Notules dominicales 2005
 
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Notules dominicales de culture domestique n°227 - 2 octobre 2005

DIMANCHE.
Vie ichtyologique. Les filles reviennent de la fête foraine avec un nouveau pensionnaire, un poisson gagné à la pêche au canard. Comprenne qui pourra. En attendant, bienvenue à Vermillon IV.

TV. Qui perd gagne ! (Laurent Bénégui, France, 2004 avec Thierry Lhermitte, Elsa Zylberstein; diffusé sur Canal + en septembre 2005).
Une enquêtrice de la brigade des jeux fait appel à un joueur professionnel pour percer le secret d'un professeur de mathématiques qui affirme avoir trouvé une martingale pour gagner au Loto. Et qui le prouve.
Ce n'est pas un film sur le jeu qui chercherait à concurrencer L'Arnaqueur ou les autres réussites majeures du genre mais un petit film habile et bien construit qui a déjà le mérite de présenter une intrigue qui tient le coup presque jusqu'au bout (il y a arnaque, tout le monde le sait, mais laquelle ?). Il aborde en plus des thèmes qui m'intéressent particulièrement : l'hypermnésie et le jeu vu sous l'angle des probabilités, présentés d'une façon suffisamment bien documentée et bien illustrée pour écœurer quiconque caresserait l'espoir de vivre assez longtemps pour gagner un jour une somme substantielle au loto. Heureusement qu'il n'y a pas que le hasard et qu'il nous reste la science, la vraie, le turf.

LUNDI.
TV. The Station Agent (Thomas McCarthy, E.-U., 2003 avec Peter Dinklage, Patricia Clarkson, Bobby Cannavale; diffusé sur CinéCinéma Auteur en janvier 2005).
Fin, un nain passionné de trains s'installe dans une gare désaffectée que lui a léguée son employeur. Le calme qu'il espère y trouver n'est pas exactement au rendez-vous.
En effet, Fin se trouve rapidement assailli par un vendeur de hot-dogs qui a installé sa caravane en face de sa gare, une femme peintre qui manque de l'écraser à deux reprises et une jeune obèse qui veut absolument l'inviter à son école pour parler de sa passion ferroviaire. C'est d'abord ça, The Station Agent : un film sur l'impossibilité d'être tranquille, même dans un coin des plus reculés du New Jersey. Pourtant, en quittant la ville, Fin s'est éloigné des méchancetés et des sarcasmes que lui vaut sa petite taille. Ses nouveaux voisins ne lui veulent que du bien, ne désirent que son amitié. Celle-ci sera difficile à conquérir, fera l'objet d'un lent cheminement de l'un vers les autres. Ce n'est pas grave : le réalisateur a le temps, construit son histoire patiemment, multiplie les longs plans du petit homme, infime ligne verticale, marchant le long des voies ferrées qui filent vers l'infini. Et le spectateur se laisse gagner par cette lenteur, s'attache à des personnages filmés avec une vraie tendresse, et finit conquis, persuadé qu'il a vu là un des films les plus humains de la production récente.

MARDI.
Courrier. Je reçois un disque de Sufjan Stevens et les deux fascicules du catalogue de Littérature conjecturale (Anticipation ancienne, Voyages imaginaires, Utopies, Uchronies, Fins du monde, Imagination scientifique et Guerres futures) dus à la fort notulienne Librairie du Scalaire (Lyon).

MERCREDI.
Vie capillaire. Séance matinale chez le coiffeur. Ou plutôt, chez un coiffeur, ou une coiffeuse, il y en a plusieurs. La pharmacie compte en effet un certain nombre de figaros parmi ses clients et, pour ménager la susceptibilité commerciale de chacun, nous confions nos crinières tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Je vais souvent chez le coiffeur. Non pas parce que mes cheveux poussent particulièrement vite mais parce que je dors toujours sur le même côté. Dès que ma toison dépasse les deux centimètres, j'ai le côté gauche tout hérissé, rebiqué, la vraie coiffure polochon. En maintenant une coupe rase, j'ai l'impression qu'on remarque moins que la station verticale n'est pour moi qu'un bref intermède obligé entre deux siestes.

TV. Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) (Arnaud Desplechin, France, E.-U., 1996 avec Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Emmanuel Salinger, Marianne Denicourt, Denys Podalydès, Jeanne Balibar, Fabrice Desplechin, diffusé sur CinéCinéma Auteur en janvier 2005).
Paul Dedalus (quelle prétention !), vingt-neuf ans, est maître-assistant en philosophie. Il cherche à rompre avec sa compagne Esther pour séduire Sylvia, la copine de son ami Nathan.
Quelle épreuve ! Trois heures de cinéma nombriliste indigeste au possible. Les atermoiements sentimentaux des protagonistes, leur manie d'intellectualiser chaque parcelle de leur existence dont l'univers est borné par la Sorbonne et Nanterre, donnent lieu à un monument de ridicule. On est bien loin de La Maman et la Putain de Jean Eustache, qui donnait la mesure d'existences vraiment tragiques... Olivier Assayas, dans Fin août, début septembre réussira un peu plus tard (1998) ce que Desplechin a voulu faire, le portrait d'une génération hésitante, aux repères flous, et ceci grâce à une vraie dramatisation du sujet et à un traitement romanesque qui font ici cruellement défaut. Les quasi débutants Amalric, Podalydès, Devos, Balibar trouveront très vite des réalisateurs et des rôles plus adaptés à leur talent. C'est tant mieux pour tout le monde.

Courriel. Deux nouvelles abonnées aux notules.

JEUDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 8 & 9, diffusés sur Canal + le soir même).
Ce n'est plus la peine de s'attarder sur les défauts de la série, le côté caricatural des personnages, le délayage des intrigues (avec les neuf premiers épisodes, on remplirait une petite demi-heure de The Shield), les facilités de mise en scène qui culminent ici dans un montage alterné très scolaire entre une scène d'amour (enfin) et une scène de meurtre (enfin bis). Le fait est que le jeudi est un bon jour parce que le soir, il y a Desperate Housewives alors on se s'éternise pas sur l'ordinateur, on couche les filles à temps, et la caisse est faite avant 21 heures... Inutile donc de faire le bégueule : c'est une très bonne série...

VENDREDI.
Cinéma. Les Âmes grises (Yves Angelo, France, 2005 avec Jean-Pierre Marielle, Jacques Villeret, Denis Podalydès, Marina Hands, Michel Vuillermoz, Serge Riaboukine, Thomas Blanchard, Agnès Sourdillon, Nicole Dubois, Franck Manzoni, Joséphine Japy).
Une fillette est assassinée dans un village de l'est de la France au cours de la guerre de 14. Deux déserteurs échappés du front tout proche font figure de coupables parfaits.
C'est un mystère : comment un roman réussi et passionnant peut-il donner un film aussi torpide et ennuyeux ? On peut accuser la "patte" du réalisateur : Yves Angelo avait déjà magistralement raté son Colonel Chabert d'après Balzac et reste prisonnier d'une esthétique téléfilm glacée et insipide. On peut aussi invoquer une certaine lassitude vis-à-vis de ce qui est devenu un marronnier de l'automne : le film sur la guerre de 14. On a déjà donné, les années précédentes, avec La Chambre des officiers, Un long dimanche de fiançailles... La Grande Guerre a beau être un vivier romanesque gigantesque, on tourne toujours les mêmes scènes : l'arrivée de la jeune institutrice, l'arrivée du courrier synonyme de rebondissement dramatique, les colonnes de soldats, les intérieurs de cafés... Et si on échappe ici aux scènes de tranchées, on a droit, ce doit être dans le cahier des charges, à la reconstitution de l'hôpital de fortune avec charpie sanglante autour des moignons. Philippe Claudel, l'auteur du roman, a participé à son adaptation et on se demande comment il a pu laisser échapper les deux principaux atouts de son récit : le flou entretenu sur l'identité du narrateur (la narration, dans le film est anonyme mais pas mystérieuse) et le point culminant de l'intrigue, la scène de ripaille après la capture des deux déserteurs, presque insignifiante ici. Apparemment, Angelo et Claudel ont tellement voulu créer une ambiance, un climat, quelque chose qui colle au titre et qui réponde parfaitement au concept d'âme grise qu'ils en ont négligé le meilleur, le récit. D'où la profusion de feuilles mortes, de nappes de brume, d'arbres nus, de vêtements sombres, de nuages de buée, du gris, du gris, rien que du gris avec en point d'orgue l'usine et le canal de Dombasle (le lieu de crime) dans le brouillard. Pour ma part, ça fait trente ans que je prends le train entre Épinal et Nancy et que je vois le canal et l'usine de Dombasle dans le brouillard... Dommage en tout cas pour Villeret qui, comme Bourvil en son temps, se révèle dans des rôles dramatiques juste avant sa mort : il n'est ici pas très éloigné de Peter Lorre. A sauver du brouillard : la séquence d'ouverture qui montre la crise de folie de l'instituteur.

SAMEDI.
Vie familiale. Nous partons en fin d'après-midi, direction Le Rouge Gazon, pour une rencontre familiale. En chemin, nous découvrons les nouvelles chansons d'Alain Souchon (disque acheté, non téléchargé) qui ne semble pas gagné par la jovialité avec le temps qui passe. Ça colle très bien avec une météo exécrable, les gouttes de pluie qui sillonnent le pare-brise sont sans doute vendues avec le CD.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°228 - 9 octobre 2005

DIMANCHE.

Rouge Gazon

Vie montagnarde. C'est la deuxième fois cette année que nous séjournons au Rouge Gazon et nous n'avons toujours pas pu y voir plus loin que le bout de nos chaussures. Les plus courageux s'adonnent à la marche dans le brouillard, je reste à l'auberge où se produit un phénomène inédit : pour la première fois, je viens à bout des lectures que j'ai emportées avec moi. Je vis en effet avec la perpétuelle angoisse de me trouver bloqué dans un endroit sans avoir quelques chose à lire et je pars toujours en vacances ou en week-end avec des tombereaux de bouquins et journaux dont je ne parviens pas la plupart du temps à parcourir un dixième. Mieux, je ne monte jamais dans une voiture sans un volume au cas où le trajet, si bref soit-il, devrait se terminer à l'hôpital. Au jour du grand saut, je plains les porteurs de ma boîte à dominos. En attendant, nous nous lestons de choucroute pour célébrer la Saint-Léger que le calendrier met aujourd'hui à l'honneur.

Lecture.
De Perec etc., derechef. Textes , lettres, règles & sens.
Mélanges offerts à Bernard Magné recueillis et présentés par Éric Beaumatin et Mireille Ribière (Joseph K., coll. Essais, 2005; 400 p., 28 €).
Le milieu universitaire ne m'est guère familier. Je n'ai pas moisi dans le sérail, ayant vite réalisé que nous n'étions pas faits l'un pour l'autre et les maigres lauriers académiques dont peut s'enorgueillir ma carte de visite ont été obtenus à (prudente) distance. J'ignorais donc jusqu'à ce jour l'existence de cette coutume des "Mélanges", recueil composé en hommage à un grand professeur à l'occasion de son retrait des affaires par ceux qui furent ses élèves, ses collègues ou ses proches. Cette ignorance se teinte, je dois le dire, d'une certaine admiration pour ceux qui parviennent à vivre, à survivre, à s'en tirer dans ce monde, qui réussissent à passer l'épreuve de la chambre sous les toits, du train du dimanche soir, des amphithéâtres trop garnis, des enseignants indifférents, des débats de cafétéria, des tracts de l'UNEF et des ravioli sur Butagaz.
C'est donc à Bernard Magné, grand croisé de la cause perecquienne, que sont offerts ces Mélanges. Sa biographie et sa bibliographie en occupent les premières pages, avant de laisser place à une bonne trentaine de contributions d'intérêt inégal. Ce qui n'est pas étonnant : quoi de plus logique que de sortir d'un volume de Mélanges avec une impression mitigée ? La plupart des textes ne sont accessibles qu'aux familiers du milieu, non pas perecquien (car Perec ne sert de thème qu'à une partie des articles, on y parle aussi de Hergé, de Saussure, de Claude Simon, de Queneau, de Zola...) mais, encore une fois, universitaire, à cause de l'utilisation d'un vocabulaire qui s'apparente au jargon. "Mise en abyme de l'énonciation ou métalepse intérieure, nous avons affaire, en tout état de cause, à des phénomènes de transgression des hiérarchies narratives qui favorisent la communication entre l'extérieur de la narration et son intérieur et qui sont en conséquence dotés d'une forte portée métatextuelle  (...) Dans cette optique, la mise en abyme de l'énonciation n'est plus une invitation à allégoriser le texte, mais à tenter, loin de tout essentialisme, d'en faire une lecture matérialiste. Elle protège la lecture des ingérences extérieures comme les phrases polaires protègent le récit" : de telles phrases me plongent dans un abîme, c'est le cas de le dire, de perplexité quand ce n'est pas, le plus souvent, dans un profond sommeil, d'où les trois semaines passées à lire la chose. Magné ne refuse pas l'idiome académique. Il utilise lui aussi des mots savants (métatextuel connoté ou dénoté), quelquefois même il en invente (aencrage). Mais il ne le fait jamais sans une distance amusée ou sans définir au préalable et d'une façon très claire les notions qu'il introduit. Cette distance et cette clarté se rencontrent malheureusement très peu chez ses épigones dont quelques-uns ne sont pas loin de la cuistrerie, une cuistrerie involontaire et inconsciente : c'est comme pour Vermillon IV dans son bocal, au bout d'un moment l'eau se trouble et le monde extérieur n'existe plus.
Cela dit, la lecture de ce volume ne s'apparente tout de même pas au pensum. Du côté Perec, on y trouve des choses intéressantes sur Ellis Island (par Daphné Schnitzler), sur La Disparition (Marc Parayre) et sur les rapports entre Perec et Roland Barthes (Mireille Ribière). Et surtout, une petite merveille, une dizaine de pages de Jacques Jouet "A propos du vers (prétendument prosaïque) de Raymond Roussel" qui sont un véritable enchantement.

TV. Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants (Yvan Attal, France, 2004 avec Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal, Alain Chabat, Emmanuelle Seigner, Alain Cohen; diffusé sur Canal + en septembre 2005).
Marié et père de famille, Vincent rêve de mener une vie de séducteur comme son ami Fred. Il entame une liaison que son épouse ne tarde pas à deviner.
Yvan Attal est un pessimiste. Sur le sujet qu'il a entrepris d'étudier, le couple et les tentations auxquelles ses membres sont soumis (et, au-delà, le couple qu'il forme avec Charlotte Gainsbourg), il livre une réflexion désabusée : fidélité, adultère, donjuanisme, aucune attitude n'est satisfaisante ou enrichissante. Attal résiste ainsi, c'est tout à son honneur, au happy end obligatoire. Mais si son film précédent sur le même thème (Ma femme est une actrice) était à moitié réussi, ce deuxième volet est totalement raté. Mise en scène foutraque, collage de bouts de musique branchée pour faire moderne, ellipses et transitions naïves à pleurer, scénario complètement vide. Heureusement, Alain Chabat apporte un peu d'humour bienvenu dans deux ou trois scènes, c'est tout ce qui peut être noté de positif.
Curiosité. Le film permet de voir l'adulte qu'est devenu Alain Cohen, partenaire de Michel Simon dans Le vieil homme et l'enfant en 1966.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

LUNDI.
TV. La Maison du docteur Edwardes (Spellbound, Alfred Hitchcock, E.-U., 1945 avec Ingrid Bergman, Gregory Peck, Michael Chekhov, Leo G. Carroll; Aventi DVD vidéo).
Le nouveau directeur d'un institut psychiatrique s'avère être un imposteur. A-t-il tué le véritable docteur Edwardes ? Et d'où lui vient cette phobie du blanc et des lignes paralllèles ?
Le producteur David O'Selznick et Hitchcock avaient en commun un intérêt certain pour la psychanalyse et ont mené à bien le projet de transcrire cet intérêt dans un film. La vérité sur l'affaire policière et la guérison du malade surviennent donc après plusieurs séances de divan et des exercices d'interprétation des rêves qu'on peut juger aujourd'hui assez scolaires. On peut néanmoins souscrire à cette recherche de nouvelles voies narratives et plastiques qui culmine dans une séquence onirique due à Salvador Dali, très demandé à l'époque puisqu'il signe la même année le ballet onirique de Yolanda et le Voleur pour Minnelli. Si le jeu d'Ingrid Bergman est un peu théâtral, on est impressionné par la composition du jeune Gregory Peck (d'une beauté sidérante) dans une des spécialités de Hitchcock, le portrait d'un homme traqué (voir Cary Grant, James Stewart et Montgomery Clift par ailleurs).

MARDI.
Vie professionnelle. Jour de grève, je reste at home à méditer sur la bizarre alchimie par laquelle la perspective d'échapper à sept heures de cours peut faire lever en vous d'irrépressibles bouffées revendicatrices.

TV. L'Américain (Patrick Timsit, France, 2004 avec Lorànt Deutsch, Thierry Lhermitte, Émilie Dequenne; diffusé sur Canal + en septembre 2005).
Un jeune homme vit une passion pour les États-Unis. Prêt à tout pour obtenir la nationalité américaine, il veut faire de son quartier le 51° état de l'Union.
L'idée de départ semblait assez loufoque pour attirer l'attention. Mais très rapidement, on s'aperçoit que les gesticulations de Lorànt Deutsch, totalement livré à lui-même (ce qui n'est pas un service à lui rendre), ne mèneront pas bien loin. C'est tellement nul qu'on devine chez Timsit le rêve secret de faire de la chose un film culte aux situations et aux répliques tellement ringardes qu'elles serviront de références dans les cours de récréation. Apparemment, ça n'a pas marché.

MERCREDI.
TV. L'Honneur d'un capitaine (Pierre Schoendoerffer, France, 1982 avec Jacques Perrin, Nicole Garcia, Georges Wilson, Charles Denner, Georges Marchal; DVD DVDY Films).
Le capitaine Caron est mort au combat en Algérie. Vingt ans après, au cours d'un débat télévisé, on l'accuse d'avoir pratiqué la torture. Sa veuve intente un procès en diffamation.
Quittant pour une fois l'Indochine pour l'Algérie, Pierre Schoendoerffer reste fidèle à ses principes moraux et cinématographiques : défense de l'honneur d'un homme, ingratitude de la patrie envers ceux qui ont donné leur vie pour elle, nostalgie du djebel en lieu et place de celle des rizières pour les uns, utilisation du flash-back, images d'archives, procédés de narration très classiques pour les autres. Même si l'on sait bien où se situent ses convictions (le titre du film annonce le verdict du procès), Schoendoerffer a le mérite d'éviter le manichéisme. L'utilisation des scènes de tribunal permet de donner la parole à chaque camp et celui des anti-colonialistes n'est pas caricaturé. Mieux, il est servi par un Charles Denner très convaincant dans le rôle de l'avocat, plus convaincant en tout cas que Georges Wilson, qui plaide pour la partie adverse.

JEUDI.
Vie scolaire. Réunion des parents de la classe de CE2 à l'école de Saint-Laurent. Les enfants y suivent une initiation à l'allemand. Ce qui signifie qu'à la fin de l'année, Lucie et ses condisciples sauront compter jusqu'à 10, dire "Guten Tag" et chanter "O Tannenbaum", ce qui est très bien. Très bien mais pas suffisant pour la majorité des parents, véritablement furieux que ce soit l'allemand et non l'anglais qui soit abordé, convaincus qu'on empêche ainsi leur enfant de boucler sa première traduction de Shakespeare avant d'être pubère. Hauts cris, indignation et même pétition (!), mouvements auxquels je prends soin de ne pas me mêler. J'ai un peu enseigné l'anglais, suffisamment en tout cas pour savoir qu'au bout de trois semaines de classe de sixième on ne voit plus la différence entre les élèves qui ont été initiés à la langue en primaire et les autres.

VENDREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y et commande ma carte "Professionnels" du Louvre.

Cinéma. Entre ses mains (Anne Fontaine, France, 2005 avec Benoît Poelvoorde, Isabelle Carré, Jonathan Zaccaï, Valérie Donzelli, Agathe Louvieaux, Bernard Bloch, Véronique Nordey, Michel Dubois, Martine Chevallier, Jean-Chrétien Sibertin-Blanc).
Une jeune femme mariée s'éprend d'un homme bizarre et le soupçonne d'être le tueur en série qui sévit dans la ville.
Anne Fontaine ne renouvelle pas le thème rebattu du tueur en série. Son film, aux rebondissements tout à fait prévisibles, se suit avec plaisir si on aime les confrontations d'acteurs. J'avoue ne pas être très amateur des mines d'Isabelle Carré mais Poelvoorde continue ici à se bâtir, si l'on excepte la parenthèse Podium, une filmographie irréprochable. De plus, l'action se situe à Lille, un cadre qui change de l'ordinaire urbain parisien.

SAMEDI.
Football. SA Spinalien - FC Mulhouse 2 - 2.

TV. Football. Encore ! J'ai ma dose. Je m'endors devant Suisse - France.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°229 - 16octobre 2005

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Ce n'est pas parce qu'il règne une température printanière qu'il faut négliger les activités d'automne, une saison rituellement consacrée à la poursuite alphabétique des monuments aux morts vosgiens. Il n'y a pas de monument à Belrupt, mais les filles peuvent sillonner les rues du village à vélo, ce qui met fin aux récriminations occasionnées par le voyage.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 10 & 11, diffusés sur Canal + le 6 octobre dernier).

LUNDI.
Courrier. B dit du bien du chanteur Yves Jamait.

Courriel. GN me tient au courant de sa croisade contre un fâcheux de Creutzwald qui, depuis plusieurs années, squatte les courriers de lecteurs du Monde et de Télérama.

Vie professionnelle. Lu sur le tableau d'affichage de la salle des professeurs, d'une main hiérarchiquement supérieure : "les professeurs vérifirons les notes (...)". Ceux qui clament que le niveau baisse ne devraient pas s'intéresser seulement aux élèves.

TV. La Femme de Gilles (Frédéric Fonteyne, France/Belgique, 2005 avec Emmanuelle Devos, Clovis Cornillac, Laura Smet; diffusé sur Canal + en septembre 2005).
Dans une petite ville du Nord un ouvrier s'éprend de la sœur de sa femme. Celle-ci essaie de le reconquérir.
Pour une fois, l'adultère n'est pas présenté comme une plaisanterie. Gilles vit une vraie passion, une souffrance dont il fait largement profiter les siens. Ce qui fait de ce film une réussite, mais seulement sur le plan de l'intention. Les points faibles sont malheureusement trop importants pour dépasser ce stade : Cornillac et Laura Smet, malgré leur bonne volonté, sont trop légers pour ce qu'on leur demande d'incarner et Emmanuelle Devos en fait des tonnes pour compenser. Le fait de situer l'action dans les années trente apparaît comme un gadget qui ne sert qu'à placer une chanson de Mistinguett au générique et des airs d'accordéon ici et là. Le soin apporté aux détails de la reconstitution (bretelles et clope à la Prévert pour Cornillac, châles et robes en gros drap pour Devos qui ressemble de plus en plus à Simone Veil, intérieurs d'époque) apparaît comme la préoccupation principale du réalisateur qui en oublie le plus important, la chair, la moelle.

MARDI.
Vie familiale. Caroline est à Nancy toute la journée pour une formation sur l'aromathérapie. Ça tombe bien, le soir venu, Lucie est un peu malade, souffre de maux de ventre. On va la soigner au benjoin. S'il s'avère que c'est l'appendicite, on essaiera la coriandre.

TV. Les Anges aux figures sales (Angels with Dirty Faces, Michael Curtiz, E.-U., 1938 avec Pat O'Brien, James Cagney, Humphrey Bogart, Ann Sheridan, George Bancroft; Warner Home Video, coll. Légendes d'Hollywood).
Jerry et Rocky sont des gosses des rues qui vivent de rapine. L'un se fait prendre et devient, entre ses séjours en prison, un caïd de la pègre, l'autre se tourne vers la prêtrise. L'amitié survit malgré les épreuves.
L'enjeu de cette histoire est une bande de gamins qui vénèrent et imitent le truand alors que le prêtre essaie de les mener vers le droit chemin. Michael Curtiz réalise un film moral, un film édifiant certes mais qui ne bascule jamais dans le larmoyant ou le bêtifiant. Ses débuts à Budapest et à Berlin lui ont appris le traitement expressionniste de l'image qu'il applique à ses premiers films américains et il fait de James Cagney un héros de tragédie urbaine. La lutte solitaire de Rocky contre les forces de police qui encerclent sa planque, sa marche vers la chaise électrique dans le couloir de la mort et sa rédemption finale constituent l'apothéose de ce film.

Lecture.
L'arbre à bouteilles (Mucho mojo, Joe R. Lansdale, Warner Books, 1994, Gallimard, coll. Folio policier n° 352, 2000, pour la traduction française; traduit de l'américain par Bernard Blanc; 266 p., s.p.m.).
Deux copains de l'East Texas découvrent des cadavres d'enfants en travaillant à retaper une vieille bicoque. Un assassin pédophile sévit dans le secteur.
D'après la quatrième de couverture, Joe R. Lansdale est "un auteur culte régulièrement récompensé". On se demande alors pourquoi on a mis six ans à le traduire en français (trois titres en Série Noire). Après lecture, on ne se le demande plus et on apprend à se méfier du caractère facilement dithyrambique des quatrièmes de couverture. "On était en juillet, on crevait de chaud, je m'occupais de mes boutures, et j'étais loin de penser à des histoires de meurtre." : Lansdale a au moins le sens de l'incipit. C'est dommage que le reste du livre ne soit pas à la hauteur de ce départ alléchant. Le lecteur découvre le vrai coupable avec cent pages d'avance sur les protagonistes dont l'enquête en amateurs (qui ne les empêche pas de jouer aux profileurs avec un succès inespéré et quasi magique) est encombrée d'une romance sans intérêt et de passages moralisateurs pesants. Un auteur culte peut-être mais on n'est pas obligé de pratiquer.

MERCREDI.
Lecture. Teckel (Les Contrebandiers Éditeurs, n° 2, automne 2004; 96 p., 10 €).
Revue de "Folies littéraires".
La première partie de la revue est consacrée aux études. On y retrouve Paul Guignon, présenté dans le premier numéro (chroniqué dans les notules 191), avec un témoignage de son illustre contemporain Jean-Baptiste Botul et quelques poèmes dont on retiendra ce quatrain :
"Ils ont dissimulé, gros comme un petit pois,
Sous une courtepointe, enfoui dans une manne,
Ictérique et cireux, pareil à la banane,
Un fils exophtalmique et prognathe à la fois."
On y découvre Altagor (1915-1992), inventeur de la métapoésie ou parole transformelle qui a l'honneur de figurer dans Les fous littéraires d'André Blavier, ce qu'il mérite amplement au vu des extraits de son oeuvre ici présentés ("Kalaande irone sigor eriande kernoeuze" etc.). Rémi Schulz y fait part de ses trouvailles concernant les liens cachés existant d'après lui entre les romans de Gaston Leroux et Jules Verne et l'affaire Dreyfus. Pour Rémi Schulz, le hasard n'existe pas, tout fait signe, tout fait sens : régulièrement, sur les listes de diffusion consacrées à Perec et à l'Oulipo, il fait part de ses trouvailles qui mettent à contribution les anagrammes et les acrostiche cachés, la numérologie, la gémiatrie, la kabbale, la rose-croix, l'alchimie, le nombre d'or et beaucoup d'autres choses plus ou moins ésotériques. C'est souvent obscur mais c'est toujours intriguant et parfois stimulant. Et puis, ça n'occupe que quelques lignes. Ici, Teckel offre vingt pages à Rémi Schulz... "Verne avait une raison personnelle de jouer avec la date de Pâques, commandée par la lune VERNale, la première pleine lune du printemps, LA LUNE anagramme de L'AULNE, synonyme du "verne". Et VENdREdi est le jour qui contient les lettres VERNE, permettant même une parfaite anagramme, VERNE DID (IT), "Verne l'a fait", évoquant l'estampille de l'artisan." Vingt pages.
La partie dévolue à la création, intitulée "L'Étang moderne" est décevante, indigeste : l'humour lourdingue (théories sur la fin des dinosaures) y côtoie l'à-peu-près ("On voit que le problème est complexe et que la vérité n'est pas prête d'éclater) et le réchauffé (les lettres à 50 balles de Patrice Minet).

TV.
Football. France - Chypre (4-0). On regardera au moins trois matches de la prochaine Coupe du Monde.

JEUDI.
Vie militante. Je prends part à un rassemblement de soutien à un vieux copain viré de son boulot comme un malpropre. C'est la première fois que j'arbore un autocollant aux armes de la CGT.

Vie nocturne. Deuxième spectacle du festival "Les larmes du rire" pour Caroline, deuxième déception.

VENDREDI.
Courrier. Je reçois une série de DVD du Monde et un recueil de Chaval impossible à obtenir par les voies normales de la librairie.

Cinéma. Caché (Michael Haneke, France/Autriche, 2004 avec Daniel Auteuil, Juliette Binoche, Maurice Bénichou, Annie Girardot, Bernard Le Coq, Walid Afkir, Lester Makedonsky, Daniel Duval, Nathalie Richard).
Georges, présentateur d'une émission littéraire à la télévision, reçoit des vidéos anonymes qui montrent la maison qu'il habite, puis sa maison d'enfance, les allées et venues des membres de sa famille. Se sentant menacé, il soupçonne le fils d'un employé de son père avec qui il a passé son enfance.
Après avoir été baladé de dame en noir en âmes grises depuis la rentrée, c'est un véritable bonheur de voir enfin le film d'un vrai cinéaste. Un cinéaste qui ose se remettre en question : un scénario original après l'adaptation d'Elfriede Jelinek, le refus de la musique après l'omniprésence de celle-ci dans La Pianiste, le plan fixe érigé en principe de filmage et en moteur dramatique après l'hommage au travelling qu'était Code inconnu. Un cinéaste qui, s'il est un maître de la technique, n'en oublie pas pour autant de la mettre au service d'un sujet suffisamment intéressant. Un cinéaste du malaise, vraiment dérangeant qui, en remuant les certitudes de son héros, amène chaque spectateur à se demander quel cadavre lui-même cache dans son placard.
Curiosité. Georges est une sorte de Bernard Pivot. Une séquence montre une de ses émissions. Autour de la table, on reconnaît Jean Teulé, Patrick Besson, Mazarine Pingeot et feu Jean-Jacques Brochier, l'ancien directeur du Magazine littéraire.

SAMEDI.
Vie parisienne (de loin). C'est aujourd'hui l'ouverture du séminaire Perec 2005-2006. Sans moi, pour une fois. J'attendrai la semaine prochaine pour battre à nouveau le pavé parisien, Caroline étant pour une fois en mesure de m'accompagner à cette date.

Vie sanitaire. Caroline retrouve dans son stock une boîte de dix gélules de Tamiflu (c'est la quantité qu'elle vend en une année d'habitude), le médicament censé combattre la grippe aviaire qui arrive à tire-d'aile. Pour l'instant, la boîte est sous notre matelas. J'attends quelque jours que la psychose enfle et je la mets aux enchères sur internet. Dans une semaine, j'arrête de jouer au tiercé.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 12 & 13, diffusés sur Canal + le 13 octobre dernier).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°230 - 23 octobre 2005

DIMANCHE.
Vie poussiéreuse. Nous profitons de l'opération Lire en Fête pour découvrir la bibliothèque de la Société d'Émulation des Vosges, qui fête ses 180 années d'existence. Sur les rayonnages surchargés, une belle collection de la Revue des Deux Mondes et le Dictionnaire universel (1852-1856) de Lachâtre en deux volumes. Cet ouvrage valut cinq ans de prison à son auteur qui "sous prétexte de donner la définition des mots contenus dans son dictionnaire, fait appel aux mauvaises passions, développe les maximes les plus subversives, pousse à la révolte par le tableau menteur qu'il trace de la société, provoque la désunion et la haine entre les citoyens par l'antagonisme exagéré qu'il fait apparaître entre eux, exalte ce que condamnent les lois, outrage ce dont les lois commandent le respect et déverse enfin la dérision et le mépris sur la religion" (attendus du jugement du 14 juillet 1858 cités par Daniel Zinszner dans Histoires littéraires n°21). Le Lachâtre fait partie des outils de travail de Cinoc, le tueur de mots de La Vie mode d'emploi.

TV. Père et flic (City by the Sea, Michael Caton-Jones, E.-U., 2002 avec Robert De Niro, Frances McDormand, James Franco; diffusé sur Canal + en septembre 2005).
Chargé d'enquêter sur un meurtre, Vincent LaMarca, détective de la police new-yorkaise, ne tarde pas à découvrir que c'est son propre fils qui en est l'auteur.
Ce fils, il l'a abandonné avec sa mère il y a bien longtemps et il ne s'est jamais soucié de son existence. D'où les remords, les regrets, la culpabilité et la tentative de recoller les morceaux alors qu'il est déjà trop tard. Cette histoire de recomposition familiale à l'ancienne sombrerait facilement dans le ridicule si elle ne bénéficiait de la présence de De Niro. Avec lui, tout passe, y compris les histoires de famille les plus pathétiques, on y croit et on se laisse faire avec plaisir. L'autre atout du film est le choix du cadre, Long Beach, ancienne cité balnéaire de Long Island qui connut son heure de gloire, devenue un cimetière urbain peuplé de fantômes et de junkies.

Lecture. L’Enseignement littéraire (Paul Aron & Alain Viala, P.U.F., coll. Que sais-je ? n° 3749, 2005, 128 p., 8 €).
Critique à rédiger pour Histoires littéraires.

Courriel.
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LUNDI.
Obituaire. Mort de Jean Lescure, doyen et membre fondateur de l'Oulipo, inventeur de la méthode S + 7. "Zénon de Didyme, corsaire des Antilles, ayant reçu de Guillaume III une forte somme d'argent, laisse Curaçao sans défense face aux Hollandais." (Georges Perec, La Vie mode d'emploi, chapitre LIX)

TV. Les Cavaliers (The Horse Soldiers, John Ford, E.-U., 1959 avec John Wayne, William Holden, Constance Towers, Althea Gibson, Hoots Gibson, Anne Lee; diffusé sur Canal + en octobre 1991).
Avril 1863. Le colonel nordiste Marlowe est chargé d'une mission visant à neutraliser le dépôt ferroviaire de Newton Station.
Les Cavaliers est un film charnière dans la longue carrière de John Ford. Le propos s'y fait nettement plus pessimiste et les préoccupations sont différentes. Après avoir illustré à nombreuses reprises la conquête des nouveaux territoires et la lutte contre les Indiens, il s'agit maintenant d'examiner l'état de l'Union issue de cette conquête. Il aborde le problème d'une autre minorité, celle des Noirs, indirectement ici, puis plus frontalement dans son film suivant, Le Sergent noir. Les touches d'humour qui parsemaient ses précédents récits ont disparu avec toute une génération d'acteurs fidèles spécialistes des rôles pittoresques (Ward Bond, Victor McLaglen...). La guerre ici montrée n'a rien de noble. Le Sud envoie des cadets juvéniles à l'assaut de la cavalerie nordiste, les combats se transforment en boucherie. Plutôt que de prendre parti, Ford met aux prises deux personnages qui s'opposent dans le même camp : un colonel (Wayne) déterminé à faire gagner les siens par tous les moyens et un médecin (Holden) qui est porteur d'une vision humaniste et désespérée sur les événements qui se déroulent. On ne perçoit pas non plus dans son propos la volonté de soutenir l'un ou l'autre camp, seulement le désir de dénoncer un immense gâchis.

MARDI.
Courriel. Un salon de coiffure décoiffant déniché par FA à Salisbury.

TV. Tout le plaisir est pour moi (Isabelle Broué, France, 2004 avec Marie Gillain, Julien Boisselier, Garance Clavel, Brigitte Roüan, Tsilla Chelton; diffusé sur Canal + en août 2005).
Vivant en parfaite harmonie sexuelle avec François, Louise tombe de haut la nuit où elle s'aperçoit qu'elle ne sent et ne ressent plus rien de ce côté-là.
Partant à la recherche du clitoris perdu, Louise essaie tout : thérapie zen, maraboutage, sexologie, gadgets, homosexualité jusqu'au moment où elle retrouve le plaisir sur la selle d'un cheval de bois. On voit le niveau. Hésitant sans cesse entre la comédie pas très fine et le plaidoyer féministe, Isabelle Broué ne parvient qu'à livrer un film insignifiant et aussitôt oublié. Mais ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de voir Tsilla Chelton (Tatie Danielle) à l'écran...

MERCREDI.
Emplettes. J'achète Le roman inachevé d'Aragon et le dernier roman achevé de Michel Houellebecq. Je découvre les premiers volumes de la nouvelle mouture de la Série Noire : grand format, grand prix, plus de numéros, un enterrement de première classe. Ce qui n'est pas un mal pour le collectionneur ou le chercheur : le corpus est enfin clos.

TV. Les Vieux de la vieille (Gilles Grangier, France, 1960 avec Jean Gabin, Pierre Fresnay, Noël-Noël, Mona Goya, Yvette Etiévant; diffusé sur RTL en ?).
L'odyssée de trois vieillards en route vers l'hospice de Gouillette.
C'est un film régulièrement assassiné par les commentateurs à chaque rediffusion : cabotinage, vulgarité, caricature, grosse farce, éloge déplacé du pinard... Moi, j'aime ça, ce n'est pas la première fois que je le regarde et je recommencerai (avec une autre copie car celle-ci semble avoir été enregistrée en 1825). Fallet revisité par Audiard, c'est vrai que ce n'est pas toujours d'une grande finesse mais c'est souvent bien savoureux. Et puis les petits rôles, Jacques Marin, Charles Bouillaud, Robert Dalban en fossoyeur, Paul Mercey, Guy Decomble (l'instituteur des Quatre cents coups)... Vivement la prochaine.
Citation. "On est bien. On se croirait dans un litre."

JEUDI.
Actualité. Je ne suis pas un acharné de l'actualité, je veux dire du côté immédiat de l'actualité - sauf bien sûr en ce qui concerne les résultats de football. Je n'ai pas regardé un journal télévisé depuis des années (j'ai vu les images du 11 septembre au cinéma dans Fahrenheit 9/11 de Michael Moore en juillet 2004 et j'ignore encore à quoi ressemble un tsunami ou La Nouvelle-Orléans) et découvre souvent l'information avec retard, mais sans véritable gêne : le mardi, je lis Le Monde du dimanche reçu le lundi, sorti le samedi à Paris et contenant toutes les nouvelles du vendredi. Quelquefois, ça va même plus loin et ça ménage quelques surprises amusantes : je lis aujourd'hui un article de Pierre Foglia paru dans La Presse de Montréal le 2 juillet dernier, au départ du dernier Tour de France, et intitulé : "Pourquoi Armstrong ne gagnera pas".

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 14 & 15, diffusés sur Canal + le soir même).

Lecture. Les écrits (Chaval, 2004; Le Cherche-Midi, coll. Amor Fati, 216 p, 15 €).
De Chaval, qui fut de son vivant (1917-1968) plus renommé comme dessinateur que comme auteur, je n'ai jamais vu aucun dessin. Je ne connaissais de lui, avant cette lecture, que quelques textes utilisés par les Papous dans leurs facéties radiophoniques, les pages d'hommage que Michel Laclos lui consacra dans son volume de Nouveaux trucs et machins et la fameuse anecdote avec Contamine qu'on peut rappeler ici en deux mots : en 1968, Chaval reçoit un prix pour son album Les oiseaux sont des cons. Chargé de le lui remettre, Claude Contamine, alors président de l'ORTF, n'ose proférer le gros mot et félicite chaleureusement l'auteur pour son magnifique ouvrage, Les oiseaux sont des... oiseaux." Chaval ne tardera pas à remercier Monsieur Oiseautamine.
Pour composer cet ouvrage, Marine Degli a rassemblé tout ce que Chaval avait écrit, publié ou non. Son seul recueil de textes bien sûr (Les gros chiens), mais aussi des textes parus en revue (Bizarre, Carton, Cahiers du Collège de 'Pataphysique), des lettres, des inédits et même des transcriptions d'enregistrements. On y trouve des tentatives d'autobiographie, des listes, des petites annonces ("Apprenez l'anglais en trente ans en allant vivre en Grande-Bretagne"), des exercices de réécriture ("Madame Bovary n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres"), des dialogues, des proverbes, des contes. Dans cet ensemble, trois directions dominent : l'humour, l'absurde et le désespoir, qui rapprochent sans conteste Chaval de gens comme Topor ou André Frédérique dans une tradition héritée de Cami ou Alphonse Allais. Des pessimistes destinés à ne pas vivre vieux, adeptes de la forme courte, peu tendres avec leurs contemporains et habiles à masquer leur tristesse sous la drôlerie.
Extrait (pour FB).

Balzac buvait du café
Le café bu par Balzac
J'ai bu du café rue Balzac
Balzac a fini son café
Balzac reprend du café
Qu'est-ce qu'il boit comme café, Balzac
Balzac boit trop de café
Le café est nécessaire à Balzac
Balzac n'a plus de café
La tasse à café de Balzac
Balzac, un café
Honoré, voulez-vous du thé ?
Tiens ! Balzac a laissé du café
Qu'a fait Balzac ce matin ?
J'ai oublié mon Balzac au café
Un Balzac taché de café
Il n'a pas voulu son café, Balzac
Qu'aurait fait Balzac sans café
Balzac travaillait au café
Balzac au Brésil
Balzac au lait
Balzac sans sucre
Balzac noir
Balzac très fort
Balzac à l'anse à gauche
Balzac sans anse
La cafetière de Rodin
Balzac en grains
Je reprendrais bien du café si Balzac en a laissé
Laisse Monsieur de Balzac boire son café
Balzac a vomi son café
Le café de Balzac a bouilli
Balzac doit venir prendre le café
Le moka dans la vallée
Café au lys
Bal alsacien au café
Balzac en poudre
Nesbalzac
Madame de Mortsauf votre Balzac refroidit
Balzac était garçon de café
J'ai tout de même envie de foutre de la chicorée dans le café de Balzac.

("Petit Bilan", Revue Bizarre, 1982).

VENDREDI.
Vie professionnelle. Tout heureux d'échapper au cross du collège, la pire journée de l'année assurément, je me retrouve à Épinal avec R pour la formation "Collège au cinéma". L'occasion de voir un court métrage de Sean Penn qui ne vaut que par les commentaires qu'il suscite chez les pintades de l'assistance et qui prouvent que le ridicule, si tant est qu'il en ait jamais été doté, a définitivement perdu ses vertus homicides.

Courrier.
Je reçois, juste à temps, ma nouvelle carte d'entrée au Louvre.

Voyage. Nous partons pour Paris par le 19 heures 36. Nous arrivons à l'hôtel en même temps qu'un groupe de jeunes Russes imposants qui colonisent l'établissement. Il y en a partout. Si jamais l'envie leur prend d'ouvrir la vodka et de danser le kazatchok, c'en est fini de notre nuit. Heureusement, après avoir manifesté une nette propension à s'interpeller de chambre à chambre qui prouve que ces gens-là viennent d'un pays étendu et ont l'habitude de se faire entendre d'un bout à l'autre de la taïga, les fils de l'Oural s'éteignent assez rapidement et nous aussi.

SAMEDI.
Vie parisienne. Je passe la journée à la Bilipo, journée de travail sur L'Atlas de la Série Noire interrompue par la croûte au Bouillon Racine où je retrouve Caroline. Rue des Écoles, je guide une Japonaise fort dépouillée (je parle de sa situation financière, non de sa vêture) jusqu'au commissariat du quartier que je connais bien pour l'avoir moi-même fréquenté dans des circonstances semblables. Le soir venu, je regarde à la télévision la déroute messine, une de plus, face à Lyon (0-4). Nous choucroutons à la Brasserie de Est sans crainte ni retenue, le jarret de porc n'étant pas encore considéré comme un oiseau migrateur.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°231 - 30 octobre 2005

DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Première halte au Louvre, pour aller saluer les Femmes d'Alger dans leur appartement de Delacroix et profiter du travail de http://www.jcbourdais.net/ sur le sujet. C'est l'occasion de manifester ici le souhait qu'il renonce à y mettre fin le 1° novembre comme annoncé. Dans une autre aile, j'entame l'étude de la galerie Médicis pour ma Mémoire louvrière. Deuxième arrêt à Beaubourg, pour l'exploration du labyrinthe Dada, l'exposition dont les turfistes rêvaient.


Cliquer sur le labyrinthe pour agrandir

La disposition en échiquier, hommage à Duchamp, est dans un premier temps stimulante. On se dit qu'on va adopter la marche du cavalier, essayer de faire toutes les cases sans repasser deux fois dans la même, puis on se laisse faire par le hasard. Mais rapidement, on se rend compte combien il est difficile de stationner dans une case : l'exiguïté de la chose, la masse d'informations qu'elle contient, le flux des nouveaux arrivants, l'attrait d'une oeuvre entraperçue par les cloisons d'une autre case vous poussent à aller toujours de l'avant ou de guingois. On réalise alors que tout cela est parfaitement calculé pour susciter le mouvement, l'accélérer, et mener le visiteur le plus rapidement possible vers la sortie afin de laisser la place à ceux qui attendent leur tour. Et comme on est beaucoup moins malin que les concepteurs de cette machinerie, on se retrouve trop vite dehors, vaguement insatisfait, en se promettant de revenir voir ce qu'on a raté. On peut aussi atténuer sa frustration à la librairie et méditer sur ce début de siècle qui célèbre par l'institutionnalisation et le commerce les plus hardis provocateurs du précédent. Cela dit, l'exposition est riche, formidablement dense. L'écrit y est privilégié. On présente des revues, des affiches, des manifestes, des articles, mais aussi des tableaux qui, par leur titre ou par les phrases qui y sont incluses, montrent que chez Dada les arts se visitent les uns les autres : l'écrit n'y est pas à côté de la peinture mais dans celle-ci. Je résiste à la poussée, au tapis roulant virtuel, pour noter titres, phrases, slogans : Il n'est pas donné à tout le monde d'aller à Barcelone, Elle a chaud au cul comme des ciseaux ouverts, Intervention d'une femme, L'œil cacodylate, Marcel Duchamp endormi sur les toilettes, Moi j'aime Francis et Germaine, Distillateur à tout néant, C'est déjà la 22° fois que Lohengrin, La préparation de la colle d'os, La mariée mise à nu par ses célibataires, même, La bagarre d'Austerlitz, Souscrivez à Dada, le seul emprunt qui ne rapporte rien, Une nuit d'échecs gras... Je m'attarde particulièrement dans la case C7, intitulée Dadapolis, où je découvre George Grosz et son formidable Grauer Tag et le collage de Paul Citroën, Métropolis, qui mêle des éléments de New York, Berlin, Paris et Amsterdam. Au final, j'achète le volume Découvertes/Gallimard sur Dada, une monographie de George Grosz et un condensé du catalogue.
Il nous reste peu de temps pour rejoindre la gare de l'Est et attraper le 13 heures 44 du retour. A Nancy, surprise typique de la SNCF : plus de trains pour Épinal mais des bus, la voie est coupée, on construit un pont pour le passage du TGV. On a dû décider de le construire hier après-midi car la perturbation n'a jamais été annoncée. Je ne sais si un jour le TGV me fera gagner du temps, en attendant j'ai renoncé à compter les heures que sa construction m'aura fait perdre. De toute façon, vu la nouvelle qui nous attend at home, cela ne valait pas la peine de se presser.

Lecture. L'odeur de la mort (Notches, Peter Bowen, 1997; 10/18, coll. Grands détectives n° 3662 pour la traduction française; traduit de l'américain par Anne-Marie Carrière; 256 p., s.p.m.).
Des cadavres de jeunes filles sauvagement assassinées sont découverts autour de Toussaint, dans le Montana. Gabriel Du Pré, cow-boy sang-mêlé, mène son enquête suivant des méthodes qui ne plaisent pas vraiment aux agents du F.B.I. dépêchés sur place.
Où l'on fait la connaissance de Du Pré, héros récurrent de Peter Bowen (c'est sa quatrième aventure traduite) : c'est un Métis, descendant d'un Canadien français et d'une Amérindienne, il roule ses cigarettes, conduit trop vite, boit du whisky et joue du violon. Malgré cet emploi du temps chargé, il a le temps de donner un coup de main au shérif local, sans qu'on sache au juste à quel titre. Bowen mêle le récit de l'action, décousu et plein d'ellipses, au monologue intérieur de Du Pré, essentiellement centré sur les problèmes régionaux et raciaux. Le mélange n'est pas sensationnel. Pour les inconditionnels du polar ethnique.

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LUNDI.
Bougies. Alice a cinq ans aujourd'hui.

Lieux. Je retrouve deux endroits où je n'ai pas mis les pieds depuis longtemps : l'Irish Pub où j'ai souvent fait de la musique et où je retrouve des complices de cette époque, et le funérarium où je n'ai jamais joué.

MARDI.
Cérémonie. Nous suivons les obsèques de ma cousine M. qui a mis fin à ses jours dimanche. L'office nous laisse tout le temps d'essayer d'évaluer la masse de souffrance et de détresse qu'il faut accumuler pour n'avoir d'autre issue qu'une fenêtre ouverte sur le vide.
Chose lue dans le chœur de la basilique Saint-Maurice : "Préparons le retour de Jésus-Christ jusqu'à ce qu'il revienne". Effectivement, après, ça risque d'être un peu tard.

MERCREDI.
Lecture. Temps noir n° 8 (Éditions Joseph K., mai 2004; 208 p., 13 €).
" La Revue des Littératures Policières ".
Deux figures dominent cette livraison, Georges Simenon et Fred Kassak. On ne compte plus les ouvrages et articles concernant Simenon à l'occasion du centenaire de sa naissance. Temps noir se contente, dans cette avalanche, d'un bon portrait de Maigret signé Dominique Meyer-Bolzinger qui présente certains aspects mal connus du personnage : "celui qu'il a été et celui qu'il sera - l'enfant de chœur et le pêcheur à la ligne -, celui qu'il aurait voulu être - le médecin - et celui qu'il craint peut-être en lui, la face sombre, la force brutale, l'inhumain en l'homme - l'ogre". Le dossier est illustré de photographies tirées de Maigret traversées de Paris de Michel Deguy. On a moins l'habitude de voir Fred Kassak sous le feu des projecteurs, peut-être parce qu'il présente le défaut d'être toujours vivant. L'essentiel de sa carrière se déroule dans les années 1950 et 60, au cours desquelles il est considéré comme un spécialiste du polar humoristique (Crêpe Suzette, Bonne vie et meurtres, Voulez-vous tuer avec moi...) Cette spécialisation lui a valu d'être assez souvent adapté à l'écran par des réalisateurs comme Michel Drach (On n'enterre pas le dimanche, Prix Louis-Delluc 1960), Marcel Bluwal (Carambolages) ou Michel Audiard (Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause, Comment réussir quand on est c.. et pleurnichard). Fred Kassak fait part ici de sa relative déception face au traitement réservé à ses romans par les réalisateurs : "ils s'en sont servis, ils ne les ont pas servis." Un autre entretien le place face à Pierre Billard, maître d'œuvre de la série radiophonique des Maîtres du mystère dont Kassak fut un des plus fidèles pourvoyeurs. Les romans de Fred Kassak ont été réédités dans deux gros volumes au Masque, on les trouve facilement chez les soldeurs du boulevard Saint-Michel.
Le cahier critique a attiré mon attention sur les derniers titres de Deon Meyer, Ian Rankin, Dennis Lehane, Patricia MacDonald, Michèle Rozenfarb, Alexandra Marinia. Ça fait beaucoup, d'autant que je suis loin d'avoir tout lu de Fred Kassak...

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JEUDI.
Transhumance. Nous faisons route vers Castanet, près Villefort, en Lozère. La portion comprise entre Le Puy et Langogne est riche en vieilles publicités murales. Alice ayant la délicatesse d'attendre d'être à vingt-cinq kilomètres du but pour vomir dans la voiture, la partie parfumée du voyage est relativement réduite. Sur place, nous retrouvons la troupe des habitués et la soirée se termine par le bœuf musical traditionnel en ces lieux.

VENDREDI.
Vie vacancière. La seule sortie autorisée par la météo, épouvantable, est une excursion jusqu'au cimetière de Villefort pour aller fleurir la tombe de L., figure locale dont nous avions apprécié la compagnie anisée lors de nos premiers séjours dans le secteur. Dans Villefort, les magasins fermés seront bientôt plus nombreux que ceux qui sont encore en activité. L'augmentation de ma collection de Bars clos n'est pas vraiment une consolation. Un bon point tout de même : l'ouverture d'un salon de coiffure "Coloratifs".
Au soir, comme nous ne sommes plus que onze à table depuis le départ des B., J. a invité les voisins à partager le couscous. JS nous raconte (ce doit être la deux millième fois pour elle mais ça ne semble pas la gêner) l'affaire des tueurs de l'Ardèche qui défraya la chronique en 1977, le hold-up du Crédit Agricole de Villefort auquel elle assista aux premières loges en tant que caissière de la succursale attaquée.

SAMEDI.
Vie vacancière (suite). Le temps est toujours aussi maussade, nous sommes confinés at home, j'abats un Série Noire pour mon Atlas, J. vendange sous la pluie et fait son vin, les enfants travaillent leur musique et se déguisent.

Lecture. Marthe (Joris-Karl Huysmans, Gay, Bruxelles, 1876; rééd. in Romans I, Robert Laffont, 2005, coll. Bouquins, présenté et annoté par Sylvie Thorel-Cailleteau; 1056 p., 30 €).
Histoire d'une fille.
Pour son premier roman, Huysmans se place franchement dans le courant naturaliste. L'histoire de Marthe, qui, au gré de ses amants, navigue du beuglant au bordel en passant par la rue et quelques sordides galetas, est une véritable préfiguration de la Nana de Zola. Les thèmes abordés (la misère, l'alcoolisme, la violence, le "collage"), l'aspect documentaire dû à l'observation préalable (la fabrique des fausses perles, la morgue de l'hôpital Lariboisière), les lieux traversés (le premier Bobino, le lupanar, le cabaret) font partie de la galerie traditionnelle du naturalisme. Les personnages sont tous des ratés, l'histrion, le poète, l'étudiant et, bien sûr, la fille. Pour le premier Huysmans, la vie se résume à une série d'échecs, une impasse, le couple est une aberration qui n'aboutit à rien. Dans sa préface, Sylvie Thorel-Cailleteau situe avec précision le livre dans l'histoire littéraire, énonce ce qu'il doit, mais aussi ce qu'il apporte à des romanciers comme Zola et Goncourt et comment il se situe vis-à-vis de la peinture de Degas, Forain ou Raffaëlli. On sera moins enthousiaste pour ce qui est des notes, situées en bas de page pour cette édition. Huysmans manifeste un goût certain pour le vocabulaire, l'archaïsme, voire le néologisme. Bien entendu, il est impossible de donner en note la signification de tous les termes rares mais certains choix étonnent : était-il nécessaire de rappeler ce qu'est un derviche ou un éventaire ? de dire que l'eau de Botot est une préparation "destinée au rinçage de la bouche" alors qu'on la vend encore aujourd'hui dans les bonnes officines ? En revanche, on aurait aimé apprendre ce qu'est "une grosse fille roupieuse" ou ce que contient un verre de "bischof", même si ces deux termes figurent dans le Littré. De même, trois coquilles pour un texte de 80 pages (Léo, par exemple, devient tout à coup Léon p. 41), c'est tout de même assez conséquent. Si, pour en revenir à Huysmans, l'histoire racontée présente peu d'intérêt de par son côté prévisible, on peut goûter les passages où il se laisse aller dans l'accumulation et l'hyperbole, évoquant des "riboteurs qui venaient se repaître de galimafrées d'andouillettes et de tripes à la mode de Caen" ou "des pauvresses aux poitrines rases et au teint glaiseux, des ramassis de bancroches, des borgnes et des ventrées de galopins morveux qui soufflaient par le nez d'incomparables chandelles et suçaient leurs doigts, attendant l'heure de la miche."

Bonne semaine.