Notules
dominicales de culture domestique n°58 - 5 mai 2002
DIMANCHE
Politique. "Sur 10 millions de
voix, si Chirac en obtient 7 et Le Pen 3, la proportion en suffrages exprimés
est de 70/30 pour le président sortant. Si, en revanche, parmi
ces électeurs, 2,5 d'électeurs de gauche s'abstiennent ou
votent blanc, Le Pen garde ses 3
millions de voix mais Chirac n'en compte plus que 4,5. En suffrages exprimés,
la proportion n'est plus que de 60/40. Le Pen ne gagne pas une voix mais
son pourcentage, lui, progresse de 10 points ! Le résultat alors
est radicalement différent, les conséquences politiques
incalculables, l'image de la France profondément affectée.
Pour tous nos partenaires européens, qui n'entreront pas dans la
subtilité des calculs électoraux, l'extrême droite
sera passée en quinze jours de 20% à 40% des voix... Chacun
dans le monde entier sera persuadé que 2 Français sur 5
partagent une idéologie raciste et xénophobe. Est-ce aujourd'hui
le visage de la France ?"
C'est signé Jérôme Jaffré, c'est dans Le Monde
du jour, c'est clair et c'est tout à fait ce qu'il me fallait pour
me persuader de me déplacer dimanche prochain.
Esthétique. Caroline fait une
coupe de cheveux à Alice. Toute la semaine, nous préférerons
dire que c'est Lucie qui a coupé les cheveux de sa sœur. Question
d'amour-propre.
TV. Zone interdite, un magazine
de M6, revient sur la semaine politique passée. Un reportage sur
les Q.G. des candidats au moment où on apprend la présence
de Le Pen au second tour, un autre sur le réveil militant des jeunes...
Ce sera à revoir plus tard avec un regard d'historien. Un chapitre
est consacré aux gens qui ont voté Le Pen. Comme c'est le
cas depuis une semaine, on les présente comme de pauvres gens déboussolés,
ayant perdu leurs repères, on légitime leur vote en le qualifiant
de protestataire, on leur cherche des excuses. Désolé, mais
je ne marche pas. Celui qui met un bulletin Front National dans une urne
est intrinsèquement, sui generis, un sombre con et une armoire
à merde. Le Pen a 74 ans. Il passera - dans tous les sens du terme.
Ses idées et ses électeurs resteront. Ce n'est pas seulement
la viande faisandée qu'il faut craindre, mais aussi les mouches
qui s'en nourrissent.
LUNDI.
Mail. Réactions politiques
aux dernières notules (Y., D.R.). G.N. m'invite au 1er Mai à
Nancy. F. parle du film Le Boulet et de Queffélec.
Lecture. Bulletin Marcel Proust n°
49 (Société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray,
1999).
Bienvenue au pays des proustophiles, proustolâtres et proustophages.
J'avais acheté ce bulletin -qui paraît une fois l'an - pour
un article "Perec et Proust" qui s'est avéré un
peu décevant. Pour continuer dans la catégorie dispensable,
on peut noter un article sur la métaphore auquel je n'ai rien compris
et un autre sur "l'impression" chez Proust du même tonneau.
Bien entendu, on est ici chez des spécialistes qui font un travail
très pointu, mais il y a des choses tout à fait accessibles
et intéressantes. J'ai ainsi découvert l'incroyable flagornerie
dont Proust pouvait faire preuve dans sa correspondance, ici étudiée
dans ses échanges avec Anna de Noailles et Robert de Montesquiou.
Surprise aussi de trouver de l'intertextualité chez Proust : trois
vers de Phèdre sont dissimulés dans La Recherche :
saurez-vous les retrouver ?
A noter d'autres choses dignes d'intérêt : Proust et Flaubert
face à l'Orient, Combray et Le Roman de Renart, La Recherche
et ce qu'elle doit à La Double Maîtresse d'Henri de
Régnier (encore un exemple d'intertextualité). La recension
des études parues sur l'auteur au cours de l'année montre
la richesse de la recherche proustienne (beaucoup de Japonais) qui va
se nicher dans les coins les plus improbables : que n'aurais-je pas donné
pour assister, le 13 février 1999, à la communication de
Than van Ton That à Paris 7 consacrée aux... "Douches
et bains dans La Recherche"...
TV. L'Oncle Harry (The Strange Affair
of Uncle Harry, Robert Siodmak, U.S.A., 1945 avec George Sanders, Geraldine
Fitzgerald, Ella Raines).
Corinth, une petite ville de la Nouvelle-Angleterre. La crise de 1929
a ruiné la famille Quincey, qui possédait une usine textile.
Harry, l'héritier de la famille, a conservé un emploi à
l'usine. Il vit dans la demeure familiale en compagnie de ses deux sœurs
Hester et Lettie. Lorsqu'il annonce son désir de se marier, Lettie
fait tout pour l'en empêcher.
Un carton à la fin du film demande de ne pas en dévoiler
le dénouement pour ne pas gâcher le plaisir des spectateurs
à venir.
Heureusement que j'ai vu le film au magnétoscope et que j'ai pu
revenir en arrière pour m'éclairer car je n'avais rien compris
au dénouement en question. C'est un passage éclair du film
qui en donne la clé et il convenait d'être plus attentif
que je ne l'avais été. Ça n'a rien ôté
au plaisir de regarder cette histoire d'étouffement familial qui
fait parfois songer à Qu'est-il arrivé à Baby Jane
? de Robert Aldrich, mais en plus doux : Siodmak semble hésiter
à s'engager vraiment à fond dans la méchanceté
et la perversion, et retenir ses personnages. C'est un peu dommage.
P.S. Après consultation du Guide des films de Jean Tulard,
j'apprends que la fin a été modifiée pour la sortie
du film (en vertu du code Hayes alors tout-puissant) et ne correspond
pas à la volonté du réalisateur, d'où la fin
peu claire et l'aspect retenu mentionnés ci-dessus.
MARDI.
TV. Charmant garçon
(Patrick Chesnais, France, 2000 avec Patrick Chesnais, Jean-François
Balmer, Alexandra Vandernoot, Bernard Crombey, Samuel Labarthe).
Octave est tout le contraire d'un charmant garçon : quinquagénaire
brutal, mal embouché, râleur perpétuel. Il rencontre
Esther, une artiste mosaïste, mais n'est pas décidé
à faire beaucoup d'efforts pour la conquérir.
Esther doit accepter Octave tel qu'il est, avec son caractère impossible
et ses multiples défauts. De la même façon, c'est
le côté intéressant de cette première réalisation
de l'acteur Chesnais, le spectateur doit accepter le film tel qu'il est
lui aussi. Le refus de compromission, de correction politique se trouve
chez le personnage et chez le metteur en scène, ce qui est une
démarche assez courageuse. C'est comme si Chesnais disait au public
: je sais que mon film a un côté bâclé, qu'on
y entend mal ce que disent les personnages, qu'on a du mal à les
situer socialement, mais c'est à prendre ou à laisser. Ça
rend la chose assez sympathique, d'autant qu'on trouve aussi quelques
bons moments de comique absurde (Jean-François Balmer au bistrot
: "S'il restait du jambon je prendrais bien un autre sandwich mais
ils n'ont plus de pain.")
MERCREDI.
Manifestation. Environ 2000 personnes
ce matin à Épinal malgré la pluie battante, c'est
une belle mobilisation. L'occasion pour moi de revoir des têtes
connues, des camarades de fauteuil de cinéma, de vieux fans de
Garlamb'Hic (il y en eut), d'anciens voisins de salles des profs, de réunions
de cellules, de sections, de comités divers et surtout de comptoirs.
Est-ce que ça fera baisser le score de Le Pen au second tour, je
ne le crois pas (l'abruti est borné, c'est sa quintessence), mais
ça permet de se compter.
Jardin. Je cueille le muguet, pour
une fois à l'heure, plante trois rangs de charlottes, sème
des radis, de la salade, du persil.
Mail. Discussion sur la [listeoulipo]
pour savoir s'il convient d'aller voter Chirac avec une pince à
linge ou des gants en latex (aucune progression pour la vente de ceux-ci
à la pharmacie pour l'instant). Il y a des risques d'annulation
des résultats du bureau ou du
scrutin tout entier (le Front National enverra des scrutateurs partout)
pour cause de signe distinctif. Je me contenterai pour ma part d'envoyer
mon bulletin Le Pen à l'Elysée.
Cinéma. Une affaire privée
(Guillaume Nicloux, France, 2001 avec Thierry Lhermitte, Marion Cotillard,
Lydia Andrei, Jeanne Balibar, Aurore Clément, Niels Arestrup, Jean-Pierre
Darroussin, Robert Hirsch, Samuel Le Bihan).
Une jeune femme, Rachel Siprien, a disparu depuis six mois. Devant le
constat d'échec de la police, sa mère charge un enquêteur
privé, François Manéri, de reprendre les recherches.
Guillaume Nicloux n'avait pas trop mal réussi, pour son premier
film, un exercice difficile qui était la mise à l'écran
du Poulpe (cf. notules n° 10) de Pouy et consorts. Ici, il se lance
tête baissée dans le film de genre, la quête d'une
femme disparue par un détective privé. Lhermitte surjoue
le rôle du privé dans toute sa splendeur : il fume comme
un sapeur, joue au poker, vit séparé de sa femme, en tombe
quelques autres, commande de la bière avant dix heures du matin,
s'oppose aux policiers qui mènent l'enquête en parallèle,
prend des coups sur la tête (coucou Nestor Burma) mais parvient
à trouver la solution - un peu décevante - grâce à
sa ténacité. Il ne lui manque que l'imper mastic et le feutre
mou. Plutôt qu'une pâle copie, il s'agit d'un hommage assez
sympathique aux canons du genre (on voit même, en guise de caution,
un petit bout d'un film de Melville, L'Armée des ombres m'a-t-il
semblé). Nicloux fait ses gammes, on attend avec impatience le
moment où il se sentira assez fort pour porter un projet vraiment
personnel.
JEUDI.
Mail. X. me qualifie de "futur
maire de Levallois-Perec" (!)
Courrier. Une lettre de P.H., perdu
de vue depuis des années, résidant désormais à
Kaysersberg. Je l'abonne aux notules. Il est temps que celles-ci conquièrent
l'Alsace. J'envoie des coupures (Le Monde, Les Inrockuptibles) et des
nouvelles radiophoniques à l'AGP
et une procuration pour l'élection du Prix René-Fallet.
Les délibérations du jury ont lieu cette année au
cours du week-end de la Pentecôte, ce qui ne me permet pas de me
déplacer jusqu'à Jaligny. Je vote pour Un été
autour du cou de Guy Goffette.
TV. La Tour Montparnasse infernale
(Charles Nemes, France, 2000 avec Éric Judor, Ramzy Bedia).
Deux laveurs de carreaux qui travaillent sur la Tour Montparnasse sont
mêlés à une prise d'otages.
Éric et Ramzy sont deux comiques de télévision, autant
dire que je les découvre avec ce film. Ils sont ici au service
d'une parodie de film d'action, de Piège de cristal (John
McTiernan) selon toute évidence. Ils sont bêtes, naïfs,
maîtrisent mal le langage et leur corps. Malgré cela, ils
vont faire la nique aux méchants surarmés qui se sont introduits
dans la tour.
Ça commence par un concours de crachats sur les passants du haut
de la tour, ça se termine par un bon gros vomi dans un hélicoptère.
Les gesticulations des deux héros, leurs mimiques appuyées,
leur langage approximatif ne sont pas non plus d'une finesse remarquable.
Quelques gags disséminés ici ou là permettent d'éviter
l'assoupissement total ou l'abandon de poste.
VENDREDI.
Saint-Philippe. On me comble de chaussettes.
Téléphone. Je prends
des nouvelles de H. Il est rentré chez lui depuis samedi dernier,
et content de l'être malgré la fatigue. Il doit retourner
à l'Hôpital Nord à la fin du mois pour l'opération
de l'œil et la pose d'une prothèse.
TV. P.J. Au moment où je m'endors,
Fournier est capitaine. Quand je me réveille, on lui donne du "commandant
Fournier".
C'est le dernier épisode de la saison. Ce n'est peut-être
pas plus mal.
SAMEDI.
Emplettes. Je trouve un Carré
Noir d'occasion au marché.
Courrier. Une carte postale de M.-P.,
en vacances en Espagne.
TV. L'Alibi (Pierre Chenal, France,
1937 avec Eric von Stroheim, Louis Jouvet, Albert Préjean, Jany
Holt, Margo Lion).
Winckler exécute des numéros de télépathie
dans un cabaret parisien. Un soir, à l'issue d'une représentation,
il assassine un nommé Gordon. La police le soupçonne. Il
demande à Hélène, une employée du cabaret,
de lui fournir un alibi.
On trouve ici quelques monstres sacrés du cinéma d'avant-guerre,
Jouvet et Stroheim en tête. Le problème, c'est qu'ils semblent
chacun faire leur numéro (très efficace, pas de problème
de ce côté-là, on se doute qu'ils connaissent la musique)
dans leur coin, sans vraiment se soucier l'un de l'autre. Le scénario,
signé Marcel Achard, manque de corps et d'intérêt,
ne semble avoir été mis au point que pour la juxtaposition
de ces vedettes.
Ambiance générale. Il
pleut sans discontinuer depuis deux jours. Le F.C. Metz est relégué
en deuxième division. Si ça continue comme ça, on
s'achemine vers un week-end vraiment très noir.
Bon dimanche tout de même.
Notules
dominicales de culture domestique n°59 - 12 mai 2002
DIMANCHE.
Élections. Chirac est réélu
à 82%, mais Le Pen, s'il perd en pourcentage par rapport au premier
tour, gagne des voix. On a beau crier au "sursaut républicain",
à la "prise de conscience politique" et ainsi de suite,
ce n'est pas pour autant que les mouches à merde se sont transformées
en libellules.
Mail. D.R. raconte son expérience
de néo-chiraquien d'un jour.
LUNDI.
TV. Chaque chaîne y va maintenant
de son documentaire sur les coulisses de la campagne électorale
après la réussite de celui de Canal+ consacré aux
élections municipales à Paris et la sortie du film de Depardon
sur l'élection de Giscard en 1974. Ce soir, c'est au tour de Canal+
de diffuser un 90 minutes spécial sur l'avant-premier tour. C'est
très cruel pour Jospin, qu'on voit étouffé par ses
communicants, sans aucune emprise sur sa propre campagne. Un épisode
significatif montre les deux principaux candidats d'alors aux prises avec
une délégation d'employés de LU à Calais :
Jospin les envoie vers un conseiller qui les écoute à peine,
Chirac réquisitionne une salle du gymnase voisin et discute avec
eux (ce qui donne lieu d'ailleurs à un beau sous-titre : "Il
faudra qu'en même en parler à Mme Guigou").
Lecture. Mémoire
infidèle (A Traitor to Memory, Elizabeth George, traduit
de l'américain par Dominique Wattwiller et Jacques Martinache,
Presses de la Cité, 2001).
Gideon Davis, enfant prodige devenu violoniste virtuose, se trouve soudain
incapable de tirer la moindre note de son instrument. Il recherche dans
son passé les raisons de son blocage et est amené à
s'intéresser aux circonstances dans lesquelles est morte sa jeune
sœur.
Elizabeth George est un auteur américain qui pond des romans policiers
anglais plus anglais que ceux écrits par les Anglais. Elle ne s'exprime
que sur la longue distance : 620 pages ici, c'est la norme pour elle.
Elizabeth George est incroyablement douée pour la construction
d'une intrigue. Ses romans (j'en suis à mon quatrième) sont
de véritables monuments où chaque élément
amené est porteur de sens. Le lecteur est promené de personnage
en personnage, de lieu en lieu, est tenu en haleine jusqu'à la
dernière page, voire ici la dernière ligne. L'inconvénient
d'une telle construction, c'est qu'elle est tellement bien faite qu'elle
en devient froide. Elizabeth George a beau mettre en scène des
personnages récurrents (l'inspecteur Linley, Barbara Havers, Winston
Nkata) on ne parvient pas à s'attacher à leur existence,
à leurs problèmes. Ce sont des personnages de papier glacé,
là où Wallander, Bosch, Robicheaux, Scudder ou Resnik sont
des êtres de chair et de sang.
Mail. Message de S., qui a découvert
les notules chez des amis communs et s'abonne.
MARDI.
Anniversaire. 42 ans aujourd'hui.
Tout la journée, je croirai que c'est 43, jusqu'à ce que
Caroline me détrompe le soir venu. Ce qui me donne l'impression
de rajeunir tout à coup d'un an. "Enfin, le sept mai 1960,
Salini revint la voir..." (Georges Perec, La Vie mode d'emploi, chapitre
XXXI).
Courrier. Une carte d'anniversaire
de N.H., des mots de remerciement de H., qui rassure sur sa santé,
et des VJ.
Enfin gouvernés. Le petit Sarkozy
est nommé ministre de la sécurité intérieure
et d'autres choses encore. Quelques heures après, mon frère
se fait piquer sa voiture à Lisieux. Sarkozy démission !
MERCREDI.
Vie sociale. Nous recevons les N.
qui nous comblent de cadeaux et de leur conversation brillante.
Enfin gouvernés (suite). Jean-Pierre
Raffarin : "Quand on rentre dans une nouvelle maison, il faut faire
l'inventaire." Si la maison est neuve, monsieur le premier ministre,
et qu'on y pénètre pour la première fois, on n' y
rentre pas, puisqu'on n'en est pas sorti précédemment, on
y entre. Raffarin démission !
TV. Bread and Roses (Ken Loach,
G.-B., 2000 avec Adrien Brody, Elpidia Carrillo).
Maya arrive du Mexique et réussit à se faire embaucher à
Los Angeles dans une entreprise de nettoyage. Les conditions de travail
et de salaire sont épouvantables. Sam, un jeune syndicaliste, essaie
d'organiser la lutte des salariés.
Ken Loach goes to Hollywood, mais ne se renie pas pour autant. Le conflit
des employés d'immeuble de L.A., basé sur des faits réels,
s'inscrit parfaitement dans sa démarche de description d'un monde
coupé nettement en deux entre les nantis et les sans-grade. Se
syndiquer, obtenir un salaire décent et une couverture sociale
est redevenu aussi difficile dans les États-Unis d'aujourd'hui
que dans ceux des Raisins de la colère. Ken Loach a choisi un personnage
emblématique, ce qui constitue sa seule concession au moule hollywoodien
(on songe à Erin Brockovitch) dont l'histoire prend des teintes
mélodramatiques, alors que plus tard, dans The Navigators,
il racontera l'histoire d'un groupe en lutte. C'est peut-être manichéen
mais c'est efficace et sincère.
JEUDI.
Plein air. Je plante deux nouveaux
rangs de charlottes, Caroline entreprend le nettoyage du mobilier de jardin,
Alice découvre le bac à sable.
Mail. Échange avec J.S. sur
les élections.
Enfin gouvernés (suite). Roselyne
Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable,
fait l'apologie du nucléaire. On n'en attendait pas tant. Bachelot
démission !
TV. Les Tontons flingueurs
(Georges Lautner, France, 1963 avec Lino Ventura, Bernard Blier, Jean
Lefebvre, Francis Blanche, Claude Rich).
Fernand Naudin monte de Montauban à Paris pour s'occuper de la
succession du Mexicain, un truand de ses amis. Dans l'héritage
se trouve une jeune fille, Patricia, qui va lui donner autant de fil à
retordre que les anciens employés du Mexicain.
Que dire après cette énième vision des Tontons, sinon
qu'on se trouve ici face à une sorte d'état de grâce,
la rencontre d'un réalisateur, d'un dialoguiste (Audiard) et d'acteurs
tous à leur apogée. C'est quelque chose de magique qui ne
se reproduira pas malgré d'autres tentatives (Les Barbouzes,
l'année suivante).
VENDREDI.
Enfin gouvernés (suite). Michelle
Alliot-Marie, ministre de la Défense, s'envole pour Karachi sur
les lieux de l'attentat. Pas de place dans l'avion pour le député-maire
(de surcroît membre de la commission de Défense à
l'Assemblée nationale) de Cherbourg, dont la plupart des victimes
sont originaires. En revanche, journalistes et caméras embarquent
pour immortaliser l'événement. Alliot-Marie démission
!
Cinéma. Audition (Odishon, Takashi Miike,
Japon, 1999 avec Ryo Ishibashi, Eihi Shiina, Jun Kunimura, Tetsu Sawaki,
Miyuki Matsuda).
Après sept ans de veuvage, Aoyama veut refaire sa vie. Avec la
complicité d'un ami qui travaille dans le cinéma, il organise
un faux casting pour trouver l'élue. La belle Yamazaki est sélectionnée.
La relation entre Aoyama et Yamazaki va sombrer dans l'horreur, mais avant
d'y arriver, il faut subir une mise en place des personnages plutôt
longuette. Ce n'est qu'au bout d'une heure que Miike change de style :
la caméra devient mobile, les plans hachés, les cadrages
insolites. L'inquiétude gagne alors, concernant ce que peut bien
cacher la belle douceur de Yamazaki. Il faut avoir le cœur bien accroché
pour suivre le film jusqu'au bout, qui comprend une scène de torture
insoutenable. Le fantastique made in Japan (voir Ring de Hideo
Nakata) n'est pas entièrement convaincant mais révèle
une sacrée fêlure dans l'inconscient de ce pays.
SAMEDI.
Mail. Échange avec F. sur les
élections, Daniel Arasse et Lawrence Block.
Emplettes. Au marché, je trouve
les Série Noire cartonnés n° 211, 226 et 395.
Enfin gouvernés (suite). Luc
Ferry, ministre de l'Éducation Nationale, pardon, de la jeunesse
et de l'éducation : "La jeunesse a montré qu'elle pouvait
se mobiliser pour des projets éthiques et spirituels. Les JMJ par
exemple." Ferry démission !
TV. Premier bain de foule pour Chirac,
au Stade de France pour un match de football Lorient-Bastia. La Marseillaise
est couverte par les sifflets. Image intéressante de Chirac qui
bouscule Raffarin et le petit Sarkozy pour quitter la tribune. Le stade
devait être plein d'autonomistes corses et bretons. On imagine la
chose avec Chevènement élu.
Intimité (Patrice Chéreau, France - G.-B., 2000 avec
Mark Rylance, Kerry Fox, Timothy Spall, Marianne Faithfull).
Londres. Chaque mercredi, Claire se rend chez Jay. Ils font l'amour sans
un mot et se séparent. Au bout d'un moment, Jay a envie d'en savoir
plus sur Claire. Il la suit, lui découvre un mari, Andy, et une
passion pour le théâtre qu'elle pratique en amateur. Andy
provoque une rencontre entre les deux amants qui vont enfin se parler.
Les personnages torturés de Patrice Chéreau ne m'ont jamais
passionné. Heureusement, ils sont ici moins nombreux que dans Ceux
qui m'aiment prendront le train et présentent donc moins de
pathologies et de névroses. Tout ceci pour nous dire que l'amour
physique ne peut suffire (sauf pour Sophie Guillemin dans L'Ennui
de Cédric Kahn) et que la parole est un élément de
la passion. Soit.
Bon dimanche.
N.B. En raison du week-end de la Pentecôte, les notules n°
60 perdront leur caractère dominical.
Notules
pentecostales de culture domestique n°60 - 21 mai 2002
DIMANCHE.
Jardin. Je repique quelques plants
de salade de Madame Pierron (la Madame Pierron étant une variété
de voisine, non de salade), sème carottes, capucines, cosmos et
lupins.
TV. Les Sentiers de la gloire
(Paths of Glory, Stanley Kubrick, U.S.A., 1957 avec Kirk Douglas,
Ralph Meeker, Adolphe Menjou, George Macready, Wayne Morris, Richard Anderson).
1916. Une offensive française destinée à s'emparer
d'une position allemande échoue. L'état-major réclame
des têtes. Le colonel Dax est chargé de désigner trois
soldats qui seront jugés en conseil de guerre pour couardise devant
l'ennemi.
Le film, qui fut interdit pendant quinze ans en France, est basé
sur des faits réels, qu'on connaît moins que ceux qui concernent
les soldats fusillés pour refus d'obéissance. Le principe
est le même : fusiller pour l'exemple, pour que les rescapés
redoublent d'ardeur au combat. La guerre de 14 ne manque pas de ces faits
absurdes, Yves Boisset en fera bien plus tard un téléfilm
assez réussi, Le Pantalon. Face au délire des vieilles
ganaches qui décident à l'abri, le colonel Dax ( Douglas,
une sorte de Raffarin émacié) représente l'homme
révolté, mais impuissant. Les règles de justice,
d'humanité, font partie d'un autre monde qui n'a rien à
voir avec celui décrit ici. On s'étonnera moins du pessimisme
de l'œuvre quand on saura que Jim Thompson (celui dont les romans ont
donné entre autres Coup de torchon et Série
Noire) a participé au scénario.
LUNDI.
Reprise. Le gouvernement Raffarin
est à peine en place que ses effets bénéfiques se
font sentir : Caroline embauche une nouvelle préparatrice.
Mail. J'envoie un site d'antagonymes
anglais à A. Sur la [listeoulipo], on commence à s'intéresser
aux pierres tombales, on répertorie les Auffray et les Souterre
qui peuplent les cimetières. Zalmanski envoie une photo de la tombe
des "Familles Bienfait - Bravo" tellement belle qu'on dirait
un faux.
MARDI.
TV. The Yards (James Gray,
U.S.A., 2000 avec Mark Wahlberg, Joaquin Phoenix, Charlize Theron, James
Caan, Ellen Burstyn).
Leo Handler retrouve sa famille après avoir fait de la prison pour
vol. Son oncle est à la tête d'une entreprise de réparation
de matériel ferroviaire qui obtient, par corruption, des marchés
de la ville de New York. Au cours d'une opération de sabotage,
un homme est tué. Leo est soupçonné.
Il s'agit d'un film de gangsters, construit autour d'un gang familial,
très original car très éloigné du modèle
flamboyant (Leone, Scorsese). On truande en famille, en col blanc, on
participe aux commissions d'attribution de marché à la mairie,
on glisse des enveloppes... S'il faut se salir les mains, on utilise des
petites frappes. On voudrait bien faire de Leo un truand respectable,
mais celui-ci met les mains dans le cambouis et se fait pincer. La belle
façade familiale se met alors à se lézarder, on envisage
même de se débarrasser de la brebis galeuse.
James Gray signe un film noir qui refuse obstinément tous les poncifs
du film noir. Sa marque de fabrique, c'est la discrétion, la retenue
: retenue dans l'illustration musicale, retenue dans le jeu des comédiens,
retenue dans l'action avec très peu de scènes "vives".
Ça donne une touche très personnelle à un film qui,
curieusement, grâce à cette économie d'effets, en
devient encore plus sombre.
Lecture. Les meurtres du Titanic
(The Titanic Murders, Max Allan Collins, 1999, traduit de l'américain
par Catherine Cheval, Rivages/Mystère 2000).
Après avoir fait ses premiers pas dans le polar traditionnel (plusieurs
titres traduits à la Série Noire), Max Allan Collins s'est
spécialisé dans les reconstitutions historiques, redonnant
vie à des personnages réels en les plongeant dans diverses
aventures imaginées. Ici, il nous embarque sur le Titanic sur les
pas de Jacques Futrelle. Futrelle a bien existé : il était
à l'époque un romancier de renom spécialisé
dans les affaires de chambre close et il a bien péri dans le naufrage
du Titanic. Les autres personnages du roman sont tout aussi réels,
même si je ne les connais pas, ne m'étant jamais intéressé
à la courte odyssée de ce navire : Stead,
Guggenheim, Straus, Astor... des grands noms de l'époque. Ce que
Collins imagine, c'est que deux passagers sont assassinés et que
Futrelle mène l'enquête.
Le résultat n'est pas déplaisant, pas enthousiasmant non
plus. On sent que l'auteur s'est soigneusement documenté pour offrir
une reconstitution parfaite du décor et de l'ambiance. Du côté
de l'enquête, c'est franchement paresseux, Futrelle se contentant
d'arpenter le bateau pour s'entretenir avec différents personnages
susceptibles d'avoir commis les meurtres, entre deux repas à la
table du capitaine.
MERCREDI.
Emplettes. Belle razzia en librairie
: le volume de romans de Queneau en Pléiade (du coup, on m'offre
l'album de l'année, justement consacré à Queneau),
un recueil de Laclos, un polar de Craig Holden chez Panorama 88; le numéro
de la revue Formules consacré à Perec, trois volumes d'Hervé
Le Tellier et un vieux Marcel Bénabou (comme ça fait un
peu maigre, la libraire me prête le dernier roman du même,
on ne sait jamais) à la Licorne. La Maison de la Presse est en
liquidation. C'était le seul endroit où je pouvais feuilleter
La Quinzaine littéraire de Maurice Nadeau...
Courrier. Une carte postale des YJ
actuellement à Étretat.
Santé. Alice chez le cardiologue,
pour une échographie suite à ses problèmes de mars
2001. Tout est désormais en ordre, tout risque (hormis celui, secondaire,
de malaise vagal) a disparu et c'est bien tant mieux.
Cinéma. Hollywood Ending
(Woody Allen, U.S.A., 2002 avec Woody Allen, George Hamilton, Téa
Leoni, Debra Messing, Mark Rydell, Tiffani Thiessen, Treat Williams).
Val Waxman est un réalisateur au creux de la vague, réduit
à tourner des films publicitaires. Un come-back inespéré
lui est offert par les soins de son ex-femme, Ellie. Celle-ci propose
à un directeur de studio hollywoodien, avec qui elle vit désormais,
de confier à son ex-mari la réalisation d'un film à
gros budget.
Le film en question s'intitule This City Never Sleeps et a bien
sûr pour cadre New York. Allen - Waxman propose à son producteur
de le tourner en noir et blanc et d'utiliser les musiques de Gershwin
et de Cole Porter, soit exactement ce qu'il a fait pour Manhattan. C'est
qu'ici, Allen ne se contente pas de rire de ses déboires sentimentaux,
il se moque de lui en tant que cinéaste : voilà que Waxman
se met à exiger un chef-opérateur chinois (Allen l'a fait
pour Le Sortilège du Scorpion de jade avec Zhao Fei) et
un décorateur qui veut recréer tout New York en studio.
Le tournage va s'avérer une épreuve redoutable, le film
un échec (sauf en Europe, clin d'œil là aussi à la
carrière du cinéaste) mais Waxman en sortira vainqueur et
tout finira bien, conformément au titre.
Depuis Celebrity, Allen a enchaîné un certain nombre
de films pas désagréables mais ressemblant à des
exercices de style appliqués, comme ce Scorpion de jade
où il jouait un privé. Ici, on a l'impression qu'il se retrouve.
Son jeu d'acteur n'a pas évolué, il n'est toujours pas plus
riche, mais il fonctionne. Sa critique des milieux du cinéma américain
évite la charge lourde mais elle aussi fonctionne. C'est drôle,
vif, spirituel, du vrai Woody Allen comme on l'aime. A noter la persistance
de son goût sûr pour le choix de ses partenaires féminines
(ici Téa Leoni).
JEUDI.
Mail. F. envoie une alerte virale,
qui se révèle être un canular. Je communique à
la [listeperec] les mentions de Perec qui figurent dans l'album Queneau
de la Pléiade et dans la biographie de Tati par David Bellos, feuilletée
à la Licorne.
Courrier. J'envoie un mot de remerciements
à N. H., mon bulletin Le Pen à l'Élysée, des
coupures à J. (une nécrologie de La Liberté de l'Est),
à F. (Télérama), à l'AGP (Le Magazine littéraire,
Le Figaro), à Y. (Le Monde).
Lecture. La France de Pétain
et son cinéma (Jacques Siclier, Ramsay Poche Cinéma
n° 83, 1981).
J'ai entrepris cette lecture à la suite du film de Bertrand Tavernier
Laissez-passer, centré sur deux personnalités du
cinéma sous l'Occupation, Jean Devaivre et Jean Aurenche, ainsi
que sur une compagnie cinématographique française dirigée
par les Allemands, la Continental. Siclier parle de la Continental dès
le début de son livre, ainsi que d'Alfred Greven, son directeur,
qui n'hésita pas à miser sur la qualité (aux dépens
parfois de l'idéologie), ce qui permit à cette firme de
sortit La Main du diable de Tourneur, Le Corbeau de Clouzot,...
Curieusement, après ces éclaircissements sur la plus grosse
compagnie de l'époque, Siclier quitte rapidement le ton de l'historien
pour ne plus se référer qu'à son expérience
personnelle. Au cours de ces années de guerre, il faisait son apprentissage
cinéphilique (qui le conduisit plus tard aux colonnes de Télérama
et du Monde) dans les cinémas de Troyes. Il nous renseigne sur
la façon dont lui a reçu les films, ce qu'il pensait de
tel ou tel interprète... Ce n'est pas inintéressant, ce
n'est pas primordial non plus. En tout cas, il a l'honnêteté
de ne pas se présenter comme un visionnaire de l'époque
: il voulait bouffer du film et c'est tout. Avec le recul, il se refuse
d'ailleurs à théoriser à tout prix : "Je pense
que, maintenant, c'est clair. Le cinéma dit 'de Vichy' n'existe
pas. Sous le régime de Vichy, et sous l'occupation
allemande, le cinéma français, en 'liberté surveillée',
a été un cinéma de survie industrielle et économique
, d'essor artistique toutes les fois que cela lui fut possible..."
Siclier raconte les films de façon assez précise dans le
corps du livre alors qu'il y a en annexe les fiches techniques - avec
des distributions assez détaillées pour un maniaque dans
mon genre - qui comportent un résumé exhaustif de chaque
film. Autre défaut : l'absence d'index, absolument nécessaire
à ce genre d'ouvrage.
VENDREDI.
TV. Autopsie d'un meurtre (Anatomy
of a Murder, Otto Preminger, U.S.A., 1959 avec James Stewart, Lee
Remick, Ben Gazzara, Arthur O'Connell, J.N. Welch).
Un tenancier de bar est assassiné. Le coupable, un certain lieutenant
Manion, dit avoir agi impulsivement, sous l'effet de la colère.
A-t-il, comme il le prétend, voulu venger sa femme, Laura, harcelée
et violentée ? Ou, au contraire, éliminer de sang-froid
un rival amoureux ? L'avocat Paul Biegler, chargé de la défense,
mène l'enquête...
Le film est adapté d'un roman de Robert Traver que j'ai lu en avril
1985. Dans les notes de lecture que j'avais rédigées à
l'époque, je parlais d'un livre original (montrer une affaire judiciaire
de A à Z vécue du point de vue de l'avocat de la défense,
présentation de l'accusé comme un personnage antipathique,
un profiteur) mais pas toujours passionnant, à l'image d'une véritable
affaire judiciaire (piétinements, longueurs, redites...). Preminger
en a fait un film en tout point remarquable, un modèle pour un
genre souvent traité par Hollywood (Le Mystère Von Bülow
de Barbet Schroeder par exemple) : le film de prétoire. Il n'y
a pas une seconde d'ennui sur les 2 heures 40 que dure le film. Si le
verdict est plus ou moins attendu, on ne saura rien en revanche de ce
qui s'est réellement passé. Il est assez surprenant de voir
la liberté dont a bénéficié Preminger pour
traiter un tel sujet en 1959 : comme il s'agit d'une affaire liée
à un viol, on parle de traces de sperme, on va même jusqu'à
exhiber une culotte de femme en plein tribunal. Dans le rôle de
l'avocat, James Stewart est épatant et retrouve, dans certaines
tirades, ses envolées de Mr Smith au Sénat de Capra.
Curiosité qui tient lieu de cerise sur le gâteau : la musique
est signée Duke Ellington, qu'on voit même jouer à
quatre mains avec Stewart.
SAMEDI.
Courrier. Je reçois le Bulletin
de l'Association Georges Perec dont les rédacteurs me remercient
pour mes contributions.
Tradition. A chaque week-end de la
Pentecôte, la famille de Caroline se retrouve dans une région
habitée par un de ses membres. Cette année, nous devons
nous rendre dans le Val-d'Oise, à Jouy-le-Moutier précisément,
près de Conflans-Sainte-Honorine, au nord-ouest de Paris. le départ
est prévu à 15 heures. A 14 heures, nous apprenons qu'une
employée de la pharmacie ne viendra pas travailler, arrêtée
pour cause de douleurs liées à sa grossesse. Départ
différé. Qu'à cela ne tienne, nous partons à
19 heures, pensant arriver le lendemain matin après avoir dormi
en route. A l'heure où les paupières commencent à
piquer, nous nous mettons en quête d'un hôtel. Seulement,
nous sommes juste à l'est de Paris. Tous les hôtels sont
complets, remplis de familles prêtes à s'offrir un week-end
de Pentecôte chez Eurodisney.
Arrivés sur le périphérique, nous entrons même
un moment dans Paris, longeons le Père-Lachaise (là aussi,
c'est complet) et tentons les hôtels en bordure : Pantin, Bagnolet,
Saint-Ouen, que sais-je encore, pas un centimètre carré
de matelas disponible. Cette fois, c'est au match de football France -
Belgique qui se déroule à deux pas de là le soir-même,
au Stade de France, qu'on doit la ruée sur les puciers. Bien obligés,
nous poussons jusqu'au but de notre voyage où nous arrivons entre
deux heures du matin. Bien entendu, il n'y a plus âme qui vive,
la maison est bouclée et nous voilà bons pour passer le
reste de la nuit dans la voiture. Je subodorais bien un week-end merdique
mais là on est en train de racler les parois de la fosse septique.
Quand enfin, miracle, Caroline aperçoit une loupiotte : c'est la
gardienne des lieux qui raccompagne des hôtes à l'extérieur
et qui nous fait pénétrer dans la place. Ouf. On est à
6 dans la piaule avec les beaux-parents, juste à côté
des W.C. - douches de
l'étage mais on ne va pas se plaindre.
Bonne nuit et bonne semaine.
Bises.
N.B. Le numéro 61 des notules sera également livré
en début de semaine.
Notules
post-dominicales de culture domestique n°61 - 27 mai 2002
DIMANCHE.
Réunion familiale à la ferme d'Ecancourt,
Jouy-le-Moutier, Val-de-Marne. "Du sommet du château
d'eau, ils voyaient la ferme tout entière, enserrant sur ses quatre
côtés la grande cour pavée, avec ses deux portails
en ogive, la basse-cour, la porcherie, le potager,
le verger ..." (Georges Perec, Les Choses). On s'y croirait,
c'est tout à fait ça, la ferme francilienne typique dont
une partie est aménagée en gîte collectif. Les parents
et les écoles y mènent les enfants à la découverte
des veaux, vaches, cochons, couvées. La première
matinée est consacrée à la visite de la Maison du
Parc Naturel Régional du Vexin français, c'est ainsi que
se nomme la région. Jusqu'ici, je ne connaissais du Vexin français
qu'une phrase de Butor : "Avant et pendant la guerre, j'allais toujours
passer mes vacances, avec mes six frères et sœurs et six cousins
germains, dans un village du Vexin français où notre grand-mère
possédait une maison ..." (Portrait de l'artiste en jeune
singe). La Maison, un joli château en fait, abrite un petit
musée tout à fait inintéressant. J'apprends tout
de même que
nous sommes près d'Auvers-sur-Oise, où Van Gogh finit ses
jours. Quant à la visite de la microbrasserie qui suit, c'est le
genre de sujet qui ne me passionne plus. Après le repas, la troupe
part en promenade, je reste avec Alice.
LUNDI.
Réunion familiale (suite).
Nouvelle balade au matin. Je me défile de nouveau, ce qui me vaudra
de recevoir une récompense, genre "Trophée du meilleur
marcheur". Nous quittons les lieux en début d'après-midi,
contournons Paris par le Nord. A un moment, la route passe carrément
sous les pistes de Roissy. A un carrefour anodin, des policiers, l'arme
à la bretelle. Plus loin, sur la Francilienne, une voiture banalisée
s'arrête, quatre hommes en uniforme et gilet pare-balles s'en extraient
à toute vitesse et s'enfoncent dans un bosquet qui borde la route.
Drôle de pays. On ne devrait jamais quitter Montauban...
Mail. N. m'envoie sur un site simiesque.
MARDI.
Mail. Rédaction et envoi des
notules.
Courrier. Je reçois une longue
lettre de B., néo-chiraquienne, comme tout le monde.
Vie scolaire. J.-C. F. m'a trouvé
le Série Noire n° 119.
MERCREDI.
Jardin. Mise en pots de zinnias et
d'œillets d'Inde.
Mail. Échange avec N. sur Colette
et l"écriture féminine" (pas facile). A. m'annonce
que le bruit court dans les couloirs du ministère que Les Choses
de Perec pourraient être mis au programme de terminale l'an prochain.
Fine réplique, à l'heure où le fils Chérèque
va remplacer Nicole Notat à la tête de la C.F.D.T. : j'aime
mieux Les Choses de Perec que les pauses de Chérèque...
Obituaire. Mort de Niki de Saint Phalle.
je me souviens de son premier mari, l'Oulipien Harry Mathews, et de la
fontaine de Château-Chinon.
JEUDI.
Mail. Surprise de recevoir des nouvelles
de P. H., perdu de vue depuis des années, qui a découvert
les notules via son frère, abonné papier. Je propose un
abonnement.
Lecture. Bizarre ! Bizarre !
(Someone Like You, Roald Dahl, 1948 - 1953, Éditions Gallimard
1962 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Elisabeth
Gaspar et Hilda Barberis, Folio Gallimard n° 395).
Nouvelles.
Roald Dahl présente ici quinze histoires, dont certaines furent
reprises dans une série télévisée qui portait
le même titre.
On se trouve entre le fantastique et le policier, avec des peintures de
vies ordinaires tout à coup bouleversées par un élément
imprévu. Tout l'art de Dahl est dans la chute, l'histoire basculant
soudain en trouvant un dénouement surprenant dans les toutes dernières
lignes. Sur le plan thématique, on remarquera que l'on parie beaucoup
dans ces histoires, avec un enjeu parfois insolite : un doigt à
couper, une fille à marier... Il y a des textes plus réussis
que d'autres (Le chien de Claude, le plus long, présente
les personnages les plus
intéressants) mais l'ensemble est agréable, digne du bon
faiseur qu'était Roald Dahl.
Courrier. J'envoie des nouvelles radiophoniques
et des coupures de presse à l'Association Georges Perec (Le Monde,
album Queneau de la Pléiade), d'autres coupures à Y. (L'Humanité,
Le Monde), un enregistrement tronqué d'une émission de radio
sur Dante à A.
TV. Yi Yi (A One and a Two...,
Edward Yang, Taiwan/Japon, 1999 avec Jonathan Chang, Wu Nien-Jen, Kelly
Lee, Yu Pang Chang).
N. J. , cadre dans une grande société de Taipei, a deux
enfants, Yang-Yang et Ting-Ting sa grande sœur, une belle-mère
dans le coma, une ancienne amoureuse qu'il retrouve après des années
de séparation, des voisins qui se chamaillent, un beau-frère
obsédé par les thèmes astraux...
Le film raconte par petits bouts rapiécés la vie de ces
différents personnages. Ça dure près de trois heures,
on a l'impression que ça pourrait durer trois jours de plus sans
que l'intérêt soit éveillé. J'ai été
totalement incapable d'entrer dans le jeu, principalement à cause
de mon incapacité chronique à différencier les visages
asiatiques, accrue ici par la mise en scène (plans très
larges, les personnages sont perdus dans le décor) et par l'uniformité
des voix de la version doublée. Il y a bien quelques idées
(Yang-Yang, qui prend des photos de la nuque des gens parce que ceux-ci
ne l'ont jamais vue, une belle interprétation de la Sonate au
clair de lune de Beethoven par un pianiste ... japonais, des cadrages
très étudiés) mais ça reste une épreuve
redoutable.
VENDREDI.
Lecture. Histoires littéraires
(Revue trimestrielle consacrée à la littérature française
des XIX° et XX° siècles, n° 7, juillet-août-septembre
2001, Du Lérot éditeur).
La revue s'ouvre sur un point de vue intéressant concernant la
suite qui vient d'être donnée aux Misérables
par François Cérésa. Après avoir pesé
le pour et le contre et repris les points de vue des protagonistes (les
héritiers Hugo contre les éditions Plon), Hélène
Maurel-Indart conclut, avec sagesse, que "relancer la fin des Misérables,
c'est assurer sa pérennité."
Charles Nodier fut bibliothécaire à l'Arsenal, où
il tenait un salon littéraire qui rassembla toute la faune à
plume du XIX° : Dumas, Balzac, Lamartine... Vincent Laisney rend compte
du livre de sa fille, Charles Nodier, Épisodes et souvenirs
de sa vie (1867).
L'entretien, toujours intéressant, est consacré à
Claude Pichois, spécialiste de Baudelaire, Nerval et Colette. Suit
une nécrologie d'André Blavier, le pataphysicien auteur
des Fous littéraires.
La chronique des ventes et des catalogues présente une plaquette
surréaliste de Léo Malet (Ne pas voir plus loin que le
bout de son sexe, 1936) proposée à 35 000 F, le Dos,
caddy d'aisselles (palindrome syllabique de El Desdichado de Nerval)
de Perec à 500 F et pour 80 F seulement, un ouvrage de 1909 au
titre alléchant : La Caverne. Histoire pittoresque d'une
famille humaine de 29 personnes, filles et garçons, petits et grands,
à l'époque des luxuriantes forêts tertiaires et des
saisons clémentes dans l'Europe Centrale, roman préhistorique
de Ray Nyst précédé d'une introduction documentaire.
Courrier. Je reçois la convocation
à l'Assemblée Générale de la Société
des Amis der Marcel Proust, qui aura lieu le lundi 17 juin. Pas question
d'y aller, bien entendu, mais je le regrette : la réunion
a lieu à la B.N.F., site Richelieu, où je n'ai jamais mis
les pieds.
Voyage. Je prends le 19 heures 36
pour Paris avec Caroline.
Lecture. Wonderland Avenue
(City of Bones, Michael Connely, traduit de l'américain
par Robert Pépin, Seuil coll. Policiers, 2002).
Des ossements sont déterrés par un chien dans les hauteurs
de Laurel Canyon, Los Angeles. Ils appartiennent à un enfant enterré
à la va-vite il y a une vingtaine d'années. Harry Bosch
enquête.
L'Oiseau des ténèbres, qui racontait la rencontre
de Harry Bosch et de Terry McCaleb, constitue probablement le sommet de
l'œuvre de Michael Connely. Il est donc normal qu'on ait l'impression
de redescendre d'un cran ici et de se trouver face à quelque chose
de plus commun. Comme le commun de Connely vaut bien l'exceptionnel de
beaucoup d'autres, l'épreuve est plutôt agréable.
Harry Bosch, enfant abandonné, retrouve des aspects de son existence
dans celle du jeune Arthur Delacroix dont il a découvert le cadavre.
Son enquête montre encore une fois les difficultés du travail
des policiers du LAPD, obligés de louvoyer entre les journalistes,
la hiérarchie, l'inspection des services, les avocats et les balles
perdues. Sa vie sentimentale connaît un nouvel épisode avec
la rencontre d'une "bleue" qui va l'accompagner un moment. Mais
c'est son existence tout entière qui bascule dans un dénouement
inattendu et inquiétant.
Curiosité : c'est le premier livre que je lis qui intègre
les événements du 11 septembre 2001.
SAMEDI.
Vie parisienne. A 10 heures 30, séance
du séminaire Perec à Jussieu, présidée par
Marcel Bénabou à qui je fais signer un de ses livres. Kaiko
Miyazaki parle de la judéité chez Perec. Voir une Japonaise
parler de judéité, ça ne manque pas de sel... (Francis
Blanche dans Babette s'en va-t-en guerre : "Essayez donc de
faire avouer à un Japonais qu'il est juif. Vous verrez comme c'est
difficile.")
Miyazaki présente les Récits d'Ellis Island comme une sorte
de biographie potentielle menée à terme, alors que le projet
d'une biographie réelle de Perec, L'Arbre, n'a jamais abouti.
Dans la discussion qui suit, Bianca Lamblin, la cousine de Perec, apporte
des précisions sur la situation de leurs familles par rapport à
la judéité. En fait, Perec n'a retrouvé son identité
juive qu'au moment du voyage à New York pour son travail sur Ellis
Island : les Bienenfeld, chez qui il fut élevé, étaient
partisans de l'intégration, il fréquenta un collège
catholique et fut même converti. Événement : pour
la première fois depuis que je fréquente le séminaire
(16 janvier 1999), j'ose prendre la parole.
Je feuillette la biographie de Queneau à la librairie Dédale,
passe chez Gibert et retrouve Caroline au Bouillon Racine où la
croûte est comme d'habitude savoureuse. Je passe l'après-midi
à la Bibliothèque des Littératures Policières
à travailler sur mon Atlas. Nous nous retrouvons à la Brasserie
Les Ondes, face à la Maison de la Radio où nous entrons
pour assister à l'enregistrement, salle Olivier Messiaen, d'une
séance publique des Papous dans la tête. Autour de
Bertrand Jérôme et Françoise Treussard, sont rassemblées
les mêmes têtes que l'an dernier : Lucas Fournier, Patrice
Caumont, Patrick Besnier, Henri Cueco, Patrice
Delbourg, Dominique Muller, Hervé Le Tellier, Jacques Jouet, Gérard
Mordillat et Jean-Bernard Pouy. Seul changement : Hélène
Delavault à la place de Patrice Minet (dommage, c'est à
mon goût le plus drôle de la troupe). Comme l'an dernier aussi,
trois heures et demie d'un
spectacle formidable d'humour, de culture et d'intelligence avec les jeux
de langage habituels : Limericks, Exercices de style, Suites allitératives,
Paroles d'objets, Léger Strabisme Divergent (L.S.D., un regard
tordu sur la peinture), Dissertations de bac philo, Chansons avec rimes
imposées, Diagnostic littéraire à l'aveugle et pour
finir, Guerre et Paix sous forme de comédie musicale. Diffusion
sur France Culture à partir du dimanche 2 juin. Nous attrapons
un métro tardif et peuplé de drôles d'êtres,
le dernier service à la Brasserie de l'Est et nous glissons dans
les toiles de l'Hôtel Amiot à deux heures du matin.
Bonne semaine.
N.B. Mes dimanches sont plutôt copieusement meublés
ces temps-ci et il est fort possible que le n° 62 des notules soit
une nouvelle fois livré avec du retard. Pardon pour ces contretemps
à répétition.
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