Notules dominicales 2006
 
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Notules dominicales de culture domestique n°264 - 2 juillet 2006

DIMANCHE.
Vie familiale. Encore un vide-grenier à nos portes ou presque (Dinozé). Fuir, là-bas fuir, direction Saint-Jean-du-Marché. Je n'aime pas les vide-grenier. Je sais qu'ils sont souvent l'occasion pour un village, un quartier, une communauté de retrouver pour un jour un semblant de vie mais je n'aime pas le principe qui régit toute cette histoire : vendre, faire argent de tout. Le vélo du petit n'est plus à sa taille, au vide-grenier, les livres de terminale de la grande, au vide-grenier, les tasses de la grand-mère, au vide-grenier, il y a peut-être des sous à en tirer. Comme sur les sites de vente d'occasion, ebay et autres. Réflexion d'un élève, un jour que je présentais Exercices de style de Queneau, à la vue de mon exemplaire (nrf 1947, un livre volé, je parlerai une autre fois de mes livres volés) : "Monsieur, il est vieux votre livre, faut le mettre au vide-grenier." Mon grenier est plein, je n'ai jamais eu l'idée de le vider. J'ai quatre guitares, je n'en joue plus, de belles choses dont je pourrais tirer un bon prix. Je les donnerai, je les brûlerai au fond du jardin ou les filles en feront ce qu'elles voudront mais jamais je ne les vendrai. J'ai l'idée, fausse au moins pour toi JCF que je sais grand aficionado de la chose, que les gens qui vendent leurs objets dans les vide-grenier mèneraient sans sourciller leurs enfants à la foire à l'encan.

TV.
Les Soprano (série américaine de David Chase, 2001, avec James Gandolfini, Edie Falco, Lorraine Bracco; saison 3, épisode 5, diffusé le 17 juin sur France 4).

LUNDI.
Vie sanitaire. Je sors hagard d'une nuit éprouvante, suite à l'infection d'un canal d'évacuation. Fièvre, cauchemars, ruminations, sauts de carpe, je retrouve instantanément l'ambiance des nuits qui, il n'y a pas si longtemps, formaient mon quotidien de malade de l'alcool. Une chaîne de nuits passées à me demander quel visage je réussirais à offrir au boulot, comment je parviendrais à masquer mes tremblements, ne trouvant le plus souvent au sortir du lit bassiné de sueur d'angoisse et de manque d'autre solution que celle qui consistait à reprendre un poil du chien qui m'avait mordu. Jusqu'à exhaustion de la bête, moi en l'occurrence. Aujourd'hui, heureusement, pas de cours à assurer, juste une couple d'heures de présence en début de journée et je peux rentrer me soigner, manger des antibiotiques et boire, de l'eau, beaucoup d'eau, histoire de rincer le tonneau. Je me jure de ne plus jamais souhaiter être malade dans l'espoir de ne pas aller à l'école, me traîne jusqu'au soir en lisant un peu de Bergounioux, rien de tel pour s'apercevoir qu'il y a toujours quelqu'un de moins bien loti que soi, en parcourant les Tusculanes de Cicéron ("les Stoïciens montrent par de brefs raisonnements pourquoi la douleur n'est pas un mal", allons bon, les Stoïciens sont surtout de gros malins qui n'ont jamais eu à pisser des lames de rasoir) et n'atteins pas la mi-temps de Suisse-Ukraine.

MARDI.
Lecture. Des fins des biens et des maux, III (De finibus bonorum et malorum, Cicéron, 45 av. J.C.; traduction, rubriques et notes par E. Bréhier, notice par V. Goldschmidt in Les Stoïciens, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 156, 1504 p., 52,90 €).
Toujours sous forme de dialogue, Cicéron rassemble ici les éléments de la première morale stoïcienne. Il est question de la morale du sage, de son approche du bien et du mal, de sa nécessaire indépendance à l'égard des éléments extérieurs... y compris des principes de la morale précédemment exposés. Le stoïcien ne craint donc pas la contradiction et mène sa vie, si j'ai bien compris, avant tout selon des principes qu'il s'est lui même forgés.
Citation : "... les stoïciens pensent que la vie heureuse n'est plus à souhaiter, ni plus à rechercher si elle est longue que si elle est brève; ils emploient cette comparaison : si le mérite d'un cothurne est de chausser exactement le pied, il n'y a pas de raison de préférer un grand nombre de cothurnes à un petit nombre, ni les plus grands aux plus petits; de même si le bien est déterminé par la conséquence et l'opportunité, il n'y a pas à préférer des biens plus nombreux à de moins nombreux, leur durée à leur brièveté."

TV. Football. France - Espagne 3 - 1. Pendant ce temps, Caroline suit une formation sur les escarres. Sans doute en vue de mon avenir de grabataire.

MERCREDI.
Vie professionnelle. Je corrige l'épreuve de français du brevet des collèges dans un établissement spinalien. L'Espagnol, lui, a été corrigé hier.

TV. Room Service (Georges Lautner, France, 1992 avec Michel Serrault, Michel Galabru, Jacques Jouhanneau, Renée Saint-Cyr; diffusé en juin sur CinéCinémas Premier).
M. Luc est le régisseur du château appartenant à une comtesse ruinée. Il séquestre le boulanger du village voisin qui vient de gagner au Loto et dont il convoite le magot.
Le château, les châtelains désargentés survivant grâce à des combines louches, il y a là-dedans une vague ressemblance avec Le Diable par la queue de Philippe de Broca mais la comparaison ne tourne pas à l'avantage de Lautner. Ce dernier se contente de mettre face à face deux acteurs forts, Serrault et Galabru, qui cabotinent à qui mieux mieux pour pallier les manques d'un scénario inconsistant, et de mettre des gros mots dans la bouche en cul-de-poule de Renée Saint-Cyr. C'est maigre.

Lecture.
Le Paris retrouvé de Marcel Proust (Henri Raczymow, Parigramme, 2005; 200 p., 25 €).
Organisée par quartiers (Auteuil-Passy, la plaine Monceau, les Champs-Elysées, etc.) cette visite du Paris proustien constitue une sorte de biographie géographique et non chronologique de l'auteur de la Recherche. On y trouve les lieux où il a vécu et ceux où il a installé les personnages du roman et situé certaines scènes. La visite finit par donner le tournis par le mélange de fiction et de réalité qui prolonge celui qu'on trouve dans l'oeuvre de Proust. On sait que celui-ci a composé chacun ses personnages à partir d'éléments piochés chez plusieurs personnes réelles. Il en est souvent de même pour les lieux : "tout ou presque de ce qu'il écrira de la maison de la tante Léonie à Combray se rapporte en fait à la demeure estivale de l'oncle Louis" à Auteuil. Composition, transposition, Proust brouille les pistes que Raczymow essaie patiemment de reconstituer. L'ouvrage est copieusement illustré, gravures et photos de l'époque, tableaux de Jean Béraud. A lire en réécoutant les magnifiques émissions de France Culture de la série "Un homme une ville" qui revisitaient ces lieux avec Roland Barthes pour guide.
Curiosité. A propos de la rencontre avec Montesquiou, qui deviendra le Charlus de La Recherche : "Cette rencontre revêt une importance capitale : Montesquiou (il a alors trente-huit ans et Proust vingt-et-un) élargit considérablement le cercle de ses relations..." (!)

JEUDI.
TV. Le Crime farpait (Crimen ferpecto, Alex de la Iglesia, Espagne/Italie, 2004 avec Guillermo Toledo, Monica Cervera, Luis Varela, Enrique Villen; diffusé en mais sur Canal +).
Un playboy, vendeur dans un grand magasin, épouse un laideron, seul témoin du meurtre qu'il a commis sur un de ses collègues.
Une comédie enlevée, parfois un peu tapageuse, qui dégomme allègrement le mariage et la famille, voilà qui montre qu'on ne respecte plus rien, même en Espagne. La mésaventure de Rafael, un coquelet cynique et imbuvable qui finit par devenir presque sympathique, ressemble à celle de Docteur Popaul de Chabrol. Les scènes dans le magasin éveillent des souvenirs des Marx Brothers et de Chaplin.

VENDREDI.
TV. Les Copains (Yves Robert, France, 1964 avec Philippe Noiret, Pierre Mondy, Claude Rich, Michael Lonsdale, Christian Marin, Jacques Balutin, Guy Bedos, Claude Piéplu; diffusé ce mois sur CinéClassics).
Sept amis d'enfance décident de partir en guerre contre la bêtise et multiplient les frasques entre Ambert et Issoire.
C'est un film qu'on aimerait tant aimer... Il contient tant de bons ingrédients : la présence des deux plus belles paires de moustaches de l'époque (Yves Robert et Georges Brassens), une bande de comédiens on ne peut plus sympathiques, une base littéraire solide (Jules Romains), un but noble (la mise à nu de la bêtise), des cibles choisies (le sabre, le goupillon, le politique)... Pourtant, ça ne fonctionne pas, c'est lourd, verbeux, soporifique. L'esprit potachique célébré par Jules Romains a vieilli, le langage des personnages aussi, le ton déclamatoire de Philippe Noiret est pénible... Dommage. J'avais déjà vu ce film il y a une trentaine d'années et il m'avait fait le même effet, j'avais mis ça sur le compte de mon jeune âge mais la déception est confirmée.
Curiosité : la version des "Copains d'abord" chantée par Brassens n'est pas la même que celle qu'il enregistra l'année suivante pour Philips et comporte quelques variations mélodiques et harmoniques dignes d'intéresser le spécialiste.

SAMEDI.
Vie familiale. Les filles participent ce soir à un spectacle à Hadol. Lorsque celui-ci fut annoncé, j'étais loin de me douter qu'il coïnciderait avec un quart de finale de Coupe du Monde concernant l'équipe de France. J'ai bien essayé de revendre, puis de donner ma place, mais pensez, personne n'en a voulu. Heureusement, la performance des filles a lieu de bonne heure et elles acceptent de rentrer at home une fois leur prestation accomplie. Nous ratons le but de peu et regardons la dernière demi-heure de France - Brésil (1 -0). Lucie apprécie beaucoup les "débordements de Kaka" soulignés par le commentateur.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°265 - 9 juillet 2006

LUNDI.
Réactions aux notules. Plusieurs messages pour voler au secours des vide-grenier. Le point de vue le plus défendable est celui de l'objet, promis à une mort certaine, qui retrouve vie et évite la déchetterie. Soit. Mais je doute que ce soit la principale préoccupation des vendeurs.

Vie professionnelle. Quatre élèves le matin, deux l'après-midi, l'étirement de cette année scolaire semble correspondre à la loi de l'emmerdement maximal qu'affectionnent les grandes institutions, l'armée et l'Education nationale.

TV.
Big Trouble (Barry Sonnenfeld, E.-U., 2002 avec Tim Allen, Rene Russo, Stanley Tucci; diffusé sur Canal + en juin dernier).
Chassé-croisé de tueurs à gages, de trafiquants russes et d'autres encore à Miami.
C'est Miami et le côté délibérément farfelu de l'affaire qui rappellent tout d'abord les romans d'Elmore Leonard. L'affaire tourne ensuite à la parodie de 24 Heures chrono avec l'embarquement à bord d'un avion d'une bombe à retardement qui doit être désamorcée par des personnages qui ne ressemblent en rien à Jack Bauer. Bien fait et divertissant.

MARDI.
Vie professionnelle. Au moment où Alice vit ses derniers instants d'école maternelle, c'est la cérémonie de fin d'année au collège. On m'a demandé d'écrire un mot pour le départ en retraite de PP, avec qui j'ai partagé toutes les années passées dans cette boîte. Ce qui ne me pose pas de problème, j'affectionne l'exercice. L'écriture, j'entends, car la diction, c'est autre chose. La gîte parkinsonienne que j'inflige au micro qu'on m'a collé dans les pattes démontre que je ne suis décidément pas fait pour prendre la parole en public et je n'aurai pas trop des vacances qui s'ouvrent pour oublier la prestation pitoyable que j'ai offerte à cette occasion.

MERCREDI.
Arts ménagers. La chaleur a eu raison de notre frigo dont les lamentables ahans commandaient un remplacement d'urgence. La nouvelle bête arrive dans l'après-midi, livrée comme il se doit par deux armoires à glace.

Courrier. MGM envoie sa livraison pour L'Invent'Hair. Parmi ses trouvailles, un énigmatique "Nafratif"qui constitue une sorte d'hapax.

TV. Football. France - Portugal 1 - 0.

JEUDI.

Entretien. Je laisse l'auto pour révision au garage Marchal ("Bonjour M. Marchal, ma voiture marche mal", qu'est-ce qu'on rit tous les deux) et passe sur le fauteuil du dentiste. Je soupçonne ces deux artisans voisins de s'échanger leurs outils. Quétin, Facom, faquin, Ketum...

VENDREDI.
Vie familiale. Nous partons pour Paris en auto dès le matin et atteignons sans difficulté mes quartiers habituels autour de la gare de l'Est. Les filles, qui sont passées sans transition de Saint-Jean-du-Marché (32 abonnés au téléphone) à la capitale, semblent supporter le choc démographique. On commence par le Louvre où Lucie veut voir la Joconde, bien sûr, et le François Ier de Jean Clouet. Une station prolongée sur le pont des Arts est prétexte à l'enrichissement de la culture générale sur le mode "Comment s'appelle la Moselle qui passe à Paris ?"

SAMEDI.
Vie parisienne. Et touristique avec le Sacré-Coeur en matinée et la rive gauche l'après-midi. Caroline s'en va magasiner, je joue la nurse artificielle avec les filles au Luxembourg où je peux m'adonner quelques instants à une de mes activités favorites, la lecture sur banc public. Le soir venu, nous récupérons l'auto - le stationnement est presque aussi cher que la chambre d'hôtel - pour un tour de Paris by night pendant qu'il en est encore temps : la circulation risque d'être un peu plus chargée ce soir sur les coups de 23 heures.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°266 - 16 juillet 2006

DIMANCHE.
Lecture. Le retour du professeur de danse (Danslärarens aterkomst, Henning Mankell, Ordfront Förlag, Stockholm, 2000; Editions du Seuil, coll. Policiers, 2006 pour la traduction française; traduit du suédois par Anna Gibson; 416 p., 21,90 €).
Le jeune policier Stefan Lidman apprend qu'il a un cancer de la langue. S'il se met immédiatement en congé, c'est pour mieux enquêter sur la mort d'un ancien collègue, Herbert Molin, dans le nord de la Suède.
Ce qu'il y a de remarquable chez Henning Mankell, c'est sa capacité à mettre rapidement une enquête sur les rails. Le procédé est toujours le même : un prologue qui raconte un événement éloigné dans le temps et dans l'espace (Allemagne, 1945 ici) et un premier chapitre qui lance immédiatement l'histoire, toujours intéressante d'entrée de jeu. Le reste du roman est une sorte de course vers le passé qui finit par éclairer la scène inaugurale. Parfois, comme ici, la course est trop longue, elle souffre de redites, de passages à vide qui plombent un peu l'intérêt. C'est que Mankell a, pour la première fois, décidé de laisser au vestiaire son personnage emblématique, le commissaire Wallander, et que Stefan Lidman a un peu de mal à entrer dans des habits trop grands pour lui. Néanmoins, on finit par s'attacher à la lutte qu'il mène contre deux cancers, celui qui ronge son corps et celui qui menace la société suédoise, la résurgence du nazisme dans laquelle on retrouve le regard clinique de l'auteur sur son pays. Encore une fois, il faut déplorer la manière dont les livres de Mankell nous parviennent puisque son roman précédent, Avant le gel, avait paru à l'origine deux ans après celui-ci. On y croisait d'ailleurs un Stefan Lidman parfaitement guéri...

Vie parisienne (fin). Nous métrottons jusqu'à Jussieu, je tiens à montrer aux filles les endroits que je fréquente quand je pars des weekends entiers, et visitons la ménagerie du Jardin des Plantes, une visite que j'avais dû effectuer à l'âge qu'a Lucie aujourd'hui. Ce qui s'annonçait comme une concession faite aux loisirs enfantins se révèle être un véritable enchantement. La volière africaine donne l'impression de se plonger dans un chapitre du Monde perdu de Conan Doyle. Partout ailleurs, les bâtiments, les vitrines, qui n'ont pas changé depuis deux siècles ont encore l'air de lieux dévoués à l'étude, à la science, plus qu'à l'attraction touristique. Nous quittons la ville en début d'après-midi, il faut être à l'heure pour le match.

TV. France - Italie 1 - 1, Italie vainqueur de la Coupe du monde aux tirs aux buts. La légitime déception qu'occasionne toute défaite est compensée par la satisfaction d'échapper aux récupérations politiques et commerciales qui m'avaient tant déplu en 1998. Fin de la communion nationale, du semblant de fraternité et de France unie. Le football retourne aux beaufs et aux bas de plafond au sein desquels je compte bien toujours occuper ma place en tribune (extrait du courrier des lecteurs de Télérama, la tribune des bien-pensants, cette semaine : "A quand la Coupe du monde du tricot, que je puisse moi aussi vociférer en buvant de la bière !"; "...je regrette de vivre dans un pays qui célèbre plus un type qui tape dans un ballon que le découvreur du virus du sida", etc.). Pour ce qui est de Zidane, l'affaire montre combien il est saugrenu d'élever un footballeur au rang de modèle, surtout un footballeur dont le meilleur ami est un certain Barthez, spécialiste du crachat sur arbitre. Le footballeur est fait pour footballer, une activité qui comprend des actes et des paroles parfois détestables.

LUNDI.
Vie administrative. Dans le courrier qui nous attendait hier à notre retour je trouve, entre deux cartes postales déjà vacancières (Provence et Bretagne) et un catalogue de la Librairie du Scalaire (Lyon), un message émanant de l'Inspection académique des Vosges. Il y a quelques jours, j'ai corrigé quelques copies du Brevet des collèges, une tâche logiquement et misérablement rémunérée. Pour toucher mes quelques centimes par copie, j'ai adressé comme il se doit un état de frais aux services de l'Inspection. On me le retourne accompagné d'un papier collant, une espèce de pense-bête adhésif portant la suscription "Pas de remboursement sans convocation", un point c'est tout, le genre de mot méprisant et vaguement comminatoire que même la Sécurité Sociale n'ose plus envoyer à ses assujettis. Je réponds séance tenante, salivant devant les inépuisables délices du rond-de-cuir :

Epinal, le etc.

Philippe DIDION etc.

Objet : Frais d'examen (Brevet)

Référence : mot type "Post-It" anonyme, non daté et non référencé (voir photocopie en PJ, taille réelle)

Je vous remercie pour le mot dans lequel vous détaillez les raisons qui s'opposent au paiement de mes indemnités - il ne s'agit pas de remboursement, je n'ai pas avancé d'argent - concernant la correction du Brevet.

Je n'ai pas pour habitude de courir les centres d'examen à l'affût de copies à corriger et si j'ai passé la journée du 28 juin au collège Saint-Exupéry c'est bien parce que j'y avais été convié. La signature du chef de centre qui figure sur mon état de frais devrait suffire à prouver que je n'étais pas un intrus dans ces lieux.

Je n'ai pas conservé la convocation que vous me réclamez si aimablement mais je pense qu'une recherche rapide vous permettra d'en retrouver la trace, ne serait-ce que par l'intermédiaire de l'accusé de réception que j'ai dûment rempli, signé et renvoyé comme il me l'était demandé (sinon, je me demande bien à quoi il peut servir).

Comme vous je suppose, je n'ai ni l'habitude ni le goût du travail gratuit. S'il devait s'avérer que j'ai travaillé pour des queues de cerise en cette occasion, j'en tirerais les conséquences qui s'imposent concernant d'éventuelles futures convocations émanant de vos services.

Je vous remercie de l'attention que vous voudrez bien accorder à ma requête, vous prie de m'excuser pour mon inqualifiable négligence et vous souhaite de bonnes vacances.

Signature.

P.S. Je vous signale par ailleurs que, sur vos documents, l'original de la convocation est demandé pour les frais de mission mais pas pour les frais d'examen (voir passages surlignés) et qu'il est difficile, dans ces conditions, de deviner quels papiers il faut vous envoyer.


TV. Les Soprano (série américaine de David Chase, 2001, avec James Gandolfini, Edie Falco, Lorraine Bracco; saison 3, épisodes 6 & 7, diffusés le 1er juillet sur France 4).

MARDI.
L'ex-agité du bocal. Vermillon IV, première victime de la chaleur, ne passera pas l'été. Encore dix mille comme ça et on nous sucre le jeudi de l'Ascension.

TV. Le Cowboy (Georges Lautner, France, 1984 avec Aldo Maccione, Renée Saint-Cyr, Michel Peyrelon, Michel Beaune; diffusé sur CinéCinémas Famiz en juin 2006).
Un flic calamiteux est infiltré par sa hiérarchie dans le milieu des trafiquants de drogue pour servir d'appât.
Avec le cycle que lui consacre la chaîne CinéCinémas, on assiste impuissant à la déliquescence de la carrière de Georges Lautner. Il n'est pas le seul en cause ici puisque le scénario, dû à un Wolinski qui lui aussi connut des heures autrement plus glorieuses, est aussi indigent que la mise en scène et que l'interprétation.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un Série Noire ancienne manière et le volume Quarto consacré à Jean Tardieu.

JEUDI.
Presse. La Liberté de l'Est rend compte de la cérémonie de fin d'année au collège de Châtel-sur-Moselle et évoque le "discours des plus remarquables qui restera longtemps en mémoire des personnes présentes" de... Michel Didion. Merci papa.

Vie sanitaire. Nouvelle attaque bactériologique sur ma robinetterie intime. J'ai l'impression que ma vessie sert de rampe de lancement à tous les feux d'artifice prévus pour le 14-Juillet.

Invent'Hair. Une nouveauté, un salon "Challenge Hair", due bien sûr à MGM.

VENDREDI.
TV. Les Soprano (série américaine de David Chase, 2001, avec James Gandolfini, Edie Falco, Lorraine Bracco; saison 3, épisode 8, diffusé samedi sur France 4).

SAMEDI.
Vie administrative (suite). Je reçois une réponse de l'Inspection académique. Une lettre très formelle (une seule faute de français), très pincée, qui m'offre "à titre exceptionnel" la possibilité de toucher tout de même mes indemnités. Pour ce, je dois remplir un état de frais de déplacement pour le trajet Epinal - Epinal (et retour) que j'ai effectué pour l'occasion. Je réponds en substance que je n'ai pas conservé les tickets de ferry-boat qui m'ont permis de traverser la Moselle à deux reprises ce jour-là. Le feuilleton courtelinesque continue, et me remet en mémoire la Collection d'antonomases d'Hervé Le Tellier qui s'ouvre sur celle-ci : "Photographie noir et blanc représentant Franz Kafka se faisant expliquer la procédure à suivre pour se faire rembourser une note de frais par l'Education nationale."

Football. Je dépose les filles au choual (Lucie y récoltera sa première bûche) et réussis à accrocher la deuxième mi-temps de SAS - Besançon (1 - 1), un match de préparation qui se joue à Arches et qui permet de voir le nouveau jeu et le nouveau maillot d'Epinal, tous deux ma foi fort seyants. L'événement était annoncé ce matin dans La Liberté de l'Est par un article dont le rédacteur avait joué en virtuose du correcteur orthographique : "Pas le temps de chômer, les Espionnerions [pour Spinaliens] doivent être opérationnels pour le 5 août et la reprise du championnat qui les verra se rendre à Loverais [pour Levallois]. Les Absentons [pour Bisontins] qui ont fini 13e du groupe [...] Après avoir affronté le SAS, les Doubiens se rendront dimanche etc."

TV. Les Soprano (série américaine de David Chase, 2001, avec James Gandolfini, Edie Falco, Lorraine Bracco; saison 3, épisode 9, diffusé samedi sur France 4).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°267 - 23 juillet 2006

DIMANCHE.
Vie de quartier. Les coureurs du Triathlon des Images défilent sous nos fenêtres. Nous partons avant que les secours ne réquisitionnent ma brouette pour ramasser les déshydratés qui jonchent le trottoir.

TV. Papa (Maurice Barthélémy, France, 2004 avec Alain Chabat, Martin Combes, Yaël Abecassis; diffusé sur Canal + en juin dernier).
Un père et son petit garçon roulent apparemment sans but sur l'autoroute.
Une bonne surprise que ce film pudique très bien dosé. Les blagues continuelles que le père se sent obligé de servir à son fils dissimulent bien sûr un secret lourd à porter, un drame familial que l'on devine plus qu'il n'est énoncé. Pas de but avoué dans ce road movie, pas d'itinéraire non plus, on ne sait jamais où l'on est, là aussi tout est dans le non-dit, derrière les visages et les demi-mots prononcés ou tus. Une souffrance humaine est en voie de guérison dans un univers totalement déshumanisé, celui des aires d'autoroutes, des hôtels anonymes, des gares de péage. Alain Chabat, qui fait quelques échappées comiques très réussies, est parfait. Dans le genre, on n'est pas loin du Petit prince a dit de Christine Pascal.

LUNDI.
Lecture 1. Histoires littéraires n° 20 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, octobre-novembre-décembre 2004, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 248 p., 20 €).
Les bonnes choses du numéro : un dossier de soixante pages sur Alphonse Allais, un entretien intéressant avec Anne Ubersfeld, spécialiste du théâtre, un mot de Marcel Proust à Céleste vendu 1.400 €  ("J'ai voulu faire pipi mais rien n'est allé dans mon vase...") et la découverte d'Ivan Goll "adversaire malheureux d'André Breton dans l'accaparement du mot Surréalisme" et originaire de Saint-Dié.

Lecture 2. Le goût de la forme en littérature (Formules/Noésis 2004; 352 p., 25 €)
Actes du colloque de Cerisy "Ecritures et lectures à contraintes" 14 - 21 août 2001.
"Contrainte, norme et effet de contrainte", "Logique de la contrainte", "Hypertexte et contrainte", "L'arbitraire de la contrainte" et bien sûr "Définir la contrainte" : on trouve, dans les intitulés des interventions à ce colloque bon nombre de sujets qui, cycliquement, agitent la [listeoulipo] et donnent rarement lieu à des réponses définitives. On notera tout de même ici un point de vue différent, celui du lecteur, traité par David Bellos dans "L'effet contrainte", Bellos qui s'interroge, comme le fait Hervé Le Tellier dans sa récente Esthétique de l'Oulipo, sur la réception des textes contraints. A l'image de la revue Formules, c'est très dense, très fouillé, parfois très technique et pas toujours très abordable. J'avoue pour ma part la lassitude qui me prend à lire des passages du genre "la règle d'écriture comme la règle de lecture associées sont deux stratégies textuelles, l'une caractéristique de l'Auteur Modèle au sens où l'entend Eco, l'autre du Lecteur Modèle, et la contrainte [...] pourrait se définir comme la méta-règle qui les a engendrées et instaure, toujours dans une visée scholastique, leur nécessaire coexistence. Le paradoxe de l'acceptation d'un fonctionnement rhétorique dans une conception scholastique du texte serait ainsi levé : la rhétorique est la forme de surface que prend, au moyen de deux règles disjointes, l'expression d'une méta-identité du texte." A noter un beau développement dû à Uwe Schleypen sur le paradoxe d'Achille et la tortue de Zénon revu par Jacques Roubaud.

TV. Vincent, François, Paul... et les autres (Claude Sautet, France, 1974 avec Yves Montand, Michel Piccoli, Serge Reggiani; diffusé ce mois sur CinéCinémas Emotion).
C'est assurément le sommet de la période Sautet - Dabadie. Grâce à une poignée d'acteurs au sommet de leur art (le trio de tête) et à d'autres en plein devenir (Depardieu) les auteurs parviennent à donner du crédit et de l'intérêt à des personnages qui, en tant que représentants de la petite bourgeoisie des années 1970, n'ont a priori rien de folichon. Le sommet social auquel ils viennent de parvenir s'avère fragile : le chef d'entreprise n'arrive plus à régler ses traites, le médecin a du mal à renier ses convictions pour se lancer dans le montage d'une clinique huppée, l'écrivain est en panne d'inspiration et leurs épouses bovarysent à qui mieux mieux. S'ils tiennent encore debout, c'est grâce au ciment de l'amitié, une amitié vraie, pas idéale, qui est faite aussi de bouderies, de petites lâchetés et de gros coups de gueule. Il n'y a rien de glorieux là-dedans, rien de flamboyant, juste des vies qui, tout à coup, se révèlent moins faciles qu'on le croyait.

MARDI.
TV. Avant qu'il ne soit trop tard (Laurent Dussaux, France, 2004 avec Frédéric Diefenthal, Emilie Dequenne, Elodie Navarre, Olivier Sitruk; diffusé sur Canal + en juin dernier).
Une bande de copains se réunit une dernière fois dans un chalet lourd de souvenirs et promis à la vente.
Certains films sont assez grands pour se descendre tout seuls, celui-ci en fait partie, mais il y a une certaine cruauté involontaire à le voir au lendemain de Vincent, François, Paul... et les autres. Les préoccupations des jeunes torturés mis ici en scène n'arrivent pas à la cheville de celles des quasi-quinquas des années soixante-dix présentés par Sautet. Leurs interprètes non plus.

MERCREDI.
Vie sportive. Je suis le premier abonné du SAS football pour la saison 2006 - 2007. Enfin, relativisons, peut-être le premier sur trois ou quatre.

Deuil chez les Papous.
"En novembre 1981, dans l'émission Mi-fugue, mi-raisin de Bertrand Jérôme, Perec dresse la liste, volontairement arrêtée à trente-sept, des choses qu'il voudrait faire avant de mourir." (Georges Perec, Entretiens et conférences II).

TV. L'Homme qui regardait passer les trains (The Man Who Watched the Trains Go By, Harold French, G.-B., 1952 avec Claude Rains, Marius Goring, Marta Toren, Anouk Aimée, Herbert Lom, Ferdy Mayne; diffusé ce jour sur CinéCinémas Classics).
Groningen (Hollande). Un comptable découvre que son patron pique dans la caisse. Suite à une dispute qui oppose les deux hommes, le patron tombe dans un canal. Persuadé qu'il est devenu un meurtrier, le comptable s'enfuit à Paris.
On peut être surpris de voir un roman de Simenon adapté par un cinéaste anglais, fût-il nommé French. En fait, en 1948, André Gide caressa le projet d'obtenir les droits pour confier l'histoire à Marc Allégret mais ce sont les Anglais qui raflèrent la mise. Il n'y a pas de regret à avoir, c'est du travail bien fait, porté par un Claude Rains surprenant en M. Tout-le-monde obligé d'endosser à son corps défendant un costume d'aventurier.

JEUDI.

TV. Le Courage d'aimer (Claude Lelouch, 2005 avec Michel Leeb, Mathilde Seigner, Arielle Dombasle, Maïwenn Le Besco, Pierre Arditi; diffusé ce mois sur Canal +).
Les destins croisés d'un chanteur des rues, d'un géant de la pizza, d'une serveuse, d'une femme de chambre et d'autres encore.
Il est formidable, Claude Lelouch. Avec les gamelles qu'il se prend à chaque film, il trouve toujours le moyen, les moyens plutôt, de mener à bien des projets. Pour ce faire, il convoque quelques vieux camarades (Charles Gérard, Pierre Barouh, Ticky Holgado...), sa famille, dans laquelle il est aussi aisé de se retrouver que dans la smala Hallyday (Alessandra Martines, Vincenzo Martines, Sarah Lelouch, Salomé Lelouch...), quelques volontaires du show-biz (Serge Moati, William Leymergie, Robert Namias...), commande une musique pompière à Francis Lai, griffonne quelques départs d'histoires harlequinesques dont certaines seront inexplicablement oubliées en cours de route, et vogue la galère. Au moins il n'y a pas tromperie sur la marchandise, le film est largement aussi cucul que le titre qu'il porte. Après, Lelouch s'étonne que le nombre de spectateurs pour la première semaine d'exploitation de son film ne correspond même pas à celui de ses anciennes épouses, crie au scandale, au complot, à la cabale et recommence. Formidable Lelouch.

VENDREDI.
Canicule. J'achète un polar russe, histoire de rafraîchir la bibliothèque.

Lecture. Esthétique de l'Oulipo (Hervé Le Tellier, Le Castor Astral, 2006; 336 p., 19 €).
Critique à rédiger pour La Liberté de l'Est.

SAMEDI.
Courrier. MGM arpente le Roussillon pour l'Invent'Hair. Souhaitons qu'il soit aussi efficace dans le Blondillon et le Brunillon.

Vie de quartier. Le coiffeur d'en face donne libre cours à sa verve décoratrice et orthographique.

Vie sociale. Arrivée de Y. et de sa mâle progéniture.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°268 - 30 juillet 2006

DIMANCHE.
Lecture. Carnet de notes 1980 - 1990 (Pierre Bergounioux, Verdier, 2006, 960 p., 35 €).
Journal.
Drôle de corps que ce Bergounioux. Au cours de la décennie traitée ici, l'homme habite Gif-sur-Yvette, il est professeur de lettres, agrégé, dans un collège voisin, marié à Cathy, apparemment chercheuse au CNRS, deux enfants. Il partage sa vie entre Gif et la Corrèze, où il a ses racines : ses parents habitent toujours à Brive et sa femme a hérité d'une maison de famille aux Bordes. Gif sert de cadre à la vie professionnelle, domestique, routinière et fatigante, la Corrèze permet des échappées vers la nature, la pêche, l'entomologie et la création artistique, le travail du bois et du métal essentiellement. Mais Gif va devenir le centre d'une autre occupation, l'écriture, et entre 1984 et 1989, Bergounioux publie six livres chez Gallimard.
A ce stade, il y a déjà de quoi s'étonner. Voilà un type qui mène une vie qu'on peut dire aisée sur le plan matériel et sentimental, qui rencontre une certaine fortune littéraire - chez Gallimard, on ne l'a pas livré aux mains d'un sous-fifre, c'est Pascal Quignard qui s'occupe de lui, il remporte un prix, est régulièrement accueilli sur France Culture - et pourtant, pas une once d'autosatisfaction ni même de satisfaction tout court, pas un signe de joie alors que j'en connais qui font des bonds de cabri dès qu'ils apparaissent dans La Liberté de l'Est. Cette insatisfaction gouverne sa vie entière : le travail d'enseignant est une torture, le travail littéraire en est une autre. Les deux pages quotidiennes qu'il parvient à couvrir sont le fruit d'un labeur incessant qui le tient enchaîné à sa table de travail, en proie à des souffrances qu'on croyait révolues depuis Flaubert.
Quand il n'écrit pas, quand il n'enseigne pas, quand il n'est pas accaparé par les tâches domestiques, Bergounioux lit. Ou plutôt dévore, engloutit. Peu de littérature pure, Faulkner, qu'il vénère, Giono, un peu de Beckett mais surtout des grammaires, des traités de géologie, d'entomologie, de l'ethnologie aussi, de la sociologie, des récits de voyages, des ouvrages techniques qu'il ramasse par brouettes entières chez les bouquinistes. Pour expliquer cette boulimie, Bergounioux fait référence à une crise survenue à l'âge de dix-sept ans, "l'âge où j'ai cessé de vivre, résolu de comprendre de quoi il retournait puisque personne n'avait pu me donner d'explications satisfaisantes à ce sujet, puis d'agir en conséquence." Depuis, il n'a qu'un but, "comprendre ce qui s'est passé avant que tout finisse", qu'un moyen pour l'atteindre, étudier, "lire les livres qui éclairent comme des lampes. Sans le loisir de m'y enfoncer chaque fois que je peux, le plus longtemps possible, je crèverais."
On sait maintenant que Bergounioux n'est pas un rigolo. C'est un austère, un austère qui ne se marre pas du tout. Pourtant, il y a des moments drôles dans ce journal, du comique involontaire bien sûr, comme lorsque il débarque à Marseille (Bergounioux voyage peu, à part la Corrèze, on ne le verra qu'à Bordeaux et à Marseille) et se mue sans s'en rendre compte en ethnologue ("Il existe un type indigène assez nettement marqué, visage moyen, un peu empâté, mat, noir de poil, aux traits réguliers, flegmatique"), ou lorsqu'il se retrouve à la Fête départementale du PCF où il a accepté de donner un coup de main et où il contemple, effaré, ses camarades de parti, se rendant soudain compte que son goût pour le peuple ne va guère plus loin que son bulletin de vote, ou encore lorsque un gars du bâtiment lui offre un Ricard qu'il ne peut refuser et qui le met sur le flanc pour la journée. La santé est d'ailleurs un perpétuel souci. Victime de phlegmons à répétition, Bergounioux redoute une nouvelle attaque et cette inquiétude lancinante vire presque à l'hypocondrie ("Jean arrive mal en point. J'appelle le docteur. C'est la grippe. Je me fais examiner par la même occasion.")
On se trouve donc aux prises avec un homme qui refuse le futile, qui passe la majeure partie de son temps à se plaindre, souvent de manière grandiloquente. Comment se fait-il donc que son journal se révèle à ce point attachant que j'ai dû en contingenter la lecture, quarante pages par soir en période de vacances, dix en période de travail, non pas par crainte d'indigestion mais par peur d'y passer des nuits blanches, de ne pouvoir m'arrêter et de le finir trop vite ? Parce que, il faut bien le dire, c'est passionnant. A cause de la personnalité du bonhomme, on l'a vu, de la sincérité totale dont il fait preuve (jamais on ne le pense à le mettre en doute, jamais on ne soupçonne une pose à la Chateaubriand), et à cause de la langue qu'il emploie. Un flot puissant, parfois démesuré, qui polit les galets des mots, des phrases, une rigueur syntaxique, un vocabulaire d'une immense richesse qui fait que, comme le remarquait Jean-Claude Bourdais, les notations météorologiques qui émaillent le livre (et il y en a des centaines) n'utilisent jamais les mêmes mots, jamais les mêmes images. A cause aussi de l'empathie qui finit par se créer avec l'homme. Non que celui-ci déploie des trésors de séduction mais parce que, c'est le propre de ces ouvrages quand ils sont réussis, on finit par l'accepter comme un compagnon de sa propre vie, on s'attache à lui et parce que le manque d'indulgence dont il fait preuve pour lui-même vous renvoie à votre propre médiocrité.
A part les débuts littéraires, quatre événements viennent baliser la vie de Bergounioux au cours de ces dix ans. L'achat d'une maison suivi d'un déménagement et trois épisodes dramatiques, l'hospitalisation d'un fils, la perte d'un ami et la mort du père. L'ami, c'est Norbert, beau-frère peut-être, enfin vaguement apparenté. Un jour, Norbert fait une chute au cours d'une course en montagne. Tombé dans le coma, ballotté d'hôpitaux en centres spécialisés, il ne retrouvera jamais la parole, ni la mobilité, ni la conscience et mourra deux ans plus tard. Pendant ces deux années, Bergounioux héberge chez lui la femme et la fille de Norbert, lui rend visite des après-midis entières une ou deux fois par semaine, passe son temps à lui parler, à l'appeler, à le solliciter, à le rudoyer pour essayer de le ramener à la vie. Sans aucun résultat. Là, pas de plainte sur le temps gâché, pas de lamentation, juste la douleur immense de voir un ami le quitter inexorablement. Avec le père, c'est autre chose. Dès la deuxième page du journal, on devine que les relations avec lui n'ont jamais été simples : "Papa appelle vers dix heures, me brocarde, comme ça, d'entrée de jeu, et je me sens profondément blessé, dépouillé de tout, comme anéanti, comme au temps de l'enfance. Vers quinze ou seize ans, aux pires heures, je me demandais quels seraient nos rapports lorsque je serais devenu adulte. Je suis fixé, maintenant. Ce sont les mêmes." Bergounioux n'en dira jamais beaucoup plus mais on sent un père cassant, autoritaire, haï, qu'il a fallu fuir sous peine d'aliénation totale. Et puis le père entame une rapide déchéance sous le signe d'Alzheimer et arrive le temps des regrets, du temps perdu, les vains efforts pour se raccrocher aux dernières branches et puis la mort qui ne laisse qu'un immense chagrin.
Avec la mort du père, on est arrivé au bout de ces dix ans. C'est le moment de se retourner, de regarder en arrière, de faire le bilan de ce qu'on a appris sur ce Bergounioux. Enervant plus souvent qu'à son tour, c'est sûr. Ses lamentations perpétuelles sur lui-même ("Cela fait des années que je suis malheureux"), sur ses enfants (à qui, pendant les vacances, il inflige une rédaction quotidienne) et sur son métier ont de quoi agacer. Bon, on sait que ce n'est pas toujours facile à vivre mais quinze heures de cours, ce n'est pas non plus quarante heures aux portes des fours à chaux. D'ailleurs, il en convient : "De quel autre métier aurais-je pu m'accommoder ? Celui que j'exerce est le seul qui me laisse le temps d'explorer l'ombre énorme qui nous environne..." Parce qu'il ne se trompe pas sur lui-même, il est lucide. Il a fait un choix, à dix-sept ans, et il l'assume : "le seul bien véritable, le présent, ses authentiques et charmants habitants, je n'en aurai pas connu le goût, la douceur, la simple réalité." La vie qu'il a choisie est tout simplement impossible à mener : "Comment étudier, pêcher, traquer les bêtes, chercher les pierres, les fossiles, peindre, modeler, menuiser, fondre, forger, rêver, respirer, regarder de tous ses yeux, être époux et père, professeur, fils et camarade, apprendre, avancer, ne pas oublier, ne jamais céder quand je suis sous la menace chronique d'être pris à la gorge sans rémission ?" Donc Bergounioux s'expose, se livre, sans chercher à se justifier dans un texte courageux. Parce que l'homme est aujourd'hui reconnu, on le voit à la télévision, il a sa place dans la littérature et il prend le risque ici d'apparaître sous un jour qui n'est pas constamment favorable. On peut penser que ce long journal n'était pas destiné à la publication, que c'était un texte d'accompagnement personnel. D'où, de qui vient l'idée de la publication ? de l'éditeur, de lui-même ? on n'en sait rien. Mais on espère que la suite nous sera donnée à lire parce qu'on n'a pas tous les jours l'occasion de voir un bloc humain se livrer ainsi.
Anecdote. Bergounioux a mal à la tête. A Argentat, "le pharmacien, sur la place, refuse de vendre du Glifanan à Cathy." Renseignement pris auprès de mes autorités conjugales, il a bien fait. Le Glifanan a d'ailleurs depuis été retiré de la vente pour les risques hémorragiques qu'il impliquait.
Vocabulaire. "Il installe un flash et un réflecteur dans le bureau et photographie ma tête de Carême-Prenant sous toutes les coutures." Carême-prenant, sm. Les trois jours gras avant le mercredi des Cendres, et particulièrement le mardi. Personne masquée pendant ces jours gras, et fig., ridiculement vêtue. (Littré)
Citation. "De n'être pas rongé d'inquiétude, voilà qui m'inquiète."

LUNDI.
Courrier. Arrivée d'une carte postale d'Avignon et du numéro 26 d'Histoires littéraires, ce qui permet la mise en ligne de mes chroniques parues dans le numéro précédent. Au menu, l'actualité littéraire, l'enseignement littéraire, René Fallet et un dictionnaire du polar.

TV. Adieu blaireau (Bob Decout, France, 1984 avec Philippe Léotard, Annie Girardot, Jacques Pénot, Juliette Binoche, Amidou; diffusé ce mois sur CinéCinéma Famiz).
Un loser accepte de devenir tueur à gages pour éponger ses dettes de jeu.
C'est un hommage au film noir américain avec des situations stéréotypées et des plans très stylisés qui n'aurait pas grand intérêt si on n'y croisait un Philippe Léotard tout à fait conforme à son image, celle d'un type qui a tout pour réussir et qui flambe allégrement tous les atouts qu'il a en main. Comme certains films avec Patrick Dewaere, Adieu blaireau apparaît comme un film prémonitoire, une histoire de mauvais présage, une dernière pirouette avant le grand saut et se révèle, pour cela, plutôt émouvant.

MARDI.
Vacances (à venir).
Je téléphone au propriétaire de la maison où nous devons séjourner pour l'entretenir de sujets futiles (l'adresse exacte du gîte, la taille des lits pour les draps à emporter) et lui poser une question cruciale que la sécheresse rend taraudante : y a-t-il encore de l'eau dans l'étang ? La réponse est à demi rassurante, le niveau a baissé à cause du temps et d'une fuite que l'homme n'arrive pas à colmater. Cependant, il devrait rester de l'eau et des poissons à notre arrivée. Il y a du gardon et du poisson-chat (prévoir des gants).

MERCREDI.
Courrier. Une carte postale d'Aix, où le Cézannotropisme fonctionne à plein.

Vacances (occupations de).
J'inscris Alice à un stage de natation. Maintenant qu'elle a ôté les stabilisateurs de son vélo, on peut passer à la deuxième étape du triathlon.

JEUDI.
Courrier. Une carte postale de Bretagne.

Emplettes.
J'achète le dernier Lawrence Block (à lire), les Notes de chevet de Sei Shônagon (à picorer), le Da Vinci Code (à survoler) et rafle au passage, au siège de La Liberté de l'Est, le dernier François Bon (à chroniquer).

TV. Trois couples en quête d'orages (Jacques Otmezguine, France, 2004 avec Samuel Labarthe, Aurélien Recoing, Claire Nebout, Laurence Côte, Hippolyte Girardot; diffusé le mois dernier sur Canal +).
Olivier se retrouve handicapé à la suite d'une rupture d'anévrisme. Ses amis se regroupent pour l'aider.
Mais ces bons amis ont aussi leurs problèmes : l'enfant que Rémi et Estelle ne peuvent avoir, les tracas de l'adoption, la tentation de l'adultère vécue par Pascale, sans compter le caractère de cochon du malade, qui envoie tout le monde promener. Quand on saura que ces braves gens sont haut fonctionnaire au Quai d'Orsay, cinéaste, député, sculpteur, etc., que les répliques qu'ils échangent, frappés au sceau de la psychologie de bout de chandelle et de la philosophie de même ampleur, on se dit que l'intérêt mitigé que réussit à susciter Jacques Otmezguine en filmant leurs pauvres turpitudes est une sorte d'exploit. Les acteurs y sont pour beaucoup, Recoing, on le connaît, mais Labarthe est une découvert intéressante, notamment par sa diction très proche de Trintignant.

VENDREDI.
Courrier. Une carte postale. Les Alpes, cette fois.

Emplettes. Acquisition d'une nouvelle auto. La vendeuse, qui a vite compris qu'il valait mieux s'adresser à Caroline qu'à moi pour vanter ses produits, en montrant un modèle : "Celui-ci est sympa." J'en étais sûr. Je n'ai pas eu le temps de le parier mais j'en étais sûr. Nous vivons une époque sympa. Sympa l'andouillette proposée par le loufiat, sympa le motif à fleurs présenté par le marchand de papier peint, sympa le petit string en fibre de coco vanté par la vendeuse, d'ailleurs elle porte le même, sympa le gouvernement qui use des ondes télévisées et radiophoniques pour vous apprendre qu'il n'est pas malvenu de boire un coup quand il fait chaud et même, soyez sympa, d'ondoyer vos bambins et vos aïeux (qui, conséquence cocasse, ont commencé cette semaine à encombrer les couloirs des hôpitaux pour cause d'hyperhydratation). Par contraste, les gens qui refusent à un moment donné d'apparaître comme sympa (Materazzi, Zidane pour citer deux exemples récents, Bergounioux, des politiques comme Chevènement ou oui, pourquoi pas, Sarkozy) apparaissent soudain sous un jour plus, comment dire, sympathique.

SAMEDI.
TV. F.C. Gueugnon - F.C. Metz : 0 - 1 (en direct sur Eurosport). Retour au football des champs puisque c'est en deuxième division que je suis condamné à suivre les exploits du F.C. Metz. Premier match prometteur dans un stade qui, par son architecture, son implantation et son coefficient de remplissage a des petits airs de Colombière.

Vie sociale. Arrivée des H, porteurs d'une bouteille "La Cuvée du Restaurant" dont les qualités gustatives douteuses sont largement compensées par le nom du viticulteur qui a procédé à sa mise en bouteille : P. Bourrré (maison fondée en 1880). Les H s'apprêtent à séjourner en Hollande, histoire de vérifier s'il reste quelques habitants dans ce pays ou s'ils sont tous venus risquer leur peau sur les routes de France.

Bon dimanche et bonnes semaines.