Notules dominicales 2006
 
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Notules dominicales de culture domestique n°280 - 5 novembre 2006

DIMANCHE.
Souvenirs. Le Projet de Rénovation Urbaine continue son oeuvre destructrice dans le quartier de mon enfance. J'ai déjà parlé de mon école qui est aujourd'hui un tas de gravats.

Dans la rue qui y montait, les trois maisons qui faisaient face à celle que j'ai habitée jusqu'en 1977 sont également en voie de désintégration. On n'en est aujourd'hui qu'à la phase préparatoire qui consiste à les vider de tous leurs éléments avant de les mettre à bas. La vision en est encore plus déprimante, on les dirait soufflées par un bombardement ou un tremblement de terre. Dans l'une des trois vivait la famille D.

Je ne sais plus combien ils étaient là-dedans, huit ou dix avec la grand-mère et la grosse auto bleu pétrole, 203 ou 403, je n'ai jamais su, dans laquelle M. D. parvenait à en convoyer une partie de temps en temps. Il y avait de toute façon assez de mioches dans cette maison pour que tous les autres habitants de la rue en trouvent un ou deux de leur âge avec qui jouer. Jean-Claude, l'aîné, fut le premier jeune de la rue à avoir une auto, une R 8 qu'il avait repeinte en jaune et bleu, je trouvais ça fabuleux, c'étaient les couleurs du SAS et je me promettais d'en faire autant dès mon accès à la vie automobile. Michel, Daniel et Patrick étaient plus proches de moi, c'est avec eux que je jouais au foot sur les pelouses interdites dont le garde-champêtre nous faisait régulièrement décamper. C'est dans cette maison que Mme D., qui s'était fracturé le coccyx, dormait à moitié debout, attachée à un radiateur, enfin ça, je ne sais pas si c'est vrai, c'est ce que disaient ses fils, peut-être pour m'épater. C'est autour de cette maison que gambadait le canard que l'un d'eux avait rapporté de je ne sais où et qui, comme tous les canards, passait son temps à chier partout. C'est de cette maison que partait mon père quand il allait aux champignons avec M. D., expéditions dont il revenait malade comme un chien, son estomac étant absolument rétif aux charmes du muscadet entonné au petit matin dont l'abreuvait M. D., un chauffeur routier autrement carrossé. C'est avec les D. que j'ai regardé, dans notre salle à manger envahie, ma première finale de coupe du monde de football en 1970. C'est cette maison que j'ai eue sous le nez pendant douze ans en mettant le nez dehors, dans cette rue qui est un peu ma rue Vilin à moi.
Dans la maison du dessous habitaient M. et Mme M.

Eux n'avaient pas d'enfants, du moins plus sous leur toit. Chaque soir, à six heures, M. M. rentrait en auto de son bureau, s'arrêtait à la porte de son garage et donnait un coup de klaxon pour avertir sa femme qui venait aussitôt lui ouvrir la porte. On n'en fait plus, des femmes comme Mme M.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Les Tricheurs (Marcel Carné, France, 1958 avec Pascale Petit, Andréa Parisy, Laurent Terzieff, Jacques Charrier; diffusé en octobre dernier sur CinéClassics).
Un étudiant des beaux quartiers s'encanaille auprès de la jeunesse de Saint-Germain-des-Prés.
Marcel Carné fait le portrait d'une génération que, manifestement, il n'aime pas. Chez ces jeunes pour qui l'appétit de vivre à l'issue de la guerre a laissé place à un vague malaise teinté d'existentialisme, tout n'est que façade : le refus de s'attacher à un partenaire amoureux ne recouvre qu'une absence de sentiments réels, l'éloignement vis-à-vis des parents n'empêche pas de vivre à leurs crochets (et de faire bombance chez eux dès qu'ils ont le dos tourné), les grandes idées s'effacent vite dès qu'il est question d'argent. Le seul personnage de la bande qui trouve grâce aux yeux du réalisateur est celui interprété par Laurent Terzieff parce que lui seul est assez lucide et cynique pour voir les choses telles qu'elles sont. Mais s'il faut retenir quelques chose de positif dans cette génération, c'est la sûreté de ses goûts musicaux : la bande son est impeccable, Stan Getz, Gillespie, Hawkins, Oscar Peterson, toute la bande du "Jazz at the Philharmonic" de Norman Granz est présente. Autre intérêt : Belmondo, Guy Bedos et Jacques Perrin apparaissent dans des petits rôles.

LUNDI.
TV. Grabuge ! (Jean-Pierre Mocky, France, 2005 avec Michel Serrault, Charles Berling, Micheline Presle, Patricia Barzyk; diffusé en octobre denier sur Canal +).
Un fonctionnaire de la préfecture assiste un commissaire de police dans une enquête sur un réseau de cartes de séjour.
Mocky continue inlassablement d'adapter avec un manque de conviction confondant des polars de seconde zone dont les droits d'adaptation doivent se chiffrer en dizaines de centimes. Le seul intérêt de son travail désormais semble être d'offrir un espace de liberté à des comédiens qui choisissent de venir chez lui parce qu'ils échappent aux rôles stéréotypés. De fait, Serrault et Berling ont l'air de bien s'amuser mais ils sont un peu seuls. C'est pour moi le cinquante-cinquième film que je vois avec Dominique Zardi, champion de ma filmographie personnelle, et c'est bien là l'essentiel.

Lecture. Vincent Scotto. L'homme aux quatre mille chansons (Roger Vignaud, Autres Temps, coll. Temps mémoire; 320 p., 20 €).
Biographie.
Chronique à rédiger pour Histoires littéraires.

Courriel. Les vacanciers de Lozère envoient une photo de leur séjour. On voit bien que nous n'y sommes pas : il y a du soleil.

MARDI.
Vie festive. Les filles participent au défilé d'Hallowe'en qui sévit dans le quartier. C'est la première fois. Il paraît qu'Hallowe'en est en perte totale de vitesse commerciale et festive. C'est donc le moment d'y adhérer, on a le goût des causes désespérées et des planches pourries ou on ne l'a pas. De plus, c'est une leçon de stoïcisme pour Lucie que j'envoie quêter des bonbons qu'elle n'a pas le droit de manger. L'après-midi, pour parfaire les déguisements, je les ai conduites, elle et sa soeur, chez le dentiste dont elles sont revenues avec chacune une dent en moins. Sur cette célébration, je trouve rien de mieux à ressortir que ces mots pêchés l'an dernier dans Libération, déjà utilisés dans une chronique d'Histoires littéraires et dus à Hannelore Cayre : « La déferlante potiron a englouti la ville. Mes rejetons lorgnent en vain les cucurbitacées grimaçantes et les bidules orange fabriqués par des gamins chinois qui n’ont pas le cœur à la fête. Bientôt les farandoles de moutards cornaqués par leurs bobos régressifs de parents iront sonner aux portes comme si on était tous copains. Année après année, mon sadisme anti-Halloween s’affirme : lundi, mes enfants, leurs petits corps ployant sous d’énormes pots de chrysanthèmes, se rendront au cimetière pour gratter de leurs doigts gelés le marbre d’aïeux dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence. J’ai hâte d’y être. »

Invent'Hair. R a rapporté deux clichés de Reims, un original "Jockhair" et un intrigant "Mech'Hair" (à moins que le merlan s'appelle Schmitt).

TV. Etoile sans lumière (Marcel Blistène, France, 1945 avec Edith Piaf, Yves Montand, Jules Berry, Mila Parély, Serge Reggiani; diffusé en octobre dernier sur CinéClassics).
Une star du muet risque de perdre son aura au moment de l'avènement du cinéma parlant. Heureusement, la bonniche de l'hôtel où elle réside est dotée d'un beau filet de voix. Stella l'engage pour la doubler dans ses films musicaux.
Bien sûr, la bonne, c'est Edith Piaf, on imagine le succès. Mais elle tient à en avoir sa part, d'où une rivalité entre les deux femmes, la star hautaine et l'humble rossignol des rues. Ce serait très convenu et sans grand intérêt si Marcel Blistène n'avait choisi de tourner le dos à une fin attendue (la métamorphose de la larve en papillon chatoyant) pour renvoyer la vedette en devenir à son humble condition. Les coulisses du cinéma de l'époque qui sont ici dévoilées ne manquent pas non plus d'intérêt. A cette époque, Reggiani est déjà un acteur confirmé et talentueux, en revanche, Yves Montand, dont c'est le premier rôle, a encore des progrès à faire.

Courriel.

Une demande d'abonnement aux notules.

MERCREDI.
Itinéraire patriotique départemental. Je pars à la recherche du monument aux morts de Blevaincourt.

TV. Une aventure (Xavier Giannoli, France/Belgique, 2005 avec Ludivine Sagnier, Nicolas Duvauchelle, Bruno Todeschini; diffusé sur Canal + en septembre dernier).
Un jeune homme s'attache à sa voisine atteinte de somnambulisme et victime d'un homme possessif et brutal.
Un film sur le somnambulisme, mais un film sérieux, documenté (images d'archives d'André Breton parlant de son intérêt pour le phénomène, extraits de Nosferatu), avec en vedette une jeune actrice qui n'hésite pas à écorner son image pour apparaître la plupart du temps hagarde, meurtrie, l'intention était bonne mais le film ne va guère au-delà. On est loin du très beau Poussière d'ange d'Edouard Niermans qui présentait un personnage de femme mystérieuse à la dérive de façon autrement convaincante. A voir en version pour malentendants, les répliques marmonnées étant pour la plupart incompréhensibles.

JEUDI.
Vie parisienne. Le bus de 7 heures 19 passe à 7 heures 26, j'attrape tout de même le train de 8 heures, dix minutes de retard à Nancy, une demi-heure à l'arrivée après un arrêt impromptu à Epernay (à cause d'un "accident de personne", on devine ce que c'est quand on parle le sabir SNCF couramment), on est dans la norme de la ligne. Je reste moi aussi dans la norme des mes activités parisiennes, croûte à l'arrivée, sieste et après-midi de travail à la Bibliothèque des Littératures Policières.

Lecture. Aux diables ! Des hommes qui pleurent (Michel Leydier, Editions du Rocher/Le Serpent à Plumes, 2005, coll. Serpent Noir; 240 p., 13,90 €).
On apprend en quatrième de couverture que Michel Leydier fut le biographe de Jacques Dutronc. Le chanteur a peut-être un peu déteint sur lui, sur une écriture et sur une intrigue dont le relâchement apparent cache une véritable rigueur. Comme Dutronc, il sait agacer et séduire, comme Dutronc, il tombe parfois dans la facilité mais finit par emporter le morceau. C'est un petit polar comme savait en concocter Pascal Garnier dans son époque Fleuve Noir, et qui va à rebours des stéréotypes : ici un homme se veut meurtrier mais n'arrive pas à passer à l'acte. On est content de voir un nom nouveau apparaître dans le polar français : l'élargissement géographique de ce domaine littéraire, les échappées nombreuses vers la Scandinavie, la Chine, le Japon maintenant sont tout autant dues à un légitime besoin d'exotisme qu'à un encroûtement certain de la production hexagonale dont les meneurs, Pouy en tête, ont du mal à se renouveler.

VENDREDI.
Vie parisienne (suite). Je pars à la recherche des traces de Vincent Scotto, rue Gustave-Goublier (ex-passage de l'Industrie où il avait son atelier) et rue du Faubourg-Saint-Martin où la plaque posée sur la façade de son domicile en 1958 a apparemment disparu, passe devant Beaubourg, pas encore ouvert, tant pis pour l'exposition Rauschenberg, m'arrête au Louvre où je fais renouveler ma carte annuelle et en profite immédiatement pour ajouter la salle 22, aile Richelieu, deuxième étage (esquisses de Rubens) à ma Mémoire louvrière. J'achète un souvenir typiquement parisien (un double CD de bouzouki), il me reste encore un peu de semelle à user dans diverses librairies où je cherche en vain le roman d'un compatriote notulien qui doit sortir aujourd'hui (il y a bien un roman spinalien mais j'en connais l'auteur, un poseur qui ne m'attire guère) et je finis la journée à la Bilipo. Je rentre par le 19 heures 45.

Lecture/Ecriture. Mots croisés (Michel Laclos, Zulma, 1999, coll. Grain d'orage, présenté par Jacques Bens; 80 grilles, 112 p., 7,47 €).
Premier d'une série de douze recueils de l'auteur parus chez le même éditeur, ce volume rassemble des grilles publiées jadis dans Le Figaro. Des grilles de 8 x 12, trop faciles car trop petites : Laclos est plus intéressant dans le grand format.

SAMEDI.
Courrier. Une carte postale de Castanet (Lozère).

Courriel. BB me fait profiter de ses perles de médiathèque qui valent à mes yeux infiniment mieux que celles que Jean-Loup Chiflet attribue aux libraires, en ceci que justement ce ne sont pas que des perles (à lire dans un prochain numéro de la revue Dans la lune).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°281 - 12 novembre 2006

DIMANCHE.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 17 & 18, diffusés jeudi dernier sur Canal +).

LUNDI.
Courriel. Echange avec un fâcheux à qui j'ai refusé un texte abscons pour le prochain Bulletin Perec.

TV. Football. FC Metz - Amiens 1 - 0 (en direct sur Eurosport).

MARDI.
Formation continue. Caroline assiste à une réunion sur le diabète destinée aux préparateurs en pharmacie où elle n'apprend pas grand-chose. Il faut dire que nous commençons à être ferrés sur le sujet.

TV. Le bateau livre (émission littéraire présentée par Frédéric Ferney, diffusée sur France 5 le 22 octobre dernier).
Si je m'endors en entendant des auteurs parler de leurs livres, j'imagine que ça ne vaut pas la peine que j'essaie de les lire.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète trois bons kilos de bouquins, Melville, un beau livre sur les lieux parisiens de Baudelaire, Proust en Quarto à offrir (histoire que mon père me rende mes Pléiades) et un Série Noire.

TV. Emmenez-moi (Edmond Bensimon, France, 2005 avec Gérard Darmon, Lucien Jean-Baptiste, Zinédine Soualem; diffusé sur Canal + en septembre dernier).
Un chômeur alcoolique entreprend un voyage à pied de Roubaix à Paris pour rencontrer son idole, Charles Aznavour.
Enfin un film de fan réussi après les médiocres Podium et Jean-Philippe. C'est peut-être parce que Charles Aznavour est un sujet plus intéressant que Claude François et Johnny Hallyday. C'est surtout parce que le réalisateur a choisi une forme moins clinquante, un road movie bonhomme vu à travers l'objectif d'un caméscope manié par le neveu du fan héros. Dans le rôle de ce dernier, Gérard Darmon se donne à fond, avec une outrance de bon aloi : il est visiblement heureux d'être là et les cuites qui rythment son périple sont autant de moments tragi-comiques savoureux. L'explication de texte qu'il livre à un cafetier perplexe pour lui prouver que "Comme ils disent" n'est pas une chanson sur l'homosexualité constitue le sommet du film. Seul point faible : les passages chantés pour lesquels Darmon manque un peu de coffre et de grain.

JEUDI.
TV. Vol de nuit (émission littéraire présentée par Patrick Poivre d'Arvor, diffusée sur TF1 le 23 octobre dernier).

Lecture. La maison du docteur Blanche (Laure Murat, Jean-Claude Lattès, 2001; 432 p., 22,71 €).
"Histoire d'un asile et de ses pensionnaires de Nerval à Maupassant".
En fait, le titre aurait pu être "Les maisons des docteurs Blanche", car si la maison asile de Passy tenue par Emile Blanche est assez connue de ceux qui s'intéressent à l'histoire littéraire - principalement parce qu'elle abrita les derniers jours de Maupassant - on sait moins que c'est le père d'Emile, prénommé Esprit, qui avait fondé l'institution à Montmartre, dans une maison connue, ça ne s'invente pas, sous le nom de "folie Sandrin". Au moment où le père Blanche ouvre son institution, en 1821, la psychiatrie vient de connaître un tournant : "La Révolution a libéré le fou de ses chaînes, mais la folie reste captive derrière les murs d'un nouvel univers, le monde asilaire, dont les lois empruntent davantage aux lois de la morale qu'aux progrès de la science : l'insensé n'est pas tant un patient à soigner qu'une victime des dérèglements de la société à ramener dans le droit chemin." C'est cette nouvelle voie, "morale et philanthropique", que vont suivre les Blanche père et fils, instaurant dans leurs murs des règles strictes de vie commune, des soins dont la pauvreté (régime, bains, saignées) ne donnera lieu qu'à un nombre dérisoire de guérisons, mais surtout des liens avec les malades fondés sur l'écoute, l'humanité, la compréhension et le désintéressement qui les rapprochent, pour certains commentateurs, du paternalisme. Ainsi Jules Janin pouvait écrire à propos d'Esprit Blanche : "Mais autant il était sans pitié pour les humiliations méritées, autant il était plein de grâce et de bienveillance paternelle pour l'artiste découragé, pour l'écrivain mal compris, pour le révolutionnaire convaincu, pour l'âme grande et souffrante, pour l'intelligence épuisée avant l'heure; alors il apaisait, il calmait, il consolait, il relevait, il encourageait son malade. Il le ramenait dans les sentiers connus; il le traitait comme un père traite son enfant."
Laure Murat consacre des chapitres aux relations d'Emile Blanche avec ses patients illustres (Nerval, dont les derniers mots écrits furent justement "la nuit sera noire et blanche", Gounod, les Halévy, Théo Van Gogh, Maupassant) ou ceux qui auraient pu l'être (Baudelaire pour qui la clinique était trop chère) et élargit fréquemment son propos au-delà de l'anecdote pour, par exemple, dénoncer les internements abusifs dont les femmes étaient victimes. En puisant dans les archives des sociétés de médecine, en citant les registres de la clinique, en fouillant les correspondances et les mémoires des médecins et de leurs contemporains (en particulier les souvenirs du fils d'Emile, le peintre Jacques-Emile Blanche), Laure Murat met au jour une histoire du XIXe siècle et de ses maux pathogènes (guerres, absinthe, romantisme...) ainsi qu'une histoire de la psychiatrie de l'époque, montre comment le psychiatre prend place dans la société civile : "Désormais, sa silhouette est partout : sollicité par le juge [Emile Blanche fut expert auprès des tribunaux], consulté par le législateur [Emile Blanche participa à l'élaboration de la loi sur le divorce des aliénés], appelé par le préfet de police ou le procureur de la République, il remet ses rapports et délivre ses conclusions, donne son avis et ses conseils. Dans ces laboratoires d'idées que sont les sociétés savantes, il élabore l'avenir, invente les interdits et les libertés de demain. Le psychiatre, personnage de référence, a gagné le statut de mage : il peut sauver la tête d'un condamné à mort, réduire une voleuse au silence de l'asile, définir les perversités comme les vertus à observer et peser sur les lois. L'aliéniste d'autrefois n'est plus. Place au psychiatre, homme de science et d'influence qui est peu à peu devenu un homme clé, à l'intersection de toutes les préoccupations du siècle, et dont aucune instance ne peut désormais plus se passer."
Curiosité. Parmi les causes d'aliénation classées par Etienne d'Esquirol, un pionnier de la psychiatrie (1772-1840), on remarque "suivant leur importance numérique : hérédité, chagrins domestiques, abus de boissons alcooliques, libertinage, onanisme, amour contrarié, revers de fortune, dévotion exaltée, usage du mercure, évacuations habituelles supprimées, jalousie, suites de couches, excès d'études et de veilles, frayeurs, lecture de romans, etc."

VENDREDI.
Courrier. Bernard Magné m'envoie le dossier des éléments à faire figurer dans le prochain Bulletin Perec. Il est temps que je m'y attelle. La MGEN, compatissante, annonce la prise en charge à 100% de Lucie pour maladie de longue durée.

Lecture. Histoires littéraires n° 21 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIXe et XXe siècles, janvier-février-mars 2005, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 240 p., 20 €).
La revue rend hommage à Noël Arnaud en publiant des extraits de son journal et le texte qu'il écrivit pour une soirée houleuse sur le surréalisme, un mouvement qui faisait encore du bruit en 1958. Daniel Zinszner montre que l'histoire du dictionnaire du XIXe siècle ne se limite pas à Littré et Larousse, concurrencés en leur temps par Maurice Lachâtre, auteur d'un Dictionnaire universel (1852-1856) et d'un Dictionnaire français illustré (1859) qui lui valurent tous deux d'être condamné par la Justice. Lachâtre, ami et éditeur d''Eugène Sue, refuse la neutralité et la prétendue objectivité du dictionnaire qu'il utilise comme un instrument d'éducation populaire à la manière des Encyclopédistes. Zinszner donne en exemple l'article Châtiment qui, effectivement, n'est pas piqué des vers : "le châtiment infligé trop souvent en dehors du contrôle social, est dispensé souvent avec une cruauté inouïe. La terreur règne dans la famille, dans l'atelier, dans les maisons d'éducation, dans les établissements religieux [...]. Les fondateurs des religions [...] ont déployé un sombre appareil de terreur. Ils ont condamné les contempteurs de leurs préceptes et de leurs commandements à l'éternité de douleur et aux plus épouvantables châtiments. Mais heureusement tous ces fabricateurs de dieux ne disposent ni de l'avenir, ni de l'éternité, ni même du présent grâce au progrès des lumières." Les attendus du jugement sont sans surprise : "Lachâtre, sous prétexte de donner la définition des mots contenus dans son dictionnaire, fait appel aux mauvaises passions, développe les maximes les plus subversives, pousse à la révolte par le tableau menteur qu'il trace de la société, provoque la désunion et la haine entre les citoyens [...], exalte ce que condamnent les lois, outrage ce dont les lois commandent le respect et déverse enfin la dérision et le mépris sur la religion." Mireille Dottin-Orsini ressuscite Fernand-Lafargue (1856-1903), romancier populaire, compagnon de route du Naturalisme qui fit merveille dans le roman religieux (Les Ouailles du curé Fargeas où l'on trouve parmi les miraculés de Lourdes "une vieille femme paralytique, morte après avoir demandé de mourir", L'Hostie qui recèle cette belle image d'un curé qui fume en cachette la nuit dans le jardin du presbytère : "il ressemblait, dans l'ombre, à un ver luisant mélancolique"). La "Chronique des ventes et catalogues" cite in extenso un monostiche de Villiers de l'Isle-Adam dédié à Hubertine Auclerc, nommée député :
"Je baise avec ferveur ton corps législatif".
Dans le domaine féministe, on trouve aussi dans la rubrique "Livres reçus" ce délicat quatrain dû à Maupassant cité par Régine Deforges et Claudine Brécourt-Villars dans leur essai sur Les poètes et les putains :
"Salut grosse putain dont les larges gargouilles
Ont fait éjaculer trois générations
Et dont la vieille main tripota plus de couilles
Qu'il n'est d'étoiles d'or aux constellations !"

TV.
Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 19 & 20, diffusés jeudi dernier sur Canal +).

SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules, en soirée. Il était temps. Je n'avais vraiment rien à raconter sur cette journée.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°282 - 19 novembre 2006

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Découverte du monument aux morts de Bocquegney. Forcément, en ce 12 novembre, il est facile à repérer.

L'absence de monument proprement dit est compensée par l'affichage des portraits photographiques des victimes, bizarrement tombées "pour la Ffance".

Ecriture. Rédaction du Bulletin de l'Association Georges Perec. Première étape : mise en ordre des informations reçues par l'intermédiaire informatique de la [listeperec].

LUNDI.
Ecriture. J'ignore à contrecoeur le match Le Havre - FC Metz sur Eurosport pour passer à la deuxième étape du Bulletin, l'insertion des informations reçues par courrier.

MARDI.
TV scolaire. Monte-Cristo (Henri Fescourt, France, 1928 avec Jean Angelo, Lili Dagover, Gaston Modot, Jean Toulout; diffusé sur ARTE en septembre dernier).
C'est la quatrième version du roman de Dumas que j'étudie en quatre ans, la plus ancienne, la plus muette, la plus rare après celles de Kevin Reynolds (2002), Claude Autant-Lara (1961) et Robert Vernay (1942). C'est aussi la plus longue, aux alentours de quatre heures découpées en deux parties. La longueur ne fait pas peur à Fescourt qui n'hésite pas à étirer des scènes de peu d'intérêt dramatique pour profiter au maximum de la richesse des décors mis à sa disposition et de son savoir-faire dans les mouvements d'appareils, très sophistiqués pour l'époque, la séquence à l'Opéra étant, sur ce plan, remarquable. Comme dans les autres versions, le personnage de Danglars, le banquier véreux, est passé à la trappe et la psychologie du personnage central légèrement édulcorée, le sentiment de culpabilité sur lequel se termine le roman étant délaissé au profit de la satisfaction apportée par la vengeance. Le travail de restauration (un chantier de dix ans !) effectué par ARTE est magnifique et, contrairement à ce qui se produit trop souvent avec ces films muets ressortis de l'oubli, la bande son additionnelle n'est pas trop envahissante.

Ecriture. Bulletin Perec, troisième étape : rédaction de l'éditorial.

MERCREDI.
Ecriture. Bulletin Perec, fin. Relecture, corrections, ultime polissage, bug informatique qui envoie le toutim dans les limbes. Je récupère la chose après quelques minutes de sueurs froides.

JEUDI.
Courrier. J'envoie le Bulletin à Bernard Magné, des épreuves relues et corrigées à Histoires littéraires et des coupures à Y. Parallèlement, je reçois un disque de Maria Farandouri qui vient compléter ma collection des versions de "Sto perigiali to Kryfo", la plus belle chanson du monde à mes oreilles du moment.

Vie nocturne. Je me rends à la Bibliothèque que je persiste à qualifier de municipale malgré son nouveau statut pour y entendre une causerie d'Hubert Haddad. Celui-ci est actuellement en résidence à Vittel, où il doit animer un ou des ateliers d'écriture, thème de son dernier livre (Le nouveau magasin d'écriture) et de son intervention du jour. Je ne connais pas Hubert Haddad, je ne l'ai jamais vu ni lu, même si je sais qu'il a beaucoup publié. J'imaginais un vieux bonhomme, je ne sais pas pourquoi, peut-être le prénom, Hubert. Oui, c'est ça, à cause d'Hubert Reeves, qui lui me semble être ou avoir été un vieux monsieur qui s'occupe ou s'occupait du cosmos, c'est lui qui a façonné ma vision des Hubert. En fait, Hubert Haddad a la tête d'un type qui a roulé sa bosse, mais rien qui l'apparente à Hubert Reeves, il va falloir que je révise ma physiognomonie des prénoms. L'assemblée : une vingtaine de personnes, trois hommes, dix-sept femmes, on sait déjà que l'Education nationale est bien représentée. Il y a même, on l'apprendra au fil de la soirée, plusieurs personnes qui elles mêmes s'occupent d'ateliers d'écriture, il y en a même plus que de notuliens dans la salle, c'est dire si c'est une activité répandue. Haddad déroule son propos, parle de ses expériences au sein des ateliers dont il a eu la responsabilité. Une question, un type au premier rang, l'air pénétré : "Nous sommes tous à la recherche de la parole manquante. Qu'est-ce pour vous que cette parole manquante ?" Le genre de truc qui vous laisse coi, pensif, hagard, au choix, avec l'envie de filer lire L'Equipe aux cabinets. Pas Hubert Haddad qui répond tranquillement, il doit avoir l'habitude, enfin il ne répond pas vraiment, il accroche et il digresse sur la poésie, refait l'histoire littéraire à sa manière avec des raccourcis saisissants mais l'homme est convaincu et agréable à écouter. Bien sûr, j'aurais bien aimé l'entendre sur des choses plus concrètes, savoir ce qu'il faisait de Perec ou en quelles circonstances il avait succédé à François Bon à la prison de Tours, mais pour ça il aurait fallu que je prenne la parole, ce qui n'est pas mon sport favori. Je file sans goûter au jus d'orange municipal gracieusement offert par l'ami DDL, content de ma soirée. Non pas à cause de ce que j'y ai appris, les ateliers d'écriture ne me passionnent pas même si j'en sais un peu plus sur eux depuis que j'ai lu Tous les mots sont adultes et suivi les expériences de Thierry Beinstingel. Il s'agissait avant tout de voir, ce soir, si j'allais réussir à trouver le temps et surtout l'envie de ressortir après la journée de travail républicain, le coup d'oeil aux devoirs des filles, le dépouillement du courriel, la visite aux sites amis, la croûte à préparer, les piqûres à administrer, ce genre de choses qui font le quotidien. La réponse est oui, j'en avais déjà eu un aperçu la semaine dernière où j'avais retrouvé H au bistrot pour un moment agréable, au comptoir, avec les hommes. Ça me rassure. Peut-être même qu'un jour prochain je retournerai au cinéma.

VENDREDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 21 & 22, diffusés la veille sur Canal +).

Lecture. Le martyre des Magdalènes (The Magdalen Martyrs, Ken Bruen, 2003; Gallimard, coll. Série Noire, 2006 pour la traduction française; traduit de l'anglais par Pierre Bondil; 336 p., 18,90 €).
"Une enquête de Jack Taylor".
L'histoire des blanchisseries irlandaises à l'enseigne de la Madeleine qui accueillaient les filles perdues (mères célibataires, adolescentes rebelles...) pour les réduire au servage avait donné lieu a un film édifiant mais fort, The Magdalene Sisters de Peter Mullan en 2002. On imaginait le polar qu'un tel cadre et une telle population pouvaient donner, quelque chose de saignant, d'incisif... Las, il n'en est rien. Ken Bruen met en scène - pour la troisième ou quatrième fois - un type viré de la police de Galway, devenu détective privé mais surtout alcoolique et cocaïnomane, deux servitudes qui le rendent impropre à tout travail suivi. Inutiles donc de chercher ici une enquête suivie, Jack Taylor n'en est pas capable. En lieu et place, on trouve le monologue intérieur d'un homme en proie à ses démons, une logorrhée assez complaisante et de peu d'intérêt. S'il enquête peu, Jack Taylor lit beaucoup, ce qui permet à Ken Bruen de saturer son roman de citations en exergue ou dans le corps du texte, cédant ici à un travers qu'on trouve chez beaucoup d'auteurs de polars qui veulent à tout prix prouver qu'ils connaissent aussi la littérature "sérieuse" et qu'ils ont de "vrais" livres chez eux. On en a aussi, merci.

SAMEDI.
Lecture. Temps noir n° 9 (Éditions Joseph K., mars 2005; 224 p., 13 €).
"La Revue des Littératures Policières".
Deux auteurs à l'honneur dans cette livraison : Thierry Jonquet et Maurice Leblanc. Si le dossier consacré au premier manque un peu de mise en perspective, ce qui est normal pour un auteur contemporain qu'on ne peut pas encore étudier avec le recul nécessaire, le travail de Nadia Dhoukar sur Arsène Lupin est remarquable. Le héros de Maurice Leblanc est passé au scanner, étudié sous toutes ses coutures : construction biographique, motivations, méthodes, univers géographique, adversaires, tout est là, compilé, étudié, disséqué. Après ça, on ne peut plus rien ignorer du gentleman cambrioleur.
L'entretien que donne Paco Ignacio Taibo II à la revue démontre par ailleurs que ses propos à bâtons rompus sont beaucoup plus clairs que ses romans. Ses développements sur l'intertextualité, à laquelle il accorde une grande importance, et sur le rôle militant, voire révolutionnaire qu'il donne à la littérature ("La littérature doit servir à régler des comptes [...]. Il y a un espace auquel nos ennemis n'ont pas accès : l'espace de l'imagination délirante. Et c'est là que nous allons régler nos comptes.") donnent envie de reprendre la lecture de ses livres qui ne m'avaient pas, de prime abord, beaucoup intéressé.

Football. SA Epinal - USL Dunkerque 0 - 1. Forcément, quand on a, au bout d'un quart d'heure, un joueur sorti sur une civière, un autre expulsé et un but contre son camp, on a un peu de mal à gagner.

Autonomie. Lucie procède pour la première fois à ses injections du soir.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°283 - 26 novembre 2006

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. A la recherche du monument aux morts de Bois-de-Champ. Je me demande où peuvent bien nicher les 93 habitants recensés. Il n'y a que quatre ou cinq maisons posées sur un côté de la route qui mène à Saint-Dié. Et un monument aux morts. Du moment qu'il y a l'essentiel...

Vie gastronomique. Ce soir, on mange des artichauts. Cela fait bien vingt ans que je n'ai pas planté mes dents dans une feuille d'artichaut. Ce qui ne m'a jamais empêché d'éprouver une admiration sans fin pour l'homme qui a fait ce geste pour la première fois. Avoir le pressentiment que ce drôle de machin était comestible relève d'une perspicacité remarquable.

TV. Les Ringards (Robert Pouret, France, 1978 avec Aldo Maccione, Mireille Darc, Charles Gérard, Julien Guiomar; diffusé ce mois sur CinéCinéma Famiz).
Un trio d'escrocs à la petite semaine s'embarque dans l'organisation d'un casse trop grand pour eux.
C'est la fin des années soixante-dix, la période de gloire d'Aldo Maccione, constellée d'oeuvre inoubliables comme Je suis timide, mais je me soigne, Pardon, vous êtes normal, Je suis photogénique et autre Tais-toi quand tu parles. Le titre n'est pas trompeur, c'est une certitude, mais les amateurs de nanars dont je suis trouvent leur compte dans les gesticulations de ce sympathique trio de bras cassés. Mireille Darc, après vingt ans de carrière, prouve qu'elle joue aussi mal qu'à ses débuts.

Courriel. Echange avec TB sur les dérives des ateliers d'écriture.

LUNDI.
Courriel. Echange avec DR sur les gratteurs de pancartes, enseignes et divers panonceaux qu'il soupçonne d'être à l'origine de l'étrange suscription du monument aux morts de Bocquegney.

MARDI.
TV. Oliver Twist (Roman Polanski, France/G.-B. avec Ben Kingsley, Barney Clark, Jamie Foreman, Mark Strong; diffusé sur Canal +).
Même si la lecture du roman de Dickens appartient à un passé enfui depuis belle lurette, les figures de Fagin, de The Artful Dodger, de Bill Sykes, de Mr. Brownlow et de sa fidèle servante Mrs. Bedwin, sans compter celle du jeune Oliver restent ancrées dans la mémoire et donnent envie de les voir enfin à l'écran quand on n'a jamais eu l'occasion de voir l'adaptation de David Lean qui date de 1948. Sur ce plan, on n'est pas déçu : le jeune garçon joue avec sobriété, les adultes, s'ils sont fortement typés (Ben Kingsley en Fagin ressemble à une caricature de la propagande antisémite), restent dans le domaine du crédible. De son film précédent, Le Pianiste, Polanski a conservé son intérêt pour la description de la lutte de l'opprimé et pour la reconstitution historique : les taudis londoniens ne sont guère plus engageants que les ruines de Varsovie. Il reste que le film manque un peu d'âme, de souffle et que son académisme déçoit un peu de la part d'un cinéaste qu'on avait connu plus dérangeant.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète des billets de train, un Série Noire, les Actes d'un Colloque des Invalides, un volume de Prévert en Pléiade et complète ma collection de Sherlock Holmes.

TV.
Le Professionnel (Georges Lautner, France, 1981 avec Jean-Paul Belmondo, Jean Desailly, Robert Hossein, Michel Beaune; diffusé ce mois sur CinéCinéma Famiz).
Un agent des services spéciaux s'évade de la prison africaine où ses chefs l'ont laissé croupir au nom de la raison d'état. Revenu en France, il est décidé à régler ses comptes avec ses supérieurs.
Une année éminemment électorale, une intrigue qui aborde le rôle de la France en Afrique et les méthodes douteuses des services secrets, on se dit que Lautner voulait peut-être réorienter sa carrière vers le film politique dans le sillage d'Yves Boisset ou de Costa-Gavras. Il n'en est rien. Tout ce décorum n'est mis en place que pour servir Belmondo qui peut encore à l'époque jouer sur son physique avantageux. Alors Belmondo gesticule, bondit, rebondit, distribue les taloches, les pruneaux et les baisers sans que quiconque semble se soucier de la vraisemblance de l'histoire dans laquelle il trempe. Le spectateur s'en moque tout autant, il se rappelle les films du dimanche soir de la télévision d'avant TF1 qui ressemblaient tous peu ou prou à celui-ci.
Curiosité. Depuis Les Tontons flingueurs, Lautner s'amuse à placer un Volfoni (nom de famille d'un duo de gangsters dans ce film) dans ses oeuvres. Ici, le rôle échoit à Pierre Vernier qui reçoit d'ailleurs, en ouvrant une porte, le même bourre-pif que Bernard Blier dans Les Tontons.
Réplique. "Attention ! Ils s'approchent de plus en plus."

Lecture. Itinéraire spiritueux (Gérard Oberlé, Grasset, 2006; 280 p.; 17 €).
Autobiographie arrosée.
Après Retour à Zornhof (pas lu), Oberlé poursuit le récit non linéaire d'une vie plutôt atypique qui l'a mené de l'Alsace de son enfance à sa retraite morvandelle en passant par Paris, où il fut libraire d'ancien, et d'autres contrées plus exotiques. Le parcours est ici thématique puisqu'il s'agit de chanter les louanges de la vigne et de ses dérivés tout en pourfendant les tenants de la morale, de l'hygiène de vie et de la tempérance. Une posture sans doute sympathique qui ne peut que réjouir l'abstème que je suis devenu à mon corps défendant, mais une posture qui confine ici à la pose consistant à dire : je suis heureux comme un pape, je prends des cuites, je ripaille, je m'amuse, je rigole, je me vautre pendant que vous vivez vos existences de misérables étriqués avec vos culs serrés, vos bouches pincées et vos gosiers en pente douce. Il y a quand même quelques rescapés, mais pas dans le vulgum pecus : c'est "mon ami Jim Harrison", "mon ami James Crumley", "mon ami Jean-Claude Carrière", "mon ami Jean-Pierre Coffe" et quelques autres sommités dont la convocation régulière au fil des pages finit par agacer. C'est dans la nature d'Oberlé qui, j'ai pu le constater lorsque je l'ai croisé quelques fois à Jaligny (il reçut le Prix René-Fallet pour son premier roman) où lorsque je l'ai vu et entendu promouvoir son livre sur diverses chaînes et stations, ne résiste pas à un certain étalage. Heureusement, son Itinéraire ne se limite pas à cela, il a d'autres arguments à faire valoir. L'homme a du coffre, mais il a aussi une bonne connaissance des humanités, une belle culture classique, du vocabulaire (si quelqu'un peut me dire ce que sont une nef stultifère et un agathopède...) et de la plume, ce qui rend la lecture de son "tandis que j'hédonise" finalement assez plaisante. Plaisante et parfois étonnante quand il parle d'un "diafoirus ès sobriété" ou quand il transforme en "Levert" le poète Henry J.-M. Levet.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y et des aptonymes à AZ, reçois un CD de Don Fagerquist.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 23 & 24, diffusés le soir-même sur Canal +).
Comme dans toute série saisonnière, le dernier épisode multiplie les événements et les ouvertures de pistes pour appâter le spectateur en vue de la prochaine livraison et donner des perspectives aux scénaristes. Alors ça se bouscule un peu, on déraisonne, on arraisonne, on assaisonne les uns ou les autres et on laisse enfin au téléspectateur un an de congé pour se gaver d'Aldo Maccione et de Belmondo tous les jeudis soir.

VENDREDI.
Cinéma scolaire. Chat noir, chat blanc (Crna macka, beli macor, Emir Kusturica, Yougoslavie/France 1998 avec Bajram Severdzan, Srdjan Todorovic, Branja Katic; vu dans le cadre de l'opération Collège au cinéma).
Au bord du Danube, Matko vit de trafics louches avec son fils Zare. Redevable d'une énorme dette auprès d'un mafioso local, il combine le mariage de son fils avec la fille de son débiteur pour amadouer celui-ci.
Ce qui précède n'est qu'une des histoires du film, il y en a bien d'autres qui se succèdent, s'entremêlent, se chevauchent dans ce qui constitue le monument baroque de la carrière de Kusturica. Avec un traitement burlesque dont l'organisation rigoureuse est digne des maîtres du muet, le réalisateur combine plusieurs influences, la farce, la comédie moliéresque, le folklore rom, l'histoire récente de la Yougoslavie pour une oeuvre qui, à tout moment, pourrait basculer dans le foutoir total. Si elle ne le fait pas, c'est, encore une fois grâce à la rigueur de la mise en scène qui sait, à tout moment, quelle dose d'outrance et d'absurde instiller à sa construction. Du grand art pour une belle tranche de rigolade.

Lecture. Bulletin Marcel Proust n° 54 (Société des Amis de Marcel Proust et des Amis de Combray, 2004; 288 p., sur abonnement).
Un bon dossier sur Adrien Proust, en ouverture du numéro, redonne à celui-ci un rôle souvent réduit par l'importance des études centrées sur la mère du romancier. "Médecin humaniste", "médecin voyageur", le Docteur Proust est remis à sa place dans son siècle, une place prépondérante dans la lutte contre les épidémies (sa Défense de l'Europe contre la peste fournira à Camus la partie documentaire de La Peste, nous apprend Marie Miguet-Ollagnier) et dans l'histoire littéraire : on ne peut s'empêcher de penser que son fils lui fournit un magnifique terrain d'étude pour son Hygiène du neurasthénique. Vient ensuite un article sur Proust et Ruskin sur lequel on ne s'attarderait guère - on a déjà tant lu sur Proust et Ruskin - si l'on n'y trouvait cette réflexion intéressante du second traduite par le premier : "La jeunesse est proprement dite la période formative - pendant laquelle un homme se fait, ou est fait, pour ce qu'il doit être. Puis vient le temps du labeur, quand, étant devenu le meilleur possible, il donne le meilleur de lui-même. Puis le temps de la mort, qui, dans les vies heureuses, est très court : mais toujours un temps. Cesser de respirer est seulement la fin de la mort."
Comme d'habitude, la dernière section, consacrée aux activités éditoriales et universitaires de l'année précédente est proprement vertigineuse eu égard au nombre des travaux mentionnés (mes préférés : une communication sur "Les louchonneries de Proust" et une conférence sur "Digestion et ingestion chez Proust" lors d'un colloque tenu à Kyoto). Le souci d'exhaustivité des responsables de la rubrique est tel qu'ils vont jusqu'à mentionner les articles parus dans le numéro précédent du Bulletin !
Curiosité. Les pièges du copié-collé : cela fait maintenant trois ans (et le phénomène est poursuivi dans le numéro de 2005) qu'en dernière page, "la SAMP exprime sa gratitude aux donateurs [..] qui encouragent ses actvités et lui permettent de les développer."

TV. Sahara (Breck Eisner, E.-U., 2005 avec Matthew McConnaughey, Penelope Cruz; diffusé sur Canal + en octobre dernier).
Un chasseur d'épaves retrouve la trace d'un navire datant de la Guerre de Sécession en plein Sahara.
J'ai tout de même tenu à peu près une heure devant ce succédané d'Indiana Jones, beaucoup plus bruyant et moins subtil que l'original. Et sur cette heure de présence, on peut compter au moins vingt minutes au cours desquelles je suis resté éveillé. Soyons honnête : pas vingt minutes consécutives quand même.

SAMEDI.
Invent'Hair. MGM envoie clichés de deux salons mâconnais (un énième "Créatif" et un "R' Center", première manifestation monoconsonantique du mot "hair").

Côt côt. Je ne sais à quelles actions les notuliens se livrent dans les poulaillers mais à l'heure où l'un d'eux (DR) attend la sortie imminente de son roman intitulé Les poules, un autre (BB) m'annonce la parution de son livre d'artiste. Son titre : Datés du jour de ponte. A croire que le notulien est volontiers plumassier.

Bon dimanche.