Notules dominicales 2006
 
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Notules dominicales de culture domestique n°275 - 1er octobre 2006

DIMANCHE.
Lecture. L'étoile du diable (Marekors, Jo Nesbo, 2003; Gallimard, coll. Série Noire, 2006 pour la traduction française; traduit du norvégien par Alex Fouillet; 496 p., 21 €).
La police d'Oslo est à la recherche d'un tueur dont les victimes portent les mêmes stigmates.
Un tueur en série donc, comme d'habitude, on ne voit pas pourquoi Oslo n'aurait pas le sien, après tout c'est aussi une métropole. Heureusement, le récit de Jo Nesbo nous entraîne beaucoup plus loin que l'habituelle traque interminable en y mêlant des ingrédients moins convenus, dont une histoire de corruption policière assez alambiquée. Le cheminement n'est d'ailleurs pas toujours très clair mais le lecteur n'en souffre pas trop, attaché qu'il est aux basques de Harry Hole, policier hors norme dont le combat contre l'alcool - et parfois en sa compagnie - traverse tout le roman. On est ici dans la Série Noire nouvelle mouture, gros volume, grand format, sans numérotation, un objet agréable à prendre en main qui n'a qu'un seul défaut : la minceur du papier qui laisse apparaître les caractères du verso en transparence. En allant pêcher un auteur scandinave dans le vivier des éditions Gaïa qui s'en sont fait une spécialité, la nouvelle mouture de la collection entame de belle façon son nouveau catalogue.
Extrait. "Harry avait un besoin impérieux d'alcool dès son réveil ce matin-là. Tout d'abord comme une demande instinctive de son corps, puis comme une peur panique après s'être privé volontairement de médicament en ne prenant ni flasque ni argent. Et ce besoin était pour l'heure entré dans la phase où il était à la fois douleur purement physique et terreur noire de se désintégrer. L'ennemi ruait dans les brancards en dedans, les clebs aboyaient vers lui depuis les profondeurs de son ventre, quelque part sous le coeur."

Vie familiale. Les premiers signes lacrymaux n'apparaissent chez Alice qu'en fin de journée, une des dernières de la saison à Saint-Jean-du-Marché. Jusque là, ce fut un bon week-end.

TV. Football. FC Nantes - Olympique de Marseille 2 - 1.
Lorsqu'on veut enrichir son vocabulaire à peu de frais, il est toujours intéressant de se tourner vers la rubrique des sports. Le compte rendu du match Raon-l'Etape - Martigues (1-1) qui paraît aujourd'hui dans La Liberté de l'Est dévoile à mes yeux éblouis l'adjectif "buccorhôdanien" utilisé à trois reprises pour qualifier les joueurs visiteurs. Le rédacteur pensait sans doute que "Martégaux" ou "Provençaux" faisait un peu commun. Il écrit même "bucchorhhôdaniens" (dans les trois cas) ce qui donne au mot un petit côté "bacchanale chez Nabuchodonosor" fort bien venu.

LUNDI.
Courriel. Un mot de félicitations de Joël Martin, maître ès contrepèteries au Canard enchaîné.

Courrier. Arrivée d'un volumineux paquet contenant le dernier tapuscrit de FD.

Vie familiale. Le retour de l'institutrice originelle d'Alice semble avoir un effet apaisant sur celle-ci. Ça ne durera pas, malheureusement.

TV. Football. FC Metz - Montpellier 2 - 1, en direct sur Eurosport.
Ce soir, on ne parle que de Héraultais. C'est fort banal.

MARDI.
TV. Le bateau livre (émission littéraire présentée par Frédéric Ferney, diffusée dimanche sur France 5).
Où l'on retrouve Erik Orsenna, habitué du plateau. La dernière fois, il y a quelques mois à peine, c'était pour un Voyage au pays du coton qui l'avait conduit jusque dans nos Vosges. En effet, Erik Orsenna voyage beaucoup : quel que soit le coin de la planète que vous habitez, vous pouvez très bien tomber sur lui à tout coin de rue. Aujourd'hui, après le coton, il vient relater un périple dans l'Antarctique effectué en compagnie d'une navigatrice en vue. On espère que, pour l'occasion, il avait emporté sa petite laine.

JEUDI.
Vie professionnelle. Jour de grève. Une grève confidentielle, annoncée comme un échec dès les premiers journaux radiodiffusés du matin. Tant pis, je ne résiste pas à l'appel du rien foutre, même si je suis à peu près le seul du collège à m'y conformer - une position qui est loin de me déplaire. J'en profite pour bosser sérieusement à boucler et envoyer ma chronique trimestrielle destinée à Histoires littéraires.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 7 & 8, diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Le Parrain 2 (The Godfather : Part II, Francis Ford Coppola, E.-U, 1974 avec Al Pacino, Robert Duvall, Diane Keaton, Robert De Niro, Roger Corman; support DVD/Paramount).
C'est à la fois Le Parrain 2, qui montre Mike Corleone prendre la suite de son père, et Le Parrain - 1 puisqu'on y voit les débuts de celui-ci dans de fréquents flash-backs. L'un d'eux nous montre son arrivée à New York, son passage par Ellis Island, cette "usine à fabriquer des Américains" assez conforme à ce qu'on peut en imaginer à partir du documentaire que Georges Perec et Robert Bober lui avaient consacrée. Marlon Brando a disparu, c'est Al Pacino qui dirige la famille et qui occupe l'écran. C'est l'occasion de voir ce que toute une génération de comédiens - les Duris, Attal et consorts pour ce qui est des Français - doit à son jeu ramassé, tendu, intense, qui éclate dans des gestes éclairs (la mornifle qu'il envoie à Diane Keaton, propre à assommer un boeuf, et encore, c'est du gauche). On sent chez Coppola la volonté de faire de cette histoire de famille le concentré d'une histoire de l'Amérique dans laquelle la pègre, la politique et les affaires ne sont jamais loin les unes des autres, une histoire qui s'inscrit dans celle du monde (les événements de Cuba empêchent l'extension du domaine Corleone) et qui est l'héritière d'une longue tradition (les références à l'empire romain, la mort de Pentangeli dans une baignoire à la Marat).

SAMEDI.
Vie familiale. Lucie fête son anniversaire at home avec quelques copines. Cela fait plus d'une semaine que les cérémonies se succèdent. Ce neuvième anniversaire commence à ressembler à un jubilé de la reine d'Angleterre.

Football. SA Epinal - AFC Compiègne : match arrêté, terrain impraticable. Au bout de 23 minutes de football piscine, l'arbitre décide de renvoyer les joueurs aux vestiaires et d'attendre quarante-cinq minutes avant de voir si le jeu peut reprendre dans des conditions météorologiques plus clémentes. La réponse sera négative mais le spectateur aura tout de même vécu une expérience unique, un samedi soir pas comme les autres : trois quarts d'heure coincé à la Colombière avec un speaker bègue et le disque des meilleurs succès de l'été 1992, le seul apparemment qui traînait en cabine.

Bon dimanche.


Notules dominicales de culture domestique n°276 - 8 octobre 2006

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Reprise du chantier abandonné en avril dernier et qui, je le précise pour les nouveaux arrivants, consiste à visiter les monuments aux morts des 516 communes vosgiennes et ce dans un ordre rigoureusement alphabétique. L'entreprise, interrompue à Biffontaine, reprend donc avec une excursion à Blémerey. Blémerey où il n'y a pas de monument aux morts. Il faut dire que les 26 habitants recensés ne laissaient guère d'espoir. Qu'importe, l'aventure aura tout de même permis de découvrir la rusticité des panneaux indicateurs de la contrée, peints a fresco, et de marcher le long de quelques chemins de campagne dans une insouciance que nous aurons du mal à retrouver, du moins dans un proche avenir.

TV. La Moustache (Emmanuel Carrère, France, 2005 avec Vincent Lindon, Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot; diffusé en septembre dernier sur Canal +).
"Que dirais-tu si je me rasais la moustache ?"
Agnès, qui feuilletait un magazine sur le canapé du salon, eut un rire léger, puis répondit : "Ce serait une bonne idée."
C'est ainsi que commence le récit d'Emmanuel Carrère, publié en 1986 et qu'il a choisi de porter lui-même à l'écran. Puis Marc, le moustachu, se rend à la salle de bains, efface ses charmeuses et retrouve Agnès. Pas de réaction, elle ne remarque rien. La même chose se produit auprès de ses connaissances, de ses collègues de travail : personne ne remarque la disparition de la moustache, mieux, personne ne se souvient que l'homme en ait un jour arboré une. Peu à peu, Marc va sombrer dans la folie. Emmanuel Carrère cinéaste suit scrupuleusement le récit d'Emmanuel Carrère romancier et parvient à donner à son film le même parfum d'inquiétude et d'instabilité qu'à son livre. C'est une vraie réussite, portée par un Lindon qui, dans l'épisode de Hong-Kong (où Marc s'est enfui et passe ses journées sur le traversier Hong-Kong - Kowloon), n'est pas sans évoquer le Bill Murray de Lost in Translation.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

LUNDI.
Vie professionnelle. Au collège, tenue d'une réunion destinée à établir le "calendrier des réunions du premier trimestre". Le sapeur Camember n'est pas loin.

TV. Vol de nuit (émission littéraire présentée par Patrick Poivre d'Arvor, diffusée mardi dernier sur TF1).

MARDI.
Glou glou. Je quitte le collège assez tôt pour échapper aux routes coupées par les inondations.

Courriel. Je prends connaissance, avec un rien de tristesse, du calendrier du séminaire Perec dont je serai privé cette saison après plusieurs années de fréquentation assidue. Je garde toutefois l'espoir de m'échapper pour participer au Colloque des Invalides début décembre.

MERCREDI.
Presse. Légende d'une photo de La Liberté de l'Est qui consacre plusieurs pages aux inondations de la veille : "A Taintrux, M. et Mme Borgne n'avaient jamais vu ça."

Courrier.
Deux programmes au menu du jour : celui de la saison théâtrale à Luxeuil-les-Bains et celui du colloque Queneau qui se tient à Nancy à partir de demain.

Vie familiale.
L'oeil exercé de Caroline une fois de plus n'a pas failli. Quelques signes un peu bizarres dans le comportement de Lucie ces derniers jours lui ont mis la puce à l'oreille. Un béotien comme moi n'y aurait vu que du feu. Après tout, si un enfant boit beaucoup, c'est qu'il a soif. Un petit test réalisé à la pharmacie a révélé hier la présence d'un taux anormalement élevé de sucre dans le sang. Les analyses effectuées aujourd'hui en laboratoire confirment la chose. Le niveau atteint est suffisamment élevé pour commander l'hospitalisation immédiate. Pas de veine, il n'y a pas de lit disponible à l'hôpital d'Epinal, il faut aller jusqu'à Remiremont où Lucie est placée sous perfusion d'insuline. Caroline dort sur place, je passe la nuit at home à rassurer heure par heure Alice sur ma capacité à préparer son sac de piscine pour le lendemain.

JEUDI.
Vie familiale. Le sac de piscine, c'est une chose, le maillot de bains à bretelles croisées, c'en est une autre. Après avoir arrimé la chose au prix de manoeuvres dignes d'un catalogue des noeuds marins, j'abandonne à l'école une Alice qui n'avait pas besoin de ça pour être déboussolée, achète un pot de fleurs dans un magasin où j'évite de m'attarder sur les chrysanthèmes déjà en place pour la Toussaint et fonce à Remiremont où je découvre une Lucie en piteux état après une nuit passée à jongler entre glucose et insuline. Le diagnostic diabétique est établi, ce qui laisse entrevoir un important train de modifications dans la vie à venir. En attendant, je repars récupérer Alice, m'affaire à la croûte, la ramène à l'école, hagarde, et pars pour le collège où je ne peux guère m'offrir plus que les deux heures de cours que j'ai séchées ce matin. Pendant ce temps, Lucie est transférée à Epinal où je la retrouve le soir, un peu plus vaillante, dans une chambre du service pédiatrie où nous avons déjà passé une belle semaine à veiller Alice en 2001. Je prends le relais de Caroline, retrouve le capiteux pucier qui sert aux parents accompagnateurs et vois l'aube arriver avec soulagement au bout d'une nuit digne d'un hiver scandinave.

VENDREDI.
Vie familiale. Comme hier et comme ce sera certainement le cas encore quelque temps, la journée se passe à jongler entre école, pharmacie, collège, hôpital et domicile. Après quelques cafouillages, les passages de relais se déroulent avec la régularité et la précision qu'on ne rencontre que chez les vieux briscards du 4 x 100 mètres. C'est juste un peu plus fatigant. Lucie se requinque, apprend les gestes et comportements qui vont devenir son quotidien, "dextro" (prélèvement capillaire destiné à déterminer le taux de sucre), piqûres, précautions alimentaires. Pour l'instant, pas le temps de penser à la suite, nous sommes pris dans une sorte de tourbillon qui s'apaisera peut-être un peu avec le week-end. Caroline dort à l'hôpital, je peux rentrer et dépouiller le...

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
Plusieurs messages sympathiques de notuliens inquiets au sujet des inondations qui ont frappé la région. Qu'ils soient ici remerciés et rassurés : il n'y a pas plus de gouttières que d'habitude dans notre logis qui fuyait déjà de partout par temps caniculaire. La famille et les amis téléphonent pour prendre des nouvelles.

Obituaire. "Je me souviens de Claude Luter aux Lorientais." (Georges Perec, Je me souviens, Jms n° 404).

SAMEDI.
Obituaire manqué. Entendu à 6 heures 54 sur Europe 1, énoncé par la voix guillerette de l'animateur de service :"Bon anniversaire à Raymond Goethals, 85 ans aujourd'hui." Lequel Raymond a tout de même fait son entrée sur les registres de décès le 6 décembre 2004.

Vie familiale. Où je montre les premiers signes d'un effritement coupable face à Alice dont l'état, paradoxalement, m'inquiète presque plus que celui de sa soeur. Au moins, celle-ci, on sait comment la soigner. Je passe la matinée au collège où, contre toute attente, les cours constituent un appréciable dérivatif, et le reste de la journée et la nuit à l'hôpital à étudier les oeuvres complètes de Pierre Insuline.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°277 - 15 octobre 2006

DIMANCHE.
Courriel. Les longues et nombreuses séquences de vie familiale qui émaillaient les notules du jour ont suscité, et susciteront tout au long de la semaine de nombreux messages de sympathie émanant de notuliens connus et inconnus. Parmi ces derniers, extraordinaire coïncidence, coming out inattendu, figure le pédiatre qui a accueilli Lucie et Caroline à l'hôpital de Remiremont mercredi soir, notulien anonyme de longue date.

Vie sanitaire. A l'hôpital, je pratique mes premières injections d'insuline sans trop abîmer la patiente. Celle-ci est libérée pour bonne conduite et bénéficie d'une après-midi de permission.

LUNDI.
Vie familiale. Caroline est à l'hôpital, Alice connaît quatre ou cinq épisodes émétiques entre cinq et huit heures du matin. Impossible de la mettre à l'école dans cet état. Par chance mon premier cours n'est qu'à neuf heures et j'ai le le temps de lui organiser au pied levé un hébergement d'urgence avant de partir. Les choses devraient maintenant s'accélérer avec le retour aux affaires du Dr. P., la pédiatre diabétologue qui était absente la semaine dernière.

MARDI.
Vie hospitalière. Je rencontre, après Caroline, le Dr. P. qui nous explique ce qu'il faut savoir sur la maladie de Lucie et les attitudes à suivre dans diverses circonstances. La psychologue de l'hôpital trouve la malade suffisamment au fait de son état et de l'irréversibilité de celui-ci pour autoriser un retour at home avant la fin de la semaine, mais le taux de glycémie fait encore du yo-yo.

MERCREDI.
Vie hospitalière. Au tour de la diététicienne de nous livrer ses fiches de menus et ses conseils pour l'organisation des repas et des périodes intermédiaires. Nous sommes bombardés de données concernant les compositions, les dosages. Une chose est sûre : plus question de croûtes hâtives dues à l'emploi du temps de tel ou tel membre de la famille, mais du soigné, de l'équilibré. Si nous nous y tenons, nous finirons tous centenaires.

TV. Football. France - Îles Féroé 5 - 0, en direct sur TF1.
Les joueurs des Îles Féroé (comment s'appellent-ils d'ailleurs, les Férotais ? les Férotiens ? les Féroces ? les Ferroviaires ?) encaissent leur premier but à la trente-septième seconde. Je m'endors à la trente-huitième et rêve d'injections de Glucagon à effectuer dans des conditions impossibles.

JEUDI.
Vie hospitalière. Arrivée dans la chambre voisine de celle de Lucie d'un jeune Arthur, qui n'est autre que le fils d'une préparatrice travaillant avec Caroline. A ce rythme, la pharmacie Didion va devenir la première officine libre-service du département.

Actualité. L'hôpital d'Epinal est au coeur d'une affaire concernant des patients surexposés à des radiations. Il est temps de partir, il y a trop de micros et de caméras, on pourrait me reconnaître.

VENDREDI.
Vie hospitalière (fin). Lucie est libérée en milieu de matinée. Je la retrouve à midi à la maison que j'ai quittée mercredi matin et dont j'ai presque eu du mal à retrouver le chemin.

Renaissance.
Premier tiercé et première sieste depuis plus d'une semaine. Les filles se chamaillent comme aux plus beaux jours, la vie reprend son cours avec quelques aménagements d'urgence (suppression du lit à étage, croûte moins tardive) et tout de même la surprise de constater que cette semaine de crise n'a pas empêché la roue de tourner : nous avons vécu, mangé, dormi, travaillé de façon un peu plus chaotique mais tout ce qui devait être fait l'a été. Je me rends compte à quel point la vie ménage peu de plages de pause, de moments où l'on peut s'arrêter, faire le point et repartir. C'est en chemin qu'il faut intégrer les données nouvelles, au fur et à mesure qu'il faut ajuster le tir, sans arrêt qu'il faut progresser, on s'arrête, on est mort.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 9 & 10, diffusés la semaine dernière sur Canal +).

SAMEDI.
Vie sanitaire. Lucie gère son premier épisode hypoglycémique. L'après-midi est nettement récréatif avec visite à la fête foraine (sans poisson rouge à la clé) et retour au choual. Cela faisait un moment qu'Alice n'avait pas souri.

TV. Le Parrain 3 (The Godfather : Part III, Francis Ford Coppola, E.-U., 1990 avec Al Pacino, Diane Keaton, Andy Garcia, Eli Wallach, Talia Shire, George Hamilton, Raf Vallone, Sofia Coppola; support DVD/Paramount).
Au début, on fait comme si rien n'avait changé chez les Corleone. Comme les deux volets précédents, celui-ci s'ouvre sur une fête familiale qui ne sert que de paravent : c'est dans la coulisse que les choses importantes se trament, derrière les portes où Michael Corleone reçoit ses conseillers, sa famille, la Famille. On fait comme si mais ce n'est plus tout à fait pareil : l'empire s'effrite, les factieux rôdent, la famille elle-même vacille... Le fils Corleone, au lieu de reprendre le flambeau des affaires, devient... chanteur d'opéra. La santé n'est pas meilleure : Michael doit vivre avec un diabète (il y a des coïncidences, parfois...) qui l'affaiblit grandement.
C'est à mon avis le meilleur Parrain des trois, Coppola et Pacino sont meilleurs dans le crépusculaire que dans le flamboyant. Ce n'est pourtant pas le plus facile à suivre : les histoires immobilières avec le Vatican (Coppola intègre l'histoire des Corleone au monde contemporain, les mêle à l'élection de Jean-Paul Ier et à l'affaire Ambrosiano) sont claires comme du jus de chique mais cela n'a guère d'importance, sinon par le fait qu'elles ramènent Michael en Italie pour les deux séquences monumentales du film : la confession de Michael dans un cloître et le final démesuré, boursouflé même, à l'Opéra.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°278 - 22 octobre 2006

DIMANCHE.
Vie familiale. Caroline se repose de sa semaine éprouvante en assurant une garde de vingt-quatre heures. Je passe la matinée à m'affairer en vue des repas à venir, arrache les dernières carottes et les betteraves du jardin, prépare plusieurs plats en même temps, surveille les devoirs, bref une véritable envolée domestique. A tel point que j'en oublie de donner à Lucie sa collation de milieu de matinée, justement le genre de chose à ne jamais oublier. Heureusement, Caroline remonte à temps pour réparer l'oubli avant qu'il ne soit dommageable. Je me boufferais.

TV. Le bateau livre (émission littéraire présentée par Frédéric Ferney, France 5).
Propos d'un invité, qui a participé à la rédaction d'un brûlot contre les programmes scolaires : "Aujourd'hui, un élève qui entre en seconde a reçu autant d'heures d'enseignement de français qu'un élève de 1976 entrant en cinquième." A vérifier tout de même.

LUNDI.
Courrier. Arrivée du numéro 27 de la revue Histoires littéraires qui contient mon article sur Viviane Forrester et ma chronique trimestrielle que je n'ose même pas relire tant j'en ai honte (j'en avais, suite à une fausse manoeuvre informatique, envoyé le brouillon qui a été publié tel quel). Les textes écrits pour le numéro précédent (chronique trimestrielle et critique du Léautaud de Philippe Delerm) sont désormais en ligne ici.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 11 & 12, diffusés la semaine dernière sur Canal +).
On sait depuis un moment déjà que la série ne répond pas tout à fait à ce qu'on attendait, que la prétendue peinture au vitriol des moeurs de cet échantillon de banlieusardes aisées a tourné à la comédie moyenne traversée de quelques intrigues meurtrières plutôt fades. La tendance est loin de s'inverser à l'heure où l'on atteint la moitié de la deuxième saison : les comédiennes semblent lancées dans un concours de grimaces, les péripéties sont de moins en moins intéressantes et de plus en plus étirées, l'endormissement survient de plus en plus tôt. On continue parce que c'est confortable.

MARDI.
TV. Ma vie en l'air (Rémi Bezançon, France, 2005 avec Vincent Elbaz, Marion Cotillard, Gilles Lellouche, Elsa Kikoïne, Didier Bezace, Tom Novembre; diffusé sur Canal + en septembre dernier).
Les démêlés sentimentaux d'un expert en sécurité aérienne souffrant d'une phobie de l'avion.
Lesquels démêlés, servis par un Vincent Elbaz décidément bien fade, ne présentent absolument aucun intérêt. Si le film se laisse regarder, c'est par la richesse de l'entourage du héros mis en lumière par quelques scènes, uniques ou répétitives, qui font la part belle aux seconds rôles : Didier Bezace en pilote de ligne calamiteux, François Levantal en passager aérien dévoré d'inquiétude, Gilles Lellouche en copain crampon, Vincent Winterhalter en "économiseur de phrases "(jamais plus d'un mot par réplique), tout un petit peuple qui parvient à meubler l'entreprise de façon agréable.

Lecture. Les Bienveillantes (Jonathan Littell, Gallimard, nrf, 2006; 912 p., 25 €).
Mémoires de guerre du Docteur Aue, juriste et officier de la SS.
Combien d'exemplaires vendus à ce jour ? Deux cent mille, peut-être plus, pour ce qui constitue le succès incontesté de cette rentrée littéraire. Combien d'exemplaires lus ? Beaucoup moins assurément, car l'entreprise n'a rien d'une sinécure, du moins dans un premier temps. Car tout semble fait, au premier abord, pour décourager le lecteur. La masse d'abord, ces neuf cents pages serrées, compactes, qui en valent bien douze ou treize cents d'un livre "ordinaire". Volonté de l'auteur ou de l'éditeur, ces pages sont presque toutes à cent pour cent couvertes de caractères, la mire est pleine : on refuse l'alinéa, l'espace, le paragraphe, même les dialogues sont étouffés dans la masse, n'amènent aucun retour à la ligne. L'ouverture ensuite : le lecteur est projeté au sein des troupes allemandes qui mènent la campagne d'Ukraine (1941 ou 42), bombardé de grades, de noms, de faits auxquels il ne comprend rien. C'est plein de Gruppenführer, de Generalfeldmarschall, d'Oberregierugsrat et autres joyeusetés gazouillantes. Il faut du temps, une bonne centaine de pages avant de prendre son souffle et ses marques, de comprendre que le narrateur "travaille" au sein d'un Einsatzgruppe chargé d'éliminer les Juifs au fur et à mesure de l'avancée allemande et qu'il n'en est qu'au début de sa carrière.
Cet épisode ukrainien n'est pas placé tout à fait au début du livre. Il y a d'abord une sorte de préambule qui présente le Docteur Aue au moment où il entreprend d'écrire son récit, un Aue âgé qui mène une vie paisible de chef d'entreprise dans le nord de la France. C'est dans ce préambule que sont de suite réglés les problèmes de responsabilité, de culpabilité : "Je suis coupable, vous ne l'êtes pas, c'est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j'ai fait, vous l'auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d'une façon ou d'une autre. Je pense qu'il m'est permis de conclure comme un fait établi par l'histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu'on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l'exception, pas plus que moi." C'est dit, on n'y reviendra plus ou de façon très fugitive, lors de brefs moments d'introspection (on se souvient d'ailleurs que dans Les Euménides d'Eschyle, dont les Erynies servent de modèle revendiqué aux "Bienveillantes" de Littell, Oreste est déclaré non coupable par le tribunal instauré par Athéna). Le reste du temps, le narrateur entraîne le lecteur sur un tapis roulant d'une histoire vécue quasiment au jour le jour, les pages défilent, s'entassent, se tournent toutes seules, les réticences et les difficultés du début s'évanouissent, Littell gagne son pari.
Dans son parcours, Aue rencontre une nuée de personnages, des centaines qui, pour la plupart ne font qu'une brève apparition. La complexité de l'organisation allemande, le fait que trois hiérarchies mènent la danse côte à côte (la Wehrmacht, le Parti et la SS) entraînent une subdivision du travail telle que chaque homme a un rôle précis et presque infime dans l'organisation et dans l'économie du récit. Dans la masse, on trouve bien sûr des gens connus, les dignitaires du régime hitlérien, Céline, Rebatet, Brasillach mais aussi, de façon plus inattendue, Karajan et Cousteau. Aue n'est qu'un élément, mais un élément de plus en plus important dans le processus d'élimination finale de la population juive.
Un tel succès, une telle réussite ne vont pas sans susciter quelques grincements de dents. Les Inrockuptibles ont dégainé les premiers, pour mieux se consacrer à la glorification de Christine Angot. Claude Lanzmann est monté aux barbelés comme il le fait à chaque fois qu'un importun vient brouter son pré-carré ("Je plaisante à peine si je vous dis que ce livre ne peut être compris de part en part que par deux personnes : Raul Hilberg et moi ..."). Un historien, Tom Ripley, est intervenu dans Le Monde pour souligner quelques invraisemblances et inexactitudes historiques. Sur le plan littéraire, on peut aussi trouver à redire. Une telle masse donne lieu, c'est normal, à certaines faiblesses. L'aventure familiale du héros, son désir d'inceste, son homosexualité apparaissent comme des ornements inutiles. Les récits de rêves sont pesants, tout comme l'épisode scatologique dans la maison de la soeur du narrateur. L'accumulation des personnages, présentés toujours de la même façon (un portrait rapide suivi d'une ou deux déclarations) finit par lasser. Il y a des bourdes (« Je me penchai. L’eau emplissait la fosse, les Juifs creusaient avec de l’eau boueuse jusqu’aux genoux. "Ce n’est pas une fosse, c’est une piscine", fis-je remarquer assez sèchement à Nagel », des âneries ("Un corbeau s'arracha pesamment d'entre les pins, en coassant..."). Le final, dans un Berlin en ruines, accumule les coïncidences improbables et tourne au grand-guignol. Mais ces défauts sont largement compensées par les morceaux de bravoure que constituent l'épisode de Stalingrad, celui de l'évacuation d'Auschwitz et, encore une fois par le déroulé implacable et sidérant des événements, d'Ukraine en Crimée (grandiose développement sur les langues caucasiennes), de Poméranie en Hongrie, de Paris à Antibes, de Berlin à Auschwitz. L'ensemble tient remarquablement debout, à tel point que Michel Crépu n'a pas hésité, dans un récent numéro du Masque et la Plume, à qualifier Littell de "nouveau Thomas Mann". C'est aller un peu vite en besogne, il ne suffit pas de produire des romans dépassant le kilo et plein de noms allemands pour être Thomas Mann mais le fait est que c'est un nom qui vient à l'esprit.
Sur le plan économique, une telle réussite n'est pas sans danger. Bien sûr, un livre qui se vend fait du bien à l'édition et à la librairie, et on s'en réjouit. Cependant, d'après Le Monde, "plusieurs maisons d'édition constatent un certain assèchement du marché. Au Seuil, L'Amant en culottes courtes, d'Alain Fleischer, présent aussi dans les quatre listes, est encore loin des 10 000 exemplaires, malgré une presse très élogieuse. "Si tous les acheteurs du Littell se transforment en lecteurs effectifs, le reste de la rentrée littéraire sera comme aspiré par un trou noir", constate Olivier Nora, PDG de Grasset. Car le livre demande un temps de lecture important." Et le fait est que je n'ai pas mis les pieds dans une librairie depuis plusieurs semaines mais il y a d'autres raisons. Après tout, tout le monde n'a pas la chance d'avoir un enfant hospitalisé à (bien) veiller.
Extrait. "Il n'y aurait eu que des mots dans notre langue si particulière, que ce mot-là, Endlösung, sa beauté ruisselante ? Car en vérité comment résister à la séduction d'un tel mot ? C'eût été aussi inconvenant que de résister au mot obéir, au mot servir, au mot loi. Et c'était peut-être là, au fond, la raison d'être de nos Sprachregelungen, assez transparents finalement en termes de camouflage (Tarnjargon), mais utiles pour tenir ceux qui se servaient de ces mots et de ces expressions - Sonderbehandlung (traitement spécial), abtransportiert (transporté plus loin), entsprechend behandelt (traité de manière appropriée), Wohnsitzverlegung (changement de domicile) ou Executivmassnahmen (mesures exécutives) - entre les pointes acérées de leur abstraction. Cette tendance s'étendait à tout notre langage bureaucratique, notre bureaucratische Amtdeutsche, comme disait mon collègue Eichmann : dans les correspondances, dans les discours aussi, les tournures passives dominaient, "il a été décidé que...", "les Juifs ont été convoyés aux mesures spéciales", "cette tâche difficile a été accomplie", et ainsi les choses se faisaient toutes seules, personne ne faisait jamais rien, personne n'agissait, c'étaient des actes sans acteurs, ce qui est toujours rassurant, et d'une certaine façon ce n'étaient même pas des actes, car par l'usage particulier que notre langue national-socialiste faisait de certains noms, on parvenait, sinon à entièrement éliminer les verbes, du moins à les réduire à l'état d'appendices inutiles (mais néanmoins décoratifs), et ainsi on se passait même de l'action, il y avait seulement des faits, des réalités brutes soit déjà présentes, soit attendant leur accomplissement inévitable, comme l'Einsatz, ou l'Einbruch (la percée), la Verwertung (l'utilisation), l'Entpolonisierung (la dépolonisation), l'Ausrottung (l'extermination), mais aussi, en sens contraire, la Versteppung, la "steppisation" de l'Europe par les hordes bolchéviques qui, à l'opposé d'Attila, rasaient la civilisation afin de laisser repousser l'herbe à chevaux. Man lebt in seiner Sprache, écrivait Hanns Johst, un de nos meilleurs poètes nationaux-socialistes : "l'homme vit dans sa langue."

MERCREDI.
Vie sanitaire. J'accompagne Lucie à l'hôpital pour une consultation. Les doses d'insuline sont revues à la baisse, suite à une série de flirts trop poussés et trop fréquents avec l'hypoglycémie.

TV. Céline et Julie vont en bateau (Jacques Rivette, France, 1974 avec Juliet Berto, Dominique Labourier, Marie-France Pisier, Bulle Ogier, Barbet Schroeder; diffusé sur CinéClassics en août dernier).
Une artiste de cabaret entraîne une bibliothécaire dans un monde de mensonges et de rêves.
Je ne saurai jamais si les deux donzelles prendront le bateau du titre, ayant abandonné la partie à mi-chemin soit tout de même une heure trente de film. Impossible d'entrer dans ce monde, de sentir complice avec cette aventure foutraque dont les audaces ont mal vieilli. Le monde de Rivette m'est inaccessible, ce n'est pas la première fois que je le constate. En revanche, c'est la première fois que j'abandonne un film en cours de route, ce que je considère comme un progrès certain sur le chemin de la maturité.

JEUDI.
TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 13 & 14, diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
Vie scolaire. Je participe au petit déjeuner organisé par le collège dans le but de donner de bonnes habitudes nutritives aux jeunes élèves. Mes toutes récentes connaissances en diététique font merveille.

TV scolaire. Un chien andalou (Luis Bunuel, France/Espagne, 1929 avec Simone Mareuil et Pierre Batcheff; DVD Les Grands Films Classiques/Transflux Films).
J'ai reçu hier une philippique émanant du père d'un de mes élèves suite à une série de cours sur le surréalisme. Le genre de billet scandalisé, de mon temps on faisait des dictées, qu'on trouve régulièrement dans le courrier des lecteurs du Figaro. Quatre-vingts ans après, le surréalisme inquiète encore, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. L'an dernier, c'était un collègue de Saint-Dié qui avait été inquiété pour avoir fait étudier la Charogne de Baudelaire en classe, un poème que j'ai immédiatement incorporé à mes cours. Aujourd'hui, j'en remets une couche avec ce film, considéré comme le chef-d'oeuvre du surréalisme. Le pouvoir iconoclaste de la chose s'est un peu émoussé avec le temps mais on ne sait jamais...

TV. Moi, toi et tous les autres (Me and You and Everyone We Know, Miranda July, E.-U, 2005 avec Miranda July, Brad Williams Henke, John Hawkes, Ellen Geer, Jordan Potter; diffusé ce mois sur Canal +).
Ce film est issu du festival de Sundance, une manifestation consacrée à la production américaine marginale qui donne lieu parfois à de belles révélations. Ce n'est malheureusement pas le cas avec cette histoire, un idylle gentillette entre deux jeunes gens pas très beaux et très maladroits. Le traitement volontairement farfelu de la chose ne sert qu'à masquer les maladresses et la faiblesse du propos.

SAMEDI.
TV. L'Etalon (Jean-Pierre Mocky, France, 1969 avec Bourvil, Francis Blanche, Michel Lonsdale; diffusé ce mois sur CinéClassics).
Dans une station balnéaire où les femmes s'ennuient auprès de leurs maris, un vétérinaire organise des séances compensatoires avec la complicité d'une brigade de jeunes gens qui ont des charmes à revendre.
1969 est une année faste pour Mocky qui enchaîne L'Etalon et La grande lessive avec le tandem Bourvil - Blanche. C'est un Mocky qu'on commence déjà à connaître par coeur à l'époque, qui charge sans nuances contre les institutions (le couple, la religion, le pouvoir) mais qui n'est pas encore aigri et qui livre ici une farce hédoniste et féministe bien enlevée.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°279 - 29 octobre 2006

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Direction Bleurville où je trouve facilement le monument aux morts qui se dresse au milieu du cimetière.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Football. Olympique de Marseille - Olympique Lyonnais 1 - 4, en direct sur Canal +.
Désormais, au rang des consultants qui se marchent sur les pieds pour accéder au micro, figure un arbitre. Lorsque celui-ci intervient au sujet d'un avertissement donné à un joueur, il ne parle plus de carton jaune mais de "sanction administrative". On croyait suivre un match de football, on se retrouve propulsé au milieu d'un conseil de classe.

LUNDI.
Lecture. Les morts sont seuls (Qué solo se quedan los muertos, Mempo Giardinelli, 1985; éditions Métailié, coll. Suites n° 109, 2005 pour la traduction française; traduit de l'espagnol par François Gaudry; 210 p., 10 €).
José, journaliste argentin exilé au Mexique, reçoit un appel au secours de Carmen, une femme qu'il a aimée et dont le compagnon vient d'être assassiné à Zacatecas. José débarque dans la ville et essaie de mener l'enquête.
"... ce texte, malgré les apparences, n'est pas, ni ne se veut, un roman policier." L'aveu intervient page 146. C'est un peu tard car on était tout de même venu pour ça. On ne peut aller contre cette affirmation : l'intrigue est plate et ne passionne ni l'auteur, ni le personnage central, ni le lecteur. Ce qui intéresse Giardinelli, et ce qui meuble une grande partie du monologue intérieur de son héros, c'est le sort d'une génération venue à la politique par le péronisme et contrainte à l'exil par le régime des militaires argentins. Une génération sacrifiée, amère, désabusée qui a le sentiment de s'être fait rouler dans tout ce qu'elle a entrepris et dont la vie aura été marqué par l'imbrication du crime dans la politique. Avec une trame policière un peu plus charnue et soignée, on aurait pu s'y intéresser.

Vie familiale. A l'école de Saint-Laurent, signature d'un P.A.I. ("Projet d'Accueil Individualisé") pour Lucie avec la directrice et le médecin scolaire. A l'heure où tous les bambins vont à l'école avec un lecteur MP3, elle aura le droit de s'y rendre avec son lecteur de glycémie.

Courriel. Deux demandes d'abonnement aux notules.

TV. Chirac (documentaire de Patrick Rotman, France, 2006, première partie : "Le jeune loup"; diffusé le soir même sur France 2).

MARDI.
Courriel. Deux demandes d'abonnement aux notules, dont une "à l'essai". Ce n'est pas la première fois que je remarque une certaine réticence, chez d'éventuels abonnés, à s'empêtrer dans un lien dont on peut légitimement se demander s'il ne va pas devenir aussi collant que le célèbre sparadrap du capitaine Haddock. Qu'on soit ici rassuré : on n'est pas chez France Loisirs et le notulien peut être dénotulisé à la seconde où il en émet le désir. Ma crainte d'encombrer mes contemporains est d'ailleurs telle que je vais jusqu'à envoyer une fois l'an un appel à désabonnement et que je suis presque soulagé quand celui-ci est entendu (dans des proportions raisonnables bien sûr). Je pourrais très bien me passer de cette formule d'abonnement, après tout, le site des notules existe, il est assez souvent mentionné pour être visité régulièrement. Je pourrais aussi faire une liste de diffusion, confier la chose à un robot infaillible. Mais je tiens à cette formule artisanale de l'envoi par courriel, à mes livraisons du dimanche, quarante notuliens par paquet, même s'il y en a qui se perdent en route. La procédure est imparfaite, archaïque, mais elle a pour moi le mérite de créer un lien personnel : le notulien est un être responsable, il est entré en notulie de son plein gré, s'il veut réagir il ne le fait pas sous pseudonyme dans une rubrique du site mais s'adresse à moi directement. Je tiens avant tout et fermement à différencier les notules des blogs, les notules existaient avant les blogs et sont une forme différente d'expression, plus intimiste, plus personnelle dans la relation avec les lecteurs.

TV. Chirac (documentaire de Patrick Rotman, France, 2006, seconde partie : "Le vieux lion"; diffusé le soir même sur France 2).
Malgré les trompettes entonnées par les gazettes ("premier documentaire diffusé sur un président encore en exercice", "portrait sans concession", etc.) il faut bien dire que ce travail n'apporte rien de neuf à ce qu'on sait de Jacques Chirac si on est assez âgé pour avoir vécu les temps pompidoliens et si on s'intéresse depuis à la vie politique. Ce qui est remarquable, par défaut si l'on peut dire, c'est que justement la politique dans son sens premier, la conduite d'une communauté selon un certain projet de société, est totalement absente de ce documentaire. Il n'y est question que de luttes d'influence, de rivalités, d'élimination de tel ou tel adversaire pour la conquête de tel ou tel siège du pouvoir, d'ambition, surtout d'ambition. Ce qui a le mérite de poser clairement la question du vote : voter pour quelqu'un, et à quelque échelon que ce soit, ce n'est pas tant voter pour le choix de société qu'il incarne et défend qu'accepter de se mettre au service d'une ambition. Reste à savoir, et c'est là le point le plus important, si l'on accepte par le simple geste de mettre un bulletin dans l'urne de se mettre au service de l'ambition de X ou Y, de la cautionner, de l'appuyer. Ça peut valoir la peine, je n'ai jamais regretté, malgré tout ce qui a pu lui être reproché, d'avoir servi aussi petitement que ce soit l'ambition d'un Mitterrand. A l'heure actuelle, les ambitieux qui se déchirent en vue des scrutins futurs inciteraient plutôt à voter pour quelqu'un dont l'ambition n'a aucune chance de se réaliser.
Perle. On retiendra la dernière phrase du commentaire : "A l'aube du crépuscule, l'homme [i.e. Jacques Chirac] s'est-il enfin trouvé ?"

MERCREDI.
Vacances. Nous devons la mort dans l'âme décliner l'invitation de J. et renoncer au séjour habituel en Lozère. Caroline ne peut se libérer et il faut bien admettre que notre nouvelle situation nous rend socialement peu transportables.

Emplettes. J'achète des billets de train, une gravure, deux chaussures, un gros dictionnaire consacré à Proust, un polar, La Bruyère en petit classique à des fins scolaires, un dictionnaire de jeux de mots pour briller dans une société que je ne fréquente plus et, poussé par les circonstances, un livre contenant "120 recettes pour diabétiques" : c'était hier l'anniversaire d'Alice et les facéties pâtissières autorisées se limitant désormais au gâteau de courgettes et au cake aux olives, la cérémonie des bougies manquait un peu de saveur.

TV. Les Parrains (Frédéric Forestier, France, 2005 avec Gérard Lanvin, Jacques Villeret, Gérard Darmon, Pascal Reneric; diffusé ce mois sur Canal +).
Sur son lit de mort, Max demande à ses trois anciens complices de s'occuper de son fils s'ils veulent s'approprier le magot du casse qu'ils ont commis ensemble il y a vingt ans.
On a cru que c'était Les Âmes grises, puis L'Antidote, mais on se trompait, il en restait un. C'est sur ces Parrains que Jacques Villeret a tiré sa révérence et là, le doute n'est pas permis tant il semble peu en forme dans cette histoire qui reprend vaguement le schéma des Tontons flingueurs. La dernière scène, sinistre prémonition, se déroule d'ailleurs au cimetière Montparnasse. C'est tout ce qu'il y a de notable sur ce film qui, privé de son meilleur atout, n'est plus qu'une succession poussive de rebondissements et de scènes prévisibles.

JEUDI.
Courrier. J'envoie une demande d'adhésion à l'association A.J.D. (Aide aux jeunes Diabétiques).

Lecture. La Gazette fortéenne Vol. 2, 2003, Éditions de l'Oeil du Sphinx; 402 p., 33 €).
Les disciples de Charles Fort, qui se consacrent à la traque et à l'interprétation du paranormal sous toutes ses formes, continuent à faire preuve d'une belle santé éditoriale avec cette revue, un solide volume agréablement illustré et soigné dans tous les domaines sauf celui des coquilles. Au fil des pages, on s'interroge, "Homo erectus, notre ancêtre présumé était-il un homme marin ?", on apprend que le Loch Ness n'est pas la seule mare aux canards à abriter un monstre lacustre, on revient brièvement sur la mystérieuse Bête des Vosges (300 moutons au compteur tout de même entre février et novembre 1977), on retrouve quelques sujets chers aux Fortéens (mutilations de bétail, ovni), on fait la connaissance des petits êtres d'Argentine ("Marisol Diaz, 10 ans, était seule chez elle lorsqu'elle vit 4 ou 5 petits êtres dans la cuisine. Les petits humanoïdes aux gros yeux portaient des vêtements blancs ressemblant à du plastique. Il y avait des êtres masculins et féminins. Deux êtres hauts de 1m20 paraissaient être les chefs du groupe. Les autres mesuraient environ un mètre. Un point curieux était que les vêtements des êtres changeaient de couleur selon l'endroit où ils se trouvaient, etc."), on voit de drôles de choses en observant la lune mais "les rayonnements bleutés mentionnés à répétition par J.C. Bartlett, dans les années 50, ne sont pas étrangers, indubitablement, au daltonisme de l'observateur" (!), on sait comment se comporter en cas de "rencontres avec des fantômes dans un contexte global" ("un cas amusant mais instructif est celui d'un Américain faisant de l'escalade en solitaire dans l'Himalaya et qui vit se tenir devant lui le barman du 'Club 21' à New York, mort cinq ans auparavant", sans doute un saint-bernard) et on se rend compte de la faiblesse de nos moyens ("Il est assez facile de constater que cinq sens ne sont manifestement PAS SUFFISANTS pour rendre compte du champ énorme des possibilités sensorielles dont est capable l'espèce humaine, alors que dix-sept sens est probablement un nombre plus exact, avec encore d'autres à découvrir très probablement"). Les études les plus littéraires sont consacrées à une mystérieuse "Société du Vril" imaginée par un romancier anglais, Bulwer-Lytton (l'auteur des Derniers jours de Pompéi), qui donna lieu à une flopée d'élucubrations sur une éventuelle race future dans laquelle s'illustra Louis Pauwels et, pour les amateurs d'affaires policières, à un retour documenté et solide sur l'histoire de Jack l'Eventreur qui met à mal bon nombre de théories fumeuses. En tout cas, une chose est sûre : avec les Fortéens, on ne s'ennuie jamais, il suffit de sortir sur son perron et d'ouvrir les yeux pour se retrouver au coeur du mystère.

TV. Desperate Housewives (série américaine de Mark Cherry, 2005, avec Teri Hatcher, Marcia Cross, Felicity Huffman, Eva Longoria, Alfred Woodard, Nicolette Sheridan, James Denton; saison 2, épisodes 15 & 16, diffusés le soir même sur Canal +).

VENDREDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

Football. SA Epinal - Vesoul 2 - 0.
C'est le retour aux horaires d'hiver à la Colombière avec coup d'envoi à dix-huit heures, ce qui me permet de rentrer at home à une heure chrétienne et de libérer Caroline. Celle-ci va nous représenter à l'anniversaire d'un type que je n'ai jamais vu et qui fait dans la chirurgie. Avec les piqûres à faire et la surveillance à assurer, on ne peut plus expatrier ou faire garder les filles aussi facilement qu'avant et je suis consigné. La maladie de Lucie peut parfois apparaître comme une bénédiction.

Bon dimanche.