Notules dominicales 2005
 
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Notules dominicales de villégiature exotique n°219 - 7 août 2005

SAMEDI 1.
Vie automobile. L'euphorie caractéristique des départs en vacances ne va guère au-delà des limites du département. L'auto se met tout à coup à toussoter, crachoter et adopte une vitesse d'escargot. Dans ce cas-là, je ne connais qu'un seul remède, s'arrêter un moment et redémarrer un peu plus tard en essayant de se persuader que ce n'était qu'un mauvais rêve. D'autres soulèveraient le capot et examineraient les entrailles de la bête avec, selon le degré de leurs compétences en mécanique, un air entendu ou circonspect mais je ne sais même pas où se situe la commande d'ouverture. Le remède adopté est bien sûr inefficace mais nous parvenons à gagner la première sortie d'autoroute en roulant à cinquante à l'heure sur la bande d'arrêt d'urgence. Nous atteignons Chaumont à quarante, traversons la ville à trente jusqu'à la concession Renault, déjà soulagés d'avoir évité le dépannage. L'homme de l'art a tôt fait de diagnostiquer l'avarie, remet la durite fautive dans le logement qu'elle avait lâchement abandonné et ça repart. Inutile de dire que le soulagement est de taille. Je nous voyais déjà en week-end à Chaumont avec visite de Colombey-les-Deux-Églises en guise d'illumination touristique. Mais la confiance est rompue. Reprendre le volant d'un véhicule qui vient de vous faire un coup pareil, c'est comme reprendre une vie commune avec quelqu'un qui vous a été infidèle, du moins j'imagine ou j'espère que j'imagine. On a beau faire semblant, il restera toujours, lourde, massive et délétère, l'ombre de la durite et de l'adultère. Nous arriverons juste un peu plus tard que prévu à Mézières-sur-Issoire (Haute-Vienne) où le propriétaire du gîte tient un magasin de fournitures agricoles, le genre de type qui triture des John Deere à longueur de journée et qui semble plus intéressé par son chèque de caution que par nos ennuis de locomotion. Il nous conduit à la maison qui servira de cadre à nos ébats estivaux, une ancienne ferme entourée de champs et de parcs à moutons. Pas un toit à l'horizon. L'étang n'est pas merveilleux mais il est lui aussi isolé et, le plus important, désert (je ne pratique la pêche que sans témoin : j'ai suffisamment l'occasion de me rendre ridicule par ailleurs) et j'y récolte mon premier bredouille. Nous dirons donc que c'est un coin où ça ne mord que le matin.

DIMANCHE 1.
Vie touristique. Trois carpes au coup du matin mais elles se sont fait attendre. J'ai bien cru que c'était un coin où ça ne mordait qu'en semaine. Nous partons pour un ravitaillement sommaire à Bellac, proche sous-préfecture. Le nom est joli, prometteur, sent bon le sud-ouest, le soleil, le rugby, la truffe et le confit d'oie mais perd de sa superbe quand on apprend que les habitants du lieu s'appellent les Bellachons. Bien entendu, je porte d'abord mon attention sur les enseignes des salons de coiffure. Le premier que je déniche indique "Men Only. Barber." Plus loin, l'agence immobilière s'appelle "The Blue Door". Une maison à vendre porte l'écriteau "For sale". Le doute n'est plus permis : nous sommes ici dans une contrée où l'Anglois cherche à étendre son empire. Ma confiance en l'autochtone, déjà naturellement peu élevée en dépit ici d'une certaine proximité administrative et minéralogique (les 88 visitent les 87), est réduite à néant.

LUNDI 1.
Vie coloniale. Ravitaillement plus conséquent à Saint-Junien dans un magasin Carrefour pas encore rebaptisé Crossroads. Parce que ça se confirme : le quotidien local n'est pas Le Populaire du Centre mais The Daily Mail. Tout cela ne serait pas vraiment grave si ces maudits Anglais n'avaient pas apporté leur climat avec eux. Conséquence de l'environnement ovin : Caroline se met au tricot.

MARDI 1.
Lecture. Roman noir (Fat Ollie's Book, Ed McBain, Hui Corp., 2002, Presses de la Cité, coll. Sang d'encre, 2003 pour la traduction française; traduit de l'américain par Jacques Martinache; 312 p., 18, 90 €).
C'est l'annonce du décès d'Ed McBain, il y a quelques semaines, qui m'a donné envie de revenir le visiter. Je n'ai plus en mémoire le nombre d'épisodes que compte la série du 87° District, entre cinquante et soixante certainement. Celui-ci est le premier qui n'ait pas été recueilli dans les volumes de la collection Omnibus. Un autre est paru depuis (Le frumieux bandagrippe), il en reste un à traduire et ce sera tout. Ed McBain inventa, dit-on, le polar à héros collectif, un concept qui a bien servi ensuite aux auteurs de série télévisée. De la bande des inspecteurs du 87° District d'Isola, ville imaginaire calquée sur New York, se détache toutefois la figure de Steve Carella. Là où les auteurs de polars modernes mettent en scène des héros affligés, pour les rendre plus humains certainement, de tares sociales ou physiques plus ou moins lourdes (âge, situation familiale difficile, diabète, alcoolisme, oeil de bois ou jambe de verre), Ed McBain est resté fidèle à un personnage presque trop parfait, bon, compréhensif, humain, heureux en ménage et sur lequel le temps n'a pas de prise (il devrait être au moins septuagénaire s'il avait vieilli au même rythme que son auteur). Comme il dispose d'un héros collectif, Ed McBain n'hésite pas à multiplier les intrigues. Ici, comme dans la plupart des romans du 87°, l'intrigue principale (l'assassinat d'un homme politique) est accompagnée d'affaires secondaires menées en parallèle. Tout est une question de timing pour arriver à dénouer les écheveaux de façon cohérente dans les dernières pages. Avec son expérience, Ed McBain n'a rien à craindre de ce côté-là. Il s'amuse même ici à livrer les chapitres d'un roman écrit par un collègue de Carella, le gros Ollie du titre original, histoire de montrer à quoi peut ressembler un mauvais roman policier. La série du 87° est devenue à ce stade une affaire de virtuose, un exercice acrobatique parfait qui, c'est souvent la loi du genre, manque tout de même un peu d'âme.
Extrait. "Veronica D'Alessandro ressemblait à cette actrice qui jouait dans tous les films des Marx Brothers, Geraldine Dumont ou quelque chose comme ça." Il s'agit en fait de Margaret Dumont. Ed McBain, scénariste entre autres de Graine de violence (Richard Brooks) et des Oiseaux d'Hitchcock, s'amuse à tester les cinéphiles.

MERCREDI 1.
Vie touristique. Excursions dans les monts de Blond, fierté locale, qui culminent à 500 et quelques mètres. De quoi impressionner les touristes venus des Landes.

JEUDI 1.
Vie touristique. Baignade au lac de Saint-Pardoux, fréquenté mais pas couru. Caroline devient la meilleure cliente du magasin Phildar de Bellac.

VENDREDI 1.
Météo. Un orage impressionnant nous prive de quelques tuiles et de beaucoup d'électricité.

SAMEDI 2.
Vie halieutique. Le héron cendré, qui attendait mon arrivée au bord de l'étang pour s'envoler, semble avoir déserté les lieux. Il a compris que face à un prédateur de mon acabit il n'avait aucune chance d'assurer sa subsistance par ici.

DIMANCHE 2.
Vie halieutique. Meilleure journée de pêche de la semaine. A la maison, cernée par les chats, plus personne ne veut m'approcher. Je pue comme un vieux morutier.

LUNDI 2.
Obituaire. Après une vie entière passée à prôner la rigueur, Wim Duisenberg, ancien président batave de la Banque Centrale Européenne, meurt dans la piscine de sa villa du Vaucluse. La presse ne dit pas combien de danseuses sans linge évoluaient autour de la piscine en question à l'heure du drame.

Lecture. Paris "fin-de-siècle" (Marie-Claire Bancquart, Éditions de la Différence, coll. Les Essais, 2002; 416 p., 28,50 €).
Je pensais trouver dans cet essai quelque chose de plus géographique, un genre d'atlas présentant quelques aspects de l'histoire littéraire du Paris fin-de-siècle, quelque chose qui aurait pu, pourquoi pas, guider mes pas au cours de quelques promenades parisiennes. Malheureusement, ce n'est pas le propos de Marie-Claire Bancquart qui, en guise de promenade, ne propose qu'une traversée des oeuvres de l'époque dite "fin-de-siècle" - en gros entre la Commune et la construction du métro. Elle épluche avec une méticulosité parfois lassante car proche de la paraphrase les oeuvres de Vallès, Maupassant, Zola, Huysmans, en oubliant souvent Paris en chemin pour dresser un portrait de la mentalité fin-de-siècle. On est donc plus près de l'histoire des mentalités que de la géographie espérée. La déception est atténuée par le soin que prend l'auteur à sortir de l'oubli des auteurs peu lus comme Jean Lorrain, Édouard Dujardin, Remy de Gourmont et d'autres carrément inconnus comme Elémir Bourges. On trouve aussi quelques propos intéressants sur les rapports entre Maupassant et le suicide, et une tentative de réhabilitation du baron Haussmann qu'on a l'habitude de voir plutôt malmené. L'index des noms cités manque cruellement.

MARDI 2.
Vie touristique. Baignade au lac de Saint-Pardoux.

MERCREDI 2.
Vie répétitive. Baignade au lac de Saint-Pardoux.

Lecture. La Cité des Jarres (Arnaldur Indridason, 2000; Éditions Métailié, coll. Bibliothèque nordique, 2005 pour la traduction française; traduit de l'islandais par Eric Boury; 288 p., 18 €).
Un vieil homme, coupable de plusieurs viols dans les années 1960, est assassiné dans un faubourg de Reykjavik. La police recherche ses anciennes victimes.
Un nouvel auteur, un nouveau pays et un nouveau personnage font irruption dans le monde du polar et pourraient bien s'y incruster. Indridason est en effet l'auteur de cinq autres romans noirs qui, au vu de l'accueil que celui-ci a reçu, pourraient bien être prochainement traduits. On ne sait cependant s'ils mettent en scène le même inspecteur, prénommé Erlendur, qui officie ici. Erlendur, c'est sans doute dû à la proximité géographique, est le cousin de Kurt Wallander. Mieux, c'est presque son frère jumeau : ils ont le même âge, le même caractère d'ours, ont vécu le même divorce, partagent la même santé précaire, les mêmes enfants à problèmes, la même hygiène de vie déplorable. Ils ont aussi en commun une ténacité à toute épreuve, une volonté de venir à bout des problèmes qui leur sont posés qui n'est pas due à une conscience professionnelle hors du commun mais plutôt à une propension à faire de chaque cas soumis une affaire personnelle. Chaque coup porté à une victime ( l'empathie joue un grand rôle dans leur comportement) est un coup contre la société de leur pays et donc un coup porté à eux-mêmes. Comme Wallander, Erlendur a aussi le chic pour mettre à jour, à partir d'un fait-divers d'apparence anodine, des affaires qui concernent et menacent le pays tout entier (et dont on trouve, hasard, une réplique française ces jours-ci avec la découverte des fœtus de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul). Comme Henning Mankell, Indridason n'est pas parrainé par l'office du tourisme de son pays. Il faudrait avoir une bonne dose d'inconscience pour avoir l'envie de mettre un orteil en Islande après la lecture de cette histoire, et pas seulement pour des raisons climatiques... Enfin, les deux auteurs ont en commun le goût des intrigues bien balancées, des enquêtes qui changent brusquement de direction à la lumière d'un fait nouveau et inattendu. A suivre, on espère.

JEUDI 2.
Vie ménagère. Caroline part à Limoges, histoire de remplacer la vaisselle cassée pendant le séjour.

Vie sociale. Nous allons présenter nos civilités aux H2S, Bellachons historiques qui nous dressent la liste de tout ce que nous aurions dû visiter.

VENDREDI 2.
Adieux. C'est la journée des dernières, dernière séance de pêche (bredouille comme au premier jour), derniers pas dans Bellac où la marchande Phildar nous salue avec des sanglots dans la voix, dernière excursion (Arnac-la-Poste, par intérêt toponymique), dernière baignade à Saint-Pardoux, dernière photo de publicité peinte et liste des choses à se rappeler : les compagnons de l'aube à l'étang - le héron déjà mentionné, une famille de faisans de Colchide, les huppes fasciées, les martins-pêcheurs, un chevreuil, à deux reprises), les coups de frein pour laisser traverser les hérissons, le cul blanc des lapins dans la lumière des phares, les premiers pas au volant d'Alice et Lucie, les moutons en plâtre sur les trottoirs de Mézières-sur-Issoire, les moutons, les vrais, qui s'échappaient régulièrement de leur parc et venaient bêler sous nos fenêtres, le tic-tac des aiguilles à tricoter, le travail de Bobby, chien de berger, les cris et les cavalcades des filles en liberté totale.



SAMEDI 3.
Retour. Le voyage est longuet mais sans péripéties, les filles et les durites se tiennent à peu près tranquilles. A peine l'auto déchargée, je fonce à la Colombière pour l'ouverture du Championnat de France Amateur, groupe A : S.A. Spinalien 0 - A.S. Nancy Lorraine B 3. M'est avis que la saison va être longue.

Courrier. Les cartes postales reçues nous présentent les charmes de la Corniche Vendéenne, de la Haute-Corse, du massif des Écrins, du Portugal, et de Castelnaud-la Chapelle (Dordogne). Il y a aussi quelques DVD envoyés par Le Monde et une belle liasse de chroniques de Foglia parues dans La Presse de Montréal.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°220 - 14 août 2005

DIMANCHE.
Retour. Si on oublie de tourner à gauche sur la route de Tendon, on passe le col de Bonnefontaine et là commencent les Vosges connues, locations de skis, théories de camping cars, champs de camping à Bataves, sentiers pour randonneurs à alpenstock, fermes-auberges "authentiques", tarte aux myrtilles, lard à tous les étages et munster en pure craie véritable, Gérardmer, la Perle des Vosges, des Vosges que je n'aime pas. Celles que j'aime elles sont là, juste avant, entre Xamontarupt et le plateau de Champdray, avec Saint-Jean-du-Marché au milieu. On y trouve autant de nuances de vert qu'il y a de jaunes chez Van Gogh, on n'y est pas au calme (la campagne est le royaume des tronçonneuses, tondeuses, débroussailleuses et taille-haies) mais on y est bien. Surtout après deux semaines dans les prairies pelées de la Haute-Vienne, on est content de revoir des vaches avec des taches et de l'herbe verte. Pour un peu, si ce n'était pas si proche, on y passerait volontiers ses vacances.

LUNDI.
Courrier. Des nouvelles des G, de l'Aveyron et une carte postale de R redevenu breton.

Presse. "VOL : deux modèles rares de locomotives ayant été utilisées pour la construction d'un goulag en Sibérie ont été subtilisés. Ces deux machines pesant 40 tonnes chacune étaient exposées au musée de Permafrost d'Igarka, ville du Grand Nord russe." (Le Monde). Ces types-là vous soulèveraient un sous-marin avec le petit doigt.

TV. Une souris verte (Three Blind Mice, Mathias Ledoux, G.-B., 2002 avec Edward Furlong, Emilia Fox, Elsa Zylberstein; diffusé sur Canal + en juin 2005).
Un informaticien assiste en direct à un meurtre sur internet et se met au service de l'enquêtrice chargée de l'affaire.
Webcams, firewalls, chevaux de Troie, hacking, ce film utilise tous les ingrédients d'internet et déroute le spectateur pour qui l'informatique reste une chose partiellement ou totalement mystérieuse. Autant dire que l'affaire m'a semblé bien obscure. Rien à retirer sur le plan cinématographique, il ne suffit pas de surfer, si l'on peut dire, sur l'air du temps pour faire un film digne de ce nom. Il y a tout de même la surprise de revoir, très furtivement, Christophe Bourseiller, ancien adolescent dodu à lunettes et duffle-coat chez Yves Robert dans les années 70, et devenu depuis un spécialiste reconnu de l'histoire de Mai-68 et de Guy Debord.

MARDI.
TV. La Maison de campagne (Jean Girault, France, 1969 avec Danielle Darrieux, Jean Richard, Maria Pacôme, Xavier Gélin; diffusé sur RTL 9 en ?).
Madame souffre de voir ses relations passer leurs fins de semaine dans des résidences secondaires. Monsieur accède à ses désirs et cherche à faire l'acquisition d'une maison de campagne.
Monsieur est un bourgeois prospère dont les finances et l'équanimité vont être rudement mises à l'épreuve par les désirs de grandeur de Madame. On peut supposer qu'à l'origine, avec la présence de Jean Girault à la mise en scène et de Jacques Vilfrid au scénario, le rôle était destiné à Louis de Funès. Jean Richard, qui en a hérité, est mieux qu'une doublure. Bien meilleur que dans les comédies rurales qui constituaient jusqu'alors sa spécialité, il joue parfaitement le mari excédé et dépassé par les événements. Avec le recul, le film constitue une satire amusante du désir de paraître d'une certaine classe sociale dans les années Pompidou.

MERCREDI.
Lecture. Mémoires d'une jeune fille dérangée (Bianca Lamblin, Balland, coll. document, 1993; 208 p., 98 F).
Bianca Lamblin aime les mises au point. Il y a cinq ans, comme le numéro 7 des Cahiers Georges Perec tardait à paraître, elle avait publié à compte d'auteur sa contribution, une Lecture critique de la biographie de Perec (son cousin) par David Bellos, désireuse d'épingler les approximations, erreurs et à-peu-près commis, à son gré, par le biographe. Une mise au point assez sévère, malgré les précautions d'usage. Il faut dire, j'ai pu m'en rendre compte à plusieurs reprises au cours du séminaire Perec, que Bianca Lamblin n'a pas pour habitude de mâcher ses mots. Ici, c'est la parution, en 1990, des Lettres à Sartre et du Journal de guerre de Simone de Beauvoir qui suscite son ire et la fait bondir sur sa plume.
Rappel des faits : en 1937, au lycée Molière, Bianca Bienenfeld, seize ans, est subjuguée par son professeur de philosophie, une jeune femme d'à peine trente ans, Simone de Beauvoir. Elle admire son intelligence, sa beauté, lui écrit, obtient un rendez-vous, devient son amie puis son amante. Beauvoir lui fait rencontrer Jean-Paul Sartre et c'est le début, en 1939, d'une relation triangulaire intellectuelle et charnelle de courte durée : la guerre venue, Sartre lui écrit une lettre de rupture et Beauvoir lui préfère la fréquentation de Jacques-Laurent Bost (les lettres du Castor au petit Bost ont été publiées depuis mais Bianca n'a pas réagi). Bianca se retrouve dans une immense détresse, juste au moment où elle découvre que sa judéité est une menace de mort. Elle épouse Bernard Lamblin, se réfugie avec sa famille dans le Vercors, échappe à la déportation, revoit le Castor avec qui elle reste amie jusqu'à la mort de celle-ci.
Mais en 1990 paraissent donc les fameuses Lettres et le Journal qui jettent un jour nouveau sur cette liaison. Les échanges entre Beauvoir et Sartre laissent clairement apparaître que la première a servi de rabatteuse au second et que Bianca n'a été qu'un jouet dans leurs mains, que c'est le Castor qui a poussé Sartre à rompre après lui avoir fait un portrait détestable de Bianca. Plus que tout, Bianca Lamblin s'emporte contre le fait d'avoir été abandonnée en pleine Occupation nazie, au moment où elle avait le plus besoin de soutiens et de relais pour échapper aux rafles. Elle démolit avec vigueur l'image du couple vedette, souligne les contradictions flagrantes entre leurs idéaux philosophiques et leur comportement au quotidien sans pour autant nier qu'elle a été avant tout la victime de sa propre jeunesse et de sa propre crédulité.
Au-delà de l'aspect polémique qui, aujourd'hui que l'on sait que Simone de Beauvoir n'était pas vraiment un personnage sans taches, a un peu perdu de sa nouveauté, le livre de Bianca Lamblin vaut surtout par ses passages purement autobiographiques, l'évocation de sa famille, la période de guerre, le récit des combats du Vercors, passages dans lesquels apparaît de temps à autre la figure du petit Georges, dans des circonstances sur lesquelles elle aura l'occasion de revenir à propos de sa lecture de David Bellos.
Extrait. "Pour finir ces évocations, je veux encore raconter comment, un jour, vers la fin de sa vie, Simone de Beauvoir me posa l'ultime question : "Que penses-tu, en fin de compte, de notre amitié, de toute notre histoire ?" Après avoir réfléchi un moment, je lui ai répondu : "Il est vrai que vous m'avez fait beaucoup de mal, que j'ai beaucoup souffert pour vous, que mon équilibre mental a failli être détruit, que ma vie entière en a été empoisonnée, mais qu'il est non moins vrai que sans vous je ne serais pas devenue ce que je suis. Vous m'avez donné d'abord la philosophie, et aussi une plus large ouverture sur le monde, ouverture que je n'aurais sans doute pas eue de moi-même. Dès lors, le bien et le mal s'équilibrent."
J'avais parlé spontanément, avec sincérité. Simone de Beauvoir me serra les mains avec effusion, des larmes plein les yeux. Un grand poids de remords était enfin tombé de ses épaules.
Pourtant, lorsque quatre ans après sa mort, j'ai lu les Lettres à Sartre et le Journal de guerre, lorsque, après avoir décidé de rédiger ma version des faits, je réfléchis à mes propos d'alors, je me rendis compte que ma réponse était encore enveloppée dans cette brume dont mon esprit était toujours nimbé et ne pouvait donc contenir qu'une vérité tronquée. Sans doute aussi la mort de Simone de Beauvoir m'avait-elle libérée. Par-delà la mort, elle m'avait envoyé cet ultime message : j'avais reçu en plein visage la figure de sa vérité et de la vérité de nos rapports anciens. Mes yeux étaient enfin dessillés. Sartre et Simone de Beauvoir ne m'ont fait, finalement, que du mal."

TV. Nos amis les flics (Bob Swaim, France, 2004 avec Frédéric Diefenthal, Armelle Deutsch, Lorànt Deutsch, Atmen Kelif; diffusé ce mois sur Canal +).
Une bande de jeunes cambrioleurs calamiteux entreprend le casse d'une galerie d'art moderne.
Un hold-up entrepris par une équipe de bricoleurs qui tourne en eau de boudin, les catastrophes qui s'enchaînent suivant l'effet boule de neige, les ingrédients font immanquablement penser aux équipées de Dortmunder et ses acolytes dans les romans de Donald Westlake. Mais là où les histoires de Westlake reposent sur une construction rigoureuse qui rend l'humour encore plus efficace, ce film ne propose qu'un joyeux foutoir dans lequel on trouve pas mal de déchet. N'importe : Bob Swaim est un bon faiseur et sait mettre en valeur ses comédiens, représentants sympathiques et souvent drôles d'une génération évoluant ici sous le patronage bienveillant de Daniel Auteuil.

JEUDI.
Courrier. Une carte postale de Dordogne et un polar en provenance de l'Aveyron. Je reprends mes envois de coupures à Y.

TV. Le Roi (Marc-Gilbert Sauvajon, France, 1949 avec Maurice Chevalier, Annie Ducaux, Sophie Desmarets, Alfred Adam, Robert Murzeau; diffusé sur France 3 en juin 1999).
Jean IV ("Oubliez le numéro, ce sera plus intime"), roi de Cerdagne, rend visite à la France, un pays dont il apprécie particulièrement la population féminine.
Cette version n'ajoute rien à celle de 1936 réalisée par Pierre Colombier et chroniquée dans le N° 99 des notules. Au contraire : la satire politique est un peu moins appuyée et Maurice Chevalier, s'il est bien secondé par de bons numéros d'Alfred Adam et de Robert Vattier, est franchement mauvais. Il faudra attendre l'année suivante pour le retrouver en forme dans Ma pomme, du même Sauvajon.

VENDREDI.
Courrier. Toujours des cartes postales : C&F à Saint-Malo, N&I à Langres, mes parents en Normandie.

TV. Pour le plaisir (Dominique Deruddere, France-Belgique-Grande-Bretagne, 2003 avec Samuel Le Bihan, Nadia Farès, Olivier Gourmet, Lorànt Deutsch, Catherine Salviat; diffusé ce mois sur Canal +).
Pour reconquérir sa femme qui fantasme sur les assassins, un garagiste s'accuse d'un crime qu'il n'a pas commis.
Ce petit film (les scènes de foule rassemblent une quarantaine de personnes) présente une intrigue policière suivant un schéma qui a tant servi qu'il ne surprend plus : un innocent est accusé, libéré, le vrai coupable est arrêté et, dans les cinq dernières minutes, retournement de situation, l'innocent était le vrai coupable. Personne ne semble d'ailleurs trouver beaucoup d'intérêt à la chose, le spectateur non plus. Heureusement, il y a çà et là quelques échappées vers l'absurde qui constitue peut-être la touche belge de l'ensemble. Ainsi, alors que le garagiste est emprisonné, ses amis décident de composer une chanson en son honneur. Échange : "Honneur à notre héros...
- Non, ça ne va pas, il y a trop de H.
- Et alors, quand Herbert Léonard chante Pour le plaisir, il y a beaucoup de P." Bon, on s'amuse comme on peut. A noter tout de même la présence comme acteur du chanteur Yvan Dautun.

SAMEDI.
Cartes postales. Au palmarès des vues envoyées par nos correspondants en vacances, la ville de Saint-Malo arrive en tête mais l'Estonienne Tallinn la talonne.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de villégiature exotique n°221 - 21 août 2005

DIMANCHE.
Lecture. Retour à la Grande Ombre (Aterkomsten, Hakan Nesser, Albert Bonniers Förlag, Stockholm, 1995; Éditions du Seuil, coll. Policiers, 2005 pour la traduction française; traduit du suédois par Agneta Ségol et Pascale Brick-Aïda; 302 p., 19 €).
Un homme condamné à vingt-quatre ans de prison pour un double meurtre est assassiné le jour de sa libération. Le commissaire Van Veeteren se demande s'il n'a pas été victime d'une erreur judiciaire.
Heureusement pour mon temps de lecture, tout ce qui tombe du ciel scandinave en matière de polar n'est pas exceptionnel. Vu l'engouement actuel pour le genre, le commissaire Van Veeteren est en effet un personnage récurrent dont les aventures feront sans doute l'objet de futures traductions (celle-ci est la deuxième après un premier essai aux Presses Universitaires de Caen en 1997). Van Veeteren est un flic de cinquante-sept ans, solitaire bien sûr, un ours bourru avec ses collaborateurs qui ne peuvent s'empêcher de l'admirer malgré eux. Ici, il dirige l'enquête depuis son lit d'hôpital où il est immobilisé après une intervention chirurgicale. L'intrigue progresse par bonds qui ne semblent pas obéir à une quelconque logique, une série d'interrogatoires de témoins qui apparaissent miraculeusement sans qu'on sache vraiment qui ils sont et comment ils sont rattachés à l'affaire qui nous intéresse. Pas ennuyeux mais pas franchement passionnant.

LUNDI.
TV. De beaux lendemains (The Sweet Hereafter, Atom Egoyan, Canada, 1997 avec Ian Holm, Bruce Greenwood, Sarah Polley, Arsinée Khanjian, Tom McCamus; diffusé sur Canal + en ?).
Une petite ville de Colombie britannique est endeuillée par un accident de car scolaire qui a tué une quinzaine de ses enfants. Un avocat propose ses services aux familles pour attaquer la municipalité et le constructeur du véhicule.
Je ne connaissais d'Atom Egoyan que le plus récent Ararat (2002) et j'ai eu plaisir à retrouver ici toutes les qualités que je trouvais alors au cinéaste. Comme Ararat, De beaux lendemains est construit sur une trame narrative complexe qui multiplie les points de vue et les époques. L'accident est évoqué en flash-back, on suit l'avocat au cours de ses rencontres avec les différents parents et deux ans plus tard, au cours d'un voyage en avion à l'issue duquel il doit retrouver sa fille. Comme Ararat, De beaux lendemains traite avec prudence et retenue un sujet extrêmement sensible, le génocide arménien pour l'un, la perte de l'enfant pour l'autre. L'histoire d'Ararat était condensée dans le tableau d'un peintre rescapé du génocide, ici c'est l'histoire du joueur de flûte de Hamelin qui, en voix off, sert de fil conducteur. Le personnage de l'avocat est complexe, sa réelle compassion (il a lui aussi, d'une certaine façon perdu sa fille en proie à la drogue) ne masque pas le fait qu'il est en quelque sorte un avocat vautour qui vient profiter de la peine des autres. Egoyan filme cela avec lenteur et équilibre, sans dérouter le spectateur dans un domaine narratif pourtant très emmêlé.

MARDI.
Courrier. Y envoie une carte postale de Bruxelles. Le Mannecken-Pis plaît beaucoup aux filles.

Presse. Notre lieu de villégiature exotique est en passe de devenir le centre de l'univers. Après les notules, c'est Le Monde, toujours un peu en retard, qui en parle dans un article consacré à l'annulation du Teknival, prévu à Saint-Martial-sur-Isop (Haute-Vienne) : "Cette commune est située dans le canton de Mézières-sur-Issoire, limitrophe de la région Poitou-Charentes, très rurale et vouée à l'élevage." On l'avait remarqué.

Vie sociale. Traditionnelle croûte estivale avec les H.

MERCREDI.
Cinéma. Caroline emmène Lucie voir Charlie et la chocolaterie. J'attends pour ma part la rentrée et l'abandon des horaires d'été, qui ne me conviennent pas vraiment, pour m'y remettre.

TV. Football. France - Côte d'Ivoire 3 - 0.
Pas de doute. L'équipe de France a tout pour redevenir championne du monde. Des matches amicaux.

JEUDI.
TV. People (Jet set 2) (Fabien Onteniente, France-Espagne, 2004 avec Rupert Everett, José Garcia, Ornella Muti; diffusé sur Canal + en juillet 2005).
Charles de Polignac, grand organisateur de soirées tendance, est dans le creux de la vague. Pour se refaire, il entreprend d'organiser les noces d'un roi de la nuit d'Ibiza.
3 zéros, Jet set, People : Fabien Onteniente s'est fait le spécialiste de la mise en scène de milieux à la mode, ceux du sport et de la société des médias. Il veut peut-être en faire des oeuvres satiriques, ce qui ne marche pas puisqu'on voit dans ses films des vedettes jouer leur propre rôle avec complaisance, des footballeurs pour le premier, des stars de magazines populaires pour les seconds. Faute de satire, on pourrait tout aussi bien se rabattre sur le divertissement, ce qui était le cas avec 3 zéros, un film tout à fait regardable. Rien de cela dans ce dernier film, qui est d'une vacuité peu commune. Le scénario a la consistance d'une blague Carambar et on peut, en cherchant bien, trouver deux gags : un groupe de mafiosi russes qui se lancent dans une parodie de Village People et une chèvre enamourée après avoir avalé des pilules aphrodisiaques. José Garcia est mauvais comme un cochon, Rupert Everett s'ennuie à mourir. Une seule chose à noter : Jean-Claude Brialy s'est fait la tête de Michel Galabru dans La Cage aux folles, ce qui lui ouvrira peut-être des perspectives pour la suite de sa carrière.

VENDREDI.
Courrier. Le phare de Chassiron (Charente-Maritime) à marée basse.

TV. Manèges (Yves Allégret, France, 1949 avec Simone Signoret, Bernard Blier, Jane Marken, Frank Villard, Jacques Baumer, Mona Dol, Laure Diana, Jean Ozenne, Gabriel Gobin; diffusé sur CinéClassics en mars 2002).
Au chevet de sa femme mourante à la suite d'un accident automobile, Robert découvre que celle-ci ne l'a jamais aimé et a joué la comédie pour l'épouser et lui soutirer son argent.
Deux ans après Yves Allégret, Henri Decoin se servira de la même situation, la révélation d'un amour factice au chevet d'un mourant dans La Vérité sur Bébé Donge. Manèges est sans doute le meilleur film d'Allégret, dans lequel Simone Signoret, aussi diabolique que chez Clouzot, et Jane Marken forment un couple de garces, mère et fille, proprement stupéfiant. On est ici dans une noirceur proche de celle des films américains de Bette Davis ou de La Bête humaine de Renoir. Allégret y ajoute une forte dose de mysoginie (alors qu'il est à l'époque marié à Signoret) pour donner sa vision d'une société au sortir de la guerre où l'appât du gain, la fausseté et la vulgarité sont les valeurs dominantes. Bernard Blier, en mari berné qui voit tout s'écrouler autour de lui, est inoubliable.

SAMEDI.
Football. SA Spinalien - Lille B 1 - 0. Apparemment, le charme néfaste de R, qui fait sa rentré en tribunes, ne fonctionne plus. Ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de villégiature exotique n°222 - 28 août 2005

DIMANCHE.
TV. Football. Troyes - Paris-Saint-Germain 1 - 1.
Je sais, il y a beaucoup de foot en ce moment dans ces notules et j'imagine que ça ne fait pas partie des préoccupations majeures du notulien de base. Patience, cela devrait de toute façon s'atténuer avec la reprise du boulot et l'intérêt qui finit par s'émousser au fur et à mesure que la saison avance. Mais je n'y peux rien, ça fait partie de ma culture domestique, c'est une survivance de mes instincts primitifs, comme la pêche, le tiercé ou la chasse aux limaces. Heureusement, personne ne s'en est encore plaint à la manière du distingué JT sur une liste de diffusion que je fréquente : "Vous voulez encore que je m'agace et que je vous dise ce que je pense de tous ces petits jeunes gens en culotte courte qui courent bêtement après un ballon en faisant "You, you, you", se sautent dessus et se roulent des pelles dès que le susdit ballon est entré dans une espèce de filet, tandis qu'une bande de décérébrés avinés soufflent stupidement dans des trompettes, mirlitons, et autres langues de belle-mère, leurs peinturlurages idiots (oui, mais aux couleurs de leur club !) dégoulinant lamentablement sur leurs fanions au fil de leurs éructations haineuses et vulgaires..." J'ai comme ça une partie de mon héritage que je me refuse à renier : Le Monde, oui, mais aussi L'Équipe, Alain Resnais, oui, mais aussi Jean Girault, les Marx Brothers, oui, mais aussi les Charlots, Proust, oui, mais aussi Desproges, le séminaire Perec, oui, mais aussi la Colombière. J'apprécie certes les choses raffinées mais je vendrais mes filles pour un sandwich merguez-moutarde et préférerai toujours à celui des gommeux et des sucrés de salon le voisinage de ceux qui fument des clopes et boivent des bières au bar.

LUNDI.

Cinéma. Le Parfum de la dame en noir (Bruno Podalydès, France, 2005 avec Denis Podalydès, Sabine Azéma, Pierre Arditi, Olivier Gourmet, Jean-Noël Brouté; vu en avant-première au cinéma Palace à Épinal).
Après son mariage avec Robert Darzac, Mathilde Stangerson se réfugie au fort d'Hercule où personne, à commencer par Rouletabille, ne croit à la mort de Larsan.
Ceux qui ont apprécié Le Mystère de la chambre jaune dû à la même équipe retrouveront avec plaisir personnages et acteurs dans cette suite réalisée avec le même soin et le même entrain. Ceux qui, comme moi, avaient eu une impression mitigée verront la confirmation de celle-ci. L'aspect suspense du roman de Gaston Leroux est mis de côté au bénéfice de la fantaisie, d'un humour un peu forcé. Plus regrettable encore, le côté oedipien du personnage de Rouletabille, amoureux de sa mère Mathilde et attaché à la mort de son père Larsan, est évoqué de façon beaucoup trop superficielle. Il faudrait voir, ce que je n'ai jamais eu l'occasion de faire, les versions de Marcel Lherbier (1930) avec Roland Toutain ou de Louis Daquin (1949) avec Serge Reggiani pour savoir si cette histoire y est traitée comme la tragédie qu'elle est en réalité, ou plutôt en littérature.

MARDI.
Vie brève. En règle générale, les appareils photo ont chez nous une durée de vie d'un an, pas plus. Lorsque ma gestuelle, héritée des grands burlesques américains, s'en mêle, ce seuil n'est même pas atteint : malgré un amorti désespéré du cou-de-pied, j'expédie ad patres le dernier exemplaire acquis le 1° octobre dernier.

Cinéma. Madagascar (Eric Darnell & Tom McGrath, E.-U., 2005).
Une bande d'animaux s'échappe du zoo de New York et découvre la vie sauvage.
Si l'on a vu, par goût ou par obligation familiale, les deux volets de Shrek et Gang de requins, les dernières productions Dreamworks, cette aventure animale constituera une grande déception. Une histoire très faible et rapidement épuisée, un visuel plutôt pauvre, des scènes bavardes dans lesquelles les répliques, traduites en français branché, se chevauchent jusqu'à l'incompréhensible, une ou deux trouvailles par demi-heure, le bilan est maigre.

MERCREDI.
Vie nomade. Départ pour Paris par le 7 heures 40.

Lecture. Le brasier de l'ange (Burning Angel, James Lee Burke, 1995, Hyperion, New York; 1998, éditions Payot et Rivages pour la traduction française, coll. Rivages/Thriller; traduit de l'américain par Freddy Michalski; 360 p., 139 F).
Ça y est, je suis à jour dans la série consacrée à David Robicheaux, enquêteur de New Iberia (Louisiane), ayant lu les dix titres traduits en français à ce jour. Je quitte la Louisiane et ne pense plus y retourner : j'ai ma dose de bayous, de champs de canne à sucre, de mousse espagnole, de bouquets de pacaniers, de routes en coquillages concassés et d'enseignes Jax oscillant au fronton des bars louches. L'élément naturel est une des composantes essentielles des récits de Burke et il est d'autant plus précieux ici que l'enquête de Robicheaux est absolument incompréhensible. L'autre élément important est l'histoire de ce pays : pas une enquête de Robicheaux sans qu'apparaissent à un moment un autre les fantômes des esclaves ou des combattants de la Guerre de Sécession. La nature, l'histoire et, troisième élément, la violence quotidienne d'une contrée, d'une ville (La Nouvelle-Orléans) où la frontière entre le bien et le mal n'existe plus et où Robicheaux se désespère de pouvoir, par moment, rétablir un semblant de justice. Cette violence, James Lee Burke aime à la contenir le plus longtemps cachée, jusqu'à ce qu'elle explose à la fin d'un paragraphe comme dans l'incipit de Brasier de l'ange :
"La famille Giacano avait complètement verrouillé les trafics des paroisses d'Orléans et de Jefferson à l'époque de la Prohibition. La charte avalisant son droit à exercer son emprise lui venait naturellement de la Commission de Chicago, et aucune autre famille du crime ne s'était jamais hasardée à empiéter sur son territoire. En conséquence, toute la prostitution, le recel, le blanchiment de l'argent, le jeu, les prêts d'usure, la mainmise sur les syndicats ouvriers, le trafic de drogue, et même le braconnage du gibier en Louisiane du Sud devinrent à jamais son domaine préservé. Arnaqueurs des rues, escrocs, monte-en-l'air de bas étage, artistes de l'entôlage, pickpockets, barons ou macs au petit pied, pas un ne remettait d'ailleurs cet état de fait en question, sauf s'il leur prenait l'envie d'entendre la cassette de ce que Tommy Figorelli (connu aussi sous les noms de Tommy la Figue, Tommy les Doigts, Tommy les Cinq) avait eu à dire en essayant de couvrir le geignement d'une scie électrique, juste avant qu'on le congèle et le suspende, en pièces détachées, aux pales de bois du ventilateur de sa propre boucherie."
Curiosité. Belle phrase pour thème anglais : "J'aimerais beaucoup que tu ne me tutoies pas en m'appelant par mon prénom." (p. 218)

Cinéma. Mademoiselle Gagne-tout (Pat and Mike, George Cukor, E.-U., 1952 avec Spencer Tracy, Katherine Hepburn, Aldo Ray, William Ching, George Mathews, Sammy White; vu au Reflet Médicis, rue Champollion, V°).
Une monitrice d'éducation physique refuse un mariage tout fait et passe sous la coupe d'un manager qui a su déceler ses talents de sportive. Elle devient championne professionnelle de tennis et de golf.
C'est la septième apparition du couple Tracy-Hepburn au cinéma. A ce moment de leur carrière, on écrit des comédies spécialement pour eux et ils reproduisent sans mal à l'écran la complicité qui est la leur dans la vie civile. La machine est merveilleusement bien rôdée et est ici agrémentée par de longues séquences en extérieurs où Katherine Hepburn fait étalage de ses réelles qualités de golfeuse et de joueuse de tennis. Le manager bourru, qui entend la diriger comme il le fait avec les autres membres de son écurie (un boxeur à moitié débile et un cheval de course), tombe sur un bec et sous son charme. Le vainqueur final n'est pas la femme, qui a su amadouer le mâle dominant, mais bel et bien le couple, indissociable, "fifty-fifty, five o-five o" qui est le leitmotiv du film.
On note au générique la présence de Charles Buchinski qui fera carrière sous le nom de Charles Bronson et qui reçoit ici une rossée magistrale de la belle Katherine.

Vie parisienne. Vie studieuse en l'occurrence, puisque je partage mon temps entre la BiLiPo et le Louvre, entre mon Atlas de la Série Noire et ma Mémoire louvrière.

JEUDI.
Vie parisienne (suite). Je m'offre trois heures de déambulation, sans être trop gêné par la pluie, de la Tour Eiffel à la BiLiPo, via l'École Militaire, le siège un rien délabré de l'UNESCO, les Invalides (belle devise sur la statue de Lyautey : "Le patriotisme lorrain est inséparable du patriotisme français"), la rue de Varenne (Musée Rodin, Hôtel Matignon), le boulevard Raspail et la rue Sébastien-Bottin où l'immeuble Gallimard ne semble guère en effervescence à l'approche de la rentrée littéraire.

Lecture. Dictionnaire des clichés littéraires (Hervé Laroche, Arléa, 2001; 192 p., 15,24 €).
Hervé Laroche propose un voyage amusant au pays des clichés littéraires, un monde merveilleux dans lequel les foules sont toujours bigarrées, les cavalcades effrénées, les cendres encore tièdes et les décombres encore fumants, la susceptibilité maladive ou à fleur de peau, où les escaliers sentent l'encaustique et non la cire, où les coups de minuit sont toujours égrenés et, précision rassurante, au nombre de douze et où, s'il l'on conquiert, c'est toujours de haute lutte. Un voyage amusant mais inconfortable car on a vite fait de se rendre compte que le cliché est partout et que, notamment, les notules en pullulent. Cependant, il est parfois malaisé de démêler le pur cliché ("mot ou locution d'origine artistique, formant image, et qui est répété sans réfléchir" selon Charles Dantzig, auteur de La guerre du cliché) de la métaphore ou de la périphrase ordinaires. Par ailleurs, certaines entrées du dictionnaire présentent plus les caractéristiques du pléonasme que du cliché ("cerner de toutes parts"), quoique les deux ne soient pas incompatibles. Hervé Laroche attribue le succès de certains clichés à des critères morphologiques. Ainsi, le y d'abysse et le î d'abîme seraient irrésistibles, le mot ondoyer serait lui aussi irrésistible à cause de la petite houle créée par le y, et le mot torrent (de larmes, de paroles, de musique, d'amour, de tendresse, de haine, de passion, de lumière, de sang, etc.) aurait "sur le flot l'avantage de ces deux r qui roulent, emportent comme un torrent". Une autre raison de ce succès peut être le caractère obscur de certains termes : si on trouve autant d'yeux "chassieux" et de silhouettes "bien découplées", c'est avant tout parce qu'on ne sait pas vraiment ce que ces adjectifs veulent dire.
Chaque entrée est suivie d'un exemple, confectionné par l'auteur dans un registre sentimental bas de gamme qui cherche à parodier les produits préfabriqués du genre Harlequin ("Nue sur sa couchette, elle luttait contre la touffeur de la nuit en agitant son exemplaire dépenaillé de Tristes tropiques"). Il aurait peut-être été plus intéressant d'aller chercher des citations chez de "vrais" auteurs. Il n'y a pas de littérature sans cliché et il est aisé d'en dénicher chez les classiques, dans les traductions des Série Noire des années 50 qui en regorgent ou dans les ouvrages de Philippe Delerm pour qui le cliché est un art de vivre. Enfin, comme dans tout dictionnaire, on peut regretter certains oublis : l'auteur aurait pu faire un sort à l'adjectif "éponyme", ou à l'expression "travail de deuil", même si, il est vrai, on est plus ici dans le domaine du cliché journalistique que du cliché littéraire.
Extraits. "accoutrement : toujours étrange. Un accoutrement normal n'intéresse personne.
confectionner : dans la vie ordinaire, on se fait un sandwich; dans la vie littéraire, on le confectionne. Il n'en est que meilleur.
                demi-nue : beaucoup plus audacieux que nue, évidemment. Elle fit irruption dans le salon, demi-nue, échevelée, hagarde. On ne précise jamais quelle moitié.
                joncher : beau mot qu'on aime voir souvent. Ne joncher que d'une seule catégorie de choses à la fois. Par exemple, pour un accident d'avion en automne, choisir, pour joncher le sol, entre les feuilles, les débris et les cadavres.
                oublieux : très chic, surtout au féminin. Attention, rien à voir avec l'étourderie : on n'est pas oublieux de son parapluie, mais de sa promesse, de ses résolutions, de son engagement et, surtout, de soi-même. Comme perdu dans un songe, oublieux de lui-même, il se soulagea sur le mur du cimetière. Qui est oublieux de soi ne s'oublie pas pour autant.
                dire : l'usage de ce mot trivial est toléré à raison d'une occurrence par dialogue, pas plus. (suit une liste fournie de substituts) Les vrais virtuoses refusent toutefois ce genre de facilité. S'interdisant tout emploi de ce mot impur, ils n'hésitent pas à remplacer dire par n'importe quel verbe. Je constate plutôt que tu bandes encore, posait-elle avec précaution l'extrémité de deux doigts sur le renflement du pantalon." (Ce qui me rappelle le magnifique "Pardon, péta-t-il" qui m'avait été signalé par un notulien).
A relire : Le dictionnaire des idées reçues, de Flaubert.

VENDREDI.
Lecture. Des contradictions des stoïciens (Plutarque, I°-II° siècle; traduction, présentation et notes de Pierre-Maxime Schuhl in Les Stoïciens, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 156, 1504 p., 52,90€).
A trois ou quatre siècles de distance, Plutarque reprend les écrits de Chrysippe, fondateur de la doctrine stoïcienne, pour en souligner les contradictions. A lire Plutarque, on a fortement l'impression que Chrysippe a écrit tout et son contraire, même si ce sont parfois des points de détail très précis qui retiennent son attention.
Extrait. "Mais si l'on dit que l'assentiment se conforme au destin parce que le destin produit des représentations qui attirent l'assentiment, comment le destin ne serait-il pas en conflit avec lui-même en produisant souvent et dans des occasions importantes des représentations divergentes et qui attirent la pensée en des sens contraires ?" Oui, comment, hein, comment ?

SAMEDI.
Football. AS Nancy - Lorraine - Stade Rennais 6 - 0. C'est peut-être le premier et le seul jour de ma vie où, par solidarité avec R. et par manque d'affinité avec Nancy, je me sens breton. Pour l'occasion, je suis servi.

Bon dimanche.