Notules
dominicales de villégiature exotique n°71 - 11 août 2002
SAMEDI
1.
Transport. Comme environ 65% de la
population française aujourd'hui, nous prenons la route. Heureusement,
notre destination n'est pas des plus recherchées et nous pouvons
compter sur une relative quiétude. Tout se passe bien jusqu'au
moment où, arrivés aux environs de Paris, je rate je ne
sais quel embranchement, ce qui me permet de faire mon baptême du
périphérique. Comme s'il ne faisait pas déjà
assez chaud. Je prends le sud au lieu du nord désiré mais
parviens à maintenir ma carrosserie et nos carcasses indemnes.
Tout à mon euphorie, je rate la sortie pour Rouen, qui surgit juste
après le tunnel qui passe sous le Parc des Princes. Nous voilà
partis pour une excursion dans la banlieue ouest, Neuilly, Courbevoie,
Chatou, Le Vésinet et ses belles bâtisses, Le Pecq, Saint-Germain-en-Laye,
Chambourcy, avant de retrouver l'autoroute. Le tout sous un soleil de
plomb. Nous longeons la Seine, passons Mantes et sortons aux Andelys où
une banderole annonce une "Foire à tout", ce qui a le
mérite de combattre la spécialisation outrancière
(en fait, c'est la façon d'appeler ici les calamités poussiéreuses
que sont les vide-grenier). Nous trouvons l'Andelle et la suivons jusqu'à
notre lieu de villégiature, 6, rue de la Forêt, 27910 PERRIERS-SUR-ANDELLE,
une localité située à l'extrémité nord-est
du V que forme le département de l'Eure, beaucoup plus proche de
Rouen que du chef-lieu Évreux. L'environnement est parfait, le
gîte est un ancien moulin coincé entre un canal et l'Andelle.
Nos voisins immédiats : des vaches (enfin, des vaches sans pis,
donc des génisses, des bouvillons, des broutards, que sais-je ?)
et l'âne du propriétaire, Charlot (l'homme est probablement
un gaulliste facétieux) qui sera le premier amour de vacances de
nos filles.
Je tente un premier coup de pêche dans l'Andelle et dans le canal
mais c'est très branchu, il faut traquer la truite et c'est une
pêche trop sportive pour moi. La réception de France Musiques
et de France Culture est bonne, le lit correct. Vacances.
DIMANCHE 1.
Farniente. Il fait chaud. Je me laisse
happer par le charme de La montagne magique de Thomas Mann, dont
l'action se déroule dans un sanatorium de Davos, seul endroit où
je trouve un peu de fraîcheur. Nous partons à la découverte
du bourg de Perriers qui abrite tout ce qu'il faut pour subsister, boulangerie,
boucherie, marchand de journaux, petite surface, tabac, cafés et
luxe suprême, un PMU. C'est la fête au village. Attiré
par les flonflons des fanfares, j'emmène Lucie sur le champ de
foire. C'est un mélange de fête foraine et de vide-grenier,
foire à tout donc. Nous déambulons sans nous attarder entre
les odeurs d'huile rance et les rossignols ébréchés.
Est-ce parce que nous sommes plus proches de l'Amérique ?
Nous croisons beaucoup de familles d'obèses.
LUNDI 1.
Flaubert. Première sortie en
auto, une quinzaine de kilomètres à travers la Forêt
de Lyons pour atteindre justement Lyons-la-Forêt. Un petit bourg,
normand en diable, qui a l'air de ne pas avoir changé d'aspect
au cours des siècles avec, au centre, des halles qui servirent
de cadre à la scène des comices dans les Madame Bovary de
Jean Renoir et de Claude Chabrol. Nous nous renseignons sur les horaires
de la piscine (découverte, ce qui fait qu'on n'y mettra pas les
pieds) et allons nous ravitailler aux Andelys. Les journaux pour lesquels
j'ai souscrit un abonnement nous parviennent.
MARDI 1.
Économie. Bonne nouvelle pour
le budget familial, le PMU ferme aujourd'hui pour congés annuels.
Excursion. Nous nous aventurons à
l'extérieur de la Forêt de Lyons, ce qui est à proscrire
: partout, de grandes exploitations agricoles sur lesquelles travaillent
des machines gigantesques, des usines pestilentielles d'aliments pour
bétail, rien à voir avec la Normandie bocagère des
cartes postales (d'ailleurs, on n'en vend pas) : c'est le Vexin normand,
industriel et intensivement agricole. La brique est partout : maisons,
murs de clôture, mairies, églises, on se croirait à
Orchies.
MERCREDI 1.
Météo. La pluie et le
froid arrivent et ne nous lâcheront plus qu'occasionnellement jusqu'à
la fin du séjour. Les rites s'installent : la partie de foot avant
le coucher, les carottes apportées à Charlot, l'immanquable
bredouille de la partie de pêche, la lecture de Paris Normandie,
l'écoute religieuse de l'épisode de La montagne magique
enregistré pendant la nuit, Thomas Mann, le cahier de vacances,
la biographie de Tati par David Bellos, la relecture du Voyage
de Céline, la conversation d'Alice qui s'enrichit de nouveaux vocables
monosyllabiques chaque jour, le regard impassible de nos voisins bovidés.
Excursion. Une douzaine de kilomètres
jusqu'à l'abbaye de Mortemer, vestiges du 12° siècle.
Nous prenons des tickets pour le parc où on peut voir des daims,
des oies... comme au parc du Château à Epinal. C'est souvent
comme ça les vacances : c'est comme chez soi, sauf qu'on paye et
qu'on ne sait pas faire marcher le chauffage. Nous bénéficions
tout de même d'une longue ballade en petit train tiré par
un tracteur. Au retour, traversée d'un village au nom charmant,
Veaumichon. J'imagine les slogans du maire en campagne électorale :
"Pour le développement et le redressement de Veaumichon".
Ravitaillement au magasin Champion de Charleval.
Devant nous, à la caisse, une vieille avec un chariot rempli jusqu'à
la gueule de litres de vin. Elle diffuse une odeur de distillerie incroyable.
On n'est pas à Vichy : aux caisses, les bonbons "Croibleu",
ceux qui sont censés tromper les éthylomètres, sont
vendus par sacs de 3 kilos.
JEUDI 1.
Emplettes. Caroline passe le journée
à magasiner à Rouen. Je reste à Davos.
VENDREDI 1.
Perec. Nous partons de l'autre côté
de la Seine, en reconnaissance pour un plan d'eau au cas où le
temps se remettrait au beau. Les bâtiments publics portent le nom
des gloires locales : gymnase Jacques Anquetil, collège Maupassant.
Nous trouvons l'endroit,
près de Poses : il faut payer 6 euros rien que pour parquer son
auto. Autant aller à la piscine de Lyons s'ils lui construisent
un toit dans les 8 jours qui viennent. Au retour, un point sur la carte
attire mon attention : Andé. Serait-ce l'Andé du Moulin
d'Andé ? Nous nous détournons, trouvons le village,
minuscule et sans intérêt, longeons la Seine et c'est bien
là : un moulin massif, du 12° siècle lui aussi,
sur le fleuve, où Perec résida à la fin des années
60 (c'était alors une sorte de kibboutz culturel, dirigé
par Suzanne Lipinska dont il était amoureux, où se tenaient
nombre de réunions de l'Oulipo) et où il écrivit
notamment La disparition. J'y avais été invité
en février 1999 pour l'avant-première de la soirée
Théma consacrée à Perec par Arte. Aujourd'hui, on
y donne des concerts et des pièces de théâtre. Bien
entendu, l'appareil photo est resté à Perriers mais cette
découverte fortuite illumine ma journée.
SAMEDI 2.
Flaubert (suite). Nous partons pour
Rouen sous une pluie torrentielle. Nouvelle illumination géographico-littéraire
en chemin.
Une pancarte annonce une localité du nom de Ry. Ne serait-ce pas
le village qui a servi de modèle à Flaubert pour le Yonville
de Madame Bovary ? Un coup d'œil dans les guides : c'est. A
voir plus tard. En attendant, pendant que les égouts rouennais
vomissent l'eau qu'ils ne
peuvent plus absorber, nous grignotons des croque-monsieur au Magistrat
(l'occasion de se rappeler que Flaubert étudia le droit), à
l'angle improbable de l'esplanade Marcel-Duchamp et de l'avenue Jean-Lecanuet.
Je me trouve étrangement détendu, ce qui m'inquiète
un moment (paradoxe que je retrouve dans La montagne magique où
Hans Castorp "s'habitue à ne pas s'habituer" à
la vie à Davos) mais les choses ne tarderont pas à rentrer
dans la norme. Je visite le Musée des Beaux-Arts avec Lucie. Un
musée très (trop ?) copieux, un spectre très vaste
de l'histoire de l'art. On part du Pérugin (16°) pour finir
justement avec Marcel Duchamp. Il y a des représentants de chaque
pays, de chaque école, des grands noms, mais, c'est un charme de
l'endroit, en petite quantité : deux Véronèse, un
Quentin Metsys, un Caravage, deux Poussin, un Boudin, un Caillebotte,
un Delacroix, un Géricault, deux Modigliani, un Derain... Seuls
sont en plus grand nombre Sisley, Monet bien sûr dont on trouve
tout de même un Portail de la cathédrale de Rouen et, plus
surprenant, Blanche
qui, renseignement pris, est originaire du coin. A l'autre bout de la
ville, nous trouvons l'Hôtel-Dieu où exerçait le docteur
Flaubert et qui sert aujourd'hui de siège à la Préfecture.
On y trouve un Musée Gustave Flaubert et d'Histoire de la Médecine.
Tatave ne fait pas recette,
ce dont je ne saurais me plaindre : nous sommes seuls dans la bâtisse
comme nous étions seuls, en août 1995 à visiter Caroline
et moi son pavillon de Croisset. Concernant Gustave, c'est assez vite
fait : on trouve la chambre où il est né, le perroquet,
un pot à tabac, deux
lettres manuscrites, une E. O. de Madame Bovary mais le côté
médical est assez intéressant et surprenant : un lit d'hôpital
à 6 places, des instruments de chirurgie primitive comme on peut
en voir aux Hospices de Beaune, une pharmacie...
DIMANCHE 2.
Drôles de mœurs. Vu sur une
boîte à lettres de Perriers : "Mrs et Mme Lemercier".
Climat. J'essaie d'allumer du feu
dans la cheminée. La famille échappe de peu à l'asphyxie
générale.
LUNDI 2.
Courrier. J'entame la rédaction
des cartes postales.
Flaubert (suite et fin). Nous arrivons
à Ry sous la pluie. Visite de la galerie Bovary, un musée
d'automates qui plaît aux filles. Au rez-de-chaussée, on
trouve des scènes du roman reconstituées et des documents
sur l'affaire Delamare qui eut lieu à Ry et inspira Gustave. Le
village lui-même semble sorti du roman : un village-rue, des
maisons normandes qui suintent l'ennui par-delà les années.
Sûr qu'il y a encore des Bovary qui se languissent derrière
ces façades. Le restaurant s'appelle Le Bovary, le café-tabac
Le Flaubert, la mercerie (à l'emplacement de l'ancienne
pharmacie Jouanne, modèle de celle de M. Homais) Emma, le
commerce de comestibles Au marché d'Emma. Le coiffeur est
encore un barbier et propose "brûlages et frictions".
MARDI 2.
Mauvaise idée. Nous passons
la majeure partie de la journée dans l'auto. Comme il ne fait pas
beau, je me suis mis en tête d'aller jusqu'à Illiers-Combray,
de substituer Proust à Flaubert. C'est loin, trop loin, la route
est moche (Évreux, Dreux, Ivry-la-Bataille...).
On est en pleine Beauce, plate comme ma main, pas étonnant qu'il
ait fait des tartines sur le clochers, on les voit de loin. Aujourd'hui,
il ferait pareil avec les silos. Le village est peu attrayant, des madeleines
sont exposées sans conviction dans la vitrine de la boulangerie.
Je
passe deux fois à l'Office du Tourisme, une fois pour y prendre
des prospectus, une fois pour récupérer l'appareil photo
oublié sur les marches de l'église. Fort de ma qualité
de membre de la Société des Amis de Marcel Proust et des
Amis de Combray, je me propose de visiter sans bourse délier la
maison de tante Léonie. Quand j'arrive, la visite est partie depuis
35 minutes. La prochaine a lieu dans plus d'une heure, ce sera trop long
pour la patience des filles. Déception, regret d'avoir embarqué
mon monde - qui est d'ailleurs d'humeur charmante, comme s'il était
tout naturel de suivre sans récriminer les lubies d'un hurluberlu
prêt à vous embarquer à l'autre bout de la France
pour se recueillir devant des tas de cailloux qui n'ont d'autre mérite
que d'avoir été un jour caressés du regard par un
quelconque gâte-papier asthmatique - dans cette galère. Je
me console avec quelques cartes postales et quelques pas dans l'église
Saint-Jacques, Saint-Hilaire dans le roman, où il n'y a plus d'aubépines
depuis longtemps. J'achète L'Écho Républicain qui
titre sur cinq colonnes "En a-t-on fini avec ce temps pourri ?"
Bonne question. Au retour, nous traversons Chartres pour jeter un œil
sur la cathédrale.
MERCREDI 2.
Météo. Belle journée.
La pluie n'arrive qu'à 19 heures. Lucie entame un élevage
d'escargots.
Presse. Dans Paris Normandie un article
sur l'audience du tribunal correctionnel d'Évreux consacrée
aux affaires de conduite en état alcoolique. La chose ne m'aurait
pas attiré l'œil si la séance n'avait été
présidée par la juge Mariette Vinas.
Lecture. La montagne magique
(Der Zauberberg, Thomas Mann, chez S. Fischer, 1924, Librairie
Arthème Fayard 1961 pour la traduction française, traduit
de l'allemand par Maurice Betz).
Le jeune Hans Castorp arrive au sanatorium de Davos pour tenir compagnie
à son cousin Joachim Ziemssen. Son séjour, prévu
pour durer trois semaines, va se prolonger après que le Dr Behrens,
en charge de l'établissement, eut détecté une tache
suspecte sur un de ses poumons.
Si le temps maussade de ces vacances normandes, apte à provoquer
la renaissance de la tuberculose, ne m'a pas trop pesé, c'est en
grande partie à Thomas Mann que je le dois. J'ai passé en
effet la majeure partie de ce séjour au Berghof, dans les Alpes
suisses, en compagnie de Castorp, Ziemssen, Behrens, Settembrini, Naphta,
Peeperkorn, Krokovski et de la belle et énigmatique Madame Chauchat.
Il est parfois réconfortant de voir que des livres d'aspect rébarbatif
(800 pages à l'écriture serrée) considérés
comme des chefs-d'œuvre sont autre chose que des pensums.
Dire que La montagne magique est passionnant de bout en bout serait
toutefois exagéré. Il contient de longs chapitres de dialogue
entre Castorp, Settembrini et Naphta qui sont pesants : Settembrini
est un franc-maçon humaniste internationaliste, Naphta un jésuite
et leurs visions du monde antagonistes donnent lieu à des exposés
philosophiques, politiques et métaphysiques qui rappellent L'homme
sans qualités de Robert Musil. Mais dès qu'on a mis
les pieds au Berghof en compagnie de Hans Castorp, on est happé
par l'ambiance proprement surnaturelle de l'endroit et, comme Castorp
lui-même, on ne peut se résigner à la quitter. Ce
monde à part, gouverné par la maladie et la mort ("nous
vivons horizontalement, nous sommes des horizontaux", dit Settembrini)
n'apparaît pas comme un lieu sinistre, mais comme un monde hors
du temps. L'échantillon qui l'habite est représentatif de
l'humanité entière. Cette communauté du Berghof peut
aussi apparaître comme une projection de l'Allemagne du début
du 20° siècle, une Allemagne malade mais ignorante de son état,
grisée par l'air des cimes, inconsciente des problèmes du
monde "d'en bas" et rongée par des cancers (dont
l'antisémitisme qui apparaît dans les derniers chapitres).
On peut aussi voir le livre comme une des dernières œuvres romantiques,
Castorp et Ziemssen, l'un par par son amour impossible pour Madame Chauchat,
l'autre par son rêve de grandeur militaire et sa destinée
tragique sont des héros romantiques.
Des héros dont Thomas Mann se moque parfois mais, grâce à
son ingénuité, sa spontanéité, son désir
d'apprendre, Hans Castorp finit par être un personnage positif.
Au sanatorium, le monde réel est comme mis entre parenthèses,
mais il réapparaît à la fin du roman avec l'irruption,
à la manière d'un coup de tonnerre, du premier conflit mondial.
Les personnages et le lecteur sortent alors de leur torpeur ouatée,
abandonnent leurs réflexions sur le Temps, la Mort, la Vie, l'Amour
et replongent avec effroi dans la réalité.
Citation. "Mme Stoehr, je crois que vous la connaissez, d'une ignorance
meurtrière, il faut l'avouer, et quelquefois on ne sait pas trop
où regarder lorsqu'elle bavarde. C'est si bizarre - sotte et malade
- je ne sais pas si je m'exprime exactement, mais cela me semble tout
à fait singulier lorsque quelqu'un est bête et encore malade,
lorsque ces deux choses sont réunies, c'est bien ce qu'il y a de
plus attristant au monde. On ne sait absolument pas quelle tête
on doit faire, car à un malade on voudrait témoigner du
respect et du sérieux, n'est-ce pas ? La maladie est en quelque
sorte une chose de respectable, si je puis ainsi dire. Mais lorsque la
bêtise s'en mêle (...) on ne sait vraiment plus si l'on doit
rire ou pleurer, c'est un dilemme pour le sentiment humain, et plus lamentable
que je ne saurais dire. J'entends que cela ne s'accorde pas, on n'a pas
l'habitude de se représenter cela réuni. On pense qu'un
homme sot doit être bien portant et ordinaire, et que la maladie
doit rendre l'homme fin et intelligent et personnel. C'est ainsi que l'on
se représente d'habitude les choses. N'est-ce pas votre avis ? "
Curiosité. On trouve page 132 cette phrase étrange : "
il dit bonsoir à son cousin vers neuf heures, tira l'édredon
jusque sous son manteau et s'endormit, comme assommé." Sous
son manteau ? Sous son menton, je suppose. A vérifier dans
le texte original, à moins qu'il ne s'agisse d'un mystère
du calibre des célèbres "vertèbres" qu'on
aperçoit, chez Proust, sous le crâne de tante Léonie.
JEUDI 2.
Excursion. Nous passons la journée
à Dieppe où nous échappons à la pluie. Du
vent, des nuages dans un ciel digne de Boudin, le voisin havrais, mais
pas de pluie. Dans la ville, beaucoup de drapeaux canadiens, et même
un québécois, en mémoire de l'opération
Jubilee dont on va sans doute célébrer avec faste le soixantième
anniversaire. Sur le kilomètre de plage que l'on découvre
à l'œil nu, une centaine de personnes à tout casser. Dans
l'eau, deux baigneurs, dont un en combinaison. Au ressac, les cailloux
remués font un bruit de dents qui s'entrechoquent. Nous croûtons
des crêpes sur le front de mer. Nous faisons un tour dans la ville,
d'abord austère mais pas dépourvue de charme. Un peu comme
moi, quoi. Les filles s'amusent sur une aire de jeux au milieu d'une forte
densité de Dylan, Kevin, Brandon et Sullivan, ce qui n'est pas
dû qu'à la proximité des côtes anglaises.
Hantise. Le séjour touche à
sa fin. La rentrée des classes est encore loin et déjà
les figures de G. et P. viennent meubler mes nuits. Je me retrouve devant
une TV blafarde à 3 heures du matin, à fumer, à boire
du lait et à lire Paul Auster en regardant les images sans son
d'un documentaire sur Winston Churchill.
VENDREDI 2.
TV. Comme les jours précédents,
je passe un bon moment à regarder les épreuves des championnats
d'Europe d'athlétisme qui se déroulent à Munich.
Il y fait mauvais. Mais qui aurait l'idée d'aller passer des vacances
à Munich ? J'ai dormi une nuit au camping de Munich en août
1994. Il pleuvait déjà.
SAMEDI 3.
Voyage. Après les adieux à
Charlot, nous décollons vers 11 heures. Malgré une prudence
accrue par les déboires de l'aller, la traversée de la région
parisienne s'avère problématique : la sortie de l'autoroute
qui devait nous permettre de nous en tirer sans encombres est fermée
pour travaux. Nous sommes bons pour une nouvelle visite touristique de
la banlieue : Boulogne-Billancourt (c'est la première fois
que je vois l'île Seguin et la forteresse Renault, en état
de décomposition avancée), Issy-les-Moulineaux, Clamart,
Châtenay-Malabry, Antony... Le pire est à venir : une heure
trente d'arrêt dans les hangars à nippes de la banlieue troyenne
pour habiller les filles pour l'hiver.
Caroline tient là sa revanche d'Illiers-Combray. Je fais longuement
la gueule. On repart. Les voies sont encombrées de Bataves, qui
choisissent toujours cette saison pour venir mourir écrasés
par leurs caravanes sur nos autoroutes. La maison et la pharmacie sont
en ordre. Peu de choses au courrier, une carte de S. qui est à
Hyères, un mot de P.H., un coffret de 4 CD "American Roots
Music". Je prends connaissance des messages internet, Y. est de retour
au turf et a mis le site des notules à jour, F. me parle de Guédiguian
et de Benacquista. J.-C.F. m'a déposé un colis de 7 Série
Noire cartonnés. Je commence à prendre connaissance de la
presse locale.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°72 - 18 août 2002
DIMANCHE.
Remise en route. La journée
est consacrée au rangement, à la lecture des journaux en
retard, au recopiage des notes prises pour mon Atlas et mes Propos. Le
temps est le même que dans l'Eure, pas de choc thermique à
redouter. Il pleut, mais déjà il me semble que la pluie
normande était moins humide.
TV. Ma nuit chez Maud (Eric
Rohmer, France, 1969 avec Jean-Louis Trintignant, Françoise Fabian,
Antoine Vitez, Marie-Christine Barrault).
Jean-Louis est ingénieur chez Michelin à Clermont-Ferrand.
Catholique pratiquant, c'est à la messe qu'il remarque une jolie
blonde, Françoise. Un camarade de lycée, Vidal, lui fait
rencontrer Maud, une divorcée. Jean-Louis passe la nuit chez Maud
à parler du pari de Pascal (né à Clermont-Ferrand),
qui joue l'existence de Dieu à pile ou face (à croix ou
pile, à l'époque) : "Pesons le gain et la perte, en
prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez,
vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il
est, sans hésiter." Mais ce serait mal connaître Rohmer
que le croire prêt à nous embarquer dans la stricte théologie.
Il applique le pari de Pascal à l'amour : il suffit de croire que
l'on rencontrera un jour l'être apte à partager son amour
pour que cet être existe et survienne. C'est ce qui arrive à
Jean-Louis au sujet de sa rencontre avec Françoise, avec qui il
finit par se marier. Mais pour conquérir Françoise, il doit
abandonner Maud et on trouve ici le thème rohmérien de l'homme
qui a à choisir entre deux femmes (comme Luchini dans Les Nuits
de la pleine lune).
Comme d'habitude face à un film de Rohmer, on s'apprête à
s'ennuyer ferme et on est pris par le charme des dialogues et des situations.
LUNDI.
Presse. Beau fait divers trouvé
dans La Liberté de l'Est : "HADOL. - Les conditions climatiques
ne permettant pas de faire un traditionnel barbecue avec ses invités,
Gilles Courtois gagagiste à Grandfaing décide, samedi soir,
de cuire ses brochettes dans sa cheminée à l'âtre.
Après une petite heure de fonctionnement à feu réduit,
la cheminée a explosé et le manteau, les poutres et le décor
ont été propulsés à travers la salle à
manger, détruisant tout sur leur passage. Fort heureusement personne
n'a été atteint par ces projectiles bien que le fils de
Gilles Courtois ait été à proximité. Les causes
exactes de la déflagration étaient encore mystérieuses
pour les sapeurs-pompiers présents, mais les dégâts
sont d'importance. Un rayon de soleil, ce qui n'aurait pas été
une surprise en ce mois d'août, et un accident qui aurait pu se
transformer en tragédie aurait été évité."
Cinéma. Ghost World
(Terry Zwigoff, USA, 2001 avec Thora Birch, Steve Buscemi, Scarlett Johansson,
Illeana Douglas).
Enid et Rebecca en ont terminé avec le lycée mais ne sont
pas encore fixées sur ce qu'elles veulent faire, à part
prendre un appartement ensemble. Elles veulent profiter de l'été
pour changer de vie et s'éloigner des autres lycéens mais
leurs motivations divergent et la rupture est annoncée.
La première chose remarquable à propos de Terry Zwigoff,
c'est qu'il s'installe à la dernière place de la liste des
réalisateurs dans les 861 Films vus que j'ai pour l'instant transférés
de mes répertoires papier à mon fichier informatique. Il
n'a plus rien à craindre d'Andrzej Zulawski ou d'Erik Zoncca, encore
moins de Fred Zinnemann ou de Claude Zidi et sa position ne peut être
menacée que par le passage derrière la caméra d'Elsa
Zylberstein ou l'hypothétique
irruption d'un obscur Polonais bien pourvu en z, y et w, prénommé
Zbigniew de surcroît.
A part ça, il y a tout de même un film, et c'est la deuxième
chose remarquable. Une chronique adolescente drôle, cruelle, touchante,
qui étonne par sa justesse. Enid et Rebecca vivent une période
de rejet tout à fait classique vis à vis de leur entourage
(famille, amis, ville), cherchent à sortir du moule mais ça
ne se fait pas sans difficulté : Rebecca (Scarlett Johansson,
la fille de Kristin Scott Thomas dans L'Homme qui murmurait à
l'oreille des chevaux) s'accommode finalement assez bien de la réalité,
travaille dans un fast food, rêve d'un intérieur douillet,
alors qu'Enid est plus rebelle et finira par quitter la ville. Dans son
parcours, Enid rencontre Seymour, un homme mûr qui fait d'abord
l'objet d'un méchant canular de la part des deux filles et qui
finit par devenir son ami et même plus. Seymour est totalement hors
du temps : il collectionne les 78-tours, s'habille et se coiffe sans recherche,
ne sait pas danser, hait le sport et la voix des animateurs radio, ne
connaît du cinéma que les films de Laurel et Hardy et avoue
détester 99% de l'humanité. Un repoussoir total, promis
à une solitude certaine et qui finit par se trouver avec deux femmes
en même temps.
Les personnages sont tirés d'une bande dessinée et c'est
vrai que l'on croit entendre les pages tourner d'une séquence à
l'autre. Ça donne quelques personnages un peu caricaturaux (la
prof de dessin interprétée par Illeana Douglas) mais aussi
quelques sketches savoureux comme celui où le vendeur d'un magasin
de vidéo (Patrick Fischler, déjà vu dans Mulholland
Drive) veut absolument fourguer une cassette de Neuf semaines et
demie au client cinéphile qui lui réclame le Huit
et demi de Fellini.
MARDI.
Courrier. Carte postale de N. qui
est restée à Nancy.
Jardin. Le beau temps est revenu,
ce qui autorise une inspection de mes terres. Les tomates, pour la première
fois, ont échappé au mildiou, les aubergines sont de belle
taille, les choux-fleurs plantés en juillet se révèlent
être des brocolis mais c'est tout aussi comestible. Je m'attelle
à la confection de la première ratatouille. Lucie sait faire
de la balançoire
sans besoin de se faire pousser, ce qui est un soulagement incommensurable.
L'herbe est haute. La tondeuse refuse de démarrer. Dans l'heure,
mon voisin immédiat me prête un engin tondeur-débrousailleur
dans le genre d'Attila que j'ai un peu de mal à maîtriser
dans un premier temps (un groseiller à fleurs en fera les frais)
mais qui remplit son office. Je m'aperçois de la chance que j'ai
d'être entouré, dans un périmètre d'une vingtaine
de mètres, de voisins qui exercent leur profession dans des domaines
où j'ai encore moins de compétences que dans ceux où
j'enseigne mais dans lesquels je peux avoir (et j'ai déjà
eu) un besoin urgent : un réparateur de tondeuses, donc, un garagiste,
un électricien - réparateur TV. Le quartier manque un peu
de plombier mais c'est déjà ça. Sans compter la pharmacie
qui se trouve sous mes pieds et qui peut être utile si me prend
un jour l'envie saugrenue de me lancer dans une des activités maîtrisées
par ces si précieux voisins. En retour, je dois dire que si quelqu'un
de l'entourage a un jour besoin d'un dictionnaire provençal - français
en deux volumes et 2361 pages, du Petit Livre Rouge de Mao en langue
anglaise, d'une carte d'état-major du Lac Kipawa (Québec),
de l'enregistrement d'un discours de Léon Blum de 1929, de l'intégrale
en 10 CD des chansons de Bourvil, d'un 45-tours de Valéry Giscard
d'Estaing ou d'une vidéo des As d'Oxford avec Laurel et
Hardy, je suis prêt à dépanner immédiatement.
Bien sûr, il y aurait peut-être une analyse des besoins à
effectuer car jusqu'à maintenant la demande n'a pas été
trop forte mais on ne sait jamais.
Musique. Comme Thora Birch dans Ghost
World, j'écoute en boucle le Devil Got my Woman par Skip
James (1931).
Cinéma. Irène (Ivan
Calbérac, France, 2002 avec Cécile de France, Benoît
Putzulu, Olivier Sitruk, Estelle Larrivaz, Patrick Chesnais).
Irène fait le désespoir de ses parents : à trente
ans, elle n'a toujours pas trouvé de fiancé à leur
présenter. Elle n'a pas de chance, Irène : elle casse tout
ce qu'elle touche, rate toutes les occasions sentimentales qui se présentent
et se retrouve foncièrement malheureuse. Au travail, elle a bien
remarqué le beau Luca qui la mène en bateau et s'avère
être un détraqué incapable de faire l'amour autrement
que par internet (!). Mais pendant qu'elle court après Luca, elle
néglige sa vraie chance : François, le peintre qui vient
chaque jour travailler dans son appartement. Parce que François,
c'est un bon gars, c'est même LE bon gars (Putzulu) : épaules
carrées, bon sens, nourri au boulgour et au lait de soja, marié
mais sa femme vient fort opportunément de le quitter. Alors Irène
va-t-elle laisser passer sa chance ?
Non, parce qu'en plus de peintre, François est aussi musicien et
un jour qu'elle est chez lui, il lui joue une de ses compositions, un
air de piano à l'eau tiède qui la fait fondre. Hop, au lit.
Mais le lendemain, débarque la femme de François (Lisa Martino,
rescapée de PJ), etc., etc.
Cécile de France (de nationalité belge, en fait) a un bon
agent : on la voit dans les magazines, trois films avec elle sortent quasiment
en même temps : A + Pollux, L'Auberge espagnole et
celui-ci où elle tient la vedette. Elle semble avoir du talent
mais son frais minois et son abattage méritent mieux que ce scénario
fadasse.
Web. Y. envoie ses photos
de vacances. Des photos de vacances sous le soleil. Il ne manque
pas d'air.
MERCREDI.
TV. On appelle ça... le
printemps (Hervé Le Roux, France, 2001 avec Marilyne Canto,
Maryse Cupaiolo, Marie Matheron, Pierre Beriau).
Trois jeunes femmes en rupture de domicile conjugal essaient d'organiser
leur vien ensemble.
Le propos ressemble curieusement à celui de 15 Août où
l'on suivait l'histoire du côté des trois hommes abandonnés.
Mais là où le film de Pierre Alessandrin accumulait les
poncifs et les situations convenues, celui d'Hervé Le Roux n'arrête
pas de surprendre par sa construction et son montage nerveux, par la détermination
dont font preuve les trois
femmes qui n'hésitent pas à user de méchanceté
quand il s'agit de se venger, et par son recours au loufoque : l'espèce
de communauté formée par le trio et deux amants rappelle
Adieu, plancher des vaches d'Otar Iosseliani, l'absurde pointe dans les
dialogues (scène de drague : "Vous faites quoi ce soir ? -
Je pensais à un rôti de porc") et Le Roux ressort même
le gag de slapstick du goudron et des plumes. Dommage que les dialogues
soient marmonnés du bout des lèvres par les comédiens
et souvent incompréhensibles.
JEUDI.
Jour férié. Caroline
est de garde. J'arrache les patates.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. (Le Monde, Le Figaro, La Liberté de l'Est) et ma phynance héroïfique
au Collège de 'Pataphysique.
TV. Larmes de clown (Victor
Sjöström, USA, 1924 avec Lon Chaney, John Gilbert, Norma Shearer,
Marc MacDermott, Harvey Clark).
Beaumont se fait piquer ses découvertes scientifiques et sa femme
par le baron Regnard. Désespéré, il change d'existence,
devient clown dans un cirque en attendant d'avoir la possibilité
de se venger du baron.
C'est l'époque où Hollywood s'enrichissait de tous les talents
européens qui venaient s'y installer de façon provisoire
(Sjöström) ou définitive (Sirk, Curtiz, Stroheim...).
Sjöström a été remarqué en Suède
par sa Charrette fantôme, la MGM lui laisse toute latitude
pour tourner ce mélodrame. Il ne s'en prive pas, a recours a des
audaces techniques (trucages à la Méliès, surimpressions
inaugurées par le même Méliès en 1898) et esthétiques
(les ballets de clowns)
importantes. Le visage hilare et grimé de Lon Chaney est une image
inoubliable, même si on se lasse des outrances du jeu des acteurs
et du manque de surprise de l'histoire.
VENDREDI.
Satisfactions littéraires.
Je viens à bout de ma recherche des citations de La Montagne
magique contenues dans La Vie mode d'emploi de Perec, qui sont
au nombre de 11 (nombre perecquien par excellence). Il est à noter
que dans la deuxième citation, Perec rétablit l'orthographe
de l'adjectif caparaçonné, faussement écrit carapaçonné
dans la traduction. C. m'indique des allusions à Thomas Mann figurant
également dans La Disparition. Par ailleurs, je viens à
bout plutôt facilement des questions du concours Alexandre Dumas
de Télérama portant sur Joseph Balsamo. Je préférais
ces concours quand il fallait courir les bibliothèques et remuer
de forts volumes pour y trouver un indice. Internet affadit la chose.
TV. Palettes : Les Sabines de Jacques
Louis David. Voir http://www.diagnopsy.com/Louvre/pages/077.htm
Alain Jaubert regarde l'immense toile (3,85 m sur 5,22 m) qui représente
l'interruption du combat entre Romains et Sabins, Hersilie s'interposant
entre son époux Romulus et son père Talius, comme un appel
à la paix civile après les années de Terreur qui
ont suivi la Révolution française.
SAMEDI.
Presse. "Des promeneurs qui flânaient
sur les berges de l'étang de la Plaine à Pusieux ont retrouvé
un objet pour le moins insolite, un dentier, qu'ils ont apporté
en mairie de Saint-Nabord. Celui ou celle à qui la mésaventure
est survenue peut désormais venir réclamer ses dents à
ladite mairie." (La Liberté de l'Est)
Courrier. Une carte postale des C.,
en Corse.
Mathématiques. Je m'intéresse
à la loi de Benford, découverte sur la [listeoulipo], qui
indique que dans les nombres que l'on rencontre dans la vie de tous les
jours, les chiffres de 1 à 9 apparaissent en position initiale
avec une probabilité décroissante. Ainsi, la probabilité
que le premier chiffre d'un nombre soit 1 est de 30%, contre 5% pour le
chiffre 9. La loi a été testée sur toutes sortes
de domaines : longueur des fleuves du globe, superficie des pays, cours
de la Bourse, résultats des élections, liste des prix d'un
magasin... Ça marche à tout coup, à tel point que
le Trésor américain se sert de cette loi pour traquer les
fausses déclarations de revenus.
TV. Palettes : Olympia d'Edouard
Manet. Chercher dans http://www.decorhomegallery.com/dhg/export/index.html
Le tableau comme palimpseste. Jaubert dévoile tout ce que Manet,
dans cette toile au parfum de scandale, a emprunté à ses
prédécesseurs : l' ornement de chevelure provient d'une
infante de Velázquez, le chat sort de la Raie de Chardin, la pose
du modèle est celle de la Vénus d'Urbin du Titien (ça,
je le savais déjà après avoir lu On n'y voit rien
de Daniel Arasse), ceci vient de Giorgione, cela de Goya... Comme j'aimerais
un jour trouver ça tout seul...
Bon dimanche.
Notules
dominicales de villégiature exotique n°73 - 25 août 2002
DIMANCHE.
Cassettes. Nous passons la journée
à Saint-Jean-du-Marché. J' y transporte mon matériel
d'enregistrement : France Culture diffuse cinq heures d'émission
sur Blaise Cendrars.
Mathématiques. J'expérimente
la loi de Benford, qui ne s'avère pas infaillible.
TV. Mon père... (José
Giovanni, France, 2000 avec Bruno Cremer, Vincent Lecœur, Rufus, Michèle
Goddet).
A la Libération, Manu s'est fait embarquer par son oncle dans un
trafic louche qui a abouti à une fusillade et à son arrestation.
Son père se démène pour le faire échapper
à la peine capitale.
On connaissait la jeunesse agitée de José Giovanni, qu'il
a racontée dans ce qui donna naissance au Trou de Jacques
Becker, et dont il s'inspira pour les polars qu'il écrivit ou qu'il
tourna. On ignorait le rôle qu'avait joué son père
dans la commutation de sa peine, puis dans sa totale réhabilitation.
Arrivé à un âge plus que respectable (il est né
en 1923), Giovanni tient lui-même, en quelque sorte, à réhabiliter
son père. On perçoit dans son film toute l'amertume, tout
le regret de n'avoir pas su trouver les mots pour mettre fin au silence
et au non-dit qui caractérisent si souvent les rapports père-fils.
Le père qu'il met en scène fait lui-même tout pour
se tenir en retrait : il travaille au salut de son fils mais attribue
à d'autres les démarches qui font progresser la remise de
peine. On pense à l'abnégation de Jean Valjean lorsqu'il
confesse son passé de bagnard à Marius sans dire aussi qu'il
l'a ramené vivant de la barricade : "C'est en me dégradant
à vos yeux que je m'élève aux miens". Un film
sobre (sans musique), digne et émouvant.
Lecture. Le livre des illusions (The Book of Illusions,
Paul Auster, traduit de l'américain par Christine Le Bœuf, éditions
Actes Sud, coll. Lettres anglo-américaines, 2002).
David Zimmer a perdu femme et enfants dans un accident d'avion. Pour échapper
au désespoir, il se lance dans l'écriture d'un livre consacré
à une figure oubliée du cinéma muet, Hector Mann,
porté disparu de puis 1929. Une fois son livre paru, il a la surprise
de recevoir une lettre de la femme d'Hector : celui-ci souhaite le rencontrer.
Les prétentions philosophiques de Paul Auster sur l'incertitude
du destin de l'homme et la sinuosité de son parcours terrestre
ne m'ont jamais franchement convaincu. En revanche, s'il est un talent
qu'on ne peut lui enlever, c'est celui de conteur. Auster, dans ce livre
comme dans ses précédents, prend une vie par un bout, tire
sur le fil, déroule la bobine de façon régulière
sous l'œil du lecteur littéralement subjugué. Qu'il soit
une fois de plus question d'identité incertaine, d'influence du
hasard, d'errance, de réalité mouvante prouve, au choix,
que Paul Auster mène son œuvre avec constance ou qu'il exploite
minutieusement un filon. J'avoue croire plutôt en la deuxième
possibilité, d'autant qu'on a l'impression par moment que le filon
s'épuise, que l'auteur tire à la ligne, ce qui n'était
jamais le cas dans La Musique du hasard ou Léviathan
par exemple.
LUNDI.
Courrier. Carte postale des M &
M qui ont froid en Auvergne.
Rentrée des classes. Conformément
à ce que je m'étais promis, je mets le nez dans les manuels
scolaires, histoire de me préparer à jouer le rôle
de professeur modèle voulu par mes inspecteurs. En même temps,
j'écoute Blaise Cendrars répondre à un questionnaire
du genre "Quel est votre écrivain préféré
? Votre vertu préférée chez l'homme ?" etc.
Arrive la question : "Quelle est votre occupation préférée
?" Réponse : "Ne rien foutre". Je ferme mes
livres et passe à des activités plus sérieuses.
Je n'ai peut-être pas tellement envie d'être un professeur
modèle après tout.
Cinéma. Avalon (Mamoru Oshii, Japon, 2001 avec
Malgorzata Foremniak, Wladyslaw Kowalski, Jerzy Gudejko, Darius Biskupski).
Championne du jeu virtuel "Avalon", Ash ne cesse d'avancer plus
loin dans son exploration. Nombre de joueurs y ont laissé leur
santé et leur raison. Mais Ash veut savoir ce que protègent
les différents mondes du jeu et connaître l'ombre qui le
hante.
J'avoue que le résumé qui précède est recopié
dans L'Officiel de spectacles. Seule la disette cinématographique
de l'été m'a poussé à aller voir ce film,
en sachant que son sujet avait peu de chance d'être perceptible
à mon entendement. Confirmation : les histoires d'anticipation,
les mondes virtuels font appel à une zone cérébrale
que je ne possède pas.
C'est dommage parce que, esthétiquement, le film est intéressant.
Oshii a étudié et digéré les univers de Jeunet
(Delicatessen), de David Lynch (Eraserhead) et des films
de Wim Wenders. La recherche des couleurs et les effets spéciaux
sont soignés.
Comme beaucoup de productions récentes (Amen de Costa-Gavras,
par exemple), le film a été tourné en Pologne où
l'on trouve apparemment comédiens et techniciens compétents
à un prix défiant toute concurrence. Ça donne des
effets inattendus, une partition japonaise interprétée par
l'Ochestre Philharmonique de Varsovie, les rues de Varsovie, justement,
censées représenter un monde futur, un futur indéterminé
dans lequel on cuisine toutefois du chou comme si on attendait Jean-Paul
II pour dîner.
MARDI.
Rentrée. Alice fait son retour
à la crèche, sans pleurs contre toute attente. J'en profite
pour reprendre le fil de mes écrits.
Courrier. Carte postale des D. qui
naviguent sur l'Atlantique.
TV. Sitcom (François
Ozon, France, 1997 avec Évelyne Dandry, François Marthouret,
Marina De Van, Stéphane Rideau).
Une famille bourgeoise. Un soir, le père ramène un rat blanc
dans une cage. Peu après, le fils découvre et révèle
son homosexualité et la fille se jette par la fenêtre.
On comprend mieux les films suivants d'Ozon à la lumière
de cette première œuvre. Son goût pour le théâtre
d'abord. Gouttes d'eau sur pierres brûlantes et 8 Femmes
sont des adaptations de pièces, ce qui n'est peut-être pas
le cas ici mais le premier plan est celui d'un rideau rouge qui s'ouvre
et la maison familiale est quasiment le seul lieu filmé. Son goût
pour les relations familiales et les relations sentimentales ambiguës
ensuite. Le méli-mélo familial de 8 Femmes et l'homosexualité
de Gouttes d'eau sont ici des thèmes clairement ébauchés.
Ozon film avec une bonne humeur inattendue et réjouissante la décomposition
et la résurrection (après la mort du père, Marthouret,
sublime indifférent) d'une famille dont chaque membre a perdu le
nord et où la mère, par exemple, cherche à combattre
par l'inceste l'homosexualité de son fils. Cruel, drôle et
décapant.
MERCREDI.
Emplettes. Je fais mon retour en ville
par le 8 heures 37. J'achète du papier et du tissu pour ma rentrée,
et quelques livres pour mes loisirs : Tchekhov, Alain Gagnol, Wodehouse,
Verheggen.
Courrier. Carte postale des M., de
retour à Bonaire (Antilles Néerlandaises), lettre de Ch.
qui parle des notules, de Thomas Mann et souhaite lire ma Tentative
d'Épuisement.
TV. Je bâille devant Tunisie-France
(1-1)
JEUDI.
Obituaire. J'apprends dans la presse
locale la mort d'un ancien élève, âgé de 27
ans, qui dépannait un camion sur une aire d'autoroute.
Courrier. J'envoie une cassette et des coupures (Télérama)
à l'AGP, un état des lieux actualisé de mes écrits
à Ch.
Cinéma. Monique (Valérie
Guignabodet, France, 2002 avec Alex Dupontel, Marianne Denicourt, Philippe
Uchan, Marina Tomé, Sophie Mounicot, Gilles Gaston-Dreyfus).
Alex, que sa femme, Claire, vient de quitter, commande par accident une
poupée en silicone de taille humaine. Il l'appelle Monique et file
avec elle le parfait amour.
Le film est beaucoup moins gras que son résumé et sa bande-annonce
pourraient le laisser supposer, ce qui constitue une bonne surprise. Bien
dirigé, ce qui n'était pas le cas dans son Créateur,
Dupontel peut être un acteur étonnant. Il a ici un rôle
quasi muet : Claire étalonne le délitement de sa vie de
couple à la longueur des phrases qu'il prononce et au début
du film il en est déjà rendu aux monosyllabes. L'arrivée
de la femme plastique va lui redonner goût à la vie, en même
temps qu'elle va susciter chez Claire une jalousie destructrice. L'usure
du couple, l'ennui, la répétition, le vide, l'artifice des
relations sont autant de thèmes intelligemment traités.
Tendance : La femme, dans le film français récent, est une
créature entourée de copines. Comme l'Irène d'Ivan
Calbérac, Claire rencontre ses copines après le travail
au café, au club de gym ou dans l'atelier de sculpture où
elles libèrent leurs pulsions créatrices. Elles discutent,
mais sur un seul sujet : l'état des relations qu'elles entretiennent
avec leurs jules respectifs. Et elles ne se cachent rien, qu'il s'agisse
du psychique ou de l'anatomique (mais ça, c'est peut-être
l'influence de la sculpture). Est-ce que c'est la même chose dans
la vraie vie ? Est-ce que nos compagnes ou épouses passent
leur temps à comparer nos mérites et nos travers avec leurs
copines ? J'avoue mon inquiétude.
Même si son film était moins réussi, on pardonnerait
beaucoup à Valérie Guignabodet pour le petit rôle
qu'elle offre à une de mes idoles, Robert Rollis, ancien de la
bande des Branquignols de Robert Dhéry. Robert Rollis est né
en 1924. Il interprète un pensionnaire d'une maison de retraite.
Ça n'a pas dû beaucoup le changer de sa réalité...
Lecture. La Cerisaie (Vishnóvyi
sad, Anton Tchekhov, 1904, traduction nouvelle d'Elena Pavis-Zahradnikova
et Patrick Pavis, Le Livre de Poche n°1090).
Lioubov Andréevna Ranevskaïa rentre au pays après un
long séjour en France. Le domaine de la Cerisaie, dont elle est
propriétaire, doit être vendu pour raisons financières.
Ermolaï Alexéevitch Lopakhine, dont le père et le grand-père
ont travaillé dans la propriété de Lioubov, finit
par l'acheter.
Première rencontre avec le théâtre de Tchekhov (que
je ne connais que par parodie : "Il neige... Une heure passe...
Il neige toujours...") avec cette pièce étonnamment
aérienne par défaut d'intrigue : le fait de savoir à
qui écherra finalement la Cerisaie n'occupe qu'un infime moment.
Pièce éthérée, mais pas vide : on y sent passer,
même si c'est un cliché, le souffle de l'âme slave,
un mélange de nostalgie, de fatalité et d'impuissance face
au travail du temps. Lioubov et sa Cerisaie sont des vestiges surannés
d'une Russie en pleine mutation, où l'aristocratie disparaît,
remplacée par une classe nouvelle de marchands et d'entrepreneurs.
La Cerisaie, jardin d'Eden, écrin des souvenirs d'enfance, n'a
plus sa place : à la fin, on entend les premiers coups de
hache destructeurs. C'est une pièce de fin du monde, de fin de
vie, la dernière de Tchekhov qui mourra quelques mois après
sa création.
VENDREDI.
Obituaire. La Liberté de l'Est
annonce le décès d'Hélène Chatelain. Je découpe
l'avis : Hélène Chatelain, la secrétaire de Nestor
Burma...
Esprit de compétition. Je lis en diagonale la moitié
de L'Affaire du collier de la reine pour le concours Alexandre
Dumas.
SAMEDI.
Vie sociale. Les JVC
nous visitent pour la fin de semaine. Nous parlons de Romand (Jean-Claude),
de théâtre et de poésie persane du XIII° siècle.
Bonne semaine.
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