Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°58 - 5 mai 2002

DIMANCHE
Politique. "Sur 10 millions de voix, si Chirac en obtient 7 et Le Pen 3, la proportion en suffrages exprimés est de 70/30 pour le président sortant. Si, en revanche, parmi ces électeurs, 2,5 d'électeurs de gauche s'abstiennent ou votent blanc, Le Pen garde ses 3
millions de voix mais Chirac n'en compte plus que 4,5. En suffrages exprimés, la proportion n'est plus que de 60/40. Le Pen ne gagne pas une voix mais son pourcentage, lui, progresse de 10 points ! Le résultat alors est radicalement différent, les conséquences politiques incalculables, l'image de la France profondément affectée. Pour tous nos partenaires européens, qui n'entreront pas dans la subtilité des calculs électoraux, l'extrême droite
sera passée en quinze jours de 20% à 40% des voix... Chacun dans le monde entier sera persuadé que 2 Français sur 5 partagent une idéologie raciste et xénophobe. Est-ce aujourd'hui le visage de la France ?"
C'est signé Jérôme Jaffré, c'est dans Le Monde du jour, c'est clair et c'est tout à fait ce qu'il me fallait pour me persuader de me déplacer dimanche prochain.

Esthétique. Caroline fait une coupe de cheveux à Alice. Toute la semaine, nous préférerons dire que c'est Lucie qui a coupé les cheveux de sa sœur. Question d'amour-propre.

TV. Zone interdite, un magazine de M6, revient sur la semaine politique passée. Un reportage sur les Q.G. des candidats au moment où on apprend la présence de Le Pen au second tour, un autre sur le réveil militant des jeunes... Ce sera à revoir plus tard avec un regard d'historien. Un chapitre est consacré aux gens qui ont voté Le Pen. Comme c'est le cas depuis une semaine, on les présente comme de pauvres gens déboussolés, ayant perdu leurs repères, on légitime leur vote en le qualifiant de protestataire, on leur cherche des excuses. Désolé, mais je ne marche pas. Celui qui met un bulletin Front National dans une urne est intrinsèquement, sui generis, un sombre con et une armoire à merde. Le Pen a 74 ans. Il passera - dans tous les sens du terme. Ses idées et ses électeurs resteront. Ce n'est pas seulement la viande faisandée qu'il faut craindre, mais aussi les mouches qui s'en nourrissent.

LUNDI.
Mail. Réactions politiques aux dernières notules (Y., D.R.). G.N. m'invite au 1er Mai à Nancy. F. parle du film Le Boulet et de Queffélec.

Lecture. Bulletin Marcel Proust n° 49 (Société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray, 1999).
Bienvenue au pays des proustophiles, proustolâtres et proustophages. J'avais acheté ce bulletin -qui paraît une fois l'an - pour un article "Perec et Proust" qui s'est avéré un peu décevant. Pour continuer dans la catégorie dispensable, on peut noter un article sur la métaphore auquel je n'ai rien compris et un autre sur "l'impression" chez Proust du même tonneau.
Bien entendu, on est ici chez des spécialistes qui font un travail très pointu, mais il y a des choses tout à fait accessibles et intéressantes. J'ai ainsi découvert l'incroyable flagornerie dont Proust pouvait faire preuve dans sa correspondance, ici étudiée dans ses échanges avec Anna de Noailles et Robert de Montesquiou. Surprise aussi de trouver de l'intertextualité chez Proust : trois vers de Phèdre sont dissimulés dans La Recherche : saurez-vous les retrouver ?
A noter d'autres choses dignes d'intérêt : Proust et Flaubert face à l'Orient, Combray et Le Roman de Renart, La Recherche et ce qu'elle doit à La Double Maîtresse d'Henri de Régnier (encore un exemple d'intertextualité). La recension des études parues sur l'auteur au cours de l'année montre la richesse de la recherche proustienne (beaucoup de Japonais) qui va se nicher dans les coins les plus improbables : que n'aurais-je pas donné pour assister, le 13 février 1999, à la communication de Than van Ton That à Paris 7 consacrée aux... "Douches et bains dans La Recherche"...

TV. L'Oncle Harry (The Strange Affair of Uncle Harry, Robert Siodmak, U.S.A., 1945 avec George Sanders, Geraldine Fitzgerald, Ella Raines).
Corinth, une petite ville de la Nouvelle-Angleterre. La crise de 1929 a ruiné la famille Quincey, qui possédait une usine textile.
Harry, l'héritier de la famille, a conservé un emploi à l'usine. Il vit dans la demeure familiale en compagnie de ses deux sœurs Hester et Lettie. Lorsqu'il annonce son désir de se marier, Lettie fait tout pour l'en empêcher.
Un carton à la fin du film demande de ne pas en dévoiler le dénouement pour ne pas gâcher le plaisir des spectateurs à venir.
Heureusement que j'ai vu le film au magnétoscope et que j'ai pu revenir en arrière pour m'éclairer car je n'avais rien compris au dénouement en question. C'est un passage éclair du film qui en donne la clé et il convenait d'être plus attentif que je ne l'avais été. Ça n'a rien ôté au plaisir de regarder cette histoire d'étouffement familial qui fait parfois songer à Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich, mais en plus doux : Siodmak semble hésiter à s'engager vraiment à fond dans la méchanceté et la perversion, et retenir ses personnages. C'est un peu dommage.
P.S. Après consultation du Guide des films de Jean Tulard, j'apprends que la fin a été modifiée pour la sortie du film (en vertu du code Hayes alors tout-puissant) et ne correspond pas à la volonté du réalisateur, d'où la fin peu claire et l'aspect retenu mentionnés ci-dessus.

MARDI.
TV. Charmant garçon (Patrick Chesnais, France, 2000 avec Patrick Chesnais, Jean-François Balmer, Alexandra Vandernoot, Bernard Crombey, Samuel Labarthe).
Octave est tout le contraire d'un charmant garçon : quinquagénaire brutal, mal embouché, râleur perpétuel. Il rencontre Esther, une artiste mosaïste, mais n'est pas décidé à faire beaucoup d'efforts pour la conquérir.
Esther doit accepter Octave tel qu'il est, avec son caractère impossible et ses multiples défauts. De la même façon, c'est le côté intéressant de cette première réalisation de l'acteur Chesnais, le spectateur doit accepter le film tel qu'il est lui aussi. Le refus de compromission, de correction politique se trouve chez le personnage et chez le metteur en scène, ce qui est une démarche assez courageuse. C'est comme si Chesnais disait au public : je sais que mon film a un côté bâclé, qu'on y entend mal ce que disent les personnages, qu'on a du mal à les situer socialement, mais c'est à prendre ou à laisser. Ça rend la chose assez sympathique, d'autant qu'on trouve aussi quelques bons moments de comique absurde (Jean-François Balmer au bistrot : "S'il restait du jambon je prendrais bien un autre sandwich mais ils n'ont plus de pain.")

MERCREDI.
Manifestation. Environ 2000 personnes ce matin à Épinal malgré la pluie battante, c'est une belle mobilisation. L'occasion pour moi de revoir des têtes connues, des camarades de fauteuil de cinéma, de vieux fans de Garlamb'Hic (il y en eut), d'anciens voisins de salles des profs, de réunions de cellules, de sections, de comités divers et surtout de comptoirs. Est-ce que ça fera baisser le score de Le Pen au second tour, je ne le crois pas (l'abruti est borné, c'est sa quintessence), mais ça permet de se compter.

Jardin. Je cueille le muguet, pour une fois à l'heure, plante trois rangs de charlottes, sème des radis, de la salade, du persil.

Mail.
Discussion sur la [listeoulipo] pour savoir s'il convient d'aller voter Chirac avec une pince à linge ou des gants en latex (aucune progression pour la vente de ceux-ci à la pharmacie pour l'instant). Il y a des risques d'annulation des résultats du bureau ou du
scrutin tout entier (le Front National enverra des scrutateurs partout) pour cause de signe distinctif. Je me contenterai pour ma part d'envoyer mon bulletin Le Pen à l'Elysée.

Cinéma. Une affaire privée (Guillaume Nicloux, France, 2001 avec Thierry Lhermitte, Marion Cotillard, Lydia Andrei, Jeanne Balibar, Aurore Clément, Niels Arestrup, Jean-Pierre Darroussin, Robert Hirsch, Samuel Le Bihan).
Une jeune femme, Rachel Siprien, a disparu depuis six mois. Devant le constat d'échec de la police, sa mère charge un enquêteur privé, François Manéri, de reprendre les recherches.
Guillaume Nicloux n'avait pas trop mal réussi, pour son premier film, un exercice difficile qui était la mise à l'écran du Poulpe (cf. notules n° 10) de Pouy et consorts. Ici, il se lance tête baissée dans le film de genre, la quête d'une femme disparue par un détective privé. Lhermitte surjoue le rôle du privé dans toute sa splendeur : il fume comme un sapeur, joue au poker, vit séparé de sa femme, en tombe quelques autres, commande de la bière avant dix heures du matin, s'oppose aux policiers qui mènent l'enquête en parallèle, prend des coups sur la tête (coucou Nestor Burma) mais parvient à trouver la solution - un peu décevante - grâce à sa ténacité. Il ne lui manque que l'imper mastic et le feutre mou. Plutôt qu'une pâle copie, il s'agit d'un hommage assez sympathique aux canons du genre (on voit même, en guise de caution, un petit bout d'un film de Melville, L'Armée des ombres m'a-t-il semblé). Nicloux fait ses gammes, on attend avec impatience le moment où il se sentira assez fort pour porter un projet vraiment personnel.

JEUDI.
Mail. X. me qualifie de "futur maire de Levallois-Perec" (!)

Courrier. Une lettre de P.H., perdu de vue depuis des années, résidant désormais à Kaysersberg. Je l'abonne aux notules. Il est temps que celles-ci conquièrent l'Alsace. J'envoie des coupures (Le Monde, Les Inrockuptibles) et des nouvelles radiophoniques à l'AGP
et une procuration pour l'élection du Prix René-Fallet. Les délibérations du jury ont lieu cette année au cours du week-end de la Pentecôte, ce qui ne me permet pas de me déplacer jusqu'à Jaligny. Je vote pour Un été autour du cou de Guy Goffette.

TV. La Tour Montparnasse infernale (Charles Nemes, France, 2000 avec Éric Judor, Ramzy Bedia).
Deux laveurs de carreaux qui travaillent sur la Tour Montparnasse sont mêlés à une prise d'otages.
Éric et Ramzy sont deux comiques de télévision, autant dire que je les découvre avec ce film. Ils sont ici au service d'une parodie de film d'action, de Piège de cristal (John McTiernan) selon toute évidence. Ils sont bêtes, naïfs, maîtrisent mal le langage et leur corps. Malgré cela, ils vont faire la nique aux méchants surarmés qui se sont introduits dans la tour.
Ça commence par un concours de crachats sur les passants du haut de la tour, ça se termine par un bon gros vomi dans un hélicoptère. Les gesticulations des deux héros, leurs mimiques appuyées, leur langage approximatif ne sont pas non plus d'une finesse remarquable. Quelques gags disséminés ici ou là permettent d'éviter l'assoupissement total ou l'abandon de poste.

VENDREDI.
Saint-Philippe. On me comble de chaussettes.

Téléphone. Je prends des nouvelles de H. Il est rentré chez lui depuis samedi dernier, et content de l'être malgré la fatigue. Il doit retourner à l'Hôpital Nord à la fin du mois pour l'opération de l'œil et la pose d'une prothèse.

TV. P.J. Au moment où je m'endors, Fournier est capitaine. Quand je me réveille, on lui donne du "commandant Fournier".
C'est le dernier épisode de la saison. Ce n'est peut-être pas plus mal.

SAMEDI.
Emplettes. Je trouve un Carré Noir d'occasion au marché.

Courrier. Une carte postale de M.-P., en vacances en Espagne.

TV.
L'Alibi (Pierre Chenal, France, 1937 avec Eric von Stroheim, Louis Jouvet, Albert Préjean, Jany Holt, Margo Lion).
Winckler exécute des numéros de télépathie dans un cabaret parisien. Un soir, à l'issue d'une représentation, il assassine un nommé Gordon. La police le soupçonne. Il demande à Hélène, une employée du cabaret, de lui fournir un alibi.
On trouve ici quelques monstres sacrés du cinéma d'avant-guerre, Jouvet et Stroheim en tête. Le problème, c'est qu'ils semblent chacun faire leur numéro (très efficace, pas de problème de ce côté-là, on se doute qu'ils connaissent la musique) dans leur coin, sans vraiment se soucier l'un de l'autre. Le scénario, signé Marcel Achard, manque de corps et d'intérêt, ne semble avoir été mis au point que pour la juxtaposition de ces vedettes.

Ambiance générale. Il pleut sans discontinuer depuis deux jours. Le F.C. Metz est relégué en deuxième division. Si ça continue comme ça, on s'achemine vers un week-end vraiment très noir.

Bon dimanche tout de même.

 

Notules dominicales de culture domestique n°59 - 12 mai 2002

DIMANCHE.
Élections. Chirac est réélu à 82%, mais Le Pen, s'il perd en pourcentage par rapport au premier tour, gagne des voix. On a beau crier au "sursaut républicain", à la "prise de conscience politique" et ainsi de suite, ce n'est pas pour autant que les mouches à merde se sont transformées en libellules.

Mail. D.R. raconte son expérience de néo-chiraquien d'un jour.

LUNDI.
TV. Chaque chaîne y va maintenant de son documentaire sur les coulisses de la campagne électorale après la réussite de celui de Canal+ consacré aux élections municipales à Paris et la sortie du film de Depardon sur l'élection de Giscard en 1974. Ce soir, c'est au tour de Canal+ de diffuser un 90 minutes spécial sur l'avant-premier tour. C'est très cruel pour Jospin, qu'on voit étouffé par ses communicants, sans aucune emprise sur sa propre campagne. Un épisode significatif montre les deux principaux candidats d'alors aux prises avec une délégation d'employés de LU à Calais : Jospin les envoie vers un conseiller qui les écoute à peine, Chirac réquisitionne une salle du gymnase voisin et discute avec eux (ce qui donne lieu d'ailleurs à un beau sous-titre : "Il faudra qu'en même en parler à Mme Guigou").

Lecture. Mémoire infidèle (A Traitor to Memory, Elizabeth George, traduit de l'américain par Dominique Wattwiller et Jacques Martinache, Presses de la Cité, 2001).
Gideon Davis, enfant prodige devenu violoniste virtuose, se trouve soudain incapable de tirer la moindre note de son instrument. Il recherche dans son passé les raisons de son blocage et est amené à s'intéresser aux circonstances dans lesquelles est morte sa jeune sœur.
Elizabeth George est un auteur américain qui pond des romans policiers anglais plus anglais que ceux écrits par les Anglais. Elle ne s'exprime que sur la longue distance : 620 pages ici, c'est la norme pour elle. Elizabeth George est incroyablement douée pour la construction d'une intrigue. Ses romans (j'en suis à mon quatrième) sont de véritables monuments où chaque élément amené est porteur de sens. Le lecteur est promené de personnage en personnage, de lieu en lieu, est tenu en haleine jusqu'à la dernière page, voire ici la dernière ligne. L'inconvénient d'une telle construction, c'est qu'elle est tellement bien faite qu'elle en devient froide. Elizabeth George a beau mettre en scène des personnages récurrents (l'inspecteur Linley, Barbara Havers, Winston Nkata) on ne parvient pas à s'attacher à leur existence, à leurs problèmes. Ce sont des personnages de papier glacé, là où Wallander, Bosch, Robicheaux, Scudder ou Resnik sont des êtres de chair et de sang.

Mail. Message de S., qui a découvert les notules chez des amis communs et s'abonne.

MARDI.
Anniversaire. 42 ans aujourd'hui. Tout la journée, je croirai que c'est 43, jusqu'à ce que Caroline me détrompe le soir venu. Ce qui me donne l'impression de rajeunir tout à coup d'un an. "Enfin, le sept mai 1960, Salini revint la voir..." (Georges Perec, La Vie mode d'emploi, chapitre XXXI).

Courrier. Une carte d'anniversaire de N.H., des mots de remerciement de H., qui rassure sur sa santé, et des VJ.

Enfin gouvernés. Le petit Sarkozy est nommé ministre de la sécurité intérieure et d'autres choses encore. Quelques heures après, mon frère se fait piquer sa voiture à Lisieux. Sarkozy démission !

MERCREDI.
Vie sociale. Nous recevons les N. qui nous comblent de cadeaux et de leur conversation brillante.

Enfin gouvernés (suite). Jean-Pierre Raffarin : "Quand on rentre dans une nouvelle maison, il faut faire l'inventaire." Si la maison est neuve, monsieur le premier ministre, et qu'on y pénètre pour la première fois, on n' y rentre pas, puisqu'on n'en est pas sorti précédemment, on y entre. Raffarin démission !

TV. Bread and Roses (Ken Loach, G.-B., 2000 avec Adrien Brody, Elpidia Carrillo).
Maya arrive du Mexique et réussit à se faire embaucher à Los Angeles dans une entreprise de nettoyage. Les conditions de travail et de salaire sont épouvantables. Sam, un jeune syndicaliste, essaie d'organiser la lutte des salariés.
Ken Loach goes to Hollywood, mais ne se renie pas pour autant. Le conflit des employés d'immeuble de L.A., basé sur des faits réels, s'inscrit parfaitement dans sa démarche de description d'un monde coupé nettement en deux entre les nantis et les sans-grade. Se syndiquer, obtenir un salaire décent et une couverture sociale est redevenu aussi difficile dans les États-Unis d'aujourd'hui que dans ceux des Raisins de la colère. Ken Loach a choisi un personnage emblématique, ce qui constitue sa seule concession au moule hollywoodien (on songe à Erin Brockovitch) dont l'histoire prend des teintes mélodramatiques, alors que plus tard, dans The Navigators, il racontera l'histoire d'un groupe en lutte. C'est peut-être manichéen mais c'est efficace et sincère.

JEUDI.
Plein air. Je plante deux nouveaux rangs de charlottes, Caroline entreprend le nettoyage du mobilier de jardin, Alice découvre le bac à sable.

Mail. Échange avec J.S. sur les élections.

Enfin gouvernés (suite). Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, fait l'apologie du nucléaire. On n'en attendait pas tant. Bachelot démission !

TV. Les Tontons flingueurs (Georges Lautner, France, 1963 avec Lino Ventura, Bernard Blier, Jean Lefebvre, Francis Blanche, Claude Rich).
Fernand Naudin monte de Montauban à Paris pour s'occuper de la succession du Mexicain, un truand de ses amis. Dans l'héritage se trouve une jeune fille, Patricia, qui va lui donner autant de fil à retordre que les anciens employés du Mexicain.
Que dire après cette énième vision des Tontons, sinon qu'on se trouve ici face à une sorte d'état de grâce, la rencontre d'un réalisateur, d'un dialoguiste (Audiard) et d'acteurs tous à leur apogée. C'est quelque chose de magique qui ne se reproduira pas malgré d'autres tentatives (Les Barbouzes, l'année suivante).

VENDREDI.
Enfin gouvernés (suite). Michelle Alliot-Marie, ministre de la Défense, s'envole pour Karachi sur les lieux de l'attentat. Pas de place dans l'avion pour le député-maire (de surcroît membre de la commission de Défense à l'Assemblée nationale) de Cherbourg, dont la plupart des victimes sont originaires. En revanche, journalistes et caméras embarquent pour immortaliser l'événement. Alliot-Marie démission !

Cinéma.
Audition (Odishon, Takashi Miike, Japon, 1999 avec Ryo Ishibashi, Eihi Shiina, Jun Kunimura, Tetsu Sawaki, Miyuki Matsuda).
Après sept ans de veuvage, Aoyama veut refaire sa vie. Avec la complicité d'un ami qui travaille dans le cinéma, il organise un faux casting pour trouver l'élue. La belle Yamazaki est sélectionnée.
La relation entre Aoyama et Yamazaki va sombrer dans l'horreur, mais avant d'y arriver, il faut subir une mise en place des personnages plutôt longuette. Ce n'est qu'au bout d'une heure que Miike change de style : la caméra devient mobile, les plans hachés, les cadrages insolites. L'inquiétude gagne alors, concernant ce que peut bien cacher la belle douceur de Yamazaki. Il faut avoir le cœur bien accroché pour suivre le film jusqu'au bout, qui comprend une scène de torture insoutenable. Le fantastique made in Japan (voir Ring de Hideo Nakata) n'est pas entièrement convaincant mais révèle une sacrée fêlure dans l'inconscient de ce pays.

SAMEDI.
Mail. Échange avec F. sur les élections, Daniel Arasse et Lawrence Block.

Emplettes. Au marché, je trouve les Série Noire cartonnés n° 211, 226 et 395.

Enfin gouvernés (suite). Luc Ferry, ministre de l'Éducation Nationale, pardon, de la jeunesse et de l'éducation : "La jeunesse a montré qu'elle pouvait se mobiliser pour des projets éthiques et spirituels. Les JMJ par exemple." Ferry démission !

TV. Premier bain de foule pour Chirac, au Stade de France pour un match de football Lorient-Bastia. La Marseillaise est couverte par les sifflets. Image intéressante de Chirac qui bouscule Raffarin et le petit Sarkozy pour quitter la tribune. Le stade devait être plein d'autonomistes corses et bretons. On imagine la chose avec Chevènement élu.

Intimité (Patrice Chéreau, France - G.-B., 2000 avec Mark Rylance, Kerry Fox, Timothy Spall, Marianne Faithfull).
Londres. Chaque mercredi, Claire se rend chez Jay. Ils font l'amour sans un mot et se séparent. Au bout d'un moment, Jay a envie d'en savoir plus sur Claire. Il la suit, lui découvre un mari, Andy, et une passion pour le théâtre qu'elle pratique en amateur. Andy provoque une rencontre entre les deux amants qui vont enfin se parler.
Les personnages torturés de Patrice Chéreau ne m'ont jamais passionné. Heureusement, ils sont ici moins nombreux que dans Ceux qui m'aiment prendront le train et présentent donc moins de pathologies et de névroses. Tout ceci pour nous dire que l'amour physique ne peut suffire (sauf pour Sophie Guillemin dans L'Ennui de Cédric Kahn) et que la parole est un élément de la passion. Soit.

Bon dimanche.

N.B. En raison du week-end de la Pentecôte, les notules n° 60 perdront leur caractère dominical.

 

Notules pentecostales de culture domestique n°60 - 21 mai 2002

DIMANCHE.
Jardin. Je repique quelques plants de salade de Madame Pierron (la Madame Pierron étant une variété de voisine, non de salade), sème carottes, capucines, cosmos et lupins.

TV. Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, Stanley Kubrick, U.S.A., 1957 avec Kirk Douglas, Ralph Meeker, Adolphe Menjou, George Macready, Wayne Morris, Richard Anderson).
1916. Une offensive française destinée à s'emparer d'une position allemande échoue. L'état-major réclame des têtes. Le colonel Dax est chargé de désigner trois soldats qui seront jugés en conseil de guerre pour couardise devant l'ennemi.
Le film, qui fut interdit pendant quinze ans en France, est basé sur des faits réels, qu'on connaît moins que ceux qui concernent les soldats fusillés pour refus d'obéissance. Le principe est le même : fusiller pour l'exemple, pour que les rescapés redoublent d'ardeur au combat. La guerre de 14 ne manque pas de ces faits absurdes, Yves Boisset en fera bien plus tard un téléfilm assez réussi, Le Pantalon. Face au délire des vieilles ganaches qui décident à l'abri, le colonel Dax ( Douglas, une sorte de Raffarin émacié) représente l'homme révolté, mais impuissant. Les règles de justice, d'humanité, font partie d'un autre monde qui n'a rien à voir avec celui décrit ici. On s'étonnera moins du pessimisme de l'œuvre quand on saura que Jim Thompson (celui dont les romans ont donné entre autres Coup de torchon et Série
Noire
) a participé au scénario.

LUNDI.
Reprise. Le gouvernement Raffarin est à peine en place que ses effets bénéfiques se font sentir : Caroline embauche une nouvelle préparatrice.

Mail. J'envoie un site d'antagonymes anglais à A. Sur la [listeoulipo], on commence à s'intéresser aux pierres tombales, on répertorie les Auffray et les Souterre qui peuplent les cimetières. Zalmanski envoie une photo de la tombe des "Familles Bienfait - Bravo" tellement belle qu'on dirait un faux.

MARDI.
TV. The Yards (James Gray, U.S.A., 2000 avec Mark Wahlberg, Joaquin Phoenix, Charlize Theron, James Caan, Ellen Burstyn).
Leo Handler retrouve sa famille après avoir fait de la prison pour vol. Son oncle est à la tête d'une entreprise de réparation de matériel ferroviaire qui obtient, par corruption, des marchés de la ville de New York. Au cours d'une opération de sabotage, un homme est tué. Leo est soupçonné.
Il s'agit d'un film de gangsters, construit autour d'un gang familial, très original car très éloigné du modèle flamboyant (Leone, Scorsese). On truande en famille, en col blanc, on participe aux commissions d'attribution de marché à la mairie, on glisse des enveloppes... S'il faut se salir les mains, on utilise des petites frappes. On voudrait bien faire de Leo un truand respectable, mais celui-ci met les mains dans le cambouis et se fait pincer. La belle façade familiale se met alors à se lézarder, on envisage même de se débarrasser de la brebis galeuse.
James Gray signe un film noir qui refuse obstinément tous les poncifs du film noir. Sa marque de fabrique, c'est la discrétion, la retenue : retenue dans l'illustration musicale, retenue dans le jeu des comédiens, retenue dans l'action avec très peu de scènes "vives". Ça donne une touche très personnelle à un film qui, curieusement, grâce à cette économie d'effets, en devient encore plus sombre.

Lecture. Les meurtres du Titanic (The Titanic Murders, Max Allan Collins, 1999, traduit de l'américain par Catherine Cheval, Rivages/Mystère 2000).
Après avoir fait ses premiers pas dans le polar traditionnel (plusieurs titres traduits à la Série Noire), Max Allan Collins s'est spécialisé dans les reconstitutions historiques, redonnant vie à des personnages réels en les plongeant dans diverses aventures imaginées. Ici, il nous embarque sur le Titanic sur les pas de Jacques Futrelle. Futrelle a bien existé : il était à l'époque un romancier de renom spécialisé dans les affaires de chambre close et il a bien péri dans le naufrage du Titanic. Les autres personnages du roman sont tout aussi réels, même si je ne les connais pas, ne m'étant jamais intéressé à la courte odyssée de ce navire : Stead,
Guggenheim, Straus, Astor... des grands noms de l'époque. Ce que Collins imagine, c'est que deux passagers sont assassinés et que Futrelle mène l'enquête.
Le résultat n'est pas déplaisant, pas enthousiasmant non plus. On sent que l'auteur s'est soigneusement documenté pour offrir une reconstitution parfaite du décor et de l'ambiance. Du côté de l'enquête, c'est franchement paresseux, Futrelle se contentant d'arpenter le bateau pour s'entretenir avec différents personnages susceptibles d'avoir commis les meurtres, entre deux repas à la table du capitaine.

MERCREDI.
Emplettes. Belle razzia en librairie : le volume de romans de Queneau en Pléiade (du coup, on m'offre l'album de l'année, justement consacré à Queneau), un recueil de Laclos, un polar de Craig Holden chez Panorama 88; le numéro de la revue Formules consacré à Perec, trois volumes d'Hervé Le Tellier et un vieux Marcel Bénabou (comme ça fait un peu maigre, la libraire me prête le dernier roman du même, on ne sait jamais) à la Licorne. La Maison de la Presse est en liquidation. C'était le seul endroit où je pouvais feuilleter La Quinzaine littéraire de Maurice Nadeau...

Courrier. Une carte postale des YJ actuellement à Étretat.

Santé. Alice chez le cardiologue, pour une échographie suite à ses problèmes de mars 2001. Tout est désormais en ordre, tout risque (hormis celui, secondaire, de malaise vagal) a disparu et c'est bien tant mieux.

Cinéma. Hollywood Ending (Woody Allen, U.S.A., 2002 avec Woody Allen, George Hamilton, Téa Leoni, Debra Messing, Mark Rydell, Tiffani Thiessen, Treat Williams).
Val Waxman est un réalisateur au creux de la vague, réduit à tourner des films publicitaires. Un come-back inespéré lui est offert par les soins de son ex-femme, Ellie. Celle-ci propose à un directeur de studio hollywoodien, avec qui elle vit désormais, de confier à son ex-mari la réalisation d'un film à gros budget.
Le film en question s'intitule This City Never Sleeps et a bien sûr pour cadre New York. Allen - Waxman propose à son producteur de le tourner en noir et blanc et d'utiliser les musiques de Gershwin et de Cole Porter, soit exactement ce qu'il a fait pour Manhattan. C'est qu'ici, Allen ne se contente pas de rire de ses déboires sentimentaux, il se moque de lui en tant que cinéaste : voilà que Waxman se met à exiger un chef-opérateur chinois (Allen l'a fait pour Le Sortilège du Scorpion de jade avec Zhao Fei) et un décorateur qui veut recréer tout New York en studio. Le tournage va s'avérer une épreuve redoutable, le film un échec (sauf en Europe, clin d'œil là aussi à la carrière du cinéaste) mais Waxman en sortira vainqueur et tout finira bien, conformément au titre.
Depuis Celebrity, Allen a enchaîné un certain nombre de films pas désagréables mais ressemblant à des exercices de style appliqués, comme ce Scorpion de jade où il jouait un privé. Ici, on a l'impression qu'il se retrouve. Son jeu d'acteur n'a pas évolué, il n'est toujours pas plus riche, mais il fonctionne. Sa critique des milieux du cinéma américain évite la charge lourde mais elle aussi fonctionne. C'est drôle, vif, spirituel, du vrai Woody Allen comme on l'aime. A noter la persistance de son goût sûr pour le choix de ses partenaires féminines (ici Téa Leoni).

JEUDI.
Mail. F. envoie une alerte virale, qui se révèle être un canular. Je communique à la [listeperec] les mentions de Perec qui figurent dans l'album Queneau de la Pléiade et dans la biographie de Tati par David Bellos, feuilletée à la Licorne.

Courrier. J'envoie un mot de remerciements à N. H., mon bulletin Le Pen à l'Élysée, des coupures à J. (une nécrologie de La Liberté de l'Est), à F. (Télérama), à l'AGP (Le Magazine littéraire, Le Figaro), à Y. (Le Monde).

Lecture. La France de Pétain et son cinéma (Jacques Siclier, Ramsay Poche Cinéma n° 83, 1981).
J'ai entrepris cette lecture à la suite du film de Bertrand Tavernier Laissez-passer, centré sur deux personnalités du cinéma sous l'Occupation, Jean Devaivre et Jean Aurenche, ainsi que sur une compagnie cinématographique française dirigée par les Allemands, la Continental. Siclier parle de la Continental dès le début de son livre, ainsi que d'Alfred Greven, son directeur, qui n'hésita pas à miser sur la qualité (aux dépens parfois de l'idéologie), ce qui permit à cette firme de sortit La Main du diable de Tourneur, Le Corbeau de Clouzot,...
Curieusement, après ces éclaircissements sur la plus grosse compagnie de l'époque, Siclier quitte rapidement le ton de l'historien pour ne plus se référer qu'à son expérience personnelle. Au cours de ces années de guerre, il faisait son apprentissage cinéphilique (qui le conduisit plus tard aux colonnes de Télérama et du Monde) dans les cinémas de Troyes. Il nous renseigne sur la façon dont lui a reçu les films, ce qu'il pensait de tel ou tel interprète... Ce n'est pas inintéressant, ce n'est pas primordial non plus. En tout cas, il a l'honnêteté de ne pas se présenter comme un visionnaire de l'époque : il voulait bouffer du film et c'est tout. Avec le recul, il se refuse d'ailleurs à théoriser à tout prix : "Je pense que, maintenant, c'est clair. Le cinéma dit 'de Vichy' n'existe pas. Sous le régime de Vichy, et sous l'occupation
allemande, le cinéma français, en 'liberté surveillée', a été un cinéma de survie industrielle et économique , d'essor artistique toutes les fois que cela lui fut possible..."
Siclier raconte les films de façon assez précise dans le corps du livre alors qu'il y a en annexe les fiches techniques - avec des distributions assez détaillées pour un maniaque dans mon genre - qui comportent un résumé exhaustif de chaque film. Autre défaut : l'absence d'index, absolument nécessaire à ce genre d'ouvrage.

VENDREDI.
TV. Autopsie d'un meurtre (Anatomy of a Murder, Otto Preminger, U.S.A., 1959 avec James Stewart, Lee Remick, Ben Gazzara, Arthur O'Connell, J.N. Welch).
Un tenancier de bar est assassiné. Le coupable, un certain lieutenant Manion, dit avoir agi impulsivement, sous l'effet de la colère. A-t-il, comme il le prétend, voulu venger sa femme, Laura, harcelée et violentée ? Ou, au contraire, éliminer de sang-froid un rival amoureux ? L'avocat Paul Biegler, chargé de la défense, mène l'enquête...
Le film est adapté d'un roman de Robert Traver que j'ai lu en avril 1985. Dans les notes de lecture que j'avais rédigées à l'époque, je parlais d'un livre original (montrer une affaire judiciaire de A à Z vécue du point de vue de l'avocat de la défense, présentation de l'accusé comme un personnage antipathique, un profiteur) mais pas toujours passionnant, à l'image d'une véritable affaire judiciaire (piétinements, longueurs, redites...). Preminger en a fait un film en tout point remarquable, un modèle pour un genre souvent traité par Hollywood (Le Mystère Von Bülow de Barbet Schroeder par exemple) : le film de prétoire. Il n'y a pas une seconde d'ennui sur les 2 heures 40 que dure le film. Si le verdict est plus ou moins attendu, on ne saura rien en revanche de ce qui s'est réellement passé. Il est assez surprenant de voir la liberté dont a bénéficié Preminger pour traiter un tel sujet en 1959 : comme il s'agit d'une affaire liée à un viol, on parle de traces de sperme, on va même jusqu'à exhiber une culotte de femme en plein tribunal. Dans le rôle de l'avocat, James Stewart est épatant et retrouve, dans certaines tirades, ses envolées de Mr Smith au Sénat de Capra.
Curiosité qui tient lieu de cerise sur le gâteau : la musique est signée Duke Ellington, qu'on voit même jouer à quatre mains avec Stewart.

SAMEDI.
Courrier. Je reçois le Bulletin de l'Association Georges Perec dont les rédacteurs me remercient pour mes contributions.

Tradition. A chaque week-end de la Pentecôte, la famille de Caroline se retrouve dans une région habitée par un de ses membres. Cette année, nous devons nous rendre dans le Val-d'Oise, à Jouy-le-Moutier précisément, près de Conflans-Sainte-Honorine, au nord-ouest de Paris. le départ est prévu à 15 heures. A 14 heures, nous apprenons qu'une employée de la pharmacie ne viendra pas travailler, arrêtée pour cause de douleurs liées à sa grossesse. Départ différé. Qu'à cela ne tienne, nous partons à 19 heures, pensant arriver le lendemain matin après avoir dormi en route. A l'heure où les paupières commencent à piquer, nous nous mettons en quête d'un hôtel. Seulement, nous sommes juste à l'est de Paris. Tous les hôtels sont complets, remplis de familles prêtes à s'offrir un week-end de Pentecôte chez Eurodisney.
Arrivés sur le périphérique, nous entrons même un moment dans Paris, longeons le Père-Lachaise (là aussi, c'est complet) et tentons les hôtels en bordure : Pantin, Bagnolet, Saint-Ouen, que sais-je encore, pas un centimètre carré de matelas disponible. Cette fois, c'est au match de football France - Belgique qui se déroule à deux pas de là le soir-même, au Stade de France, qu'on doit la ruée sur les puciers. Bien obligés, nous poussons jusqu'au but de notre voyage où nous arrivons entre deux heures du matin. Bien entendu, il n'y a plus âme qui vive, la maison est bouclée et nous voilà bons pour passer le reste de la nuit dans la voiture. Je subodorais bien un week-end merdique mais là on est en train de racler les parois de la fosse septique. Quand enfin, miracle, Caroline aperçoit une loupiotte : c'est la gardienne des lieux qui raccompagne des hôtes à l'extérieur et qui nous fait pénétrer dans la place. Ouf. On est à 6 dans la piaule avec les beaux-parents, juste à côté des W.C. - douches de
l'étage mais on ne va pas se plaindre.

Bonne nuit et bonne semaine.

Bises.

N.B. Le numéro 61 des notules sera également livré en début de semaine.

 

Notules post-dominicales de culture domestique n°61 - 27 mai 2002

DIMANCHE.
Réunion familiale à la ferme d'Ecancourt, Jouy-le-Moutier, Val-de-Marne. "Du sommet du château d'eau, ils voyaient la ferme tout entière, enserrant sur ses quatre côtés la grande cour pavée, avec ses deux portails en ogive, la basse-cour, la porcherie, le potager,
le verger ..." (Georges Perec, Les Choses). On s'y croirait, c'est tout à fait ça, la ferme francilienne typique dont une partie est aménagée en gîte collectif. Les parents et les écoles y mènent les enfants à la découverte des veaux, vaches, cochons, couvées. La première
matinée est consacrée à la visite de la Maison du Parc Naturel Régional du Vexin français, c'est ainsi que se nomme la région. Jusqu'ici, je ne connaissais du Vexin français qu'une phrase de Butor : "Avant et pendant la guerre, j'allais toujours passer mes vacances, avec mes six frères et sœurs et six cousins germains, dans un village du Vexin français où notre grand-mère possédait une maison ..." (Portrait de l'artiste en jeune singe). La Maison, un joli château en fait, abrite un petit musée tout à fait inintéressant. J'apprends tout de même que
nous sommes près d'Auvers-sur-Oise, où Van Gogh finit ses jours. Quant à la visite de la microbrasserie qui suit, c'est le genre de sujet qui ne me passionne plus. Après le repas, la troupe part en promenade, je reste avec Alice.

LUNDI.
Réunion familiale (suite). Nouvelle balade au matin. Je me défile de nouveau, ce qui me vaudra de recevoir une récompense, genre "Trophée du meilleur marcheur". Nous quittons les lieux en début d'après-midi, contournons Paris par le Nord. A un moment, la route passe carrément sous les pistes de Roissy. A un carrefour anodin, des policiers, l'arme à la bretelle. Plus loin, sur la Francilienne, une voiture banalisée s'arrête, quatre hommes en uniforme et gilet pare-balles s'en extraient à toute vitesse et s'enfoncent dans un bosquet qui borde la route. Drôle de pays. On ne devrait jamais quitter Montauban...

Mail. N. m'envoie sur un site simiesque.

MARDI.
Mail. Rédaction et envoi des notules.

Courrier. Je reçois une longue lettre de B., néo-chiraquienne, comme tout le monde.

Vie scolaire. J.-C. F. m'a trouvé le Série Noire n° 119.

MERCREDI.
Jardin. Mise en pots de zinnias et d'œillets d'Inde.

Mail. Échange avec N. sur Colette et l"écriture féminine" (pas facile). A. m'annonce que le bruit court dans les couloirs du ministère que Les Choses de Perec pourraient être mis au programme de terminale l'an prochain. Fine réplique, à l'heure où le fils Chérèque va remplacer Nicole Notat à la tête de la C.F.D.T. : j'aime mieux Les Choses de Perec que les pauses de Chérèque...

Obituaire. Mort de Niki de Saint Phalle. je me souviens de son premier mari, l'Oulipien Harry Mathews, et de la fontaine de Château-Chinon.

JEUDI.
Mail. Surprise de recevoir des nouvelles de P. H., perdu de vue depuis des années, qui a découvert les notules via son frère, abonné papier. Je propose un abonnement.

Lecture. Bizarre ! Bizarre ! (Someone Like You, Roald Dahl, 1948 - 1953, Éditions Gallimard 1962 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Elisabeth Gaspar et Hilda Barberis, Folio Gallimard n° 395).
Nouvelles.
Roald Dahl présente ici quinze histoires, dont certaines furent reprises dans une série télévisée qui portait le même titre.
On se trouve entre le fantastique et le policier, avec des peintures de vies ordinaires tout à coup bouleversées par un élément imprévu. Tout l'art de Dahl est dans la chute, l'histoire basculant soudain en trouvant un dénouement surprenant dans les toutes dernières
lignes. Sur le plan thématique, on remarquera que l'on parie beaucoup dans ces histoires, avec un enjeu parfois insolite : un doigt à couper, une fille à marier... Il y a des textes plus réussis que d'autres (Le chien de Claude, le plus long, présente les personnages les plus
intéressants) mais l'ensemble est agréable, digne du bon faiseur qu'était Roald Dahl.

Courrier. J'envoie des nouvelles radiophoniques et des coupures de presse à l'Association Georges Perec (Le Monde, album Queneau de la Pléiade), d'autres coupures à Y. (L'Humanité, Le Monde), un enregistrement tronqué d'une émission de radio sur Dante à A.

TV. Yi Yi (A One and a Two..., Edward Yang, Taiwan/Japon, 1999 avec Jonathan Chang, Wu Nien-Jen, Kelly Lee, Yu Pang Chang).
N. J. , cadre dans une grande société de Taipei, a deux enfants, Yang-Yang et Ting-Ting sa grande sœur, une belle-mère dans le coma, une ancienne amoureuse qu'il retrouve après des années de séparation, des voisins qui se chamaillent, un beau-frère obsédé par les thèmes astraux...
Le film raconte par petits bouts rapiécés la vie de ces différents personnages. Ça dure près de trois heures, on a l'impression que ça pourrait durer trois jours de plus sans que l'intérêt soit éveillé. J'ai été totalement incapable d'entrer dans le jeu, principalement à cause de mon incapacité chronique à différencier les visages asiatiques, accrue ici par la mise en scène (plans très larges, les personnages sont perdus dans le décor) et par l'uniformité des voix de la version doublée. Il y a bien quelques idées (Yang-Yang, qui prend des photos de la nuque des gens parce que ceux-ci ne l'ont jamais vue, une belle interprétation de la Sonate au clair de lune de Beethoven par un pianiste ... japonais, des cadrages très étudiés) mais ça reste une épreuve redoutable.

VENDREDI.
Lecture. Histoires littéraires (Revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, n° 7, juillet-août-septembre 2001, Du Lérot éditeur).
La revue s'ouvre sur un point de vue intéressant concernant la suite qui vient d'être donnée aux Misérables par François Cérésa. Après avoir pesé le pour et le contre et repris les points de vue des protagonistes (les héritiers Hugo contre les éditions Plon), Hélène Maurel-Indart conclut, avec sagesse, que "relancer la fin des Misérables, c'est assurer sa pérennité."
Charles Nodier fut bibliothécaire à l'Arsenal, où il tenait un salon littéraire qui rassembla toute la faune à plume du XIX° : Dumas, Balzac, Lamartine... Vincent Laisney rend compte du livre de sa fille, Charles Nodier, Épisodes et souvenirs de sa vie (1867).
L'entretien, toujours intéressant, est consacré à Claude Pichois, spécialiste de Baudelaire, Nerval et Colette. Suit une nécrologie d'André Blavier, le pataphysicien auteur des Fous littéraires.
La chronique des ventes et des catalogues présente une plaquette surréaliste de Léo Malet (Ne pas voir plus loin que le bout de son sexe, 1936) proposée à 35 000 F, le Dos, caddy d'aisselles (palindrome syllabique de El Desdichado de Nerval) de Perec à 500 F et pour 80 F seulement, un ouvrage de 1909 au titre alléchant : La Caverne. Histoire pittoresque d'une famille humaine de 29 personnes, filles et garçons, petits et grands, à l'époque des luxuriantes forêts tertiaires et des saisons clémentes dans l'Europe Centrale, roman préhistorique de Ray Nyst précédé d'une introduction documentaire.

Courrier. Je reçois la convocation à l'Assemblée Générale de la Société des Amis der Marcel Proust, qui aura lieu le lundi 17 juin. Pas question d'y aller, bien entendu, mais je le regrette : la réunion a lieu à la B.N.F., site Richelieu, où je n'ai jamais mis les pieds.

Voyage. Je prends le 19 heures 36 pour Paris avec Caroline.

Lecture. Wonderland Avenue (City of Bones, Michael Connely, traduit de l'américain par Robert Pépin, Seuil coll. Policiers, 2002).
Des ossements sont déterrés par un chien dans les hauteurs de Laurel Canyon, Los Angeles. Ils appartiennent à un enfant enterré à la va-vite il y a une vingtaine d'années. Harry Bosch enquête.
L'Oiseau des ténèbres, qui racontait la rencontre de Harry Bosch et de Terry McCaleb, constitue probablement le sommet de l'œuvre de Michael Connely. Il est donc normal qu'on ait l'impression de redescendre d'un cran ici et de se trouver face à quelque chose de plus commun. Comme le commun de Connely vaut bien l'exceptionnel de beaucoup d'autres, l'épreuve est plutôt agréable.
Harry Bosch, enfant abandonné, retrouve des aspects de son existence dans celle du jeune Arthur Delacroix dont il a découvert le cadavre. Son enquête montre encore une fois les difficultés du travail des policiers du LAPD, obligés de louvoyer entre les journalistes, la hiérarchie, l'inspection des services, les avocats et les balles perdues. Sa vie sentimentale connaît un nouvel épisode avec la rencontre d'une "bleue" qui va l'accompagner un moment. Mais c'est son existence tout entière qui bascule dans un dénouement inattendu et inquiétant.
Curiosité : c'est le premier livre que je lis qui intègre les événements du 11 septembre 2001.

SAMEDI.
Vie parisienne. A 10 heures 30, séance du séminaire Perec à Jussieu, présidée par Marcel Bénabou à qui je fais signer un de ses livres. Kaiko Miyazaki parle de la judéité chez Perec. Voir une Japonaise parler de judéité, ça ne manque pas de sel... (Francis Blanche dans Babette s'en va-t-en guerre : "Essayez donc de faire avouer à un Japonais qu'il est juif. Vous verrez comme c'est difficile.")
Miyazaki présente les Récits d'Ellis Island comme une sorte de biographie potentielle menée à terme, alors que le projet d'une biographie réelle de Perec, L'Arbre, n'a jamais abouti. Dans la discussion qui suit, Bianca Lamblin, la cousine de Perec, apporte des précisions sur la situation de leurs familles par rapport à la judéité. En fait, Perec n'a retrouvé son identité juive qu'au moment du voyage à New York pour son travail sur Ellis Island : les Bienenfeld, chez qui il fut élevé, étaient partisans de l'intégration, il fréquenta un collège catholique et fut même converti. Événement : pour la première fois depuis que je fréquente le séminaire (16 janvier 1999), j'ose prendre la parole.
Je feuillette la biographie de Queneau à la librairie Dédale, passe chez Gibert et retrouve Caroline au Bouillon Racine où la croûte est comme d'habitude savoureuse. Je passe l'après-midi à la Bibliothèque des Littératures Policières à travailler sur mon Atlas. Nous nous retrouvons à la Brasserie Les Ondes, face à la Maison de la Radio où nous entrons pour assister à l'enregistrement, salle Olivier Messiaen, d'une séance publique des Papous dans la tête. Autour de Bertrand Jérôme et Françoise Treussard, sont rassemblées les mêmes têtes que l'an dernier : Lucas Fournier, Patrice Caumont, Patrick Besnier, Henri Cueco, Patrice
Delbourg, Dominique Muller, Hervé Le Tellier, Jacques Jouet, Gérard Mordillat et Jean-Bernard Pouy. Seul changement : Hélène Delavault à la place de Patrice Minet (dommage, c'est à mon goût le plus drôle de la troupe). Comme l'an dernier aussi, trois heures et demie d'un
spectacle formidable d'humour, de culture et d'intelligence avec les jeux de langage habituels : Limericks, Exercices de style, Suites allitératives, Paroles d'objets, Léger Strabisme Divergent (L.S.D., un regard tordu sur la peinture), Dissertations de bac philo, Chansons avec rimes imposées, Diagnostic littéraire à l'aveugle et pour finir, Guerre et Paix sous forme de comédie musicale. Diffusion sur France Culture à partir du dimanche 2 juin. Nous attrapons un métro tardif et peuplé de drôles d'êtres, le dernier service à la Brasserie de l'Est et nous glissons dans les toiles de l'Hôtel Amiot à deux heures du matin.

Bonne semaine.

N.B. Mes dimanches sont plutôt copieusement meublés ces temps-ci et il est fort possible que le n° 62 des notules soit une nouvelle fois livré avec du retard. Pardon pour ces contretemps à répétition.