Notules dominicales 2009
 
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Notules dominicales de culture domestique n°409 - 9 août 2009

DIMANCHE.
Lecture. Les Argonautes du Pacifique occidental (Argonauts of the Western Pacific. An Account of Native Enterprise and Adventure in the Archipelagoes of Melanesian New Guinea, Bronislaw Malinowski, Studies in Economics and Political Science n° 65, Routledge and Kegan Paul, London, 1922 pour l'édition originale; Gallimard, 1963 pour la traduction française, rééd. Gallimard, coll. Tel n° 145, 1989; traduit de l'anglais et présenté par André et Simone Devyyer, préface de Sir James G. Frazer, introduction de Michel Panoff; 606 p., s.p.m.).
On s'attaque ici à un monument fondateur de l'ethnologie, une étude reconnue comme étant le modèle type de la méthode fonctionnelle à laquelle viendront s'opposer plus tard les tenants de la méthode structuraliste, Lévi-Strauss en tête. Inutile de dire que ces considérations dépassent quelque peu le cadre de mes compétences. Il me semble toutefois avoir saisi que pour Malinowski, chaque élément culturel ne s'explique que par rapport aux éléments voisins et que le travail de l'ethnographe consiste à rechercher les liens entre ces éléments. Ainsi, plongé pendant deux ans (1914-1916) dans le monde des îles Trobriand, à l'est de la Nouvelle-Guinée, Malinowski s'intéresse à un fait sociologique qui semble lier les habitants à ceux des archipels environnants et cimenter leur propre société : la Kula. La Kula est un système d'échange intertribal de grande envergure, "elle s'effectue entre des archipels dont la disposition en un large cercle constitue un circuit fermé. Empruntant cet itinéraire, deux sortes d'articles - et ces deux sortes seulement - circulent sans cesse dans des directions opposées. Le premier article - de longs colliers de coquillages rouges - fait le trajet dans le sens des aiguilles d'une montre. Le second - des bracelets de coquillages blancs - va dans la direction contraire. Chacun d'eux, suivant ainsi sa voie propre dans le circuit fermé, rencontre l'autre sur sa route et s'échange constamment avec lui. Tous les mouvements de ces articles Kula, les détails des transactions, sont fixés et réglés par un ensemble de conventions et de principes traditionnels, et certaines phases de la Kula s'accompagnent de cérémonies rituelles et publiques très compliquées." Ce sont ces mouvements, transactions, conventions, rites et cérémonies que Malinowski va s'attacher à décrire pendant six cents pages serrées, aidé par la connaissance de la langue locale qu'il apprend au fur et à mesure. Dire que l'ensemble est passionnant serait exagéré. Il est cependant assez fascinant de suivre cet homme au fil de ses découvertes et de ses analyses qui n'épargnent aucun champ, de la fabrication des canots à l'analyse linguistique des formules magiques. Malinowski a de plus le souci d'expliquer à chaque étape le sens de sa démarche, le vocabulaire technique qu'il utilise et même si ses opinions ont été depuis largement remises en cause, il est intéressant de voir ce qu'est un véritable travail d'ethnologue, lucide sur les limites de son activité : "L'ethnologie se trouve dans une situation à la fois ridicule et déplorable, pour ne pas dire tragique, car à l'heure même où elle commence à s'organiser, à forger ses propres outils et à être en état d'accomplir la tâche qui est sienne, voilà que le matériau sur lequel porte son étude disparaît avec une rapidité désespérante. Juste au moment où les méthodes et les buts de la recherche ethnologique sur le terrain sont mis au point, où des chercheurs parfaitement formés pour ce genre de travail ont commencé à parcourir les pays non civilisés et à étudier leurs habitants, ceux-ci s'éteignent en quelque sorte sous nos yeux." Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les îles Trobriand furent transformées en camp de transit pour la reconquête des îles Salomon et accueillirent jusqu'à 60 000 G.I. On imagine ce qu'il advint des coutumes traditionnelles de leurs habitants.

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LUNDI.
Fête Nat'. Tout occupé à me dévisser le cou au milieu de mes concitoyens pour admirer les feux d'artifice de saison en attendant qu'un pékin (et il y en aura un) prononce la phrase rituelle ("C'était bien, mais moins bien que l'an dernier"), je m'étonne qu'un membre de la tribu des bien-pensants n'ait pas encore élevé de protestation officielle contre cette pratique barbare sous un des prétextes suivants : ça rend sourd, ça fait de la fumée, ça fait peur aux pigeons, ça détruit la couche d'eau jaune, ça fait fondre la banquise. Patience, on finira bien un jour par nous mettre en garde contre le pétaradisme passif.

MARDI.
Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Courcelles-sous-Châtenois est enregistré.

JEUDI.
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Lecture. Revue des Deux Mondes (juin 2008; 192 p., 11 €).
"Nous autres, méditerranéens"
C'était il y a un an et c'est déjà presque oublié, ça s'appelait le projet d'Union pour la Méditerranée. Une belle perspective, une belle occasion de repenser les rapports Nord-Sud annoncée par le président Sarkozy qui, une fois l'effet d'annonce estompé, a vite tourné les talonnettes pour aller voir ailleurs. La chose aura au moins permis à la Revue des Deux Mondes de bâtir un beau dossier sur le sujet, dossier qui remet à l'honneur les travaux de Fernand Braudel sur la Méditerranée. On en retiendra le bel article de la philosophe tunisienne Hélé Béji qui fait avec force et lucidité le bilan de la période coloniale en allant bien au-delà des habituelles tartes à la crème sur la repentance et le pardon.

Le Prédicateur (Predikanten, Camilla Läckberg, Forum, Stockholm 2004 pour l'édition originale, Actes Sud, coll. Actes noirs, 2009 pour la traduction française, traduit du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus; 384 p., 22 €).
On le sait depuis un moment, la Suède possède de grands auteurs de polar, les Sjöwall & Wahlöö, les Mankell, Larsson, Theorin, ce n'est pas rien. Il manquait toutefois un petit quelque chose pour que ce pays devienne l'égal du grand frère américain dans ce domaine et ce petit quelque chose, on le tient enfin avec Camilla Läckberg. Camilla Läckberg est, tirages à part mais ça peut venir, la Mary Higgins Clark suédoise. Des personnages nunuches à souhait, des intrigues dans lesquelles l'aquavit est baptisé à l'eau de rose, une écriture pleine des clichés les plus éculés, une psychologie d'arrière-cour, un bas-bleu chaussé de gros sabots, c'est Camilla Läckberg. Son premier livre traduit, La Princesse des glaces, faisait encore illusion parce que l'histoire policière parvenait à cacher par moments le côté artificiel mais ici, il n'y a vraiment rien à sauver dans cette histoire de famille abracadabrante. Pour le plaisir, le premier paragraphe de la page (interminable comme il se doit) consacrée aux remerciements : "Tout d'abord je tiens à remercier mon mari Micke qui, fidèle à son habitude, fait passer mon écriture avant toute chose. Il est mon premier fan. Sans toi, je n'aurais pas pu gérer en même temps le bébé et l'écriture". Un bébé ? Attention ! La fille de Mary Higgins Clark écrit aussi.

VENDREDI.
Vie parisienne. Soucieuse de faire le plein de civilisation avant d'aller s'enterrer en Creuse, la Didionnée part pour Paris. Elle a même emprunté un GPS pour que l'auto trouve le chemin du clapier qui abrite d'ordinaire mes escapades en solitaire. C'est d'ailleurs en solo que je débute ce séjour, abandonnant femme et filles aux délices du magasinage. Je cours m'enfermer à la Bibliothèque des Littératures Policières histoire de progresser un brin dans mes travaux d'aiguille et j'en profite pour parcourir le dernier numéro du Rocambole (beau dossier sur le roman policier belge) et découvrir le Bulletin des Amis de Régis Messac dans lequel François Caradec et Léo Malet sont à l'honneur.

SAMEDI.
Vie parisienne (suite). La journée est consacrée au tourisme. Faire du tourisme à Paris (ailleurs aussi peut-être mais j'ai peu d'expérience en ce domaine), c'est en gros se livrer à d'assez longs et inconfortables déplacements souterrains pour aller contempler des choses que le monde entier nous envie et découvrir que justement, le monde entier s'est donné rendez-vous à la même heure pour contempler les mêmes choses que vous. Ce qui, avec une météo à peu près clémente, un peu de patience et de bonne humeur, n'est pas forcément désagréable.

IPAD. 2 janvier 2005. 140 km (4528 km)


77 habitants

Le monument est dans l’église, heureusement ouverte. C’est un coffre de bois surmonté d’une statue de Jeanne d’Arc et encadré de deux peintures. Celle de gauche, surmontée de l’inscription « EN SE » représente deux soldats dans une tranchée enneigée. Celle de droite, surmontée de l’inscription « ARATRO » représente des paysans qui labourent près d’un cimetière. La liste des victimes est en lettres dorées et s’étend sous la palme tendue par une Victoire ailée.

Pro Deo Pro Patria

Paroisse de Beaufremont

A nos morts de la Grande Guerre

Albert DARGENT ss Lt.

Août 1914 Aberschwiller Alsace

Paul PICOCHE

Août 1914 Ansbach Bavière

Louis BLANDIN

Septembre 1914 Deuxville M. et M.

Camille DENIS

Janvier 1915 Rosendaël Nord

Fernand PETIT Sergt

Mars 1915 Bois Leprêtre

Gaston THUUS

Septembre 1915 Ripont Champagne

Ulrich LESCOFFIE

Avril 1917 Verneuil-Beauclue Aisne

Julien PIEROT Mal des Logis

Avril 1918 Mont-Kemmel Belgique

Achille PLUMEREL Mal des Logis

Mai 1918 Chavigny Aisne

Louis LARCHE

Août 1918 Cuperly Champagne

Joseph LANTERNIER Adjt

Juin 1919 Tonkin

Alphonse MULOT

Novembre 1914 Mon du Passeur

Edgard CAUDIOT

Juin 1923

L'Invent'Hair perd ses poils.


Thiron-Gardais (Eure-et-Loir), photo de Jean-Claude Bourdais, mai 2006

DIMANCHE.
Vie parisienne (fin). Les touristes, c'est bien connu, c'est là pour choper la turista. Au réveil, la moitié de l'effectif est sur le flanc et incapable de mettre un pied devant l'autre. Nous décidons donc de mettre fin au séjour et organisons un rapatriement sanitaire pour regagner le bercail plus tôt que prévu. J'ai l'impression de conduire un VSL. A l'arrivée, Alice et Caroline s'alitent pour une nuit de 18 heures pour l'une, de 24 heures pour l'autre.

JEUDI.
Vie merdicale. Visite d'un infirmier éducateur qui vient constater comment Lucie se débrouille avec la pompe à insuline, les changements de cathéter, les réglages et tout ce qui s'ensuit. Réponse : pas mal du tout.

Fidélité. Je m'abonne aux matches du SAS football pour la saison 2009 - 2010, championnat de France Amateur groupe A, ouverture des hostilités le 9 août.

Lecture. Vie et aventures de Robinson Crusoé (The Life and Strange Surprizing Adventures of Robinson Crusoe of York, Mariner, Daniel Defoe, W. Taylor, London, 1719 pour l'édition originale; Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 1959, traduit de l'anglais par Pétrus Borel, notes de Francis Ledoux; 1338 p., 55 €).
Avant d'entreprendre la lecture d'un classique si connu que l'on pense tous l'avoir lu, il convient de savoir ce que recouvre le titre Robinson Crusoé. C'est par là que j'aurais dû commencer, cela m'aurait évité quelques heures de souffrance. Pour l'édition anglaise que je possède, en Penguin Popular Classics, Robinson Crusoé, c'est uniquement la première partie du récit de Daniel Defoe. La Pléiade y ajoute la suite que l'auteur, au vu du succès rencontré, lui donna la même année, le tout dans l'élégante traduction de Pétrus Borel parue chez Varenne et Borel en 1836. A la lecture des deux parties, il apparaît clairement que la seconde ne présente quasiment aucun intérêt et que l'on peut aisément s'en dispenser. Contrairement à certaines œuvres connues sans être lues qui, lorsqu'on en pousse la porte pour de bon, révèlent des richesses cachées, Robinson Crusoé ne vaut que par ce qui a fait sa légende, le récit des vingt-huit ans de solitude (mené à la première personne dans un souci d'authenticité, Defoe voulant faire passer la chose pour une expérience vécue) par le navigateur naufragé. C'est dans cette première partie que l'auteur parvient à captiver le lecteur en racontant les entreprises de son héros tour à tour menuisier, architecte, potier, chasseur, éleveur, cueilleur, pêcheur, cultivateur, boulanger et on en passe au prix d'un récit bien dosé entre les menaces, les découvertes et les initiatives. Dès que Vendredi apparaît, bientôt suivi par d'autres personnages, l'aventure devient confuse et perd peu à peu de son intérêt - ceux qui ont tenu jusqu'au bout du film auront remarqué que le même phénomène se produisait dans Robinson et le triporteur avec Darry Cowl. Dans la seconde partie, Robinson retourne sur son île, entreprend de la peupler et la quitte pour un voyage interminable qui le mènera au Brésil, à Madagascar, en Chine, en Russie, voyage qui donne lieu à une succession d'épisodes d'action des plus confus entrecoupés de digressions philosophiques et religieuses particulièrement indigestes. Moralité, pour paraphraser John Ford : read the legend, ça suffira. En tout cas, on se gardera ici de tâter des Réflexions sérieuses de Robinson Crusoé que Defoe crut bon d'ajouter à son œuvre un an plus tard.

SAMEDI.
Vie vacancière. Nous retrouvons pour la troisième année consécutive notre thébaïde de Saint-Frion (Creuse), l'endroit le plus proche du paradis à mon gré. Un endroit qui m'est d'autant plus cher que je le sais éphémère. Pour l'instant, tout le monde s'y plaît mais il viendra bien un jour où les filles, Caroline ou moi-même allez savoir, auront des envies d'ailleurs et voudront partir ivres d'un rêve héroïque et brutal aux bords mystérieux du monde occidental, pour regarder briller les feux de Port-Saïd, Pondichéry, Mahé, Yanaon, Karikal, trouver de vrais amis au Monomotapa, descendre on ne sait où des fleuves impassibles, voir le Tibre latin et le mont Palatin, se reposer dans Ur ou dans Jérimadeth - et pourquoi pas en Arles où sont les Alyscamps - se perdre dans Madrid, princesse des Espagnes, Bénarès, accroupie, rêvant le long du fleuve, en bref fuir, là-bas fuir. En attendant, à peine les affaires rangées, je suis au bord de l'étang dans un transat antique, gitane maïs - la cigarette du pêcheur - au bec, et attrape mes premiers poissons. Poissonnets, dirons-nous.

Lecture. Les Hauts du Bas (Pascal Garnier, Zulma, 2003, rééd. Le Livre de poche n° 31206; 192 p., 5,50 €).
Rien de tel qu'un petit Pascal Garnier pour se remettre d'une lecture éprouvante, celle de Daniel Defoe m'ayant occupé trop longtemps de façon stérile. Garnier en naturaliste des temps modernes dans un de ses thèmes favoris, la vieillesse qu'il contemple ici sans fioritures dans un face à face entre un vieillard richissime qui perd un peu la boule et son infirmière dévouée. Deux ou trois cadavres viendront pimenter la vie du duo. Mais Garnier se fiche des lois du polar, de la règle d'or qui interdit l'usage de sosies par exemple, de la loi qui veut que toute énigme ait une solution. Un milieu, deux ou trois protagonistes, un enchaînement rapide d'actions sèches, une pirouette pour finir, salut l'artiste, c'est de la belle ouvrage.

IPAD. 9 janvier 2005. 63 km (4591 km)


133 habitants

Le monument aux morts, dit l’autochtone interrogée, est à Champ-le-Duc. Nous attendrons donc que l’ordre alphabétique nous conduise à cette commune.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Valkenburg (Pays-Bas), photo de Danielle Constantin, juin 2006.

DIMANCHE.
Bulletin de santé. "Un haut dirigeant français victime d'un malaise alors qu'il gambadait en culottes courtes dans les sous-bois" (les radios). A la même heure, j'étais en pleine sieste. Je me suis réveillé en pleine forme.

LUNDI.
Lecture. Vies minuscules (Pierre Michon, Gallimard, nrf, 1984; 212 p., 16,10 €). En Creuse, lisons creusois. Limousin plutôt, tant la parenté semble grande entre Michon le Creusois et son voisin corrézien Bergounioux qu'on lisait ici même l'an passé. Issus tous deux d'une terre déshéritée où, à les en croire, rien n'a changé entre le néolithique et l'arrivée du chemin de fer, voire de la télévision, Michon et Bergounioux, s'ils ont lutté pour s'en arracher et échapper au destin promis par leurs origines, ne peuvent s'empêcher de se retourner vers leur passé et leurs racines. Pour Michon, ce sera dans une galerie de portraits, des gens de son village, un voisin de lit d'hôpital, un prêtre, des grands-parents, une compagne, une sœur tôt disparue, des humbles aux vies minuscules qu'il s'emploie à magnifier par la seule arme dont il dispose, l'écriture. Chez Bergounioux, c'est la même chose, le même arsenal dérisoire qui permet de s'arracher à la glèbe : le savoir, les livres, l'écriture. La même que celle de Michon d'ailleurs. Les phrases de l'un pourraient s'insérer dans les livres de l'autre sans qu'on le remarque, une phrase ample mais heurtée, une phrase d'effort, d'ahan, remplie d'incises, d'images travaillées qui sinuent entre les subjonctifs impeccables. Chez Michon, des épaules tombantes se transforment en "retombée scapulaire d'orang-outang", le mouvement de la mer devient une "grande reptation marine irritée" et si quelque chose d'insolite survient, "l'inhabituel suspend son point d'orgue parmi les bruits frais du jour". D'aucuns diraient que c'est de la littérature de certificat d'études, celle des "derniers rejetons pauvres de l'école laïque, ceux qui apprenaient en classe Racine et Hugo comme une langue étrangère" dira Michon dans un autre livre - je n'ai rien contre la littérature de certificat d'études, je prends toujours plaisir à lire Daudet et le compte bien un jour lire Anatole France - augmentée chez Michon d'un goût pour l'emphase, celle du Flaubert de Salammbô et de Saint Julien l'Hospitalier. Derrière ces portraits, ces vies minuscules, cette glorification des gueux se dessine en creux l'autoportrait de Pierre Michon. Michon au père enfui, Michon le buveur, Michon le drogué, Michon le scandaleux, un homme qui ne s'aime pas, un homme qui en a bavé, et dont la pauvre vie, à ses yeux, ne vaut pas tripette face à celle de ceux qu'il célèbre ici dans un livre magnifique.
Extrait. "Car je pense quant à moi qu'il avait tout, presque, pour être un auteur intraitable : l'enfance aimée et rompue désastreusement, l'orgueil féroce, un saint patron obscurément inflexible, quelques lectures jalouses et canoniques, Mallarmé et combien d'autres pour contemporains, le bannissement et le père refusé; et qu'il s'en fût fallu comme d'habitude d'un cheveu, je veux dire d'une autre enfance, plus citadine ou aisée, nourrie de romans anglais et de salons impressionnistes où une mère belle tient dans sa main gantée la vôtre, pour que le nom d'Antoine Peluchet résonnât dans nos mémoires comme celui d'Arthur Rimbaud."

Vie halieutique. Histoire d'attraper quelque chose de consommable, je me lance dans la pêche aux écrevisses.

MERCREDI.
Vie culinaire. J'entreprends de cuire les écrevisses pêchées ces derniers jours. Avant toute chose, il convient de châtrer les bêtes, à savoir leur ôter le tube intestinal en détachant d'un coup sec la nageoire caudale centrale (j'ai eu soin d'emporter mon Ginette Mathiot), le tout en se gardant des pinces, toujours actives. J'ai bien fait de lire Robinson Crusoé avant de partir.

SAMEDI.
Tourisme. Nous profitons de la visite de mes parents pour faire une escapade à Guéret, où je n'ai pas mis les pieds depuis 2001. On dirait une ville morte, en comparaison avec l'animation bon enfant qui règne à Aubusson où nous avons nos habitudes. Même les salons de coiffure (Phil Coiff, Chris Coiff...) manquent de conviction et n'entreront dans l'Invent'Hair que du bout des ciseaux. J'ai tout de même la satisfaction de trouver la maison natale de Marcel Jouhandeau, rue de l'Ancienne-Mairie, dont une boucherie occupe toujours le rez-de-chaussée.

IPAD. 23 janvier 2005. 65 km (4656 km)


173 habitants

Rien à Begnécourt. Une habitante m’indique le cimetière, très éloigné, de l’autre côté de la route de Vittel. Rien au cimetière non plus. Je trouve le monument un peu plus loin, au flanc d’une église, à Adompt. Il concerne les communes de Gelvécourt-et-Adompt, Begnécourt et Légéville-et-Bonfays.

A nos morts 914-1918

Cne de Begnécourt

A. MOUREY

G. BOULANGIER

M. MERLIN

R. DELIGNY

Sur la base de la stèle, à gauche :

Cne de Gelvécourt Adompt

Z. JEANROY

P. REMY

P. USUNIER

L. JACQUEMIN

G. DUVOY

P. FRANÇAIS

J. VERJUS

A droite :

Cne de Légéville

J. DRAPIER

L. BOURGON

L. FRAYARD

39-45

R. BAILLOT

Y. MOUREY

F. NICOLAS

Au pied, une plaque de marbre en très mauvais état (DUVOY, mort pour la France) et six plaques émaillées sous verre avec les photos de :

- MERLIN Marcel 22 ans 149e INF. mort à Souain (Aisne) le 23 septembre 1914

- MOUREY André 20 ans soldat au 170e INF. mort à Mesnil les Hurlus le 15 mars 1915

- BOURGAUT Marc 20 ans soldat au 10e BCP mort à Aix Noulette (P. de C.) le 19 juin 1915

- JACQUEMIN Louis 35 ans soldat au 6e COLOL mort aux Dardanelles (Orient) le 21 juin 1915

- REMY Pierre (33 ans) soldat au 158… (illisible) mort à Aix… (illisible)

- JEAUROY (gravé JEANROY plus haut) Ze… (illisible) 30 ans soldat au 170° IN… (illisible) mort au Plateau de Lorette (P… illisible) le 16 octobre 1915.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de François Bon, juin 2006.

DIMANCHE.
Tourisme littéraire. Le temps est gris aujourd'hui, propice à une excursion sur les terres des Vies minuscules de Pierre Michon. C'est une autre Creuse que celle qui nous abrite, c'est au-delà de Bourganeuf, vers Limoges, une Creuse qui tutoie la Haute-Vienne, sillonnée par les minuscules vermicelles blancs de la carte Michelin, aussi tortueux que les noms des patelins, tous ces "bleds aux noms impossibles". J'ai pris des photos, les mêmes que d'habitude, des publicités pâlies peintes aux murs des maisons, des bistrots borgnes, des pancartes, des cimetières, des tombes, des noms, des monuments aux morts où sont alignées des vies minuscules brutalement interrompues. J'ai vu ce qui reste des cafés de Châtelus, Saint-Goussaud, Mourioux où Fiéfié Décembre chanta l'odyssée américaine d'Antoine Peluchet, j'ai vu, dans son église déserte, saint Goussaud - un de ces "saints frustes, guérisseurs de bestiaux" comme l'est peut-être saint Frion - et son taureau couché, piqué "des mille épingles que les filles rieuses, éplorées, maladroites, y plantent en faisant vœu de trouver l'amour", j'ai vu Marsac et son école "où mes parents étaient en poste", j'ai raté le cimetière de Châtelus-le-Marcheix où reposent les grands-parents de Michon et sans doute sa mère. J'ai vu Pierre Michon, aux Cards où je m'étais aventuré comme je m'étais aventuré l'an passé aux Bordes en redoutant les ferrailles torturées que Pierre Bergounioux n'allait pas manquer de balancer sur ma carrosserie, oui, j'ai vu Pierre Michon et je m'en excuse auprès de lui, Pierre Michon devant sa maison, intrigué par les aboiements de son chien au passage de l'auto qui manœuvrait péniblement au fond du cul-de-sac. Je suis passé devant lui la tête dans les épaules, l'air d'un abruti qui a perdu sa route soit, en gros, mon air de tous les jours, et j'ai mesuré le chemin parcouru entre Les Cards et les tables des libraires, accompli, et c'est ça le plus important, sans oublier ni renier d'où l'on vient et ce que l'on doit à ceux qui n'en sont jamais partis, j'ai sillonné le cimetière de Marsac, ma foi fort pentu, à la recherche de la tombe de la petite morte, je ne l'ai pas trouvée parce qu'elle doit être ailleurs mais j'ai pris en photo celle du curé qui l'enterra devant "l'auditoire de mangeurs de raves", j'ai sans doute vu, au Châtain, la ferme des Peluchet et à Mourioux la maison où la grand-mère gardait leur trésor et j'ai cru voir, dans le cimetière de Saint-Goussaud, la place vide d'Antoine où Michon veut être enterré. J'ai lu, à la recherche d'un Jumeau, les noms du monument aux morts de Mourioux, juste devant l'église, là où l'abbé Bandy avait garé sa moto avant de célébrer sa première messe qui devait tant remuer Marie-Georgette. J'ai compris pourquoi "il n'y a pas de cimetière à Saint-Priest-Palus", c'est trop petit, et pourquoi Rémi Bakroot a dû être enterré à Saint-Amand-Jartoudeix, vêtu de son uniforme de Saint-Cyrien, "dans le peuple anonyme des paysannes à chapeaux noirs, à fichus, à frisettes de chef-lieu de canton", j'ai cherché sa tombe, j'ai vu des Jeu, des Poulidor mais pas de Bakroot, j'avais oublié que "les Bakroot n'avaient pas de caveau" et puis qui, à part moi, croit à ces histoires ? Alors je suis revenu devant l'église, "une petite église écrasée comme on en voit dans le Borinage, à La Drenthe ou Nuenen, au pays des tableaux et des tourbes", et j'ai relu les pages de Michon sur l'enterrement de Rémi Bakroot, "un enterrement comme tous les autres, dans Courbet, dans Greco, à Saint-Amand-Jartoudeix", j'ai relu ces pages et je ne dirai pas l'émotion qui m'a alors envahi, je dirai juste le regret que j'ai eu d'avoir vécu si longtemps sans les connaître.

MARDI.
Presse. On pourrait ici ouvrir une nouvelle rubrique intitulée "Y a pas que les coiffeurs" (sous entendu "pour trouver des appellations tartignolesques") : "Les Centres musicaux ruraux de la Creuse sont devenus P'Art Si P'Art La depuis le 27 juin" (La Montagne du jour).

Tourisme patriotico-tumulaire. Je laisse mon trio barboter dans le lac de Vassivière pour partir à la recherche de quelques monuments aux morts locaux. J'ai en effet repéré trois monuments pacifistes à La Forêt-du-Temple, Royère-de-Vassivière et Gentioux. Le premier est trop loin, le deuxième est décevant (c'est au cimetière que j'aurais dû me rendre, sur la tombe d'un soldat fusillé pour l'exemple) mais le troisième est une merveille, avec la statue d'un enfant tendant un poing serré en direction de l'inscription "Maudite soit la guerre".

MERCREDI.

Emplettes. Je fais le plein de Michon à la librairie d'Aubusson.

Lecture. La Beauté du monde (Michel Le Bris, Grasset, 2008; 688 p., 21,90 €). Ce livre est une énigme. Comment un Michel Le Bris, un homme qui a un parcours, un homme qui se réclame de Stevenson, Conrad, Melville, un homme qui est à tu et à toi avec Jim Harrison peut-il signer un tel livre ? Bien sûr, Le Bris a commis des erreurs, des maladresses comme son engagement "pour une littérature-monde" qui se défend très bien toute seule, des bizarreries comme celle qui consiste à régulièrement enfermer dans une ville fortifiée ces fameux "écrivains voyageurs" dont il s'est fait le héraut, mais de là à signer ce roman, sept cents pages de sirop, de soupe aux clichés et aux chromos pour raconter l'aventure africaine de Martin et Osa Johnson, pionniers du cinéma animalier, c'est incompréhensible. Une énigme. Il en est une autre : La Beauté du monde a bien failli décrocher le Prix Goncourt à l'automne dernier, battu au dernier tour par Pierre de patience de je ne sais plus quel écrivain afghan. Qu'un jury qui doit piocher parmi une myriade de titres conduise ce roman au bord du prix en dit long sur la valeur de celui-ci et sur la santé du roman français, ou plus exactement d'une certaine conception du roman français. Affligeant.

SAMEDI.
Vacances (fin). C'est l'heure du retour sur terre. Il était temps, la gamelle devenait trop petite pour faire cuire les écrevisses. Nous arrivons trop tard pour que je puisse me rendre à la Colombière voir le SAS recevoir sa première pâtée de la saison (3-1 contre Colmar).

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules et une tonne d'informations pour le Bulletin Perec.

IPAD. 30 janvier 2005. 40 km (4696 km).


951 habitants

Monument situé en surplomb de l’église. Sur le bouclier du Poilu, on peut lire : « 1914-1918 - Alsace - L’Yser - Verdun - La Marne ».

Bellefontaine

A ses glorieux soldats

Morts pour la France

1870-71-1914-1918.

Face : 26 noms sur deux colonnes, de AUBEL Nicolas à DEMONET Charles, dont 6 BAUDOIN, 2 BEUCHOT, 2 BONNARD, 2 CORNU, 2 COUNOT, 2 DANY. Sur la base de la stèle, une croix de Lorraine, 1939-1944 et 8 noms, de BONNARD Roger à VINCENT Charles.

Gauche : 26 noms sur deux colonnes, de DEMONET Pierre à PELLETIER Henri, dont 2 DUCHÊNE, 3 FREMIOT, 3 FRENOT, 2 LECLERC, 2 MATHIEU.

Dos : Guerre de 1870-71. 23 noms sur deux colonnes, de ARNOULD Charles à VILMIN Blaise.

Droite : 26 noms sur deux colonnes, de PERNOT Victor à VINCENT Henri, dont 6 PIERRE, 2 POIROT, plusieurs RICHARD et 8 VALENTIN. Pour ces derniers, on a dû ajouter les deuxièmes prénoms pour distinguer les deux Auguste et les deux Eugène.

Le monument est signé BARBAUX Pierre, 1957.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de François Bon, juin 2006.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°410 - 16 août 2009

LUNDI.
Presse. Un chroniqueur de Vosges Matin dit avoir reçu "un message très argumenté sur les salons de coiffure en Bretagne, et plus exactement sur les enseignes de ces salons. [...] Constatant la grande diversité de ces enseignes [...] ce Monsieur propose une chasse aux enseignes des salons de coiffure régionaux." En conclusion : "L'idée est-elle transférable dans les Vosges ? [...] Pourquoi pas un gloss'hair des enseignes vosgiennes ?" Heureusement, l'Invent'Hair n'a pas attendu cette invite et a su dès sa création, dépasser les frontières départementales ou régionales. L'Invent'Hair est un travail scientifique, la Science n'a pas de frontières.

Lecture. Les Fous littéraires (André Blavier, Veyrier, 1982 pour la première édition, Editions des Cendres, 2000 pour l'édition "nouvelle, revue, corrigée et considérablement augmentée"; 1152 pages, 69 €).
Lorsque je suis venu à m'intéresser aux fous littéraires, c'était, et je pense ne pas être le seul dans ce cas, pour me payer une bonne tranche de rigolade. Il faut dire que, si je mets de côté une lointaine lecture des Enfants du Limon de Queneau, mon initiation s'était faite par le biais d'une émission de radio consacrée à Jean-Pierre Brisset dans laquelle Claude Piéplu lisait des extraits des Origines humaines et c'était plus drôle que l'intégrale des Shadoks. Lorsqu'il fallut creuser un peu le sujet et s'aventurer par exemple dans les 1300 pages des Œuvres complètes de Brisset rassemblées par Marc Décimo, je m'aperçus bien vite que l'étude des fous littéraires n'était pas toujours synonyme de franc boyautage. Comme l'écrit Paul Gayot dans un article des Cahiers de l'Institut : "La plupart des fous littéraires sont parfaitement emmerdants. "Ils deviennent fous, mais ils restent cons" constatait Julien Torma." De là dire que la somme d'André Blavier est un pensum, il y a un pas que je ne franchirai pas mais elle est parfois de lecture ardue, la faute en incombant bien sûr aux tapés de toutes espèces largement cités dans ses pages. Après une introduction assez peu académique qui fait parfois craindre que Blavier lui-même soit légèrement atteint du mal qu'il décrit, les fous littéraires sont regroupés selon les rubriques suivantes : Cosmogones, Philosophes de la "Nature", Prophètes, Visionnaires et Messies, Quadrateurs, Astronomes et Météorologistes, Persécutés, Persécuteurs & Faiseurs d'Histoire(s), Savants, Médecins et Hygiénistes, Inventeurs et Bricoleurs, Candidats, Philanthropes, Sociologues & Casse-Pieds, Romanciers & Poètes, certains olibrius particulièrement doués émargeant à plusieurs de ces catégories. Après cela, on peut dire que le sujet est épuisé, même si la recherche continue et que des découvertes ont été faites depuis que Blavier s'est éteint en 2001, une des fiertés des découvreurs étant d'ailleurs de pouvoir inscrire sous un nouveau nom la mention "Ne figure pas dans le Blavier". Nous nous contenterons ici, pour ne pas rebuter le notulien, de glaner dans la masse quelques éléments qui nous ont amusé : des titres (Vie de Jésus dans le ventre de Marie, Luigi Novarini, 1642; L'Heure des marées dans la mer Rouge comparée avec l'heure du passage des Hébreux, anonyme, 1755; De la courbe que décrit un chien courant après son maître, abbé Moussaud, 1820), des langues nouvelles (dans sa Langue universelle et analytique de 1844, Etienne Vidal nous apprend que "le bon roi Dagobert a mis sa culotte à l'envers" se dirait sous toutes les latitudes "La lèn xa fé fa féan xéa lan za xa fa xa faif"), des recueils de blagues pour rire en société (50 histoires pour rire pendant la décapitation, Albert Liptay, 1912), des Vosgiens (D. Humbert, de Mirecourt, auteur d'une Preuve de l'existence de Dieu, la divinité du Christ d'après Napoléon Ier, 1865, Claude Villiaume, né à Charmes en 1780, Henry Rollin, de Monthureux-sur-Saône, auteur de l'Histoire d'un fou racontée par lui-même, 1896), des homonymies (François Bon est aussi un fou littéraire, et pas des moindres), des programmes électoraux (un certain Cotton annonçant "le triomphe prochain de la Civilisation par la transformation du lac Léman en terres cultivables, par dessèchement" en 1889), des anecdotes ("Un charlatan, plus ou moins, nommé Falb, annonça à Vienne la fin du monde, à la suite d'un choc cométaire, pour le 14, 15 ou 16 novembre 1889. Peu d'années auparavant, il parcourait le Pérou, prédisant contre argent comptant les tremblements de terre dont la région est le fréquent théâtre. C'est ce qu'il était en train de faire, au cours d'une conférence à Lima, lorsque les premiers signes d'un séisme bien réel se firent sentir. Falb tenta de retenir son auditoire, qui cherchait à se mettre à l'abri, en proférant avec beaucoup d'à-propos : "Mesdames, Messieurs, ceci est un tremblement de terre et, je profite de l'occasion pour le pronostiquer"), des révélations ("J'ai acquis la preuve éclatante, irréfutable, que le soleil n'est pas à plus de dix-huit kilomètres de la Terre et je vous le prouverai quand vous voudrez...", lettre à L'Intransigeant, 1933), des fulgurances ("Dieu sait tout hormis qu'il n'existe pas", Alexandre Swietorzecki, 1933), des oulipiens par anticipation (Jean-François de Mas-Lastrie, auteur en 1854 d'un Petit livre de poche très pittoresque et des plus curieux, contenant cinq lettres morales et chrétiennes d'un père à son fils; dans la rédaction de chacune d'elles on remarquera l'absence d'une des cinq voyelles de notre alphabet), des fous récents (Jean Descombes, auteur d'une Histoire de France en sonnets, en 1984) qui tendent à prouver que les fous littéraires ne sont pas tous poussiéreux et que leur étude a encore de beaux jours à vivre. Signalons d'ailleurs que l'Institut International de Recherches et d'Explorations sur les Fous Littéraires et le Centre régional du livre de Lorraine organisent les 26, 27 et 28 novembre une série de Journées folles à Pont-à-Mousson ("Fous Littéraires et Folies Artistiques : Les Doux dingues aux Prémontrés") et que je compte bien y participer selon les disponibilités que me laissera mon emploi nourricier.

MARDI.
Bibliothèque, fin. Je romps avec la Bibliothèque municipale, ou ce qui en tient lieu aujourd'hui, après avoir payé une amende de vingt-cinq euros pour une tranche tachée sur un livre qui, neuf, en valait quatorze. Je savais que la politique de prestige avait un prix mais je ne m'attendais pas à payer celui-là. J'abandonne à la préposée nos belles cartes magnétiques, attendu qu'on ne peut même pas se torcher avec, et tente de me persuader qu'au-delà de l'humiliation réelle et cuisante - intus et in cute - qu'il y a, après avoir fréquenté un établissement pendant plus de trente-cinq ans, à se voir convaincu de biblioclastie par une pintadelle en job d'été qui n'a pas terminé son premier Harry Potter, il reste l'immense satisfaction de savoir qu'on ne remettra plus les pieds dans cette cabane.

MERCREDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 34 (avril-mai-juin 2008, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 176 p., 25 €).
Un numéro de transition, assez mince, dont l'élément essentiel est une étude de Jean-Pierre Bacot sur les collections illustrées de Fayard, de Ferenczi et de Baudinière. Ces trois collections, actives dans les années 1920-1940, s'adressaient à un public petit-bourgeois en proposant des romans "qualité France" (Duhamel, Henry Bordeaux, Chardonne, Mauriac, Colette...) bénéficiant d'illustrations soignées (gravures sur bois). Jean-Pierre Bacot remarque à juste titre que la connaissance de cette culture petite-bourgeoise, que ces collections contribuaient à forger, "est encore lacunaire et l'est peut-être davantage pour cet univers moyen que pour le registre populaire." Et d'en appeler à un "prolongement de la recherche sur cette génération de livres illustrés" qui a pu "déterminer tout une gamme de statuts économiques ou esthétiques". Autres sujets évoqués dans cette livraison : Maupassant, les romans d'espionnage français des années 1912-1916 (belles reproductions de couvertures), un entretien avec Claude Duchet et les rubriques habituelles. A noter, dans les "Livres reçus" l'accueil sévère réservé au recueil de lettres de Jean Lorrain concocté par Eric Walbecq pour les éditions Champion. Eric Walbecq est un collaborateur régulier d'Histoires littéraires. Cette revue est impitoyable.

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JEUDI.
Cycle littéraire. On dira le mal que l'on voudra de La Poste, de sa privatisation rampante ou avérée, de la fermeture de ses bureaux de campagne ou de l'amabilité de ses guichetiers, l'institution a de beaux restes et garde un vernis de respectabilité. Surtout dans le choix du matériel destiné à équiper les vélos de ses facteurs, si l'on en croit cette photo prise ce jour à Epinal. Nul doute que Marcel, ou Marselle, grand épistolier devant l'Eternel, aurait apprécié cet hommage parti-culier.

VENDREDI.
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SAMEDI.
Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Coussey est enregistré.

IPAD. 5 mai 2005. 95 km (4791 km).


122 habitants

Le monument est devant l’église, une haie bien taillée fait un demi-cercle derrière lui. Au sommet de la colonne, deux canons en croix et trois boulets.

Aux morts pour la patrie 1914-1918

VILMINOT Albert

THIEBAUT Adrien

THIEBAUT Achille

BERNARD Camille

BRIANCON Albert

MAGNAN Raymond

COUSIN Justin

THORAIN Raymond

MARCHAL Alfred

DIEZ Paul

HARET Léon

DEMURGER Jean-Baptiste

GAERTNER Arsène

ROYER Alphonse

L'Invent'Hair perd ses poils.


Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), photo de Marc-Gabriel Malfant, juin 2006.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°411 - 23 août 2009

DIMANCHE.
Vie littéraire. La sortie du numéro 38 d'Histoires littéraires autorise la mise en ligne des chroniques que j'ai signées dans le numéro précédent. Au menu, l'actualité littéraire, deux revues (Modernités et Le Grognard), un "bibliolexique", le Journal de Manchette, Léo Ferré, San Antonio et les écrivains au bistrot. C'est ici.

Lecture. Berlin Alexanderplatz (Alfred Döblin, Fischer Verlag, 1929; Gallimard, coll. Du monde entier, 2009, nouvelle traduction de l'allemand par Olivier Le Lay; 462 p., 24,50 €).
Nouvelle traduction, donc. Soyons franc, je n'avais jamais lu l'ancienne mais je l'ai retrouvée en Folio dans mes étagères et j'ai pu constater que le principal mérite d'Olivier Le Lay est d'avoir rétabli des passages entiers qui avaient été purement et simplement évités par son prédécesseur. Pour le reste, je ne sais pas trop : en général, les traductions historiques ont ma préférence. Pour Kafka, Vialatte me suffit, pour Ulysse, que je pratique régulièrement, l'équipe de traducteurs qui a entrepris de rénover le travail de Valery Larbaud ne me semble pas avoir fait avancer la cause joycienne, la transformation des Confessions de Saint Augustin en Aveux et celle d'Au cœur des ténèbres de Conrad en Cœur des ténèbres me paraissent plutôt anecdotiques. D'autant que pour ce qui est d'une traduction de l'allemand, je ne suis pas vraiment qualifié. J'avais été très fier de découvrir il y a quelques années une erreur de traduction dans La Montagne magique mais je ne serais incapable de la retrouver et disons que je préfère le "Lange Zeit bin ich früh schlafen gegangen" de Eva-Rechel Mertens (1957) à "Lange Zeit ging ich früh ins Bett" de Rudolf Schottlaender (1926) mais je ne saurais dire pourquoi. En attendant, pour en revenir à Döblin, la découverte de Berlin Alexanderplatz est un fameux choc. Un classique qui tient ses promesses, un livre qui est à la fois le roman d'un personnage, le roman d'une ville et le roman d'une époque. Un personnage d'abord, Franz Biberkopf, l'histoire de sa chute "telle que j'ai voulu la décrire entre le jour où il quitta l'établissement pénitencier de Tegel jusqu'à sa fin à l'asile d'aliénés de Buch pendant l'hiver 1928-1929." Roman d'une ville ensuite, Berlin, décrite non pas avec les outils traditionnels du romancier mais par ses bruits, ses odeurs, ses lignes de tramway (Alexanderplatz prend par moments des airs de place Saint-Sulpice ou de carrefour Mabillon sous l'œil de Perec), ses faits divers découpés dans les journaux, ses statistiques ("Mouvements sur le marché aux bestiaux : 1399 bœufs, 2700 veaux, 4654 moutons, 18864 cochons", "A Berlin 48742 personnes sont mortes en 1927, sans compter les mort-nés"), sans oublier les bulletins météorologiques et les cours de la Bourse. Roman d'une époque enfin qui, allié avec l'utilisation révolutionnaire du monologue intérieur ininterrompu, achève de faire de Berlin Alexanderplatz l'équivalent germanique de l'Ulysse de Joyce. Sauf que là où Joyce évoquait un Dublin reconstitué à distance géographique et temporelle, Döblin décrit le Berlin qu'il a sous les yeux. Comme le note Rainer Werner Fassbinder dans un court texte qui clôt cette édition, "ce qui est beaucoup plus intéressant que de savoir si Döblin connaissait l'Ulysse de Joyce, c'est l'idée que la langue de Berlin Alexanderplatz soit influencée par le rythme des tramways qui passaient et repassaient devant le bureau d'Alfred Döblin". Berlin n'est pas Dublin parce que c'est une ville de vaincus, marquée par la guerre et la crise économique, mais aussi parce que c'est une ville qui a vu passer Dada et que "l'inoculation de Dada, ce microbe vierge, à une société en plein effondrement produit à Berlin une détonation à double détente, artistique mais aussi politique" (Marc Dachy, Dada la révolte de l'art, Découvertes Gallimard, 2005). L'écriture de Döblin, son humour noir, ses pas de côté et ses coq-à-l'âne forment l'écho de cette détonation.

Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Crainvilliers est enregistré.

Lecture. Le Mystère de Fernwood, suivi de La Vengeance de Samuel Logwood (The Mystery at Fernwood, Mary Elizabeth Braddon, Temple Bar novembre-décembre 1861 pour l'édition originale, première édition française Hachette, 1875; traduit de l'anglais par Charles Bernard-Derosne, Le Masque, coll. Labyrinthes, hors commerce).
Le Masque entreprend de republier l'œuvre de Mary Elizabeth Braddon (1835-1915) - pas tout, on imagine, parce qu'il y a tout de même quatre-vingt-dix romans, sans oublier le théâtre et les nouvelles, au compteur de la dame. Deux nouvelles sont ici présentées en produit d'appel, qui donnent une idée des talents de cette "pionnière du roman policier à l'époque victorienne" (Claude Mesplède, Dictionnaire des littératures policières). La première, qui utilise le thème du double (un jumeau caché ici) est assez conventionnelle mais La Vengeance de Samuel Longwood, récit d'une vengeance soigneusement ourdie et finalement ratée est une belle surprise qui n'a pas pris une ride.

MARDI.
Lecture. Les remembrances du vieillard idiot, d'Alfred Hellequin avec des fragments de la biographie d'Adolphe Ripotois et de ses œuvres inédites (Michel Arrivé, Flammarion, 1977; 158 p., s.p.m.).
Tout est parti de la lecture d'un article de Lansana Bérété paru dans le premier numéro des Cahiers de l'Institut, revue consacrée aux fous littéraires, sur un certain Adolphe Ripotois. Je m'étais ici même ouvert de ma perplexité devant ce personnage, allant jusqu'à remettre en cause, faraud que j'étais, son existence. Là-dessus me parvint un mot de Michel Arrivé qui, ayant pris connaissance de la notule en question, m'aiguillait vers son roman, Les remembrances du vieillard idiot, dans lequel je trouverais sans doute de quoi satisfaire ma curiosité. Le livre est épuisé mais j'ai fini par mettre la main sur un exemplaire - un rien défraîchi, certes, le genre d'objet qui rendu dans cet état à la bibliothèque d'Epinal vous vaudrait, non une amende à 25 euros mais plus sûrement le cachot et les fers - et je ne regrette pas les démarches entreprises pour pouvoir enfin entreprendre cette lecture. Michel Arrivé n'y signe que la postface qui fait suite au texte d'Alfred Hellequin, les Remembrances proprement dites. Celles-ci se composent d'un témoignage sur la vie qu'il mène à l'Hospice de vieillards de Châtel-sur-Loire, associé à un récit de souvenirs qui montrent comment ce professeur d'université en est venu à cesser ses activités pour se faire héberger dans cet établissement. Le tout est entrelardé de fragments de la biographie et des œuvres d'Adolphe Ripotois, dont le seul lien avec Hellequin serait le lycée Condorcet où celui-ci aurait pu être l'élève de celui-là à la fin des années 1940. Au total, le livre est une construction complexe et stimulante qui part dans quatre directions (au moins) : le récit asilaire (l'hospice au jour le jour), le récit universitaire (la morne vie d'un professeur vaguement dépressif), la découverte d'un homme et d'une œuvre dignes de figurer au Panthéon des fous littéraires et pourtant encore bien obscurs. Adolphe Ripotois y apparaît comme un homme qui, loin d'être fou au départ, construit patiemment sa folie par ses recherches et ses préoccupations. Son œuvre : un roman énigmatique (La Mutilation), des Souvenirs, des Notes, des Textes qui tous semblent animés d'une même préoccupation, se rendre illisible. Ripotois, cherchant à écrire un Traité de l'illisibilité, supprime peu à peu certaines lettres de ses écrits avant de les caviarder complètement (un processus qui semble aussi gagner son langage oral, jusqu'à une forme d'aphasie) ce qui rend son œuvre extrêmement fragmentaire. Il n'en surnage aujourd'hui que certains aphorismes bien connus ("Ce qu'il y a d'odieux avec les mots, c'est qu'on n'est jamais le seul à les utiliser. Comme l'argent : écrire, c'est payer. Il faudrait se faire faux-mot-nayeur"; "La meilleure façon de parler, c'est de mettre un mot devant l'autre et de recommencer"; "Le mot, c'est la mort sans en avoir l'R", Notes). Michel Arrivé avait, dès 1977, entrouvert la porte, Lansana Bérété est sur le point de l'ouvrir en grand, annonçant, à la fin de son article, une prochaine édition des œuvres de Ripotois ainsi qu'un Adolphe Ripotois ou l'impossibilité d'écrire par Alfred Hellequin. Il est temps que le monde découvre ce personnage singulier à qui l'on souhaite la même reconnaissance, tardive mais lumineuse, que celle que connaît aujourd'hui Jean-Baptiste Botul. La réédition du roman de Michel Arrivé serait également une initiative louable dans cette perspective.

VENDREDI.
Vie parisienne. Pas d'activité touristique au programme de cette escapade mais du travail avec la reprise de La mémoire louvrière et de l'Atlas de la Série Noire qui me permet, à la Bilipo, de retrouver le plaisir qu'il y a à fréquenter une bibliothèque fréquentable. Dans les intervalles, je jette un œil sur les tables des libraires où la rentrée littéraire commence à faire des siennes, ce qui me suscite en moi une impérieuse envie (allez savoir ce qui se passe dans le cerveau d'un être à qui, il y a peu, on demandait dans quelle catégorie de fous littéraires il souhaitait être classé) de relire la "Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres" : "Etoile de la mer voici la lourde nappe / Et la profonde houle et l'océan des blés...". J'achète donc un petit Péguy chez Compagnie et le constelle de miettes au cours d'un frugal repas sur un banc du square Paul-Painlevé. Bien sûr, on dira que ça sent fort la poussière de sacristie mais il n'y en avait pas beaucoup, en 1913, à oser faire rimer autos avec photos.

Lecture.
Heureux au jeu (Lucky at Cards, Lawrence Block, Dorchester Publishing Co., New York, 1964 pour l'édition originale, Le Seuil, coll. Policiers, 2009 pour la traduction française; traduit de l'américain par Aline Weill; 204 p., 19,50 €).
C'est un titre qui, à l'époque, a dû échapper à la Série Noire où Lawrence Block avait débuté en 1962. C'était un temps où le polar était considéré comme une littérature de bas étage, ce qui n'avait pas que des désavantages : les auteurs ne se prenaient pas pour des sociologues, des philosophes ou des moralistes et mettaient tout leur talent, pour ceux qui en avaient, dans le récit d'une histoire solide. Les livres étaient plus courts, plus nerveux et pas forcément moins intéressants que les pavés que l'on sort aujourd'hui, surtout quand on avait à la barre un Lawrence Block, particulièrement talentueux. On a donc ici l'impression de se replonger dans la Série Noire des années 60 (le haut du panier s'entend parce qu'il y a aussi beaucoup de déchets dans la collection, ne l'oublions pas) avec une histoire de tricheur aux prises avec une femme fatale de la plus belle eau. C'est rondement mené, sans prétention, et captivant de bout en bout.

SAMEDI.
Vie parisienne. Là aussi, c'est rondement mené : flânerie au Jardin des Plantes le matin et travail à la Bilipo où j'ingurgite des Série Noire tout l'après-midi. Entre-temps, je tiens à rassurer tout le monde, pas d'envie de Péguy ni de Van der Meersch à signaler, juste une série de photos prises rue Linné.

IPAD. 8 mai 2005. 81 km (4872 km).



277 habitants

Un village à l’habitat très clairsemé, sans véritable centre. Le monument est à l’écart, à un carrefour situé en haut du village, près d’une maison de garde-barrière. La gerbe et les drapeaux sont du jour.

De face :

A nos héros morts pour la France

1914-1918

La commune de Belmont reconnaissante

1939-1945

Militaires

POUREL Edmond

PIERRE Robert

HUMBERT André

VINCENT Lucien

Victime civile

POIROT Gonzague

Côté gauche :

GRANDJEAN Jean Baptiste

GERARDIN Joseph

ROMARY Léon

DIVOUX Emilien

JACQUOT Théophile

CUNIN Henri

Côté droit :

MATHIEU Emile

CUNIN Paul

VALENTIN Gaston

THIRIET Georges

ANTOINE Albert

MANGEOL Pierre

L'Invent'Hair perd ses poils.


Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), photo de Francis Pierre, 7 juillet 2009.

Marc-Gabriel Malfant m’avait envoyé en juin 2006 une photo du même salon. J’ai préféré celle de Francis Pierre parce qu’on y voit, en retrait, une autre enseigne « Espace Créa’tif », ce qui doit faire de cette boutique la seule du corpus à proposer deux jeux de mots aussi indigents l’un que l’autre.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°412 - 30 août 2009

DIMANCHE.
Courriel. Une bonne demi-douzaine d'abonnements aux notules. La reprise de la notule Döblin sur le Tiers Livre de François Bon, qui a en quelque sorte installé l'éclairage public sur l'Alexanderplatz, n'y est sans doute pas étrangère.

LUNDI.
Vie merdicale. Lucie est hospitalisée pour une intervention chirurgicale bénigne qui, en raison de ses tracas quotidiens, nécessite tout de même une certaine surveillance. La maison vide - Caroline est restée dormir à la clinique - rappelle de mauvais souvenirs. Vivement demain.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Lecture. L'Equation de Kolmogoroff (Marc Petit, Ramsay, 2003; rééd. Gallimard, coll. Folio n° 4240; 448 p., 8,10 €).
"Vie et mort de Wolfgang Doeblin, un génie dans la tourmente nazie"
Dans la famille Döblin, je demande le fils. Faisons comme Marc Petit, commençons par la fin : dans la nuit du 20 au 21 juin 1940, le soldat Wolfgang Döblin abandonne ce qui reste de son régiment français regroupé au col de la Chipotte et se réfugie dans une grange à Housseras, département des Vosges. Au matin, apprenant l'arrivée des Allemands, "il quitte son refuge, pénètre dans la cuisine de la ferme, se dirige rapidement vers le fourneau et y brûle ses papiers", retourne à son abri et se tire une balle dans la tête. "On l'enterre, l'après-midi du 21 juin, dans une fosse creusée près de l'abside de l'église, aux côtés des soldats français et allemands tombés au cours des derniers combats" sous l'intitulé "N° 13, décès d'un soldat inconnu." Au même moment, Alfred Döblin et sa femme cherchent à gagner l'Amérique où ils passeront le reste de la guerre et où ils apprendront la nouvelle de la mort de leur fils le 21 mars 1945. Parvenus au terme de leur vie, ils seront enterrés à ses côtés en 1957. Housseras, c'est tout près, à trente kilomètres d'ici peut-être, mais je n'y suis jamais allé. Il a fallu la récente lecture de Berlin Alexanderplatz immédiatement suivie de la redécouverte d'une émission de radio consacrée à Wolfgang Döblin diffusée sur France Culture en mars 2008 et que j'avais heureusement préservée dans mes archives pour que j'en arrive à ce livre de Marc Petit. Une biographie qui s'intéresse autant à la figure de Vincent Doeblin, alias Wolfgang Doeblin, né Wolfgang Döblin, qu'au reste de la famille. Les Döblin s'installent à Paris en 1933, après l'incendie du Reichstag et obtiennent la nationalité française en 1936, ce qui explique la présence de deux de leurs enfants dans l'armée française. Auparavant, Wolfgang a suivi les cours de l'Institut Henri-Poincaré, s'est spécialisé dans l'étude des probabilités, un domaine dans lequel il est rapidement devenu l'égal de ses maîtres avant de les dépasser. C'est au cours de ses classes, dans les Ardennes, qu'il rédige dans des conditions difficiles un mémoire Sur l'équation de Kolmogoroff qui, avec son suicide, forment l'autre versant de sa légende. Wolfgang choisit en effet d'envoyer son mémoire à l'Académie des Sciences sous la forme d'un "pli cacheté", une procédure qui, sauf volonté de l'auteur ou autorisation expresse de ses héritiers, ne permet l'ouverture du pli en question que cent ans après son dépôt. Le mémoire de Döblin, à l'initiative d'un de ses frères, ne sera ouvert que le 18 mai 2000 et on s'apercevra qu'il contient à peu près tout ce qui a été mis au jour dans le domaine des probabilités depuis la fin de la guerre. Marc Petit est un auteur à multiples facettes. Il a écrit de la poésie, des contes, des romans, traduit Rilke et bien d'autres Allemands. Sa biographie n'est donc pas un travail universitaire mais un récit personnel, dans lequel il s'implique, se met en scène, digresse, se perd, revient à son sujet et à son but affirmé : "J'avoue mon plan ou plutôt, je réédite mon aveu, j'ai une idée derrière la tête depuis que j'ai commencé à écrire ce livre, je voudrais réconcilier Alfred et Wolfgang, le père et le fils." Ceux-ci semblent en effet avoir vécu côte à côte sans vraiment se connaître ni s'apprécier, la vie de famille n'étant pas, d'après ce que l'on peut lire ici, la matière préférée d'Alfred. Derrière l'histoire de Wolfgang Döblin, Marc Petit dresse également le portrait d'une communauté scientifique décimée, et même pire, par les années de guerre : si "les filières de l'émigration fonctionnèrent relativement bien dans le cas des mathématiciens français et allemands", les écoles de Brno, de Lvov, de Hongrie furent pratiquement anéanties. Enfin, l'auteur met en parallèle le sauvetage miraculeux du manuscrit de Wolfgang avec celui de toutes ces "bouteilles à la terre" revenues à la surface depuis la fin de la guerre, témoignages, chroniques, manuscrits ensevelis, comme le Chant pour le peuple juif assassiné d'Itzhak Katzenelson, "retrouvé enfermé dans trois bouteilles enfouies au pied d'un vieil arbre au camp de Vittel", soit pas très loin d'Housseras.

MARDI.
Vie de fauteuil. Au moment de sortir l'instrument de ma cavité buccale, le dentiste, un type dans mon genre question adresse, me flanque sa roulette dans l'œil gauche. Malheureusement, la bête ne tournait plus. Si on remet les choses à l'échelle humaine, j'aurais pu, avec un peu de chance, enrichir ma culture classique en connaissant les mêmes sensations que Polyphème sous l'épieu d'Ulysse.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MERCREDI.
Tourisme littéraire. Housseras est à l'écart de tout axe, même secondaire, un village adossé à la forêt de Rambervillers. Si vous n'y avez pas de famille, si vous n'avez pas entrepris un chantier qui vous conduit à visiter toutes les communes vosgiennes dans l'ordre alphabétique pour en photographier les monuments aux morts, si vous ne vous intéressez pas particulièrement à l'histoire d'Alfred Döblin et de sa descendance, vous n'avez aucune chance d'y passer. J'aurais pu attendre que mon Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental m'y conduise, soit immédiatement après avoir visité Houéville et avant de me rendre à La Houssière mais j'avais hâte, une fois le livre refermé, de mettre des images sur les mots de Marc Petit. Qui écrit : "Housseras est l'un des villages les plus reculés des Vosges, un bout du monde." Pourtant, dans le genre, il y a bien mieux, ou bien pire c'est selon, et je pourrais lui montrer des bouts du monde nettement plus convaincants dans le secteur mais peu importe. La tombe des trois Döblin, est tout au fond du cimetière, à gauche de l'église, un peu à l'écart des autres. Wolfgang y repose entre ses deux parents. Je pensais avoir plus de mal à trouver la ferme où il a mis fin à ses jours mais la description de Marc Petit est assez précise et je l'ai reconnue avant de découvrir la plaque commémorative qu'on y a apposée. C'est qu'il y a ici une "Association Housseras Döblin" qui s'efforce de perpétuer le souvenir. Un colloque Döblin a eu lieu à Epinal en juin 2007 - malheureusement, je ne m'intéressais pas du tout à l'auteur à cette époque - et une cérémonie s'est tenue au cimetière d'Housseras pour y célébrer le cinquantenaire de la mort des parents en présence de Stephan, l'un des frères (vit-il encore ?). En juin dernier, il y a même eu une "soirée cabaret" à Housseras dans le but de "recréer l'atmosphère des années 20 qui a tant inspiré Alfred Döblin". J'ai trouvé ça un peu bizarre, un peu "J'irai chanter sur vos tombes" mais j'ai bien envie de me rapprocher de cette association : l'idée de fréquenter plus assidûment un bout du monde situé à trente kilomètres de mes pénates sied tout à fait à mon tempérament d'aventurier.

JEUDI.
Lecture. Revue des Deux Mondes (juillet-août 2008; 192 p., 11 €).
"J.O. - Chine"
Le dossier est intéressant, avec un reportage dans la province du Sichuan, une histoire du boycottage olympique et surtout un article passionnant de Romain Graziani sur "Corps olympique et corps taoïste" qui montre combien incongrue, du point de vue de l'histoire des idées et des civilisations, était la tenue des Jeux Olympiques dans ce pays. Ce numéro marquait la fin de mon abonnement promotionnel à cette revue, je n'ai pas continué à l'acheter.

SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Vie entoilée. J'apprends avec joie la renaissance du Journal de Thiron-Gardais, de Jean-Claude Bourdais, notulien : http://www.jcbourdais.net/.

IPAD. 15 mai 2005. 125 km. (4997 km).

Le monument est au sommet du village, adossé à une église minuscule.

La commune de Belmont-s-Vair reconnaissante envers ses soldats morts pour la France

1914 – 1918

DUVAL Emile 13-X bre 1914

DUVAL Charles 21-7 bre 1914

PODEVIN Charles 1-9 bre 1914

PODEVIN Henri Cral 5 mai 1917

DAZY Henri 26 avril 1915

DAZY Désiré 27 avril 1918

COLLIN René 12 août 1915

LIEGEROT Edmond 5 avril 1916

SYLVESTRE André 2 juillet 1916

CONRAUD Camille 12-7bre 1916

HUREAU Arthur Cral 28 mai 1918

PASSETEMPS Joseph Sent 5 juin 1918

Une plaque est ajoutée au pied de la stèle :

FENARD Robert

Engagé volontaire

Mort pour la France

Le 6 février 1945

Le monument est signé Bastien à Vittel. On notera la façon curieuse d’écrire les mois en –bre.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Cuxac-d'Aude (Aude), photo de Marc-Gabriel Malfant, juin 2006

Bon dimanche.