Notules dominicales 2009
 
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Notules dominicales de culture domestique n°386 - 1er février 2009

DIMANCHE.
Courriel. Une demande de désabonnement aux notules. Argumentée : "Je les ai lues avec intérêt jusqu'à présent, mais mon enthousiasme faiblit, c'est ainsi." Comme je comprends cela. Le nombre de blogs et de lettres de diffusion dont j'ai été un lecteur avide, assidu, fidèle, automatique, habitué, passif, avant de considérer que j'y perdais mon temps et de m'en aller.

LUNDI.
Radio. Journée spéciale "Solidarité tempête" sur RTL. Le nombre de gens qui téléphonent à la station pour dire qu'ils sont privés de téléphone.

Lecture. L'Interprétation des meurtres (The Interpretation of Murder, Jed Rubenfeld, édition originale publiée en 2006 par Henry Holt and Company, LLC; éditions du Panama, 2007, pour la traduction française, traduit de l'américain par Carine Chichereau; 480 p., 22 €).
New York, 29 août 1909. Sigmund Freud arrive en Amérique pour donner une série de conférences, flanqué de Carl Jung et de Sandor Ferenczi. Stratham Younger, un jeune médecin féru de psychanalyse, est là pour l'accueillir. Au même moment, une jeune femme meurt étranglée dans un palace de la ville. Le lendemain, l'étrangleur récidive mais cette fois l'étranglée survit. Parallèlement à l'enquête policière, Younger entreprend une analyse avec la victime pour essayer de découvrir son agresseur.
Jed Rubenfeld va ainsi mêler dans ce roman le véritable séjour du véritable Freud et de ses véritables confrères à New York et l'aventure fictive d'un de ses disciples fictifs mettant en pratique, à des fins policières, les premières données de la psychanalyse. La partie historique est remarquable : auteur d'une thèse sur Freud, l'auteur a retracé fidèlement le séjour américain du Viennois, les tracasseries rencontrées pour faire admettre ses théories dans un milieu partagé entre la modernité et le puritanisme. Les cadres géographique (la naissance des gratte-ciel, la construction du Washington Bridge), politique (la fin du mandat de maire de McClellan et ses démêlés avec Tammany Hall) et social (les grèves ouvrières, la vie dans les bas-fonds new-yorkais) sont parfaitement rendus. Mieux en tout cas que dans L'Aliéniste de Caleb Carr qui, en 1994, jouait un peu dans le même registre avec l'irruption d'une nouveauté médicale dans le monde policier et le mélange des personnages historiques (Theodore Roosevelt entre autres) et imaginaires. Il n'en est malheureusement pas de même avec l'intrigue policière, beaucoup trop alambiquée pour susciter l'intérêt sur près de cinq cents pages, malgré la présence d'un jeune enquêteur intrépide qui semble sorti d'un roman d'aventures du début du XXe siècle.
Bourde. "Il chargea le policier de déferrer le prévenu à la prison de Tombs." Où il a dû attraper une fièvre de cheval.
Extrait. "L'intrus desserra sa cravate blanche. En silence, il la retira de son col et enroula les extrémités autour de ses mains. Il s'approcha du lit de la jeune fille. Il distinguait la limite où son joli menton le cédait à sa tendre gorge offerte. Glissant la cravate entre la tête du lit et l'oreiller, il la fit descendre, très lentement, jusqu'à ce que les deux bouts sortent de sous l'oreiller. Ce faisant, il écoutait le souffle, doux et régulier, de l'endormie.
Il est intéressant de se demander si le couteau de cuisine, que Mrs. Mildred Acton avait retiré de sa cachette, aurait pu être utile à Nora. La jeune fille, soudain réveillée par un agresseur en pleine nuit, aurait-elle réussi à se servir de son arme ? Et si elle y était parvenue, aurait-elle pu l'utiliser ? Nora Acton avait pour habitude de dormir sur le ventre. Même si elle avait réussi à empoigner le couteau, lui aurait-il permis - ainsi étranglée - de sauver sa vie ?
Tout cela est bien joli, mais reste très théorique, car non seulement le couteau n'était pas là, mais Nora non plus."

MARDI.
TV. France 2 diffuse un téléfilm sur le procès Buffet- Bontems. Je ne m'y attendais pas. Cela fait un petit moment que je travaille à une notule sur Bontems et cette diffusion, avec la page que Vosges Matin consacre à l'aspect local de l'affaire (illustrée de la même photo que celle que j'avais prise en prévision de la chose), me coupe un peu l'herbe sous le pied. Si je ne trouve pas un nouvel éclairage, j'abandonnerai ce projet.

MERCREDI.
Vie musicale. Il n'est jamais trop tard pour se mettre à la page : j'achète mon premier disque de rap, L'Hip-hopée, la grande épopée du rap français, volume 1.

JEUDI.
Vie sociale. Important mouvement pour la défense de l’emploi et le maintien du pouvoir d’achat. Je joue à La bonne paye avec les filles.
Lu sur la pancarte d'un manifestant spinalien : "Je défend l'école publique". Elle semble effectivement en avoir besoin.

SAMEDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). A l'aller, un homme à l'allure de clergyman lit le Traité d'athéologie de Michel Onfray, en poche. Au retour, Je te regarde de Julie Lambilliotte au Temps qu'il fait.

Lecture scolaire. Le Journal d'Anne Frank (Hecht Achterhuis, Contact, 1947; première édition française, Calmann-Lévy, 1950; rééd. Le Livre de poche n° 287, adaptée du néerlandais par Nicolette Oomes et Philippe Noble à partir de la traduction de l'édition critique par Philippe Noble et Isabelle Rosselin-Bobulesco; 352 p., 42 F).

Football. SA Epinal - Jarville JF 1 - 1.

IPAD. 12 novembre 2000. 88 km (2255 km).


Avillers, 89 habitants

Première sortie avec Alice, qui prend le train en marche. Le village est moche, essentiellement composé de maisons en ruines. Un type qui répare sa voiture m'indique qu'il n'y a pas de monument mais que l'église renferme une plaque. Normalement, elle est ouverte... sauf qu'elle ne l'est pas. Chou blanc. Je comptais poursuivre jusqu'à Avrainville mais la nuit tombe vite.

Le 15 novembre, j'ai téléphoné à la Mairie. Une dame m'a dit que c'était une certaine Mme Maillard qui détenait la clé de l'église.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Charavines (Isère), don de Dominique de Ribbentropp, 23 septembre 2005

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°387 - 8 février 2009

DIMANCHE.
Lecture. Bulletin Marcel Proust n° 55 (Société des Amis de Marcel Proust et des Amis de Combray, 2008; 192 p., sur abonnement).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts du Clerjus est enregistré.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

LUNDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). La Consolante d'Anna Gavalda (Le Dilettante).

TV. Je revois avec plaisir ce soir sur Direct 8 Poisson d'avril de Gilles Grangier (1954), un film intéressant à plus d'un titre. Tout d'abord, il doit marquer la première rencontre à l'écran de Bourvil, vedette, et de Louis de Funès, dans un petit rôle de garde-pêche. Le second s'apprête à verbaliser le premier. Dialogue :
"Nom ?
- Emile Dupuy.
- Adresse ?
- Avenue du Général de Gaulle.
- Connais pas.
- Mais si, un grand, militaire, avec un gros nez et un drôle de parler..."
Ensuite, c'est la première apparition de Boby Lapointe (crédité Robert Lapointe) au générique d'un film : Bourvil chante Aragon et Castille. Et enfin, Bourvil interprète un pêcheur calamiteux dans lequel je me suis entièrement reconnu. Ce n'est pas tous les jours qu'il est donné de s'identifier à un personnage interprété par Bourvil.

MARDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules dont j'extrais ce passage qui tend à prouver que les notuliens sont prêts à tout : "Je me suis expatriée à Paris pour mes études mais chaque fois que je rentre, je sors entre Châtel-Nomexy et Epinal le livre le plus improbable possible, comme Grenadou, paysan français, L’Effet personnage dans le roman ou même ma chère grammaire grecque de cinq cents pages, et j’essaie de voir si quelqu’un se tord le cou pour voir le titre, mais cela n’arrive jamais et, de déception, je me replonge dans Elle, parce que ce n’est quand même pas la peine de me fatiguer s’il n’y a personne pour apprécier mon effort…"

Lecture. Swap (The Swap, Antony Moore, 2007; éditions Liana Levi, 2007 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Jean Esch; 352 p., 20 €).
Enfant, Harvey a fait un échange avec un camarade de classe : un objet insignifiant contre une bande dessinée. Pas n'importe quelle bande dessinée : le premier numéro de Superman. Adulte, Harvey a à peu près tout raté et végète à la tête d'une minable boutique de bandes dessinées. Il sait que le Superman dont il s'est débarrassé vaut désormais une fortune. Reste à retrouver le gamin à qui il l'avait cédé.
Deux pistes possibles à partir de ce point de départ. Une exploration du monde des collectionneurs, maniaques prêts à tout pour s'emparer d'un bien, déjà fait et refait, par exemple par Lawrence Block dans Le Blues du libraire, ou alors le parcours d'un raté qui dépasse sa condition au prix d'un parcours héroïque et salvateur. Antony Moore, un nouveau venu dans le polar britannique, ne suivra aucun de ces tracés attendus. S'il nous livre bien le parcours d'un raté, celui-ci ne parviendra jamais à sortir de cet état. Raté il est, raté il restera : un monument de bassesse, de veulerie, de médiocrité, un parangon de couardise et de petitesse. L'intrigue criminelle à laquelle il est mêlé, accusé d'un meurtre qu'il aurait été bien incapable de commettre, signifiera sa fin, et il laissera filer la possibilité de se transformer offerte par une aventure sentimentale inespérée. On a rarement lu portrait de nullard aussi accompli, ce qui est une sorte de performance : on se dit à chaque page que Harvey ne pourra pas descendre plus bas et pourtant il y parvient. Une descente vertigineuse et passionnante avec un regard amer et ironique sur une société capable de produire de tels phénomènes.

MERCREDI.
Courrier charcutier. Je reçois le volume 2 du Boudin sacré, premier volet de la saga Signé Furax de Francis Blanche et Pierre Dac. J'avais déjà les volumes 1 et 3, désormais mon boudin est complet.

JEUDI.
Épinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le Livre du rire et de l'oubli de Milan Kundera (Folio).

SAMEDI.
Vie politique. Florilège : "L'urgence de l'UMP est la reconquête des classes moyennes…." Le Monde du 3 février; "Il nous faut nous adresser en priorité aux classes moyennes…" Xavier Bertrand, même source; "La question qui se pose est de comprendre la demande politique que la montée des inégalités fait naître parmi les classes moyennes et populaires…" Benoît Hamon, Le Monde du 5 février; "Pour aider les personnes qui appartiennent au bas de la classe moyenne, qui travaillent dur et à qui il ne reste rien en fin de mois, M. Sarkozy a fait des propositions" Le Monde du jour, qui parle ailleurs de "classes moyennes redécouvertes". Redécouvertes est le mot, si j'en crois une lecture de la semaine : "Et cependant, peut-être, ne sommes-nous pas loin, avec la hausse des salaires et des objets de première et de seconde nécessité, d'un temps où entre des banquiers crevant d'argent et des ouvriers pleins d'argent de poche, il y aura une classe moyenne, une bourgeoisie crevant de détresse et de misère" (Goncourt, Journal, 15 juillet 1860).

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

IPAD. 26 novembre 2000. 116 km (2371 km).


photo reprise le 9 novembre 2008
91 habitants

Arrivé devant la pancarte, je m'aperçois que les piles de l'appareil photo ne sont plus bonnes. J'en ai une dans le vide-poches mais ça ne suffit pas à remettre l'appareil en état de marche. Je cherche tout de même le monument. Il n' y en a pas, l'église est fermée et n'en contient pas, d'après ce que me dit un type occupé à nettoyer du matériel au jet. Le village est sale et sent la vache. Je suis en colère. J'ai appelé Mme Maillard la veille et elle m'a promis d'ouvrir l'église d'Avillers pour moi. Il faut trouver des piles. Pas de bureau de tabac ouvert à Mirecourt mais une station-service. Quatre piles, vingt-deux francs. Nous repartons vers Avillers, l'église est bien ouverte, je rate la photo qui ne sera pas développée. On y voyait une plaque, au milieu du mur gauche de la nef. Le mur du fond est taché de salpêtre.

La paroisse d'Avillers
A ses fils morts pour la France
1914-1918

MAILLARD Albert
Haraucourt 1914

OLIVIER Paul
Lingekopf 27.7.1915

OLIVIER Emile
Belleville 4.4.1916

CHEVRIER Paul
Slivica (Serbie) 29.10.1916

Requiescat in Pace

Haraucourt est dans les Ardennes.
Il y a un Belleville-sur-Meuse près de Verdun.
Le Lingekopf, col du Linge je suppose, domine Munster.
Slivica se trouve aujourd'hui en Macédoine, non loin de Bitola, ancienne Monastir, qui est ou fut jumelée avec Epinal.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Rubrique curiosités exotiques
Salisbury (Angleterre), photo de Frédéric Abergel, 4 janvier 2002

La rubrique "Curiosités exotiques" de L'Invent'Hair n'est pas encore très fournie mais pourrait bien le devenir. J'apprends en effet par DDL et le site sur lequel il m'envoie que le jeu de mots capillotracté n'est pas une spécialité exclusivement française et qu'on trouve en Angleterre des British Hairways, Locks of Fun et un magnifique Julius Scissor, et en Allemagne des Haareszeiten et tout un tas de Haarmonie. Que les notuliens contributeurs ouvrent l'oeil quand ils passent les frontières.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°388 - 15 février 2009

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Cleurie est enregistré.

Lecture. L'Iliade et l'Odyssée (Homer's The Iliad and the Odyssey. A Biography, Alberto Manguel, 2007; Bayard, coll. La mémoire des oeuvres, 2008 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Christine Le Boeuf; 256 p., 20 €).
C'est la première fois, je crois, qu'un auteur vu à la télévision me donne envie d'acheter son livre. Alberto Manguel était l'invité de l'émission La grande librairie en novembre dernier et son érudition tranquille m'avait semblé irrésistible. C'est bien simple, face à lui, l'autre invité, auteur lui aussi d'un livre dans lequel il était question d'Ulysse, un certain Eric-Emmanuel Schmitt pourtant familier des plateaux et à l'aise pour vendre sa prose, n'avait pas existé. Restait à savoir si le plaisir d'écouter Manguel se retrouverait dans sa lecture. Après un chapitre qui reprend tout ce que l'on sait et surtout tout ce que l'on ne sait pas d'Homère, l'auteur entreprend de retracer le parcours de ses deux poèmes à travers les âges et les continents : leur réception, leur diffusion, leurs lectures, leurs interprétations, leurs imitations, leurs suites. On part de Virgile bien sûr, on voit comment les premiers chrétiens et l'islam ont réussi à faire une place à Homère, on visite Dante, on assiste à la querelle des anciens et des modernes, on passe par Pope, Goethe, Nietzsche, un petit coucou à Joyce et on arrive aux derniers avatars de L'Iliade et de L'Odyssée dus à Cavafy, Kazantzakis, Derek Walcott ou Alessandro Barrico. Sur 250 pages, ça file vite, ça étourdit, c'est Alberto Manguéole qui souffle fort et le lecteur qui s'accroche tel Ulysse à son radeau. Ça va même trop vite et c'est regrettable en ce qui concerne certaines étapes du parcours sur lesquelles on aurait aimé s'attarder, sur la théorie d'Italo Calvino par exemple qui voyait l'Odyssée "comme un ensemble de plusieurs Odyssées emboîtées les unes dans les autres à la manière des sphères chinoises". Sur ce qu'on connaît le moins mal ici, le traitement de l'Odyssée dans l'Ulysse de Joyce, Manguel va aussi très vite, trop vite, la preuve, Buck Mulligan, un des personnages de Joyce devient Black Mulligan sous sa plume qui file... Mais ce qui est vraiment frustrant dans ce livre, c'est qu'on n'y entend pas assez Manguel lui-même. Lorsque, au détour d'une exposition des idées et des vues des autres, il se laisse aller à quelques commentaires personnels, lorsqu'il reprend la barre et laisse apparaître son goût et sa connaissance des textes d'Homère, lorsqu'il paraphrase et explique patiemment quelques vers pour le lecteur besogneux que nous sommes, alors là c'est du nanan et on ressort de sa lecture plus convaincu encore que c'est dans les classiques qu'on trouve les clés non seulement de la littérature mais aussi du monde.

MERCREDI.
Vie vacancière. Nous accueillons pour deux jours une condisciple d'Alice. Les enfants sont friands de ce genre d'échange, je dors chez toi, tu viendras dormir chez moi aux prochaines vacances, quand on grandit ça se perd un peu, enfin ça dépend, parfois les motivations ne sont pas les mêmes et les parents peuvent se montrer un peu plus réticents, plus tard encore ce sont les conjoints qui peuvent trouver à renauder. J'ai toujours un peu d'appréhension quand les filles pratiquent ce nomadisme car je suis très soucieux de mon image. Je m'explique. Quand elles reviennent, j'interroge. Immanquablement. Et leur papa, qu'est-ce qu'il a fait pendant que tu étais chez eux ? A chaque fois, c'est quelque chose du genre il a rangé le garage, il a rentré du bois, il a repeint ceci, il a réparé cela, une fois même j'en ai eu un qui construisait un mur. Forcément, j'imagine ce que nos visiteuses racontent à mon sujet quand elles rentrent chez elles et les comparaisons auxquelles elles ne peuvent manquer de se livrer. C'est que je mène une vie assez végétative en regard de celles dont j'entends parler dans ces situations. J'ai l'emploi du temps d'un enfant de trois ou quatre ans, après manger je fais la sieste, à quatre heures et demie je prends mon goûter, le reste du temps je joue dans mon coin sans emmerder personne, qu'il y ait du monde ou non autour de moi ne change rien à l'affaire. Je tourne des pages, je bricole sur mes chantiers, j'écoute le CD de Jean Corti que j'ai reçu ce matin, je pars à la recherche de mes disques de John Martyn dont j'ai appris la mort au détour d'une page du Monde, je tombe sur un passage de Kafka dans lequel je me reconnais assez ("Extérieurement je n'ai rien de bizarre, j'appartiens à la classe moyenne ordinaire, qui, du moins dans cette contrée, n'est pas rare; rien ne me rend particulièrement méprisable; dans ma jeunesse et encore pour une part dans mon âge mûr, aussi longtemps que je ne me suis pas négligé et que je me suis donné beaucoup de mouvement, j'étais même un assez joli chien", Les Recherches d'un chien), je le recopie, j'emmène Lucie faire un tour en ville histoire de brûler un peu de sucre, je prépare la croûte du soir, je réponds à mon courriel, pendant ce temps les petites ont transformé la salle de bains en échoppe d'esthéticienne, elles s'amusent sans éclats, Caroline aura bien un peu de misère à remettre de l'ordre dans ses flacons mais cela n'est rien et je bénis le Ciel de m'avoir donné ces filles tranquilles plutôt que des garçons impétueux avec lesquels, j'imagine, je serais obligé d'aller jouer au football ou de construire des cabanes dans les bois avec le temps qu'il fait et à l'âge que j'ai.

JEUDI.
Extension du domaine notulaire. Parution d'un numéro des notules sur le site de la revue des ressources. Merci à L.M.

Réduction du domaine cellulaire. Je me défais de mon téléphone de poche. Pour ceux qui possédaient mon numéro, celui-ci est désormais celui de Caroline.

SAMEDI.
Courrier. Arrivée du n° 36 d'Histoires littéraires. Ma chronique parue dans le numéro précédent est désormais en ligne ici.

Vie des libraires. J'ai appris il y a peu l'existence d'une librairie parisienne à l'enseigne diablement perecquienne, "Pensées classées". Je m'étais promis d'aller y faire un tour lors de mon prochain séjour capital, ne serait-ce que pour prendre la devanture en photo mais le notulien PCH m'annonce aujourd'hui que le libraire a l'intention de fermer boutique et d'ouvrir ailleurs. Où, je n'en sais rien, j'espère simplement qu'il gardera la même raison sociale.

IPAD. 18 février 2001. 200 km (2571 km).


photos reprises le 21 décembre 2008
66 habitants

Nous sommes au fin fond du département, aux confins de la Haute-Marne. Heureusement, il y a un monument, entre la Mairie et l'église : stèle de marbre gris, il faut ouvrir une petite porte pour pénétrer sur l'esplanade gravillonnée où elle se dresse. Par terre, deux vertèbres, apportées par un chien. De la musique techno, un peu incongrue, s'échappe d'une maison ou d'une voiture.


PIERSON Lucien
PIERSON Paul
THIERRY Marcel
JAUMAIN Louis
FEQUIN Julien
THOMAS Eugène
MANNEAU Auguste
THIERRY Jules
PIERSON Louis
THIERRY Henri

Aux enfants d'Avranville
Morts pour la France
1914-1918

L'Invent'Hair perd ses poils.


Montbéliard (Doubs), photo de l'auteur, 11 décembre 2005

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°389 - 22 février 2009

DIMANCHE.
TV. Il paraît que Xavier Bertrand, responsable de l'UMP, est l'invité de Michel Drucker dans l'émission Vivement dimanche. Le dimanche, il connaît, Xavier Bertrand. En décembre dernier, alors qu'il était encore ministre du Travail, il s'était signalé par son engagement pour le travail dominical. A l'Assemblée, ça donnait : "Les amendements que défendra le groupe socialiste tendront tout simplement à invoquer la sauvegarde du droit au bonheur des tournois de belote, des tournois de fléchettes, des concours de majorettes ou de la pratique de la musculation. [...] Les amendements que vous défendrez viseront à soumettre les dérogations à l'avis du club d'échecs local, du club de natation ou d'arts martiaux !" Des phrases pleines de considération pour les menues occupations du menu peuple. Xavier Bertrand a des occupations plus élevées, il participe à des émissions de télévision le dimanche, ça doit faire partie de son boulot, il n'est pas le premier responsable politique à le faire. Il doit tout de même être content que les gens ne bossent pas pour pouvoir le regarder.

Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Clézentaine est enregistré.

Lecture. Six pieds sous terre (Going Under, Ray French, 2007, Fleuve Noir, 2008 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Carine Chichereau; 444 p., 20 €).
Lu suite à un article élogieux du Monde diplomatique. Le Monde diplomatique se penche rarement sur le roman policier mais quand il le fait, il a un certain nez : à ma connaissance, c'est dans le Diplo qu'est paru le premier article sur la trilogie Millénium de Stieg Larsson, qui n'était pas encore une trilogie d'ailleurs à l'époque, on connaît la suite. Bien sûr, pour que ce journal s'intéresse à un roman policier, il faut que celui-ci ait des implications politiques ou sociales, c'était le cas de Millénium, c'est le cas de Six pieds sous terre qui n'appartient pas de toute façon au genre policier malgré sa parution au Fleuve Noir. C'est un roman sans arme à feu, sans cadavre, bien qu'un cercueil y occupe la place d'honneur. L'histoire se déroule à Crindau, petite ville du Pays de Galles laminée par la crise industrielle. La dernière usine du coin va être délocalisée. Pour protester, un de ses ouvriers, Aidan, décide de s'enterrer dans son jardin et de ne remonter à la surface que quand les autorités seront revenues sur cette décision. De son cercueil, Aidan communique avec l'extérieur par un conduit qui lui permet de recevoir ce dont il a besoin et d'évacuer ses déchets. Soutenu au départ par sa famille et une poignée de collègues, Aidan va rapidement devenir une personnalité médiatique. A cette idée de départ impeccable, Ray French administre un traitement plutôt décevant, oscillant sans cesse entre le pathos (misères de la condition ouvrière), l'humour (les potes d'Aidan, un rien dépassés par la dimension que va prendre la situation) et la dénonciation politique, ne parvenant que trop rarement à trouver le ton juste dans chacun de ces domaines. Ce mauvais dosage, allié à un manque de rythme évident, conduit à un récit malheureusement décevant. On imagine ce qu'en aurait fait un Westlake et la comparaison ne tourne pas à l'avantage de Ray French. N'empêche, on n'avait pas lu un roman social gallois depuis Qu'elle était verte ma vallée.
Curiosité. En exergue, une citation de Margaret Thatcher : "Un homme de vingt-six ans qui prend encore le bus peut considérer sa vie comme un échec." C'est beau, c'est envoyé, on dirait du Xavier Bertrand.

LUNDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MARDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 30 (avril-mai-juin 2007, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 312 p., 20 €).
Revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIXe et XXe siècles.
On ouvre avec un article sur Nord-Sud, revue lancée en 1917 par Pierre Reverdy avec Max Jacob et Apollinaire, lequel allait y publier quelques poèmes qui firent le miel des surréalistes ("Ta Langue/Le poisson rouge dans le bocal/De ta voix"...) avant d'accueillir Tristan Tzara dès son quatrième numéro. Vittorio Frigerio se penche ensuite sur Han Ryner, un auteur de la mouvance anarchiste qu'on peut toujours lire (Le Père Diogène) grâce aux éditions Premières pierres. On découvre aussi les épigrammes de Georges Fourest, toujours à l'aise dans la rime inattendue ("Et je lirai (trouvant Hegel et Kant arides)/Ces beaux récits d'amour poivrés de cantharides"), la réception d'Anatole France dans les coupures de presse du XXe siècle, ce qui permet de voir que contrairement à ce qui s'est produit pour beaucoup "la gloire de France ne s'est pas éteinte lentement, elle s'est éclipsée d'un coup". La revue publie un entretien avec Francis Lacassin, qui doit être le dernier qu'il a accordé avant sa mort en août 2008. On ne sait si le deuxième tome de ses mémoires verra le jour à titre posthume. Suivent quelques lettres d'Alphonse Allais et on passe aux chroniques habituelles, celle de l'actualité littéraire de qui vous savez, celle des ventes et catalogues qui reproduisent d'intéressantes photographies (Guillaume Apollinaire et son avocat, Huysmans et son chat, Jarry en escrimeur) et des vers d'Eluard qui prouvent qu'il pouvait être aussi mauvais qu'Aragon ("Enfin Moscou ! la ville qui fait les yeux émerveillés !/ Enfin l'U.R.S.S. ! le pays où la liberté/Est dans les liens de la solidarité entre les travailleurs !") puis une copieuse moisson de livres chroniqués.

VENDREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

SAMEDI.
Vie perecquienne. Je m'abonne à la nouvelle liste de diffusion concernant Georges Perec. Pour les amateurs, c'est ici : http://groups.google.com/group/listegeorgesperec

Vie notulienne. Une nouvelle fenêtre d'exposition pour les notules sur le site Au Jour d'Hui : http://lise2cc.wordpress.com/textes/philippe-didion/sartoris/

IPAD. 4 novembre 2001. 31 km. (2602 km).


Photos reprises le 16 novembre 2008
1104 habitants

Devant l'église, un carré couvert de cailloux blancs, entouré d'une grille basse et, sur une moitié seulement, d'une haie de sapins. Un crucifix repose au pied de la stèle, dont les quatre côtés sont couverts d'inscriptions.

Côté 1 :

Aydoilles
A ses enfants morts pour la France
1914-1918

COLLOT Jules 1914
MAIRE Henri 1914
CONRAUX Auguste 1914
COLLOT Damien 1914
BONTEMS Célestin 1914
TOUSSAINT Charles 1914
AUBERT Paul 1914
SCHAL Louis 1915
HERTEMENT Albert 1915
AUBERT Auguste 1915

Côté 2 :

AUBRY Georges
LEONARD Florian
CURIEN Hyppolite
LEONARD Georges OL.
LEROY Paul
THOUVENOT Charles
COLLOT Paul
LE COMTE Georges
LEONARD Georges AR.
COLOMBIER Louis 1916

Côté 3 :

LEGRAS Jean 1916
AUBERT Jules 1916
CLEMENT Georges 1916
PIERRAT Louis 1916
CONRAUX Louis 1916
FAYS Georges 1916
BENOIT Frédéric 1916
CONRAUX Alphonse 1916
SAUFFROY Séraphin 1916

Côté 4 :

BEDEL Arsène 1916
PREVOT Léon 1916
ETIENNE Georges 1917
DUC Charles 1918
POTIER Henri 1918
THENOT Joseph 1918
COANET Marcel 1918
PIERRE Louis
MAIRE Georges
MARCHAL Georges

Devant la stèle, une plaque :

Aux morts pour la France
1939-1945

PIERRAT Aimé
LECOMTE Roger
TOUSSAINT Pierre
COLIN Ernest
PICOCHE Georges
COLLOT Auguste

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Victimes civiles

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MARCHAL Georges
BONTEMS Fernand
THIOT Raymond
COLOMBIER Pierre

Il y a donc eu un Georges Marchal tué dans chacune des deux guerres, l'un en civil, l'autre sous l'uniforme.

Ce n'est pas inscrit sur la pancarte d'entrée du village et le Comité départemental du tourisme des Vosges n'en fera jamais état. C'est à Aydoilles qu'est né Roger Bontems. Célestin Bontems, qui figure au monument aux morts, était peut-être son grand-père. Bontems tout seul, ça ne dit pas grand-chose, mais si on dit Buffet et Bontems, ça va déjà mieux. Bernard Buffet et Roger Bontems, guillotinés le 28 novembre 1972, vers quatre heures trente du matin, dans la cour de la prison de la Santé. Ça, tout le monde le sait, l'affaire avait fait assez de bruit, la prise d'otages à la centrale de Clairvaux, corollaire d'une tentative d'évasion foireuse, l'assaut de la police, l'exécution au couteau d'une infirmière et d'un gardien. Sans parler du procès aux Assises de l'Aube, reconstitué dans un récent téléfilm avec le combat de Robert Badinter pour sauver la tête de Bontems, Bontems qui, à la différence de son complice, n'avait pas de sang sur les mains, ce furent les conclusions de l'instruction et du procès. Tant pis, condamné pour complicité, même sentence. L'Histoire a retenu que ce fut le point de départ de la croisade de Badinter contre la peine de mort, croisade qu'il finit par mener à bien lorsqu'il devint ministre de la Justice, c'était un temps où les gardes des Sceaux se préoccupaient davantage de la justice que de la couleur de leurs escarpins. Un parcours qui m'est cher, celui de Badinter. Je ne crois pas beaucoup aux effets de mon enseignement mais je fais en sorte que les élèves qui passent sous mon magistère ne quittent pas le collège sans avoir lu Claude Gueux ou avoir vu Le Pull-over rouge. De même, je ne sais fichtrement pas ce que je fabriquais le 11 septembre 2001 mais je sais exactement où je me trouvais et ce que j'ai ressenti le 28 juillet 1976 quand j'ai entendu à la radio que Christian Ranucci venait d'être exécuté après que le président Valéry Giscard d'Estaing eut refusé sa grâce. Pour Bontems, c'était Pompidou sur lequel Badinter comptait parce que c'était un humaniste, un lettré. Pompidou fit un geste, mais plus tard. Il accepta que, contrairement à la tradition qui voulait que les condamnés à mort fussent ensevelis dans le carré des suppliciés du cimetière de Thiais, le corps de Bontems fût rendu à sa famille et à son village. Quand je suis revenu à Aydoilles pour refaire les photos ratées, mon père m'a montré sa tombe. Et la plaque

"Décédé tragiquement". Le mot, l'adverbe. Que pouvait-il y avoir d'autre que tragiquement ? Subitement, ça faisait crise cardiaque. Brutalement, ça faisait accident de voiture. Décédé tout court, ça ôtait toute valeur de témoignage. Non, c'est tragiquement qu'il fallait. Je donnerais cher pour savoir qui l'a trouvé. La famille ? Le curé ? Le marbrier ? Le poids des mots. J'ai voulu en savoir plus sur Bontems, pas le Bontems condamné à vingt ans de réclusion pour vol qualifié et agression d'un chauffeur de taxi et qui tombe sous la coupe de Buffet à Clairvaux, non, le Bontems d'Aydoilles, le Bontems d'avant. Mon père a ses racines à Fontenay, Fontenay, Aydoilles, ça se touche. Mon père a un copain à Aydoilles, appelons-le Roland. Roland est allé à l'école avec Bontems. La semaine dernière, je suis allé chez Roland avec mon père. Ce n'est pas la première fois que j'y allais, Roland cultive des légumes et surtout des fleurs, il a des serres, je lui ai déjà acheté des plants. N'importe, une visite chez Roland, ça ne s'oublie pas. Une fois par exemple, déjà avec mon père. Une chaleur à crever, Roland nous entraîne dans une de ses serres, on manque de défaillir. Il nous montre le sommet de l'édifice dans lequel il a découpé trois côtés d'un carré. "Regarde, j'ouvre, ça fait un peu d'air, s'il pleut, je rabats le truc, je le coince, ça ferme." Fier comme Artaban, notre Roland, et on le comprend, il venait d'inventer la fenêtre. Mais sur Bontems, ce lundi, Roland n'a pas grand-chose à dire. "Une voix rauque, il suait beaucoup", et c'est à peu près tout, pas d'atomes crochus, même s'il dit avoir lui aussi demandé sa grâce à Pompidou, on verra pourquoi. Il nous dit où est la ferme familiale, rue du Moulin, je sais où c'est. Se souvient qu'au moment où Bontems est revenu d'Algérie, les voitures commençaient à s'accumuler près d'un bois du côté de Fontenay, des voitures volées semble-t-il. Sa mère était gentille, son père pas commode, il boitait. Ils sont morts tous les deux, le père en premier, la mère récemment. Ses soeurs sont encore vivantes, l'une d'elles habite un département voisin, revient de temps en temps au village. Des soeurs qui, interrogées par une journaliste de La Liberté de l'Est en 2001 à l'occasion du vingtième anniversaire de l'abolition de la peine de mort, déclaraient : "Pour notre frère, c'est fini depuis longtemps. Nous, nous avons dû subir toute notre vie... Il a fallu vivre avec ça toute notre vie." Ici, s'arrêter un instant et imaginer ce qu'il y a à mettre derrière les deux lettres du mot "ça". A Aydoilles, département des Vosges. Roland se rappelle aussi le retour du corps, "il y avait des policiers", c'étaient peut-être des gendarmes, mais rien sur la plaque qui m'intrigue tant. Pourtant, Roland a tout noté à l'époque, il écrit tout dans des cahiers, c'est au grenier mais pour ce qui est de mettre la main dessus, c'est une autre histoire, on verra aussi pourquoi. Il sort tout de même trois classeurs qu'il se met à éplucher et à commenter.

C'est à partir de là qu'on dévie, qu'on s'éloigne de Bontemps et que Roland parle de lui. Pas facile à suivre Roland, c'est le roi de la digression, le pape du coq-à-l'âne. Je connais déjà un peu son parcours mais là il va entrer dans les détails. Comme mon père et ceux de sa génération, Roland a été appelé en Algérie. Pas n'importe où en Algérie. Sa formation d'horticulteur et son statut d'aviateur lui ont permis de devenir le jardinier du général Jouhaud. Jouhaud, ça aussi ça dit quelque chose, chef d'état-major de l'armée de l'Air, un des quatre organisateurs du putsch d'Alger, chef de l'OAS, condamné à mort et gracié, lui, par de Gaulle... Autant dire qu'il a vu défiler du monde, Roland, dans les jardins de la villa d'Alger, ce qui lui permettra, une fois libéré de ses obligations militaires, d'aller s'occuper d'autres jardins prestigieux, ceux de l'Elysée. Lors des réceptions, à l'Elysée, tout le monde est réquisitionné, les jardiniers deviennent serveurs, s'occupent de la table, du vestiaire. "Je vidais les cendriers de Pompidou. Il fumait comme un pompier. J'ai gardé un mégot, j'ai aussi un cigare de Willy Brandt, j'ai demandé à mon chef si je pouvais les prendre." Les classeurs retracent son itinéraire dans le plus grand désordre. La photo d'un coq apprivoisé dans les jardins d'Alger, le livret de famille de ses grands-parents, ses certificats de travail, le palmarès de l'école d'horticulture de Roville-aux-Chênes (deuxième sur cinquante-cinq : Roland), son arbre généalogique, des déclarations d'impôts, des menus de l'Elysée, une photo du grand salon ("J'aurais pu avoir la moquette, ils la changeaient"), des coupures de journaux, des lettres de prison du général Jouhaud avec qui il a correspondu jusqu'à sa mort, des publicités pour Carrefour, des nécrologies tirées de La Liberté de l'Est, son livret militaire, du tout, du rien. Roland garde tout, ne jette rien, c'est le Jean-Christophe Averty d'Aydoilles. Vous vous croyez une âme d'archiviste, vous vous voyez conservateur dans l'âme, vous allez faire un tour chez Roland et vous vous apercevez que vous n'êtes qu'un rigolo. Surtout s'il vous montre son grenier. Là, on touche au grandiose. Non seulement Roland garde tout, mais il continue à acheter, à récupérer : des fringues qu'il ne met pas, des chaussures par dizaines, des valises de cravates, des cartons de journaux, de paperasse, des bricoles pour agrémenter ses compositions florales, un gigantesque gisement dans lequel il est le seul à pouvoir se mouvoir et s'orienter.




Rien n'est étiqueté, rien n'est marqué mais lorsque Roland décide de nous montrer les chaussures qu'il portait au bal à Deyvillers en 1955, il trouve tout de suite la bonne boîte. A l'intérieur, les chaussures sont cirées. Dans sa chambre, j'avise une pile d'attachés-cases, lui demande ce qu'ils contiennent.

"Des rubans." Un jour, des gens des impôts sont venus jeter un oeil sur sa comptabilité. Il les a conduits au grenier, c'est là que c'est rangé. Ils sont repartis légèrement étourdis. Mais l'heure tourne. Roland, une faiblesse, n'arrive pas à remettre la main sur le bicorne qu'il portait à l'Elysée. Nous nous contenterons de son calot d'aviateur. Au moment de prendre congé, il enfile, pour nous raccompagner, un anorak rouge vif, genre moniteur de ski. "T'as vu ? Deux euros. J'en ai acheté dix." On a tout oublié de Bontems.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Bart (Doubs), photo de l'auteur, 11 décembre 2005

Bon dimanche.