Notules dominicales
de culture domestique n°280 - 5 novembre 2006 DIMANCHE.
Souvenirs. Le Projet de Rénovation
Urbaine continue son oeuvre destructrice dans le quartier de mon enfance. J'ai
déjà parlé de mon école qui est aujourd'hui un tas
de gravats. Dans
la rue qui y montait, les trois maisons qui faisaient face à celle que
j'ai habitée jusqu'en 1977 sont également en voie de désintégration.
On n'en est aujourd'hui qu'à la phase préparatoire qui consiste
à les vider de tous leurs éléments avant de les mettre à
bas. La vision en est encore plus déprimante, on les dirait soufflées
par un bombardement ou un tremblement de terre. Dans l'une des trois vivait la
famille D. Je
ne sais plus combien ils étaient là-dedans, huit ou dix avec la
grand-mère et la grosse auto bleu pétrole, 203 ou 403, je n'ai jamais
su, dans laquelle M. D. parvenait à en convoyer une partie de temps en
temps. Il y avait de toute façon assez de mioches dans cette maison pour
que tous les autres habitants de la rue en trouvent un ou deux de leur âge
avec qui jouer. Jean-Claude, l'aîné, fut le premier jeune de la rue
à avoir une auto, une R 8 qu'il avait repeinte en jaune et bleu, je
trouvais ça fabuleux, c'étaient les couleurs du SAS et je me promettais
d'en faire autant dès mon accès à la vie automobile. Michel,
Daniel et Patrick étaient plus proches de moi, c'est avec eux que je jouais
au foot sur les pelouses interdites dont le garde-champêtre nous faisait
régulièrement décamper. C'est dans cette maison que Mme D.,
qui s'était fracturé le coccyx, dormait à moitié debout,
attachée à un radiateur, enfin ça, je ne sais pas si c'est
vrai, c'est ce que disaient ses fils, peut-être pour m'épater. C'est
autour de cette maison que gambadait le canard que l'un d'eux avait rapporté
de je ne sais où et qui, comme tous les canards, passait son temps à
chier partout. C'est de cette maison que partait mon père quand il allait
aux champignons avec M. D., expéditions dont il revenait malade comme un
chien, son estomac étant absolument rétif aux charmes du muscadet
entonné au petit matin dont l'abreuvait M. D., un chauffeur routier autrement
carrossé. C'est avec les D. que j'ai regardé, dans notre salle à
manger envahie, ma première finale de coupe du monde de football en 1970.
C'est cette maison que j'ai eue sous le nez pendant douze ans en mettant le nez
dehors, dans cette rue qui est un peu ma rue Vilin à moi. Dans la maison
du dessous habitaient M. et Mme M. Eux
n'avaient pas d'enfants, du moins plus sous leur toit. Chaque soir, à six
heures, M. M. rentrait en auto de son bureau, s'arrêtait à la porte
de son garage et donnait un coup de klaxon pour avertir sa femme qui venait aussitôt
lui ouvrir la porte. On n'en fait plus, des femmes comme Mme M. Courriel.
Une demande d'abonnement aux notules. TV.
Les Tricheurs (Marcel Carné, France, 1958 avec Pascale Petit, Andréa
Parisy, Laurent Terzieff, Jacques Charrier; diffusé en octobre dernier
sur CinéClassics). Un étudiant des beaux quartiers s'encanaille
auprès de la jeunesse de Saint-Germain-des-Prés. Marcel Carné
fait le portrait d'une génération que, manifestement, il n'aime
pas. Chez ces jeunes pour qui l'appétit de vivre à l'issue de la
guerre a laissé place à un vague malaise teinté d'existentialisme,
tout n'est que façade : le refus de s'attacher à un partenaire amoureux
ne recouvre qu'une absence de sentiments réels, l'éloignement vis-à-vis
des parents n'empêche pas de vivre à leurs crochets (et de faire
bombance chez eux dès qu'ils ont le dos tourné), les grandes idées
s'effacent vite dès qu'il est question d'argent. Le seul personnage de
la bande qui trouve grâce aux yeux du réalisateur est celui interprété
par Laurent Terzieff parce que lui seul est assez lucide et cynique pour voir
les choses telles qu'elles sont. Mais s'il faut retenir quelques chose de positif
dans cette génération, c'est la sûreté de ses goûts
musicaux : la bande son est impeccable, Stan Getz, Gillespie, Hawkins, Oscar Peterson,
toute la bande du "Jazz at the Philharmonic" de Norman Granz est présente.
Autre intérêt : Belmondo, Guy Bedos et Jacques Perrin apparaissent
dans des petits rôles. LUNDI. TV.
Grabuge ! (Jean-Pierre Mocky, France, 2005 avec Michel Serrault, Charles
Berling, Micheline Presle, Patricia Barzyk; diffusé en octobre denier sur
Canal +). Un fonctionnaire de la préfecture assiste un commissaire
de police dans une enquête sur un réseau de cartes de séjour.
Mocky continue inlassablement d'adapter avec un manque de conviction confondant
des polars de seconde zone dont les droits d'adaptation doivent se chiffrer en
dizaines de centimes. Le seul intérêt de son travail désormais
semble être d'offrir un espace de liberté à des comédiens
qui choisissent de venir chez lui parce qu'ils échappent aux rôles
stéréotypés. De fait, Serrault et Berling ont l'air de bien
s'amuser mais ils sont un peu seuls. C'est pour moi le cinquante-cinquième
film que je vois avec Dominique Zardi, champion de ma filmographie personnelle,
et c'est bien là l'essentiel. Lecture.
Vincent Scotto. L'homme aux quatre mille chansons (Roger Vignaud,
Autres Temps, coll. Temps mémoire; 320 p., 20 €). Biographie.
Chronique à rédiger pour Histoires littéraires.
Courriel. Les vacanciers de Lozère
envoient une photo de leur séjour. On voit bien que nous n'y sommes pas
: il y a du soleil. MARDI. Vie festive.
Les filles participent au défilé d'Hallowe'en qui sévit dans
le quartier. C'est la première fois. Il paraît qu'Hallowe'en est
en perte totale de vitesse commerciale et festive. C'est donc le moment d'y adhérer,
on a le goût des causes désespérées et des planches
pourries ou on ne l'a pas. De plus, c'est une leçon de stoïcisme pour
Lucie que j'envoie quêter des bonbons qu'elle n'a pas le droit de manger.
L'après-midi, pour parfaire les déguisements, je les ai conduites,
elle et sa soeur, chez le dentiste dont elles sont revenues avec chacune une dent
en moins. Sur cette célébration, je trouve rien de mieux à
ressortir que ces mots pêchés l'an dernier dans Libération,
déjà utilisés dans une chronique d'Histoires littéraires
et dus à Hannelore Cayre : « La déferlante potiron a englouti
la ville. Mes rejetons lorgnent en vain les cucurbitacées grimaçantes
et les bidules orange fabriqués par des gamins chinois qui n’ont pas le
cœur à la fête. Bientôt les farandoles de moutards cornaqués
par leurs bobos régressifs de parents iront sonner aux portes comme si
on était tous copains. Année après année, mon sadisme
anti-Halloween s’affirme : lundi, mes enfants, leurs petits corps ployant sous
d’énormes pots de chrysanthèmes, se rendront au cimetière
pour gratter de leurs doigts gelés le marbre d’aïeux dont ils ne soupçonnaient
même pas l’existence. J’ai hâte d’y être. »
Invent'Hair. R a rapporté deux
clichés de Reims, un original "Jockhair" et un intrigant "Mech'Hair"
(à moins que le merlan s'appelle Schmitt). TV.
Etoile sans lumière (Marcel Blistène, France, 1945 avec Edith
Piaf, Yves Montand, Jules Berry, Mila Parély, Serge Reggiani; diffusé
en octobre dernier sur CinéClassics). Une star du muet risque de perdre
son aura au moment de l'avènement du cinéma parlant. Heureusement,
la bonniche de l'hôtel où elle réside est dotée d'un
beau filet de voix. Stella l'engage pour la doubler dans ses films musicaux.
Bien sûr, la bonne, c'est Edith Piaf, on imagine le succès. Mais
elle tient à en avoir sa part, d'où une rivalité entre les
deux femmes, la star hautaine et l'humble rossignol des rues. Ce serait très
convenu et sans grand intérêt si Marcel Blistène n'avait choisi
de tourner le dos à une fin attendue (la métamorphose de la larve
en papillon chatoyant) pour renvoyer la vedette en devenir à son humble
condition. Les coulisses du cinéma de l'époque qui sont ici dévoilées
ne manquent pas non plus d'intérêt. A cette époque, Reggiani
est déjà un acteur confirmé et talentueux, en revanche, Yves
Montand, dont c'est le premier rôle, a encore des progrès à
faire. Courriel. Une demande
d'abonnement aux notules. MERCREDI. Itinéraire
patriotique départemental. Je pars à la recherche du
monument aux morts de Blevaincourt. TV.
Une aventure (Xavier Giannoli, France/Belgique, 2005 avec Ludivine Sagnier,
Nicolas Duvauchelle, Bruno Todeschini; diffusé sur Canal + en septembre
dernier). Un jeune homme s'attache à sa voisine atteinte de somnambulisme
et victime d'un homme possessif et brutal. Un film sur le somnambulisme, mais
un film sérieux, documenté (images d'archives d'André Breton
parlant de son intérêt pour le phénomène, extraits
de Nosferatu), avec en vedette une jeune actrice qui n'hésite pas
à écorner son image pour apparaître la plupart du temps hagarde,
meurtrie, l'intention était bonne mais le film ne va guère au-delà.
On est loin du très beau Poussière d'ange d'Edouard Niermans
qui présentait un personnage de femme mystérieuse à la dérive
de façon autrement convaincante. A voir en version pour malentendants,
les répliques marmonnées étant pour la plupart incompréhensibles.
JEUDI. Vie parisienne. Le
bus de 7 heures 19 passe à 7 heures 26, j'attrape tout de même le
train de 8 heures, dix minutes de retard à Nancy, une demi-heure à
l'arrivée après un arrêt impromptu à Epernay (à
cause d'un "accident de personne", on devine ce que c'est quand on parle
le sabir SNCF couramment), on est dans la norme de la ligne. Je reste moi aussi
dans la norme des mes activités parisiennes, croûte à l'arrivée,
sieste et après-midi de travail à la Bibliothèque des Littératures
Policières. Lecture. Aux
diables ! Des hommes qui pleurent (Michel Leydier, Editions du Rocher/Le Serpent
à Plumes, 2005, coll. Serpent Noir; 240 p., 13,90 €). On
apprend en quatrième de couverture que Michel Leydier fut le biographe
de Jacques Dutronc. Le chanteur a peut-être un peu déteint sur lui,
sur une écriture et sur une intrigue dont le relâchement apparent
cache une véritable rigueur. Comme Dutronc, il sait agacer et séduire,
comme Dutronc, il tombe parfois dans la facilité mais finit par emporter
le morceau. C'est un petit polar comme savait en concocter Pascal Garnier dans
son époque Fleuve Noir, et qui va à rebours des stéréotypes
: ici un homme se veut meurtrier mais n'arrive pas à passer à l'acte.
On est content de voir un nom nouveau apparaître dans le polar français
: l'élargissement géographique de ce domaine littéraire,
les échappées nombreuses vers la Scandinavie, la Chine, le Japon
maintenant sont tout autant dues à un légitime besoin d'exotisme
qu'à un encroûtement certain de la production hexagonale dont les
meneurs, Pouy en tête, ont du mal à se renouveler. VENDREDI.
Vie parisienne (suite). Je pars à la
recherche des traces de Vincent Scotto, rue Gustave-Goublier (ex-passage de l'Industrie
où il avait son atelier) et rue du Faubourg-Saint-Martin où la plaque
posée sur la façade de son domicile en 1958 a apparemment disparu,
passe devant Beaubourg, pas encore ouvert, tant pis pour l'exposition Rauschenberg,
m'arrête au Louvre où je fais renouveler ma carte annuelle et en
profite immédiatement pour ajouter la salle 22, aile Richelieu, deuxième
étage (esquisses de Rubens) à ma Mémoire louvrière.
J'achète un souvenir typiquement parisien (un double CD de bouzouki), il
me reste encore un peu de semelle à user dans diverses librairies où
je cherche en vain le roman d'un compatriote notulien qui doit sortir aujourd'hui
(il y a bien un roman spinalien mais j'en connais l'auteur, un poseur qui ne m'attire
guère) et je finis la journée à la Bilipo. Je rentre par
le 19 heures 45. Lecture/Ecriture.
Mots croisés (Michel Laclos, Zulma, 1999, coll. Grain d'orage, présenté
par Jacques Bens; 80 grilles, 112 p., 7,47 €). Premier d'une série
de douze recueils de l'auteur parus chez le même éditeur, ce volume
rassemble des grilles publiées jadis dans Le Figaro. Des grilles
de 8 x 12, trop faciles car trop petites : Laclos est plus intéressant
dans le grand format. SAMEDI. Courrier.
Une carte postale de Castanet (Lozère). Courriel.
BB me fait profiter de ses perles de médiathèque qui valent à
mes yeux infiniment mieux que celles que Jean-Loup Chiflet attribue aux libraires,
en ceci que justement ce ne sont pas que des perles (à lire dans un prochain
numéro de la revue Dans la lune). Bon dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°281 - 12 novembre 2006 DIMANCHE.
TV. Desperate Housewives (série américaine
de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria,
Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 17
& 18, diffusés jeudi dernier sur Canal +). LUNDI.
Courriel. Echange avec un fâcheux à
qui j'ai refusé un texte abscons pour le prochain Bulletin Perec.
TV. Football. FC Metz - Amiens 1 - 0 (en direct
sur Eurosport). MARDI. Formation
continue. Caroline assiste à une réunion sur le diabète
destinée aux préparateurs en pharmacie où elle n'apprend
pas grand-chose. Il faut dire que nous commençons à être ferrés
sur le sujet. TV. Le bateau livre
(émission littéraire présentée par Frédéric
Ferney, diffusée sur France 5 le 22 octobre dernier). Si je m'endors
en entendant des auteurs parler de leurs livres, j'imagine que ça ne vaut
pas la peine que j'essaie de les lire. MERCREDI. Emplettes.
J'achète trois bons kilos de bouquins, Melville, un beau livre
sur les lieux parisiens de Baudelaire, Proust en Quarto à offrir (histoire
que mon père me rende mes Pléiades) et un Série Noire.
TV. Emmenez-moi (Edmond Bensimon,
France, 2005 avec Gérard Darmon, Lucien Jean-Baptiste, Zinédine
Soualem; diffusé sur Canal + en septembre dernier). Un chômeur
alcoolique entreprend un voyage à pied de Roubaix à Paris pour rencontrer
son idole, Charles Aznavour. Enfin un film de fan réussi après
les médiocres Podium et Jean-Philippe. C'est peut-être
parce que Charles Aznavour est un sujet plus intéressant que Claude François
et Johnny Hallyday. C'est surtout parce que le réalisateur a choisi une
forme moins clinquante, un road movie bonhomme vu à travers l'objectif
d'un caméscope manié par le neveu du fan héros. Dans le rôle
de ce dernier, Gérard Darmon se donne à fond, avec une outrance
de bon aloi : il est visiblement heureux d'être là et les cuites
qui rythment son périple sont autant de moments tragi-comiques savoureux.
L'explication de texte qu'il livre à un cafetier perplexe pour lui prouver
que "Comme ils disent" n'est pas une chanson sur l'homosexualité
constitue le sommet du film. Seul point faible : les passages chantés pour
lesquels Darmon manque un peu de coffre et de grain. JEUDI.
TV. Vol de nuit (émission littéraire
présentée par Patrick Poivre d'Arvor, diffusée sur TF1 le
23 octobre dernier). Lecture. La
maison du docteur Blanche (Laure Murat, Jean-Claude Lattès, 2001; 432
p., 22,71 €). "Histoire d'un asile et de ses pensionnaires
de Nerval à Maupassant". En fait, le titre aurait pu être
"Les maisons des docteurs Blanche", car si la maison asile de Passy
tenue par Emile Blanche est assez connue de ceux qui s'intéressent à
l'histoire littéraire - principalement parce qu'elle abrita les derniers
jours de Maupassant - on sait moins que c'est le père d'Emile, prénommé
Esprit, qui avait fondé l'institution à Montmartre, dans une maison
connue, ça ne s'invente pas, sous le nom de "folie Sandrin".
Au moment où le père Blanche ouvre son institution, en 1821, la
psychiatrie vient de connaître un tournant : "La Révolution
a libéré le fou de ses chaînes, mais la folie reste captive
derrière les murs d'un nouvel univers, le monde asilaire, dont les lois
empruntent davantage aux lois de la morale qu'aux progrès de la science
: l'insensé n'est pas tant un patient à soigner qu'une victime des
dérèglements de la société à ramener dans le
droit chemin." C'est cette nouvelle voie, "morale et philanthropique",
que vont suivre les Blanche père et fils, instaurant dans leurs murs des
règles strictes de vie commune, des soins dont la pauvreté (régime,
bains, saignées) ne donnera lieu qu'à un nombre dérisoire
de guérisons, mais surtout des liens avec les malades fondés sur
l'écoute, l'humanité, la compréhension et le désintéressement
qui les rapprochent, pour certains commentateurs, du paternalisme. Ainsi Jules
Janin pouvait écrire à propos d'Esprit Blanche : "Mais autant
il était sans pitié pour les humiliations méritées,
autant il était plein de grâce et de bienveillance paternelle pour
l'artiste découragé, pour l'écrivain mal compris, pour le
révolutionnaire convaincu, pour l'âme grande et souffrante, pour
l'intelligence épuisée avant l'heure; alors il apaisait, il calmait,
il consolait, il relevait, il encourageait son malade. Il le ramenait dans les
sentiers connus; il le traitait comme un père traite son enfant."
Laure Murat consacre des chapitres aux relations d'Emile Blanche avec ses patients
illustres (Nerval, dont les derniers mots écrits furent justement "la
nuit sera noire et blanche", Gounod, les Halévy, Théo Van Gogh,
Maupassant) ou ceux qui auraient pu l'être (Baudelaire pour qui la clinique
était trop chère) et élargit fréquemment son propos
au-delà de l'anecdote pour, par exemple, dénoncer les internements
abusifs dont les femmes étaient victimes. En puisant dans les archives
des sociétés de médecine, en citant les registres de la clinique,
en fouillant les correspondances et les mémoires des médecins et
de leurs contemporains (en particulier les souvenirs du fils d'Emile, le peintre
Jacques-Emile Blanche), Laure Murat met au jour une histoire du XIXe siècle
et de ses maux pathogènes (guerres, absinthe, romantisme...) ainsi qu'une
histoire de la psychiatrie de l'époque, montre comment le psychiatre prend
place dans la société civile : "Désormais, sa silhouette
est partout : sollicité par le juge [Emile Blanche fut expert auprès
des tribunaux], consulté par le législateur [Emile Blanche participa
à l'élaboration de la loi sur le divorce des aliénés],
appelé par le préfet de police ou le procureur de la République,
il remet ses rapports et délivre ses conclusions, donne son avis et ses
conseils. Dans ces laboratoires d'idées que sont les sociétés
savantes, il élabore l'avenir, invente les interdits et les libertés
de demain. Le psychiatre, personnage de référence, a gagné
le statut de mage : il peut sauver la tête d'un condamné à
mort, réduire une voleuse au silence de l'asile, définir les perversités
comme les vertus à observer et peser sur les lois. L'aliéniste d'autrefois
n'est plus. Place au psychiatre, homme de science et d'influence qui est peu à
peu devenu un homme clé, à l'intersection de toutes les préoccupations
du siècle, et dont aucune instance ne peut désormais plus se passer."
Curiosité. Parmi les causes d'aliénation classées par Etienne
d'Esquirol, un pionnier de la psychiatrie (1772-1840), on remarque "suivant
leur importance numérique : hérédité, chagrins domestiques,
abus de boissons alcooliques, libertinage, onanisme, amour contrarié, revers
de fortune, dévotion exaltée, usage du mercure, évacuations
habituelles supprimées, jalousie, suites de couches, excès d'études
et de veilles, frayeurs, lecture de romans, etc." VENDREDI.
Courrier. Bernard Magné m'envoie le
dossier des éléments à faire figurer dans le prochain Bulletin
Perec. Il est temps que je m'y attelle. La MGEN, compatissante, annonce la prise
en charge à 100% de Lucie pour maladie de longue durée.
Lecture. Histoires littéraires
n° 21 (revue trimestrielle consacrée à la littérature
française des XIXe et XXe siècles, janvier-février-mars 2005,
Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 240 p.,
20 €). La revue rend hommage à Noël Arnaud en publiant
des extraits de son journal et le texte qu'il écrivit pour une soirée
houleuse sur le surréalisme, un mouvement qui faisait encore du bruit en
1958. Daniel Zinszner montre que l'histoire du dictionnaire du XIXe siècle
ne se limite pas à Littré et Larousse, concurrencés en leur
temps par Maurice Lachâtre, auteur d'un Dictionnaire universel (1852-1856)
et d'un Dictionnaire français illustré (1859) qui lui valurent
tous deux d'être condamné par la Justice. Lachâtre, ami et
éditeur d''Eugène Sue, refuse la neutralité et la prétendue
objectivité du dictionnaire qu'il utilise comme un instrument d'éducation
populaire à la manière des Encyclopédistes. Zinszner donne
en exemple l'article Châtiment qui, effectivement, n'est pas piqué
des vers : "le châtiment infligé trop souvent en dehors du contrôle
social, est dispensé souvent avec une cruauté inouïe. La terreur
règne dans la famille, dans l'atelier, dans les maisons d'éducation,
dans les établissements religieux [...]. Les fondateurs des religions [...]
ont déployé un sombre appareil de terreur. Ils ont condamné
les contempteurs de leurs préceptes et de leurs commandements à
l'éternité de douleur et aux plus épouvantables châtiments.
Mais heureusement tous ces fabricateurs de dieux ne disposent ni de l'avenir,
ni de l'éternité, ni même du présent grâce au
progrès des lumières." Les attendus du jugement sont sans surprise
: "Lachâtre, sous prétexte de donner la définition des
mots contenus dans son dictionnaire, fait appel aux mauvaises passions, développe
les maximes les plus subversives, pousse à la révolte par le tableau
menteur qu'il trace de la société, provoque la désunion et
la haine entre les citoyens [...], exalte ce que condamnent les lois, outrage
ce dont les lois commandent le respect et déverse enfin la dérision
et le mépris sur la religion." Mireille Dottin-Orsini ressuscite Fernand-Lafargue
(1856-1903), romancier populaire, compagnon de route du Naturalisme qui fit merveille
dans le roman religieux (Les Ouailles du curé Fargeas où l'on trouve
parmi les miraculés de Lourdes "une vieille femme paralytique, morte
après avoir demandé de mourir", L'Hostie qui recèle
cette belle image d'un curé qui fume en cachette la nuit dans le jardin
du presbytère : "il ressemblait, dans l'ombre, à un ver luisant
mélancolique"). La "Chronique des ventes et catalogues"
cite in extenso un monostiche de Villiers de l'Isle-Adam dédié
à Hubertine Auclerc, nommée député : "Je baise
avec ferveur ton corps législatif". Dans le domaine féministe,
on trouve aussi dans la rubrique "Livres reçus" ce délicat
quatrain dû à Maupassant cité par Régine Deforges et
Claudine Brécourt-Villars dans leur essai sur Les poètes et les
putains : "Salut grosse putain dont les larges gargouilles Ont
fait éjaculer trois générations Et dont la vieille main
tripota plus de couilles Qu'il n'est d'étoiles d'or aux constellations
!" TV. Desperate Housewives
(série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia
Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James
Denton; saison 2, épisodes 19 & 20, diffusés jeudi dernier sur
Canal +). SAMEDI. Courriel.
Une demande d'abonnement aux notules, en soirée. Il était temps.
Je n'avais vraiment rien à raconter sur cette journée.
Bon dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°282 - 19 novembre 2006 DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Découverte
du monument aux morts de Bocquegney. Forcément, en ce 12 novembre, il est
facile à repérer. L'absence
de monument proprement dit est compensée par l'affichage des portraits
photographiques des victimes, bizarrement tombées "pour la Ffance".
Ecriture.
Rédaction du Bulletin de l'Association Georges Perec. Première étape
: mise en ordre des informations reçues par l'intermédiaire informatique
de la [listeperec]. LUNDI. Ecriture.
J'ignore à contrecoeur le match Le Havre - FC Metz sur Eurosport
pour passer à la deuxième étape du Bulletin, l'insertion
des informations reçues par courrier. MARDI. TV
scolaire. Monte-Cristo (Henri Fescourt, France, 1928 avec Jean
Angelo, Lili Dagover, Gaston Modot, Jean Toulout; diffusé sur ARTE en septembre
dernier). C'est la quatrième version du roman de Dumas que j'étudie
en quatre ans, la plus ancienne, la plus muette, la plus rare après celles
de Kevin Reynolds (2002), Claude Autant-Lara (1961) et Robert Vernay (1942). C'est
aussi la plus longue, aux alentours de quatre heures découpées en
deux parties. La longueur ne fait pas peur à Fescourt qui n'hésite
pas à étirer des scènes de peu d'intérêt dramatique
pour profiter au maximum de la richesse des décors mis à sa disposition
et de son savoir-faire dans les mouvements d'appareils, très sophistiqués
pour l'époque, la séquence à l'Opéra étant,
sur ce plan, remarquable. Comme dans les autres versions, le personnage de Danglars,
le banquier véreux, est passé à la trappe et la psychologie
du personnage central légèrement édulcorée, le sentiment
de culpabilité sur lequel se termine le roman étant délaissé
au profit de la satisfaction apportée par la vengeance. Le travail de restauration
(un chantier de dix ans !) effectué par ARTE est magnifique et, contrairement
à ce qui se produit trop souvent avec ces films muets ressortis de l'oubli,
la bande son additionnelle n'est pas trop envahissante. Ecriture.
Bulletin Perec, troisième étape : rédaction de l'éditorial.
MERCREDI. Ecriture. Bulletin
Perec, fin. Relecture, corrections, ultime polissage, bug informatique qui envoie
le toutim dans les limbes. Je récupère la chose après quelques
minutes de sueurs froides. JEUDI. Courrier.
J'envoie le Bulletin à Bernard Magné, des épreuves
relues et corrigées à Histoires littéraires et des
coupures à Y. Parallèlement, je reçois un disque de Maria
Farandouri qui vient compléter ma collection des versions de "Sto
perigiali to Kryfo", la plus belle chanson du monde à mes oreilles
du moment. Vie nocturne. Je me rends
à la Bibliothèque que je persiste à qualifier de municipale
malgré son nouveau statut pour y entendre une causerie d'Hubert Haddad.
Celui-ci est actuellement en résidence à Vittel, où il doit
animer un ou des ateliers d'écriture, thème de son dernier livre
(Le nouveau magasin d'écriture) et de son intervention du jour.
Je ne connais pas Hubert Haddad, je ne l'ai jamais vu ni lu, même si je
sais qu'il a beaucoup publié. J'imaginais un vieux bonhomme, je ne sais
pas pourquoi, peut-être le prénom, Hubert. Oui, c'est ça,
à cause d'Hubert Reeves, qui lui me semble être ou avoir été
un vieux monsieur qui s'occupe ou s'occupait du cosmos, c'est lui qui a façonné
ma vision des Hubert. En fait, Hubert Haddad a la tête d'un type qui a roulé
sa bosse, mais rien qui l'apparente à Hubert Reeves, il va falloir que
je révise ma physiognomonie des prénoms. L'assemblée : une
vingtaine de personnes, trois hommes, dix-sept femmes, on sait déjà
que l'Education nationale est bien représentée. Il y a même,
on l'apprendra au fil de la soirée, plusieurs personnes qui elles mêmes
s'occupent d'ateliers d'écriture, il y en a même plus que de notuliens
dans la salle, c'est dire si c'est une activité répandue. Haddad
déroule son propos, parle de ses expériences au sein des ateliers
dont il a eu la responsabilité. Une question, un type au premier rang,
l'air pénétré : "Nous sommes tous à la recherche
de la parole manquante. Qu'est-ce pour vous que cette parole manquante ?"
Le genre de truc qui vous laisse coi, pensif, hagard, au choix, avec l'envie de
filer lire L'Equipe aux cabinets. Pas Hubert Haddad qui répond tranquillement,
il doit avoir l'habitude, enfin il ne répond pas vraiment, il accroche
et il digresse sur la poésie, refait l'histoire littéraire à
sa manière avec des raccourcis saisissants mais l'homme est convaincu et
agréable à écouter. Bien sûr, j'aurais bien aimé
l'entendre sur des choses plus concrètes, savoir ce qu'il faisait de Perec
ou en quelles circonstances il avait succédé à François
Bon à la prison de Tours, mais pour ça il aurait fallu que je prenne
la parole, ce qui n'est pas mon sport favori. Je file sans goûter au jus
d'orange municipal gracieusement offert par l'ami DDL, content de ma soirée.
Non pas à cause de ce que j'y ai appris, les ateliers d'écriture
ne me passionnent pas même si j'en sais un peu plus sur eux depuis que j'ai
lu Tous les mots sont adultes et suivi les expériences de Thierry
Beinstingel. Il s'agissait avant tout de voir, ce soir, si j'allais réussir
à trouver le temps et surtout l'envie de ressortir après la journée
de travail républicain, le coup d'oeil aux devoirs des filles, le dépouillement
du courriel, la visite aux sites amis, la croûte à préparer,
les piqûres à administrer, ce genre de choses qui font le quotidien.
La réponse est oui, j'en avais déjà eu un aperçu la
semaine dernière où j'avais retrouvé H au bistrot pour un
moment agréable, au comptoir, avec les hommes. Ça me rassure. Peut-être
même qu'un jour prochain je retournerai au cinéma. VENDREDI.
TV. Desperate Housewives (série
américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity
Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison
2, épisodes 21 & 22, diffusés la veille sur Canal +).
Lecture. Le martyre des Magdalènes
(The Magdalen Martyrs, Ken Bruen, 2003; Gallimard, coll. Série Noire,
2006 pour la traduction française; traduit de l'anglais par Pierre Bondil;
336 p., 18,90 €). "Une enquête de Jack Taylor". L'histoire
des blanchisseries irlandaises à l'enseigne de la Madeleine qui accueillaient
les filles perdues (mères célibataires, adolescentes rebelles...)
pour les réduire au servage avait donné lieu a un film édifiant
mais fort, The Magdalene Sisters de Peter Mullan en 2002. On imaginait
le polar qu'un tel cadre et une telle population pouvaient donner, quelque chose
de saignant, d'incisif... Las, il n'en est rien. Ken Bruen met en scène
- pour la troisième ou quatrième fois - un type viré de la
police de Galway, devenu détective privé mais surtout alcoolique
et cocaïnomane, deux servitudes qui le rendent impropre à tout travail
suivi. Inutiles donc de chercher ici une enquête suivie, Jack Taylor n'en
est pas capable. En lieu et place, on trouve le monologue intérieur d'un
homme en proie à ses démons, une logorrhée assez complaisante
et de peu d'intérêt. S'il enquête peu, Jack Taylor lit beaucoup,
ce qui permet à Ken Bruen de saturer son roman de citations en exergue
ou dans le corps du texte, cédant ici à un travers qu'on trouve
chez beaucoup d'auteurs de polars qui veulent à tout prix prouver qu'ils
connaissent aussi la littérature "sérieuse" et qu'ils
ont de "vrais" livres chez eux. On en a aussi, merci. SAMEDI.
Lecture. Temps noir n° 9 (Éditions
Joseph K., mars 2005; 224 p., 13 €). "La Revue des Littératures
Policières". Deux auteurs à l'honneur dans cette livraison
: Thierry Jonquet et Maurice Leblanc. Si le dossier consacré au premier
manque un peu de mise en perspective, ce qui est normal pour un auteur contemporain
qu'on ne peut pas encore étudier avec le recul nécessaire, le travail
de Nadia Dhoukar sur Arsène Lupin est remarquable. Le héros de Maurice
Leblanc est passé au scanner, étudié sous toutes ses coutures
: construction biographique, motivations, méthodes, univers géographique,
adversaires, tout est là, compilé, étudié, disséqué.
Après ça, on ne peut plus rien ignorer du gentleman cambrioleur.
L'entretien que donne Paco Ignacio Taibo II à la revue démontre
par ailleurs que ses propos à bâtons rompus sont beaucoup plus clairs
que ses romans. Ses développements sur l'intertextualité, à
laquelle il accorde une grande importance, et sur le rôle militant, voire
révolutionnaire qu'il donne à la littérature ("La littérature
doit servir à régler des comptes [...]. Il y a un espace auquel
nos ennemis n'ont pas accès : l'espace de l'imagination délirante.
Et c'est là que nous allons régler nos comptes.") donnent envie
de reprendre la lecture de ses livres qui ne m'avaient pas, de prime abord, beaucoup
intéressé. Football. SA
Epinal - USL Dunkerque 0 - 1. Forcément, quand on a, au bout d'un quart
d'heure, un joueur sorti sur une civière, un autre expulsé et un
but contre son camp, on a un peu de mal à gagner. Autonomie.
Lucie procède pour la première fois à ses injections
du soir. Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules. Bon dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°283 - 26 novembre 2006
DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental.
A la recherche du monument aux morts de Bois-de-Champ. Je me demande où
peuvent bien nicher les 93 habitants recensés. Il n'y a que quatre ou cinq
maisons posées sur un côté de la route qui mène à
Saint-Dié. Et un monument aux morts. Du moment qu'il y a l'essentiel...
Vie gastronomique. Ce soir, on mange
des artichauts. Cela fait bien vingt ans que je n'ai pas planté mes dents
dans une feuille d'artichaut. Ce qui ne m'a jamais empêché d'éprouver
une admiration sans fin pour l'homme qui a fait ce geste pour la première
fois. Avoir le pressentiment que ce drôle de machin était comestible
relève d'une perspicacité remarquable. TV.
Les Ringards (Robert Pouret, France, 1978 avec Aldo Maccione, Mireille
Darc, Charles Gérard, Julien Guiomar; diffusé ce mois sur CinéCinéma
Famiz). Un trio d'escrocs à la petite semaine s'embarque dans l'organisation
d'un casse trop grand pour eux. C'est la fin des années soixante-dix,
la période de gloire d'Aldo Maccione, constellée d'oeuvre inoubliables
comme Je suis timide, mais je me soigne, Pardon, vous êtes normal, Je
suis photogénique et autre Tais-toi quand tu parles. Le titre
n'est pas trompeur, c'est une certitude, mais les amateurs de nanars dont je suis
trouvent leur compte dans les gesticulations de ce sympathique trio de bras cassés.
Mireille Darc, après vingt ans de carrière, prouve qu'elle joue
aussi mal qu'à ses débuts. Courriel.
Echange avec TB sur les dérives des ateliers d'écriture.
LUNDI. Courriel. Echange avec DR
sur les gratteurs de pancartes, enseignes et divers panonceaux qu'il soupçonne
d'être à l'origine de l'étrange suscription du monument aux
morts de Bocquegney. MARDI. TV. Oliver
Twist (Roman Polanski, France/G.-B. avec Ben Kingsley, Barney Clark, Jamie
Foreman, Mark Strong; diffusé sur Canal +). Même si la lecture
du roman de Dickens appartient à un passé enfui depuis belle lurette,
les figures de Fagin, de The Artful Dodger, de Bill Sykes, de Mr. Brownlow
et de sa fidèle servante Mrs. Bedwin, sans compter celle du jeune Oliver
restent ancrées dans la mémoire et donnent envie de les voir enfin
à l'écran quand on n'a jamais eu l'occasion de voir l'adaptation
de David Lean qui date de 1948. Sur ce plan, on n'est pas déçu :
le jeune garçon joue avec sobriété, les adultes, s'ils sont
fortement typés (Ben Kingsley en Fagin ressemble à une caricature
de la propagande antisémite), restent dans le domaine du crédible.
De son film précédent, Le Pianiste, Polanski a conservé
son intérêt pour la description de la lutte de l'opprimé et
pour la reconstitution historique : les taudis londoniens ne sont guère
plus engageants que les ruines de Varsovie. Il reste que le film manque un peu
d'âme, de souffle et que son académisme déçoit un peu
de la part d'un cinéaste qu'on avait connu plus dérangeant.
MERCREDI. Emplettes. J'achète
des billets de train, un Série Noire, les Actes d'un Colloque des Invalides,
un volume de Prévert en Pléiade et complète ma collection
de Sherlock Holmes. TV. Le Professionnel
(Georges Lautner, France, 1981 avec Jean-Paul Belmondo, Jean Desailly, Robert
Hossein, Michel Beaune; diffusé ce mois sur CinéCinéma Famiz).
Un agent des services spéciaux s'évade de la prison africaine où
ses chefs l'ont laissé croupir au nom de la raison d'état. Revenu
en France, il est décidé à régler ses comptes avec
ses supérieurs. Une année éminemment électorale,
une intrigue qui aborde le rôle de la France en Afrique et les méthodes
douteuses des services secrets, on se dit que Lautner voulait peut-être
réorienter sa carrière vers le film politique dans le sillage d'Yves
Boisset ou de Costa-Gavras. Il n'en est rien. Tout ce décorum n'est mis
en place que pour servir Belmondo qui peut encore à l'époque jouer
sur son physique avantageux. Alors Belmondo gesticule, bondit, rebondit, distribue
les taloches, les pruneaux et les baisers sans que quiconque semble se soucier
de la vraisemblance de l'histoire dans laquelle il trempe. Le spectateur s'en
moque tout autant, il se rappelle les films du dimanche soir de la télévision
d'avant TF1 qui ressemblaient tous peu ou prou à celui-ci. Curiosité.
Depuis Les Tontons flingueurs, Lautner s'amuse à placer un Volfoni
(nom de famille d'un duo de gangsters dans ce film) dans ses oeuvres. Ici, le
rôle échoit à Pierre Vernier qui reçoit d'ailleurs,
en ouvrant une porte, le même bourre-pif que Bernard Blier dans Les Tontons.
Réplique. "Attention ! Ils s'approchent de plus en plus."
Lecture. Itinéraire spiritueux
(Gérard Oberlé, Grasset, 2006; 280 p.; 17 €).
Autobiographie arrosée. Après Retour à Zornhof (pas
lu), Oberlé poursuit le récit non linéaire d'une vie plutôt
atypique qui l'a mené de l'Alsace de son enfance à sa retraite morvandelle
en passant par Paris, où il fut libraire d'ancien, et d'autres contrées
plus exotiques. Le parcours est ici thématique puisqu'il s'agit de chanter
les louanges de la vigne et de ses dérivés tout en pourfendant les
tenants de la morale, de l'hygiène de vie et de la tempérance. Une
posture sans doute sympathique qui ne peut que réjouir l'abstème
que je suis devenu à mon corps défendant, mais une posture qui confine
ici à la pose consistant à dire : je suis heureux comme un pape,
je prends des cuites, je ripaille, je m'amuse, je rigole, je me vautre pendant
que vous vivez vos existences de misérables étriqués avec
vos culs serrés, vos bouches pincées et vos gosiers en pente douce.
Il y a quand même quelques rescapés, mais pas dans le vulgum pecus
: c'est "mon ami Jim Harrison", "mon ami James Crumley", "mon
ami Jean-Claude Carrière", "mon ami Jean-Pierre Coffe" et
quelques autres sommités dont la convocation régulière au
fil des pages finit par agacer. C'est dans la nature d'Oberlé qui, j'ai
pu le constater lorsque je l'ai croisé quelques fois à Jaligny (il
reçut le Prix René-Fallet pour son premier roman) où lorsque
je l'ai vu et entendu promouvoir son livre sur diverses chaînes et stations,
ne résiste pas à un certain étalage. Heureusement, son Itinéraire
ne se limite pas à cela, il a d'autres arguments à faire valoir.
L'homme a du coffre, mais il a aussi une bonne connaissance des humanités,
une belle culture classique, du vocabulaire (si quelqu'un peut me dire ce que
sont une nef stultifère et un agathopède...) et de la plume, ce
qui rend la lecture de son "tandis que j'hédonise" finalement
assez plaisante. Plaisante et parfois étonnante quand il parle d'un "diafoirus
ès sobriété" ou quand il transforme en "Levert"
le poète Henry J.-M. Levet. JEUDI. Courrier.
J'envoie des coupures à Y et des aptonymes à AZ, reçois un
CD de Don Fagerquist. TV. Desperate
Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri
Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette
Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 23 & 24, diffusés
le soir-même sur Canal +). Comme dans toute série saisonnière,
le dernier épisode multiplie les événements et les ouvertures
de pistes pour appâter le spectateur en vue de la prochaine livraison et
donner des perspectives aux scénaristes. Alors ça se bouscule un
peu, on déraisonne, on arraisonne, on assaisonne les uns ou les autres
et on laisse enfin au téléspectateur un an de congé pour
se gaver d'Aldo Maccione et de Belmondo tous les jeudis soir. VENDREDI.
Cinéma scolaire. Chat noir, chat
blanc (Crna macka, beli macor, Emir Kusturica, Yougoslavie/France 1998
avec Bajram Severdzan, Srdjan Todorovic, Branja Katic; vu dans le cadre de l'opération
Collège au cinéma). Au bord du Danube, Matko vit de trafics
louches avec son fils Zare. Redevable d'une énorme dette auprès
d'un mafioso local, il combine le mariage de son fils avec la fille de son débiteur
pour amadouer celui-ci. Ce qui précède n'est qu'une des histoires
du film, il y en a bien d'autres qui se succèdent, s'entremêlent,
se chevauchent dans ce qui constitue le monument baroque de la carrière
de Kusturica. Avec un traitement burlesque dont l'organisation rigoureuse est
digne des maîtres du muet, le réalisateur combine plusieurs influences,
la farce, la comédie moliéresque, le folklore rom, l'histoire récente
de la Yougoslavie pour une oeuvre qui, à tout moment, pourrait basculer
dans le foutoir total. Si elle ne le fait pas, c'est, encore une fois grâce
à la rigueur de la mise en scène qui sait, à tout moment,
quelle dose d'outrance et d'absurde instiller à sa construction. Du grand
art pour une belle tranche de rigolade. Lecture.
Bulletin Marcel Proust n° 54 (Société des Amis de Marcel Proust
et des Amis de Combray, 2004; 288 p., sur abonnement). Un bon dossier sur
Adrien Proust, en ouverture du numéro, redonne à celui-ci un rôle
souvent réduit par l'importance des études centrées sur la
mère du romancier. "Médecin humaniste", "médecin
voyageur", le Docteur Proust est remis à sa place dans son siècle,
une place prépondérante dans la lutte contre les épidémies
(sa Défense de l'Europe contre la peste fournira à Camus la partie
documentaire de La Peste, nous apprend Marie Miguet-Ollagnier) et dans
l'histoire littéraire : on ne peut s'empêcher de penser que son fils
lui fournit un magnifique terrain d'étude pour son Hygiène du
neurasthénique. Vient ensuite un article sur Proust et Ruskin sur lequel
on ne s'attarderait guère - on a déjà tant lu sur Proust
et Ruskin - si l'on n'y trouvait cette réflexion intéressante du
second traduite par le premier : "La jeunesse est proprement dite la période
formative - pendant laquelle un homme se fait, ou est fait, pour ce qu'il doit
être. Puis vient le temps du labeur, quand, étant devenu le meilleur
possible, il donne le meilleur de lui-même. Puis le temps de la mort, qui,
dans les vies heureuses, est très court : mais toujours un temps. Cesser
de respirer est seulement la fin de la mort." Comme d'habitude, la dernière
section, consacrée aux activités éditoriales et universitaires
de l'année précédente est proprement vertigineuse eu égard
au nombre des travaux mentionnés (mes préférés : une
communication sur "Les louchonneries de Proust" et une conférence
sur "Digestion et ingestion chez Proust" lors d'un colloque tenu à
Kyoto). Le souci d'exhaustivité des responsables de la rubrique est tel
qu'ils vont jusqu'à mentionner les articles parus dans le numéro
précédent du Bulletin ! Curiosité. Les pièges
du copié-collé : cela fait maintenant trois ans (et le phénomène
est poursuivi dans le numéro de 2005) qu'en dernière page, "la
SAMP exprime sa gratitude aux donateurs [..] qui encouragent ses actvités
et lui permettent de les développer." TV.
Sahara (Breck Eisner, E.-U., 2005 avec Matthew McConnaughey, Penelope Cruz;
diffusé sur Canal + en octobre dernier). Un chasseur d'épaves
retrouve la trace d'un navire datant de la Guerre de Sécession en plein
Sahara. J'ai tout de même tenu à peu près une heure devant
ce succédané d'Indiana Jones, beaucoup plus bruyant et moins subtil
que l'original. Et sur cette heure de présence, on peut compter au moins
vingt minutes au cours desquelles je suis resté éveillé.
Soyons honnête : pas vingt minutes consécutives quand même.
SAMEDI. Invent'Hair. MGM envoie
clichés de deux salons mâconnais (un énième "Créatif"
et un "R' Center", première manifestation monoconsonantique du
mot "hair"). Côt côt.
Je ne sais à quelles actions les notuliens se livrent dans les
poulaillers mais à l'heure où l'un d'eux (DR) attend la sortie imminente
de son roman intitulé Les
poules, un autre (BB) m'annonce la parution de son livre d'artiste. Son
titre : Datés du jour de ponte. A croire que le notulien est volontiers
plumassier. Bon dimanche. |