Notules
dominicales de culture domestique n°196 - 6 février 2005
DIMANCHE.
Fermetures. La journée commence
par une expédition downtown pour deux photos de Bars clos : café
du Rond-Point, à Chantraine et café de la Louvière.
Itinéraire patriotique départemental.
Excursion jusqu'au monument aux morts de Bellefontaine. Je glane une publicité
peinte en chemin.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
TV. Autant en emporte le vent
(Gone With the Wind, Victor Fleming, E.-U., avec Vivien Leigh,
Clark Gable, Leslie Howard, Olivia De Havilland, Hattie McDaniel; diffusé
sur CinéCinémas en ?).
La re-vision, comme la relecture, est parfois un exercice risqué,
principalement quand elle concerne des oeuvres découvertes à
un âge où l'on est particulièrement enclin à
l'enthousiasme. On se demande parfois comment on a pu s'enticher de telle
ou telle oeuvre, on regrette de l'avoir exhumée d'une mémoire
où elle bénéficiait d'un éclat désormais
terni. L'exercice permet aussi a contrario de voir ce qui tient vraiment
la route et résiste aux assauts du temps et à la dessiccation
des passions. Je n'avais pas revu Autant en emporte le vent depuis
vingt-cinq ans, intervalle autorisant la persistance du souvenir et l'oubli
de certains épisodes. Le plaisir est resté intact, de même
que l'admiration devant cette parfaite conjugaison de talents et de moyens.
Tout fonctionne idéalement, tout s'avale sans difficulté,
même les morceaux les plus outrés comme la mort de Melanie
qui transforme la madeleine de Proust en bavarois géant. A revoir,
et avant vingt-cinq ans, si possible avec le documentaire sur le tournage
du film que je n'ai pas pu retrouver mais qui doit bien exister en DVD.
LUNDI.
Courrier. On nous écrit de
Courchevel et d'Orlando (Floride). On va encore avoir l'air malin avec
nos cartes postées de Mézières-sur-Issoire (Haute-Vienne)
l'été prochain.
TV scolaire. La Vengeance de Monte-Cristo
(The Count of Monte Cristo, Kevin Reynolds, E.U., 2002, avec James
Caviezel, Guy Pearce, Richard Harris, James Frain; support DVD Touchstone
Entertainment).
Habituellement, j'accompagne l'étude de l'œuvre avec la version
cinématographique de Claude Autant-Lara ou de Robert Vernay. J'ai
réussi cette année à mettre la main sur quelque chose
de moins poussiéreux avec cette dernière adaptation en date
du roman de Dumas, passée totalement inaperçue au moment
de sa sortie. Elle n'est pourtant pas sans intérêt, avec
sa photographie luxueuse et sa mise en scène aux effets soigneusement
étudiés. Le cœur du récit est immuable, l'amour,
la jalousie, l'emprisonnement, l'évasion, la richesse, la vengeance,
mais l'histoire est tellement riche qu'on peut se permettre de tailler
dedans sans l'abîmer. Le scénariste ne s'est pas gêné,
éliminant Caderousse, faisant de Fernand un marin du Pharaon, supprimant
les autres masques de Monte-Cristo (Busoni, Sinbad) et faisant de celui-ci,
à la fin (embellie bien sûr) l'heureux propriétaire
d'une résidence secondaire : le château d'If. Une idée
intéressante est d'avoir fait de l'abbé Faria un connaisseur
en escrime, une discipline qu'il enseigne à Dantès pendant
leur captivité et dont celui-ci saura se souvenir plus tard, ce
qui entraînera le film vers quelques beaux moments de cape et d'épée.
Vie professionnelle. Départ
en retraite d'un des piliers du collège, le seul avec qui j'ai
travaillé dont le prénom et le nom composent un pangramme
vocalique complet, "y" compris.
MARDI.
Lecture. Les boutiques de cannelle
(Slepky Cynamonowe, Bruno Schulz, Roj, 1936; traduit du polonais
par Thérèse Douchy, Christophe Jezewski, François
Lallier, Georges Lisowski, Georges Sidre, éditions Denoël,
2004; 832 p., 27 €).
Un mot d'abord sur Bruno Schulz, dont j'ai appris l'existence il y a quelques
mois à peine. Schulz est né en 1892 à Drohobycz,
une ville provinciale austro-hongroise, puis polonaise, russe, allemande
et aujourd'hui ukrainienne sous l'orthographe Dobrobych. Il y passera
toute sa vie, deviendra professeur de dessin au lycée de la ville.
Car Schulz est artiste avant d'être écrivain, pratiquant
le dessin et la gravure sur verre. Son oeuvre écrite se limite
à quelques nouvelles, des lettres, des articles et deux romans
publiés (Les boutiques de cannelle et Le sanatorium au
croque-mort) aujourd'hui rassemblés dans ce volume ainsi qu'un
roman perdu, Le Messie, dont il aurait écrit quatre chapitres
en 1938. Il meurt en 1942, abattu en pleine rue de deux balles dans la
tête par un SS. En France, c'est Maurice Nadeau qui publie le premier
quelques fragments de Bruno Schulz aux Lettres nouvelles vers 1960.
Aussitôt, on le compare à Kafka : l'origine géographique,
le père commerçant, la judéité, sa traduction
du Procès, quelques points communs dans la thématique
(comme la métamorphose du père en cafard dans un chapitre
des Boutiques de cannelle). D'autres traductions, plus ou moins confidentielles,
suivront jusqu'à l'explosion de l'automne dernier où Denoël
sort ce volume en même temps que le Musée d'Art et d'Histoire
du Judaïsme lui consacre une exposition (jusqu'au 23 janvier dernier
malheureusement).
Dans Les boutiques de cannelle, le narrateur, enfant ou adolescent,
raconte quelques épisodes concernant sa ville et sa famille. La
figure du père, Jacob, est omniprésente. Riche commerçant,
il habite une grande maison sur la place centrale de la cité et
règne sur sa famille et ses commis. Cette grandeur est menacée
: Jacob est malade et perd peu à peu la raison. Il cesse de se
nourrir, converse avec des mannequins de bois, élève des
oiseaux (chapitre saisissant), disparaît des jours entiers dans
les greniers, est en proie au délire. Parallèlement, Joseph,
l'enfant, vit sa vie, parcourt la ville, s'échappe dans le rêve.
Les chapitres ne semblent pas liés entre eux, chacun a la forme
d'une courte nouvelle indépendante, une sorte d'épiphanie
joycienne, impression renforcée par le fait que les traducteurs
ne sont pas les mêmes d'une section à l'autre. Si le parallèle
avec Kafka n'est pas nécessaire, il peut s'expliquer par la mise
en place d'un univers vraiment unique et dérangeant, une impression
accentuée par l'écriture de Schulz, une phrase sinueuse
mais parfaite, le souci du détail, un style qu'on pourrait qualifier
de méticuleux. Une certitude : je n'avais jamais rien lu de tel
auparavant.
Extrait : "Tante Agathe maugréait. C'était là
le ton général de sa conversation, la voix même de
cette viande blanche et fertile qui paraissait déborder de son
corps et éprouver la plus grande difficulté à se
maintenir dans les limites d'une forme individuelle, prête à
tout moment à se tronçonner, à bourgeonner, à
se multiplier en famille.
On aurait dit que sa féminité se passait aisément
de fécondation, et qu'il eût suffi d'un arôme un peu
masculin, d'une vague odeur de tabac, d'une blague un peu grivoise pour
qu'elle se mît aussitôt à proliférer luxurieusement.
En fait, ses récriminations continuelles contre son mari, ses domestiques,
sa sollicitude harassante à l'égard des enfants, tout cela
n'était que caprices de sa fécondité insatisfaite,
prolongement naturel de cette coquetterie insupportable, hargneuse et
larmoyante, don elle harcelait sans cesse son mari. L'oncle Marc, petit,
recroquevillé, au visage parfaitement asexué, semblait résigné
à sa faillite et se tenait immobile à l'ombre d'un mépris
infini qui devait lui sembler bien reposant. Dans ses yeux gris couvait
la braise lointaine du jardin, tamisée par les vitres de la fenêtre.
De temps en temps, il essayait timidement de faire front, mais la vague
de l'omnipotence féminine balayait ce geste insignifiant et triomphalement
passait outre, noyant sous un flux impétueux les faibles soubresauts
de la virilité.
Il y avait quelque chose de tragique dans cette fécondité
débraillée : la misère d'une créature se débattant
entre le néant et la mort, l'admirable courage de la femelle triomphant
de l'insuffisance du mâle. Mais la progéniture était
là pour prouver le bien-fondé de cette panique maternelle,
de cette furie d'enfanter qui s'épuisait en produits malvenus,
en une génération éphémère de fantômes
exsangues."
"Les faibles soubresauts de la virilité" : ça
c'est de l'alexandrin !
TV. Dans les ténèbres
(Entre tinieblas, Pedro Almodovar, Espagne, 1983 avec Christina
S. Pascual, Julieta Serrano, Carmen Maura, Marisa Paredes; diffusé
sur ARTE en août 1999).
Une jeune junkie a peur d'être accusée de la mort de son
compagnon, victime d'overdose. Elle se réfugie au couvent des Rédemptrices
humiliées, une association d'entraide aux victimes de tous les
vices qui abrite des religieuses un peu particulières.
C'est le troisième film d'Almodovar. Il s'efforce d'y montrer que
la sainteté et le vice existent dans les mêmes proportions
dans la rue et au couvent, ce qui lui permet de décrire une communauté
religieuse dans laquelle les sœurs écrivent des livres lestes,
se piquent à l'héroïne et ainsi de suite. Le désir
de provoquer se teinte d'une vraie tendresse pour la femme abandonnée
et courageuse, un thème qui reviendra souvent par la suite. C'est
l'œuvre d'un cinéaste en formation, on peut préférer
sa production adulte.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète des chaussures,
un grimpant, un recueil d'Alphonse Allais et le numéro 2 de la
revue Teckel.
Courrier. Au tour d'Y de m'adresser
des coupures.
JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y et à GN.
VENDREDI.
Transports frigorifiques. Le 19 h
36 est à l'heure, mais le chauffage ne fonctionne pas. On ne peut
pas tout avoir.
SAMEDI.
Vie parisienne. Petite chambrée
à Jussieu pour le séminaire Perec. Eléonore Hamaide,
une auditrice assidue, franchit le Rubicon et passe au rang de conférencière
pour parler des rapports entre Perec et la littérature jeunesse.
A plusieurs reprises, dans ses programmes de travail pour les années
à venir et les choses à faire avant de mourir, Perec avait
exprimé son désir d'écrire des livres pour enfants,
des "livres à lire à plat-ventre sur son lit".
S'il n'a pas eu le temps de mettre son projet à exécution,
l'opération inverse s'est produite et de nombreux auteurs ont mis
du Perec dans leurs livres pour la jeunesse. Cela va de la version illustrée
de Je me souviens par Yvan Pommaux à des allusions plus
ou moins claires : l'évocation de la Shoah par Georges Lemoine
dans Un foulard dans la nuit, qui peut évoquer W
ou le souvenir d'enfance; les jeux sur les lettres dans Les cubes
de Béatrice Poncelet; le romanesque avec Lettres des isles Girafins
qui semble reprendre l'épisode consacré à l'ethnologue
Appenzzell dans La Vie mode d'emploi; le ludique avec Le roi
qui n'aimait pas les E de Christophe Loupy qui contient un chapitre
lipogrammatique.
Je croûte d'un faux-filet pommes boulangère près de
la rue des Boulangers, avale trois Série Noire à la Bibliothèque
des Littératures Policières et reviens au Petit Cardinal
pour les dernières minutes de France - Écosse. Chez Gibert,
où le dernier livre de Henning Mankell est en vedette, je cherche
des ouvrages sur Bruno Schulz. Rue de l'Ecole-de-Médecine, la boutique
spécialisée dans le matériel pour études médicales
qui présentait squelettes et écorchés en vitrine
a fermé ses portes. Le soir venu, à la Brasserie de l'Est,
le garçon montre à mon voisin, un novice, comment se servir
d'une pince à escargots. Je prends mes distances avant que les
gastéropodes ne se sentent pousser des ailes.
Cinéma (UGC Danton, boulevard
Saint-Germain). La Chute (Der Untergang, Oliver Hirschbiegel,
Allemagne, 2004 avec Bruno Ganz, Alexandra Maria Lara, Corinna Harfouch,
Ulrich Matthes, Julianne Köhler, Heino Ferch, Thomas Kretschmann,
Ulrich Noethen).
Les derniers jours d'Hitler, en avril - mai 1945, dans son bunker de Berlin
avec ses généraux et ses derniers partisans.
La Chute est un film plus déplaisant que dérangeant,
qui ne rend service ni à l'histoire, ni au cinéma. Le principal
reproche qu'on peut adresser à Hirschbiegel est d'avoir introduit
le pathos dans le bunker, avec les adieux d'Hitler à son dernier
carré de fidèles et la fin des enfants Goebbels. La fin
en forme de coup de torchon qui donne le dernier mot à un jeune
Titi berlinois et une oie blanche (la secrétaire du Führer)
en route vers une nouvelle vie est particulièrement crispante.
Après ça, la performance de Bruno Ganz, la reconstitution
du bunker et des rues de Berlin, la correction historique dans la succession
des événements passent nettement au second plan.
Lecture. La mouche du coche
(The Busy Body, Donald Westlake, 1966; traduit de l'américain
par N. Shklar, Éditions Payot & Rivages, 2004, coll. Rivages/Noir
n° 536; 256 p.).
A New York, on enterre Charlie Brody. Toute l'Organisation, le caïd
Nick Rovito en tête, est là. Immédiatement après
la cérémonie, Nick demande à Engel, son bras droit,
d'aller déterrer Charlie et de récupérer sa veste
dont la doublure est remplie d'héroïne.
Cette histoire avait déjà été publiée
à la Série Noire sous le titre Les cordons du poêle,
une version tronquée selon la maison Rivages qui en offre une nouvelle
traduction, comme elle l'avait déjà fait avec un autre titre
de Westlake, L'assassin de papa, devenu 361. Incroyable :
on retraduit Westlake comme on retraduit Kafka, Nabokov, Joyce et Cervantes...
Cette histoire de cadavre fugueur est typique de l'auteur dans le thème
(on trouvera aussi des cadavres à déterrer dans Histoire
d'os), le personnage central (Engel, assez proche de Dortmunder, personnage
récurrent de Westlake) et la manière de traiter le sujet,
un ton amusé et amusant, en mélangeant une histoire policière
convaincante et des scènes d'un burlesque irrésistible.
Extrait. "Nick Rovito était assis à la table, ainsi
qu'un autre type, un humble à l'air sournois, cinquante ans, visage
soucieux, et qui semblait mal à l'aise. Il leva les yeux vers Engel
et les détourna rapidement.
Il avait la tête de ces ratés de naissance qui montent une
affaire, font faillite, mettent le feu à leur boutique pour toucher
l'assurance et ne réussissent qu'à périr dans l'incendie."
Bonne semaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°197 - 13 février 2005
DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Travail sur
la Mémoire louvrière au Louvre. J'en reproduis ici
le résultat, pour ceux qui croient que je vais à Paris pour
rigoler, non sans rappeler que ce n'est pas un travail de glose esthétique
mais une tentative de graver le tableau dans la mémoire à
l'aide d'un détail, d'une impression, comme il est dit dans l'avant-
propos : "Il ne s’agira donc pas de répéter tel ou
tel commentaire entendu ou lu quelque part, mais d’écrire quelques
mots concernant tantôt l’aspect général du tableau,
tantôt un détail, un geste, une expression, une émotion,
je ne peux vraiment le dire à l’avance, qui devraient me permettre,
en les relisant, de revoir le tableau en entier ou un de ses aspects."
(6 février
2005)
223. Abraham
BLOEMAERT. La prédication de Saint Jean-Baptiste.
Personnages
en costume d’époque. Tableau difficilement visible (dessus de porte).
224. Georg
FEGEL. Nature morte au flacon de vin, à la miche de pain et
aux petits poissons.
La
mouche sur la miche est un peu grosse pour que le trompe-l’œil soit efficace.
225. Adam
ELSHEIMER (d’après). La Fuite en Égypte.
Trois
sources de lumière : un feu, une bougie (qui éclaire, au
centre, la Sainte Famille) et la lune qui se reflète dans un étang.
226. Paul
BRIL. Marché dans le Campo Maximo à Rome.
Aucune
ressemblance avec les grandes scènes de la salle 13 (tableaux 211
et 214).
227. Anton
MOZART (attribué à). Vue d’un port de mer, avec scènes
de commerce sur le quai.
Les
scènes de marché fourmillent de détails. Un Christ
en croix dans une niche. Signification du grand drap rouge à droite
?
228. CORNELIS
Van Haarlem. Le baptême du Christ.
Reprise
du tableau 215 en plus petit avec Adam et Ève à droite.
Ève a un nombril.
229. Joos
de MOMPER. Paysage montagneux avec famille de paysans se reposant au
bord d’un chemin.
Comme
dans les tableaux 210 et 213, les personnages sont écrasés
par la masse montagneuse.
230. Joos
de MOMPER. Ermitage de moines dans une grotte.
On
ne reconnaît Momper que dans le tiers gauche du tableau, ciel et
montagne, oiseaux en vol comme dans le tableau précédent.
231. Joachim
WTEWAEL. Jupiter s’introduisant dans la chambre de Danaé.
Les
ailes colorées de Cupidon. Jupiter, qui arrive du plafond, a vraiment
l’air de se casser la gueule. On comprend l'air effaré de Danaé.
232. Adrian
van STALBEMT. Vue des environs de Bruxelles (Vue de fantaisie).
Scène
très paisible, sereine : des personnages discutent, assis sur le
parapet d’un pont, d’autres au bord d’un chemin, d’autres encore se promènent
en barque.
233. Peter
BINOIT. Mets, fruits et verres sur une table.
Encore
une mouche sur la miche de pain.
234. Tobias
VERHAECHT. La Délivrance miraculeuse de l’empereur Maximilien
(1459-1519) au cours d’une partie de chasse.
Paysage
à la manière de Momper. L’anecdote reste obscure. Un personnage
semble coincé dans une niche du grand rocher (en amont du cavalier).
235. Louis
de CAULLERY. Le Colosse de Rhodes.
Un
bateau passe entre les jambes du colosse qui marquent l’entrée
du port. Une tête et une main colossales sur le quai. Les personnages
sont là pour donner l’échelle.
SALLE 14.
Pays-Bas. Fin du XVI° siècle et début du XVII° siècle.
Cabinet 2. Brueghel de Velours.
236. Sébastien
STOSKOPFF. Livres, chandelle et statuette de bronze.
On
peut lire aisément sur la page du livre ouvert (“Desideria animae
sanctae”). Beau jeu de lumière sur la statuette.
237. David
VINCKBOONS (d’après). Paysage avec animaux.
Feuillage
et lumière du sous-bois semblables au tableau 209. Une pie, un
héron, une cigogne en vol…
238. Jan
I BRUEGEL (d’après). Paysage au moulin à vent.
Un
femme avec une immense panière sur la tête.
239. Jan
I BRUEGEL dit de Velours ou l’Ancien. Vue imaginaire avec le temple
de la Sibylle de Tivoli et le pont de Talavera.
Petit
format circulaire, scènes d’une vie quotidienne animée,
au bout d’un pont.
240. Jan
I BRUEGEL dit de Velours ou l’Ancien. La Bataille d’Issus.
Grand
tableau, mis sous verre, qui rappelle Altdorfer. Multitude et mouvement.
Mouvement des nuées, des lignes du relief, de la foule, avec différentes
strates (ombre et lumière alternées) qui se superposent.
Les chevaux blancs, deux cavaliers vêtus de blanc, une chaire dorée,
des étendards jaunes et une tente rosâtre, au centre, se
détachent de l’ensemble. Un homme en armure étendu au sol
rappelle Uccello, même s’il est positionné à l’envers
par rapport à celui de la Bataille de San Romano.
LUNDI.
Air
connu.
Tiens, un nouvel instituteur pour Lucie.
Rectificatif.
"Bruno Schulz meurt en 1972, abattu en pleine rue de deux balles
dans la tête par un SS." (notules 196). Il s'agissait bien
sûr de 1942. On peut supposer que les SS avaient déserté
les rues de Drohobycz en 1972... (merci à Y).
Lecture.
Pratiques oulipiennes (Gallimard, 2004, coll. La Bibliothèque
n° 147; 206 p.).
Anthologie
proposée et commentée par Dominique Moncond'Huy.
Ce
recueil, destiné aux classes de lycée, témoigne de
la bonne santé critique de l'Oulipo deux ans après la parution
de l'Abrégé de littérature potentielle aux Mille
et Une Nuits. L'auteur (Moncond'huy n'est pas bouché) ne se contente
pas d'aligner les exercices et les extraits d'œuvres (dont certains inédits)
de Roubaud, Jouet, Le Tellier, Bens et bien sûr Perec. Il dégage
clairement les principes du groupe et propose une réflexion approfondie
sur la contrainte, "un ensemble de règles non pas imposées
de manière rigide et étroite, mais imposées parce
qu'elles sont supposées permettre d'atteindre à quelque
chose qu'elles-mêmes rendent possibles, une certaine conception
du beau (...), une certaine vie de la langue." L'Ouvroir de littérature
potentielle ne nie pas le passé, il s'inspire de pratiques anciennes,
revisite les classiques sous des formes inventives et ludiques sans se
reposer, contrairement aux surréalistes, sur le hasard.
Les textes,
regroupés en trois sections ("Soustraire, substituer",
"Jouer le jeu" et "Faire jouer les formes") font l'objet
d'études assez poussées (on retiendra l'exégèse
savante de Oh ! l'ostrogoth !, monovocalisme en o de Jacques Jouet) et
d'exercices destinées au public lycéen.
Extrait. Sonnet irrationnel, soit divisé en cinq strophes successivement
et respectivement composées de 3 - 1- 4 - 1 - 5 vers, qui sont
dans l'ordre les cinq premiers chiffres du nombre pi.
"L'Art
de la fuite
Qui
sait ce que je fuis ? Qui sait ce que je traîne ?
En
ces villes de rien, je n'ai vu de sirène
Qu'aux
marches des palais de marbre ou de granit.
Plus que l'éloignement, la solitude est chère.
On a, pour les calmer, l'opium et l'aconit,
Complices
pour traquer l'hypocrite migraine,
Ou
le vieux transistor, car la musique est reine
Quand
le mal du pays s'apaise et sic transit.
Avec l'éloignement, la solitude est chère.
Revit le souvenir des aurores légères
Et
des soirs étouffants qui sentent le fagot.
C'est
ainsi qu'au retour des villes étrangères
Les
ptits aventuriers marient des boulangères
Dédaignant
le veau gras au grand dam des bigots."
Jacques
Bens
TV.
Les Diables (The Devils, Ken Russell, G.-B., 1970 avec Oliver
Reed, Vanessa Redgrave, Dudley Sutton; diffusé sur ARTE janvier
2000).
En 1634, la ville de Loudun tient à garder sa singularité
et ses remparts face aux projets d'uniformisation de Richelieu. Celui-ci
dépêche un certain Laubardemont, qui, accompagné d'un
prêtre exorciste, déclare que les religieuses du couvent
des Ursulines sont possédées par le démon, démon
incarné par un prêtre libéral et jouisseur, Grandier.
Cette
affaire, dite des "possédées de Loudun" est traitée
d'une manière véhémente par Ken Russell. Musique
contemporaine, scènes choquantes, vociférations, violence
des comportements et des passions se veulent le reflet d'une époque
tourmentée. Ce n'est pas toujours confortable à suivre mais
c'est une oeuvre forte, provocante et incontestablement personnelle.
Curiosité.
Certains passages censurés ont été ajoutés,
provenant d'une version allemande retrouvée ce qui amène
quelques changements d'idiome plutôt surprenants.
TV. (suite).
A la fin du film, je tombe sur l'émission Questions pour un
champion qui voit s'affronter des élèves issus de ce
qu'on appelle généralement les "Grandes écoles",
Saint-Cyr, Sup' Aéro et le reste. La future élite, l'avenir
de la Nation. Un des champions se révèle incapable de nommer
le viaduc de Millau quand on lui demande quel ouvrage routier prestigieux
de 343 mètres de long vient d'être inauguré du côté
du Larzac. C'est le représentant de l'École Nationale des
Ponts et Chaussées.
MARDI.
Courrier.
AZ m'adresse un recueil de palindromes dû à Gérard
Durand, alias Le Gérant du Rare, et me renseigne sur l'aboyeur-marchand
de palindromes de la rue Mouffetard.
MERCREDI.
Cinéma. Maria pleine de
grâce (Maria Full of Grace, Joshua Marston, E.-U., 2003
avec Catalina Sandina Moreno, Yenny Paola Vega, Wilson Guerrero, Johanna
Andrea Mora, John Alex Toro, Jaime Osorio Gomez, Guilied Lopez, Patricia
Rae, Ed Trucco).
Dans
une petite ville de Colombie, Maria, dix-sept ans, se heurte à
des murs : la relation avec son petit ami s'interrompt au moment où
elle lui annonce qu'elle est enceinte, elle a du mal à accepter
le fait d'être la seule à rapporter de l'argent à
la maison, d'ailleurs elle quitte son travail après une dispute
avec son contremaître. Elle rencontre un jeune homme qui lui propose
de faire passer de la drogue aux États-Unis. Maria devient une
"mule", ces passeurs qui voyagent avec la drogue cachée
dans leur estomac. C'est cette première partie, la partie colombienne,
qui est la plus intéressante. Joshua Marston montre comment on
est amené à accepter ce genre d'activité, comment
on apprend à ingurgiter les capsules de drogue, quels effets celles-ci
occasionnent sur l'organisme et le comportement, comment on parvient à
surmonter le dégoût, l'excitation, la peur au cours du voyage.
Une fois que Maria a atteint le sol américain, on s'oriente vers
un récit plus convenu mais toujours passionnant sur la difficulté
de survivre en milieu hostile. Premier film de Joshua Marston produit
par la chaîne HBO, plus connue pour ses réussites télévisuelles
(The Sopranos, Six Feet Under...) Maria pleine de grâce intéresse
de bout en bout.
JEUDI.
Courrier.
J'envoie des coupures à Y. et à J.
Actualité.
"Le Parlement adopte en première lecture la réforme
des 35 heures" (les journaux). Voilà qui ne va pas bouleverser
notre quotidien, accoutumés que nous sommes, depuis l'acquisition
de cette pharmacie, au régime des 39 heures ainsi réparties
: 18 heures de cours pour moi et 60 heures d'officine pour Caroline.
VENDREDI.
Voyage.
Réveil
à trois heures du matin : c'est aujourd'hui que j'accompagne AM,
collègue officiant dans les arts plastiques, et une classe de troisième
dans un voyage éclair à Paris. Le départ est prévu
à quatre heures, le bus arrive dix minutes après l'heure
prévue mais le chauffeur de bus, je l'ai assez pratiqué
pour le savoir, n'est jamais en retard. Il a eu affaire à des bouchons,
des gendarmes, des travaux, des fâcheux, mais il n'est jamais en
retard. Celui d'aujourd'hui ne déroge pas à la règle.
Comme il ne peut guère invoquer les aléas de la circulation
à cette heure matinale, il se contente de ne rien dire ce qui,
malheureusement, ne durera pas. Il est conforme au modèle des chauffeurs
de bus que l'on affecte, dans nos contrées, aux transports d'enfants.
Aux yeux du chauffeur de bus, le jeune passager est avant tout un être
aux semelles sales, à la voix forte, aux manières déplorables,
aux envies physiologiques désordonnées, incapable, mais
qu'est-ce que vous leur apprenez à l'école, de se taper
cinq heures de tape-cul sans bouger le petit doigt. Responsable de son
véhicule tout confort, télévision, toilettes, climatisation,
sièges inclinables, le chauffeur de bus prend bien soin de débrancher
téléviseur et ventilateurs et de boucler les toilettes à
double tour dès avant le départ et menace des pires avanies
l'intrépide qui aurait l'outrecuidance de modifier la position
de son siège. Le chauffeur de bus, c'est une des constantes de
la profession, préférera toujours vous agonir pour un papier
par terre que mettre un sac poubelle à votre disposition. Le chauffeur
de bus ne comprendra jamais pourquoi vous tenez à visiter des endroits
courus et urbains, des musées par exemple, alors qu'il fait si
bon dans ce relais autoroutier où il peut se garer facilement et
où il ne paie pas ses repas. Pour moi, je ne le cache pas, le chauffeur
de bus est un con.
Nous arrivons à Paris après six heures de conversation de
chauffeur de bus et d'humour de chauffeur de bus. Magnanime, il a consenti
à nous débarquer à moins de trois kilomètres
de notre but premier, Beaubourg. Je retrouve avec plaisir les collections
permanentes du Musée National d'Art Moderne, que j'ai souvent délaissées
au profit des expositions temporaires ces dernières années.
L'étage consacré aux oeuvres d'après 1960 contient
des choses proprement renversantes et Joseph Beuys mérite bien
l'immense place qui lui est allouée. Un regret, celui de ne pas
avoir eu le temps d'aller jeter un oeil sur l'exposition consacrée
à Jean Hélion mais il faut poursuivre notre périple.
En métro d'abord, où nous parvenons à conserver la
totalité de notre effectif jusqu'à la Défense. En
ascenseur ensuite pour atteindre le sommet de la Grande Arche, une ascension
vraiment impressionnante. Malheureusement, au sommet, le brouillard bouche
l'horizon et nous empêche de goûter la perspective. Il nous
reste un peu de temps pour arpenter les galeries fantomatiques de cet
endroit qui apparaît comme un fiasco touristique : une exposition
anémique, des maquettes poussiéreuses, des photos déjà
ternies, un film qui passe pour la huit cent millième fois (ça
se voit et ça s'entend), un café et un restaurant vides,
des hôtesses qui s'ennuient, une boutique de souvenirs où
on vend encore des pin's...
16 heures, il est temps de repartir. Il faut trois heures pour sortir
de Paris (considérations du chauffeur sur la vie parisienne). C'est
après Château-Thierry que le bus commence à donner
des signes de faiblesse, peine à atteindre le sommet des côtes.
Deux heures de route à 40 km/heure et pouf, la panne. Filtre
bouché, gicleur encrassé, que sais-je. Les CRS débarquent
pour sécuriser le véhicule et nous enjoindre de ne surtout
pas laisser les enfants en sortir : l'aire de repos sur laquelle nous
sommes parqués est davantage connue pour les mœurs dissolues qu'elle
abrite que pour ses frais ombrages. Au bout d'une bonne heure arrive un
dépanneur de Toul qui époussette le filtre déficient,
et re-vogue la galère. Pendant ce temps-là, les parents
des élèves nous attendent sur le parking et commencent à
nous bombarder d'appels téléphoniques incendiaires. Et si
nous arrivons au port avec deux heures et demie de retard, ce n'est certainement
pas la faute du chauffeur : le chauffeur de bus n'est jamais en retard.
Je me couche à l'heure où je me suis levé la veille.
Lecture de bus.
Ernestine écrit partout, volume 1, 1999 (Ernestine Chasseboeuf,
Gingko éditeur, 2003, coll. Biloba; illustrations de Quentin Faucompré;
160 p., 9 €).
Qui ? Ernestine Chasseboeuf, 89 ans au moment des faits, résidant
à Coutures dans le Maine-et-Loire, deux fois veuve. Aime la lecture,
la radio, la paix et le jardinage.
Quoi ? Des lettres. Ernestine aime aussi troquer la bêche pour la
plume et écrire des lettres.
Où ? Ernestine écrit partout. Au notulographe, par exemple,
pour lui adresser son livre mais aussi aux journaux, aux radios, aux hommes
politiques (lettre au premier magistrat de Salles en Gironde, qu'elle
n'ose appeler Maire de Salles), à France Télécom,
aux militaires, à son diocèse, aux fabricants de sucre,
de fromage, de confiture, de chaussures... Préférant s'adresser
au Bon Dieu qu'à ses saints, Ernestine interpelle toujours "Monsieur
le Directeur".
Quand ? Du 10 février au 20 décembre 1999. C'est l'époque
où Jean Lebrun anime Culture Matin, c'est l'époque où
j'écoute encore France Inter parce que Laurent Ruquier me fait
rire. C'est aussi l'époque de la guerre du au Kosovo.
Comment ? Ernestine écrit dans un style direct et brut, le plus
souvent courtois. Ses lettres sont parfois accompagnées de poèmes
bucoliques, voire rustiques.
Pourquoi ? On peut relever trois motivations principales dans les courriers
d'Ernestine. Premièrement, se plaindre, deuxièmement, réclamer,
troisièmement enguirlander. Cette troisième rubrique est
principalement nourrie par le pacifisme d'Ernestine, pacifisme viscéral
qui l'amène à écrire à quelques va-t-en-guerre
(militaires, éditorialistes) sans mâcher ses mots comme ici
à Michel Grégoire ("directeur de l'après-midi
à France Inter") : "Déjà les chansons c'est
minable, vous passez n'importe quoi en faisant mine que c'est du supérieur
et ça vaut rien, et en plus vous invitez cet abruti de Général
Bigeard en lui faisant des ronds de jambe, c'est-y que vous avez peur
d'être mobilisé au Kosovo ? Vous voulez vous faire pistonner
pour rester à l'arrière ou pour avoir du rab de rata ? Moi,
il m'a pas fait pleurer avec les lettres de ses petits gars en Indochine,
ces gentils petits soldats-là, c'est les mêmes que ceux qui
massacrent, qui torturent et qui violent les petites filles en Bosnie
et au Kosovo, alors arrêtez de lécher le cul aux militaires
sinon je vous écoute plus du tout."
Qui ? (bis) Qui est Ernestine Chasseboeuf ? La question taquine le microcosme
éditorial depuis un moment. Les personnes détentrices d'une
certaine autorité que j'ai pu interroger m'ont toutes livré
un nom différent. Comme tout le monde, j'ai ma petite idée,
fausse, comme celle de tout le monde.
Aveu. J'ai plagié Ernestine par anticipation. Comme elle, j'ai
pratiqué longtemps le matraquage épistolaire sur des sujets
aussi primordiaux que la durée de trempage des biscuits REM, la
qualité des bouchons de ketchup Heinz, le manque de politesse des
pandores en faction devant l'Élysée... Comme elle, j'ai
fréquemment écrit à la radio, mais aussi à
la télévision. J'ai écrit à l'ambassade des
États-Unis pour devenir marraine de guerre d'un soldat US. Comme
Ernestine, j'ai eu une lettre publiée dans le courrier des lecteurs
de Télérama. C'était dans le numéro du 4 janvier
1987. A cette époque, mon nom ne s'étalait pas encore en
lettres de feu dans les livres (ça y est, je m'emporte à
nouveau) et avoir une lettre publiée dans Télérama
signifiait atteindre le sommet de la gloire. J'étais persuadé
que tout le monde lisait Télérama, particulièrement
le courrier des lecteurs, et je m'attendais à crouler sous les
félicitations. Les seules personnes qui m'ont félicité
sont celles à qui j'avais envoyé photocopie de la page du
magazine.
Extrait (de ma correspondance). Lettre envoyée le 25 septembre
1994 à ELF distribution, 13, boulevard de la Commanderie, 75019
PARIS. En ce temps-là, on recevait un livre en cadeau contre l'achat
de trente litres de carburant.
"Monsieur,
j'ai été très sensible à votre campagne estivale
consistant à offrir des livres à vos clients. En tant qu'enseignant,
toute initiative visant à réhabiliter et à favoriser
la lecture me semble louable et même essentielle. Cependant, j'aurais
aimé pouvoir profiter de cette opération. Or, je suis propriétaire
d'une 2 CV Citroën dont le réservoir ne peut contenir que
25 litres et vos distributeurs n'offraient un livre qu'à partir
d'une livraison d'un minimum de 30 litres, ce qui m'interdisait de profiter
de votre action. Encore une fois, cette dernière était on
ne peut plus louable. Il est cependant fâcheux que les conducteurs
de petites cylindrées en aient été privés,
passant ainsi à côté d'une ouverture culturelle des
plus bénéfiques.
Je vous prie de croire, etc."
Pièces jointes : photocopie de la carte grise du véhicule
et photocopie du livret technique portant la mention surlignée
"Capacité du réservoir : 25 litres".
SAMEDI.
Football. S.A.Spinalien - A.S. Saint-Etienne
(2) 4 - 3. Après la défaite contre Blois en Coupe de France,
le président du SAS, indigné par la prestation de ses joueurs,
avait décrété que l'entrée au stade serait
gratuite jusqu'à la prochaine victoire de ses troupes. Je suis
bien content d'avoir à payer ma place pour le prochain match.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°198 - 20 février 2005
DIMANCHE.
Courriel. Pas de menaces de mort dans
ma boîte à lettres. Il n'y a pas de chauffeurs de bus parmi
les notuliens.
TV 1. Rugby : Angleterre - France
17 - 18. Je regarde le début sans conviction. Celle-ci n'arrive
qu'après le premier geste d'anti-jeu anglais, qui ne tarde pas
: plaquage à retardement volontaire sur un arrêt de volée
à la cinquième minute. A partir de là, je retrouve
la passion et oublie le côté ennuyeux du spectacle pour goûter
le plaisir de voir l'Anglais défait.
TV 2. Les Amateurs (Martin
Valente, France, 2003 avec Lorànt Deutsch, Jalil Lespert, Pascal
Légitimus, François Berléand; diffusé sur
Canal + en janvier 2005).
Deux jeunes de banlieue échouent dans toutes leurs tentatives de
séduction. A la suite d'un malentendu, ils sont soupçonnés
d'être des braqueurs de banque.
Malheureusement, l'amateurisme dont le titre fait état est surtout
celui du réalisateur, incapable de donner corps à son histoire.
Des comédiens sympathiques sont embarqués dans une entreprise
pleine de bonnes intentions (le dealer Légitimus a un cœur d'or,
les deux jeunes de la cité font des efforts pour échapper
à leur condition, le patron Berléand qui emploie l'un d'eux
se découvre des tendances sociales insoupçonnées)
mais sont la plupart du temps occupés à meubler le vide
du scénario avec des dialogues creux filmés platement. Reste
que le film est à voir pour la minute qui voit apparaître
Robert Rollis, ancien des Branquignols, pensionnaire des Disparus de
Saint-Agil (1938), qui joue ici un tétraplégique. Espérons
qu'il s'agit pour lui d'un rôle de composition.
LUNDI.
Vie domestique. Je livre un combat
inégal contre une porte d'armoire qui est sortie de ses gonds.
A la fin de la journée, c'est moi qui suis dans cette situation
devant l'inanité de mes efforts.
Cinéma. Closer - Entre adultes
consentants (Closer, Mike Nichols, E.-U., 2004 avec Julia Roberts,
Jude Law, Clive Owen, Natalie Portman).
Chassé-croisé amoureux entre deux hommes et deux femmes
dans le Londres des années 2000.
Closer est un film ambitieux qui marque le souci de Mike Nichols
de se démarquer de la production ordinaire. L'économie du
sujet, quatre personnages et quelques silhouettes mais pas de personnages
secondaires, pas de faire-valoir, des situations et des propos crus plutôt
inattendus de la part de Jude Law et de Julia Roberts font du film un
produit plutôt original. Cependant, le réalisateur semble
un peu trop tenu au texte de la pièce théâtrale à
l'origine de son projet. Le sujet, c'est le couple, la liberté
et les contraintes qu'il permet et impose, deux hommes pris entre deux
femmes, deux femmes prises entre deux hommes ou plutôt choisies
alternativement par deux hommes car elles ne semblent pas vraiment décider
de leur sort. Disons que c'est assez osé et engagé pour
un film américain (les stars ont pris quelques risques par rapport
à leur image) mais que ça ne vaut pas par exemple 5 x
2 de François Ozon.
MARDI.
TV. Un mauvais garçon
(No Man of Her Own, Wesley Ruggles, E.-U., 1932 avec Clark Gable,
Carole Lombard; diffusé sur CinéClassics en mars 2004).
Un petit escroc, spécialiste des jeux de cartes truqués,
tombe amoureux d'une innocente jeune fille et tente de se racheter une
conduite.
Donnant toute latitude à son couple vedette, Wesley Ruggles laisse
se dérouler l'histoire prévisible d'un mauvais garçon
que l'amour remet dans le droit chemin. L'intérêt du film
(tombé dans les oubliettes et absent des dictionnaires du cinéma)
vient de la découverte d'un Clark Gable sans moustache, assez mal
dégrossi (la diction empâtée, l'accent encore lourd)
qui épouse ici Carole Lombard comme il le fera neuf ans plus tard
pour de vrai (et pour peu de temps puisqu'elle mourra dans un accident
d'avion en 1942).
JEUDI.
Vie mondaine. Alice est invitée
à son premier raout enfantin chez une condisciple qui fête
son anniversaire. Comme les parent de celle-ci sont gardiens de prison,
on leur fait confiance pour la garde des enfants.
Cinéma. Melinda et Melinda
(Melinda and Melinda, Woody Allen, E.-U., 2004 avec Chloë
Sevigny, Rhada Mitchell, Amanda Peet, Chiwetel Ejiofor, Will Ferrell;
Jonny Lee Miller, Wallace Shawn, Neil Pepe, Stephanie Roth Haberle).
Melinda, une jeune femme dépressive, s'installe dans la vie d'un
couple new-yorkais.
Ce thème est traité en parallèle de deux manières
différentes, vu par un scénariste adepte de la comédie
et par un auteur dramatique. Ce procédé de l'intrusion des
scénaristes modifiant l'histoire au cours du film a déjà
été utilisé, par exemple par Robert Guédiguian
dans A l'attaque ou, plus loin encore, par Julien Duvivier dans
La Fête à Henriette (1952). Cela n'a guère
d'importance : on n'attend pas de grandes audaces formelles ou narratives
de la part de Woody Allen. Celui-ci, après s'être égaré
ces dernières années sur des sujets divers (film musical,
parodies de film de gangster, d'aventure ou policier) renoue avec ce qu'il
sait faire de mieux : le marivaudage intellectuel new-yorkais. Comme Paul
Auster ou Lawrence Block en littérature, Woody Allen sait utiliser
New York au mieux, son cadre et la tranche aisée de sa population
qu'il décortique avec un oeil amusé et attendri. Des deux
volets, c'est le comique qui est le plus réussi, grâce notamment
à l'acteur Will Ferrell qui prend le rôle que le réalisateur
se serait attribué s'il n'avait atteint la limite d'âge.
On retient de l'expérience le plaisir de retrouver le Woody Allen
que l'on préfère mais on regrette qu'il ait perdu une grande
partie de son public dans ses derniers errements : deux spectateurs dans
la salle ce soir.
VENDREDI.
Vie (train de). Quand on tient une
pharmacie en ville, on se doit d'aller aux sports d'hiver. C'est une question
de standing. Donc aujourd'hui, expédition à Rochesson pour
Caroline et Lucie. Une piste grande comme une descente de garage mais
un remonte-pente tout de même. Loisir de luxe : le prix du forfait
(4 €) nous promet des jours de vache maigre.
TV. Maine-Océan (Jacques
Rozier, France, 1986 avec Bernard Menez, Luis Rego, Yves Afonso, Lydie
Feld, Rosa-Maria Gomes; diffusé sur CinéCinéma Auteur
en septembre 2004).
Deux contrôleurs de train passent un week-end à l'île
d'Yeu. Ils y retrouvent une voyageuse récemment verbalisée
par leurs soins et un pêcheur bien décidé à
venger cette dernière.
Entrer dans un film de Jacques Rozier, c'est s'embarquer dans un voyage
des moins organisés qui soient. Dix ans auparavant, Les Naufragés
de l'île de la Tortue fonctionnait sur le même principe
: des personnages disparates rassemblés en quête d'un lieu
où leur personnalité va se révéler. Si la
destination de Maine-Océan est moins exotique, le principe est
le même et Rozier n'a pas changé non plus dans sa manière
de faire alterner les brèves péripéties et les longues
séquences un peu vides dont on ne sait si elles proviennent d'une
volonté de mise en scène, d'une stérilité
scénaristique ou d'un dépassement du budget du film qui
oblige à planter la caméra à un endroit avec interdiction
d'en bouger. Cette histoire en tout cas bénéficie d'interprètes
hors du commun, Bernard Menez qui joue le contrôleur obtus à
qui tout passager de la SNCF a eu affaire un jour, et surtout Yves Afonso,
inoubliable Marcel Petitgars, pêcheur îlien à l'accent
incompréhensible et aux mimiques irrésistibles. Les aficionados
de Jean-Pierre Brisset apprécieront les quelques scènes
qui se déroulent en gare d'Angers.
SAMEDI.
Vie politique. Depuis que Le Canard
enchaîné a révélé qu'il occupait un
appartement de 600 mètres carrés au loyer mensuel,
payé par l'État, de 14 000 euros, Hervé Gaymard,
ministre des finances et apôtre de la rigueur budgétaire,
va partout clamant son goût pour l'honnêteté, la modestie
et la simplicité. Les enfants Gaymard se prénomment Philothée,
Bérénice, Thaïs, Amédée, Eulalie, Faustine,
Jérôme-Aristide et Angelico. Il y a des gens qui sont d'une
simplicité proprement émouvante.
TV. Yolanda et le voleur (Yolanda
and the Thief, Vincente Minnelli, E.-U, 1945 avec Fred Astaire, Lucille
Bremer, Frank Morgan, Mildred Natwick; diffusé sur TCM en décembre
2001).
Un escroc séduit la crédule héritière d'un
royaume imaginaire en se faisant passer pour son ange gardien. Mais l'amour
remplace bientôt l'appât du gain.
En 1945, Minnelli réalise son cinquième film. C'est encore
un Minnelli en construction mais désormais sous contrat avec la
MGM, ce qui lui donne des moyens. De fait, on trouve dans Yolanda les
prémices de plusieurs thèmes minnelliens : l'utopie, avec
Patria, le paradis exotique qui sert de cadre à l'intrigue ("The
land of milk and money" selon Frank Morgan), la romance, le masque
de respectabilité qu'on se donne pour cacher sa véritable
personnalité (comme dans Le Pirate), le rêve, et,
puisqu'il s'agit d'une comédie musicale, l'inventivité des
scènes dansées. La musique n'est pas formidable et aucune
des chansons n'est passée à la postérité mais
il y a au cœur du film un ballet onirique dans des décors dignes
de Dali qui annonce la splendeur du final d'Un Américain à
Paris.
Pendant ce temps... Chez les Gaymard, chassés de leur palais, une
voix s'élève : "Jérôme-Aristide, es-tu
sûr d'avoir bien fermé la porte de la caravane ?"
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°199 - 27 février 2005
DIMANCHE.
Vie domestique. La porte d'armoire
qui résistait depuis lundi dernier est enfin vaincue. Confirmation,
s'il en était besoin, du fait que je suis bien un bricoleur du
dimanche, et du dimanche uniquement.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
TV. Grande école (Robert
Salis, France, 2003 avec Grégori Baquet, Alice Taglioni, Jocelyn
Quivrin, Salim Kechlouche; diffusé sur Canal + en février
2005).
Nouvel élève d'une prestigieuse école de commerce,
Paul se découvre une attirance pour les hommes et néglige
sa fiancée.
Robert Salis essaie de situer son film sur deux axes, celui de l'expérience
sexuelle, l'ambiguïté des êtres, le trouble qu'elle
suscite, et celui de la critique sociale. Le premier donne lieu à
des scènes parfois maladroites, parfois complaisantes qui desservent
un propos qu'on devine sincère. Le second est traité avec
le même mélange de sincérité et de gaucherie
(le fils de famille tombe amoureux de l'ouvrier qui travaille dans son
école) mais bénéficie d'un cadre intéressant,
celui de ces grandes écoles qui, vues ainsi, vous amènent
à vous féliciter de n'en avoir jamais fréquenté
que des petites.
Curiosité. Le directeur de l'école est interprété
par le Spinalien Pierre Aussedat, un poste prestigieux mais un petit rôle.
LUNDI.
Cinéma. Aviator (The
Aviator, Martin Scorsese, E.-U., 2004 avec Leonardo DiCaprio, Cate
Blanchett, Kate Beckinsale, Gwen Stefani, Adam Scott, John C. Reilly,
Alec Baldwin, Alan Alda, Jude Law).
La vie mouvementée de Howard Hughes, producteur de cinéma
et passionné d'aviation.
Les fâcheux. Ils sont trois. Papa, maman et le grand cornichon.
Je suis sûr qu'ils m'ont visé, moi, tranquille au deuxième
rang, isolé, comme d'habitude, peinard. Les trois, juste derrière
moi. Le cornichon qui bâfre bruyamment, Maman qui empeste, Papa
qui commente le film à grands coups de pied dans mon dossier. Je
déménage en vitesse.
Le titre n'est pas trompeur. Des deux faces de la vie du Hughes, c'est
celle qu'il a consacrée aux avions (record de vitesse, conception
de modèles révolutionnaires, création et direction
de la TWA) qui est principalement à l'honneur dans le film. C'est
elle qui donne lieu aux deux moments de bravoure, un crash avec Hughes
aux commandes d'un prototype, séquence époustouflante, et
la passe d'armes, plus conventionnelle, entre le magnat et un sénateur
au cours d'une commission d'enquête. Du cinéma, on ne verra
que la reconstitution du tournage de Hell's Angels, quelques allusions
à Scarface et la polémique sur la poitrine de Jane
Russell dans Le Banni. Le film est tout de même traversé
par une pléiade de vedettes, de Clark Gable (apparition fugitive)
à Erroll Flynn (imbuvable de fatuité) et par les conquêtes
de Hughes, Katherine Hepburn et Ava Gardner.
Bien sûr, aux prises avec une vie aussi tumultueuse, Scorsese a
dû faire des choix. Celui par exemple de ne traiter qu'une période
de la vie du milliardaire, de 1927 à 1946. Pas d'enfance, pas de
vieillesse, juste la fleur de l'âge, celle qui permet de voir le
passage du jeune prétentieux à l'âge adulte. Au fil
des succès et des épreuves, Hughes, ou plutôt le Hughes
de Scorsese, devient de plus en plus dense, de plus en plus complexe.
Les habitudes deviennent des tics, les manies et les phobies apparaissent
(écholalie, myxophobie), les lézardes deviennent visibles.
Inutile de montrer les denières années, la claustration
finale, on la devine aisément. Ce cheminement est parfaitement
rendu par l'interprétation de DiCaprio, acteur qu'on a longtemps
cru trop lisse et qui démontre sa profondeur de façon magistrale.
La ressemblance physique avec le jeune Orson Welles, celui de Citizen
Kane, va s'accentuant au cours du film et ce n'est sans doute pas un hasard.
Scorsese oublie aussi, et c'est plus gênant, l'antisémitisme
et le racisme féroces de Hughes.
En consacrant son immense savoir au film biographique, Scorsese rend hommage
au genre, aux biopics de la Warner, à un cinéma qui prend
le spectateur par la main pour son plus grand plaisir. Mais tout en respectant
le cahier des charges d'un film de commande, le réalisateur reste
fidèle à son univers (la splendeur artificielle du Coconut
Groove, la cantine préférée de Hughes, est la même
que celle de la grande salle de Casino) et à ses thèmes
de prédilection, la passion, la gloire et la chute.
Curiosité. "Mais le livre qui m'a le plus bouleversée,
c'est Les Choses de Georges Perec. Il offre une vision désenchantée,
lucide et angoissante de notre société. Je le relis souvent.
L'Homme qui dort, du même auteur, me plaît également
beaucoup. L'action se déroule presque intégralement dans
une chambre. Perec parvient à faire exister cet espace confiné
et vide d'une manière incroyable." (Kate Blanchett au magazine
Studio de février, merci à C.G.).
MARDI.
Vie mécanique. Je conduis une
auto au contrôle technique (il faut changer les rotules de je ne
sais quoi) et assiste à l'avulsion d'un clou planté dans
le pneu de la seconde.
Courrier. Arrivée d'un disque
de M. Ward, Transfiguration of Vincent et de la troisième
série des DVD du Monde.
TV. The Gilded Lily (Wesley
Ruggles, E.-U., 1935 avec Claudette Colbert, Fred MacMurray, Ray Milland,
Donald Meek; diffusé sur Ciné Classics en ?).
Une jeune new-yorkaise tombe amoureuse d'un Anglais de la haute société
qui voyage incognito.
C'est probablement dû à la trop longue fréquentation
de Jean-Christophe Averty : j'ai une forte tendance à magnifier,
en musique ou en cinéma, tout ce qui est daté, noir et blanc,
ce qui craque et crachote, les hommes à chapeau et les femmes en
robe longue. Je râle contre le mélo, sauf lorsqu'il est signé
John M. Stahl ou Douglas Sirk, ne supporte la comédie musicale
que si elle est signée Minnelli, adore les navets à condition
qu'ils datent des années cinquante, les chansons idiotes mais interprétées
par Georgius, Bourvil ou Fernandel, maudis l'accordéon s'il n'est
pas manié par Gus Viseur. Cependant, il y a quelques expériences
qui remettent les choses à leur place. Ce film, par exemple, inepte,
mou, bavard, ennuyeux. Wesley Ruggles semble dépendre essentiellement
de ses interprètes : dans Un mauvais garçon, vu la
semaine dernière, Clark Gable et Carole Lombard bonifiaient une
histoire très convenue alors qu'ici Claudette Colbert et Ray Milland
n'ont aucune envergure et seule la nonchalance de Fred MacMurray présente
un petit intérêt.
Lecture. Pars vite et reviens tard
(Fred Vargas, J'Ai Lu policier n° 7461; 352 p.).
Un crieur public trouve dans sa boîte d'étranges messages
en latin ou en ancien français parlant d'un fléau venu du
fond des âges. Des signes étranges, des chiffres 4 inversés,
apparaissent sur les portes de certains immeubles parisiens. Le commissaire
Adamsberg, conscient d'une terrible menace, enquête.
On considère souvent le polar comme un genre quasi documentaire,
miroir fidèle d'une société. Ce n'est pas faux :
on en apprend plus sur la France des années Pompidou en lisant
Jean-Patrick Manchette que Raymond Aron, et le meilleur guide de la Suède
d'aujourd'hui se trouve certainement dans les livres de Henning Mankell.
Tous les auteurs ne succombent pas à cette tentation sociologique.
Habilement, Fred Vargas, avec sa série consacrée au commissaire
Adamsberg, refuse le présent dans ses intrigues. Non pas, comme
beaucoup, en se réfugiant dans le polar historique, mais en faisant
intervenir dans le quotidien contemporain des menaces qui semblent dater
d'un autre temps : un loup-garou dans L'Homme à l'envers,
un tueur d'un âge patriarcal dans Sous les vents de Neptune,
la peste dans Pars vite et reviens tard. Les peurs suscitées
par ces fléaux sont en revanche bien modernes et nécessitent,
pour les vaincre, la présence d'un personnage décalé
par rapport à son époque, le commissaire Adamsberg. "Je
me demande, dit le commissaire Adamsberg, si, à force d'être
flic, je ne deviens pas flic." Adamsberg est un être à
part, qui résout ses enquêtes en dormant ou en marchant.
Suivi par le fidèle Danglard, son adjoint qui a depuis longtemps
renoncé à comprendre les méthodes de son chef, il
est aussi secondé par de jeunes étudiants (les mêmes
que ceux qui apparaissaient aux côtés de Louis Kehweiler
dans Un peu plus loin sur la droite et Sans feu ni lieu).
Comme Maigret, il procède par infiltration et imprégnation
des milieux. Celui de la place Edgar-Quinet qu'il investit ici, avec son
crieur de nouvelles, son "Conseiller en choses de la vie", son
restaurant central et ses personnages pittoresques rappelle par bien des
traits la tribu Malaussène des meilleurs Pennac. Avec tous ces
ingrédients, Fred Vargas construit des livres faussement légers,
un peu hors du temps, qui suscitent un vrai plaisir de lecture.
MERCREDI.
Courrier. Une carte postale de Bruges.
Drôle d'endroit pour les sports d'hiver.
TV. Adaptation (Spike Jonze,
E.-U., 2002 avec Nicolas Cage, Meryl Streep, Chris Cooper, Tilda Swinton;
diffusé sur Canal + en février 2005).
Premier étage : John Laroche, un marginal passionné de nature,
organise des expéditions pour voler des orchidées protégées
dans des parcs naturels.
Deuxième étage : Susan Orlean écrit un livre sur
John Laroche.
Troisième étage : Le scénariste Charlie Kaufman est
choisi pour écrire l'adaptation du livre pour le cinéma
mais reste bloqué devant sa page blanche.
Quatrième étage : Charlie Kaufman est le scénariste
d'Adaptation. Réputé et vénéré dans
le milieu depuis l'audacieux Dans la peau de John Malkovich, il
se tourne ici vers l'autobiographie pour raconter ses angoisses, ses blocages
et la mort de son frère à qui le film est dédié.
Le spectateur, promené sur les quatre niveaux de cette construction
audacieuse, changeant d'étage sans être prévenu, a
bien du mal à s'y retrouver au début mais après un
temps d'adaptation, justement, parvient à trouver le fil et se
laisse guider. Ce film amer, ambitieux, est servi par un Nicolas Cage
volontairement empâté et éberlué, aux yeux
pleins d'une tristesse infinie.
JEUDI.
Abonnement. Les notules gagnent Lisbonne.
Courrier. Je reçois le magnifique
catalogue des travaux de l'Oupeinpo (Ouvroir de Peinture Potentielle),
Du potentiel dans l'art.
TV. The Shield (série
américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, avec Michael
Chiklis, CCH Pounder, Benito Martinez, Jay Karnes; saison 3, épisode
1; diffusé sur Canal + le soir-même).
Apparemment, Canal + a soufflé la série à Canal Jimmy
qui avait diffusé les deux premières saisons. C'est le seul
changement notoire, car The Shield redémarre comme si de
rien n'était. Rappelons qu'elle met en scène la brigade
de choc d'un commissariat de Los Angeles situé dans une zone à
risque où les gangs font la loi. A la tête de cette escouade,
Vick Mackey, un petit flic rondouillard qui n'a pas l'habitude de s'enquiquiner
avec le protocole, franchement véreux et violent et qui dégage
le même mélange de fascination/répulsion que Tony
Soprano dans la série consacrée aux mafiosi new-yorkais.
Comme dans les saisons précédentes, l'intrigue interne,
celle qui concerne une enquête circonscrite à l'épisode
(souvent une question de pouvoir entre bandes rivales qu'il s'agit de
régler) est assez complexe mais ce qui compte vraiment, c'est l'évolution
des personnages d'un épisode à l'autre : la carrière
politique du chef du commissariat, les affres de Julian, le policier noir
homosexuel qui vient de se faire tabasser par ses charmants collègues
et surtout Mackey et sa bande qui ont mis la main sur le trésor
de guerre de la mafia arménienne et qui comptent bien en profiter
personnellement...
VENDREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
Délocalisation. Les dernières
fois où je suis venu à Luxeuil-les-Bains, c'était
pour y faire de la musique avec Garlamb'Hic, le groupe dans lequel j'officiais
alors. D'abord au sous-sol d'une sorte de pizzeria cabaret où nous
avions tout de même réussi à attirer une bonne huitaine
de personnes, puis un soir, il y a bientôt dix ans, dans un bistrot
qui s'appelait alors Le Point du Jour. Soirée mémorable,
puisque nous étions à l'affiche avec une strip-teaseuse.
Il nous était déjà arrivé de partager la scène
avec un clown ou un magicien, avec des animateurs, avec des marchands
de soupe au cours de shows commerciaux, avec d'autres musiciens bien sûr
mais là, une effeuilleuse, c'était une première.
La bayadère s'appelait Cindy, enfin, c'était son nom de
scène, et elle était accompagnée d'un type qui se
disait son impresario, une espèce de rastaquouère au poil
gras et à l'air franc comme un âne qui recule. Cindy avait
à son répertoire trois tableaux. Dans le premier, elle apparaissait
déguisée en cow girl, dans le second en nonne et dans le
troisième je ne sais plus, peut-être tout simplement en danseuse
sans linge. Dès sa première apparition, Calamity Jane entreprend
de faire des moulinets avec son revolver, se mélange les doigts
et le flingot se brise à terre en quatre ou cinq morceaux. Tête
de l'impresario à l'idée de courir les magasins de jouets
le lendemain matin pour acheter un colt en plastique qui ne fasse pas
trop ringard. Entre les tableaux, nous, on essayait de faire un peu de
musique. C'est là que nous nous sommes aperçus que le public
n'était pas vraiment venu pour nos entendre et que nous allions
avoir du mal à susurrer nos romances au milieu des CIN-DY CIN-DY
poussés par l'assistance. Celle-ci était composée
en grande partie de militaires venus de la base aérienne, toute
proche, de Saint-Sauveur, à la libido visiblement mitée
par la vie de caserne. Nous avions tout de même pu venir à
bout de notre répertoire et sortir indemnes de ce traquenard, tout
heureux de n'en avoir pas été chassés à coups
de cailloux.
Aujourd'hui, Le Point du Jour s'appelle La Brass' mais l'intérieur
est resté le même, avec l'arrière-salle où
nous avions joué et le débarras qui servait de loge à
Cindy et où nous aurions bien aimé aussi poser notre vestiaire
mais las, l'impresario veillait. J'y bois un verre avec Caroline en attendant
l'heure du spectacle pour lequel nous sommes venus, la Lettre au père
de Kafka à l'Espace Molière. Le théâtre
est à côté du casino, le parc de stationnement est
rempli mais la salle sonne le creux : le black jack fait de l'ombre au
sombre Franz. Je comptais beaucoup sur ce spectacle pour me réaccoutumer
à un genre que je fréquente peu mais ce sera pour une autre
fois. Les idées de mise en scène sont peu convaincantes
(que faut-il comme mise en scène à ce texte, en réalité,
à part un type qui lit une lettre assis sur une chaise) et surtout
l'acteur a choisi d'en faire des tonnes, d'implorer le père les
bras au ciel, de clamer, de se battre la poitrine (que le pauvre Franz
avait bien creuse), tout ça pour un texte qui tient debout tout
seul, rien que par les mots, l'acuité, la force, la vérité
coupante des mots. "Tellement de clichés ont pesé sur
Kafka, parce qu’on voulait trop qu’il ressemble aux personnages de ses
oeuvres : même Max Brod y a contribué, bien trop tôt.
L’œuvre secoue notre lecture du monde, les fonctionnaires, le pouvoir,
notre désarroi, alors on invente l’adjectif kafkaïen et on
fait de l’œuvre la preuve de l’adjectif", pouvait-on lire cette semaine
chez
François Bon. Cette représentation ne reposait que
sur le cliché. Dommage, je me réconcilierai avec le théâtre
un autre jour.
SAMEDI.
TV. Soirée multi-sports, j'enchaîne
France - Pays de Galles en rugby, enregistré dans l'après-midi
(18-24 mais plus de jeu dans les cinq premières minutes que dans
la totalité du dernier Angleterre - France) et la soirée
football sur Canal +.
Bon dimanche.
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