Notules dominicales 2005
 
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Notules dominicales de culture domestique n°200 - 6 mars 2005

DIMANCHE.
Météo 1. La neige ce matin, la neige comme tous les matins depuis quinze jours. Du plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais regardé la neige tomber sans souhaiter qu'elle bloque toute communication et empêche l'ouverture des écoles, ce qui ne s'est produit que deux fois dans toute ma vie. Aujourd'hui encore, le même vœu, surtout à la veille d'une rentrée scolaire.

LUNDI.
Météo 2. Tout ce que la neige a réussi à annuler, c'est la course du tiercé qui devait se tenir à Marseille. Non seulement il faut aller travailler, mais y aller sans l'espoir de gagner suffisamment pour ne pas avoir à y retourner le lendemain.

Lecture. Histoires littéraires n° 13 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, janvier-février-mars 2003, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 248 p., 20  ).
Qui dit revue dit, quelque part, souci d'actualité. Souci malheureusement absent de ces notules où les comptes rendus des revues paraissent souvent des mois, voire des années après leur sortie. C'est que ma lecture des revues n'est pas une lecture linéaire, mais une lecture hachée, étalée, scrupuleuse (de la première à la dernière ligne) mais homéopathique, un article, une page seulement parfois, jour après jour. De plus, quand il s'agit comme ici d'une revue purement littéraire, chaque article s'accompagne d'une immersion plus ou moins longue dans le sujet traité. Pour ce numéro, l'article de Catherine Delons "Autour de Baudelaire" m'a fait replonger dans l'œuvre et la critique du poète, l'article de Hans Hartje sur les rapports entre radio et littérature m'a fait creuser mes archives radiophoniques, à la recherche d'enregistrements plus ou moins anciens et confidentiels. La période d'après-lecture est aussi assez chargée puisqu'il faut ensuite partir en quête des ouvrages chroniqués qui me semblent dignes d'intérêt, une bonne demi-douzaine dans ce numéro dont un prometteur petit guide pataphysique de l'Auvergne insolite.

Courrier. Arrivée d'une carte postale des G., en vacances à Bonneval.

TV. La Veuve Couderc (Pierre Granier-Deferre, France, 1971 avec Simone Signoret, Alain Delon, Ottavia Piccolo, Jean Tissier, Boby Lapointe; diffusé sur La Cinquième en 1999).
Un bagnard évadé se réfugie dans une ferme de Bourgogne et devient l'employé et l'amant d'une femme d'une cinquantaine d'années.
Le Chat, La Veuve Couderc et Le Train sont les trois films que Granier-Deferre a tirés de l'œuvre de Simenon. Pas des romans policiers, pas des Maigret, mais des romans de mœurs, presque des études naturalistes pour les deux premiers. L'univers Simenon est rendu dans le moindre détail, la parole rare, le canal tout proche, les secrets de famille enfouis, le contexte historique évoqué sans pesanteur, par des plans furtifs sur un titre de journal (l'affaire Stavisky, on est en 1934), un graffiti, une usine en grève, un groupe de Croix-de-Feu à l'arrêt d'autocar. Le temps s'écoule au rythme lent des chalands qui passent jusqu'à l'accélération finale, l'assaut donné à la ferme pour capturer le bagnard. Il serait exagéré de dire que l'ensemble est tout à fait passionnant mais ce film donne tout de même le plaisir de voir Delon manier la faux, Signoret traire une vache, Jean Tissier interpréter son avant-dernier rôle et surtout Boby Lapointe prononcer, une fois n'est pas coutume, des phrases tout à fait banales.

MARDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MERCREDI.
Bocal vide. On déplore le décès de Négrillon II. Décidément, les poissons ne font pas de vieilles arêtes dans cette maison.

Emplettes. J'achète L'année 2004 dans Le Monde, le Journal des Goncourt et un livre sur Kafka, une réédition d'Apostrophes (avec Albert Cohen) en DVD et le Jules Verne de Jean-Yves Tadié à offrir.

TV. Les Mains vides (Las Manos vacias, Marc Recha,France/Espagne 2003 avec Olivier Gourmet, Eduardo Noriega, Pierre Berriau, Mireille Perrier).
Port-Vendres, la gare, les trains qui passent, une vieille dame avec un perroquet, des bouteilles de vin blanc, un réparateur de mobylettes qui aimerait s'emparer du magot de la vieille dame après sa mort, un bistrot, un bras artificiel, des personnages qui parlent et dont on parvient à saisir une phrase sur quatre et, au milieu de ce fatras incompréhensible et éprouvant, Olivier Gourmet, comédien décidément de classe, qui joue comme si de rien n'était, avec une sérénité admirable.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des journaux en Chine, des coupures à Y et des aptonymes à AZ.

Courriel. Depuis la rentrée, je trouve chaque soir une boîte aux lettres gonflée, une masse de messages et d'informations qui me prend de plus en plus de temps à éplucher, classer, traiter, convoyer, ce qui, conjugué au froid polaire qui règne ces temps-ci, m'a fait renoncer plusieurs soirs de suite à la séance de cinéma prévue. Comme si cela ne me suffisait pas (j'aime recevoir des messages, j'aime les messages que je reçois, le fâcheux sont rares), je m'inscris à deux nouvelles listes de diffusion, le Cirque Zavatars et Jacter Haut, animée par Jacques Theillaud, où je devrais retrouver pas mal d'oulipotes. Parmi les bonnes choses qui me parviennent aujourd'hui, une demande d'abonnement aux notules et un article sur Perec, savoureux, de Jean-Michel Pochet destiné au site Fabula dans lequel il cite un morceau de notules.

Obituaire. France Culture commence ce soir une série de rediffusions en hommage à Yann Paranthoën, le "tailleur de sons" de la maison, qui fut longtemps réalisateur des Papous dans la tête, mort en début de semaine. On va pouvoir réentendre Lulu (portrait d'une femme de ménage de la Maison de la Radio), Paris-Roubaix (la victoire de Bernard Hinault en 1981), Au pays des roches Douvres (sur le phare des roches Douvres), et d'autres joyaux de cet homme qui a fait de la radio un des plus beaux arts qui soient. Je donnerais beaucoup pour pouvoir écouter à nouveau son émission sur Les mangeurs de pommes de terre de Van Gogh, entendue entre deux portes il y a quinze ou vingt ans et que je désespère de voir un jour rediffusée. Ce sera peut-être pour l'été, France Culture promet une nouvelle salve en août prochain.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, avec Michael Chiklis, CCH Pounder, Benito Martinez, Jay Karnes; saison 3, épisodes 2 & 3; diffusé sur Canal + le soir-même).

VENDREDI.
Cinéma. Les Temps modernes (Modern Times, Charles Chaplin, E.-U., 1936 avec Charles Chaplin, Paulette Goddard; vu dans le cadre de l'opération "Collège au cinéma").
La magie Chaplin fonctionne toujours. Les élèves, nous avons emmené quatre classes, voient pour la plupart d'entre eux un film en noir et blanc pour la première fois, en version originale même si la parole y est rare. Pas un bruit, pas un chuchotis, juste les rires ou le silence. J'en profite pour piquer un petit somme. Au retour, je somnole dans le bus. J'aime attaquer la sieste parfaitement reposé, elle n'en est que meilleure.

TV. Podium (Yann Moix, France, 2003 avec Benoît Poelvoorde, Jean-Paul Rouve, Julie Depardieu; diffusé sur Canal + le soir même).
Bernard Frédéric reprend du service cinq ans après avoir quitté les podiums où il officiait en tant que sosie professionnel du chanteur Claude François.
La vampirisation, l'identification, l'idolâtrie, il y avait dans cette histoire des thèmes qui méritaient d'être creusés tout en gardant l'orientation comique. Pour ce faire, il aurait fallu qu'un cinéaste soit aux commandes de la chose. Je ne sais si Yann Moix est un véritable écrivain, je ne l'ai jamais lu, mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas cinéaste. Son film est un collage de saynètes parfois drôles, souvent méchantes et méprisantes pour les personnages mis en scène et pour le public. Heureusement, Poelvoorde est là et se dépense sans compter - y compris vocalement - pour sauver quelques rares moments.

SAMEDI.
Vie sociale. Route délicate pour nos retrouvailles avec les H. à Blainville-sur-l'Eau, devenu sous la neige. Le retour verra même l'auto accomplir quelques amorces de pirouette tout à fait propres à vous tenir éveillé malgré l'heure avancée.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°201 - 13 mars 2005

DIMANCHE.
Abonnement. Les notules gagnent la Suède.

LUNDI.
TV. Starship Troopers (Paul Verhoeven, E.-U., 1997 avec Casper Van Dien, Denise Richards, Dina Meyer, Jake Busey; diffusé sur Canal + en ?).
XXIV° siècle. La Terre est devenue une vaste fédération menacée par les Arachnides, des insectes géants. Le jeune Johnny Rico s'engage dans l'infanterie mobile.
Ça commence comme un "college film" de la pire espèce, avec des jeunes gens aux dents blanches qui flirtent entre deux cours. Rapidement, on remarque des signes bizarres qui éloignent le film des conventions : les professeurs sont tous des mutilés de guerre et livrent des discours patriotiques qui amènent les jeunes à s'engager dans l'armée où ils vont découvrir les horreurs de la guerre. Le schéma rappelle, volontairement ou non, l'ouverture d'A l'Ouest rien de nouveau. La suite du film est plus conforme aux canons de la science-fiction avec les combats contre les créatures mais de bout en bout le décalage persiste entre les discours officiels et la réalité brutale. Paul Verhoeven, que je découvre, apparaît comme un réalisateur habile à faire semblant de suivre les règles d'un film de genre (scènes de combat, effets spéciaux saisissants) pour mieux les pervertir et livrer une réflexion personnelle et décalée sur l'engagement, le patriotisme, la gloire et le sacrifice.

MARDI.
Vie scolaire. J'accompagne une classe de troisième à Strasbourg pour une visite du Parlement européen. Je voyage beaucoup ces temps-ci, ce qui me plaît beaucoup mais me met un peu mal à l'aise dans la mesure où à chaque fois j'ai l'impression de prendre la place de quelqu'un d'autre, quelqu'un de plus compétent, de plus concerné et qui serait un compagnon de voyage d'un commerce peut-être plus agréable. Le programme de la semaine ne mentionnait d'ailleurs pas mon nom dans la liste des accompagnateurs prévus pour ce déplacement, encore un effet de ma transparence. Dans un système où certains exercent la charge de professeur principal, j'apparais, et me plais à apparaître, comme un professeur minimal, voire infinitésimal. Nous arrivons au Parlement en fin de matinée. Direction les toilettes, histoire de s'assurer que celles-ci ne sont pas encore à la turque, puis nous sommes pris en charge par l'attaché parlementaire de Mme Isler-Béguin, députée du groupe Vert qui a accepté de nous recevoir et avec qui R., collègue-ami-notulien-organisateur, nous a concocté un programme aux petits oignons. Nous ne verrons la députée que pour la traditionnelle photo de groupe puis, plus tard, de loin, quand nous serons admis dans la tribune réservée au public qui surplombe l'hémicycle. Celui-ci apparaît de prime abord comme une gigantesque pétaudière : les orateurs de chaque groupe se succèdent dans le brouhaha, on discute, on se déplace on bouquine, on fait son courrier. Et puis miracle, au moment du vote, tout le monde est sagement assis à sa place. On se surprend à constater que l'hémicycle est comble, ce qui met quelque peu à mal la réputation d'absentéiste forcené que promène le député européen, et tout ça pour voter une recommandation "relative à la position commune du Conseil en vue de l'adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les conditions d'accès aux réseaux de transport de gaz naturel", une autre "relative à la position commune du Conseil en vue de l'adoption du règlement du parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et le règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71" et ainsi de suite. Fascination devant l'exercice démocratique en action sous nos yeux. Le plan qu'on nous a donné nous permet de situer quelques têtes connues, Michel Rocard, Harlem Désir, Jacques Toubon, Alain Lipietz, Le Pen et sa clique, dont sa fille avec laquelle il n'a pas l'air si fâché que ça. Nous passons ensuite dans une petite salle où l'attaché parlementaire répond aux questions des élèves avant de quitter l'édifice. J'oubliais l'édifice, l'architecture saisissante, le verre et l'acier, bien sûr mais aussi le bois, omniprésent, une merveille.
Après un pique-nique polaire au milieu des cigognes de l'Orangerie, nous passons à la visite guidée du centre de Strasbourg. Comme à chaque fois, j'apprends de nouvelles choses sur la cathédrale et comme à chaque fois j'en sors dans un état de congélation complète. Je m'arrange pour prendre mes photos à l'insu du guide (salons Génitif, Coiff1rst et Esthête), il s'agit avant tout de ne blesser personne et nous regagnons nos pénates sans panne et sans algarade avec le chauffeur du bus, étonné, pour ce qui me concerne, d'avoir survécu à ma première journée sans sieste de l'année 2005.

Lecture. Dans la brume électrique avec les morts confédérés (In the Electric Mist with Confederate Dead, James Lee Burke, Hyperion Books 1992; Éditions Payot & Rivages, 1995, pour la traduction française; Éditions Payot & Rivages, 1999, pour l'édition de poche, coll. Rivages/Noir n° 314; traduit de l'américain par Freddy Michalski; 496 p.).
Un équipe de cinéma s'est installée à New Iberia, Louisiane, pour y tourner un film sur la Guerre de Sécession avec, dans ses bagages, Julie Balboni, ancien condisciple de Dave Robicheaux devenu un ponte de la mafia.
Cet épisode est peut-être le plus remarquable de la série consacrée à Dave Robicheaux, adjoint au shérif de New Iberia. Le retour de Balboni sur ses terres l'amène à revivre certains épisodes de son passé personnel, et même du passé de son pays, hanté qu'il est par des rêves mettant en scène les morts confédérés qui donnent au livre son titre. Robicheaux se débat dans un monde de plus en plus violent et corrompu, est amené à basculer dans l'illégalité, à utiliser les méthodes de ses ennemis pour préserver sa famille, une fois de plus menacée. Comme toujours chez cet auteur, l'intrigue n'est pas facile à démêler, Burke a l'habitude de construire des dialogues dans lesquels ses personnages se comprennent à demi-mot, forçant le lecteur à chercher le non-dit pour éclairer sa lanterne. Mais l'action policière n'est pas tout chez Burke, un des rares auteurs de polar à considérer la description comme autre chose qu'une nécessité et à consacrer des pages entières aux bayous, aux pacaniers, aux allées en coquilles d'huîtres, à la pluie, aux marais sans faire pour autant de sa Louisiane un paradis touristique.
Extrait. "J'ai fait partie des forces de police de La Nouvelle-Orléans pendant quatorze ans, d'abord comme flic à pied pour finir comme lieutenant à la Criminelle. Je n'avais jamais travaillé aux Mœurs, mais il existe peu d'endroits à La Nouvelle-Orléans qui ne vous y mènent inévitablement un jour ou l'autre. Sans son atmosphère païenne et décadente, ses spectacles de strip, ses racoleuses, ses bonimenteurs de music-hall, ses macs-taxis, et ses camés à la cervelle atteinte, la ville serait aussi attrayante aux yeux de la plupart de ses touristes qu'un parc d'attraction à thème agraire dans l'ouest du Nebraska.
Le Vieux-Carré a deux populations distinctes, presque deux climats de sensibilités différentes. Tôt le matin, des enfants noirs en uniforme se mettent en rang pour entrer dans l'école primaire catholique en bordure du jardin public; les paroissiens au sortir de la cathédrale Saint-Louis prennent café au lait et beignets en lisant le journal aux tables en terrasse du café du Monde; les rues sont encore fraîches, les toits de tuiles et les murs de stuc pastel des immeubles, zébrés de coulures d'humidité, le fer forgé en volute des balustrades de balcons éclatant de fleurs épanouies; les familles de touristes se font dessiner le portrait par les artistes qui installent leur chevalet le long de la clôture aux fers en épieu de Jackson Square; en arrière-plan la brise souffle de la rivière au travers des buissons d'azalées et d'hibiscus, des effloraisons de magnolias grosses comme le poing, et des bouquets de bananiers sous la statue équestre d'Andy Jackson; et aussitôt que vous vous enfoncez dans les profondeurs du Vieux-Carré, sous les colonnades de fer peintes en vert, vous sentez l'odeur propre et froide du poisson frais sur lit de glace, des cageots de fraises, de prunes et de pastèques bigarrées mouillées au tuyau d'arrosage et emperlées de gouttes d'eau.
Mais lorsqu'arrive la fin de l'après-midi, une faune d'une autre espèce envahit le Carré. Ses membres sont pour la plupart inoffensifs - étudiants, militaires, familles du Middle West qui essaient d'entrevoir, au-delà des portiers faisant l'article, l'intérieur des boîtes de strip-tease, hommes d'affaires japonais en complets bleu marine, appareils photo en bandoulière, paysans en goguette venus des régions arides du Mississipi. Mais ils ne sont pas seuls, une autre engeance les accompagne - arnaqueurs, artistes du bonneteau, pickpockets et barons, fourgueurs de coke et de marijuana, racoleuses par écuries entières qui se réservent exclusivement la clientèle des hôtels, et strip-teaseuses qui racolent dans les taxis après 2 heures du matin.
Ils opèrent en franchise, avec l'œil du ver de terre face au spectacle du monde. Ils sont habituellement sans joie, indifférents aux spéculations sur notre condition de mortels, morts d'ennui devant toutes les formes d'expérience ou presque. Pratiquement tous se shootent aux fumées de cocaïne ou directement à l'aiguille, se défoncent à la blanche ou fument du crack. Souvent ils se guérissent de leurs petits maux aux beautés noires.
Ils voient les gens du commun à la manière des forains de carnaval faisant l'article; ils considèrent leurs victimes avec dédain, parfois avec mépris. La plupart seraient incapables de se sortir tout seuls la tête d'un sac en papier; mais la précision de leur savoir quant aux différents prêteurs sur gages sur la place, à la hiérarchie de la pègre du cru, à la loi et à ce qu'ils encourent, aux flics et aux juges corompus, est impressionnante."

Abonnement. Il y a désormais deux notuliens en Haute-Savoie (100% d'augmentation).

TV. Six Feet Under (série américaine d'Alan Ball avec Peter Krause, Frances Conroy; saison 4, épisode 2, diffusé sur Jimmy le 6 mars 2005).
On ne sait si c'est un choix conscient ou une panne de scénario mais la série ne semble plus avancer. La mère Fisher s'est remariée avec un homme que ses enfants ont du mal à accepter, Keith, le compagnon du fils, a retrouvé du travail mais ces pistes ne mènent pour l'instant nulle part. L'épisode se résume en gros à un catalogue plutôt lassant des pulsions, fantaisies et expériences sexuelles des principaux protagonistes. On attend que les scénaristes sortent de leur torpeur.

MERCREDI.
Sortie. Les filles assistent à l'Heure du conte à la Bibliothèque municipale.

Courriel. Un magnifique salon Hairborist photographié à Uccle (près Bruxelles). Merci à MD.
RC, collègue-ami-notulien-perecquien en devenir-organisateur de voyages au long cours-patient interlocuteur de chauffeur de bus, fait ses premiers pas sur la [listeperec] avec une trouvaille sur les années de Perec au CNRS.

Cinéma. Boudu (Gérard Jugnot, France, 2005 avec Gérard Depardieu, Catherine Frot, Gérard Jugnot, Constance Dollé, Bonnafet Tarbouriech, Hubert Saint-Macary, Jean-Paul Rouve, Serge Riaboukine).
Un bourgeois de province recueille chez lui un SDF qu'il a sauvé de la noyade. Ce dernier se révèle rapidement envahissant.
Il faut pour apprécier ce film, ce que j'ai fait sans vergogne, faire abstraction des souvenirs que l'on peut avoir gardés de la version de Jean Renoir avec Michel Simon. On n'est plus à Paris mais dans une province de publicité pour le Crédit Agricole, le libraire Lestingois est devenu le galeriste Lespinglet mais Boudu reste Boudu, grossier, mal embouché, truculent et porteur de valeurs pures que ses hôtes, d'abord estomaqués, vont peu à peu apprendre à connaître. La philosophie gentillette qui parcourt le propos (enrichissons-nous de nos différences, en gros) est ici secondaire, Jugnot semblant se satisfaire du côté farce de l'affaire. C'est un domaine dans lequel il excelle, ayant gardé du café-théâtre le sens des répliques qui font mouche. Les acteurs jouent ça avec entrain, Depardieu, plus Obélix que jamais, en tête (même si on aimerait le voir prendre de temps à autre plus de risques comme il vient de le faire chez Téchiné). Un bon divertissement, je n'en demandais pas plus.
L'art du contrepet honnête. J'ai vu deux purs dieux dans Bouddha.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y et un mot à Laure Adler pour qu'on n'oublie pas Les mangeurs de pommes de terre dans les rediffusions des émissions de Yann Paranthoën.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, avec Michael Chiklis, CCH Pounder, Benito Martinez, Jay Karnes; saison 3, épisodes 4 & 5; diffusé sur Canal + le soir-même).
Deux épisodes taillés au rasoir, tendus, captivants. Dans le premier, un homme se fait estourbir d'un coup de fer à repasser. La dernière fois que j'avais vu cet ustensile utilisé comme une arme, c'était dans Le Père Noël est une ordure ("Joyeux Noël, Félix !).

VENDREDI.
Bougies. Quatre ans de notules.

Courrier. Une carte postale de vacanciers alpins.

Transhumance. Départ pour Paris par le 19 h 36.

SAMEDI.
Lecture. Les métamorphoses de Franz Kafka (Claude Thiébaut, Gallimard, 1996; coll. Découvertes Littérature n° 305; 144 p.).
Après le Baudelaire de Robert Kopp, confirmation de la qualité de cette collection qui, au-delà de la découverte promise par son intitulé, permet aussi à l'amateur plus averti de rafraîchir ou de synthétiser ses connaissances sur un auteur. Le texte de Claude Thiébaut suit la chronologie de Kafka et mêle informations biographiques et une analyse des oeuvres qui, si elle est succincte, présente toutefois des vues originales comme celle qui consiste à rattacher Le Procès à des éléments de la vie de Kafka (le fameux tribunal de l'Askanischer Hof qui aboutit à la rupture des fiançailles entre Franz et Felicia Bauer) ou une autre qui établit un parallèle entre le héros du Château et le lecteur du roman, "l'un et l'autre en quête d'un sens à poursuivre" (plagiant ainsi par anticipation les notules 95, janvier 2003, où l'on pouvait lire : "En cela, K., c'est aussi le lecteur face au livre-château inaccessible, un monde déroutant dont il aimerait se faire reconnaître pour simplement exercer cette activité pour laquelle il est là : lire et comprendre. Nous sommes tous des arpenteurs allemands..."). L'auteur prend bien soin de ne pas donner une image "kafkaïenne" de Kafka (l'iconographie, très riche comme le veut la collection, présente plusieurs photos d'un Kafka souriant) et invite à se méfier des interprétations allégoriques et religieuses de Max Brod. Il est tout à fait possible de voir ce livre comme un point de passage entre la lecture des oeuvres de Kafka et les études pointues de Marthe Robert, Blanchot, Deleuze et Guattari, en attendant la monumentale biographie de Kafka par Reiner Stach dont on attend la traduction.

Vie parisienne. J'arrive de bonne heure à Jussieu, ce qui me permet de faire plus ample connaissance avec Éric Lavallade, le conférencier du jour, et Gilles Esposito-Farèse, une épée du CNRS, qui connaît les notules. Aujourd'hui, Lavallade s'attaque à La boutique obscure, recueil de 124 rêves notés par Perec entre mai 1968 et août 1972. La boutique obscure est un livre peu lu, peu aimé, peu étudié. Perec lui-même n'a pas caché qu'il était né d'une nécessité éditoriale (le cinquième volume dû par contrat à Denoël), a regretté sa publication et ne l'a pratiquement plus jamais mentionné après celle-ci. Éric Lavallade démontre aisément que l'assertion de Perec selon laquelle "Il y a très peu de rapports entre ma vie et ce que je rêve" ne tient pas. Ce qui n'a rien d'étonnant : Perec, comme tout le monde, rêve de ce qui le préoccupe et on retrouve dans La boutique obscure une thématique connue : la guerre, les camps, la mort des parents, les relations sentimentales, le service militaire, les déménagements. Certains sujets cependant sont plus surprenants, bien qu'ils apparaissent aussi, mais de façon moins évidente, dans le reste de l'oeuvre : la vie professionnelle, le rapport à l'argent et à la célébrité ou, plus prosaïquement, la conduite automobile. En fait, malgré le peu d'intérêt qu'il suscite, ce recueil a sa place dans le réseau perecquien et peut être rattaché à d'autres textes centrés sur le sommeil (Lieux où j'ai dormi, Un homme qui dort...) voire au projet Lieux par la contrainte mise en oeuvre (décrire ce que je vois, ce dont je me souviens, ce dont je rêve). Le conférencier s'est volontairement limité à une étude thématique des rêves mais il y a d'autres pistes à explorer, notamment la typographie, très soignée, ou l'index, qui vient d'un Perec conscient, pas seulement relateur de rêves, et qui contient des entrées aussi surprenantes que "Effectivement", "En fait" ou "Structure ternaire du rêve". Il y a des pistes, mais peu d'explorateurs prêts à se lancer : Bernard Magné ne cache pas sa réticence face à un texte sur lequel sa grille d'interprétation ne fonctionne pas. La première chose à faire est peut-être de reprendre le livre, que j'avais lu à une époque où Perec m'était moins familier qu'aujourd'hui, ce qui permet de savourer comme il se doit le rêve 95, cauchemar de 1971 qui attendra plus de vingt ans avant de se réaliser grâce aux bons soins de la maison Gallimard : "Cela commence par des remarques anodines, mais bientôt il faut se rendre à l'évidence : il y a plein de E dans La Disparition. On en voit d'abord un, puis deux, puis vingt, puis mille ! Je n'en crois pas mes yeux. J'en parle avec Claude. On peut penser que je rêve. On regarde à nouveau : plus de E. Tout de même ! Mais de nouveau, si, en voilà un, un autre, et encore deux autres, et de nouveau, plein ! Comment se fait-il que personne ne s'en soit jamais aperçu ?"
Je me farcis des tomates qui le sont déjà au Petit Cardinal, et abats de l'ouvrage à la Bibliothèques des Littératures Policières. Face à moi, une jeune fille travaille sur l'affaire Grégory. Venir ici pour lire La Liberté de l'Est ! De retour au Petit Cardinal, alors que je sirote paisiblement mon thé au comptoir, je me fais aborder par un grand échalas en qui je reconnais rapidement un de mes anciens élèves, cuvée 1995 environ, qui officie comme pompier à la caserne de la rue Cardinal-Lemoine, juste à côté de la bibliothèque. Coup de chance, il porte un prénom peu commun dont je n'ai pas aucun mal à me souvenir (Orson) et il m'invite à sa table où nous nous mettons à remuer le passé, un moment suffisamment plaisant pour que je ne regrette pas la séance de cinéma que je m'étais promise.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°202 - 20 mars 2005

DIMANCHE.
Vie parisienne. Après ma séance habituelle au Louvre, je manque de temps et de motivation pour le ciné-club de l'Arlequin et décide de profiter du soleil revenu pour remonter à pied jusqu'à la gare de l'Est. Parcours erratique, au petit bonheur la chance, via l'Opéra, la Trinité, le marché de la rue des Martyrs et le boulevard Poissonnière où un beau demi bébé Cadum au-dessus des toits me félicite pour mes efforts pédestres.

Courriel. Je trouve à mon retour une demande d'abonnement aux notules et un couple d'aptonymes en provenance de Suisse, dont un redoutable Martial Grosfort, professeur d'arts martiaux.

LUNDI.
Courriel. RB me signale que la Haute-Savoie est plus peuplée en notuliens que je l'avais cru.

Cinéma. Le Promeneur du Champ-de-Mars (Robert Guédiguian, France, 2004 avec Michel Bouquet, Jalil Lespert, Philippe Fretun, Anne Cantineau, Sarah Grappin, Catherine Salviat, Claude Frissung, Philippe Lemercier, Serge Kribus).
Au terme de son second mandat, François Mitterrand accorde une série d'entretiens à un jeune journaliste.
En se consacrant aux derniers mois de pouvoir de Mitterrand, Guédiguian tourne, paradoxalement, un film beaucoup moins politique que ses fictions habituelles. Bien sûr, on assiste ici au discours social de Liévin, on parle de l'union de la gauche, des rivaux du président mais cela ne constitue pas le menu principal du propos. Centré sur les conversations entre Mitterrand et le journaliste (les échappées sentimentales de celui-ci sont totalement inintéressantes), le film est avant tout oral, presque bavard. Pourtant, il est passionnant, parce que ce n'est pas n'importe qui qui parle et parce que le sujet principal est celui qui prévient tout assoupissement (on ne sait jamais), celui qui a donné, à mon goût, le meilleur film de Truffaut (La Chambre verte), la mort. La mort qu'on tente d'apprivoiser, d'approcher en visitant cryptes et cimetières, la mort qui hante le visage de Michel Bouquet, saisissant. Ce qui rend inutile la question de savoir si c'est un film pro ou anti-Mitterrand, fidèle ou non au personnage, à ses paroles, à son parcours puisque ce n'est pas le sujet.

MARDI.
Lecture. Le couperet (The Axe, Donald Westlake, Mysterious Press, Warner Books Inc., New York 1997; Éditions Payot & Rivages pour la traduction française, coll. Rivages/Thriller; traduit de l'américain par Mona de Pracontal; 252 p, 19,06 €).
On oublie parfois que l'œuvre de Westlake ne se limite pas à la veine fantaisiste explorée avec la série Dortmunder. Sans remonter aux polars "hard boiled" qu'il signa du pseudonyme de Richard Stark à la Série Noire, on trouve aussi chez lui des romans de pure aventure (Kahawa), une exploration du monde du journalisme (Moi, mentir ?, Faites-moi confiance), des romans qui confinent au fantastique (Smoke)... Le couperet témoignait d'une préoccupation sociale poursuivie dans son roman suivant Le contrat. On y découvre un homme, licencié de l'usine de papier où il a été cadre supérieur pendant vingt-cinq ans, qui tente d'apprendre la vie de chômeur de longue durée. Stages bidon, entretiens stériles, train de vie réduit, vie familiale délabrée, Mark Devore connaît tous les tourments des cols blancs victimes des compressions, dégraissages et délocalisations économiques. Mark Devore sait qu'il n'a pas d'avenir, à moins d'innover, de trouver une solution, d'utiliser la morale du monde de l'entreprise, celle qui consiste à éliminer la concurrence en suivant le principe que la fin justifie les moyens. Et Devore se met à éliminer un à un les personnes susceptibles de convoiter le même poste que lui en cas d'embauche... Westlake donne ici une peinture extrêmement cruelle et réaliste de l'Amérique moderne dans le cadre d'un polar époustouflant, impossible à lâcher une fois entamé. Le lecteur fait corps avec le héros, tout assassin qu'il soit, épouse ses motivations, partage ses peurs, comprend et justifie tous ses actes. Un sommet dans l'œuvre de Westlake, qui n'en est pas avare (c'est même tellement bien que je me demande si j'ai toujours envie de voir le film de Costa-Gavras tiré du livre).

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un polar et un guide de l'Auvergne, histoire de préparer nos vacances dans le Limousin.

Vie au grand air. Première sortie dans le jardin, premiers coups de bêche, premières fourches de compost, premiers coups de sécateur. C'est tous les ans la même chose mais il y a des nouveautés. Ma garde-robe s'est enrichie, pour ce genre d'exercice, d'une ceinture lombaire des plus seyantes. Et puis le jardin sonne le creux, les coups de bêche résonnent dans le vide. Mme P., qui travaillait le jardin voisin et dont il fut question dans le numéro 60 des notules est morte cet hiver. On ne verra plus son chapeau de paille, sa silhouette à l'équerre, on n'entendra plus sa conversation intarissable (même la tondeuse à gazon ne lui faisait pas peur), son élocution bizarre auxquelles les filles, un peu effrayées, ne comprenaient rien.

Courriel. Hervé Moritz envoie le n° 34 des Cahiers du Laboratoires d'Inventions Scientifique(s) consacré à la Polychésie de la race allemande. Où l'on apprend que la la polychésie (de polu, beaucoup et cezeih, déféquer) est la manifestation d’une suractivité anormale de la fonction intestinale.
Y., destinataire régulier de mes revues de presse, annonce sa participation à un débat sur ARTE mardi prochain.

Cinéma. De battre mon cœur s'est arrêté (Jacques Audiard, France, 2005 avec Romain Duris, Aure Atika, Emmanuelle Devos, Niels Arestrup, Jonathan Zaccaï, Linh-Dan Pham, Mélanie Laurent).
Tom est comme son père, un marchand de biens véreux qui n'hésite pas à recourir aux méthodes les plus viles pour s'approprier des immeubles entiers. Il retrouve un jour par hasard l'ancien agent de sa défunte mère qui fut une pianiste renommée. Tom, qui a déjà tâté du piano, est invité à passer une audition et se remet à travailler l'instrument.
Par miracle, un jeune loup de l'immobilier se met à rêver de devenir un concertiste de haute volée : on reconnaît, au scénario, la patte de Tonino Benacquista, familier des personnages qui changent brusquement de vie et assez habile pour faire gober ça sans difficulté. Si le film fonctionne aussi bien qu'un roman dudit Benacquista, c'est aussi grâce à l'interprétation d'un Romain Duris méconnaissable, débarrassé de son image lisse (voir L'Auberge espagnole), instable, fiévreux, habité, remarquable. Avec lui, Audiard emporte la mise, fait basculer cette histoire a priori bancale dans un film sombre où c'est la musique seule qui tient lieu d'éclairage. Un second thème s'insinue dans l'histoire principale, celui du renversement familial, du moment où c'est le fils qui doit s'occuper du père, interprété ici par Niels Arestrup, étonnant et pathétique dans une composition à la Marlon Brando.

JEUDI.
TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, avec Michael Chiklis, CCH Pounder, Benito Martinez, Jay Karnes; saison 3, épisodes 6 & 7; diffusé sur Canal + le soir-même).

VENDREDI.
Vie au grand air. Je sème pois et mange-tout.

TV. Six Feet Under (série américaine d'Alan Ball avec Peter Krause, Frances Conroy; saison 4, épisode 3, diffusé sur Jimmy le 13 mars 2005).
Toujours décevant. La série fait du surplace.

SAMEDI.
Changement d'adresse. Les notules découvrent la Grèce.

Vie sociale. Nous sommes conviés à la croûte chez les G. Je calcule qu'en jouant finement, je peux attraper la première mi-temps de SAS - Sochaux au stade de la Colombière et arriver aux agapes à une heure chrétienne. C'est donc ainsi que je procède. De plus, la chance est avec moi : alors que je quitte le stade, je tombe sur P qui me tiendra au courant de l'évolution du score par SMS tout au long de la seconde mi-temps. J'aurais pu tout aussi bien voir la totalité du match : ce n'est que vers 22 heures que les G s'avisent qu'il ont oublié d'allumer le four.

Bon dimanche.

N.B. Le numéro 203 des notules sera livré le lundi 28 mars.

 

Notules dominicales de culture domestique n°203 - 28 mars 2005

DIMANCHE.
Printemps. Activités de saison, jardinage, sortie de vieux présentoirs de la pharmacie et autres rossignols pour la collecte des objets encombrants.

LUNDI.
TV scolaire. Le Dictateur (The Great Dictator, Charles Chaplin, E.-U., 1940, avec Charles Chaplin, Paulette Goddard, Jack Oakie, Reginald Gardiner, Henry Daniell; diffusé sur ARTE en ?).
La Tomania est passée sous la coupe du dictateur Hynkel qui prévoit l'invasion du pays voisin, l'Osterlich. Dans le ghetto juif vit un barbier qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau.
Entre 1931 et 1967, Chaplin, dont la filmographie est jusque là abondante, ne tourne que sept films. Quatre ans séparent Les Temps modernes du Dictateur mais la préoccupation est restée la même : se servir de la comédie pour livrer une satire de la société et un discours humaniste. La dimension supplémentaire pour ce film est celle de l'urgence : l'histoire s'emballe, il faut faire vite, et en plus vaincre les réticences des studios. Le montage du film épouse cette accélération de l'histoire, avec une longue exposition qui nous montre le parcours du barbier à partir de la guerre de 14. Puis, au fur et à mesure que Hynkel, son sosie, envahit l'écran, la comédie cède peu à peu la place au tragique, jusqu'au célèbre morceau final, le discours pacifiste et égalitariste prononcé par le barbier en lieu et place du dictateur. En fait, la comédie ne disparaît pas, c'est mieux que ça : Chaplin l'utilise toujours, mais elle ne fonctionne plus. La visite du dictateur Benzino Napaloni à son voisin Hynkel est pleine de gags, mais d'une lourdeur et d'une épaisseur telles qu'ils tombent à plat. C'est la leçon la plus étonnante du film : volontairement ou non, Chaplin montre ici son talent bridé, empêché par la situation historique. Et il faudra attendre sept ans cette fois pour qu'il refasse un film, Monsieur Verdoux, dans lequel le burlesque s'effacera pour de bon pour laisser place à l'humour noir.

MARDI.
Courriel. Un message de Laure Adler, qui me donne du "Cher Philippe" et m'assure que Les mangeurs de pommes de terre, de Yann Parenthoën, sera rediffusé sur France Culture, "probablement pendant la grille d'été."

TV 1.
Les Damnés (La caduta degli dei, Luchino Visconti, Italie, 1969 avec Dirk Bogarde, Ingrid Thulin, Helmut Berger, Renaud Verley, Charlotte Rampling, Florinda Bolkan, Umberto Orsini; diffusé sur Paris Première en 2002).
1933. Une famille de la grande bourgeoisie industrielle allemande célèbre l'anniversaire du patriarche. On apprend la nouvelle de l'incendie du Reichstag. La famille se déchire.
A mon grand regret - et à ma courte honte - je dois dire que je n'ai pas réussi à entrer dans ce film pourtant réputé. Dans les histoires de famille, l'exposition est importante : inutile de lire Les Buddenbrook si on ne pige pas le premier chapitre... Or ici, la séquence d'ouverture, avec la présentation des personnages, m'a semblé confuse, et j'en suis rapidement arrivé à ne plus pouvoir démêler Gunther, Herbert, Joachim, Friedrich, Martin, Hans (y avait-il un Hans ?), à confondre le père avec le tonton et le cousin avec le cousin. Dommage, car la suite, les tensions familiales au rythme de la montée du nazisme, ménage des moments de beauté glacée impressionnants (le double suicide final). Le temps malheureusement me manque pour donner une deuxième chance au film...

TV 2. In nomine patris. Ce que veulent les mouvements des pères (documentaire de Myriam Tonelotto & Marcus Hansmann, Allemagne, 2004; diffusé sur ARTE le soir même dans le cadre d'une soirée thématique "Quand des pères se vengent").
Quoique je sois, dans certains domaines, un modèle de prévoyance, ce n'est pas dans le but d'une éventuelle adhésion que j'ai regardé ce programme sur le divorce, les problèmes de garde d'enfant et le rôle que veulent se donner les associations de défense des pères dans ces domaines mais pour voir le débat qui l'accompagnait, débat auquel participait Yves Lambert, directeur de l'association SOS Femmes Accueil. J'ai déjà entendu des notuliens à la radio, il m'arrive même d'en croiser en chair et en os mais c'est la première fois que j'avais l'occasion d'en voir un à la télévision. Événement d'autant plus important que l'homme fait partie de la notule canal historique : c'est lui qui a initié le site des notules, qui l'administre et le met à jour chaque semaine. C'est aussi quelqu'un qui, curieusement, a eu une vie avant les notules : il y a trente ans, nous partagions nos premières Gauloises.

MERCREDI.
Sortie. Les filles assistent à l'Heure du conte à la Bibliothèque municipale.

Vie au grand air. Mise en terre des épices.

Cinéma. Les Mots bleus (Alain Corneau, France, 2004 avec Sylvie Testud, Sergi Lopez, Camille Gauthier, Laurent Pétin, Mar Sodupe, Cédric Chevalme, Isabelle Petit-Jacques, Prune Lichtle, Cécile Bois).
Anna, six ans, vit avec sa mère, Clara. Sans être muette, elle n'a jamais prononcé un mot depuis sa naissance. Clara l'inscrit dans une école pour malentendants. Le directeur, Vincent, s'intéresse au cas de la jeune fille.
Chaque membre du trio est victime d'un blocage, blocage oral ou blocage affectif. Quand on a compris que l'issue du film ne peut être que la constitution d'un triangle familial sur la chanson des Mots bleus interprétée par Christophe, il reste une bonne heure et demie à tenir et c'est très long, malgré la bonne volonté des interprètes. Les scènes répétititives d'apprentissage, les confessions qui révèlent les origines de la situation, les vagues péripéties ne parviennent pas à donner du corps à un film qui en manque cruellement.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à une vedette de la télévision et un chèque de réservation à Luxeuil pour une nouvelle tentative d'intrusion dans l'univers théâtral.

Projet. Je passe la journée à réfléchir à une nouvelle manière d'encombrer les boîtes à courriel de mes contemporains. Depuis que je suis en possession d'un appareil photo numérique, je mitraille à tout va. Je ne me limite plus aux cafés fermés, aux publicités peintes ou aux salons de coiffure dotés d'une enseigne tartignolle : chaque incursion en ville s'accompagne d'une flopée de clichés de panneaux, de maisons, de balcons, de rues, de magasins qui finissent par former une sorte de version iconographique et plurielle de ma Tentative d'épuisement d'un lieu spinalien. Parallèlement, j'ai constaté que mon carnet d'adresses comprenait un grand nombre de Spinaliens exilés. L'idée m'est naturellement venue de les faire profiter de mes photos sous forme ludique, en envoyant, une fois par semaine, une image d'Épinal non légendée et en leur demandant où elle avait été prise, histoire de vérifier la pertinence de la phrase de Jacques Roubaud "La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains". Ce projet, intitulé Diasporama, est indépendant des notules, même s'il y a beaucoup de destinataires communs aux deux envois. S'il intéresse des non Spinaliens, des Spinaliens actifs, des Spinaliens pratiquants, ceux-ci peuvent bien entendu s'y greffer et me faire signe.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, avec Michael Chiklis, CCH Pounder, Benito Martinez, Jay Karnes; saison 3, épisodes 8 & 9; diffusé sur Canal + le soir-même).

VENDREDI.
TV. Six Feet Under (série américaine d'Alan Ball avec Peter Krause, Frances Conroy; saison 4, épisode 4, diffusé sur Jimmy le 20 mars 2005).
Pour redonner un peu de tonus, on réinjecte des personnages issus des saisons précédentes et on laisse entendre que ce retour pourrait ne pas concerner que des êtres vivants... Ce n'est pas encore redevenu passionnant mais on constate un léger frémissement.

SAMEDI.
Courriel. J'envoie le premier numéro du Diasporama à vingt-cinq anciens Spinaliens en exil et reçois les premières réponses.

Pentecôte.
Habituellement, c'était à cette date que se réunissait la famille de Caroline. Comme chacun le sait, M. Raffarin a décidé de faire payer l'impéritie dont ses services ont fait preuve dans la gestion de la canicule 2003 par la suppression d'un jour férié, en l'occurrence le lundi de la Pentecôte. La cérémonie annuelle a donc dû être avancée à Pâques et nous nous retrouvons en soirée au Rouge Gazon, au-dessus de Saint-Maurice-sur-Moselle (le fief de Pierre Pelot) ce qui est un net progrès par rapport à l'an dernier où nous avions dû galoper jusqu'au Cap Fréhel pour goûter les aménagements spartiates d'une auberge de jeunesse, une tranche d'âge, c'était l'occasion de le remarquer, à laquelle je n'appartenais plus. A l'auberge du Rouge Gazon, le confort ne fait pas défaut, nous bénéficions d'une chambre où je pourrai à ma guise siester, bouquiner et travailler. Ce qu'il y a de bien avec ce genre de gargote montagnarde, c'est qu'on vous y considère forcément comme un figurant échappé des Grandes gueules, de retour d'une journée de bûcheronnage et souffrant d'un important déficit calorique qu'il s'agit de combattre de toute urgence à grand renfort de pièces fumées, de tourtes fumantes, de jambons à l'os, de patates au lard et de kugelhof. Comme d'habitude, le fait d'être en présence de plus d'une dizaine de personnes qui me semblent particulièrement à l'aise me met dans un état de tension démesuré et injustifié, à un point tel qu'en une demi-heure je réussis à me mettre le dos en capilotade sans avoir effectué le moindre mouvement.

Bonne semaine.