Notules dominicales 2005
 
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Notules dominicales de culture domestique n°232 - 6 novembre 2005

DIMANCHE.
Bercail (retour au). Au réveil, le temps est toujours aussi exécrable. Nous ne retrouvons le soleil qu'à partir du Puy et croûtons en terrasse près de Saint-Etienne après nous être débarrassés d'une bonne part de nos oripeaux mais pas d'un léger sentiment de culpabilité à l'idée d'avoir laissé les aminches dans la brouillasse cévenole. Sur une aire autoroutière, il nous semble bien reconnaître la voiture des B., voisins de Saint-Laurent. Comment faire lorsqu'un cas pareil se présente et qu'on n'a pas forcément le temps ni l'envie d'explorer les toilettes ou la cafétéria d'une station-services à la recherche de connaissances qui n'y sont et qui n'en sont peut-être pas ? Ce n'est pas très difficile. Vous prenez votre clé de contact et vous gravez un message bref mais amical sur une portière du véhicule (évitez les lettres curvilignes, difficiles à tracer) et comme vous êtes, ne l'oubliez pas, en situation de doute, vous ne le signez pas. Une fois de retour au pays, vous rencontrez vos éventuels voisins de stationnement. S'ils vous racontent alors comment ils ont, à leur retour de vacances, retrouvé leur voiture vandalisée par des sapajous, vos doutes s'envoleront et vous aurez la certitude rassurante que vous êtes un excellent physionomiste de parking.

Courrier. Je trouve une photo d'un salon "Caract'Hair" de La Madeleine (Nord) à notre retour de Loz'Hair. Merci à AZ.

Lecture. Plus amer que la mort (Fred Kassak, 1957; rééd. in Romans I, Le Masque, coll. Intégrales, présentation de Paul Gayot, postfaces de Fred Kassak, 1998; 642 p., s.p.m.).
Atteint d'une maladie de cœur, Pierre s'accroche à ce qui lui reste de vie pour mener à bien une dernière tâche : tuer sa femme.
C'est le dossier de Temps noir évoqué la semaine dernière qui m'a donné envie de remettre le nez dans Fred Kassak. Le livre a un parfum désuet, celui du polar qualité française des années 50, tendance Boileau-Narcejac : cadre parisien, beaux quartiers, belles familles avec domesticité, querelles d'héritage... Dans cette école, celle de la collection du Masque, l'écriture n'importe guère : on écrit bien, mais sans effet, sans fioriture. Ce qui est privilégié, c'est l'intrigue, sa construction. Le roman policier est synonyme d'énigme, de roman à suspense. L'auteur doit faire preuve de son habileté. On parle, comme Paul Gayot dans sa présentation, de puzzle, de devinette, de procédé. Et à ce jeu, il faut bien dire que Kassak est un maître. Au début du livre, Pierre s'apprête à tuer sa femme. Suit une série de retours en arrière qui nous ramènent à la jeunesse du personnage. Celui-ci fréquente alors plusieurs femmes, certaine par amour, certaine par convenance, etc. L'identité de celle qu'il a épousée (et qu'il va tuer) n'est pas révélée et il faut bien sûr attendre le dernier chapitre pour connaître son identité. Kassak est habile, le lecteur est pris au piège et ne lâche pas le livre avant la fin.
Extrait du prologue, censé se dérouler en 1998. "Il parcourut fébrilement du regard les rangées de livres et se redressa, soulagé : le gros volume était bien là, perdu au bout d'un rayon, en compagnie des ouvrages de Jean-Paul Sartre, un philosophe encore célèbre trente ans plus tôt et tombé dans l'oubli."

LUNDI.
Vie horticole. C'est la première fois que je suis obligé de tondre la pelouse un 31 octobre. L'herbe est grasse comme au printemps. Il n'y a décidément qu'en Lozère où l'automne est à l'heure.

Courriel. Échange avec le rédacteur en chef de La Liberté de l''Est en vue d'une pige littéraire.
Échange avec ST au sujet des tueurs de l'Ardèche.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 16 & 17, diffusés sur Canal + le 28 octobre 2005).

MARDI.
TV. Ne quittez pas ! (Arthur Joffé, France, 2004 avec Sergio Castellitto, Isabelle Gélinas, Rachida Brakni).
Un homme est harcelé par son défunt père qui lui téléphone de l'au-delà.
J'ai beaucoup aimé le portrait de cet homme, campé par un Castellitto plus rêveur que jamais, vivant dans une totale nostalgie, incapable de se séparer de quoi que ce soit, objets, personnes ou sentiments. Quand, au téléphone, l'opératrice lui dit la phrase titre, il répond : "Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, je ne quitte jamais rien ni personne." Malheureusement, ce portrait n'occupe que le tout début du film qui se perd ensuite dans une histoire interminable agrémentée de conversations interstellaires qui ne valent pas un bon Don Camillo. Quant à la fin qui mêle réconciliation familiale et souvenir de la Shoah, elle tient tout simplement du grotesque.
Curiosité. On note une apparition éclair de Claude-Jean Philippe en client d'un kiosque à journaux qui se fait voler son téléphone de poche.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un roman russe et le premier volume des aventures de Sherlock Holmes en édition bilingue.

Vie festive.
Alice fête pour la première fois son anniversaire en compagnie de ses condisciples. Parmi eux, le jeune B. J'inspecte, mine de rien, l'auto de ses parents. Soit ils n'étaient pas sur l'autoroute A 6 dimanche dernier, soit ils ont un carrossier rapide et efficace.

TV. Pigalle Saint-Germain-des-Prés (André Berthomieu, France, 1950 avec Jacques Hélian, Jeanne Moreau, Henri Génès; diffusé sur RTL 9 en ?).
L'orchestre de Jacques Hélian anime les soirées d'une boîte de Pigalle tenue par des gangsters. Ne parvenant pas à se faire payer correctement, les musiciens émigrent vers Saint-Germain-des-Prés et jouent dans une cave qui vient d'ouvrir.
Il y eut au début des années cinquante quelques films où les orchestres en vogue à l'époque tenaient la vedette. Les films avec l'orchestre de Jacques Hélian (celui-ci, Musique en tête, Tambour battant) ont disparu des mémoires mais on a pu voir parfois à la télévision ceux dans lesquels jouaient Ray Ventura et ses Collégiens (Nous irons à Paris, Nous irons à Monte-Carlo). Ray Ventura est d'ailleurs producteur de Pigalle Saint-Germain-des-Prés, un film dont les intrigues policière et sentimentale (avec la débutante Jeanne Moreau) n'ont guère d'intérêt. En revanche, c'est un régal sur le plan musical. On y voit la naissance des boîtes souterraines de Saint-Germain, les existentialistes gentiment caricaturés, les danses endiablées, la jeunesse nouvelle en robe courte et chemise à carreaux. On y voit et entend des chanteurs nommés Henri Génès (disparu il y a quelques mois, je l'avais croisé un jour à La Roche-Posay), Jean Marco (chanteur de charme gominé qui devait se tuer dans un accident de voiture en 1953), Ginette Garcin (!) et le chœur féminin des trois "Hélianes" aux voix acidulées. La musique commence à swinguer, mais d'une façon très sage : Jacques Hélian n'est pas un révolutionnaire, il tente de suivre le mouvement mais va vite être dépassé puisque son orchestre disparaîtra en 1956. Un bijou pour les amateurs de kitsch ou, plus simplement, des musiques de l'époque.

Lecture. Au bois dormant (Boileau-Narcejac, Denoël, 1956; rééd. in Quarante ans de suspense vol. I, Robert Laffont, coll. Bouquins, édition établie par Francis Lacassin, 1988; 1340 p., 120 F).
Le jeune Alain, en visitant les ruines du château de Muzillac, tombe sur le testament de son arrière-grand-oncle, ancien occupant des lieux.
C'est le texte de ce testament qui occupe presque l'intégralité de ce court roman. Le comte de Muzillac y raconte son retour d'exil en 1815 et ses retrouvailles avec le château familial, près de Rennes, passé aux mains de personnages bien étranges. Si l'époque et les lieux évoquent dans un premier temps Chateaubriand, ce sont les grands maîtres de la nouvelle fantastique du XIX° siècle qui viennent ensuite à l'esprit. Boileau et Narcejac réalisent en effet un véritable "à la manière de", un collage dans lequel on peut s'amuser à reconnaître des accents de Maupassant, Villiers de l'Isle-Adam, voire Edgar Poe. Eux que l'on considère souvent comme des faiseurs appliqués du roman policier bourgeois montrent leur habileté à changer de registre : la tournure des phrases, le vocabulaire, l'ambiance sont parfaitement calqués sur les récits de genre de l'époque. Les phénomènes surnaturels qui surviennent trouvent in fine une explication rationnelle mais, comme chez Théophile Gautier, le doute subsiste grâce à la persistance de quelques éléments troublants. Habile, très habile...

JEUDI.
Cinéma. Le Mystère de la chambre jaune (Bruno Podalydès, France, 2003 avec Denis Podalydès, Sabine Azéma, Pierre Arditi, Olivier Gourmet, Claude Rich, Michael Lonsdale, Jean-Noël Brouté, Julos Beaucarne, Isabelle Candelier; vu dans le cadre de la formation à Collège au Cinéma).
Autant je peux lire et relire sans me lasser le livre de Gaston Leroux, autant ce film m'ennuie davantage à chaque projection et ce n'est pas le travail (?) inconsistant préparé (?) par le formateur qui nous en parle ensuite qui va changer cet état de fait. L'après-midi, au cours de laquelle je manque à plusieurs reprises de dévisser de ma chaise, m'aura en tout cas appris, s'il en était encore besoin, que je ne peux décidément survivre à la privation de sieste.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 18 & 19, diffusés sur Canal + le soir même).
L'ennui gagne, lentement mais sûrement.

VENDREDI.
Cinéma. L'Enfant (Jean-Pierre et Luc Dardenne, France-Belgique, 2005 avec Jérémie Renier, Déborah François, Jérémie Segard, Fabrizio Rongione, Olivier Gourmet, Stéphane Bissot, Mireille Bailly, Anne Gérard, Bernard Marbaix).
Bruno, un jeune délinquant, a besoin d'argent. Il apprend qu'un couple pourrait acheter l'enfant que sa compagne vient de lui donner.
On est désormais habitué au cinéma des frères Dardenne, à leur manière brutale de filmer, à leur façon de projeter la réalité sociale sur l'écran sans filtre adoucissant, à leurs acteurs fétiches (Renier, Gourmet), à leur humanisme chrétien (l'enfant en Moïse, Bruno en réincarnation de saint Christophe), à leur goût pour le pardon des offenses. L'Enfant ne surprend donc pas, il est dans la lignée des films précédents, de La Promesse au Fils en passant par Rosetta. Cependant, il captive moins, peut-être justement à cause de cette accoutumance, et la Palme d'Or attribuée à Cannes semble un peu redondante après celle de Rosetta. Malgré cette légère déception, on reste dans un cinéma de haute tenue, fait par des réalisateurs qui n'ont pas peur de se colleter avec le réel. Ils montrent ici l'énergie déployée par un jeune voyou, un gamin inconscient qui peu à peu, au fil des épreuves, au bout d'un parcours épuisant, va trouver l'apaisement. Un apaisement que l'on rencontre aussi dans la mise en scène moins heurtée que d'habitude et qui rapproche les Dardenne de Robert Bresson.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

SAMEDI.
Football. S.A.Spinalien - Wasquehal : 0 - 4.
Ouille.

Courrier. Arrivée d'un livre consacré aux tueurs de l'Ardèche déniché, magie de l'Internet, dans une librairie de l'État de New York.

Courriel. Les notules montent à l'assaut des Hautes-Alpes.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°233 - 13 novembre 2005

DIMANCHE.
Vie hospitalière. Nous rendons visite à la mère de Caroline dans une clinique de Nancy. Nous sommes en traumatologie mais les filles ne sont pas traumatisées pour autant et apprécient les courses en fauteuil roulant.

Hulot. Le dimanche, c'est le jour du bricolage, donc une journée à potentiel catastrophique élevé. Le matin, je m'en étais plutôt bien tiré avec la pose d'un nouveau plafonnier dans la chambre des filles. Mis en confiance, j'entreprends à notre retour de Nancy de remettre en état un lustre défectueux dans l'autre chambre, un truc dont on ne se sert jamais et qui aurait tout aussi bien pu continuer à rester endormi jusqu'à la nuit des temps. Rapidement, ce n'est pas une surprise, l'initiative se transforme en catastrophe industrielle. En cinq minutes, je fais exploser un bon nombre de fusibles et prive la maison de chauffage et d'une bonne partie de ses appareils ménagers. Je dois dire à ma décharge (électrique), que dans cette cabane, l'installation (électrique) semble avoir été faite avant l'invention de l'électricité. La chasse aux fusibles, qui se déroule comme il se doit un dimanche et à la nuit tombée, n'est pas un sport aisé mais je trouve chez O. de quoi remettre en état la majeure partie de notre potentiel électrique. Bien sûr, il n'y a plus de courant dans notre chambre mais ça ne gêne pas pour dormir. Caroline refuse absolument que je tente une réparation immédiate. Pourtant, je me sentais en forme mais il est vrai que je commençais à devenir grossier.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules et un nouvel aptonyme, bijoutier parisien nommé Caillou.

LUNDI.
TV. Trois petites filles (Jean-Loup Hubert, France, 2004 avec Gérard Jugnot, Adriana Karembeu, Morgane Cabot; diffusé sur Canal + en octobre 2005).
La fugue de trois adolescentes en Corse, à la recherche de la maison de Johnny Depp et Vanessa Paradis.
Voilà quelque chose qui pourrait aisément concourir dans la catégorie du film le plus niais de l'année 2004. Ce n'est pas grave, on en a vu et on en verra d'autres, mais c'est tout de même un peu étonnant de la part de Jean-Loup Hubert, qu'on a connu nettement plus inspiré. L'expérience lui aura peut-être appris qu'il est risqué d'engager des débutantes sans leur donner de cours de diction : non seulement le film est vide, mais on n'en comprend qu'une phrase sur deux. Quant à Adriana Karembeu, dont c'est aussi le premier rôle, souhaitons que sa carrière ne soit pas à l'image de ses jambes, qu'on dit interminables. Sur le thème des aventures adolescentes, mieux vaut cent fois voir ou revoir La Vie ne me fait pas peur de Noémie Lvovsky.

Courrier. J'envoie à JCB un article sur Émile Friant dont il saura faire bon usage. N.B. Le peintre Émile Friant n'est pas l'inventeur du Jeu d'Émile Friant qui précéda sur France Inter le Jeu d'Émile Heurot. Qui rime avec Vermot.

MERCREDI.
Presse. Je rencontre GN, rédacteur en chef de La Liberté de l'Est en vue d'une collaboration à sa page littéraire et de la publication d'un portrait du notulographe. Trois quarts d'heure d'un entretien agréable mais dont je sors totalement vidé. Ecrire sur soi, soit, mais parler de soi, c'est autre chose.

TV. En route pour la gloire (Bound For Glory, Hal Ashby, E.-U., 1976 avec David Carradine, Ronny Cox, Melinda Dillon, Gail Strickland; diffusé sur ARTE en ?).
En 1936, le jeune Wody Guthrie quitte le Texas, où les effets de la Grande Dépression se font encore sentir, pour la Californie. Lorsqu'il y arrive, après un voyage mouvementé à pied ou en passager clandestin des trains de marchandises, il découvre que ce n'est pas la Terre Promise. Les migrants sont parqués dans des camps d'où ils parviennent parfois à s'extraire pour travailler dans les plantations pour un salaire de misère. Woody se sert de sa seul arme, sa guitare, pour adoucir l'existence de ses semblables. Il est remarqué par le directeur d'une station de radio qui lui confie un programme. Ses chansons, qui contiennent des appels clairs à la rébellion et à la syndicalisation, font rapidement fuir les annonceurs.
On ne traite ici que de six années de la vie de Woody Guthrie, en gros de son séjour en Californie jusqu'à son départ pour New York. On le voit donc en vagabond, en "hobo", mais pas en pleine gloire ni à la fin de sa vie, à l'hôpital où il reçut la visite d'un adolescent ému et admiratif nommé Bob Dylan, un Dylan dont une des premières chansons allait s'intituler "Song to Woody". Le film n'est pas formidable et David Carradine n'est pas un interprète inoubliable des chansons de Guthrie mais c'est un film majeur dans mon histoire personnelle. Je l'ai vu à sa sortie, alors que j'étais encore au lycée, et ce fut l'occasion d'une double prise de conscience. Une prise de conscience musicale d'abord qui eut pour conséquences quasi immédiates l'achat d'un harmonica et d'un banjo cinq cordes, la substitution de la guitare folk à la guitare classique et l'apprentissage des chansons de Guthrie. Il n'y eut pas un concert de Garlamb'Hic sans l'une d'elles au répertoire, "Do Re Mi" ou "Dusty Road". Plus tard devaient venir Dylan, puis Springsteen, ses héritiers directs, mais tout a commencé avec Woody Guthrie. Une prise de conscience sociale ensuite, ou plutôt en même temps, avec, à la même époque, la découverte du Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo et la lecture de Steinbeck, puis la version filmée par John Ford des Raisins de la colère, des histoires de révolte, de solidarité, de cœur qui bouleversaient mon esprit adolescent. "C'est ce qui m'a fait", écrivait Sartre dans Les Mots.

JEUDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 20 & 21, diffusés sur Canal + le soir même).

VENDREDI.
Vie patriotique. J'accompagne Lucie, réquisitionnée pour aller déposer un bouquet et pousser une Marseillaise - dont les mâles accents ont résonné toute la semaine dans notre foyer, mais pas toujours avec les paroles orthodoxes - au monument aux morts de Saint-Laurent. On a fait appel à une connaisseuse. Je n'ai pas pour habitude de vanter l'excellence de ma progéniture - d'autant qu'elle va de soi dans le cas de l'aînée puisque nous avons légué en substance à Lucie nos gènes - mais pour ce qui est des monuments aux morts elle bénéficie d'une expérience certaine.

Vie lumineuse. Restauration du parc électrique domestique dans son intégralité, lustre réfractaire compris. Le bricolage, c'est comme les mots croisés : vous laissez quelque temps le problème en jachère et la solution apparaît comme ça, sans effort, quand vous le reprenez.

TV. Pédale dure (Gabriel Aghion, France, 2004 avec Dany Boon, Gérard Darmon, Michèle Laroque, Jacques Dutronc; diffusé sur Canal + en octobre 2005).
Un couple d'homosexuels attend un enfant porté par une de leurs amies.
Gabriel Aghion s'est fait une spécialité : celle de traiter un sujet de société (l'amour intergénérationnel dans Belle Maman, l'homosexualité dans Pédale douce, l'homosexualité et la paternité ici) d'une façon si caricaturale, superficielle et grossière qu'on peut le considérer comme le faiseur des films les plus détestables de ces dernières années. Il parvient à rendre mauvais comme des cochons des acteurs sympathiques partout ailleurs (Darmon) et à qui un film avec Aghion semble d'ailleurs suffire (où sont passés les Timsit, Berry, Gamblin de Pédale douce ?). Scénario vide, mise en scène au ras du gazon, il n'y a rien, rien, pas une idée là-dedans. On est loin de La cage aux folles...

SAMEDI.
Téléphone. Conversation avec CD, notulien ardéchois, assortie d'une promesse de rencontre lors d'un futur séjour en Lozère.

Vie familiale. Nous profitons de l'absence de couvre-feu pour aller croûter chez mes parents et faire connaissance avec le jeune Rémi, neveu.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°234 - 20 novembre 2005

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Découverte du monument aux morts de Belval, un village situé près de Senones, cité vosgienne bien connue des amateurs de palindromes (mais pas la seule puisque le département compte aussi un Laval). Lucie prend des photos pour la presse locale.

TV. Le Château de l'Araignée (Kumonosu jô, Akira Kurosawa, Japon, 1957 avec Toshirô Mifune, Isuzu Yamada, Minoru Chiaki; diffusé sur ARTE en ?).
Revenu vainqueur d'une expédition, Washizu rencontre dans une forêt une sorcière qui lui prédit qu'il deviendra le seigneur du Château de l'Araignée et que le fils d'un de ses frères d'armes lui succédera. Poussé par sa femme, Washizu assassine l'actuel seigneur du château.
Où l'on découvre, s'il en était besoin, la parfaite universalité des thèmes shakespeariens puisque cette histoire n'est autre que l'adaptation de Macbeth, transposée dans le monde des samouraïs. Kurosawa reprend point par point l'intrigue du drame et la plie à ses propres conventions, à sa manière de filmer violente et théâtrale, servie par un Toshirô Mifune grandiloquent. Les scènes de bataille préfigurent celles de Ran, reprise d'un autre motif shakespearien, celui du Roi Lear. On ne peut pas dire que ce soit confortable à regarder mais la séquence finale, la mort de Washizu transformé en pelote d'épingles par les flèches de ses sujets, est tout de même un sacré morceau.

Lecture. Penser la mélancolie. Une lecture de Georges Perec (Maurice Corcos, Albin Michel; 280 p., 17,50 €).
Critique à rédiger pour La Liberté de l'Est.

LUNDI.
Courrier. Une carte postale d'Édimbourg.

TV. Le grand rôle (Steve Suissa, France, 2004 avec Stéphane Freiss, Bérénice Bejo, Peter Coyote, François Berléand; diffusé sur Canal + en octobre 2005).
Maurice Kurtz, comédien obscur, fait croire à sa femme, atteinte d'un cancer fatal, qu'il a décroché le premier rôle d'une superproduction.
On est dans la semaine Shakespeare puisque la superproduction en question n'est autre qu'une adaptation, en yiddish s'il vous plaît, du Marchand de Venise pour laquelle Kurtz prétend avoir obtenu le rôle de Shylock. Le mensonge qu'il échafaude avec l'aide ses amis a le même but que celui qui apparaissait dans Goodbye Lenin : atténuer les souffrances d'un être cher. La ficelle est un peu grosse mais on suit cette histoire avec plaisir. La bande de copains qui entoure Kurtz est jouée par un groupe d'acteurs sympathiques (Lionel Abelanski, Laurent Bateau, Olivier Sitruk) qui donnent l'image d'une amitié simple et sincère. Un film gentil, qui évite adroitement le piège de la mièvrerie.

MARDI.
Courriel. Un message de GN, qui s'emploie à rédiger un portrait du notulographe : "Besoin pour mon article de savoir combien de fois vous avez mangé du lapin au cours de l'année 1997. Merci." Heureusement, c'est le genre de question à laquelle je peux répondre presque instantanément. N'empêche : l'article promet d'être pointu.

TV. Un jour... le Nil (al-Nass wal Nil, Youssef Chahine, Égypte/URSS, 1968 avec Salah Zulfikar, Igor Vladimorov, Imrad Hamdi; diffusé sur ARTE en octobre 1999).
1964 : la construction du barrage d'Assouan touche à sa fin.
C'est le moment où les ingénieurs soviétiques, qui ont apporté leur collaboration à l'édification du barrage, s'en vont. Chahine présente plusieurs histoires personnelles qui se mêlent, celle d'un vieux paysan qui voit le cours du fleuve s'éloigner de son village, celle d'un jeune ouvrier local qui essaie de retenir son ami Nikolaï, celle d'un écrivain engagé comme manœuvre, celle d'un couple russe au bord de la rupture... Il y en a d'autres, il y en a tant qu'on finit par se perdre dans la cohue pour garder l'image d'une oeuvre qui est en fait à l'image du barrage : fruit d'une collaboration internationale inattendue, démesurée, majestueuse. Pour corser la macédoine, Chahine a choisi de tourner à l'américaine, format scope, musique symphonique, destins mélodramatiques... Il ne manque qu'Elizabeth Taylor en princesse des sables ou Gregory Peck en ingénieur débarqué de Leningrad. Le film sera refusé par les autorités, tant soviétiques qu'égyptiennes, qui l'avaient commandé, et ne verra le jour que grâce au travail de la Cinémathèque française. Chahine, lui, dut recommencer et faire un film plus en accord avec ce qui lui était demandé, Les Gens du Nil, qu'il renia par la suite.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète des billets de train, un polar mathématique, un livre sur Kafka et complète ma collection de Jules Verne.

Écriture. J'ai rédigé hier soir ma critique du livre sur Perec pour le quotidien local. J'ai rédigé ça comme une notule, au fil du clavier, assez facilement. Bilan statistique : plus de 3500 signes. J'ai droit, contrainte journalistique, à 2500. Je passe donc une partie de la journée à tailler dans le vif, dégraisser, ébarber, élaguer, émonder mon texte, peser chaque mot et chaque virgule pour arriver à la taille souhaitée. Exercice nouveau pour moi, donc pas facile, mais intéressant dans la mesure où il oblige à aller à l'os, sans fioritures, tout en essayant de garder le ton qu'on souhaite donner à la chose. Quatre heures de boulot pour quatre paragraphes : je ne ferais pas long feu dans une rédaction.

TV. Vipère au poing (Philippe de Broca, France/G.-B., 2004 avec Catherine Frot, Jacques Villeret, Jules Sitruk; diffusé sur Canal + en novembre 2005).
Élevés par leur grand-mère, Jean, dit "Brasse-Bouillon", et son frère attendent avec impatience le retour de leurs parents. Lorsque ceux-ci débarquent en provenance de Saigon, les enfants doivent vite déchanter : leur mère, qu'ils surnomment rapidement Folcoche, est une marâtre cruelle et autoritaire.
Curieux parcours que celui de Philippe de Broca qui commence une carrière dans les années soixante comme compagnon de route de la Nouvelle Vague pour terminer par ce film, adaptation littéraire d'un académisme total. Ma lecture de Bazin est très lointaine mais il me semble que dans le livre, la haine des enfants pour Folcoche était beaucoup plus palpable et féroce qu'ici où Catherine Frot ne parvient pas à rendre le personnage aussi mauvais qu'il le devrait. Le jeune de Broca aurait sans doute voué ce film aux gémonies. Mais le jeune Truffaut n'aurait-il pas fait de même avec Le dernier métro ?

JEUDI.
Vie des hommes illustres. Le jour de gloire est arrivé : La Liberté de l'Est consacre une page entière aux notules et à mes divers chantiers, avec annonce et photo en une, reproduite ci-dessous. Je chausse des lunettes noires et promeus R. au rang de chauffeur garde du corps. Comme la journée a décidé d'être belle, je m'offre en sus un petit tiercé dans le désordre (7-6-5).


Cliquer sur l'image pour voir la une

Citation. Dénichée dans Le Monde, sous la plume de Francis Marmande : "Les vies des professeurs sont rarement intéressantes" (Gilles Deleuze).

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2004 avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Nicolette Sheridan; saison 1, épisodes 22 & 23, diffusés sur Canal + le soir même).
Comme attendu, les choses s'accélèrent pour ces deux derniers épisodes. On connaît enfin les raisons du suicide de Mary Alice qui faisait l'ouverture de la série et la saison se termine sur une très belle scène qui montre Bree, une des héroïnes, confrontée à la solitude après la mort de son mari. De quoi oublier les longueurs qui ont précédé et être volontaire pour suivre une deuxième saison.

VENDREDI.
Écriture. Je commence à travailler sur le Bulletin Perec, que je dois rendre la semaine prochaine. Après ça, il sera temps de me mettre à ma deuxième chronique pour Histoires littéraires. En fait, je m'aperçois qu'entre La Liberté de l'Est, Histoires littéraires et Perec, sans parler des notules, je n'ai pas dételé depuis septembre. Finalement, les vies des professeurs peuvent être intéressantes quand ils font autre chose que professer.

SAMEDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 15 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, juillet-août-septembre 2003, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 272 p., 20 €).
On ouvre avec un hommage à Noël Arnaud, surréaliste, pataphysicien et oulipien mort en 2003, dont on donne ici quelques lettres inédites. L'une d'elles, destinée à Claude Rameil, déborde de tendresse envers une ancienne figure de Saint-Germain-des-Prés : "Hier soir, je prends l'émission de Rutman. Aux premières images : "Zut ! me dis-je, je me suis gourré (sic) de chaîne : c'est un show Juliette Gréco !" Dans la seconde partie, elle se décide à s'effacer un peu, mais elle revient en force à la fin de l'émission et l'émission se termine sur elle faisant un geste d'une stupide théâtralité. Quelle idée d'aller chercher cette ringarde, qui chante de plus en plus mal et qui n'a strictement rien à dire, même si elle le dit en prenant des mines de vieille tragédienne de sous-préfecture !"
Par ailleurs, on s'intéresse aux origines du roman-feuilleton, à Mallarmé, à Michaux et aux tournois de poétesses organisés par les premiers journaux féminins dans les années 1910. Au rayon découvertes, Jean-Jacques Lefrère ressuscite Ephraïm Mikhaël, poète toulousain mort en 1890 à l'âge de vingt-trois ans et à l'aube d'une carrière prometteuse. Une des lettres inédites exhumées par Lefrère mentionne un certain général Pittié, joli contraptonyme.
Restons dans la correspondance avec la rubrique qui, traditionnellement, clôt chaque numéro de la revue, rubrique intitulée "Courrier des lecteurs contents et mécontents". Un libraire parisien se fend d'une succincte épistole ainsi libellée : "Je vous prie de signaler dans votre rubrique des lecteurs contents et mécontents que je suis content."

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°235 - 27 novembre 2005

DIMANCHE.
Lecture. Les Esperados. Histoire vraie (Yannick Blanc, Robert Laffont, 1984; 230 p., 69 F).
Il y eut, à l'origine, un numéro du Vif du sujet, l'émission de France Culture consacrée aux faits divers, diffusé en juin dernier (et encore audible ici
). Il y était question des "tueurs fous de l'Ardèche", une affaire dont j'avais gardé un lointain souvenir (l'histoire date tout de même de 1977) et dont le récit réveilla mon attention lorsque Villefort, une bourgade de Lozère où il m'arrive de séjourner, fut mentionnée comme le point de départ de la cavale des tueurs en question après le braquage du Crédit Agricole local. Le mois dernier, je rencontrai JS à Villefort, et je lui parlai de l'affaire qu'elle connaissait bien et pour cause : elle était caissière au Crédit Agricole au moment des faits et s'était trouvée au bout du canon des tueurs. Elle me raconta sa version des faits et m'apprit qu'elle avait été un jour interviewée par un journaliste qui devait écrire un livre sur le sujet, un livre qui avait vu le jour mais qu'elle n'avait jamais réussi à dénicher.
Ce livre, c'est Les Esperados, que j'ai pu retrouver, traquer et commander via internet. Il raconte la vie de Pierre Conty, originaire de Grenoble, rebelle, insoumis, idéaliste, adepte du retour à la terre dans le sillage de la chanson de Ferrat La Montagne. Après quelques essais infructueux, Conty s'installe avec sa compagne dans un hameau abandonné de l'Ardèche, Rochebesse. Des amis les rejoignent et peu à peu voit le jour la première communauté du département, dès avant Mai 68. Yannick Blanc raconte minutieusement l'installation, les premiers pas, les difficultés extérieures d'abord (le climat, la pauvreté de la terre, les relations de plus en plus tendues avec les autochtones qui voient d'un mauvais oeil ces hippies s'approprier des terres et des bâtisses qu'ils avaient pourtant abandonnées) puis internes : la communauté s'étoffe, Conty doit s'imposer pour montrer qu'il est le chef, des parasites s'installent, les luttes pour le pouvoir et les histoires de fesses lézardent le rêve. La vente des fromages de chèvre ne suffisant pas à faire vivre tout ce monde, les moyens illégaux sont mis en oeuvre : on pille les chantiers pour refaire les maisons, on détourne les livraisons des magasins, on vole des chèques, des armes aussi parce qu'on croit la révolution proche. Jusqu'au jour d'août 1977 où Conty et deux de ses amis descendent à Villefort pour se faire le Crédit Agricole. C'est JS qui raconte les visages masqués, les 78000 francs du coffre, les employées bouclées dans les toilettes avec la trouille de prendre une rafale de pistolet-mitrailleur à travers la porte, les gendarmes finauds qui, prévenus que quelque chose de bizarre est en train de se passer, ne trouvent pas mieux que de téléphoner... à la banque au risque de provoquer une tuerie. Le trio s'enfuit et se fait repérer par une voiture de gendarmerie pour... excès de vitesse. Conty tue un pandore, un autre parvient à s'enfuir. Il faut changer de voiture, la leur va être signalée. Pour cela, Conty abat deux pauvres types qui ont le malheur de passer par là au mauvais moment, et retourne se planquer à Rochebesse. Un de ses amis se rendra de lui-même à la police, l'autre sera repris en Hollande. Conty parviendra à s'enfuir de Rochebesse et ne sera plus jamais revu.
Ici s'arrête le récit de Yannick Blanc, laissant quelque peu le lecteur sur sa faim : on aurait aimé vivre ensuite le procès des deux complices, les assises à Privas avec Badinter comme défenseur, voir ce qu'est devenu Rochebesse après Conty, et filer aux trousses de celui-ci qui a été signalé un peu partout en Ardèche mais aussi, depuis, en Italie, en Algérie, au Nicaragua... Le livre possède les défauts du genre : à partir de témoignages recueillis, l'auteur reconstitue des dialogues, brode, prête tel ou tel sentiment aux uns et aux autres, laisse des trous béants dans une chronologie qu'on aurait aimé plus minutieuse. Mais ce ne sont ici que des détails : la personnalité de Conty, le cadre, le contexte socio-historique sont tellement passionnants qu'on les oublie rapidement. On se demande tout de même pourquoi aucun scénariste ne s'est emparé de cette histoire...

Itinéraire patriotique départemental. Le monument aux morts de Bertrimoutier vaut le déplacement puisqu'il regroupe les victimes de sept villages, ce qui m'épargne les futurs voyages prévus à, dans l'ordre, Combrimont, Frepelle, Lesseux, Neuviller-sur-Fave, Pair-et-Grandrupt et Raves.

Football. Le SAS est sorti sans gloire de la Coupe de France par l'équipe de Rethel. Cela ne me réjouit pas outre-mesure mais je me console en tirant de mes tiroirs cette histoire brève que je ne pensais pas avoir l'occasion de placer un jour : "J'ai rencontré André vers Suresnes (Hauts-de-Seine). Il jouait du piano à Rethel (Ardennes)."

TV. Aaltra (Benoît Delépine & Gustave Kervern, France/Belgique, 2004 avec Benoît Delépine, Gustave Kervern, Benoît Poelvoorde; diffusé sur Canal + en novembre 2005).
Dans une zone désertique du nord de la France, deux voisins entretiennent les relations les plus inamicales qui soient. Au cours d'une dispute, ils finissent tous deux les jambes broyées par une machine agricole défectueuse. A peine sortis de l'hôpital, ils partent pour la Finlande où ils ont l'intention de se faire dédommager par la société Aaltra, le constructeur de la machine.
On n'avait pas encore tenté au cinéma le road movie en fauteuil roulant. Voilà qui est fait avec ce film qui revendique un double héritage : celui d'une école belge qui, dans la mouvance de C'est arrivé près de chez vous, pratique un humour absurde et dévastateur et celui du réalisateur finlandais Aki Kaurismäki. Ce dernier apparaît d'ailleurs à la fin du voyage, dont la destination, la Finlande, n'est bien sûr pas innocente. Aaltra, par le mutisme de ses personnages, son image en noir et blanc, son manque total de cohérence et de logique évoque immanquablement Tiens ton foulard, Tatiana du réalisateur finlandais dont il copie même certaines scènes (celle du bar avec un irrésistible Bouli Lanners en chanteur finnois). Ce n'est pas une oeuvre à mettre devant toutes les prunelles mais si on aime le genre, c'est un régal. Le générique est à lui seul une merveille, non par son graphisme mais par son contenu : 93 acteurs et figurants crédités, à croire que la moitié de la Belgique a participé au film, dans des rôles soigneusement répertoriés : Vincent Patar est "le vendeur de tickets obstiné", Oviedo est "la voix espagnole", Robin Weerts est "Jérémy, le fils du fan de moto-cross", Gaspard Tavier est "l'enfant mangeur de frites", Peter Vanrutten est "le second piéton entreprenant", Abdelaziz Bachaou est "l'éplucheur de pommes de terre" et Harro Geerts "le conducteur du camion fantôme" (qu'on ne voit même pas !). De plus, atout non négligeable, Aaltra est assuré d'occuper la première place des dictionnaires de films pendant un bon moment.

Courriel. Jean-Jacques Lefrère m'annonce qu'après avoir considéré mon premier envoi, le comité de rédaction de la revue Histoires littéraires espère me voir assurer ma chronique dans chaque livraison. Je m'endors heureux.

LUNDI.
Courrier. J'envoie Les Esperados à JS en Lozère et ventile quelques copies de l'article Liberté de l'Est.

TV 1. Tous en scène (The Band Wagon, Vincente Minnelli, E.-U., 1953 avec Fred Astaire, Cyd Charisse, Oscar Levant, Nanette Fabray; diffusé sur TCM en ?).
Un danseur à la carrière déclinante débarque à New York et reprend le chemin du théâtre pour une version moderne de Faust.
Le film a été enregistré avant que je ne découvre l'existence et les vertus de la touche multilingue de la télécommande. Pas de chance, il s'agissait d'une diffusion en version française, ce qui est moyennement gênant pour les dialogues mais devient carrément rédhibitoire lorsqu'on va, comme ici, jusqu'à doubler les chansons d'une comédie musicale. C'est impossible à suivre, tout sonne faux, l'orchestre s'entend à peine, c'est un massacre. Dommage, l'histoire de ce danseur sur le retour, interprété par un Fred Astaire qui connaissait bien le problème à l'époque, valait mieux même si sur le plan visuel Tous en scène semble tout de même moins abouti que Chantons sous la pluie, tourné l'année précédente pour le même producteur, Arthur Freed. Désolé pour mon cher Minnelli.

TV 2. Le dernier tournant (Pierre Chenal, France, 1939 avec Fernand Gravey, Michel Simon, Corinne Luchaire, Charels Blavette, Robert Le Vigan, Marcel Vallée; diffusé sur France 2 en ?).
Un vagabond est embauché par le patron d'un poste d'essence. La femme de celui-ci séduit celui-là et le couple cherche à se débarrasser du mari.
C'est la toute première adaptation, sept ans avant celle de Tay Garnett, du livre de James Cain, Le facteur sonne toujours deux fois, prototype du roman noir poisseux. Pierre Chenal a déplacé l'intrigue dans la région de Marseille et a conservé les protagonistes et la trame du roman. Ce n'est pas un chef-d'œuvre, juste une curiosité parce que, malheureusement, Fernand Gravey ne convient pas au rôle de Franck le vagabond. En revanche, Michel Simon est égal à lui-même, il faut dire qu'après La Chienne, il a l'expérience de ce genre de rôle. C'est en tout cas l'occasion de découvrir, dans le rôle de la femme fatale, Corinne Luchaire dont la beauté ne résista pas, si l'on peut dire, à quelques choix malheureux pendant l'Occupation.

MERCREDI.
Courrier. Je reçois deux numéros du Nouvel Attila qui ressemble, déception, plus à une feuille qu'à une revue.

Presse. C'est une photo en bas de page du Monde. Une route, des prés, des vaches et dans le fond, un village du genre "force tranquille" époque mitterrandienne. La légende : "Aisne joy*". Il faut aller voir ce à quoi renvoie l'astérisque ("Profite de la vie dans l'Aisne") pour comprendre qu'il s'agit d'une subtile variation homophonique bilingue sur le mot anglais "Enjoy". C'est apparemment fait pour attirer le touriste britannique dans le département puisqu'on peut lire également dans un encadré "l'Aisne it's open". On a plaisir à constater que certains conseils généraux rémunèrent, avec l'argent de leurs administrés, des cabinets de communication à l'imagination aussi fertile.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

JEUDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. 24 heures chrono (24, série américaine de Robert Cochran & Joel Surnow avec Kiefer Sutherland, Kim Raver, William Devane, Mary Lynn Rajskub; saison 4, épisodes 1 & 2 diffusés sur Canal + le soir même).
Jack Bauer a été renvoyé de la cellule anti-terroriste. Il apparaît ici en costume-cravate comme conseiller du ministre de la Défense, roucoulant avec la fille de celui-ci. Bien sûr, on n'y croit pas une seconde. Heureusement, le ministre et sa fille sont vite kidnappés et Bauer jette son déguisement aux orties pour endosser la tenue du baroudeur qu'on lui connaît. La série est un peu victime de son succès : le coup de maître que constituait la première saison a fait long feu, les suites ne l'ont jamais égalée. Un autre effet du succès, plus pervers celui-là, met en cause le principe même de la série, censée se dérouler en temps réel, soit vingt-quatre épisodes d'une heure. Le contrat était presque rempli lors de la première saison où l'action, à quelques minutes, près occupait presque l'heure promise. Mais le succès appelant la publicité, les épisodes ont été réduits pour laisser place aux coupures commerciales pour les télévisions américaines et ne durent plus qu'une quarantaine de minutes. L'entrée en matière de ce quatrième volet est cependant réussie, avec quelques moments qui valent leur pesant d'adrénaline.

VENDREDI.
Presse. La Liberté de l'Est publie ma critique du livre de Maurice Corcos Penser la mélancolie. Question omniprésence médiatique, Sarkozy n'a qu'à bien se tenir.

Ferveur anonyme. Je reçois, en provenance de la Réunion, une carte postale anonyme d'une "fervente admiratrice même pas abonnée".

Voyage. Je parviens à m'extirper en loucedé d'une réunion professionnelle pour attraper le 19 heures 51 en gare de Châtel-Nomexy. Dix minutes de retard annoncées, quinze en réalité, ma correspondance à Nancy est plus que compromise et je me vois déjà condamné à une nuit nancéienne impromptue. Mais la SNCF a bien fait les choses : le Strasbourg-Paris a les deux minutes de retard nécessaires pour qui je puisse grimper dedans. Les voyages en train sont tout sauf des voyages tranquilles.

Lecture. Mathématique du crime (Crimenes imperceptibles, Guillermo Martinez, 2003; Nil éditions, 2004 pour la traduction française; traduit de l'espagnol par Eduardo Jimenez; 272 p., 19 €).
Un jeune mathématicien argentin a obtenu une bourse pour travailler à Oxford. Peu après son arrivée, sa logeuse est retrouvée assassinée. C'est le premier meurtre d'une série énigmatique.
L'auteur a eu l'idée d'utiliser le mot "série" de l'expression "tueur en série" dans son sens mathématique. Chaque meurtre est en effet accompagné d'un message comportant un signe (un cercle, deux parenthèses accolées, un triangle...) appartenant à une série logique : découvrir le signe suivant, c'est découvrir le coupable. C'est un procédé à la fois un peu lourdaud et trop faible pour servir de base à un suspense efficace. Le livre possède tout de même des aspects intéressants, principalement la découverte, certainement autobiographique, du monde d'Oxford (les collèges, les concerts de charité, la drôle de confrérie des mathématiciens) par un parfait étranger. Pour raconter cette histoire, l'auteur a d'ailleurs adopté un style de chaisière anglaise parfois amusant ("Nous fîmes l'amour, en proie à une joyeuse et irrésistible animalité"), comme s'il voulait retrouver l'image d'une Angleterre de carte postale. Par ailleurs, Guillermo Martinez étant mathématicien lui-même, son livre offre des échappées tout à fait accessibles vers la philosophie des mathématiques.

SAMEDI.
Vie parisienne. A Jussieu, je remets le Bulletin Perec n° 47 à Bernard Magné à l'occasion du séminaire. Mathieu Rémy est venu de Nancy parler de l'énumération dans La Vie mode d'emploi. Il commence par différencier l'énumération de la liste, qui est une autre des constantes du livre, horizontalité contre verticalité, syntagme contre paradigme, l'énumération se caractérisant avant tout par son insertion dans une phrase verbale. Différents exemples tirés du roman lui permettent de caractériser l'énumération comme une image du côté prosaïque de l'existence, un écho du système industriel (la machinerie de l'ascenseur), un inventaire des restes d'une vie passée en compagnie des choses (le chapitre des caves). Perec n'utilise pas l'énumération comme un procédé facilitant l'évacuation des contraintes mais, en émule de Rabelais et de Jules Verne, comme une ressource poétique.
L'énumération est, avec la description, le principal obstacle avoué par le lecteur de bonne volonté qui n'est pas parvenu à finir La Vie mode d'emploi. Le lecteur conquis l'est, en général, par l'inventivité et la multiplicité des récits et/ou justement par l'aspect énumératif. C'est cet aspect qui m'a immédiatement séduit dans le roman, avant d'étudier et de comprendre sa construction, autre source de jouissance qui n'est arrivée qu'à l'étape suivante. Les énumérations sont, à mon goût, les plus beaux passages de La Vie mode d'emploi, ceux dans lesquels Perec, qui professait pourtant son goût pour l'écriture neutre, blanche, laisse affleurer l'émotion. L'énumération, ce n'est pas l'accumulation simpliste de quelques éléments disparates pratiquée par certains écriveurs aussitôt qualifiés par les commentateurs d'émules de Perec. L'énumération, c'est tout sauf un jeu de remplissage, c'est la lutte contre le temps, c'est le sable qui coule entre les doigts, c'est la tentative dérisoire de le retenir. "Maintenant, dans le petit salon, il reste ce qui reste quand il ne reste rien : des mouches, par exemple, ou bien des prospectus que des étudiants ont glissés sous toutes les portes de l'immeuble et qui vantent un nouveau dentifrice ou offrent une réduction de vingt-cinq centimes à tout acheteur de trois paquets de lessive, ou bien des vieux numéros du Jouet français, la revue qu'il a reçue toute sa vie et dont l'abonnement a continué à courir quelques mois après sa mort, ou bien de ces choses insignifiantes qui traînent sur les parquets ou dans des coins de placard et dont on ne sait pas comment elles sont venues là ni pourquoi elles y sont restées : trois fleurs des champs fanées, des tiges molles à l'extrémité desquelles s'étiolent des filaments qu'on dirait calcinés, une bouteille vide de coca-cola, un carton à gâteaux, ouvert, encore accompagné de sa ficelle de faux raphia et sur lequel les mots "Aux délices de Louis XV, Pâtissiers-Confiseurs depuis 1742" dessinent un bel ovale entouré d'une guirlande flanquée de quatre petits amours joufflus, ou, derrière la porte palière, une sorte de porte-manteau en fer forgé avec un miroir fêlé en trois portions de surfaces inégales esquissant vaguement la forme d'un Y dans l'encadrement duquel est encore glissée une carte postale représentant une jeune athlète manifestement japonaise tenant à bout de bras une torche enflammée."

Bonne semaine.