Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°62 - 2 juin 2002

DIMANCHE.
Exercices de stèle. Nous passons une partie de la matinée, celle qui se situe entre deux grosses averses, à sillonner les allées du Père-Lachaise, munis d'un plan acheté à l'entrée permettant de localiser les tombes célèbres. Nous commençons par Méliès, Balzac, passons du côté de chez Proust qui repose enfin aux côtés de sa maman, Montand-Signoret, Bécaud, Rossini, Jim Morrison, bien sûr, Sarah Bernard, terminons par Colette. Dans le columbarium, nous trouvons la case que Perec partage avec sa tante Esther Bienenfeld, voisine de celle de Stéphane Grapelli. Nous tombons par hasard sur la tombe toute fraîche de Francis Lemarque. L'exercice peut sembler un peu vain mais j'aime tout ce qui s'apparente à un pèlerinage littéraire et certains monuments valent vraiment le jus : celui en forme de grotte du spirite Kardec, un Parthénon miniature... On peut s'étonner qu'un nommé Cendrier ait choisi l'inhumation... Je cherche une tombe célèbre dont je ne me rappelle plus l'occupant et que je sais l'objet d'un culte priapique. Est-ce Victor Serge ? Il n'est pas enterré ici. Est-ce Victor Cousin ? Il y a deux Victor Cousin mais aucune de leurs tombes ne correspond à ce que je cherche. Ce n'est qu'au soir, retour ici, que je retrouve le nom : Victor Noir. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois.

Lecture. Écrire sur Tamara (Marcel Bénabou, Presses Universitaires de France, 2002).
A la fin des années 50, le jeune Manuel quitte Casablanca pour Paris et la khâgne de Louis-le-Grand. Il tombe amoureux de l'énigmatique Tamara.
Le grand Marcel Bénabou, secrétaire définitivement provisoire ou provisoirement définitif (c'est son titre exact) de l'Oulipo, grand coordonnateur du séminaire Perec et ancien grand ami de l'auteur, professeur spécialiste incontesté d'histoire romaine, a un cœur de midinette. Ce n'est pas grave, moi aussi. Ce qui l'est davantage, c'est qu'il écrit comme une midinette. Le voilà qui, à l'heure de la retraite, se lance dans le Bildungsroman, le roman de formation, dont il ne cache pas l'inspiration autobiographique. Nous accompagnons son double Manuel au cours des quatre premières années de sa vie parisienne : le pensionnat à Louis-le-Grand, le
Quartier latin, la découverte du cinéma, de la littérature, de la politique, de l'art et bien sûr de l'amour auprès de Tamara qui mourra avant qu'il ait pu concrétiser son penchant pour elle. Cette histoire a un côté fleur bleue, naïf, difficile à imaginer quand on connaît un peu
l'auteur. Il tombe à peu près dans tous les travers du genre : lyrisme, pédantisme, ridicule, narcissisme. Comme pour se prémunir des critiques, il prend soin de mêler à sa prose présente des extraits de ce qu'il écrivait à l'époque. Peine perdue : on ne remarque pas la différence. C'est plutôt décevant de la part d'une personne que je côtoie maintenant depuis plusieurs années et que je n'imaginais pas capable de ça.
A sauver du désastre : un beau zeugme (Fabrice a versé dans une casserole le contenu d'une grosse boîte de cassoulet qu'il remue doucement avec une grande cuiller en bois et son éternel air rêveur.") et un passage en forme d'hommage ("Haha ! Elle a osé te refaire le coup de la disparition ? Elle ne manque pas d'air, ta petite sainte ! Mais ne t'inquiète pas trop, allez. Je parie que les choses vont s'arranger, et qu'elle ne va pas tarder, comme l'autre fois, à jouer les revenantes. Dans cinq ou six semaines, elle te racontera qu'elle a été saisie par des espèces de spasmes.") dans lequel l'œil exercé reconnaîtra quatre titres de Perec.

Mail. F. me fait espérer une prochaine visite et m'apprend le prochain déménagement de J.

LUNDI.
Vie scolaire. Je trouve dans mon casier un mot de mon principal m'invitant à venir le voir dans son bureau. Mon rapport d'inspection a dû arriver. "Ce n'est pas pour une bonne nouvelle." C'est donc bien ça. En fait, il l'a depuis vendredi et s'il l'a gardé sous le coude, ce
n'est pas pour préserver la quiétude de ma fin de semaine mais parce qu'il a essayé en vain de contacter les autorités inspectoriales pour savoir que faire de moi l'an prochain. Ce qu'il souhaite, c'est que je fasse une nouvelle année en tant que stagiaire, mais cette fois suivi par un conseiller pédagogique et épaulé par mes collègues qui m'aideraient à bâtir un projet en béton destiné à plaire à la hiérarchie. J'oppose une fin de non-recevoir : je n'ai pas envie de jouer les repentis, de passer une année à psalmodier les sourates des Instructions Officielles, je n'ai pas envie d'avoir un chaperon sur le râble, je n'ai pas envie d'enquiquiner mes collègues avec mes problèmes. J'avais bien pensé au début de cette année, me doutant de ce qui me guettait, faire semblant un moment d'être dans la norme mais y avais rapidement renoncé.
J'ai joué, j'ai perdu. Je lis le rapport. M. G., qui est en passe de devenir l'idole de mes années d'âge mûr, renouvelle par écrit les reproches qu'il m'a faits à l'oral. En gros, faire ce qui me plaît plutôt que ce qui est au programme. Grandeur de l'homme : il est allé jusqu'à
fouiner dans les archives afin de consulter les cahiers de textes des années précédentes pour voir que mon mépris des Instructions Officielles ne datait pas d'hier. Il y a bien dans son rapport quelques malhonnêtetés mais dans l'ensemble ce qu'il dit, si on regarde la réalité avec ses œillères à lui, est justifié. Je ne corresponds pas à la norme, ce qui est, d'un certain point de vue assez rassurant : je ne ressemblerai jamais à ce faisan et je devrais plutôt m'en féliciter. Comme attendu, la conclusion tombe comme un couperet : "Monsieur Didion ne manque certes pas d'atouts pour dispenser un enseignement efficace, mais il lui faut avant tout connaître et suivre les Instructions Officielles pour construire un projet cohérent, gage de formation et de progrès pour les élèves qui lui sont confiés. J'émets (c'est lui qui souligne) un avis défavorable à l'intégration de Monsieur DIDION dans le corps des certifiés." Ite missa est. Je remonte en cours un peu envapé. Après un épisode émétique je descends au bistrot où je rédige d'une seule traite la réponse suivante : "J'ai pris connaissance du rapport rédigé par Monsieur J.-N. G. chargé d'une mission d'aide à l'inspection des Lettres.
J'ai pu mesurer, grâce à Monsieur G., l'étendue de l'incompétence dont je fais preuve depuis septembre 1982, date à laquelle me fut confiée pour la première fois une classe de français. (Monsieur G. devrait pouvoir trouver les cahiers de textes des classes de 6°5 et de 4°1 dans les archives du Collège André Theuriet à Bar-le-Duc).
Je remercie Monsieur G. pour sa clairvoyance et la sûreté de son jugement qui lui ont permis, en un peu plus d'une heure de temps, de décider des 18 années de ma vie professionnelle à venir.
Face à l'ampleur des tares dont mon enseignement est affligé, il me paraît inconvenant de persister dans mon projet d'intégrer le corps des certifiés. J'émets donc ici le souhait de poursuivre ma tâche à Châtel en tant que PEGC, statut sous lequel Monsieur G. semble penser que je suis moins susceptible de nuire à la "formation et [aux] progrès [des] élèves qui [me] sont confiés."
Et surtout pas de formule de politesse. J'ai la main qui tremble comme aux plus beaux jours de ma splendeur alcoolique. J'ai bien conscience que ce n'est pas la chose la plus intelligente à faire, de brûler mes vaisseaux, mais si je ne fais rien, si je ne réagis pas, je m'en voudrai toute ma vie. Contrairement à ce que j'escomptais, le principal accepte de joindre ma réponse au rapport d'inspection qu'il doit retourner. Dans le cas contraire, je l'aurais de toute façon envoyée à titre personnel. Il aurait tort de se priver de jouer les Pilate : il ne sera plus là l'an prochain et si la merde se met à gicler dans le ventilateur ce n'est pas lui qui aura à nettoyer sa cravate.

Mail.
Rédaction et envoi des notules 61. G.N. m'annonce son accession à la propriété. Y. a repris le collier après son congé de paternité.

MARDI.
Moral des troupes. Le passif de M. G. s'alourdit : il me doit désormais deux nuits de sommeil, un repas, une sieste et trois pastilles de menthe.

Vie scolaire. Je donne ma liste de courses aux collègues qui partent demain en Angleterre : Branston Pickles, baked beans, salad cream et malt vinegar.

Courrier.
Une carte postale de Stockholm, où N. est en reconnaissance pour son nouveau poste.

MERCREDI.
Mail. S., qui a de gros P.V. en souffrance, me demande des renseignements sur l'amnistie présidentielle. Je lui envoie un article du Monde électronique sur le sujet. J'adresse l'annonce d'une émission de radio avec Jacques Roubaud à la [listeoulipo].

Courrier. Je reçois un faire-part de mariage (la fille d'une ancienne collègue).

Effectif réduit.
Caroline, qui a rendez-vous avec un spécialiste, emmène Lucie à Nancy. Je repique choux-fleurs et laitues avec Alice.

Radio. J'entends et recopie ce joli distique du poète fin-de-siècle Jean Lorrain :
"J'ai passé cette nuit entre deux débardeurs
Ils m'ont débarrassé de toutes mes ardeurs."
C'est autre chose que la Gay Pride...

T.V. Chinatown (Roman Polanski, U.S.A., 1974 avec Jack Nicholson, Faye Dunaway, John Huston, Perry Lopez, John Hillerman, Diane Ladd).
Los Angeles 1937. Le cadavre d'un responsable de la Compagnie des Eaux est repêché dans un réservoir. Sa femme venait d'engager le privé J. J. Gittes pour le surveiller, le soupçonnant de lui être infidèle.
C'est le moment de réviser son Polanski, qui vient d'être couronné à Cannes pour Le Pianiste. Il rend ici hommage au film noir, avec deux personnages archétypaux : le privé hard-boiled et la femme fatale. On prend plaisir à voir le premier incarné par Jack Nicholson, c'est quand même autre chose que Thierry Lhermitte dans Une Affaire privée, d'autant que c'est le Jack Nicholson d'avant, d'avant Vol au-dessus d'un nid de coucou et d'avant Shining, deux films qui le rendirent prisonnier d'une image de fêlé dont il n'a jamais pu sortir (comme Anthony Perkins victime de Psychose ou, dans un autre genre, Jean-Pierre Léaud, Doinel pour l'éternité). Dans le deuxième, on trouve Faye Dunaway, mystérieuse à souhait sous sa voilette. Autour d'eux gravitent d'autres figures connues : le flic obtus, le nervi, la secrétaire du privé... L'histoire, malheureusement, est un peu trop tordue pour que le film soit vraiment passionnant : histoires de corruption, d'inceste... auxquelles je n'ai pas tout compris. Un film estimable, dans lequel je n'ai pas trouvé le chef-d'œuvre dont on parle ici ou là.

JEUDI.
Moral des troupes. J'ai passé une bonne partie de la nuit à chercher à positiver, à trouver des raisons de me réjouir, même si le mot est un peu fort, de ma nouvelle situation.
1. Il y a la satisfaction, je l'ai déjà notée, de ne pas appartenir au même monde que les G..
2. Intérêt rédactionnel : voilà qui va sortir du ronron notulien, le numéro de dimanche sera un peu plus saignant.
3. Gain de temps : je ne remplis plus le cahier de textes de classe.
4. Enrichissement des sensations. Je suis d'un tempérament ordinairement paisible, d'un caractère équanime. Par conséquent, dans une humanité que je divise volontiers en deux groupes, celui des écraseurs et celui des écrasés, j'ai toujours été plus proche du paillasson que du brodequin. J'ai eu des amis, il m'en reste même quelques-uns. Et voici que me tombe du ciel un type humain que je ne connaissais pas encore : un ennemi. Et pas n'importe lequel, un vrai, un beau, un pur, un allégorique. Ma palette émotionnelle s'enrichit d'un sentiment que je ne me connaissais pas encore : la haine.

Mail. Encore une alerte virale bidon. J'envoie une revue de presse à la [listeperec].

Courrier. J'envoie des coupures à l'AGP (Histoires littéraires) et à L. (Le Monde), un enregistrement vidéo (les Who) à G.N., les doubles de mon rapport d'inspection et de ma réponse à mon syndicat, non pas pour être défendu (je suis indéfendable) mais pour savoir
si un cas semblable au mien s'est déjà produit (à mon avis non).

VENDREDI.
Vie scolaire. L'affaire rebondit. Le principal m'annonce la prochaine visite de Mme X (j'ai oublié son nom), l'inspectrice en chef dont Cowboy Georges n'est que le séide. On ne se contente plus des missi dominici, on envoie les généraux. Encore une semaine et c'est le ministre qui s'annonce. Serais-je devenu un spécimen, un unicum, une curiosa, un hapax ? C'est le signe que ma réponse a remué un peu le Landerneau. Je me demande ce que cache cette insistance. Si c'est pour m'enfoncer un peu plus, c'est peine perdue, je ne peux pas être plus bas. Si c'est pour voir comme je me suis amendé depuis la visite de l'autre, la déception risque d'être au rendez-vous : nihil novi sub sole, sinon une volonté d'auto-destruction décuplée. Si c'est pour me dire que saint Nicolas m'apportera des mandarines l'an prochain si je suis sage, ce sera non. C'est ma santé qui est désormais en jeu. Le manque de sommeil commence à se faire sentir, c'est l'entourage, Lucie surtout, qui en subit injustement les conséquences. Gainsbourg devenait l'homme à tête de chou, moi je me sens devenir chèvre. Je passe la journée à ciseler des répliques plus venimeuses les unes que les autres en vue de l'entretien à venir. Quitte à se saborder, autant que ce soit en y mettant les formes.

TV. Premier match de la Coupe du Monde de football. Le Sénégal bat la France 1 - 0. Dans les buts de l'équipe africaine, j'ai la surprise de retrouver Tony Sylva, qui fut gardien du S.A.S., l'équipe d'Épinal, il y a a quelques saisons, au temps où j'allais encore voir quelques matches J'espère que la délégation française a emporté en Corée des vidéos de Jacques Chirac : un premier tour à moins de 20 %, un second tour à plus de 80, ça devrait montrer aux joueurs que rien n'est perdu.
J'enregistre la première saison de Six Feet Under que Canal Jimmy rediffuse en continu pendant la nuit. Ma mère devrait aimer ça.

Mail. Je lis le journal en ligne des parents du jeune Colin.

SAMEDI.
Contre la montre. En l'espace d'une matinée, il s'agit d'aller à la boulangerie, chez le marchand de journaux, au PMU, au marché (c'est le baptême de bus d'Alice, aller par le 9 heures 37, retour par le 10 heures 31), de tondre la pelouse, de nettoyer chaises et table du jardin pour leur première utilisation de la saison, de faire du feu, d'ouvrir le parasol sans se coincer les doigts, de faire comprendre à Alice que le sable contenu dans le bac n'est pas destiné à l'ingestion, de descendre tout le saint-frusquin nécessaire à un repas en plein air de
la cuisine, de mettre la table, d'installer les filles, le tout à mains nues (Caroline est d'ouverture et de fermeture du matin, d'ouverture et de fermeture de l'après-midi, comme tous les jours de la semaine). A 12 heures 30 pétantes, je suis debout devant mon barbecue
rougeoyant, une bière (s. a.) à la main et si je pleure, c'est à cause de la fumée. Je suis un winner. L'après-midi est plus paisible, une petite sieste, Lucie plante des choux, moi des salades, on arrose...

TV. Lisa (Pierre Grimblat, France-Suisse, 2000 avec Jeanne Moreau, Marion Cotillard, Benoît Magimel, Sagamore Stévenin).
Sam, jeune cinéaste, cherche à réaliser un film sur Sylvain Marceau, un acteur qui a disparu pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Il retrouve Lisa, qui avait une liaison avec Sylvain à l'époque.
Lisa raconte ses souvenirs. Au début de la guerre, elle était pensionnaire d'un sanatorium proche du lieu de tournage du dernier film de Marceau. Celui-ci parti à la guerre, le sana devient une cachette pour les Juifs qui finissent par être dénoncés par la meilleure amie de Lisa. Un film surchargé de situations convenues, de personnages surdéterminés (le collabo, le Juste, le vieux professeur juif...), travers qui peut venir du fait que Grimblat a fait l'essentiel de sa carrière à la télévision. Comme si ça ne suffisait pas, l'histoire de Sam est elle aussi plombée par un père (Jonasz) lui-même enfant juif caché pendant les années noires et chez qui on décèle un soudain cancer. C'est très lourd, mais ça permet à de jeunes acteurs (Magimel, Cotillard) de faire leurs gammes sous l'œil bienveillant de Jeanne Moreau. Le nom de Gérard Mordillat, qui a participé aux dialogues, surprend un peu mais après tout, tout le monde a besoin de manger.

Bon dimanche, ou ce qu'il en reste.

 

Notules dominicales de culture domestique n°63 - 9 juin 2002


DIMANCHE.
Célébration. Nous passons la journée à Saint-Jean-du-Marché pour la communion d'un neveu.

Mail. GN s'est mis à Connely et semble conquis. Il m'envoie l'adresse d'un site consacré à l'écrivain.

LUNDI.
Condition féminine. J'attrape, enregistre et recopie ces deux vers de Louis Bouilhet destinés à une femme et entendus à la radio :
"Tu n'as jamais été dans les jours les plus tendres
Qu'un banal instrument sous mon archet vainqueur."
On savait rompre, à l'époque.

Vie scolaire.
Les réactions aux notules de la veille ne se font pas attendre et se succéderont tout au long de la semaine : témoignages d'amitié, volonté d'apaisement, appels au calme et à la raison, souvenirs personnels, bonne blague ("Tu ne feras jamais partie des Amis de Georges") et, surtout, curiosité de connaître la suite... Je partage cette impatience, même si je préférerais mille fois écrire un numéro de notules qui ne soit consacré qu'aux livres vus et films vus. Au collège, ce qui domine chez moi est l'écœurement et le dégoût. Il n'y a qu'avec les élèves que je suis bien, que je me libère, que je travaille et rigole avec le même plaisir que d'habitude.
Je m'aperçois finalement combien j'aimais ce métier.

Lecture. Mouvements (n° 15/16, mai-juin-juillet-août 2001, La Découverte).
Société. Politique. Culture. Dossier : Le polar, entre critique sociale et désenchantement.
J'avais acheté cette revue pour son dossier, sans imaginer que je faisais fausse route. En effet, Mouvements n'est pas une revue littéraire mais une revue consacrée aux sciences sociales, un domaine qui n'est pas le mien. Il y a quand même des choses accessibles dans les 120 pages consacrées au polar, pris dans sa dimension sociale : un entretien avec Daeninckx, un article sur Izzo, un autre sur les rapports entre Dostoïevski et Jim Thompson. L'étude ne se limite pas au polar français, les articles sur le genre en Italie et en Écosse sont si précis qu'ils ne semblent destinés qu'aux spécialistes.
Le reste de la revue aborde des thèmes aussi divers que l'effondrement de l'allemand dans les écoles ou la mort à l'hôpital. Enfin, les livres chroniqués semblent au novice d'une incroyable complexité.

MARDI.
Vie scolaire. Après la réaction épidermique que constituait ma lettre de lundi dernier, j'attaque l'étape n° 2. Dans la matinée, je rédige la lettre suivante, toujours pour les services d'inspection.
"Suite à ma réponse du 27 mai dernier en réaction au rapport d'inspection de Monsieur G., Chargé d'une mission d'aide à l'inspection des Lettres*, il m'a semblé nécessaire de revenir sur certains points dudit rapport.
 "Certains élèves n'ont pas le livre, ce que ne semble pas remarquer Monsieur DIDION." Si j'avais suivi la procédure habituelle, à savoir :
1. recension des livres manquants
2. inscription sur le carnet de correspondance à la page "Oublis"
3. inspection des carnets de correspondance des élèves fautifs (au 3° oubli, c'est un avertissement)
4. inscription des éventuels avertissements sur les fiches de suivi des élèves
Monsieur G. n'aurait pas manqué d'écrire : "Monsieur DIDION perd un temps précieux à ..." Quand un inspecteur ou un chargé d'une mission d'aide à l'inspection* se présente, un professeur de bon sens cherche à faire un travail de professeur, pas de policier.
 "Des jeux d'expression" Le grand mot est lâché ! On joue ! A aucun moment dans son rapport Monsieur G. ne parle de travail, sinon pour dire qu'il "se limite à ...". On joue, on ne travaille pas. Les élèves ont-ils eu l'impression de jouer avec moi tout au long de l'année ? On n'en saura rien, Monsieur G. n'interrogera pas les élèves qui, paraît-il, devraient être au centre du système éducatif.
 "... il ne maîtrise pas suffisamment sa discipline sur le plan didactique ni sur le plan pédagogique." C'est d'autant plus vrai que je serais bien en peine de dire quelle est
la différence entre ces deux termes.
 "Le projet d'année est des plus flous." Je n'ai, c'est vrai, pas d'autre projet que celui de ne pas m'ennuyer et de ne pas ennuyer mes élèves en classe.
 "... cahier de textes sommairement instruit." Je pense que ce qu'on me reproche ici est surtout de ne pas me servir d'un stylo à quatre couleurs.
 "Monsieur DIDION (...) reste coi." Monsieur G. aimerait laisser croire qu'il m'a réduit à quia. Il omet de dire qu'au bout d'un moment, sachant pertinemment que ma cause était entendue, j'ai refusé de répondre à ses questions pour que l'entretien finisse au plus tôt.
 "Les textes fondateurs n'ont pas encore trouvé place dans le projet." Il m'avait semblé préférable d'attendre que les élèves aient à se prononcer sur le choix de l'option latin en 5° pour leur présenter des textes anciens (une rencontre avec le professeur de latin est prévue au mois de juin).
Il va de soi que ces points ne sont que des détails et que je ne conteste pas le reste du rapport de Monsieur G. ni sa conclusion qui a su me remettre à la
place que je n'aurais jamais dû avoir la prétention de quitter."
* J'adore lui donner son titre exact et entier, surtout pour bien souligner le fait que ce con n'est même pas inspecteur. (retour)
Le principal, que mon combat quichotesque semble amuser, accepte de transmettre ma lettre. Je me sens soulagé. Je m'étais promis d'exposer tous ces arguments au cours de la prochaine visite de l'inspectrice (j'ai retrouvé son nom, Mme P.) mais je connais ma piètre maîtrise de l'oral et je sais qu'il y a de grandes chances que je me barricade à nouveau derrière un mutisme borné. Transformer mon fiel en encre, sorte de transsubstantiation au rabais, me soulage.

Courrier. Je reçois un disque de Joe Hisaishi, compositeur des musiques des films de Takeshi Kitano.

Vieillissement. Caroline a embauché à la pharmacie une préparatrice dont je fus assez gravement amoureux au cours de mes années de lycée et qui est probablement à l'origine de mon penchant pour les pharmaciennes. Après toutes ces années, elle est restée très aimable mais je peux maintenant la voir, l'entendre et lui parler sans sentir mon cœur s'échapper de ma poitrine. Je lui donne des produits de mon jardin. Autrement dit, il y a 25 ans je lui aurais volontiers proposé la botte, aujourd'hui je lui offre des radis.

Téléphone. Je prends des nouvelles de H. qui retourne à l'hôpital en fin de semaine pour la pose de sa prothèse oculaire et a hâte de revenir dans les Vosges.

Mail. B., ancien de Garlamb'Hic, nouvel abonné aux notules.
De beaux contrepets sur la [listeoulipo] : les couleurs de la 2; le consul d'Angleterre est en Corée; et surtout celle-ci : J'avais toujours cru que les pulls en shetland étaient fabriqués dans les îles du même nom. Quelle ne fut pas ma surprise quand j'appris que ces gros pulls se faisaient en Corée !

TV.
Banana Split (The Gang's All Here, Busby Berkeley, U.S.A., 1943 avec Alice Faye, Carmen Miranda, Eugene Pallette, Charlotte Greenwood, Benny Goodman).
Un sergent permissionnaire s'éprend d'une danseuse de revue.
Après avoir réglé les ballets des comédies musicales pour d'autres réalisateurs (les évolutions aquatiques d'Esther Williams), Busby Berkeley avait choisi de mettre lui-même en scène ses chorégraphies. Ici, l'histoire est inepte, une amourette sur fond de Guerre Mondiale (le ballet final est destiné à une souscription aux bons de la Défense) et malheureusement le film ne parvient pas à s'inscrire dans une toile de fond géographique ou thématique à la manière des grandes réussites du genre (Un jour à New York, Un Américain à Paris, le milieu de la mode pour Drôle de frimousse...). Ça n'enlève rien à la beauté des scènes dansées. On comprend les ennuis que Berkeley eut avec le code Hayes en voyant la manière dont ses girls s'amusent avec des bananes géantes. Le côté novateur de Berkeley est patent dans les recherches
géométriques de la scène finale. L'humour est présent grâce au numéro de l'étonnante Charlotte Greenwood, sorte de grande tige étonnamment douée pour la danse. Les vedettes en revanche, à l'image d'Alice Faye, sont plutôt pâlottes et Carmen Miranda n'est qu'un faire-valoir exotique. En fait, s'il y a une vedette dans le film, c'est le Technicolor et ses couleurs éclatantes qui sont un véritables éblouissement.

MERCREDI.
Mail. J'envoie au site du Ministère une demande de renseignements sur la procédure à suivre en vue d'une démission. C'est peut-être exagéré et prématuré mais je préfère parer à toute éventualité.

Vie familiale. Je m'efforce de choyer Lucie que j'ai injustement rudoyée ces derniers temps. Je l'accompagne à la Bibliothèque Municipale pour l'Heure du conte, lui fais mes excuses pour mes sautes d'humeur, la câline. Elle pleure un peu. Je ne te lâcherai pas le panty, Mr G. 100 ans d'enfer pour chaque larme sur les joues de ma fille. Nous irons cracher sur ta tombe.

Téléphone.
P., du SGEN-CFDT, m'appelle suite à mon courrier. Selon lui, j'ai eu tort d'envoyer ma première lettre (ça, je le savais déjà en l'écrivant). En fait, la décision pour mon changement de statut interviendra au cours d'une commission qui se tient au Ministère en septembre, pour laquelle l'inspecteur n'émet qu'un avis mais n'a pas de pouvoir décisionnaire. Cependant, les cas comme le mien sont fréquents en Lettres, avec, dit-il, "P. et ses sbires".

Mail. GN exhume quelques souvenirs romarimontains et se souvient de M. G. avec qui il a eu des mots. Les ennemis de nos ennemis sont nos amis.

JEUDI.
Mail. Échange lexicographique avec Y. sur le terme "incrémenter".

Vie scolaire. Le principal a eu Mme P. au téléphone. Celle-ci a tenu à me faire savoir qu'elle ne viendrait pas pour une inspection sanction (on doit commencer à me sentir chatouilleux). J'irai donc moi-même avec l'esprit ouvert. Je commence à remettre à jour mon cahier de textes. Je suis un pleutre.

TV. Coupe du Monde de football. France - Uruguay (0-0). Le commentateur de TF1, l'inénarrable Thierry Roland, n'attend même pas la mi-temps pour critiquer l'arbitre, un Mexicain soupçonné de sympathie avec les Uruguayens à cause d'une trop grande proximité géographique entre leurs deux pays. Il y a 7 000 kilomètres entre Mexico et Montevideo. Forcément, ça crée des liens.

Courrier.
J'envoie des nouvelles radiophoniques à l'AGP, des coupures à L. (Le Monde), Y. (Le Monde, La Liberté de l'Est), N. (Mouvements).

Lecture. Les quatre coins de la nuit (Four Corners of the Night, Craig Holden 1999, 2000 pour la traduction française de Stéphane Carn et Catherine Cheval, Rivages/Thriller).
Une jeune fille de 12 ans disparaît. L'affaire ressemble d'autant plus à un enlèvement que dans la même ville, sept ans plus tôt, la fille de Bank, un policier local, s'était elle-même volatilisée. Bank, qui n'a jamais renoncé à retrouver sa fille, redouble d'ardeur dans ses recherches.
C'est Mack Steiner, le coéquipier de Bank, qui raconte l'histoire. Habilement, Craig Holden fait alterner les chapitres consacrés à l'enquête contemporaine et ceux relatant l'enquête passée. D'autres reviennent sur l'enfance des deux policiers dans laquelle on va trouver la clé des intrigues d'aujourd'hui. Au fur et à mesure que la vérité se dévoile, Steiner découvre qui est réellement Bank et apprend beaucoup de choses sur lui-même. Un polar original, au ton amer, qui ne laisse aucune lueur d'espoir sur le monde contemporain.

VENDREDI.
Cinéma.
Bridget (Amos Kollek, U.S.A., 2001 avec Anna Thomson, David Wike, Lance Reddick, Julie Haggerty).
Bridget n'a qu'une idée en tête, récupérer son fils, placé dans une famille d'accueil suite au meurtre de son mari. Pour récolter l'argent nécessaire, elle multiplie les occupations, dealer international, vedette de peep-show, caissière...
Quatrième volet de la collaboration entre Kollek et Thomson après Sue, Fiona, Fast Food, Fast Women (je ne connais que le premier), Bridget témoigne à nouveau de la fascination d'un réalisateur pour son actrice. Coiffée d'une perruque blonde, "habillée" en strip-teaseuse, vêtue d'une blouse de caissière ou d'une panoplie d'aventurière, Anna Thomson est magnifiée dans chaque plan, élevé au rang d'icône. Son visage, à la fois douloureux et sensuel, devient l'égal des mythes hollywoodiens (Taylor, Gardner). le réalisateur multiplie les épreuves qu'elle doit traverser au mépris de toute vraisemblance dans un scénario rocambolesque qui culmine
dans un voyage à Beyrouth où elle va chercher une cargaison de drogue. Tout ça pour récupérer un gamin qui est moche comme un pou. Qu'importe, Emma Thomson traverse tout ça sans dommage, sublime, forcément sublime.

Lecture.
Joconde jusqu'à 100 (Hervé Le Tellier, Le Castor Astral 1998).
99 (+1) points de vue sur Mona Lisa.
Hervé Le Tellier, membre de l'Oulipo et de l'équipe des Papous, donne la parole tantôt à Mona Lisa elle-même, tantôt à son créateur, à ses admirateurs, à son frère corse ("Mona Lisa, qu'est-ce que tu fais à la fenêtre ? Et à cette heure-ci ! Rentre à la maison !") et à d'autres encore dans un florilège à mi-chemin entre les Exercices de style de Queneau et les 35 variations de Perec. On compte plusieurs "A la manière de..." qui pastichent Céline, Camus, San Antonio, Audiard, Perec (un lipogramme en E) ... Mais il y a aussi le point de vue du Poilu ("J'aime pas trop te voir en noir, j'ai l'impression que t'es ma veuve"), le point de vue de
l'avocat, du Petit Nicolas (un pastiche parfait), de Jules César ("Veni, vidi, vinci"). C'est souvent très drôle, toujours plaisant et ça donne un très ressemblant portrait ... d'Hervé Le Tellier.

SAMEDI.
Fausse joie. Je trouve trois G. dans les avis de décès de La Liberté de l'Est (un Grosg., un G. et un G. exactement). Malheureusement, le mien n'est pas dedans.

Courrier. Je reçois un disque de sonates pour piano de Beethoven et le n°10 d'Histoires littéraires.

Sortie. Nous dînons au Calmosien avec mes parents.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°64 - 16 juin 2002

DIMANCHE.
Jardinage. Nous installons des jardinières (géraniums, impatiens doubles, fuchsias) aux fenêtres et je termine les semis et plantations : navets, betteraves, haricots, poivrons, aubergines, piment.

TV. Soirée électorale plutôt terne, et pour cause.

Lecture.
Joconde sur votre indulgence (Hervé Le Tellier, Le Castor Astral 2002).
100 (nouveaux) points de vue sur Mona Lisa.
Dans ce deuxième volume sont pastichés Rabelais, Borges, Calvino, Prévert, Jarry, Perec (bis), Godard, le Guide du Routard... C'est dans les points de vue les plus brefs que Le Tellier apparaît le plus brillant. Quelques exemples :
"Le point de vue de l'agent 007.
- Ne nous sommes-nous pas déjà rencontrés, Monsieur ?
- Cond, my name is Cond. Joe Cond.

Le point de vue d'Aloysius Alzheimer.
Tiens, mais c'est la quoi déjà ?

Le point de vue de l'énigme judiciaire.
Vinci m'a dessiner.

Mail.
Des nouvelles de J. qui prépare son déménagement et a été accidentée à Paris.

LUNDI.
TV. U-571 (Jonathan Mostow, U.S.A., 2000 avec Matthew McConaughey, Bill Paxton, Harvey Keitel).
Un sous-marin américain prend possession d'un U-Boot allemand au cours de la Guerre de l'Atlantique. Il s'agit de s'emparer d'une machine Enigma qui permet aux Allemands de chiffrer leurs messages.
Comme tout bon film de guerre, U-571 mêle une aventure collective (la guerre sous-marine pour s'emparer d'Enigma) et une destinée individuelle, celle du lieutenant Tyler appelé à prendre le commandement des opérations après la mort du pacha. C'est un éloge du courage et de l'ingéniosité sans surprise mais efficace. Les scènes d'action sont spectaculaires, semblent résulter d'un travail de documentation très précis, mais passent mal l'épreuve du petit écran. Une chose appréciable qui disparaîtt peu à peu des productions hollywoodiennes : les Allemands parlent allemand (à ce propos, cocasserie du doublage, un marin américain s'adresse à un prisonnier allemand : "Parlez-vous français ?"). Une chose moins appréciable mais pas surprenante : le rôle des Anglais dans la capture et le déchiffrage d'Enigma est totalement passé sous silence.

MARDI.
TV. Coupe du Monde de football. France 0 - Danemark 2. L'équipe de France rentre à la maison sans gloire. C'est dommage, je ne suivais déjà la chose que d'un œil, là, ça ne va pas vraiment me passionner. Gageons qu'à l'image du commentateur Larqué, on ne va pas tarder à brûler, et avec la même ferveur, ce qu'on a tant adoré.
En tout cas, cette élimination a des côtés positifs : 1. Un véritable accident industriel pour TF1 qui a acquis pour 168 millions d'euros l'exclusivité des retransmissions de 2002 et de 2006 et qui se retrouve avec un paquet de matches qui n'intéressent plus personne à diffuser. L'action de TF1 se brade par brouettées. 2. Conséquence de 1, un accroc de plus dans la bulle financière qu'est le football international et qui finira bien par exploser comme une vulgaire start-up. 3. Pas de scènes de liesse obligatoire à subir. 4. Pas de pose avantageuse pour certain grand escrogriffe dans les jardins de l'Élysée.

Mail. Festival de contrepets footballistiques envoyé par P. J'envoie l'annonce d'une émission de radio sur [listeperec].

Lecture.
Encyclopædia inutilis (Hervé Le Tellier, Le Castor Astral 2002).
Fin de ma cure de Le Tellier avec ce volume dans lequel il livre onze portraits de savants fous ou d'inventeurs imaginaires qui auraient tout à fait leur place dans Les fous littéraires d'André Blavier. La fantaisie se mêle à l'érudition et comme d'habitude, Le Tellier salue au passage ses maîtres Queneau, Calvino, Perec ("Un dessin au trait d'un immeuble de huit étages, rue Simon Crubelier à Paris...", "A 11h43, le train atteignit sa vitesse de croisière.", "Karl craignait d'ailleurs que les militaires ne se privent un jour dans leur message de la lettre e. (...) Heureusement, aucun officier n'eut jamais l'idée d'une telle disparition."), sans oublier Jean-Baptiste Botul.
Les deux tableaux les plus réussis sont ceux consacrés à Zéphyrin Dauvergne, inventeur d'une nouvelle pédagogie de l'histoire qui a pour résultat d'en bousculer totalement le chronologie et à Jakob Romanson, linguiste bien sûr (cf. Roman Jakobson) qui classe les mots d'une langue selon la fréquence et la position des "lettres de vent" O, N, E, S représentant les points cardinaux) qu'ils contiennent : mots calmes, mots agités, turbulents, abrités, équibeaufortiens et autres occupent vingt pages d'un délire délicieusement pataphysique.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète des billets de train (m'est avis qu'un changement d'air ne me fera pas de mal après l'inspection de demain), le volume 6 de l'intégrale Ed McBain, un Raymond Roussel. Mon coiffeur m'annonce que je perds mes cheveux. Je vais finir par ressembler à M. G., qui n'est peut-être pas pour rien dans cette alopécie.

TV. Heat (Michael Mann, U.S.A., 1995 avec Robert De Niro, Al Pacino, Val Kilmer, John Voight, Diane Venora).
Un braquage tourne mal à cause d'un membre du gang qui ne peut s'empêcher d'abattre un vigile. Le chef, Neil McCauley, est désormais dans le collimateur d'un flic acharné, Vincent Hanna.
Le bandit, c'est De Niro, le flic, Al Pacino. Chacun des deux personnages est un monomaniaque : McCauley veut à tout prix réussir un dernier coup avant de se retirer, Hanna ne vit que pour le coincer. Les relations entre les deux hommes, qui aboutissent à un combat à mort, sont un curieux mélange de haine, d'estime et de fascination réciproques. Portés par de tels acteurs, les personnages prennent une vraie dimension héroïque. Intelligemment, Michael Mann multiplie les rebondissements et les intrigues annexes. Il sait filmer les scènes d'action et faire de son film, grâce à sa mise en scène, autre chose qu'un produit destiné à mettre en valeur ses deux têtes d'affiche.

JEUDI.
Vie scolaire. Mme P. m'inspecte en première heure. Je pourrais aussi bien faire mon cours en anglais ou en patagon qu'elle ne le remarquerait pas tant elle semble attentive à ce que je fais. Une heure d'entretien ensuite, au cours duquel le nom de M. G. n'est pas évoqué, ce qui est mieux pour tout le monde. J'ai bien fait de ne pas me bercer d'illusions, elle n'est pas venue pour désavouer son porte-coton. C'est un véritable massacre. Elle me descend en termes très durs, parfois justes, parfois volontairement méchants voire diffamants dans un crescendo bien préparé. On est venu me rendre la monnaie de ma pièce épistolaire, me faire bien comprendre qu'on ne gagne rien à se battre contre un tel système. J'absorbe ses compliments, je n'ai plus de haine, plus de larmes, je n'ai plus rien, je ne suis plus rien.

Courrier. J'envoie des coupures à A. (La Lettre de la Pléiade), Y. (Le Monde), l'AGP (des pages de Le Tellier et des nouvelles radiophoniques) et je déniche une carte postale de Stockholm que j'adresse à N. qui va y résider.

VENDREDI.
Vie scolaire. Je prends des nouvelles d'un collègue de français (absent 20 jours par an, constitutionnellement incapable d'arriver à l'heure ou de rendre une copie à temps, dont le cahier de textes s'arrête à la date du 15 septembre, tutoyant l'alcoolisme chronique -et je m'y connais- mais plus à l'aise que moi dans l'envoi de poudre aux yeux et la courbure d'échine, bon copain au demeurant) qui s'est fait inspecter après moi par la même Mme P. : tout s'est admirablement passé. Je le félicite et me félicite aussi du fait que mon attitude n'ait pas occasionné de dégâts collatéraux. On me tape sur l'épaule. Ma disgrâce a donc été rendue publique (pas par moi, la déconfiture, ça ne s'étale pas), ce qui ajoute à ma honte.

Courrier. Une lettre de P., lui aussi en froid avec ses autorités patronales.

Voyage. Je pars pour Paris par le 19h36. Les voyages en train sont propices à la rumination, ce ne sont pas les vaches qui les regardent passer qui diront le contraire. Je gamberge, trouve, comme d'habitude après coup les phrases que j'aurais dû dire à P. Je ne lirai pas son rapport, ça m'évitera de me faire du mal et de faire des bêtises. Professionnellement, je suis fini et ce qui peut m'arriver de mieux est de me tuer sur la route. Il me reste à essayer de sauver le reste.

Lecture. Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres (Marcel Bénabou, Presses Universitaires de France, coll. Perspectives critiques 2002, réédition de Hachette 1986).
Le titre, démarquage du Comment j'ai écrit certains de mes livres de Raymond Roussel, est alléchant. Le but poursuivi par l'auteur est intéressant : montrer que son désir de littérature n'a jamais pu se concrétiser : "... bien que n'ayant jamais rédigé que des fragments sans suite, je n'ai jamais cessé de me prendre pour un littérateur." Il nous parle donc de ses diverses tentatives, de ses échecs, du doute qui l'envahit au fil du temps.
Finalement, ce livre tant attendu, toujours repoussé aux calendes, il a fini par l'écrire puisque c'est cette année qu'est paru Écrire pour Tamara. Le style de Bénabou, fait de phrases longues, pleines d'incises, qui tourbillonnent au point de perdre le lecteur, est le même dans les deux livres. Il nuit malheureusement à la clarté du propos de Pourquoi... Quant à Tamara, j'ai déjà eu l'occasion de dire que ce n'était pas vraiment un grand livre. Pourquoi Bénabou n'a-t-il pas continué à n'écrire aucun de ses livres ?
Citation qui correspond assez bien à mon état d'esprit du moment : "Enfant, à l'âge où d'autres se promettent d'être Chateaubriand ou rien, j'avais écrit que je serais moi-même ou rien. Je n'avais certes pas prévu que je me trouverais un jour dans la situation d'être en même temps moi-même et rien."

SAMEDI.
Vie parisienne. Dernière séance du séminaire Perec à Jussieu, consacrée à une pièce peu connue, Les horreurs de la guerre, drame alphabétique, par Marc Parayre, un prof de Perpignan. Marcel Bénabou, un peu crispé, dit qu'il s'apprêtait à publier une étude sur le même texte. C'est le problème dans ce cénacle dont les membres peuvent être classés en trois catégories : les étudiants qui viennent là glaner des choses utiles à leurs travaux, quelques curieux, dont je suis, qui ne sont là que pour le plaisir, et les chercheurs professionnels qui s'épient, s'observent, se jalousent et se tirent souvent dans les pattes pour la plus grande joie des deux premières catégories (les passes d'armes Magné - Bellos ou Magné - Brasseur auxquelles j'ai assisté valaient le déplacement). Chacun a peur que l'autre vienne empiéter sur son territoire, lui pique le thème ou le bout de texte de Perec qu'il décortique en vue d'une publication. La première fois où je suis venu, on m'a regardé d'un drôle d'air puis, un jour, Roland Brasseur m'a demandé si je m'apprêtais à publier quelque chose. Tout le monde a semblé soulagé de ma réponse négative et c'est à ce moment-là, quand on a su que j'étais totalement inoffensif, que j'ai été pleinement accepté.
J'utilise ma carte de fidélité venue à terme à la librairie Dédale pour acheter un livre sur Prague et Kafka à mon père. Je saucissonne sur un banc de la rue des Écoles avant d'aller travailler sur mon Atlas à la Bilipo. J'aimerais croire que j'ai d'autres carrières qui m'attendent...

Lecture. 12, rue Meckert (Didier Daeninckx, Gallimard, Série Noire n° 2621, 2001).
Maxime Lisbonne, journaliste, enquête sur une série de crimes sexuels dans la région de Châteauroux. Un ancien confrère qui cherche à le contacter est abattu devant son immeuble. Lisbonne se trouve alors face à une affaire bien compliquée.
Si compliquée d'ailleurs qu'il m'est impossible d'en retrouver le cheminement une fois le livre refermé. S'y mêlent des histoires de pédophilie, d'avortements clandestins, de détournements de fonds, de barbouzes, que sais-je encore. C'est comme si Daeninckx avait voulu rassembler douze histoires du Poulpe en un seul volume. On retrouve les thèmes quasi-obsessionnels de l'écrivain : la Commune (le vrai Maxime Lisbonne fut un ami de Louise Michel), la corruption des juges et des politiques, la Nouvelle-Calédonie, l'injustice sociale, assortis d'un soupçon de modernité : allusion à des affaires récentes (Roland Dumas), scandale des farines animales, utilisation des techniques informatiques modernes. Il est comme ça, Daeninck, il aime rabâcher, enfoncer le clou avec un manque d'humour confondant. Ce pourrait être lassant s'il n'y avait un aspect du livre très réussi, son cadre historico-géographique. Avec sa compagne Eléonore, Lisbonne cavale aux quatre coins de Paris et chaque rue, chaque place, chaque monument est prétexte à une digression historique - en rapport le plus souvent avec la Commune et ses acteurs - pleine d'intérêt, comme savait en faire Léo Malet.

Retour. Je constate avec dépit que cette sortie parisienne n'a pas réussi à faire passer mes préoccupations au second plan. La perspective d'avoir à vivre 18 ans comme ça n'a rien de réjouissant.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°65 - 23 juin 2002

DIMANCHE.
Élections. Je vote PS, ce qui ne m'était pas arrivé depuis un moment.

Campagne. Nous passons la journée à Saint-Jean-du-Marché à le recherche d'un peu de fraîcheur et de tranquillité d'esprit. Je n'y trouverai ni l'une ni l'autre.
En fait, j'en suis arrivé à croire que le jugement de P. est vrai. Toutes mes tartarinades et rodomontades écrites ne sont que faux-fuyants destinés à me masquer la vérité : il n'est jamais facile de se voir révéler comme un être foncièrement médiocre. La haute opinion que j'ai cru avoir de moi-même explique la hauteur de la chute. Cette nouvelle réalité (qui n'est nouvelle que pour moi, en fait) ouvre des perspectives plutôt ternes mais j'ai au moins la chance que les filles soient encore trop jeunes pour avoir honte de moi.
Me vient en même temps l'envie de mettre un point final dimanche à ces notules qui depuis plusieurs semaines ne sont plus que jérémiades, complaisances et autojustifications. Je m'y pose comme un être volontaire et pénétré de ses certitudes alors que je ne suis que doute et velléité. On est passé de la culture domestique de l'intitulé à l'imposture nombrilique, et il vaudrait mieux que je prenne les devants avant que les abonnés ne me signifient leur lassitude. De plus, ça me fait mal de me dévoiler maintenant que je sais ma vacuité.

LUNDI.
Vie scolaire. Journée torture au collège où je résiste à la tentation de me terrer. Moi qui n'ai eu comme principale préoccupation que celle de passer inaperçu, je suis servi, voilà que j'attire les regards. J'ai le sentiment d'avoir un rôle apaisant pour tout le monde : dans une collectivité, on cherche toujours quelqu'un qui est plus bas que soi. Ça permet de se rassurer, de se dire qu'on n'est pas le dernier. On me regarde comme au jeu des chaises musicales on regarde, soulagé et goguenard, le couillon qui reste debout quand on a réussi à s'asseoir. Apaisant aussi parce que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. Avoir une brebis galeuse auprès de soi permet de se sentir épargné. Ça me rappelle l'époque où on m'emmenait à la pêche parce que je ne prenais jamais rien et que mon résultat bredouille était gage de réussite pour les autres.
Une collègue me transmet une invitation à venir festoyer en sa nouvelle maison à la fin de la semaine. Je décline dans un premier temps - a-t-on vraiment besoin d'un boute-en-train comme moi ce soir-là ? - avant d'accepter. Il serait tout de même malgracieux d'envoyer bouler quelqu'un qui ne cherche qu'à m'aider.
La journée se termine par un conseil de classe. Je n'ai jamais prononcé plus de trois mots dans ce genre de cénacle et ce n'est pas aujourd'hui que je vais me permettre de juger un élève alors que je me suis tant trompé sur moi-même.

MARDI.
Vie scolaire. Ch. me donne copie d'une lettre adressée au Recteur par mes collègues. Dans laquelle il appert que je ne suis pas l'étron décrit par P. et que contrairement à ce qu'elle affirme les élèves qu'ils réceptionnent après un passage dans mes classes ne sont pas les néandertaliens que je suis censé produire. La démarche, plutôt rare, me fait chaud au cœur, d'autant que mon attitude au sein de la communauté (mutisme, fuite) n'est guère propice à susciter la sympathie. Dans le mot de remerciement que je rédige aussitôt j'exprime la crainte que cette initiative n'attire l'attention sur le collège et sur eux, qu'une victime suffit et qu'il n'y a pas besoin de dommages collatéraux. D'autant, conclus-je, que la personne pour laquelle ils se mobilisent n'en vaut peut-être pas la peine.

Chaleur. Je sors et gonfle la piscine pour les filles. L'actionnement de la pompe à pied vaut l'escalade d'un col de quatrième catégorie et comme cette cochonnerie se dégonfle tout le temps, je vais finir les vacances avec une hypertrophie du mollet droit.

Presse. Je découpe un bel avis de décès paru dans le carnet du Monde et concernant un certain Louis Centner, mort dans sa quatre-vingt-deuxième année. Trop court.

TV. Escrocs mais pas trop (Small Time Crooks, Woddy Allen, USA, 2000 avec Woody Allen, Tracey Ullman, Hugh Grant, Elaine May, Michael Rapaport, John Lovitz, Carolyn Saxon).
Ray est un cambrioleur calamiteux qui cherche à dévaliser une banque en utilisant comme couverture une pâtisserie voisine tenue par sa femme Frenchy. Le casse échoue mais l'entreprise de cookies devient un succès commercial. Ray et Frenchy découvrent la fortune.
On pense, au début, aux romans de Westlake mettant en scène Dortmunder, prototype du cambrioleur malchanceux, entouré de la même bande de bras cassés. Allen quitte vite cette piste pour s'intéresser à la vie de nouveaux riches de Ray et Frenchy. Celle-ci, consciente de ses limites et de son manque de classe, cherche à s'initier à la culture et aux bonnes manières avec l'aide d'un professeur (Grant). On est alors dans une sorte de démarquage du Bourgeois gentilhomme, avec quelques scènes qui font penser au Goût des autres d'Agnès Jaoui. Celle où le couple assiste à un ballet de danse contemporaine est particulièrement réjouissante.
L'entreprise florissante finit par faire faillite et les deux protagonistes, que le succès avait séparés, retrouvent l'amour et leur condition première de losers, gage de bonheur. Au total, une comédie pas géniale mais agréable à suivre.

MERCREDI.
Apaisement. Ce n'est qu'aujourd'hui que je trouve une piste de réflexion propre à me faire retrouver sinon la sérénité, du moins un semblant d'apaisement. Je remonte à l'origine de mes ennuis. Qu'est-ce que je voulais ? Changer de statut pour trouver un poste à Épinal. Avantages : fin des trajets automobiles qui m'effraient de plus en plus, découverte d'un nouveau public avec remise en question de mon ronron habituel, fin de l'enseignement de l'anglais qui m'ennuie au profit d'une matière qui me passionne. Mais maintenant, il me faut ouvrir les yeux : avec le dossier que j'ai et que je traînerai jusqu'au bout, avec le côté indélébile de l'opprobre, toute mutation m'est désormais interdite. Il faut imaginer la confiance que j'inspirerais au chef de l'établissement dans lequel je débarquerais avec un tel casier judiciaire. Me voici donc à Châtel jusqu'en 2020. A partir de là, il ne peut plus rien m'arriver, on fera de moi ce qu'on voudra, cela m'indiffère. La prochaine année - au moins - sera difficile à vivre puisque je vais être mis sous tutelle - j'allais dire sous contrôle judiciaire - inspecté, réinspecté peut-être mais ça finira bien par s'atténuer. C'est la première fois que je faisais preuve de quelque chose qui peut s'apparenter à de l'ambition et je ne suis pas près de recommencer. Bien sûr, je ne suis pas totalement naïf et je savais que les côtés atypiques de mon enseignement allaient être mal vus. Je pensais cependant que l'existence d'une certaine dose de liberté était négociable. J'ai commis une grave erreur de jugement en mésestimant le côté susceptible du mammouth, le caporalisme et la thrombose qui régissent l'institution, la vilenie de ceux qui l'incarnent. L'expérience me laisse à l'état d'épave mais je me suis sorti d'autres épreuves plus traumatisantes. S'il faut faire l'âne pour avoir du son, je brairai à l'unisson et m'enterrerai dicrètement ici, médiocre mais apaisé. En tout cas, je me sens soulagé : voilà mon esprit et les notules désencombrés de ces préoccupations.

Jardin. L'apaisé plante ses poireaux.

TV. Les Fantastiques Années 20 (The Roaring Twenties, Raoul Walsh, USA, 1939 avec James Cagney, Priscilla Lane, Humphrey Bogart).
Démobilisés après la guerre de 14, Eddie, George et Lloyd font fortune dans le trafic d'alcool au temps de la Prohibition.
De la première scène où les trois personnages se rencontrent par hasard dans un trou d'obus à la dernière où Eddie meurt sur les marches d'une église, une quinzaine d'années de l'histoire américaine est mise en scène. La petite histoire, celle de trois hommes qui n'ont rien d'exceptionnel se marie avec la grande (l'Armistice, la Prohibition, le krach de 1929 et l'élection de Roosevelt). Eddie est le porte-parole d'une génération sacrifiée qui, après avoir risqué sa vie pour la patrie, ne rencontre ni travail ni reconnaissance à son retour au pays et trouve son salut dans l'illégalité. Dans le rôle, Cagney est vraiment étonnant et donne à son personnage une complexité inattendue : tantôt petite frappe, tantôt nouveau riche, tantôt amoureux au grand cœur jusqu'à la sanctification finale. Walsh filme ces innombrables péripéties sur un rythme trépidant, n'hésitant pas à avoir recours à la voix off et aux images d'actualité pour accélérer le mouvement.

JEUDI.
Vie scolaire. Incroyable comme je suis détendu après ma résolution d'hier. Je jette les programmes de lycée sur lesquels, mine de rien, j'avais commencé à travailler. C'est tout juste si je ne commence pas à rédiger mon discours de départ en retraite. Je retrouve un nouveau sens des priorités, une nouvelle hiérarchie des préoccupations. Car tout ceci, quand même, est beaucoup moins important que la littérature.

Courrier. Je reçois une invitation à l'anniversaire de F. et ses frères, semble-t-il, pour octobre. J'envoie des coupures à Y. (Le Monde diplomatique) et à l'AGP (Elle, L'Humanité, Le Monde) ainsi qu'un mot de félicitations au nouveau député de notre circonscription, pharmacien chez qui Caroline a travaillé et avec qui nous entretenons des liens amicaux.

Horizon éclairci. Les bonnes nouvelles s'accumulent. Caroline a trouvé un pharmacien assistant à embaucher deux jours par semaine au moins jusqu'en octobre.
J'avoue que la perspective de passer l'été à m'occuper des filles sans assistance maternelle m'effrayait un peu : la seule journée d'hier fut, la chaleur aidant, particulièrement éprouvante.

VENDREDI.
Vie scolaire. Le principal me transmet le rapport d'inspection de P. Je flanque mon exemplaire à la poubelle, signe les autres sans les regarder, j'ai eu assez de la version orale.

SAMEDI.
Courrier. Une lettre syndicale m'informe que j'avais obtenu une mutation pour le collège Clemenceau à Épinal avant que celle-ci soit suspendue, puis maintenue, puis semble-t-il (la feuille est surchargée de ratures) annulée définitivement. Dommage, c'était une situation idéale : 17 minutes en bus jusqu'à la place des Quatre-Nations puis 5 minutes à pied, tout ce que je souhaitais. Mais que je ne souhaite plus.

Vie sociale. Nous nous retrouvons une belle brochette à couscousser chez une collègue qui fête son emménagement à Golbey et la naissance à venir d'un bébé.
J'apprends que le matin-même une prof du collège a été suspendue de cours pour avoir molesté un élève. Finalement, je suis quelqu'un d'exemplaire.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°66 - 30 juin 2002

DIMANCHE.
Radio. J'écoute Répliques d'Alain Finkielkraut enregistré la veille sur France Cul et consacré à l'enseignement des lettres. Finky a invité un Inspecteur Général et une prof insoumise. Je retiens cette phrase : un prof de lettres est face à une seule alternative, soit il rend service à ses élèves, soit il plaît à son inspecteur.

Farniente. Nous récupérons de notre sortie de la veille à Saint-Jean-du-Marché.

TV.
Space Cowboys (Clint Eastwood, USA, 2000 avec Clint Eastwood, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland, James Garner).
La NASA fait appel à un quatuor d'astronautes retraités pour aller réparer un satellite défaillant.
On ne retiendra que la première partie du film dans laquelle on s'amuse à voir nos quatre papys s'entraîner avant d'être envoyés dans l'espace : visite médicale, remise en forme physique, le tout sous la menace de plus jeunes spécialistes qui n'attendent qu'un signe de défaillance pour prendre leur place. Une fois qu'ils sont mis sur orbite, leur aventure présente moins d'intérêt. C'est une succession de scènes déjà vues cent fois au cours desquelles ils essaient de réparer un engin, suivis par les visages anxieux des occupants de la salle de contrôle. Jamais Eastwood, plutôt paresseux sur ce coup, ne parvient à faire sortir son film des sentiers battus.

LUNDI.
Mail. P. me narre l'Ardéchoise, une épreuve cyclosportive qui semble plutôt costaud et dont il est sorti vivant.

MARDI.
Courrier. Je reçois un beau coffret consacré à la chanson napolitaine de 1650 à 1987. A l'écoute, on comprend mieux d'où viennent les musiques de Vincent Scotto et de Brassens.

Vie scolaire. Cérémonies de fin d'année au collège. On salue les partants, on revoit les retraités, on découvre les enfants qui ont grandi, on boit du faux champagne. Le principal, lui-même sur le départ, a le bon goût d'abandonner les vers de mirliton qu'il nous inflige habituellement dans ses discours. Caroline et les filles viennent faire un tour, je montre ma salle à Lucie. La nuit venue, on barbecute. Il fait froid.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un roman de Vassilis Alexakis et le dernier René Frégni.

Wimbledon. Je tonds la pelouse.

JEUDI.
Vie scolaire. Je surveille les épreuves du Brevet. Le plus difficile est de ne pas s'endormir. Je trouve dans mon casier le dernier Tonino Benacquista, offert par Ch. pour me consoler de mes déboires.

Courrier. J'adresse des coupures à Y. (Le Monde, Télérama, Les Cahiers du cinéma). Une lettre de B.

Téléphone. J'appelle les propriétaires du gîte de l'Eure où nous devons séjourner fin juillet afin d'en avoir l'adresse exacte. Je ne parviendrai pas à l'avoir : la femme que j'ai au bout du fil ne me semble pas très alerte intellectuellement.

TV. Midnight Run (Martin Brest, USA, 1988 avec Robert De Niro, Charles Grodin, Yaphet Kotto, John Ashton, Dennis Farina, Joe Pantoliano, Richard Foronjy, Robert Miranda, Jack Kehoe).
Un chasseur de primes est chargé de convoyer un comptable véreux de New York à Los Angeles où il doit être jugé. Les anciens employeurs du comptable et le FBI font tout pour que sa mission échoue.
Le comptable (Grodin, étonnant), et son ange gardien (De Niro), d'abord antagonistes, se laissent peu à peu gagner par une complicité qui constitue la seule originalité de ce film d'action calibré. Le voyage des deux personnages s'effectue au moyen de divers véhicules (avion, train, auto, camion, bus) au gré des péripéties. De Niro trouve ici un rôle, cascades comprises, proche de ceux du Belmondo de l'époque trépidante. Une mise en scène sans génie pour un objet de consommation peu subtil mais pas indigeste.

Lecture. Sépulture (The Church of Dead Girls, Stephen Dobyns, 1997, traduit de l'anglais par Julien Deleuze, Calmann-Lévy, coll. Suspense).
Trois jeunes filles disparaissent dans une petite ville de l'État de New York.
Un chien dans la soupe de Stephen Dobyns était un petit polar un peu loufoque présentant des aspects intéressants mais pas inoubliable. Sépulture est d'un tout autre calibre. On y trouve une peinture extrêmement fouillée d'une petite ville dont la vie sans histoire est tout à coup gangrenée par une affaire tragique. Petit à petit, la tranquillité fait place au soupçon. La police piétine, on crée une milice privée. Tous les habitants qui présentent un aspect hors normes sont pris pour cible : les homosexuels, les maris ou les épouses infidèles, les étudiants qui se réunissent au sein d'un groupe de réflexion d'inspiration marxiste. Au bout d'un moment, même les gens les plus ordinaires ne sont plus à l'abri. Le poison est partout, la communauté s'auto-détruit. Ce processus est raconté avec lenteur par un narrateur qui occupe un poste d'enseignant à la faculté locale, lui-même homosexuel et donc soupçonné. L'ambiance délétère fait penser au film Virgin Suicides de Sofia Coppola : cadre provincial, âge et sexe des victimes, lenteur du récit, sentiment de malaise qui atteint le lecteur aussi bien que le spectateur. Dans la catégorie des polars US hors héros récurrents, c'est certainement une des réussites majeures de ces dernières années.
Un mot sur la traduction. Si on peut déplorer l'utilisation systématique du verbe rentrer pour entrer, on appréciera que le pangramme "The quick brown fox jumps over the lazy dog" soit traduit par son équivalent français "Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume."

VENDREDI.
Vacances. Les miennes commencent à 10 heures 30. Pour fêter la chose, Alice et Lucie ont chacune une angine. Visite de Ch., retour de correction du Brevet. Elle m'apprend que le poste d'Épinal qu'on m'a refusé a été attribué à quelqu'un qui possède 81 points (les points sont la résultante des années d'ancienneté, de l'échelon atteint, du nombre d'enfants, etc.). J'en avais 365... Qu'importe : je retrouve ma créativité et rédige une pièce de théâtre en 11 lignes.

Cinéma. L'auberge espagnole (Cédric Klapisch, France, 2002 avec Romain Duris, Judith Godrèche, Cécile de France, Audrey Tautou).
Xavier passe une année à Barcelone dans le cadre du programme d'échange universitaire européen Erasmus. Il devient colocataire d'un appartement occupé par d'autres étudiants de diverses nationalités.
Klapisch essaie de rééditer le coup (réussi) du Péril jeune : faire le portrait d'un génération à partir d'un groupe représentatif, filmer le délicat passage à l'âge adulte. Les années ont passé, le cadre s'est élargi, les frontières se sont ouvertes. La réunion, sous le même toit, d'un Français, d'un Italien, d'une Belge, d'un Danois, d'une Anglaise, d'une Espagnole et d'un Allemand peut sembler artificielle. Le film est souvent bavard, parsemé de digressions parfois intéressantes (sur la façon de s'approprier une ville), parfois oiseuses (sur la spécificité catalane). La voix off du début, la présence d'Audrey Tautou et le final montmartrois lorgnent du côté d'Amélie Poulain. Les "audaces" techniques (accélération, surimpression, split screen) essaient de donner du rythme mais les bonnes trouvailles sont souvent étirées jusqu'à en
devenir filandreuses.
Malgré ces défauts, le film a un certain charme, aidé en cela par de jeunes comédiens attachants (les Anglais, sans surprise, sont les meilleurs).Quelques situations comiques fonctionnent bien et si on peut être agacé par le côté artificiel, l'outrance sentimentale et la spontanéité un peu forcée de la chose, on se dit que ces caractéristiques sont celles de la jeunesse ici mise en scène : Loft Story n'est pas loin.

SAMEDI.
Vie sociale. Nous recevons deux couples médicaux (un généraliste, une radiologue, deux dentistes). Ils discutent entre eux. Je ne comprends pas tous les mots. Un coup de téléphone d'A. me permet de m'échapper un moment.

Bon dimanche.