Notules
dominicales de villégiature exotique n°269 - 20 août 2006 DIMANCHE
1. Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules. TV. Les Soprano (série
américaine de David Chase, 2001, avec James Gandolfini, Edie Falco, Lorraine
Bracco; saison 3, épisode 12, diffusé samedi sur France 4).
LUNDI 1. Vie natatoire. "J'accompagne
Lucie à la première séance de son stage de natation. A la
dérobée, j'observe un moment son malaise depuis les tribunes, sa
difficulté à évoluer dans un groupe. Je sais de qui elle
a hérité ce handicap. N'empêche, ça me noue le cœur
et la gorge." C'était dans les notules
168, du 18 juillet 2004. Aujourd'hui, c'est au tour d'Alice de se lancer
dans le grand bain. Ce que j'apprends à l'ouverture de cette deuxième
session, c'est que le temps et l'expérience ne font rien à l'affaire.
Je retrouve les mêmes sensations de part et d'autre, constate qu'Alice,
sous des dehors plus farauds, n'est pas différente de sa soeur sur ce plan-là.
Ses pleurs résonnent dans ma tête bien après qu'ils se sont
estompés. Je finis la séance vidé, anéanti, nauséeux
comme si c'était moi qui venais de traverser la Manche à la nage.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y, des aptonymes à AZ, un avis de décès à F et R.
Lecture 1. Histoires littéraires
n° 19 (revue trimestrielle consacrée à la littérature
française des XIX° et XX° siècles, juillet-août-septembre
2004, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 256 p.,
20 €). Deux dossiers entamés dans le n° 18 sont ici poursuivis
: celui concernant le poète toulousain Ephraïm Mikhaël et celui
sur les différentes manifestations ayant accompagné le bicentenaire
de la naissance de Victor Hugo, intitulé "Journal d'un spectateur
du bicentenaire". Un spectateur assidu et persévérant qui n'a
pas ménagé sa peine pour couvrir l'événement, les
événements plutôt, expositions, représentations théâtrales,
cinématographiques, soirées musicales, lectures et cérémonies
diverses et géographiquement dispersées. Cependant, qu'on ne s'y
trompe pas, ce n'est pas Hugo la véritable vedette de cette célébration.
Florilège : 6 juin. "L'Avant-Scène Opéra
publie le numéro que j'ai coordonné sur Hugo à l'Opéra". 15
juillet. "Dans l'émission Décibels de Jeanne-Marie
Vacher sur France-Culture, Françoise Tillard présente le programme
- que je l'ai aidé à composer - des deux CD d'Orientales en musique
joints au coffret Victor Hugo et l'Orient paru à la fin de l'année
dernière." 25 juillet. "Ma communication au colloque
de Belo Horizonte s'intitule Modernité du théâtre de Hugo." 17
septembre. "Mon édition du Théâtre en liberté
paraît dans la collection Folio classique de Gallimard." 24 novembre.
"Ce jeune compositeur était à la recherche d'un poème
de Hugo susceptible d'inspirer deux ou trois mouvements contrastés. Le
poème de Toute la lyre que je lui ai suggéré a aussitôt
emporté son agrément." 7 février 2003. "Tenant
compte de mon témoignage, Campo a demandé, cette fois, à
un comédien, Charles Gonzales, de dire la première partie du poème." 4
février 2003. "... la mise en scène par Villégier
des Deux trouvailles de Gallus, diptyque que j'ai intégré
à mon édition du Théâtre en liberté dont
L'Avant-Scène Théâtre vient, à son tour, de
publier le texte..." 17 février 2003. "En préparant
ma contribution au catalogue de l'exposition Voir des étoiles de
la maison de Victor Hugo, j'avais pu visionner cet admirable téléfilm
de 1965 à la Bibliothèque François-Mitterrand." Sans
oublier Madame : 15 novembre. "Colloque sur Hugo et l'exil à
Baton Rouge, en Louisiane. Danièle y présente une comparaison entre
le drame dicté en 1854, à Jersey, par la Table et Les Deux Trouvailles
de Gallus, rédigées à Guernesey en 1869." 9
décembre. "Célébration du bicentenaire à
Taiwan. Danièle y évoque les relations de Hugo avec les interprètes
de son théâtre." 22 décembre. "L'Epée
au Théâtre du Nord-Ouest. Une des pièces les moins jouées
de Hugo : c'est la première fois que je la vois. Danièle en
a souligné l'intérêt, comme appel à la résistance,
dans un colloque qui s'est tenu au mois de juin..." Le couple voyage beaucoup
: 22 octobre. "Nous sommes rentrés à temps du Canada
pour Marion de Lorme de Jean Kerchbron..." 26 octobre. "Nous
nous envolons pour le Japon et un colloque à Tokyo..." 4 février
2003. "Nous y accourons, en compagnie de Sylviane Robardey-Eppstein qui
nous a reçus à Uppsala en mai dernier..." Quelle santé
! De quoi faire pâlir Hugo lui-même. On ne met pas ici en cause le
travail de ces passionnés ni la valeur de leurs jugements mais on aurait
aimé un peu plus de discrétion. On apprend par ailleurs, grâce
à des contributeurs plus modestes, que Francis Carco espérait bien,
en 1915, quitter sa garnison de Besançon grâce à son "cousin,
colon du 8e d'artillerie à Epinal" et que Jules Verne n'a pas écrit
que pour la jeunesse puisqu'on lui doit un long poème érotique intitulé
Lamentation
d'un poil de cul de femme. TV.
Grève party (Fabien Onteniente, France, 1997 avec Daniel Russo,
Vincent Elbaz, Bruno Solo, Nini Crépon, Micheline Presle, Aure Atika; diffusé
su CinéCinéma Famiz en juillet dernier). Jour de grève
à Paris. Un libraire du Quartier Latin, ancien syndicaliste, revit avec
nostalgie ses émois révolutionnaires de 1968. La librairie tenue
par Daniel Russo sert de lieu de rencontre à un groupe d'amis qui viennent
se confier au propriétaire des lieux, un aîné un peu rêveur,
un peu ronchon qui semble retrouver un brin de jeunesse avec l'agitation qui se
saisit de la ville. C'est un film fauché (deux ou trois jeunes portant
un drapeau rouge sont censés représenter une manifestation monstre),
plein de défauts, de maladresses mais très surprenant et plutôt
sympathique quand on connaît la suite de la carrière du réalisateur,
auteur des peu glorieux mais très rémunérateurs Trois
zéros et Jet Set. Le libraire montre une fidélité
à un idéal bien absente du parcours d'Onteniente. Lecture
2. La défense Lincoln (The Lincoln Lawyer, Michael Connelly,
Little, Brown and Company 2005; Editions du Seuil, coll. Policiers 2006 pour la
traduction française; traduit de l'américain par Robert Pépin;
448 p., 23, 50 €). Avocat à Los Angeles, Mickey Haller flaire
le gros coup lorsque Louis Roulet, un riche héritier accusé de tentative
de meurtre, lui demande d'assurer sa défense. Michael Connelly laisse
le bolide Harry Bosch au stand et sort le mulet Mickey Haller. Le lecteur ne perd
pas au change. Haller est un avocat sans scrupules dont le seul carburant est
l'appât du gain. L'affaire Roulet, qui semble lui promettre le pactole après
lequel il ne cesse de courir, va s'avérer un cadeau empoisonné qui
va l'amener à reconsidérer sa façon de vivre et de travailler.
Roulet n'est pas un coupable ordinaire, c'est l'incarnation du mal : "Je
te dis que la plupart des gens que je défends ne sont pas mauvais, Mags.
Ils sont coupables, oui, mais ils ne sont pas mauvais. Tu vois ce que je veux
dire ? Il y a une différence. Tu les écoutes et t'écoutes
ces chansons et tu comprends pourquoi ils font les choix qu'ils font. Ils essaient
juste de se débrouiller, de vivre avec ce qui leur est donné et
à certains il n'a jamais été donné quoi que ce soit.
Le mal, c'est autre chose. C'est vraiment différent. C'est comme... Il
y en a et quand ça montre son nez... Je ne sais pas. J'arrive pas à
expliquer." Petit à petit, le mal va s'insinuer dans la vie de l'avocat,
constituer une menace pour lui et sa famille au moyen d'une machination diabolique
ourdie par son client. Connelly se sert habilement de son passé de chroniqueur
judiciaire au Los Angeles Times pour truffer son histoire d'anecdotes de
prétoire pas toujours faciles à démêler lorsqu'on n'est
pas spécialiste de droit américain. La dernière partie du
livre est un récit d'audience, un exercice redoutablement efficace sur
le plan du suspense quand il est bien mené, ce qui est le cas ici.
MARDI 1. Vie des pauvres gens.
"La consultation des médecins généralistes est revalorisée
de 1 euro, le 1er août, passant de 20 à 21 euros. Les praticiens
s'engagent à faire des économies en prescrivant plus de médicaments
génériques." L'entrefilet du Monde ne mentionne pas le fou
rire inextinguible qui a dû saisir les représentants des médecins,
de la Sécurité Sociale et du gouvernement à la signature
et à l'annonce de cet accord bâti sur la même promesse fumeuse
qu'en mars dernier. Football. SA
Epinal - AS Nancy Lorraine (2) : 2 - 1. Je me console de rater l'ouverture du
championnat, qui commencera pour une fois sans moi pour cause de vacances, avec
ce dernier match de préparation. Vacances
(préparation de). Essai du porte-vélos (une première),
séance chez le dentiste (prochaine étape, l'avulsion), chez le coiffeur,
mise à jour des différents chantiers informatiques. MERCREDI
1. Courrier. La Bretagne rejoint la
Provence au palmarès des cartes postales de vacances. La Corse, habituellement
très prisée, est à la traîne. Coup
de chance. Habituellement, je casse un appareil photo par an. Cet été,
j'innove : je perds l'objet sur un parking de supermarché. Par miracle,
mon voisin de parking est quelqu'un du quartier qui rapportera l'appareil à
la pharmacie au moment où je commence à démonter les sièges
de l'auto pour essayer de retrouver ce fichu machin. TV.
Les Soprano (série américaine de David Chase, 2001, avec
James Gandolfini, Edie Falco, Lorraine Bracco; saison 3, épisode 13, diffusé
samedi sur France 4). JEUDI 1. Lecture.
La revue littéraire n° 26 (Léo Scheer, mai 2006; 256
p., 12 €). Chronique à rédiger pour Histoires littéraires.
VENDREDI 1. Vie natatoire (suite).
Alice sait nager, enfin, Alice sait ne pas couler. Bel été pour
elle devenue, en quelques semaines, cavalière, cycliste et nageuse. A la
rentrée, elle apprend à lire et on peut la marier. Courrier.
L'Islande et la Normandie en cartes postales. Vie
des pauvres gens (suite). "Les chirurgiens, obstétriciens
et anesthésistes libéraux verront leurs primes d'assurance prises
en charge jusqu'aux deux tiers par la Caisse nationales d'assurance maladie. Un
décret devrait être publié en septembre pour permettre aux
professionnels de santé concernés de toucher leur aide dès
2006. Il en coûtera 20 millions d'euros par an à l'assurance-maladie."
(Le Monde). On suppose que les frais d'entretien de leurs quatre fois quatre seront
pris en charge par les allocations familiales. Après tout, c'est pour promener
leurs enfants. SAMEDI 1. Transhumance.
8 heures 17 : départ. 8 heures 19 : premier arrêt dans la côte
de Chantraine, l'essuie-glace arrière s'est pris dans le porte-vélos,
il faut tout démonter et remonter sous la pluie. La suite sera plus calme,
presque sans accrocs si on excepte l'estomac d'Alice, toujours vacillant sur les
longues distances, et les quelques fois où je me fourvoie (l'autre matin,
je ne retrouvais plus la piscine d'Epinal, alors on m'imagine dans la traversée
d'Auxerre...). En fin d'après-midi, nous touchons au but. Le propriétaire
est là, visite des lieux, la cabane a l'air un peu plus confortable et
équipée que ce que l'on trouve d'habitude chez ces marchands de
sommeil estival. Mais il va falloir composer avec une donnée inconnue de
nos séjours précédents : les voisins. Il y a bien huit maisons
dans ce hameau. L'étang n'est pas joli mais après cinquante semaines
de frustration, je crois que je pourrais pêcher dans un lavabo. Le propriétaire,
toujours lui, m'assure que les locataires précédents en ont retiré
quatre cent quatre-vingts gardons. Le soir venu, je serai à quatre cent
soixante-dix-neuf unités de ce record. Après la croûte, la
promenade du soir permet de débusquer deux ou trois chevreuils.
Lecture. L'homme encerclé (Michèle
Rozenfarb, Gallimard 2003, Série Noire n° 2690; 160 p., 7 €).
Michèle Rozenfarb est psychanalyste, ce qui lui permet de livrer ici un
magnifique portrait de paranoïaque (entre autres, le héros est atteint
de bien d'autres tares que je ne saurais nommer, j'en saurai plus quand j'aurai
touché le Vocabulaire de la psychanalyse commandé avant de partir)
convaincu de la nécessité qu'il y a à nettoyer son environnement
des fâcheux qui l'encombrent. L'homme consigne le moindre de ses faits et
gestes dans des registres qu'il recopie et reproduit à l'infini et qui
forment le corps du livre. La fin est un peu abrupte et déceptive mais
c'est un polar original qui montre que la Série Noire avait encore du répondant
(c'était le troisième titre de l'auteur dans la collection) avant
de s'éteindre. DIMANCHE 2. Vie
limousine. Ravitaillement de première urgence au bourg voisin
de Compreignac. La boucherie propose un "pâté de couennes"
qui en dit long sur la robustesse des estomacs limousins. Première baignade
au lac de Saint-Pardoux. Lu dans un vieux Guide du Routard à propos
du coin qui nous accueille : "Ce n'est tout de même pas là qu'on
séjournera en Haute-Vienne." C'est justement pour ça qu'on
est là, eh pomme ! MERCREDI 2. Lecture.
La jeunesse de Théophile (Marcel Jouhandeau, Editions de la Nouvelle
Revue Française, 1921; rééd. in Chaminadour, contes nouvelles
et récits Gallimard 2006, coll. Quarto; 1540 p., 84 documents, 29,90 €).
En 1948, Jouhandeau raconte à Florence Gould sa rencontre avec le romancier
américain Thornton Wilder : "Il connaît mieux mon oeuvre que
moi et se fait fort de la publier traduite bientôt à New York. Il
me suggère en effet de réunir en un volume énorme que l'on
sèmerait de reproductions photographiques tous mes contes longs et courts
sous le titre général de Chaminadour." Je ne sais si ce projet
américain a vu le jour. En tout cas, il aura fallu attendre jusqu'à
cette année pour en voir la version originale, ce gros Quarto consacré
à tout ce que Jouhandeau a écrit sur Chaminadour. Chaminadour, c'est
Guéret la ville natale de l'écrivain, fils d'un boucher de la ville.
Guéret qui ne pardonna jamais à Jouhandeau le portrait qu'il en
fit à travers ses récits : Richard Millet rappelle dans sa préface
le cas de cette Mme Poty, devenue Mme Pô sous la plume de l'auteur et dont
"la fille Elise, dite Linotte, plus tard, achètera une maison sur
le chemin du cimetière de Guéret, afin de pouvoir cracher sur le
cercueil de l'écrivain lorsqu'on mènerait celui-ci à sa dernière
demeure." Une démarche inutile puisque Jouhandeau sera enterré
en 1979 au cimetière Montmartre après s'être défendu
d'avoir voulu nuire aux Guérétois : "Je n'ai pas voulu diffamer
mes compatriotes, mais seulement les peindre. En n'ayant pas pris soin d'épaissir
assez la fiction, j'ai permis à la rumeur publique d'identifier mes modèles,
de dépister mes sources, voilà toute ma faute et ceux qu'on a reconnus
ou qui se sont reconnus cloués au pilori m'ont voué aux gémonies."
La jeunesse de Théophile est le premier mouvement de cette suite creusoise.
Théophile, c'est bien sûr Jouhandeau, la chronologie publiée
en tête de volume ne laisse pas de doute à ce sujet, et sa jeunesse
est traitée en trois parties. La boucherie accapare les parents de Théophile
qui sont obligés de confier son éducation à sa tante Ursule,
une éducation marquée avant tout par l'observance des principes
religieux. A la mort de sa tante, Théophile se lie d'amitié avec
Jeanne, une jeune carmélite, et sa foi se transforme en vocation. Dans
la troisième partie, Théophile se trouve accaparé par une
dévote, Mme Alban, qui veut en faire son prêtre personnel et avec
laquelle il finit par rompre pour prendre enfin son indépendance. Chaque
partie est divisée en très courts chapitres titrés à
la manière des évangiles, c'est, comme le dit le sous-titre, une
"histoire ironique et mystique", surtout mystique. L'ironie ne s'applique
pas à Théophile, sa foi est sincère, c'est un pur, mais plutôt
à son entourage, même si elle ne semble pas encore justifier ici
la disgrâce de Jouhandeau auprès des siens. Bien sûr, il y
a quelques portraits charges, comme celui de la femme du plombier ("La femme
du plombier ne sortait jamais de chez elle. Enorme, elle était plus qu'un
être encore humain; à peine passait-elle dans la porte. Son ventre
retombait dans un bassin suspendu sous son jupon à l'aide de lanières
de cuir. Elle ne tenait pas dans la fenêtre. Quand elle voulait prendre
l'air ou s'exposer l'été au soleil, elle soulevait ses seins sur
ses deux bras nus et les déposait lentement sur la pierre de l'accoudoir")
mais on trouve aussi des descriptions charmantes d'une petite ville de province
dont la vie est réglée par les rites religieux, des rues qui la
traversent, des humbles qui les habitent. Mais cette ville, il faut la quitter
avant qu'elle ne vous dévore : "Où ira celui qui aspire à
la beauté, à la splendeur des pensées et des formes, s'il
lui est arrivé de naître au fond d'une triste province, dans une
cour de boucherie ?" Jouhandeau réussira à quitter Guéret,
fera ses études à Paris et deviendra, avec de multiples publications
qui ne concerneront pas toujours Chaminadour, une des figures les plus prestigieuses
de la NRF. Pas n'importe quelle NRF, celle de l'entre-deux guerres, celle qui
fait et défait la littérature de l'époque, celles des Paulhan
et consorts. L'écriture de Jouhandeau sent la NRF, d'ailleurs, une légère
odeur de poussière, la poussière des sacristies ici, que j'ai déjà
rencontrée chez Gide ou Martin du Gard, ce qui ne l'empêchera pas
d'être reconnu et admiré par des gens aussi différents que
Sartre, Leiris ou Genet. Seulement, pour admirer Jouhandeau, il faut bien séparer
l'oeuvre de l'homme car celui-ci se distingua au moment de l'Occupation par des
écrits antisémites et fit partie, avec Drieu La Rochelle, Brasillach,
Chardonne et quelques autres du fameux voyage des écrivains français
en Allemagne de 1941. VENDREDI 2. Vie
sociale. Visite des G qui font une halte au camping de Nantiat sur
le chemin du retour. SAMEDI 2. Froid.
Caroline se rend à Limoges pour nous approvisionner en manches longues
et grosses chaussettes. DIMANCHE 3. Vie
laborieuse. Je passe une partie de la matinée à mettre
à jour ces notules, dimanche oblige. Pour ce, je dois me faire violence
car il me faut renoncer à la pêche matinale. Je comprends pourquoi,
inconsciemment, je me refuse à pêcher en dehors des deux semaines
de vacances estivales. Si je m'y mettais le reste de l'année, j'abandonnerais
tout le reste pour m'y consacrer, je ne penserais plus qu'à ça,
je ne ferais plus que ça. Lecture.
La mort pour la mort (Smert Radi Smerti, Alexandra Marinina; Eksmo, Moscou
1997, Le Seuil 1999, coll. Policiers pour la traduction française; traduit
du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain; 336 p., 110 F). Anastasia Kamenskaïa
enquête sur un vol de dossiers chez un juge d'instruction, ce qui l'amène
à se pencher sur les activités louches d'un Institut de recherches
scientifiques. Alexandra Marinina est, selon la quatrième de couverture,
la romancière la plus lue en Russie. On sait que ce genre de performance
n'est pas toujours un gage de qualité et on en a ici la confirmation avec
ce polar confus et peu crédible qui constitue la deuxième enquête
d'Anastasia Kamenskaïa traduite en français. L'écriture est
totalement plate, desservie par une traduction qui n'évite pas les maladresses
("Vous n'êtes pas sans ignorer...") et rappelle les Fleuve Noir
de série des décennies passées : "Il resta un court
moment immobile sur le seuil en luttant contre la tentation de se retourner pour
la fixer droit dans les yeux. Mais il n'ignorait pas que le canon du pistolet
attirerait son regard comme un aimant et qu'il ne trouverait plus la force de
la regarder en face. Il avait un instinct de conservation très développé.
Lorsqu'un adversaire braquait une arme sur lui, il ne pouvait pas penser à
autre chose." C'est dommage parce qu'on aurait aimé s'intéresser
à cette histoire qui se déroule dans un cadre méconnu, le
Moscou de la fin du siècle dernier où les habitudes héritées
du communisme semblent bien vivaces (fichage, espionnage, lourdeur des appareils),
surtout dans le domaine juridico-policier décrit par Marinina, et sur lequel
plane l'ombre de la guerre en Tchétchénie puisque les recherches
de l'Institut scientifique mis en cause concernent le moyen de donner plus d'ardeur
et de sauvagerie au combattant russe. LUNDI 3. Froid.
Le mauvais temps s'installe. On achète des puzzles, des livres, des cartes
postales pour tenir le siège. MARDI 3. Lecture.
Les Pincengrain (Marcel Jouhandeau, Editions de la Nouvelle Revue Française,
1924; rééd. in Chaminadour, contes nouvelles et récits Gallimard
2006, coll. Quarto; 1540 p., 84 documents, 29,90 €). Jouhandeau
semble ici chercher sa voie. Il abandonne l'autobiographie amorcée dans
La jeunesse de Théophile, cède encore une fois à la tentation
du récit fractionné en petits éclats mais tourne son regard
vers les autres. Il commence à utiliser les carnets pleins de notes, croquis
et photos de ses contemporains qu'il a remplis au cours de sa jeunesse guérétoise.
Les Pincengrain est une galerie de portraits, une succession de récits
plus ou moins réussis qui ont donc en commun le cadre provincial de la
petite ville de Chaminadour et une population fruste, grossière, sale,
inculte dont le traitement, c'est sûr, n'a pas dû plaire aux Guérétois.
C'est avec Les Pincengrain d'ailleurs que le scandale a commencé
(Max Jacob écrit à l'auteur qu'il a vu des "hordes de paysans
groupés devant la maison" de son père), et on irait bien voir
à Guéret aujourd'hui si les livres de Johandeau sont en vitrine
des librairies. Jouhandeau raconte toujours la même histoire : du fumier
de Chaminadour parvient à émerger une fleur, un humble (un fou,
une fille à cent sous, une innocente, une pauvre vieille) parvient à
la grâce, à la sainteté au grand dam des voisins, parents,
amis et bigots de l'entourage. C'est, répétons-le, assez inégal,
Jouhandeau ne parvient pas toujours à éviter le mysticisme échevelé
qui a marqué ses premières années mais certaines histoires
sont très réussies et, parmi celles-ci, "Mademoiselle Zéline"
est une pure merveille. Jouhandeau y abandonne son style haché, y laisse
courir sa plume et livre un récit qui aurait sa place dans un recueil de
Maupassant. Extrait. "Un jour, Eliane vient vers sa mère et lui
dit : "Je veux être religieuse." Sa mère pensa : "En
voici une qui ne mourra pas de faim." Elle lui répondit : "Choisis
plutôt un ordre cloîtré. On ne voit pas clair avec ces cornettes.
Je ne serais pas tranquille. Tu te ferais écraser par une auto."
MERCREDI 3. Vie vaseuse. La
séance de pêche matinale est écourtée par un poisson
plus costaud que moi qui parvient à me flanquer à l'eau. Il manquait
à ces vacances l'habituelle touche Hulot : c'est fait. Vie
touristique. Les filles veulent visiter l'aquarium de Limoges, ce qui
me permet de mettre pour la première fois les pieds (chaussés de
claquettes de plage, mes chaussures vont avoir besoin de plusieurs jours de séchage
après l'immersion matinale) dans cette ville. Je photographie quelques
publicités peintes et quelques salons de coiffure, arpente, en parfaite
coïncidence avec ma lecture de Jouhandeau, la rue de la Boucherie avec sa
succession de grilles fermées sauf une, sorte de boucherie témoin
transformée en musée de la richesse passée. J'entre dans
deux librairies, je cherche un ouvrage qui me confirmerait que ce que j'ai attrapé
ce matin avant le grand plouf est bien une tanche. Dans chacune d'elles, sur la
table des nouveautés, la pile d'un certain livre dans lequel mon nom apparaît,
je le sais, je viens de le lire. Oh, c'est très furtif, insignifiant, pas
de quoi en retirer je ne sais quelle fierté ou gloriole, n'empêche,
c'est une drôle d'impression d' imaginer qu'on achètera ce livre,
qu'on tombera sur ce nom, qu'on n'y prêtera aucune attention et qu'on l'oubliera
aussitôt, et voilà, c'en sera fait de l'entrée fracassante
d'un notulien dans le monde des lettres françaises. Alice se fait percer
les oreille : il valait mieux faire ça ici, ils ont l'habitude avec les
limousines. TV. Football. Bosnie-Herzégovine
- France : 1 - 2. VENDREDI 3. Vie
ménagère. Le lave-vaisselle qui équipe la maison
n'aura servi que pour les deux premiers jours des vacances. Un bouton de programmateur
un peu malmené a fini pulvérisé. Ce n'est pas un problème
de faire la vaisselle sur l'évier, sauf ce matin où l'on décèle
une fuite dans la tuyauterie d'évacuation. Les fuites, on maîtrise,
c'est notre quotidien at home, on entame le ballet des bassines et vadrouilles.
Il est tout de même temps de rentrer : la vaisselle se fait désormais
à l'extérieur, dans l'auge, et si on reste une semaine de plus on
finira par devoir lécher nos assiettes pour les nettoyer. Je jette
mes chaussures, définitivement empuanties par mon pourtant bref séjour
dans la vase. SAMEDI 3. Vie limousine
(fin). Il est temps de rentrer. Le rayon pêche du Shopi de Nantiat
est vide, razzié. Avec tout le matériel que ma maladresse m'oblige
à remplacer quotidiennement, j'aurais de quoi acheter une poissonnerie.
La route est dégagée. Bon
dimanche. Notules
dominicales de villégiature exotique n°270 - 27 août 2006 DIMANCHE.
Retour aux sources. L'ordinateur de la pharmacie
est en carafe, une porte d'accès à ladite pharmacie est hors d'usage,
les pluies ont occasionné deux nouvelles sources de fuites : pas de doute,
les vacances sont finies. Courriel.
Une demande d'abonnement aux notules. TV.
Football. Bordeaux-Lyon 1 - 2 (en direct sur Canal +). C'est tout de même
autre chose que les OM - PSG qu'on essaie de nous vendre chaque année comme
les sommets du championnat. LUNDI. Invent'Hair.
Certains notuliens ne négligent pas leurs devoirs de vacances. Ainsi, FP
m'adresse cliché d'un salon "Grafitif" pêché à
Landerneau et me désole en m'avouant avoir raté un audacieux "Tête-Art".
TV. Les Soprano (série
américaine de David Chase, 2002, avec James Gandolfini, Edie Falco, Lorraine
Bracco; saison 4, épisode 4, diffusé le 12 août sur France
4). MARDI. Lecture. Viridis
Candela (Carnets trimestriels du Collège de 'Pataphysique n° 21,
15 septembre 2005; 128 p., 15 €). Ce numéro est entièrement
consacré à la cartographie, vue à travers le prisme pataphysique,
ce qui lui va bien au teint puisque la cartographie a longtemps été
une sorte de solution imaginaire de la représentation du monde. Cartes
imaginaires, cartes combinatoires, cartes figuratives, cartes à jouer,
cartes littéraires et autres sont passées en revue dans un travail
qui pourrait déboucher sur la création d'un Ouvroir de cartographie
potentielle. L'iconographie est riche en documents de tous âges et de
toutes provenances. |