de soupe aux clichés et aux
chromos pour raconter l'aventure africaine de Martin et Osa Johnson, pionniers
du cinéma animalier, c'est incompréhensible. Une énigme.
Il en est une autre : La Beauté du monde a bien failli décrocher
le Prix Goncourt à l'automne dernier, battu au dernier tour par
Pierre de patience de je ne sais plus quel écrivain afghan.
Qu'un jury qui doit piocher parmi une myriade de titres conduise ce roman
au bord du prix en dit long sur la valeur de celui-ci et sur la santé
du roman français, ou plus exactement d'une certaine conception
du roman français. Affligeant.
SAMEDI.
Vacances
(fin).
C'est l'heure du retour sur terre. Il était temps, la gamelle devenait
trop petite pour faire cuire les écrevisses. Nous arrivons trop
tard pour que je puisse me rendre à la Colombière voir le
SAS recevoir sa première pâtée de la saison (3-1 contre
Colmar).
Courriel. Une
demande d'abonnement aux notules et une tonne d'informations pour le Bulletin
Perec.
IPAD.
30 janvier 2005. 40 km (4696 km).

951 habitants
Monument
situé en surplomb de l’église. Sur le bouclier du Poilu,
on peut lire : « 1914-1918 - Alsace - L’Yser - Verdun - La Marne
».

Bellefontaine
A ses glorieux soldats
Morts
pour la France
1870-71-1914-1918.
Face : 26
noms sur deux colonnes, de AUBEL Nicolas à DEMONET Charles, dont
6 BAUDOIN, 2 BEUCHOT, 2 BONNARD, 2 CORNU, 2 COUNOT, 2 DANY. Sur la base
de la stèle, une croix de Lorraine, 1939-1944 et 8 noms, de BONNARD
Roger à VINCENT Charles.
Gauche :
26 noms sur deux colonnes, de DEMONET Pierre à PELLETIER Henri,
dont 2 DUCHÊNE, 3 FREMIOT, 3 FRENOT, 2 LECLERC, 2 MATHIEU.
Dos : Guerre
de 1870-71. 23 noms sur deux colonnes, de ARNOULD Charles à VILMIN
Blaise.
Droite :
26 noms sur deux colonnes, de PERNOT Victor à VINCENT Henri, dont
6 PIERRE, 2 POIROT, plusieurs RICHARD et 8 VALENTIN. Pour ces derniers,
on a dû ajouter les deuxièmes prénoms pour distinguer
les deux Auguste et les deux Eugène.
Le monument
est signé BARBAUX Pierre, 1957.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de François Bon, juin 2006.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°410 - 16 août 2009
LUNDI.
Presse. Un chroniqueur de Vosges
Matin dit avoir reçu "un message très argumenté
sur les salons de coiffure en Bretagne, et plus exactement sur les enseignes
de ces salons. [...] Constatant la grande diversité de ces enseignes
[...] ce Monsieur propose une chasse aux enseignes des salons de coiffure
régionaux." En conclusion : "L'idée est-elle transférable
dans les Vosges ? [...] Pourquoi pas un gloss'hair des enseignes vosgiennes
?" Heureusement, l'Invent'Hair n'a pas attendu cette invite
et a su dès sa création, dépasser les frontières
départementales ou régionales. L'Invent'Hair est
un travail scientifique, la Science n'a pas de frontières.
Lecture. Les Fous littéraires
(André Blavier, Veyrier, 1982 pour la première édition,
Editions des Cendres, 2000 pour l'édition "nouvelle, revue,
corrigée et considérablement augmentée"; 1152
pages, 69 €).
Lorsque je suis venu à m'intéresser aux fous littéraires,
c'était, et je pense ne pas être le seul dans ce cas, pour
me payer une bonne tranche de rigolade. Il faut dire que, si je mets de
côté une lointaine lecture des Enfants du Limon de
Queneau, mon initiation s'était faite par le biais d'une émission
de radio consacrée à Jean-Pierre Brisset dans laquelle Claude
Piéplu lisait des extraits des Origines humaines et c'était
plus drôle que l'intégrale des Shadoks. Lorsqu'il fallut
creuser un peu le sujet et s'aventurer par exemple dans les 1300 pages
des Œuvres complètes de Brisset rassemblées par Marc
Décimo, je m'aperçus bien vite que l'étude des fous
littéraires n'était pas toujours synonyme de franc boyautage.
Comme l'écrit Paul Gayot dans un article des Cahiers de l'Institut
: "La plupart des fous littéraires sont parfaitement emmerdants.
"Ils deviennent fous, mais ils restent cons" constatait Julien
Torma." De là dire que la somme d'André Blavier est
un pensum, il y a un pas que je ne franchirai pas mais elle est parfois
de lecture ardue, la faute en incombant bien sûr aux tapés
de toutes espèces largement cités dans ses pages. Après
une introduction assez peu académique qui fait parfois craindre
que Blavier lui-même soit légèrement atteint du mal
qu'il décrit, les fous littéraires sont regroupés
selon les rubriques suivantes : Cosmogones, Philosophes de la "Nature",
Prophètes, Visionnaires et Messies, Quadrateurs, Astronomes et
Météorologistes, Persécutés, Persécuteurs
& Faiseurs d'Histoire(s), Savants, Médecins et Hygiénistes,
Inventeurs et Bricoleurs, Candidats, Philanthropes, Sociologues &
Casse-Pieds, Romanciers & Poètes, certains olibrius particulièrement
doués émargeant à plusieurs de ces catégories.
Après cela, on peut dire que le sujet est épuisé,
même si la recherche continue et que des découvertes ont
été faites depuis que Blavier s'est éteint en 2001,
une des fiertés des découvreurs étant d'ailleurs
de pouvoir inscrire sous un nouveau nom la mention "Ne figure pas
dans le Blavier". Nous nous contenterons ici, pour ne pas rebuter
le notulien, de glaner dans la masse quelques éléments qui
nous ont amusé : des titres (Vie de Jésus dans le ventre
de Marie, Luigi Novarini, 1642; L'Heure des marées dans
la mer Rouge comparée avec l'heure du passage des Hébreux,
anonyme, 1755; De la courbe que décrit un chien courant après
son maître, abbé Moussaud, 1820), des langues nouvelles
(dans sa Langue universelle et analytique de 1844, Etienne Vidal
nous apprend que "le bon roi Dagobert a mis sa culotte à l'envers"
se dirait sous toutes les latitudes "La lèn xa fé fa
féan xéa lan za xa fa xa faif"), des recueils de blagues
pour rire en société (50 histoires pour rire pendant
la décapitation, Albert Liptay, 1912), des Vosgiens (D. Humbert,
de Mirecourt, auteur d'une Preuve de l'existence de Dieu, la divinité
du Christ d'après Napoléon Ier, 1865, Claude Villiaume,
né à Charmes en 1780, Henry Rollin, de Monthureux-sur-Saône,
auteur de l'Histoire d'un fou racontée par lui-même,
1896), des homonymies (François Bon est aussi un fou littéraire,
et pas des moindres), des programmes électoraux (un certain Cotton
annonçant "le triomphe prochain de la Civilisation par la
transformation du lac Léman en terres cultivables, par dessèchement"
en 1889), des anecdotes ("Un charlatan, plus ou moins, nommé
Falb, annonça à Vienne la fin du monde, à la suite
d'un choc cométaire, pour le 14, 15 ou 16 novembre 1889. Peu d'années
auparavant, il parcourait le Pérou, prédisant contre argent
comptant les tremblements de terre dont la région est le fréquent
théâtre. C'est ce qu'il était en train de faire, au
cours d'une conférence à Lima, lorsque les premiers signes
d'un séisme bien réel se firent sentir. Falb tenta de retenir
son auditoire, qui cherchait à se mettre à l'abri, en proférant
avec beaucoup d'à-propos : "Mesdames, Messieurs, ceci est
un tremblement de terre et, je profite de l'occasion pour le pronostiquer"),
des révélations ("J'ai acquis la preuve éclatante,
irréfutable, que le soleil n'est pas à plus de dix-huit
kilomètres de la Terre et je vous le prouverai quand vous voudrez...",
lettre à L'Intransigeant, 1933), des fulgurances ("Dieu
sait tout hormis qu'il n'existe pas", Alexandre Swietorzecki, 1933),
des oulipiens par anticipation (Jean-François de Mas-Lastrie, auteur
en 1854 d'un Petit livre de poche très pittoresque et des plus
curieux, contenant cinq lettres morales et chrétiennes d'un père
à son fils; dans la rédaction de chacune d'elles on remarquera
l'absence d'une des cinq voyelles de notre alphabet), des fous récents
(Jean Descombes, auteur d'une Histoire de France en sonnets, en
1984) qui tendent à prouver que les fous littéraires ne
sont pas tous poussiéreux et que leur étude a encore de
beaux jours à vivre. Signalons d'ailleurs que l'Institut International
de Recherches et d'Explorations sur les Fous Littéraires et le
Centre régional du livre de Lorraine organisent les 26, 27 et 28
novembre une série de Journées folles à Pont-à-Mousson
("Fous Littéraires et Folies Artistiques : Les Doux dingues
aux Prémontrés") et que je compte bien y participer
selon les disponibilités que me laissera mon emploi nourricier.
MARDI.
Bibliothèque, fin. Je romps
avec la Bibliothèque municipale, ou ce qui en tient lieu aujourd'hui,
après avoir payé une amende de vingt-cinq euros pour une
tranche tachée sur un livre qui, neuf, en valait quatorze. Je savais
que la politique de prestige avait un prix mais je ne m'attendais pas
à payer celui-là. J'abandonne à la préposée
nos belles cartes magnétiques, attendu qu'on ne peut même
pas se torcher avec, et tente de me persuader qu'au-delà de l'humiliation
réelle et cuisante - intus et in cute - qu'il y a, après
avoir fréquenté un établissement pendant plus de
trente-cinq ans, à se voir convaincu de biblioclastie par une pintadelle
en job d'été qui n'a pas terminé son premier Harry
Potter, il reste l'immense satisfaction de savoir qu'on ne remettra plus
les pieds dans cette cabane.
MERCREDI.
Lecture. Histoires littéraires
n° 34 (avril-mai-juin 2008, Histoires littéraires et Du
Lérot éditeurs; 176 p., 25 €).
Un numéro de transition, assez mince, dont l'élément
essentiel est une étude de Jean-Pierre Bacot sur les collections
illustrées de Fayard, de Ferenczi et de Baudinière. Ces
trois collections, actives dans les années 1920-1940, s'adressaient
à un public petit-bourgeois en proposant des romans "qualité
France" (Duhamel, Henry Bordeaux, Chardonne, Mauriac, Colette...)
bénéficiant d'illustrations soignées (gravures sur
bois). Jean-Pierre Bacot remarque à juste titre que la connaissance
de cette culture petite-bourgeoise, que ces collections contribuaient
à forger, "est encore lacunaire et l'est peut-être davantage
pour cet univers moyen que pour le registre populaire." Et d'en appeler
à un "prolongement de la recherche sur cette génération
de livres illustrés" qui a pu "déterminer tout
une gamme de statuts économiques ou esthétiques". Autres
sujets évoqués dans cette livraison : Maupassant, les romans
d'espionnage français des années 1912-1916 (belles reproductions
de couvertures), un entretien avec Claude Duchet et les rubriques habituelles.
A noter, dans les "Livres reçus" l'accueil sévère
réservé au recueil de lettres de Jean Lorrain concocté
par Eric Walbecq pour les éditions Champion. Eric Walbecq est un
collaborateur régulier d'Histoires littéraires. Cette
revue est impitoyable.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
JEUDI.
Cycle littéraire. On dira le
mal que l'on voudra de La Poste, de sa privatisation rampante ou avérée,
de la fermeture de ses bureaux de campagne ou de l'amabilité de
ses guichetiers, l'institution a de beaux restes et garde un vernis de
respectabilité. Surtout dans le choix du matériel destiné
à équiper les vélos de ses facteurs, si l'on en croit
cette photo prise ce jour à Epinal. Nul doute que Marcel, ou Marselle,
grand épistolier devant l'Eternel, aurait apprécié
cet hommage parti-culier.

VENDREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
SAMEDI.
Itinéraire
patriotique départemental.
Le monument aux morts de Coussey est enregistré.
IPAD. 5
mai 2005. 95 km (4791 km).

122 habitants
Le monument
est devant l’église, une haie bien taillée fait un demi-cercle
derrière lui. Au sommet de la colonne, deux canons en croix et
trois boulets.

Aux
morts pour la patrie 1914-1918
VILMINOT
Albert
THIEBAUT
Adrien
THIEBAUT
Achille
BERNARD
Camille
BRIANCON
Albert
MAGNAN
Raymond
COUSIN
Justin
THORAIN
Raymond
MARCHAL
Alfred
DIEZ
Paul
HARET
Léon
DEMURGER
Jean-Baptiste
GAERTNER
Arsène
ROYER
Alphonse
L'Invent'Hair
perd ses poils.

Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), photo de Marc-Gabriel
Malfant, juin 2006.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°411 - 23 août 2009
DIMANCHE.
Vie littéraire. La sortie du
numéro 38 d'Histoires littéraires autorise la mise
en ligne des chroniques que j'ai signées dans le numéro
précédent. Au menu, l'actualité littéraire,
deux revues (Modernités et Le Grognard), un "bibliolexique",
le Journal de Manchette, Léo Ferré, San Antonio et les écrivains
au bistrot. C'est
ici.
Lecture. Berlin Alexanderplatz
(Alfred Döblin, Fischer Verlag, 1929; Gallimard, coll. Du monde entier,
2009, nouvelle traduction de l'allemand par Olivier Le Lay; 462 p., 24,50
€).
Nouvelle traduction, donc. Soyons franc, je n'avais jamais lu l'ancienne
mais je l'ai retrouvée en Folio dans mes étagères
et j'ai pu constater que le principal mérite d'Olivier Le Lay est
d'avoir rétabli des passages entiers qui avaient été
purement et simplement évités par son prédécesseur.
Pour le reste, je ne sais pas trop : en général, les traductions
historiques ont ma préférence. Pour Kafka, Vialatte me suffit,
pour Ulysse, que je pratique régulièrement, l'équipe
de traducteurs qui a entrepris de rénover le travail de Valery
Larbaud ne me semble pas avoir fait avancer la cause joycienne, la transformation
des Confessions de Saint Augustin en Aveux et celle d'Au cœur
des ténèbres de Conrad en Cœur des ténèbres
me paraissent plutôt anecdotiques. D'autant que pour ce qui est
d'une traduction de l'allemand, je ne suis pas vraiment qualifié.
J'avais été très fier de découvrir il y a
quelques années une erreur de traduction dans La Montagne magique
mais je ne serais incapable de la retrouver et disons que je préfère
le "Lange Zeit bin ich früh schlafen gegangen" de
Eva-Rechel Mertens (1957) à "Lange Zeit ging ich früh
ins Bett" de Rudolf Schottlaender (1926) mais je ne saurais dire
pourquoi. En attendant, pour en revenir à Döblin, la découverte
de Berlin Alexanderplatz est un fameux choc. Un classique qui tient
ses promesses, un livre qui est à la fois le roman d'un personnage,
le roman d'une ville et le roman d'une époque. Un personnage d'abord,
Franz Biberkopf, l'histoire de sa chute "telle que j'ai voulu la
décrire entre le jour où il quitta l'établissement
pénitencier de Tegel jusqu'à sa fin à l'asile d'aliénés
de Buch pendant l'hiver 1928-1929." Roman d'une ville ensuite, Berlin,
décrite non pas avec les outils traditionnels du romancier mais
par ses bruits, ses odeurs, ses lignes de tramway (Alexanderplatz prend
par moments des airs de place Saint-Sulpice ou de carrefour Mabillon sous
l'œil de Perec), ses faits divers découpés dans les journaux,
ses statistiques ("Mouvements sur le marché aux bestiaux :
1399 bœufs, 2700 veaux, 4654 moutons, 18864 cochons", "A Berlin
48742 personnes sont mortes en 1927, sans compter les mort-nés"),
sans oublier les bulletins météorologiques et les cours
de la Bourse. Roman d'une époque enfin qui, allié avec l'utilisation
révolutionnaire du monologue intérieur ininterrompu, achève
de faire de Berlin Alexanderplatz l'équivalent germanique
de l'Ulysse de Joyce. Sauf que là où Joyce évoquait
un Dublin reconstitué à distance géographique et
temporelle, Döblin décrit le Berlin qu'il a sous les yeux.
Comme le note Rainer Werner Fassbinder dans un court texte qui clôt
cette édition, "ce qui est beaucoup plus intéressant
que de savoir si Döblin connaissait l'Ulysse de Joyce, c'est
l'idée que la langue de Berlin Alexanderplatz soit influencée
par le rythme des tramways qui passaient et repassaient devant le bureau
d'Alfred Döblin". Berlin n'est pas Dublin parce que c'est une
ville de vaincus, marquée par la guerre et la crise économique,
mais aussi parce que c'est une ville qui a vu passer Dada et que "l'inoculation
de Dada, ce microbe vierge, à une société en plein
effondrement produit à Berlin une détonation à double
détente, artistique mais aussi politique" (Marc Dachy, Dada
la révolte de l'art, Découvertes Gallimard, 2005). L'écriture
de Döblin, son humour noir, ses pas de côté et ses coq-à-l'âne
forment l'écho de cette détonation.
Itinéraire patriotique départemental.
Le monument aux morts de Crainvilliers est enregistré.
Lecture. Le Mystère de Fernwood,
suivi de La Vengeance de Samuel Logwood (The Mystery at Fernwood,
Mary Elizabeth Braddon, Temple Bar novembre-décembre 1861 pour
l'édition originale, première édition française
Hachette, 1875; traduit de l'anglais par Charles Bernard-Derosne, Le Masque,
coll. Labyrinthes, hors commerce).
Le Masque entreprend de republier l'œuvre de Mary Elizabeth Braddon (1835-1915)
- pas tout, on imagine, parce qu'il y a tout de même quatre-vingt-dix
romans, sans oublier le théâtre et les nouvelles, au compteur
de la dame. Deux nouvelles sont ici présentées en produit
d'appel, qui donnent une idée des talents de cette "pionnière
du roman policier à l'époque victorienne" (Claude Mesplède,
Dictionnaire des littératures policières). La première,
qui utilise le thème du double (un jumeau caché ici) est
assez conventionnelle mais La Vengeance de Samuel Longwood, récit
d'une vengeance soigneusement ourdie et finalement ratée est une
belle surprise qui n'a pas pris une ride.
MARDI.
Lecture. Les remembrances du vieillard
idiot, d'Alfred Hellequin avec des fragments de la biographie d'Adolphe
Ripotois et de ses œuvres inédites (Michel Arrivé, Flammarion,
1977; 158 p., s.p.m.).
Tout est parti de la lecture d'un article de Lansana Bérété
paru dans le premier numéro des Cahiers de l'Institut, revue
consacrée aux fous littéraires, sur un certain Adolphe Ripotois.
Je m'étais ici même ouvert de ma perplexité devant
ce personnage, allant jusqu'à remettre en cause, faraud que j'étais,
son existence. Là-dessus me parvint un mot de Michel Arrivé
qui, ayant pris connaissance de la notule en question, m'aiguillait vers
son roman, Les remembrances du vieillard idiot, dans lequel je
trouverais sans doute de quoi satisfaire ma curiosité. Le livre
est épuisé mais j'ai fini par mettre la main sur un exemplaire
- un rien défraîchi, certes, le genre d'objet qui rendu dans
cet état à la bibliothèque d'Epinal vous vaudrait,
non une amende à 25 euros mais plus sûrement le cachot et
les fers - et je ne regrette pas les démarches entreprises pour
pouvoir enfin entreprendre cette lecture. Michel Arrivé n'y signe
que la postface qui fait suite au texte d'Alfred Hellequin, les Remembrances
proprement dites. Celles-ci se composent d'un témoignage sur la
vie qu'il mène à l'Hospice de vieillards de Châtel-sur-Loire,
associé à un récit de souvenirs qui montrent comment
ce professeur d'université en est venu à cesser ses activités
pour se faire héberger dans cet établissement. Le tout est
entrelardé de fragments de la biographie et des œuvres d'Adolphe
Ripotois, dont le seul lien avec Hellequin serait le lycée Condorcet
où celui-ci aurait pu être l'élève de celui-là
à la fin des années 1940. Au total, le livre est une construction
complexe et stimulante qui part dans quatre directions (au moins) : le
récit asilaire (l'hospice au jour le jour), le récit universitaire
(la morne vie d'un professeur vaguement dépressif), la découverte
d'un homme et d'une œuvre dignes de figurer au Panthéon des fous
littéraires et pourtant encore bien obscurs. Adolphe Ripotois y
apparaît comme un homme qui, loin d'être fou au départ,
construit patiemment sa folie par ses recherches et ses préoccupations.
Son œuvre : un roman énigmatique (La Mutilation), des Souvenirs,
des Notes, des Textes qui tous semblent animés d'une
même préoccupation, se rendre illisible. Ripotois, cherchant
à écrire un Traité de l'illisibilité,
supprime peu à peu certaines lettres de ses écrits avant
de les caviarder complètement (un processus qui semble aussi gagner
son langage oral, jusqu'à une forme d'aphasie) ce qui rend son
œuvre extrêmement fragmentaire. Il n'en surnage aujourd'hui que
certains aphorismes bien connus ("Ce qu'il y a d'odieux avec les
mots, c'est qu'on n'est jamais le seul à les utiliser. Comme l'argent
: écrire, c'est payer. Il faudrait se faire faux-mot-nayeur";
"La meilleure façon de parler, c'est de mettre un mot devant
l'autre et de recommencer"; "Le mot, c'est la mort sans en avoir
l'R", Notes). Michel Arrivé avait, dès 1977,
entrouvert la porte, Lansana Bérété est sur le point
de l'ouvrir en grand, annonçant, à la fin de son article,
une prochaine édition des œuvres de Ripotois ainsi qu'un Adolphe
Ripotois ou l'impossibilité d'écrire par Alfred Hellequin.
Il est temps que le monde découvre ce personnage singulier à
qui l'on souhaite la même reconnaissance, tardive mais lumineuse,
que celle que connaît aujourd'hui Jean-Baptiste Botul. La réédition
du roman de Michel Arrivé serait également une initiative
louable dans cette perspective.
VENDREDI.
Vie parisienne. Pas d'activité
touristique au programme de cette escapade mais du travail avec la reprise
de La mémoire louvrière et de l'Atlas de la Série
Noire qui me permet, à la Bilipo, de retrouver le plaisir qu'il
y a à fréquenter une bibliothèque fréquentable.
Dans les intervalles, je jette un œil sur les tables des libraires où
la rentrée littéraire commence à faire des siennes,
ce qui me suscite en moi une impérieuse envie (allez savoir ce
qui se passe dans le cerveau d'un être à qui, il y a peu,
on demandait dans quelle catégorie de fous littéraires il
souhaitait être classé) de relire la "Présentation
de la Beauce à Notre Dame de Chartres" : "Etoile de la
mer voici la lourde nappe / Et la profonde houle et l'océan des
blés...". J'achète donc un petit Péguy chez
Compagnie et le constelle de miettes au cours d'un frugal repas sur un
banc du square Paul-Painlevé. Bien sûr, on dira que ça
sent fort la poussière de sacristie mais il n'y en avait pas beaucoup,
en 1913, à oser faire rimer autos avec photos.
Lecture. Heureux au jeu (Lucky at Cards, Lawrence
Block, Dorchester Publishing Co., New York, 1964 pour l'édition
originale, Le Seuil, coll. Policiers, 2009 pour la traduction française;
traduit de l'américain par Aline Weill; 204 p., 19,50 €).
C'est un titre qui, à l'époque, a dû échapper
à la Série Noire où Lawrence Block avait débuté
en 1962. C'était un temps où le polar était considéré
comme une littérature de bas étage, ce qui n'avait pas que
des désavantages : les auteurs ne se prenaient pas pour des sociologues,
des philosophes ou des moralistes et mettaient tout leur talent, pour
ceux qui en avaient, dans le récit d'une histoire solide. Les livres
étaient plus courts, plus nerveux et pas forcément moins
intéressants que les pavés que l'on sort aujourd'hui, surtout
quand on avait à la barre un Lawrence Block, particulièrement
talentueux. On a donc ici l'impression de se replonger dans la Série
Noire des années 60 (le haut du panier s'entend parce qu'il y a
aussi beaucoup de déchets dans la collection, ne l'oublions pas)
avec une histoire de tricheur aux prises avec une femme fatale de la plus
belle eau. C'est rondement mené, sans prétention, et captivant
de bout en bout.
SAMEDI.
Vie parisienne. Là aussi, c'est
rondement mené : flânerie au Jardin des Plantes le matin
et travail à la Bilipo où j'ingurgite des Série Noire
tout l'après-midi. Entre-temps, je tiens à rassurer tout
le monde, pas d'envie de Péguy ni de Van der Meersch à signaler,
juste une série de photos prises rue Linné.
IPAD.
8 mai 2005. 81 km (4872 km).

277
habitants
Un village
à l’habitat très clairsemé, sans véritable
centre. Le monument est à l’écart, à un carrefour
situé en haut du village, près d’une maison de garde-barrière.
La gerbe et les drapeaux sont du jour.

De face :
A
nos héros morts pour la France
1914-1918
La
commune de Belmont reconnaissante
1939-1945
Militaires
POUREL
Edmond
PIERRE
Robert
HUMBERT
André
VINCENT
Lucien
Victime
civile
POIROT
Gonzague
Côté
gauche :
GRANDJEAN
Jean Baptiste
GERARDIN
Joseph
ROMARY
Léon
DIVOUX
Emilien
JACQUOT
Théophile
CUNIN
Henri
Côté
droit :
MATHIEU
Emile
CUNIN
Paul
VALENTIN
Gaston
THIRIET
Georges
ANTOINE
Albert
MANGEOL
Pierre
L'Invent'Hair
perd ses poils.

Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), photo de Francis
Pierre, 7 juillet 2009.
Marc-Gabriel
Malfant m’avait envoyé en juin 2006 une photo du même salon.
J’ai préféré celle de Francis Pierre parce qu’on
y voit, en retrait, une autre enseigne « Espace Créa’tif
», ce qui doit faire de cette boutique la seule du corpus à
proposer deux jeux de mots aussi indigents l’un que l’autre.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°412 - 30 août 2009
DIMANCHE.
Courriel. Une bonne demi-douzaine
d'abonnements aux notules. La reprise
de la notule Döblin sur le Tiers Livre de François Bon,
qui a en quelque sorte installé l'éclairage public sur l'Alexanderplatz,
n'y est sans doute pas étrangère.
LUNDI.
Vie merdicale. Lucie est hospitalisée
pour une intervention chirurgicale bénigne qui, en raison de ses
tracas quotidiens, nécessite tout de même une certaine surveillance.
La maison vide - Caroline est restée dormir à la clinique
- rappelle de mauvais souvenirs. Vivement demain.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
Lecture. L'Equation de Kolmogoroff
(Marc Petit, Ramsay, 2003; rééd. Gallimard, coll. Folio
n° 4240; 448 p., 8,10 €).
"Vie et mort de Wolfgang Doeblin, un génie dans la tourmente
nazie"
Dans la famille Döblin, je demande le fils. Faisons comme Marc Petit,
commençons par la fin : dans la nuit du 20 au 21 juin 1940, le
soldat Wolfgang Döblin abandonne ce qui reste de son régiment
français regroupé au col de la Chipotte et se réfugie
dans une grange à Housseras, département des Vosges. Au
matin, apprenant l'arrivée des Allemands, "il quitte son refuge,
pénètre dans la cuisine de la ferme, se dirige rapidement
vers le fourneau et y brûle ses papiers", retourne à
son abri et se tire une balle dans la tête. "On l'enterre,
l'après-midi du 21 juin, dans une fosse creusée près
de l'abside de l'église, aux côtés des soldats français
et allemands tombés au cours des derniers combats" sous l'intitulé
"N° 13, décès d'un soldat inconnu." Au même
moment, Alfred Döblin et sa femme cherchent à gagner l'Amérique
où ils passeront le reste de la guerre et où ils apprendront
la nouvelle de la mort de leur fils le 21 mars 1945. Parvenus au terme
de leur vie, ils seront enterrés à ses côtés
en 1957. Housseras, c'est tout près, à trente kilomètres
d'ici peut-être, mais je n'y suis jamais allé. Il a fallu
la récente lecture de Berlin Alexanderplatz immédiatement
suivie de la redécouverte d'une émission de radio consacrée
à Wolfgang Döblin diffusée sur France Culture en mars
2008 et que j'avais heureusement préservée dans mes archives
pour que j'en arrive à ce livre de Marc Petit. Une biographie qui
s'intéresse autant à la figure de Vincent Doeblin, alias
Wolfgang Doeblin, né Wolfgang Döblin, qu'au reste de la famille.
Les Döblin s'installent à Paris en 1933, après l'incendie
du Reichstag et obtiennent la nationalité française en 1936,
ce qui explique la présence de deux de leurs enfants dans l'armée
française. Auparavant, Wolfgang a suivi les cours de l'Institut
Henri-Poincaré, s'est spécialisé dans l'étude
des probabilités, un domaine dans lequel il est rapidement devenu
l'égal de ses maîtres avant de les dépasser. C'est
au cours de ses classes, dans les Ardennes, qu'il rédige dans des
conditions difficiles un mémoire Sur l'équation de Kolmogoroff
qui, avec son suicide, forment l'autre versant de sa légende. Wolfgang
choisit en effet d'envoyer son mémoire à l'Académie
des Sciences sous la forme d'un "pli cacheté", une procédure
qui, sauf volonté de l'auteur ou autorisation expresse de ses héritiers,
ne permet l'ouverture du pli en question que cent ans après son
dépôt. Le mémoire de Döblin, à l'initiative
d'un de ses frères, ne sera ouvert que le 18 mai 2000 et on s'apercevra
qu'il contient à peu près tout ce qui a été
mis au jour dans le domaine des probabilités depuis la fin de la
guerre. Marc Petit est un auteur à multiples facettes. Il a écrit
de la poésie, des contes, des romans, traduit Rilke et bien d'autres
Allemands. Sa biographie n'est donc pas un travail universitaire mais
un récit personnel, dans lequel il s'implique, se met en scène,
digresse, se perd, revient à son sujet et à son but affirmé
: "J'avoue mon plan ou plutôt, je réédite mon
aveu, j'ai une idée derrière la tête depuis que j'ai
commencé à écrire ce livre, je voudrais réconcilier
Alfred et Wolfgang, le père et le fils." Ceux-ci semblent
en effet avoir vécu côte à côte sans vraiment
se connaître ni s'apprécier, la vie de famille n'étant
pas, d'après ce que l'on peut lire ici, la matière préférée
d'Alfred. Derrière l'histoire de Wolfgang Döblin, Marc Petit
dresse également le portrait d'une communauté scientifique
décimée, et même pire, par les années de guerre
: si "les filières de l'émigration fonctionnèrent
relativement bien dans le cas des mathématiciens français
et allemands", les écoles de Brno, de Lvov, de Hongrie furent
pratiquement anéanties. Enfin, l'auteur met en parallèle
le sauvetage miraculeux du manuscrit de Wolfgang avec celui de toutes
ces "bouteilles à la terre" revenues à la surface
depuis la fin de la guerre, témoignages, chroniques, manuscrits
ensevelis, comme le Chant pour le peuple juif assassiné
d'Itzhak Katzenelson, "retrouvé enfermé dans trois
bouteilles enfouies au pied d'un vieil arbre au camp de Vittel",
soit pas très loin d'Housseras.
MARDI.
Vie de fauteuil. Au moment de sortir
l'instrument de ma cavité buccale, le dentiste, un type dans mon
genre question adresse, me flanque sa roulette dans l'œil gauche. Malheureusement,
la bête ne tournait plus. Si on remet les choses à l'échelle
humaine, j'aurais pu, avec un peu de chance, enrichir ma culture classique
en connaissant les mêmes sensations que Polyphème sous l'épieu
d'Ulysse.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
MERCREDI.
Tourisme littéraire. Housseras
est à l'écart de tout axe, même secondaire, un village
adossé à la forêt de Rambervillers. Si vous n'y avez
pas de famille, si vous n'avez pas entrepris un chantier qui vous conduit
à visiter toutes les communes vosgiennes dans l'ordre alphabétique
pour en photographier les monuments aux morts, si vous ne vous intéressez
pas particulièrement à l'histoire d'Alfred Döblin et
de sa descendance, vous n'avez aucune chance d'y passer. J'aurais pu attendre
que mon Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental
m'y conduise, soit immédiatement après avoir visité
Houéville et avant de me rendre à La Houssière mais
j'avais hâte, une fois le livre refermé, de mettre des images
sur les mots de Marc Petit. Qui écrit : "Housseras est l'un
des villages les plus reculés des Vosges, un bout du monde."
Pourtant, dans le genre, il y a bien mieux, ou bien pire c'est selon,
et je pourrais lui montrer des bouts du monde nettement plus convaincants
dans le secteur mais peu importe. La tombe des trois Döblin, est
tout au fond du cimetière, à gauche de l'église,
un peu à l'écart des autres. Wolfgang y repose entre ses
deux parents. Je pensais avoir plus de mal à trouver la ferme où
il a mis fin à ses jours mais la description de Marc Petit est
assez précise et je l'ai reconnue avant de découvrir la
plaque commémorative qu'on y a apposée. C'est qu'il y a
ici une "Association Housseras Döblin" qui s'efforce de
perpétuer le souvenir. Un colloque Döblin a eu lieu à
Epinal en juin 2007 - malheureusement, je ne m'intéressais pas
du tout à l'auteur à cette époque - et une cérémonie
s'est tenue au cimetière d'Housseras pour y célébrer
le cinquantenaire de la mort des parents en présence de Stephan,
l'un des frères (vit-il encore ?). En juin dernier, il y a même
eu une "soirée cabaret" à Housseras dans le but
de "recréer l'atmosphère des années 20 qui a
tant inspiré Alfred Döblin". J'ai trouvé ça
un peu bizarre, un peu "J'irai chanter sur vos tombes" mais
j'ai bien envie de me rapprocher de cette association : l'idée
de fréquenter plus assidûment un bout du monde situé
à trente kilomètres de mes pénates sied tout à
fait à mon tempérament d'aventurier.

JEUDI.
Lecture. Revue des Deux Mondes
(juillet-août 2008; 192 p., 11 €).
"J.O. - Chine"
Le dossier est intéressant, avec un reportage dans la province
du Sichuan, une histoire du boycottage olympique et surtout un article
passionnant de Romain Graziani sur "Corps olympique et corps taoïste"
qui montre combien incongrue, du point de vue de l'histoire des idées
et des civilisations, était la tenue des Jeux Olympiques dans ce
pays. Ce numéro marquait la fin de mon abonnement promotionnel
à cette revue, je n'ai pas continué à l'acheter.
SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
Vie entoilée. J'apprends avec
joie la renaissance du Journal de Thiron-Gardais, de Jean-Claude
Bourdais, notulien : http://www.jcbourdais.net/.
IPAD. 15 mai 2005. 125 km. (4997 km).

Le monument
est au sommet du village, adossé à une église minuscule.

La
commune de Belmont-s-Vair reconnaissante envers ses soldats morts pour
la France
1914
– 1918
DUVAL
Emile 13-X bre 1914
DUVAL
Charles 21-7 bre 1914
PODEVIN
Charles 1-9 bre 1914
PODEVIN
Henri Cral 5 mai 1917
DAZY
Henri 26 avril 1915
DAZY
Désiré 27 avril 1918
COLLIN
René 12 août 1915
LIEGEROT
Edmond 5 avril 1916
SYLVESTRE
André 2 juillet 1916
CONRAUD
Camille 12-7bre 1916
HUREAU
Arthur Cral 28 mai 1918
PASSETEMPS
Joseph Sent 5 juin 1918
Une plaque
est ajoutée au pied de la stèle :
FENARD
Robert
Engagé
volontaire
Mort
pour la France
Le
6 février 1945
Le monument
est signé Bastien à Vittel. On notera la façon curieuse
d’écrire les mois en –bre.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Cuxac-d'Aude
(Aude), photo de Marc-Gabriel Malfant, juin 2006
Bon dimanche.
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