Notules dominicales 2005
 
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Notules dominicales de culture domestique n°236 - 4 décembre 2005

DIMANCHE.
Vie parisienne. Je continue d'explorer la Galerie Médicis au Louvre avant de gagner Beaubourg où il est question de Marcel Duchamp dans une salle du sous-sol. C'est Tanguy Viel et François Bon qui doivent intervenir et c'est pour entendre ce dernier que je suis venu, l'entendre et peut-être en profiter pour le saluer et m'en faire reconnaître. Cela fait des jours que je pense à cette rencontre, enhardi par le mot qu'il m'a envoyé récemment ("Des fois on se dit que vous auriez un sacré livre à écrire, au lieu de l’apéro du dimanche...") mais c'est beaucoup plus facile en pensée que par action. Lorsque j'arrive il est là, facilement reconnaissable, il discute à l'entrée de la salle, puis au fond de celle-ci. Il faut y aller, mais bien sûr, on me connaît, je n'en fais rien, je m'assois, au fond mais de l'autre côté, sous la caméra, derrière tout le monde et à côté de personne. Encore une occasion manquée mais après tout, qu'est-ce qui m'autorise à, pour qui je me prends, il a sûrement d'autre choses à faire, d'autres personnes à saluer... Les excuses que j'essaie de me trouver ne marchent pas, je me boufferais, je suis en rogne contre moi-même à un point tel que j'écoute à peine la lecture de Tanguy Viel. Quand vient le tour de François Bon, j'oublie tout ça et me laisse prendre par son récit, celui du mariage de Marcel Duchamp avec Lydie Sarazin-Levassor. Je ne connais rien de la vie de Duchamp, mais est-ce à cause du milieu des chevaliers d'industrie dans lequel baignent les Levassor, des rites sociaux qu'ils observent, de leur hôtel particulier du XVI° arrondissement, de la présence ce matin de Marc Décimo dont le travail sur Duchamp a inspiré François Bon, je pense à Raymond Roussel... J'y pense encore plus quand il est question de l'œuvre de Duchamp intitulée Fresh Widow, qui représente en fait une "French window", une torsion des termes tout à fait digne du fameux "procédé" roussellien. Mes impératifs ferroviaires ne me laissent pas le temps d'assister à la suite de la performance et je regagne la gare de l'Est avec le désir de creuser le cas Duchamp, le regret propre aux rendez-vous manqués et, à ce sujet, de sérieuses questions sur mon avenir immédiat : je dois revenir à Paris en décembre pour rencontrer, à l'occasion d'un colloque, l'équipe de la revue Histoires littéraires (et Marc Décimo d'ailleurs) et je me sens bien capable de rebrousser chemin une fois arrivé à la porte. Je pense aussi à la plus belle oeuvre de Duchamp, qui n'est pas de lui mais de la municipalité de Rouen, à qui l'on doit un improbable carrefour formé par l'esplanade Marcel-Duchamp et l'avenue Jean-Lecanuet, une rencontre qui vaut bien celle de la machine à coudre et du parapluie sur la table de dissection du poète.

Courrier. Au retour, je trouve un disque de chansons de Jerome Kern.

Lecture. Prague au temps de Kafka (Patrizia Runfola, traduit de l'italien et présenté par Gérard-Georges Lemaire, édition revue et augmentée; la Différence, coll. Les Essais, 2002; 304 p., 23 €).
Patrizia Runfola rend minutieusement compte de l'agitation culturelle de la ville de Prague aux alentours des années 1920. A l'époque, la ville est partagée : "415 000 Tchèques, 10 000 Allemands et 25 000 Juifs dont 14 000 se servaient comme langue vernaculaire du tchèque et 11 000 de l'allemand résidaient à Prague." A l'intérieur de ces groupes se constituèrent des cercles, des associations, des chapelles que la vie des cafés, des cabarets, des revues et des théâtres rendit extrêmement actifs. Poésie, roman, architecture, théâtre, peinture, décoration, toutes les formes d'expression artistique sont alors discutées, critiquées, expérimentées par une nuée de jeunes gens dont aujourd'hui seuls quelques noms émergent : Kafka, Max Brod, Hasek (Le brave soldat Svejk), Kubin... L'auteur en cite des dizaines d'autres dans une étude qui se veut la plus complète qui soit, ce qui a pour effet de noyer quelque peu le lecteur novice. Ce foisonnement impressionne d'autant plus qu'il est bref : né à la fin de la Première Guerre Mondiale, il s'éteint avec la Seconde, beaucoup de ses protagonistes finissant sous les persécutions nazies. Les artistes pragois auront néanmoins le temps d'absorber les influences extérieures (françaises notamment, avec Apollinaire bien sûr mais aussi, c'est moins attendu, Jules Laforgue), Art Nouveau, cubisme, dadaïsme, surréalisme et de les accommoder à leur manière. Kafka est présenté dans le chapitre inaugural. Runfola évite de répéter le récit de sa vie pour s'intéresser à la place qu'il occupait dans la société pragoise de l'époque. Comme tous les récents commentateurs de Kafka, elle insiste sur l'humour, la bonne humeur, la "tendance à la jubilation" (p. 39) du jeune homme. Il est vrai qu'on a peut-être trop longtemps présenté Kafka comme un être lugubre à la lumière des personnages de ses romans mais on semble aujourd'hui verser dans l'excès inverse. Je ne suis pas spécialiste mais à la lecture de ses textes, Kafka me semble tout de même assez éloigné du comique troupier.

LUNDI.
Vie décorative. Caroline a toujours de bonnes idées pour la décoration de la pharmacie. En général, pour Noël, elle se surpasse. Cette année, il s'agit ni plus ni moins de hisser un Père Noël de soixante kilos et haut de deux mètres sur la corniche qui surplombe l'entrée de la pharmacie en sachant, bien sûr, que l'objet est trop volumineux pour passer dans une porte. Après un périlleux exercice d'équilibrisme qui manque de précipiter trois personnes dans le vide, sans compter le Père Noël, la chose est réalisée. Moi qui suis pris d'étourdissement dès que je grimpe sur un tabouret, j'ai les jambes en flanelle pour la journée. Ce n'est pas le plus grave car il reste une question à résoudre : comment va-t-on faire pour le descendre de là ?

TV. La première fois que j'ai eu 20 ans (Lorraine Levy, France, 2004 avec Marilou Berry, Catherine Jacob, Serge Riaboukine; diffusé sur Canal + en octobre 2005).
La lutte d'Hannah, une jeune fille rondouillarde qui se trouve moche, pour intégrer l'orchestre de jazz de son lycée.
Une version du vilain petit canard sur fond d'années 60 (il y a une 404 et une chanson de Françoise Hardy) fortement déconseillée aux plus de douze ans. A voir uniquement pour Serge Riaboukine qui bonifie tous les navets dans lesquels il trouve un emploi et dont je commence à devenir inconditionnel.

MARDI.
Cinéma. Le Mystère de la chambre jaune (Bruno Podalydès, France, 2003 avec Denis Podalydès, Sabine Azéma, Pierre Arditi, Olivier Gourmet, Claude Rich, Michael Lonsdale, Jean-Noël Brouté, Julos Beaucarne, Isabelle Candelier; vu dans le cadre de l'opération Collège au Cinéma).
Décidément, j'y dors de mieux en mieux, dans cette chambre.

TV. L'Atlantide (Georg Wilhelm Pabst, Allemagne, 1932 avec Brigitte Helm, Pierre Blanchar; diffusé sur CinéClassics en ?).
Dans les années 20, deux officiers français victimes d'une embuscade dans le Sud saharien découvrent l'Atlantide.
C'est une grosse production de l'époque tournée, comme on le faisait alors, en deux versions parallèles, allemande et française, avec quelques variations dans la distribution. Celle destinée au public français met en valeur Pierre Blanchar dont le jeu emphatique a beaucoup vieilli. Même s'il faut replacer cette histoire dans le contexte de l'époque, où les romans de Pierre Benoit faisaient fureur, même si le traitement expressionniste des décors donne un bon échantillon du style de Pabst, il faut bien avouer que ça sent fortement la poussière.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un polar sud-africain.

TV. 36 quai des Orfèvres (Olivier Marchal, France, 2004 avec Daniel Auteuil, Gérard Depardieu, Valeria Golino; diffusé sur Canal + en novembre 2005).
Deux inspecteurs rivaux cherchent à mettre fin aux agissements d'une bande spécialisée dans le braquage des convoyeurs de fonds. La place de grand patron de la police est promise au vainqueur.
Auteuil et Depardieu, le bon et le méchant, s'affrontent dans une histoire policière qui méritait un réalisateur à la hauteur. Le scénario est en effet plutôt habile, riche en rebondissements, en situations convenues mais intéressantes, mais Olivier Marchal est un ancien flic qui semble avoir gardé de son passage dans la Grande Maison un goût prononcé pour le machisme épais, les armes bruyantes et le pathos en chaussettes à clous. On a déjà vu Gabin, Delon, Constantin ou Ventura s'en tirer à leur honneur dans de telles histoires mais ici la musique de Prisunic, les mines torturées des acteurs et les afféteries de la mise en scène tournent l'affaire en ridicule complet.

JEUDI.
Courrier. Je reçois un disque de Noël, un vrai, qui vaut son pesant de Marzipan : Keys for Christmas de Klaus Wunderlich, maître incontesté du kitsch sur orgue Hammond. Deux mesures et vous êtes transporté dans les allées d'un complexe commercial, dans une pizzeria bavaroise de la Costa Brava ou dans le centre d'une ville "animée" par une association de commerçants particulièrement imaginative.

TV. 24 heures chrono (24, série américaine de Robert Cochran & Joel Surnow avec Kiefer Sutherland, Kim Raver, William Devane, Mary Lynn Rajskub; saison 4, épisodes 3 & 4 diffusés sur Canal + le soir même).
Donc le ministre américain de la Défense a été kidnappé. Ici, il tente une sortie, joue des poings, abat un de ses ravisseurs. C'est là qu'on regrette que la série soit américaine : on aurait tant aimé voir Michelle Alliot-Marie dans le rôle...

VENDREDI.
TV scolaire. Le Cid (El Cid, Anthony Mann, E.-U.-Espagne, 1961 avec Charlton Heston, Sophia Loren, Raf Vallone, Geneviève Page; DVD Le cinéma du Monde, série 5).
Les amours tourmentées de Rodrigue et de Chimène et le siège de Valence, menacée par les Maures.
L'argument de la pièce de Corneille est balayé en une vingtaine de minutes pour laisser place à une épopée où Anthony Mann, dopé par une production gigantesque, se révèle beaucoup moins sobre que dans ses westerns. On sent le souci de doser parfaitement les scènes d'action et les pauses sentimentales. Le propos général du film, l'opposition entre l'Orient le le monde occidental, est traité de façon beaucoup plus subtile et équilibrée que dans les productions américaines d'aujourd'hui. La guerre, si elle est une constante menace et si elle finit par éclater à l'occasion d'une somptueuse bataille finale, n'est qu'un pis-aller qui ne survient qu'en ultime recours, après plusieurs tentatives de conciliation. C'était le bon temps.

Défilé. Saint-Nicolas passe sous nos fenêtres, son collègue est là pour le saluer.

TV. Nous ne vieillirons pas ensemble (Maurice Pialat, France, 1972 avec Jean Yanne, Marlène Jobert, Jacques Galland, Macha Méril, Christine Fabréga, Maurice Risch, Muse Dalbray; diffusé sur Canal + en mai 1999).
Jean est cinéaste. Son mariage bat de l'aile et sa liaison avec sa secrétaire ne va guère mieux.
Quand j'ai vu ce film pour la première fois, au ciné-club du lycée Louis-Lapicque (il y a donc près de trente ans), j'ignorais absolument tout de Pialat et je n'avais sûrement pas vu les implications autobiographiques du sujet. Jean Yanne est Pialat jusque dans le physique carré, épais, dans le caractère brusque et cynique. Ce qui se présente au départ comme un portrait d'ours mal léché devient peu à peu, au fur et à mesure que le film progresse, celui d'un homme perpétuellement blessé et incapable de saisir le bonheur qui passe à sa portée. Il n'y a pas d'apitoiement de Pialat sur sa propre image mais une lucidité amère, un pessimisme qui ne le quittera plus.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

SAMEDI.
Courrier. On m'envoie la réédition du Brassens de Fallet et un livre sur Villefort.

Vie sociale. Dîner chez des libéraux qui ont des sujets de conversation libéraux (projets immobiliers, loisirs nautiques pétaradants, vacances loin, bien loin de Mézières-sur-Issoire, moi, moi, moi et mon argent, beaucoup d'argent). Je ne souhaite à personne de s'ennuyer chez moi comme il m'arrive de m'ennuyer chez les autres.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°237 - 11 décembre 2005

DIMANCHE.
Lecture. Comme disait Alphonse Allais (Patrice Delbourg, Écriture, 2005; 224 p., 17,95 €).
Jusqu'à sa mort en 1905 (à Paris et non à Honfleur comme il est écrit en quatrième de couverture), Alphonse Allais fit preuve d'une plume intarissable, écrivant au jour le jour pour les feuilles de l'époque les contes, fables, pensées et autres histoires qu'il se soucia peu de réunir en volumes. "Négligé pendant quarante ans, il fallut attendre les surréalistes et de bonnes âmes tels Sacha Guitry et Jacques Prévert pour que le grand public redécouvre ses recettes de bonne humeur et de bon humour" et qu'il devienne un réservoir inépuisable de bons mots (parfois apocryphes) pour les tenants d'un certain "esprit français". Après le gros travail de François Caradec pour mieux faire connaître l'homme et l'œuvre, les hommages et reconnaissances n'ont pas manqué, de Claude Gagnière à Michel Laclos. C'est ici Patrice Delbourg qui prolonge la veine, sous la forme un peu paresseuse de l'abécédaire (A comme Absinthe, B comme Britannia, C comme Calembour, etc.) assorti de citations. L'auditeur des Papous dans la tête y reconnaîtra son goût pour les jeux de mots et à-peu-près divers qui s'inscrivent parfaitement dans l'héritage allaisien. Les connaisseurs n'apprendront rien de neuf, Caradec ayant épuisé le sujet, les novices et curieux découvriront un homme plus complexe qu'on ne le croirait, à la vie bien moins drôle que les textes, et le notulographe sera peut-être enclin à ouvrir son volume d'Écrits anthumes paru dans la collection Bouquins.
Curiosité. Dans une page (157) consacrée au goût d'Allais pour les coquilles, Patrice Delbourg évoque un certain Etienne-Jules Marais, précurseur du cinématographe. Il s'agit en fait d'Etienne-Jules Marey.

LUNDI.
Invent'Hair. Je reçois la photo d'un salon rennais ("Atmosp'Hair") en provenance de... Pékin.

TV. Les Clefs de la maison (Le chiavi di casa, Gianni Amelio, France/Italie, 2004 avec Kim Rossi Stuart, Charlotte Rampling, Andrea Rossi, Alla Faerovich; diffusé sur Canal + en novembre 2005).
Paolo, un enfant handicapé, a été rejeté par son père à la naissance et élevé par ses oncle et tante. Le père le retrouve pour le conduire à Berlin dans un hôpital spécialisé.
Comment le fils va-t-il accepter ce père qui l'a abandonné, comment le père va-t-il renouer avec cet enfant refusé, une histoire douloureuse sur le thème de la normalité et de ses écarts, qui a déjà été traitée avec des sabots plus pesants. Gianni Amelio en tire un film honnête qui retient l'intérêt, surtout au moment où un enfant "différent", comme on dit pudiquement, vient d'entrer dans votre famille.

MARDI.
TV scolaire. Les Misérables (Claude Lelouch, France, 1995 avec Jean-Paul Belmondo, Michel Boujenah, Alessandra Martines; DVD Aventi).
Claude Lelouch montre ici qu'il peut être autre chose qu'un sujet de plaisanterie. Plutôt que de tourner une énième version des Misérables, il a écrit et filmé un récit foisonnant dans lequel les épisodes et les personnages du roman de Victor Hugo viennent s'insérer. C'est l'histoire d'un fils de bagnard devenu déménageur qui, en 1942, accepte de convoyer une famille juive jusqu'à la frontière suisse et dont l'existence présente beaucoup de points communs avec celle de Jean Valjean. L'histoire de Fortin, le déménageur, est entrecoupée par des épisodes de la vie de son père, par des séquences où il apparaît en Jean Valjean, et même par des extraits de la version filmée par Raymond Bernard en 1933 avec Harry Baur. C'est très stimulant, captivant même, ce n'est pas très éloigné de ce que Soderbergh a réalisé avec Kafka. Lelouch montre son sens du cadrage, son amour pour les comédiens, il parvient même à rendre Boujenah supportable, ce qui n'est pas rien. Ça ne dure malheureusement que la moitié du film (soit tout de même une heure et demie). Lelouch cède ensuite à ses travers, souligne les effets d'une musique lourdingue, se prend les pieds dans sa construction alambiquée, convoque l'emphase et le pathos jusqu'à l'indigestion. C'est certes dommage mais c'est peut-être aussi ce qui donne au film un côté très hugolien : Lelouch et Hugo partagent en effet le même style, la même volonté didactique, le même dédain pour le dos de la cuiller, le même goût pour l'hyperbole et, en l'occurrence, la même foi en l'homme.

TV. Full Metal Jacket (Stanley Kubrick, E.-U., 1987 avec Matthew Modine, Vincent D'Onofrio, Adam Baldwin; diffusé sur CinéCinémas en décembre 2004).
Un groupe de marines suit un entraînement intensif sous la houlette d'un sergent cruel avant de partir pour le Vietnam.
On connaît le déroulement habituel de ce genre de film : les jeunots en bavent pendant l'instruction puis révèlent leur courage une fois soumis à l'épreuve du feu, le méchant sous-officier est en fait un brave, un John Wayne souvent, qui cache un cœur d'or sous des dehors revêches. Mais on connaît aussi, depuis Les Sentiers de la gloire, le sentiment de Kubrick sur la guerre et sur ceux qui en font leur métier. Rien ne se passe donc comme prévu, la période d'entraînement se termine tragiquement (dans une scène où Kubrick recrée l'atmosphère glaciale de la fin de 2001) et le seul acte de bravoure au combat consiste à achever une femme agonisante. C'est Kubrick tout entier : cruel, froid, lucide, magistral.

MERCREDI.
Lecture/Écriture. Brassens (René Fallet, Denoël, 1967, rééd. 2005; 144 p., 19 €).
Chronique rédigée et envoyée à La Liberté de l'Est. Même si bien sûr la plupart des notuliens ne se repaissent pas des délices de la presse vosgienne, même s'ils sont peu nombreux à être abonnés à Histoires littéraires, il ne m'est pas possible, par correction, de faire paraître mes recensions critiques avant leur parution dans les deux organes qui m'emploient. Je peux en revanche les adresser à qui le souhaite sous forme de fichier joint, il suffit de demander.

Emplettes. J'achète un jeu de cordes de guitare, des billets de train, le gros Baudelaire de Claude Pichois et Jean Ziegler et, à offrir, Les miscellanées de Mr. Schott.

Courrier. Je reçois Les miscellanées de Mr. Schott, à chroniquer, et deux DVD d'une antique version du Comte de Monte-Cristo que je compte déguster avec mes élèves.

Obituaire. "Je me souviens de Gloria Lasso, et de Tilda Thamar et de Maria Felix" (Georges Perec, Je me souviens, JMS n° 458).

TV. Le Soleil assassiné (Abdelkrim Bahloul, France/Belgique/Algérie, 2003 avec Charles Berling, Mehdi Dehbi, Ouassini Embarek, Clotilde de Bayser; diffusé sur Canal + en septembre 2005).
Dix ans après l'Indépendance, le poète Jean Sénac, qui fut partisan du FLN, n'a pu se résoudre à quitter l'Algérie. Ses activités à la radio, au théâtre et dans le domaine de la poésie ne plaisent pas au régime de Boumediene qui cherche à l'éliminer.
C'est une cruelle illustration du fait que les bonnes intentions ne suffisent pas à faire un bon film. Dénoncer l'oppression, l'obscurantisme, prôner la tolérance, la liberté, défendre la langue, la poésie, l'indépendance d'esprit, tout cela est fort louable mais les moyens ne sont pas à la hauteur du propos. Charles Berling se démène avec fougue au milieu de jeunes comédiens maladroits desservis par un texte grandiloquent qui vire parfois au ridicule (voir le titre).

JEUDI.
TV. 24 heures chrono (24, série américaine de Robert Cochran & Joel Surnow avec Kiefer Sutherland, Kim Raver, William Devane, Mary Lynn Rajskub; saison 4, épisodes 5 & 6, diffusés sur Canal + le soir même).

VENDREDI.
Cinéma. Je ne suis pas là pour être aimé (Stéphane Brizé, France, 2005 avec Patrick Chesnais, Anne Consigny, Georges Wilson, Lionel Abelanski, Cyril Couton, Geneviève Mnich, Hélène Alexandridis, Anne Benoît, Olivier Claverie).
Dans le rôle de l'éternel râleur au charme insoupçonné, on connaît surtout Jean-Pierre Bacri qui est devenu un véritable spécialiste du genre. Ce n'est pas parce que Patrick Chesnais est plus rare qu'il n'est pas aussi intéressant dans l'emploi. Il retrouve ici un rôle de bougon proche de celui qu'il s'était attribué dans son propre film, le mal nommé Charmant garçon : Jean-Claude Delsart, cinquante ans, divorcé, mène une vie terne entre sa charge d'huissier, un père encore plus acariâtre que lui qu'il se force à visiter chaque dimanche, un fils empoté et une solitude pesante. Sa seule évasion : un cours collectif de tango qui lui permet de rencontrer Françoise, une femme plus jeune que la perspective d'un proche mariage ne semble pas enchanter. Stéphane Brizé filme avec retenue les approches de l'un vers l'autre, l'idylle impossible, les remords, les regrets. Son film suit le rythme de la danse, les scènes de tango nous ramènent au temps de L'Acrobate de Jean-Daniel Pollet. Le happy end final tombe un peu, malheureusement, comme un cheveu sur la soupe.
Curiosité. Stéphane Brizé semble se spécialiser dans les professions difficiles : un huissier de justice après une contractuelle dans Le Bleu des villes (1999). Et pour le prochain : un croque-mort ou un percepteur ?

SAMEDI.
Vie sociale. Nous choucroutons chez J à Nancy en agréable et drôle compagnie, ce qui change de la semaine dernière. Le crochet par la Colombière que j'ai pu arracher au départ juste pour voir le panneau d'affichage ( SA Spinalien 2 - Schiltigheim 0 à la 60° minute) m'a mis d'excellente humeur.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°238 - 18 décembre 2005

DIMANCHE.
Vie familiale. Nous passons la journée chez ma sœur à Montbéliard. C'est l'occasion de mettre en boîte une paire de salons repérés lors des précédentes visites : "Objec'Tif" à sainte-Suzanne et "Planet'Hair" à Montbéliard même.

Courriel. Je satisfais aux demandes d'envoi, nombreuses (c'est une bonne surprise), concernant mes chroniques pour la presse qui seront désormais disponibles sur le site des notules après un délai de décence.

LUNDI.
Courrier. On m'apprend l'existence d'un salon "Diminu'Tif" à Carcassonne. L'Invent'Hair est, comme me le fait remarquer MGM, un travail collec'tif.

TV. Sang pour sang (Blood Simple, Joel Coen, E.-U., 1984 avec John Getz, Frances McDormand, Dan Hedeya; diffusé sur CinéCinémas en ?).
Texas. Un barman s'enfuit avec la femme de son patron. Celui-ci charge un détective privé de retrouver et de tuer le couple illégitime.
Pour leur premier film, les frères Coen font leurs gammes dans le domaine du polar. Dans un décor balisé peuplé de personnages emblématiques du genre (le privé crasseux, la femme adultère, le mari jaloux et violent) ils parviennent à imprimer leur marque par la crudité de certaines scènes et un style qui fait grand usage des plongées, contreplongées et très gros plans. Ils paient aussi leur tribut à Hitchcock en montrant après lui combien il est long et difficile de tuer un homme et de se débarrasser d'un cadavre. Il y a des longueurs, des facilités mais l'indulgence est de mise quand on sait qu'il s'agit d'un exercice de style qui aboutira à la perfection de The Barber.

MARDI.
TV. Engrenages (série d'Alexandra Clert & Guy-Patrick Sainderichin, France, 2005; saison 1, épisodes 1 & 2, diffusés sur Canal + le soir même).
Les gazettes promettaient une série policière française exceptionnellement réussie, loin du ronron de PJ. En fait de ronron, je dois dire qu'après avoir fermé les yeux devant une scène d'autopsie assez complaisante, j'ai ma foi fort bien dormi devant ce chef-d'œuvre. Inutile d'aller plus loin donc.

MERCREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Emplettes. J'achète un polar norvégien.

Lecture. Histoires littéraires n° 16 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, octobre-novembre-décembre 2003, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 272 p., 20 €).
On retiendra de ce numéro un excellent et copieux dossier sur Maupassant qui fait la lumière sur le dernier séjour de l'écrivain à Passy, dans la clinique du docteur Blanche où il devait s'éteindre. Certificats médicaux, lettres des médecins, inquiétudes de la famille, rumeurs propagées par la presse, tout est minutieusement rassemblé et commenté par Noëlle Benhamou et Jérôme Honnorat. Une lecture s'impose après celle-ci : La maison du Docteur Blanche, de Laure Murat.
A signaler également l'apparition d'une nouvelle rubrique, "Petites coupures", consacrée à la réception des écrivains au fil de la presse. C'est Alain Chevrier qui ouvre le bal avec Robert Desnos et la récupération dont il fit l'objet, dès après sa mort, de la part d'Aragon et du Parti communiste.

JEUDI.
TV scolaire. Le Mystère de la chambre jaune (Henri Aisner, France, 1948 avec Serge Reggiani, Pierre Renoir, Hélène Perdrière, Marcel Herrrand; diffusé sur Ciné Polar en décembre 2005).
En 2003, à l'occasion de la sortie de leur film adapté du roman de Gaston Leroux, les frères Podalydès n'avaient pas manqué d'évoquer la version tournée par Marcel L'Herbier en 1930. En revanche, jamais celle de 1948 ne fut mentionnée, ni dans leurs propos, ni dans les critiques. Il s'agit donc d'un film totalement oublié, découvert par hasard il y a quelques jours sur une chaîne dont j'ignorais d'ailleurs également l'existence. L'occasion était belle d'associer mes élèves, après le travail effectué sur le roman et sur le film de 2003, à ma gourmandise de cinéphile et de pratiquer une étude comparative. Il est vrai que le film n'est pas grandiose. C'est un produit standard du cinéma de studio de l'époque, un traitement plutôt sombre de l'histoire qui subit quelques distorsions : transposition dans l'époque contemporaine, mélange des trois affaires mystérieuses, élimination du personnage de Sainclair, suppression du voyage de Rouletabille en Amérique au profit d'une confession de Mlle Stangerson, mort finale de Larsan qui clôt définitivement l'affaire. Mais il y a Reggiani, le véritable atout du film. Beaucoup plus proche de l'âge du rôle que Denis Podalydès, malin, espiègle, têtu, frondeur, c'est bien lui le véritable Rouletabille.
Dialogue. L'inspecteur Larsan : "Dans mon métier, on se méfie des journalistes."
Le journaliste Rouletabille : "Dans tous les autres, on se méfie des policiers."

Courrier. A., titulaire incontesté du pupitre de trombone lors des vacances en Lozère, envoie deux de ses disques dont un consacré à la musique de kiosque, un genre qui m'intéresse depuis longtemps mais dans lequel les enregistrements sont rares.

Vacances anticipées. Je décolle pour Paris par le 19 heures 37.

VENDREDI.
Vie parisienne. J'assiste pour la première fois au Colloque des Invalides, neuvième du nom, un rassemblement dont j'ai déjà pu vanter la qualité lors des notules consacrées aux volumes des actes qui en sont publiés. L'événement se tient au Centre Culturel Canadien, rue de Constantine. Arrivé plus d'une demi-heure en avance, j'ai tout le temps de viser la porte. Quelques têtes connues dans l'assemblée, Paulette Perec, François Caradec, une responsable de la Bilipo. Au cours de la journée, je mettrai des visages sur des noms, sur des signatures qui me sont familières : Marc Décimo, Alain Chevrier, Dominique Noguez et les deux organisateurs, Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens, codirecteurs de la revue Histoires littéraires, qui m'accueillent fort aimablement. Les intervenants sont nombreux, la règle du jeu voulant que les communications soient limitées à cinq minutes. Il y a ceux qui ont préparé leur discours avec un chronomètre et qui entrent sans problème dans les délais, et il y a ceux, plus nombreux bien sûr, qui oublient, qui brodent, qui débordent et qui sont enjoints de mettre fin à leur propos. Plusieurs attitudes sont alors possibles : la sourde oreille (je continue comme si de rien n'était), la coupure brutale au détriment des éléments qui restaient à dire et qui resteront inconnus, le résumé à la hâte desdits éléments ou, plus malin, la prétérition ("je ne parlerai donc pas de...") qui permet d'aller jusqu'au bout sans en avoir l'air. A la tribune se succèdent, par groupe de trois ou quatre, des orateurs chevronnés, coutumiers de l'exercice, et des jeunes gens moins expérimentés. Le plus matois est sans conteste Régis Debray, qui sait ménager ses effets. Chaque fournée est suivie d'un débat, non limité dans le temps, au gré des questions de l'assistance. Un jeune chercheur a prévu le coup : il a embauché un de ses copains (j'étais assis à leurs côtés) pour lui poser une question immédiatement après son intervention. Malheureusement, grain de sable, le copain bafouille, s'emmêle, la question est incompréhensible, y compris pour celui qui l'avait commanditée !
Le thème traité est celui de la censure, un domaine apparemment inépuisable : son rôle créateur et stimulant chez Jules Verne, son déplacement d'un genre à l'autre au fil du temps (livre, théâtre, caf'conc', puis cinéma et aujourd'hui internet), ses aspects juridiques avec là aussi un déplacement d'une censure d'état vers une censure de société civile (groupes de pression, associations), la censure au théâtre, la censure dans la presse de la Grande Guerre, la censure par omission, la censure du livre dans la grande distribution, la censure dans la traduction, dans la BD, dans l'architecture, dans l'art, dans la publicité... Le menu est dense, les sujets pointus, ça vole haut, j'ai la tête qui fume et les pauses sont bienvenues. Pendant celle de midi, je croûte au Bourbon, à deux pas de l'Assemblée Nationale. Je n'en ferai pas ma cantine quand je serai député. Lors du pot final, j'échange quelques mots avec Jean-Jacques Lefrère au sujet des orientations à donner à ma chronique pour la revue et je regagne ma chambrette assez euphorique, lesté de deux volumes à critiquer. Une euphorie vite douchée par un appel at home où Caroline se débat avec les soucis domestiques, fuite d'eau, électricité à nouveau en carafe... Son seul atout, dans son malheur, réside dans mon absence et mon incapacité à tenter une réparation. J'écoute les nouvelles à la radio : "Dans un lycée d'Étampes, un élève poignarde son professeur en plein cours". J'ai bien fait d'avancer mes vacances.

Lecture. L'âme du chasseur (The Heart of the Hunter, Deon Meyer, 2002; Éditions du Seuil, coll. Policiers, 2005 pour la traduction française; traduit de l'anglais par Estelle Roudet; 430 p., 21 €).
J'avais gardé une excellente impression du premier roman traduit de Deon Meyer, Jusqu'au dernier, qui mettait en scène l'inspecteur Matt Joubert, un personnage auquel on était prêt à s'attacher. Mais Meyer a refusé la facilité du héros récurrent et s'est éloigné de Joubert dès son deuxième titre, Les soldats de l'aube (pas lu), pour créer un autre personnage, Mpayipheli, un ancien membre des services secrets sud-africains. C'est lui qu'on suit dans L'âme du chasseur, au cours d'une chasse à l'homme dont il est la cible : mis à la retraite par ses employeurs, il reprend du service pour un de ses amis et accepte de convoyer un document secret jusqu'au Bostwana. Pour ce faire, il effectue un long périple à moto avec, à ses basques, les représentants des services spéciaux de son pays.
Mpayipheli ne manque certes pas d'intérêt : ancien activiste de la lutte anti-apartheid, il aspire désormais à une vie paisible mais se trouve rattrapé par ses vieux démons et doit, à son corps défendant, se remettre à fuir, se battre, tuer. Prisonnier de son passé, il est à l'image de son pays, plein de contradictions et tiraillé par des forces contraires. Mais son aventure, ici, se trouve mêlée à un contexte tellement compliqué (espionnage international, terrorisme, agents doubles en tout genre) que le livre devient rapidement impossible à suivre. Deon Meyer a choisi en outre d'entrecouper son récit de comptes rendus d'interrogatoires, de communiqués de la CIA, d'articles de journaux qui ne contribuent pas à la fluidité du propos. Rendez-nous Matt Joubert !
Trois mots sur la traduction. 1. Les notes en bas de page sont bienvenues lorsqu'elles explicitent certains particularismes sud-africains. Celle qui, page 172, vise à éclaire l'expression "révélation de Damas" ("Référence à Saint Paul, qui eut la révélation du Christ sur le chemin de Damas"), ne s'imposait peut-être pas. 2. Le héros des livres d'Ed McBain est Carella et non Caralla (p. 242).

SAMEDI.
Vie parisienne (suite). Je découvre le nouveau Bulletin Perec au séminaire de Jussieu où Priya Wadhera, une enseignante américaine, est venue parler du discours sur l'art et principalement de la copie dans Un cabinet d'amateur. Malheureusement, j'ai dû épuiser toutes mes capacités d'écoute hier aux Invalides et je ne suis pas très attentif. Néanmoins, j'apprends où se trouve le lien que je cherchais entre Duchamp et Perec : dans un tableau du Cabinet d'amateur intitulé Portrait de la jeune mariée (ce qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille) et signé R. Mutt, un pseudonyme utilisé par Duchamp. Après la croûte dans une pizzeria déserte de la rue des Boulangers, je me rends à la Bilipo. J'entame une étude comparative entre le gros Dictionnaire des littératures policières de Claude Mesplède et le plus modeste Dictionnaire du roman policier de Jean Teulard que je dois chroniquer pour Histoires littéraires avant de travailler à mon Atlas de la Série Noire. Je jette un oeil sur les deux volumes que mon voisin de table a sorti des rayonnages : Les haches et Le couteau de lancer, qu'il consulte avec une gourmandise qui me paraît suspecte. Craignant qu'il ne se mette aux travaux pratiques, je décide de renoncer à ma sieste.
Après un thé au Petit Cardinal, je remonte vers le nord pour expérimenter une nouvelle scène de la vie parisienne : le vernissage. C'est l'Oulipo qui expose dans une galerie de la rue Sainte-Anastase. Les oeuvres sont peu nombreuses mais c'est tout de même occasion de voir "en vrai" la Bibliothèque ordonnée de Paul Braffort, composée de livres dont le titre comprend un nombre entier, du Zéro et l'infini d'Arthur Koestler aux indépassables Cent mille milliards de poèmes de Queneau. Les membres de l'Oulipo sont là, c'est la première fois que je vois Roubaud, Fournel, Braffort, Olivier Salon et Ian Monk. Il y a même une académicienne, c'est dire la tenue de l'événement. Je fais des progrès : je ne me sens pas trop déplacé, aidé en cela par l'amicale présence de GEF et DDR, fidèles du séminaire Perec, et je discute assez librement avec Pierre Getzler, Alain Chevrier et le traducteur russe de La Disparition.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°239 - 25 décembre 2005

DIMANCHE.
Vie parisienne (fin). Le Musée du Luxembourg n'est pas très vaste et les expositions qu'il propose sont souvent prises d'assaut. Je décide tout de même de voir ce que ça donne à l'ouverture, il est neuf heures et il n'y a pas de queue : l'idéal. Trop beau pour être vrai : les portes restent mystérieusement closes. Les prévoyants qui ont retenu leur place pour l'entrée de neuf heures sont vite rejoints par ceux de neuf heures trente, ceux qui comme moi ont décidé de tenter leur chance sans réservation forment une autre queue, les deux files s'allongent. Dans ce genre de situation, il y a toujours une grande gueule qui se sent investi d'une mission divine et qui s'érige en porte-parole des mécontents. Un grand escogriffe invective les contrôleurs réduits au rang de garde-chiourme : "Nous exigeons des explications !" avec trois accents circonflexes sur le a, s'il vous plaît. On lui répond "Problème technique", avec ça il est bien réchauffé mais au moins ça m'a fait rigoler. La foule finit par investir les lieux, rapidement bondés. Piétinements, bousculades, il faut jouer de la semelle et du nougat pour apercevoir un coin de tableau de cette collection Phillips qui nous vient d'Amérique, de Washington exactement. Dès les années 1910, Duncan Phillips multiplie les voyages en Europe et fréquente les ateliers de Paris où il achète à tour de bras, montrant, après Barnes, Havemeyer et le docteur Rau, ce qu'on peut faire quand on a de l'argent et du goût : Bonnard, Cézanne, Daumier, Renoir, Sisley, Courbet, Manet, Picasso et j'en passe. Jusqu'à sa mort en 1966, il n'a de cesse d'enrichir sa collection, attentif à tout ce qui lui semble digne d'intérêt, Hopper, Sam Francis, Klee, Kandinsky... L'échantillon présenté est riche. J'y retrouve mon cher Vuillard avec un petit Intérieur où figure sa mère, toujours sa mère, de dos, massive... Tournant le dos au Déjeuner des canotiers, pris d'assaut, je me consacre presque exclusivement aux trois Bonnard qui occupent un mur entier, La Côte d'Azur, La Palme et Soleil d'avril.

Les deux premiers avaient déjà été montrés au Grand Palais lors de l'exposition "Méditerranée" mais il ne m'avaient pas fait le même effet. Tels qu'ils sont présentés ici, sur fond blanc, ils projettent leurs couleurs avec une telle force qu'ils rendent vaine toute tentative de reproduction. C'est la première fois que je ressens ainsi la puissance d'une peinture "authentique", irremplaçable. C'est la même chose pour la Petite baigneuse d'Ingres qui se trouve à l'ouverture du parcours :

La lumière sur l'épaule, le velouté de la peau ne se retrouvent, j'ai cherché, sur aucune image internet, sur aucun catalogue... La découverte occasionnée par ces quatre toiles suffit à mon bonheur et je finis la matinée au Louvre, un endroit paradoxalement beaucoup plus calme. La Galerie Médicis, où je campe depuis deux mois, est quasiment déserte et j'y déchiffre paisiblement les allégories de Rubens pour ma Mémoire louvrière.

Avant d'aller attraper le 13 heures 44 et de retrouver Épinal sous la neige, il reste un peu de temps pour un crochet par l'exposition Girodet, chez qui tout est une question de courbure de nuque.

Courriel. Le Père Noël est en avance : le SAS a battu le leader Auxerre et Y m'offre quelques enregistrements de Garlamb'Hic qu'il a mis sur la Toile. MS évoque ses souvenirs de Paulette Perec.

Courrier. Arrivée du nouveau Bulletin Marcel Proust où j'ai la surprise de trouver la signature d'un notulien.

Lecture/Écriture. Les miscellanées de Mr. Schott (Schott's Original Miscellany, Ben Schott, Bloomsbury, Londres, 2002; adaptation et traduction de Boris Donné, Allia, 2005; 160 p., 15 €).
Chronique rédigée et envoyée à La Liberté de l'Est. En rangeant le livre, je goûte la séquence Schlinck, Schmitt, Schott, Schulz qui figure désormais dans ma bibliothèque.

LUNDI.
Presse. Parution de ma chronique Brassens/Fallet dans La Liberté de l'Est.

Courrier. J'envoie des chèques, des vœux et des coupures.

Courriel. Je fais part à JMP des erreurs dénichées chez Schott pour compléter sa propre liste d'errata.

TV. 24 heures chrono (24, série américaine de Robert Cochran & Joel Surnow avec Kiefer Sutherland, Kim Raver, William Devane, Mary Lynn Rajskub; saison 4, épisodes 7 & 8, diffusés sur Canal + le 15 décembre 2005).

MARDI.
TV. Coups de feu dans la sierra (Ride the High Country, Sam Peckinpah, E.-U., 1962 avec Joel McCrea, Randolph Scott, Mariette Hartley; diffusé sur TCM en ?).
Deux vieux cow-boys sont chargés d'aller chercher de l'or pour une banque dans un village de prospecteurs.
Toute la mythologie du western disparaît sous l'œil de Peckinpah. Les cow-boys ressassent leurs souvenirs à la manière des Vieux de la vieille, le jeunot qui les accompagne est une tête brûlée, le village des chercheurs d'or est un ramassis de tarés effrayants. Plus question d'honneur (les vieux amis ne songent qu'à se trahir l'un l'autre), d'héroïsme ou de romance. C'est un monde crépusculaire qui vit sur un passé dévasté et qui ne voit arriver aucun sang neuf. Plutôt réputé pour la violence qui marquera ses films à venir, Peckinpah se fait ici le prophète d'un genre dont il devine le déclin prochain mais dont il sait utiliser les atouts avec une intrigue ramassée comme dans les westerns de série B où Joel McCrea et Randolph Scott ont vidé tant de chargeurs.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un livre sur le Père-Lachaise et rapporte des catalogues de gîtes pour les futures vacances d'été.

TV. La plus belle victoire (Wimbledon, Richard Loncraine, G.-B., 2004 avec Kirsten Dunst, Paul Bettany, Sam Neill; diffusé sur Canal + en novembre 2005).
Un joueur de tennis vieillissant participe à son dernier tournoi de Wimbledon. La rencontre d'une jeune joueuse en vue l'oriente vers des échanges d'une autre nature.
On a peine à croire qu'on ose encore tourner ce genre de bluette. Tout y est absolument prévisible, que ce soit dans la progression de l'intrigue amoureuse que dans le volet "dramatique" qui mènera bien sûr le héros vers la victoire finale. Le réalisateur a la délicatesse de ne pas insister sur les aspects détestables du sport de haut niveau mais le personnage du père de la joueuse, qui ne pense qu'en termes de résultats et de carrière, est assez crédible. On évitera charitablement toute comparaison avec Mademoiselle Gagne tout de Cukor.

JEUDI.
Écriture. Je crois qu'après quatre jours de travail, ma deuxième chronique pour Histoires littéraires tient à peu près debout.

Ménage informatique.
Je me désabonne de deux listes de diffusion qui m'encombrent plutôt qu'autre chose et prépare le message invitant les notuliens à faire de même.

Vacances. Caroline connaît maintenant ses dates de garde pour 2006. Il est temps de se pencher sur le choix d'une villégiature estivale. La Haute-Vienne ou la Creuse ? Nous hésitons entre deux déserts.

TV. 24 heures chrono (24, série américaine de Robert Cochran & Joel Surnow avec Kiefer Sutherland, Kim Raver, William Devane, Mary Lynn Rajskub; saison 4, épisodes 9 & 10, diffusés sur Canal + le soir même).

VENDREDI.
Courrier. Les premiers vœux arrivent d'Allemagne.

Radio.
J'écoute les deux notuliens qui ont eu les honneurs de France Culture la semaine dernière.

Vie informatique. Y s'attelle au dépoussiérage du site des notules.

TV. La Rivière d'argent (Silver River, Raoul Walsh, E.-U., 1948 avec Errol Flynn, Ann Sheridan, Thomas Mitchell; diffusé sur TCM en novembre 2003).
Renvoyé de l'armée après la Guerre de Sécession, le capitaine McComb devient tenancier d'une maison de jeu dans une cité minière.
L'ascension de McComb est une ode au capitalisme. Après avoir plumé tous les mineurs grâce à son tripot, il devient actionnaire de la mine et ouvre une banque avec l'argent récolté. Aigri, cynique et sûr de lui, il bâtit un empire, s'arrange pour faire tuer le mari de la femme qu'il convoite (le parallèle avec David et Bethsabée court tout au long de l'histoire), épouse celle-ci et finit par s'attirer l'animosité de tout son entourage. Il est assez surprenant de voir Errol Flynn dans un rôle aussi antipathique. Les cinq dernières minutes, consacrées à son soudain sursaut d'humanité et à sa rédemption, semblent avoir été imposées par la production et jurent avec le reste du film. Raoul Walsh tourne ce portrait cruel sans temps mort, avec un savoir-faire impeccable.

SAMEDI.
Courrier. Je reçois mes exemplaires du Bulletin Perec et mes premiers honoraires de pigiste à La Liberté de l'Est. Ces derniers ne sont pas bien lourds mais je n'en suis pas peu fier.

Menu de Noël.

POTÉE LORRAINE

Le jardin tout entier a franchi la fenêtre
Avec ses choux luisants, vernis par l'arrosoir,
Quand ton odeur d'été puissamment nous pénètre,
O mets fumant, dressé comme un haut reposoir !

Beau sacrifice offert à l'appétit robuste :
Tous les fruits de la terre en un même fumet !
Tu sembles, sur nos plats lorrains, casquer un buste
Antique, avec cimier de lard, faisant plumet.

A ton charme ajoutons la saucisse brûlante,
Le jambon, suspendu dans l'âtre large et noir,
Pour mieux remercier la nature opulente
Qui se prodigue à nous, du matin jusqu'au soir.

Et, devenus plus lourds sur le bord de la chaise,
Nous entendrons, flattés par l'arôme indulgent
- En buvant du vin gris ou du quatre-vingt-treize -
L'horloge nous chanter l'heure au timbre d'argent.

René D'AVRIL (Toul 1875 - Nancy 1966, L'assiette à fleurs, 1926)

Bon Noël.