Notules dominicales
de culture domestique n°245 - 5 février 2006 DIMANCHE.
Retour. Je résiste aux sirènes
de la poule au pot dominicale chez les N et rentre au bercail à temps pour
le turf et les notules. TV (1). Football.
Lille - Metz 3 - 1 (en direct sur Canal + Sport). C'est la dernière occasion
de voir le FC Metz, promis à une peu glorieuse et certaine relégation,
évoluer dans l'élite. La saison prochaine, le championnat de première
division n'aura plus aucun intérêt et il faudra s'enthousiasmer,
perspective peu réjouissante, pour des joutes du calibre de Metz-Gueugnon
ou Metz-Châteauroux. TV (2). La
Felicita. Le Bonheur ne coûte rien (La felicita non costa niente,
Mimmo Calopresti, Italie, 2003 avec Mimmo Calopresti, Francesca Neri, Vincent
Perez, Fabrizia Sacchi, Valeria Bruni Tedeschi, Laura Betti; diffusé sur
Canal + en ?). Un architecte romain en pleine réussite remet sa vie
en question après un accident de voiture, rompt avec ses amis, son épouse,
et sombre. C'est une belle plongée dans la dépression, la vraie,
la noire, profonde, celle qui vous atteint et se colle à vous sans raison
apparente, celle contre laquelle vos efforts et ceux de vos proches sont absolument
vains. Mimmo Calopresti, comme acteur et comme réalisateur, parvient si
bien à rendre cet état qu'on ne peut que penser à un film
en grande partie autobiographique. LUNDI. Courriel.
Echanges avec AN et JMP au sujet de Paul Souffrin, spécialiste de Queneau
aperçu samedi à Luxembourg mais raté à la sortie du
théâtre. TV. L'Argent
(Robert Bresson, France, 1983 avec Christian Patey, Sylvie van den Elsen, Caroline
Lang; diffusé sur CinéCinémas Auteur en mai 2003). Un
jeune homme accusé de trafic de fausse monnaie et de participation à
un hold-up devient meurtrier à sa sortie de prison. C'est le dernier
film de Bresson, peut-être le plus fluide, le moins austère. Mais
cette fluidité et cette apparente simplicité sont au service de
la noirceur la plus profonde, du film le plus désenchanté de son
oeuvre, ou du moins de ce que j'en connais. Il pèse sur le héros
de l'histoire un fatum implacable et désespérant. Comme de coutume,
Bresson traite son sujet de façon neutre, sans effet de voix ou de caméra
(l'homme se lave les mains dans un lavabo, l'eau est rougie, c'est tout ce qu'on
a comme éléments pour savoir qu'il vient de commettre un crime),
ouvre un oeil glacé sur une époque où la matière,
l'argent, a pris le pas sur l'esprit. MARDI. Vie
canine. Alice perd sa première dent. Vie
sans surprise (SVP). Y me livre le récit d'un anniversaire surprise.
Ce n'est pas la première fois que j'entends parler de ça dans mon
entourage. Le principe est simple : tout le monde est au courant, sauf l'impétrant
qui voit débouler un beau jour (puisque c'est celui de son anniversaire)
tous ses joyeux amis réunis pour le fêter. Les exemples que je connais
ont donné lieu à force réjouissances mais si je prends la
peine d'en parler ici c'est pour dissuader quiconque aurait l'idée généreuse
d'entreprendre une telle opération à mon endroit. Je n'aime pas
les surprises, je ne raffole pas des anniversaires. Et puis, si c'est un jour
où le SAS joue à domicile, ce n'est pas la peine de se déplacer,
je ne serai même pas là. MERCREDI. Emplettes.
J'achète du polar, du Voltaire en Pléiade et du Laforgue, beaucoup
de Laforgue. Lecture. Méditerranée
(catalogue d'exposition, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 19 septembre
2000 - 15 janvier 2001, visitée en janvier 2001; Réunion des musées
nationaux, 2000; 240 p., 190 F). Les articles de présentation qui précèdent
le catalogue proprement dit échappent aux généralités
banales qu'on trouve souvent en ouverture de ce genre d'ouvrage. Le premier raconte
comment un univers longtemps perçu comme hostile, la mer ("On en a
besoin mais on la craint : elle est le contraire d'une source d'apaisement et
de plaisir [...] jusque dans les années 1850-1860, la peinture ne la représente
qu'au travers des activités maritimes, commerciales ou guerrières"),
est devenu synonyme de beauté, de loisir, de repos et de plaisir. Les raisons
sont d'abord sanitaires : les premiers artistes (à l'exception des locaux
bien sûr) à découvrir la Méditerranée, à
la peindre dans sa nudité "sans personnages, sans allusion antique,
sans portique ou arbre pour caler le paysage" y sont venus pour se soigner,
profiter de l'air et du climat. Ils découvrent, s'émerveillent,
ils écrivent, ils en parlent, ils invitent, ils reviennent et peu à
peu le lieu devient couru, la villa remplace le sana. En 1906, par exemple, on
peut visiter Cézanne à Aix, Cross à Saint-Clair, Signac à
Saint-Tropez, Valtat à Agay, Renoir à Cagnes, Manguin à Collioure,
Derain et Braque à L'Estaque, Kupka à Théoule... On vient
de loin, Van Gogh le premier mais aussi Edvard Munch qui, à Nice, conçoit
son fameux Cri. Les artistes sont séduits par la lumière,
les couleurs, mais Georges Roque, dans un autre article, montre que l'opposition
entre un Nord terne et un Midi coloré est trop simple : "C'est le
Nord, la Hollande, par exemple, qui est coloré, tandis que le Midi est
lumineux" (Van Gogh), "Le Midi ressemble à Asnières, mêmes
routes poussiéreuses, mêmes toits rouges, même ciel légèrement
grisé" (Signac). N'empêche, la Méditerranée, c'est
le paradis, et c'est ainsi que Cross (L'Air du soir), Matisse (Luxe,
Calme et Volupté) et Maurice Denis (Eurydice) vont la peindre,
comme une nouvelle Arcadie, un cadre aux images de l'Âge d'Or. On trouve
aussi une étude originale sur la représentation de la Méditerranée
dans le grand décor, ces commandes passées par l'Etat, les municipalités
mais aussi les sociétés privées destinés à
décorer leurs établissements de façon prestigieuse : Signac
travaille pour la mairie de Montreuil, Frédéric Montenard pour le
Buffet de la gare de Lyon, Puvis de Chavannes doit décorer le grand escalier
du nouveau Musée des Beaux-Arts de Marseille (on peut voir ses esquisses,
appartenant à la collection Phillips, au Musée du Luxembourg).
Curiosité. La bibliographie signale un ouvrage intitulé Sculptures
du jardin du Louvre, du Carrousel et des Tuileries signé Geneviève
Bresc et Anne Pingeot, qui ne fut donc pas que la maman de Mazarine.
TV. Football. Marseille - Metz : 2 - 0. Pas
de miracle. Pas d'importance non plus, c'est la Coupe de France, une épreuve
pour laquelle j'ai peu d'affection. La Coupe c'est, selon une légende bien
entretenue, l'occasion pour David de vaincre Goliath, pour le petit club régional
de croquer une grosse formation professionnelle. Et parfois, ça marche
: ce soir, Colmar élimine Monaco. C'est alors que démarre l'ode
au clocher, la glorification des crampons anonymes. On se souvient de l'odyssée
de Calais, qui parvint en finale il y a quelques années, les braves pioupious,
c'est ma femme qui lave mes maillots, terre ingrate, gueules noires et coeurs
purs qui s'empressèrent, l'entraîneur en tête, de monnayer
au plus vite leur furtive gloriole dès le coup de sifflet final. La Coupe
de France est parrainée par TF1, ce n'est pas un hasard : elle ressemble
à un journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut, la France
tranquille, l'authenticité du terroir, la pureté de la province,
la terre, elle, ne ment pas et tutti quanti alors que quiconque s'intéressant
un peu au football sait bien que la mentalité, détestable, est la
même à tout étage de la hiérarchie, que les matches
des petits clubs s'apparentent à des combats de voyous que de moins en
moins d'arbitres acceptent de diriger et que la Coupe de France n'a eu de réelle
valeur qu'en 1984 et 1988 quand le FC Metz l'a emportée.
Cinéma. Je vous trouve très beau. C'est le film
que Caroline est allée voir ce soir. Au retour, elle me fait part de la
légère hésitation qui s'empare de tout spectateur au moment
d'énoncer le titre au caissier. C'est une des raisons pour lesquelles je
ne suis jamais allé voir Baise-moi au cinéma. JEUDI.
Vie aquatique. La journée débute
sous des trombes d'eau. Curieux phénomène météorologique
en ces jours où il gèle à pierre fendre mais il faut dire
qu'il est circonscrit à notre cuisine dont le plafond laisse passer des
cataractes issues de la salle de bains du haut. TV.
24 heures chrono (24, série américaine de Robert Cochran
& Joel Surnow avec Kiefer Sutherland, Kim Raver, William Devane, Mary Lynn
Rajskub; saison 4, épisodes 21 & 22, diffusés sur Canal + le
soir même). VENDREDI. Courrier.
Poursuite de la correspondance avec Agathe Fallet. J'envoie des coupures à
Y et des aptonymes à AZ. Vie familiale.
Lucie connaît sa première expérience de fan en
assistant à un concert au Zénith de Nancy. Resté seul avec
Alice, je joue au père divorcé avec trucs mous, frites, musique
à fond et chaussettes qui traînent. TV.
Amour et Amnésie (Peter Segal, E.-U., 2004 avec Adam Sandler, Drew
Barrymore, Rob Schneider; diffusé sur Canal + en janvier 2006). Henry
tombe amoureux d'une jeune femme qui souffre de troubles de la mémoire
immédiate : elle s'éveille chaque matin sans aucun souvenir
de la veille. Il serait exagéré de parler d'un film audacieux
mais le refus du happy end rend cette comédie sentimentale plutôt
intéressante. Non, la jeune fille ne retrouvera pas la mémoire,
ni à la suite d'un choc, ni après un long traitement et Henry sera
obligé de la reconquérir chaque jour. Ce jeu de la séduction
perpétuelle se transforme en célébration de l'amour inusable,
car constamment remis en cause. Une bonne idée, servie par des interprètes
attachants. Bon dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°246 - 12 février 2006 DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental.
147 kilomètres parcourus pour pouvoir écrire une simple phrase :
"Il n'y a pas de monument au morts au Beulay." Presse.
Parution de deux chroniques dans La Liberté de l'Est, disponibles ici :
http://pdidion.free.fr/chroniques/chroniques_2006.htm
TV. Breaking the Waves (Lars von
Trier, Danemark, 1996 avec Emily Watson, Stellan Skarsgard, Katrin Cartlidge,
Jean-Marc Barr; diffusé sur ARTE en ?). Bess, un fille un peu simple
d'un village écossais, épouse Jan, qui travaille sur une plate-forme
de forage. Un accident de travail laisse Jan paralysé. Il demande à
Bess de s'offrir à d'autres hommes et de lui raconter ses aventures sexuelles.
Dans le genre mélodrame outrancier, Breaking the Waves est plus
réussi que Dancer in the Dark que Lars von Trier tournera quatre
ans plus tard. Peut-être parce qu'Emily Watson est meilleure que Björk,
peut-être parce que l'histoire semble plus crédible... Il faut tout
de même, pour suivre ce réalisateur, avaler bon nombre de couleuvres.
Pour accepter sa méthode "dogmatique", pour refuser le ridicule
de certaines scènes, celles où Bess dialogue avec Dieu dans l'église,
Don Camillo en kilt... Le mérite du réalisateur est de parvenir
à repousser ces réticences, à donner de la crédibilité
au personnage de Bess qui, coincée entre une communauté de cagots
et un cadre où tout invite à se jeter du haut de la falaise, s'impose
peu à peu au spectateur. L'évangile selon Lars von Trier (car le
film n'est rien d'autre que l'illustration de la phrase des Béatitudes
"Heureux les pauvre en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux",
Matthieu, 5,3) peut faire bondir dans les sacristies, il est osé, il est
dérangeant, mais il semble porté par une foi véritable.
Curiosité. La dimension horrifique du film n'a jamais fait l'objet d'un
quelconque commentaire. Il y a pourtant un côté gore indéniable
à voir un homme, Jan, livré pendant deux heures aux mains des services
de santé britanniques. LUNDI. TV.
Six Feet Under (série américaine d'Alan Ball avec Michael
C. Hall, Peter Krause, Lauren Ambrose, Frances Conroy, Rachel Griffiths; saison
5, épisode 1, diffusé la veille sur Canal Jimmy). Dernière
saison en compagnie des Fisher, les croque-morts de Los Angeles. L'accumulation
des névroses dont la description a peu à peu pris la place de l'humour
noir au fil des saisons précédentes aboutit à un désir
d'enfant partagé par plusieurs membres de la famille, histoire d'évacuer
lesdites névroses sur quelque chose de neuf. Si l'épisode n'est
pas passionnant, le prologue qui, comme c'est la tradition, met en scène
une mort violente qui apporte de la clientèle aux Fisher, est très
réussi. MARDI. Courriel.
Je reçois un mot très aimable d'une dame des éditions Fayard
désireuse de connaître ma critique du livre d'Olivier Bordaçarre
parue avant-hier. J'ai peur que ce que je lui envoie ne corresponde pas vraiment
à ses attentes. Sa réponse sera nettement plus froide. Mais même
les pleutres doivent assumer. TV.
L'Ex-femme de ma vie (Josiane Balasko, France, 2004 avec Karin Viard, Thierry
Lhermitte, Josiane Balasko; diffusé sur Canal + en février 2006).
Un romancier voit débarquer son ex-femme au moment où il doit convoler
en secondes noces. Une comédie de remariage sans surprise dans laquelle
Balasko et Lhermitte essaient de redonner vie à leur ancienne complicité.
Ce n'est pas très convaincant, eux-mêmes semblent avoir du mal à
y croire. Karin Viard, qu'on voit peu dans la grosse comédie, est plus
intéressante, dans un rôle de pot de colle enceinte jusqu'aux dents
(largement proéminentes) qui rappelle celui de Marie-Anne Chazel dans le
Père Noël est une ordure. MERCREDI. TV.
La Maison dans l'ombre (On Dangerous Ground, Nicholas
Ray, E.-U., 1951 avec Ida Lupino, Robert Ryan, Ward Bond, Charles Kemper, Anthony
Ross; diffusé sur CinéClassics en 2000). Jim Wilson, flic violent,
est envoyé enquêter à la campagne à la suite d'un interrogatoire
trop musclé. Il s'éprend de la soeur aveugle du meurtrier qu'il
recherche. C'est mon premier Nicholas Ray, ce qui n'est pas très glorieux
à mon âge, un film surprenant, vraiment atypique. En moins d'une
heure et demie, le réalisateur a le temps de donner un film urbain traditionnel
(les flics en maraude, les poursuites, les arrestations, les passages à
tabac) et un film rural inattendu, une poursuite dans un paysage enneigé
où le personnage de Wilson subit une transformation spectaculaire. Cet
homme tourmenté, interprété par un Robert Ryan impressionnant,
reçoit une sorte d'illumination grâce à une aveugle qui le
remet sur la bonne voie. Sans mélodrame, sans fioritures, la main sur le
chronomètre, Ray s'attaque à la loi du talion, à la violence,
à la folie avec un art consommé, soutenu par une belle partition
de Bernard Herrmann. JEUDI. TV.
24 heures chrono (24, série américaine de Robert Cochran
& Joel Surnow avec Kiefer Sutherland, Kim Raver, William Devane, Mary Lynn
Rajskub; saison 4, épisodes 23 & 24, diffusés sur Canal + le
soir même). Fin d'une saison en tous points remarquable, passionnante
de bout en bout. Les auteurs ont su remettre en cause les personnages, en éliminer
certains (la qualité retrouvée doit beaucoup à la disparition
de la fille de Jack Bauer, impayable nunuche), en faire évoluer d'autres
(le président Palmer, qui n'est plus président mais qui garde un
rôle essentiel). Ce qui rend cette saison supérieure aux précédentes,
c'est que les relations humaines n'ont pas été sacrifiées
au profit de l'action. Celle-ci a la priorité bien sûr, mais on prend
parfois le temps de s'arrêter sur les personnages, sur ce qu'ils sont derrière
leurs masques et leurs fonctions. Ils gagnent un peu en crédibilité
et en humanité, s'éloignent de la caricature -du moins ceux qui
sont du bon côté, parce que pour ce qui est des méchants,
terroristes, fanatiques et bronzés comme il se doit, on ne fait pas dans
la subtilité... VENDREDI. Courrier.
J'envoie à Agathe les pages que TB consacre cette semaine à René
Fallet, visibles ici : http://perso.wanadoo.fr/tb/beinstingel.htm
Vie automobile. En route vers mon travail
nourricier, je commets l'erreur de m'arrêter pour laisser traverser une
poignée de piétons. Boum, fait l'auto de derrière qui, après
coup, a l'air de saigner du nez. C'est le moment de dégainer une phrase
que je mûris depuis des lustres en attendant l'occasion propice : "Diantre,
vous m'emboutîtes !" Cinéma.
The Constant Gardener (Fernando Meirelles, E.-U./G.-B./Allemagne, 2005
avec Ralph Fiennes, Rachel Weisz, Hubert Koundé, Sidede Onyulo). La
femme d'un diplomate britannique en poste au Kenya s'intéresse aux agissements
louches d'une société pharmaceutique. Sa curiosité lui vaut
d'être assassinée. Dans le dernier numéro de Positif reçu
aujourd'hui, Michel Ciment se félicite du retour du politique dans le cinéma
américain et cite "six films qui renouent avec une tradition longtemps
vivace à Hollywood : le rapport avec le monde tel qu'il est, le débat
ouvert sur les problèmes brûlants de notre époque", à
savoir Good Night, and Good Luck, Lord of War, Jarhead, la fin
de l'innocence, Munich, Syriana et ce Constant Gardener qui voit un
homme lisse se lancer, à la suite de sa femme, dans un combat contre des
puissances qui le dépassent. Lord of War montrait une Afrique labourée
par les trafiquants d'armes, le film de Meirelles en fait un champ d'expérimentation
lucratif et sans risque pour les laboratoires pharmaceutiques. L'histoire, tirée
d'un roman de John Le Carré, est complexe, passionnante, traitée
comme un thriller. Les faits dénoncés sont graves, énormes,
mais jamais le réalisateur ne donne l'impression de forcer le trait. La
caméra, très mobile, suit le héros de Nairobi à Londres,
de Berlin au Soudan à la recherche d'une vérité profondément
déprimante. Un film sans espoir, dominé par une distribution britannique
exceptionnelle, comme d'habitude. SAMEDI.
Vie sociale. Nous croûtons sur la rive droite. Où l'on
apprend qu'il est devenu impossible de se procurer autre chose que des jeans taille
basse. Bon dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°247 - 19 février 2006 DIMANCHE.
TV. Modigliani (Mick Davis, E.-U.,
2004 avec Andy Garcia, Elsa Zylberstein, Hippolyte Girardot, Omid Djalili; diffusé
sur Canal + en janvier 2006). La vie de la communauté artistique de
Montparnasse à la fin des années 1910. J'ignore tout de la vie
de Modigliani. La question de la fidélité historique (le milieu
était-il à ce point dominé par Picasso ? la rivalité
Picasso-Modigliani atteignit-elle ces sommets ? et toutes les interrogations du
genre qu'on peut avoir) est donc hors de ma compétence. Sur le plan cinématographique,
on peut regretter le parti pris "artiste" que Mick Davis s'est cru obligé
d'adopter. Un bon biopic à l'ancienne aurait été préférable
aux afféteries lourdingues (construction chaotique avec retours en arrière
obscurs, bastonnade de Modigliani sous la neige - bleue ! - au ralenti, matérialisation
du peintre enfant censé représenter sa conscience, etc.) qui irritent.
Malgré ces défauts et d'autres, comme la donnée économique
- tous les seconds rôles sont confiés à d'obscurs comédiens
roumains qui n'ont d'autre qualité que la minceur de leur cachet - on finit
par se prendre à l'histoire de cet artiste intransigeant. Mick Davies parvient
à faire passer l'émotion dans les dernières scènes,
en grande partie grâce à une Elsa Zylberstein très modiglianienne
et, c'est là l'essentiel, à donner l'envie d'en savoir plus sur
M. le Modi. A suivre donc, sur papier. LUNDI. Lecture.
Jules Laforgue (Jean-Jacques Lefrère, Fayard, 660 p., 35 €).
Biographie. Chronique à rédiger pour La Liberté de
l'Est. Tout a commencé un dimanche après-midi. A la radio,
allumée au hasard, machinalement. Europe 1. On n'écoute jamais assez
Europe 1 le dimanche après-midi. Pour ma part, je suis sûr que c'était
la première fois, le poste avait dû rester sur cette station suite
à la soirée football de la veille. En fait, lorsque j'ai entendu
ce dimanche Frédéric Mitterrand, je ne savais pas que j'étais
sur Europe 1, je ne savais pas que Frédéric Mitterrand animait une
émission sur Europe 1. Il était en train de lire ceci : "Le
ciel pleut sans but, sans que rien ne l'émeuve, Il pleut, il pleut bergère
! sur le fleuve... Le fleuve a son repos dominical; Pas un chaland,
en amont en aval. Les Vêpres carillonnent sur la ville, Les berges
sont désertes, sans idylles. Passe un pensionnat (ô pauvres
chairs !) Plusieurs ont déjà leurs manchons d'hiver. Une
qui n'a ni manchon, ni fourrures Fait, tout en gris, une pauvre figure.
Et la voilà qui s'échappe des rangs, Et court ! ô mon
Dieu, qu'est-ce qu'il lui prend ? Et elle va se jeter dans le fleuve. Pas
un batelier, pas un chien Terr' Neuve. Le crépuscule vient : le
petit port Allume ses feux. (Ah ! connu, l'décor). La pluie
continue à mouiller le fleuve, Le ciel pleut sans but, sans que rien
ne l'émeuve." Voilà. Ça s'appelle "Dimanches",
c'est de Jules Laforgue, tiré d'un recueil posthume, Des fleurs de bonne
volonté, et c'est le genre de chose qui fait penser que vous aurez
beau engloutir des milliers de pages de ceci ou de cela, de celui-ci ou de celui-là,
vous ne rencontrerez jamais l'émotion contenue dans une poignée
de vers. Frédéric Mitterrand recevait Jean-Jacques Lefrère,
mon boss d'Histoires littéraires, auteur de cette biographie de
Laforgue. Depuis, j'ai passé trois semaines avec Laforgue qui n'était
jusqu'alors pour moi qu'un nom, associé à ceux de Lautréamont
et de Supervielle, ses compatriotes de Montevideo. J'ai découvert ses Complaintes
et ses autres textes, j'ai vécu avec lui, j'ai voyagé, avec mon
moyen de transport préféré, celui des pages, de Montevideo
à Tarbes, de Londres à Paris (où il faut que j'aille marcher
rue Berthollet et rue de Commaille), j'ai fréquenté tous les lieux
de villégiature de la cour d'Allemagne où Laforgue fut employé
comme lecteur auprès de l'impératrice Augusta et pour un peu, si
je n'avais pas fait un peu attention, je serais mort de la tuberculose à
l'âge de vingt-sept ans. J'ai emmené Laforgue au boulot, j'ai raconté
sa vie, j'ai lu ses poèmes aux élèves, j'en ai parlé
pendant des heures (ce qui ne doit pas être très orthodoxe mais au
point où j'en suis...). J'ai trouvé, chez ce "petit jeune homme
pâle, rasé, aux yeux ternes, toujours baissés, à la
voix douce et voilée" (Jacques-Emile Blanche), des façons de
vivre ("Pendant cinq mois, j’ai joué à l’ascète, au
petit Bouddha avec deux œufs et un verre d’eau par jour et 6 heures de bibliothèque"),
d'être ("provincial au maintien peu assuré, peu à l’aise
dans les conversations de groupe…") ou de penser ("Je ne me rappelle
pas une heure de ma vie où la joie ne m’ait navré ou du moins attristé",
"Au fond toute ma vie se passera ainsi. Je ne jouis des choses que lorsque
je viens de les quitter, par le souvenir. Or, l’essence du souvenir est la mélancolie
la plus navrante") qui ne me sont pas totalement étrangères.
Comme je l'ai mis dans ma chronique, Laforgue n'a jamais connu la gloire, mais
n'a jamais été oublié, se situant toujours à mi-chemin
entre le purgatoire et le Panthéon, bénéficiant toujours
d'un réseau d'amis puis d'admirateurs fidèles. La preuve : dès
que j'ai mentionné, dans une des dernières livraison des notules,
le nom de Laforgue, j'ai reçu, et c'est la première fois que cela
se produit, plusieurs messages de notuliens sur le mode "Ah, Laforgue...".
"Oh ! les après-midi solitaires d'automne ! Il neige à
tout jamais. On tousse. On n'a personne. Un piano voisin joue un air monotone; Et,
songeant au passé béni, triste, on tisonne. Comme la vie
est triste ! Et triste aussi mon sort. Seul, sans amour, sans gloire ! Et la
peur de la mort ! Et la peur de la vie, aussi ! Suis-je assez fort ? Je
voudrais être enfant, avoir ma mère encor. Oui, celle dont
on est le pauvre aimé, l'idole, Celle qui, toujours prête, ici-bas
nous console !... Maman ! Maman ! oh ! comme à présent, loin
de tous, Je mettrais follement mon front dans ses genoux, Et je resterais
là, sans dire une parole, A pleurer jusqu'au soir, tant ce serait trop
doux." On écrit ça et puis l'on meurt. A vingt-sept
ans. TV. Six Feet Under (série
américaine d'Alan Ball avec Michael C. Hall, Peter Krause, Lauren Ambrose,
Frances Conroy, Rachel Griffiths; saison 5, épisode 2, diffusé la
veille sur Canal Jimmy). Caroline : ZZZzzzz Moi : RRRrrrr MARDI.
Lecture. Europe (revue trimestrielle, n°
888, avril 2003; 368 p., 18,30 €). Une belle distribution pour ce
numéro consacré à Queneau puisqu'on y trouve Henri Godard,
Jacques Neefs, Paul Braffort, Paul Fournel, Noël Arnaud... Malgré
cela, c'est un rendez-vous manqué puisqu'il ne m'a pas encore donné
l'envie de reprendre Queneau. C'est peut-être une réticence face
à Europe, une revue qui ne m'accroche guère, même lorsqu'elle
consacre un dossier à un de mes auteurs privilégiés (le lointain
numéro sur Joyce n'était pas non plus très appétissant).
L'article qui m'a semblé le plus intéressant est signé Bertrand
Tassou, qui parle des "enfants de Queneau", à ses héritiers
(hors Oulipo) en littérature : Daeninckx, Pouy et les auteurs de Minuit
(Deville, Echenoz, Chevillard, Oster). Obituaire.
"Je me souviens que Darry Cowl s'appelle André Darricaud." (Georges
Perec, Je me souviens, Jms n° 157). MERCREDI. Presse.
C'est comme dans le Bulletin Marcel Proust, si on le lit attentivement, on est
sûr d'y trouver au moins un Prout par numéro. La coquille qui tue.
En parcourant les nécrologies de Darry Cowl, j'étais sûr d'y
trouver ce que je cherchais. Et c'est La Liberté de l'Est d'aujourd'hui
qui fait mon bonheur : "Découvert par Sacha Guitry, il joue dans Le
Tripoteur de Jack Pinoteau en 1957." Emplettes.
J'achète des billets de train et du Modigliani pour pas cher.
TV. Lawrence d'Arabie (Lawrence of
Arabia, David Lean, G.-B., 1962 avec Peter O'Toole, Alec Guinness, Anthony Quinn,
Jack Hawkins, José Ferrer, Claude Rains, Arthur Kennedy, Donald Wolfit,
Omar Sharif; diffusé sur France 3 en mai 1999). Comme pour Modigliani,
c'est par le film que je découvre Lawrence d'Arabie et son destin manqué
d'unificateur de la nation arabe. David Lean ne donne pas une hagiographie du
personnage, il en dévoile aussi les faces cachées, le sadisme, la
mégalomanie, la tentation homosexuelle ce qui donne à Peter O'Toole
un rôle complexe. Son interprétation plutôt outrée a
mal vieilli, à l'image d'un film aujourd'hui trop long (trois heures trente)
et affadi par le petit écran. JEUDI. TV.
The Shield (série américaine de Shawn Ryan, avec Michael
Chiklis, Glenn Close, Catherine Dent, CCH Pounder, Benito Martinez, Jay Karnes;
saison 4, épisode 1; diffusé sur Canal + le soir même).
Caroline : RRRrrrr Moi : ZZZzzzz. Deadwood (série américaine
de David Milch avec Tim Olyphant, Ian McShane, Molly Parker, Brad Dourif, Keith
Carradine; saison 1, épisode 1; diffusé sur Canal + le soir même).
Tentative d'incursion dans la dernière arrivée des productions HBO,
consacrée à la vie d'une petite ville du Dakota au moment de la
ruée vers l'or. Vu comme ça, au réveil, ça m'a l'air
très confus. Je ne pense pas qu'il y aura une deuxième tentative.
VENDREDI. Courrier. Arrivée
de la sixième série des DVD du Monde. Vie
scolaire. Lucie rentre de l'école avec son bulletin de mi-trimestre.
Celui-ci se présente sous la forme d'une cinquantaine de rubriques, de
compétences "acquises", "en voie d'acquisition" ou
"non acquises". En éducation musicale, deux rubriques : "contrôler
l'intensité de sa voix" (acquis) et "soutenir une écoute
prolongée : concert a capella en bulgare pendant 45 minutes"
(acquis). Rien que pour ce dernier item, dans lequel le verbe soutenir prend tout
son poids, elle sera abondamment récompensée. Cinéma.
La vérité nue (Where the Truth Lies, Atom Egaoyan, Canada,
2005 avec Kevin Reynolds, Colin Firth, Alison Lohman, Rachel Blanchard, David
Hayman, Maury Chaykin, Kristin Adams, Sonja Bennett, Deborah Grover, Beau Starr).
Dans les années 1950, deux comiques de télévision sont au
sommet de leur carrière lorsqu'une jeune femme est retrouvée morte
dans la salle de bains de leur suite. Quinze ans plus tard, une jeune journaliste
est amenée à enquête sur cette affaire pour un livre qu'elle
veut consacrer au duo. Atom Egoyan, qu'on a connu autrement plus ambitieux,
se contente ici d'un polar traditionnel pas franchement enthousiasmant. Le début
de l'intrigue, un méli-mélo de flash backs, est assez confus, et
lorsqu'arrive la révélation finale, l'intérêt est suffisamment
émoussé pour qu'on l'accueille avec bienveillance. Bien sûr,
il y a la peinture des vices cachés derrière la façade clinquante
du vedettariat, un aspect du film bien soutenu par Kevin Reynolds, mais Alison
Lohman, dans le rôle de la journaliste qui doit mettre à jour ces
turpitudes, n'a pas la carrure suffisante pour le rôle de fausse ingénue
qui lui est alloué. Les clins d'oeil, citations et rappels de Mulholland
Drive amènent à faire des comparaisons avec le film de David Lynch,
ce qui n'est malheureusement pas en faveur d'Egoyan. Radio.
Une heure trente avec Laforgue et Lefrère sur France Culture. J'encassette
la chose. SAMEDI. Vie informatique.
Ecoutant l'appel impérieux de la modernité, je passe ma première
matinée de vacances à essayer d'enregistrer l'émission de
la veille sur un disque à partir du site France Cul. En vain. Je crois
que je vais rester fidèle à mes cassettes. Courrier.
Je reçois un livre et les épreuves de ma deuxième chronique
pour Histoires littéraires. "Je relis mes épreuves",
phrase magique. Football. SAS Epinal
- Dunkerque 0 - 2. Premier match de l'année à la Colombière,
première défaite. Il fait si beau que trois heures après
être rentré at home, je grelotte encore. Invent'Hair.
La grammaire capillaire s'enrichit d'un salon Epi Tête (Monestier-de-Clermont,
Isère). Merci à DDR. Bon dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°248 - 26 février 2006 DIMANCHE.
TV. Football. FC Metz - Olympique de Marseille
1 - 0. Courriel. Un désabonnement
aux notules, compensé, quelques heures plus tard, par une demande d'abonnement.
L'honneur statistique est sauf. Grippe aviaire
(1). Adepte du principe de précaution, celui-là même
qui me pousse à me munir d'un burin et d'un chasse-clou dès que
j'entreprends de manipuler un produit estampillé "ouverture facile",
je renonce à l'écoute du Masque et la Plume. TV.
Escale à Hollywood (Anchors Aweigh, George Sidney,
E.-U., 1945 avec Frank Sinatra, Gene Kelly; diffusé sur TCM en septembre
2003). Deux marins en permission à Los Angeles viennent en aide à
une jeune fille qui rêve d'être chanteuse. Quarante ans avant
Roger Rabbit, on voit un acteur, Gene Kelly ici, pénétrer
dans le monde du dessin animé et danser avec la souris de Tom et Jerry.
C'est ce qu'il y a de plus remarquable dans ce film qui, outre les deux vedettes
masculines, met en scène le célèbre pianiste Jose Iturbi
et Kathryn Grayson, une soprano dont la voix est une véritable menace pour
les tubes cathodiques. Mêlant le conte de fée à la fibre patriotique
(gloire à la Navy, soutenons l'effort de guerre) Escale à Hollywood
est un film médiocre, ce qui serait sans grand dommage si ce n'était
également une comédie musicale. Or il n'y a rien de plus éprouvant
qu'une comédie musicale médiocre... LUNDI. Lecture.
Histoires de peintures (Daniel Arasse, Denoël, 2004; rééd.
Gallimard, coll. Folio Essais n° 469; 368 p, s.p.m.). Reprise sous forme
écrite de la série d'émissions que l'historien de l'art Daniel
Arasse donna à France Culture peu avant sa mort, au cours de l'été
2003. Chronique rédigée pour La Liberté de l'Est.
Uruguay. J'aime bien trouver des correspondances
entre les écrivains que j'affectionne. Celles-ci sont nombreuses parce
que la lecture est souvent une chaîne continue qui vous mène d'un
auteur à l'autre, celui-ci vous parle de celui-là, ou vous y fait
penser, et vous bifurquez vers lui, vous embrayez et ainsi de suite. Aussi aurais-je
bien aimé trouver un lien entre Laforgue et Perec, j'ai fouillé
les index, revisité les textes théoriques, les conférences
mais rien. Jusqu'à aujourd'hui, par hasard. J'attaque la grille 271 des
Mots croisés de Perec, occupation de vacances. 2 vertical, en 10 lettres
: "A donné naissance à deux de nos Jules les plus poétiques".
Grippe aviaire (2). Surtout ne pas toucher
à un oiseau mort. Pas facile de manger le poulet de midi avec des moufles.
TV. Six Feet Under (série
américaine d'Alan Ball avec Michael C. Hall, Peter Krause, Lauren Ambrose,
Frances Conroy, Rachel Griffiths; saison 5, épisode 3, diffusé la
veille sur Canal Jimmy). L'intérêt revient avec le naufrage
pathétique de George, le second mari de Mrs. Fisher, victime d'un Alzheimer
carabiné. Courriel. Une demande
d'abonnement aux notules. MARDI. Triathlon.
Je commence la journée chez le médecin, la poursuis en clinique
et finis au cimetière. Les deux dernières épreuves ne constituaient
heureusement que des visites à des pensionnaires. Courrier.
J'envoie un cadeau d'anniversaire, des coupures à FB, mes épreuves
corrigées à Histoires littéraires, reçois une
lettre d'Agathe Fallet et une procuration pour l'assemblée générale
de l'Association Georges Perec. Invent'Hair.
AZ m'envoie une belle liste de salons dignes d'y figurer et DR deux clichés
de salons turcs. TV. Les Casse-pieds
(Jean Dréville, France, 1948 avec Noël-Noël, Jean Tissier, Bernard
Blier, Paul Frankeur; diffusé sur CinéClassics en ?). Je revois
avec plaisir ce film dans lequel Noël-Noël interprète un conférencier
dissertant sur les fâcheux, raseurs, enquiquineurs, bouffeurs de temps et
casse-pieds de tout poil. On imagine que le sujet est vaste et il est traité
de façon originale à l'aide d'une succession de sketches utilisant
diverses techniques (images et dessins animés, ombres chinoises, théâtre
de marionnettes). Un film qui pourrait être actualisé à tout
moment car si les casse-pieds sont, par essence, toujours les mêmes, ils
disposent aujourd'hui d'un arsenal technologique nettement plus étendu
et redoutable qu'en 1948. MERCREDI. Lecture.
Maintenant, foutez-moi la paix ! (Philippe Delerm; Mercure de France, 2006;
146 p., 10,50 €). Quelques aspects de l'oeuvre de Léautaud.
L'occasion de mettre à profit les dix années passées à
lire les 7000 pages de son Journal littéraire. Chronique à
rédiger pour Histoires littéraires. Vie
merdicale. J'ai appris aujourd'hui ce qu'était un hémocult.
Il s'agit d'un examen qui permet de détecter les cancers du côlon
et autres joyeusetés à partir d'une analyse de selles. Pour ce faire,
on vous fournit au laboratoire un petit pot, qu'il n'est pas nécessaire
de remplir jusqu'à ras bord de la matière désirée,
et une petite spatule pour la recueillir à l'endroit qui vous semblera
idoine. Le pot est transparent mais on a la délicatesse de l'emballer dans
un sachet de plastique opaque pour éviter toute gêne au moment où
vous rapportez votre trophée au labo. Ayant accompli les opérations
demandées, je me présente donc à l'officine ce matin, et
confie l'objet à la réceptionniste qui trône au milieu de
la salle d'attente. Dialogue : Moi : Je vous apporte ceci pour un hémocult. Elle
: Vous avez l'ordonnance ? Moi : Non, la personne qui a fait ma prise de sang
plus tôt ce matin l'a conservée. Elle (embêtée d'avoir
à donner à analyser un étron anonyme) : Ah. Sa collègue
: Attends Bernadette, tu n'as qu'à regarder sur le flacon, il doit y avoir
une étiquette. Et voilà ma Bernadette qui sort mon flacon de
son enveloppe si discrète et qui, visiblement presbyte, l'élève
bien au-dessus de ses yeux comme un enfant de choeur porte un Saint Sacrement,
présentant à l'assemblée goguenarde le fruit, digéré,
de mes entrailles. Il y avait bien une étiquette. Grippe
aviaire (3). Nous croûtons dans un restaurant tenu par un ami
répondant au nom de Jérôme Poulet. Grands
travaux. Les charpentiers détectent la fuite sur le toit. Plus
modestement, j'installe une nouvelle étagère à CD et DVD.
TV. A l'est de Shanghai (Rich
and Strange, Alfred Hitchcock, G.-B., 1932 avec Henry Kendall, Joan Barry, Parcy
Marmont, Betty Amann; diffusé sur ARTE en septembre 1999). Un jeune
couple découvre les joies de l'extra-conjugalité au cours d'une
croisière. C'est un Hitchcock préhistorique, période
anglaise, mais c'est loin d'être un film de débutant puisqu'à
l'époque le réalisateur a déjà une bonne douzaine
de films à son actif. Celui-ci n'ajoutera rien à sa gloire, même
si l'on voit, derrière les facilités du film de commande, quelques
belles idées de mise en scène (la cohue à la sortie des bureaux
londoniens qui ouvre le film) et surtout la peinture sans complaisance de la vie
à deux, un pis-aller auquel retourne, sans enthousiasme, le couple central
de l'histoire après être allé voir ailleurs si l'herbe était
plus verte. JEUDI. Vie ludique.
Je redécouvre le yams avec les filles. Vie
merdicale (suite). Je retourne au laboratoire y présenter ma
deuxième offrande. Un des charmes de l'opération tient au fait qu'elle
dure trois jours. Lecture. Introduction
à la lecture de Kafka (Marthe Robert, éditions du Sagittaire,
coll. L'heure nouvelle, 1946; 48 p., 75 F). A force de voir ce texte cité
dans toutes les études sur Kafka que j'ai pu lire, je m'étais imaginé
un volume bien plus conséquent (d'autant que je l'ai acquis d'occasion
sur internet au prix d'un Pléiade) que ce maigre fascicule. On y trouve
simplement le texte d'une conférence "faite en décembre 1945
au cercle d'Etudes philosophiques et spirituelles" et quatre récits
brefs de Kafka (L'Epée, Dans notre synagogue, L'invité des morts,
Lampes neuves) commentés par Marthe Robert. On comprend cependant que
ce texte ait marqué les mémoires, car il donne une bonne idée
des dangers qui guettent le lecteur de Kafka. Dangers qui tiennent avant tout
à l'interprétation, à la recherche forcée, presque
forcenée, d'une compréhension totale de son oeuvre : "Est-ce
un trait bien particulier à notre temps ou un signe de la richesse insaisissable
de Kafka, il semble qu'il appartienne désormais aux spécialistes.
Le théologien, le spécialiste des textes juifs, le psychanaliste
(sic), le psychologue, le sociologue et le médecin, l'humoriste, le surréaliste
et l'historien, chacun convaincu de son bon droit et à juste titre, s'empare
de l'objet qui le tente." Danger, dit Marthe Robert : Kafka ne se laisse
pas saisir comme ça, il est même impossible à saisir, parce
que dans tous les domaines, il est double : il est juif mais il a rompu avec la
communauté juive, il recherche à la fois l'amour et la mort du père,
ses personnages sont placés devant "la double impossibilité
de refuser la Loi et d'y satisfaire" puisqu'ils ne la connaissent pas et
ne la connaîtront jamais, etc. C'est un texte très intéressant
qui montre déjà une parfaite connaissance de l'oeuvre alors qu'à
l'époque le Journal et la correspondance ne sont que très partiellement
connus. Mais curieusement, dans les commentaires qu'elle apporte aux récits
qui suivent, Marthe Robert oublie la retenue recommandée et se livre à
des interprétations pertinentes, certes, mais un peu en contradiction avec
ce qu'elle préconise juste avant. TV.
The Shield (série américaine de Shawn Ryan, avec Michael
Chiklis, Glenn Close, Catherine Dent, CCH Pounder, Benito Martinez, Jay Karnes;
saison 4, épisode 2; diffusé sur Canal + le soir même).
VENDREDI. Vie ferroviaire.
Je pars pour Paris par le train de huit heures, non sans avoir confié au
laboratoire le troisième tome des mes oeuvres. Vie
parisienne. Croûte, sieste et travail à la Bilipo et au
Louvre. La routine, quoi. SAMEDI. Vie
parisienne (suite). Alain Chevrier, soit à ma connaissance ce
qui se fait de plus pointu en matière de poésie française,
est venu à Jussieu parler des épithalames de Perec, ces poèmes
de circonstance offerts à l'occasion d'un mariage. Perec y a associé
la contrainte dite des "beaux présents", en n'utilisant que les
lettres des noms des deux époux voire, dans certains passages, que les
lettres communes à leurs deux noms. Comme souvent, l'exploration du travail
sur la contrainte, aidé ici par l'examen de quelques brouillons préparatoires,
est franchement vertigineuse mais Chevrier ne se contente pas de souligner l'exploit
gymnique, il replace les épithalames de Perec dans la tradition littéraire
et les donne à lire comme ce qu'ils sont avant tout, de véritables
poèmes. Je renonce aux réjouissances chez Paulette Perec pour
une croûte volaillère, bien sûr, au Petit Cardinal et passe
une heure à la Bilipo. Ensuite, c'est l'assemblée générale
de L'Association Georges Perec à l'Arsenal. J'y fais la connaissance du
responsable informatique de l'Association qui me croit débarquant de Vesoul,
sans doute à l'occasion du Salon de l'Agriculture. Ce n'est pas grave :
à ses yeux de Parisien, c'est le même no man's land. On apprend la
mort de Catherine Binet, la dernière compagne de Perec, on traite des thèmes
récurrents (le prochain numéro des Cahiers, sempiternelle
Arlésienne, l'archivage des photos et de la correspondance) et on s'interroge
sur l'avenir du séminaire. Constatant une affluence en diminution, Bernard
Magné évoque le remplacement de la séance mensuelle par une
ou deux journées annuelles comprenant plusieurs interventions. Une formule
qui se rapprocherait de celle adoptée par d'autres associations d'écrivains
(on cite Sartre et les Journées Queneau) et qui, à mon gré,
mettrait fin à une spécificité irremplaçable. Si j'ai
réussi à tisser des liens au sein de cette communauté, c'est
par une fréquentation assidue et régulière, à petits
pas, ce qui ne m'aurait jamais été possible au cours d'une grand-messe
annuelle. Bonne semaine. |