Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°87 - 1er décembre 2002

DIMANCHE.
Vie parisienne. Quand on se promène autour de la gare Montparnasse, on comprend mieux les diatribes de Léo Malet contre les promoteurs et architectes qui défiguraient le Paris des aventures de Nestor Burma. C'est vrai que tout est très laid mais il arrive qu'on soit surpris. Dans l'avenue du Maine débouche une petite impasse où se trouve le Musée du Montparnasse, qui est ma destination du jour. Brusquement, on fait un bond d'un siècle en arrière : pavés grossiers, vigne vierge aux murs, grandes verrières d'ateliers... Rien n'a changé, ou si peu, depuis que Marie Vassileff créa, en ces lieux, la Cantine des Artistes que fréquentèrent, entre 1915 et 1918, Modigliani, Chagall, Matisse et Picasso (on se retrouve), Soutine, Apollinaire... Quelques artistes y résident encore aujourd'hui et le musée abrite une exposition intitulée "Métamorphoses de Franz Kafka". Des photos de Prague, des peintures (celles qu'on voyait dans le documentaire de Bober et Dumayet), quelques papiers personnels, des notes de Kafka sur Paris. Kafka est venu deux fois, brièvement, à Paris à deux reprises, en 1910 et 1911, il a vu le Louvre, la Comédie Française, mais pas Montparnasse où vivait pourtant une importante colonie tchèque, notamment le peintre Georges Kars qu'il avait connu à Prague et Kupka dont on a vu les dessins à Orsay en septembre.
Je flâne le nez en l'air à la recherche de fausses plaques commémoratives mais je n'en trouve que d'authentiques consacrées à Édouard Branly et au Père Lacordaire sur les murs de l'Institut Catholique, rue de Vaugirard. Celle qui, rue Madame, indique l'endroit où "vécut Sabine Zlatin, qui sauva des enfants juifs à Izieu avant l'extermination de 44 d'entre eux à Auschwitz" me paraît dénuée de toute fantaisie. J'arrive au Jardin du Luxembourg où je m'arrête pour jouir du spectacle. Des joggeurs. Des joggeurs partout, dans tous les sens. Il y a pratiquement plus de gens qui courent que de gens qui marchent, certains avec des appareils autour du bras pour mesurer la torture qu'ils s'infligent. Je m'assois sur une chaise au soleil et les regarde passer en fumant des cigarettes, tentant de me persuader qu'ils mourront tous avant moi. Le dimanche matin, certains traînent au lit, d'autres vont à la chasse, aux champignons, certains se lèvent à l'aube pour rédiger des notules, d'autres, parfois les mêmes, vont faire leur tiercé mais la plupart des gens vont jogger au Luxembourg. Pas étonnant qu'il n'y ait plus personne à la messe. Sur une esplanade, des jeunes gens armés de grands bâtons s'exercent à un art martial sûrement extrême-oriental au nom certainement barbare. Ici et là, des sculptures de Jean-Pierre Rives, l'ancien rugbyman, qui prouvent qu'il a de la place chez lui. Je croûte en regardant la Seine sur le pont Saint-Michel, bois un jus au Départ Saint-Michel et pars prendre le train du retour.

TV. Six Feet Under. Où l'on apprend l'origine de la vocation de Rico pour le métier de thanatopracteur.

Toile.
Je parviens à préserver le caractère dominical des notules en les envoyant juste avant minuit.
GN m'annonce l'ouverture de la page "Polars" de son site.

LUNDI.
TV. Six Feet Under. Dernier épisode de la deuxième saison, une fin ouverte et efficace : on guettera l'arrivée de la troisième saison avec impatience. Le dernier plan montre la famille Fisher, qui a su vaincre toutes ses dissensions, attendre à l'hôpital le résultat de l'opération au cerveau qu'est en train de subir Nate.

MARDI.
Toile. Je m'abonne aux billets quotidiens d'Hervé Le Tellier. Un commentaire, en 150 signes, une ou deux phrases pas plus, de l'actualité du jour, exercice assez difficile.
Un mot d'A.M. qui cherche un poster de champignons en relief.
J.S. m'envoie sa nouvelle adresse à Montréal.

TV.
P.J. La aussi, on boucle, fin de saison. Un épisode plutôt réussi, sur un sujet difficile, un couple désemparé face à un enfant autiste, pour lequel les auteurs ont oublié pour une fois de chausser leurs gros sabots.

MERCREDI.
Emplettes. Je vais chercher les photos destinées à accompagner mes travaux littéraires. C'est bien le désastre pressenti : 5 clichés réussis, le reste est noir. Restons serein.

Toile. Envoi d'un palindrome dantesque à A.N. : "Etna : de lave rêva le Dante".

TV.
Bruges, 1434, documentaire français de Jean-Loïc Portron (2002) dans la collection "Les Foyers de la création".
Pas facile de saisir, en 50 minutes, toutes les données historiques et artistiques de la première moitié du XV° siècle dans les Flandres. Je pensais que ce serait plus centré sur la peinture avec les trois figures majeures de Bruges à cette époque, Robert Campin, Rogier Van der Weyden et Jan Van Eyck. Heureusement, une partie du documentaire est consacrée au portrait des Arnolfini de Van Eyck, dont dix détails sont disséminés dans La Vie mode d'emploi, mais cette émission aura surtout avivé chez moi le regret de n'avoir pu passer qu'en coup de vent un jour de printemps 1999 dans la salle qui présentait l'intégrale de Van der Weyden à la National Gallery.

JEUDI.
Cinéma. Le petit prince a dit (Christine Pascal, France, 1992 avec Richard Berry, Anémone, Marie Kleiber) dans le cadre de l'opération "Collège au cinéma".
La nouvelle foudroie Adam : Violette, sa fille de dix ans, est atteinte d'une tumeur incurable au cerveau. Il l'enlève aux médecins et part avec elle rejoindre sa mère, Mélanie, dont il est séparé.
Après plusieurs visions, ce film est toujours aussi bouleversant et le fait d'être devenu, depuis la dernière fois que je l'ai vu, père de quelques fillettes n'a pas vraiment contribué à amoindrir ma sensibilité. Depuis le Kid de Chaplin, l'histoire du cinéma est jalonnée de quelques grandes réussites de couple homme-enfant. Depuis Le petit prince a dit, Clint Eastwood (Un monde parfait) et Takeshi Kitano (L'Été de Kikujiro) ont su perpétuer le genre. C'est la question du ton qui est primordiale dans cet exercice, savoir trouver celui qui autorisera l'émotion sans verser dans le sentimentalisme. Christine Pascal l'a trouvé dans ce film, pas dans sa vie à laquelle elle mit fin en 1996.

Courrier. J'envoie des coupures à Y., à G.N. (extrait d'un canard syndical), des félicitations à un ancien condisciple devenu docteur en Sorbonne et aux parents du jeune Gaspard.

TV. Dead Again (Kenneth Branagh, USA, 1991 avec Kenneth Branagh, Emma Thompson, Derek Jacobi, Hanna Schygulla).
Mike Church, détective privé à Los Angeles, recueille une jeune amnésique. Par l'intermédiaire d'un mystérieux antiquaire qui pratique l'hypnose, il trouve d'étranges correspondances entre la jeune femme et une certaine Mme Strauss, assassinée par son mari dans les années 40.
Immédiatement après son premier film, Henry V, Branagh est appelé à Hollywood pour réaliser ce film. Il en absorbe aisément les codes, limitant sa touche personnelle à son interprétation et à des citations de Welles et d'Hitchcock. L'histoire mêle allègrement hypnose, réincarnation, psychanalyse dans la plus totale invraisemblance mais accroche l'intérêt grâce à quelques rebondissements. Le final, qui les accumule, est par contre totalement indigeste. On sent la volonté de Branagh de s'approcher d'Hitchcock mais mieux vaut rester charitable et ne pas chercher à comparer.

VENDREDI.
Toile. Sur la [listeoulipo], Alain Chevrier parle de noms de médicaments anacycliques (MAALOX et son générique XOLAAM) et palindromiques (XANAX). Ma situation conjugale me permet de répondre en versant le KETEK, un nouvel antibiotique, au dossier.

Vie scolaire. Un peu d'animation. Un collègue se fait tancer en pleine salle des profs par la sous-maxé. Et pourquoi pas, façon Dreyfus, la dégradation sur le front des troupes dans la cour de récréation devant tous les élèves assemblés ? Plus tard, je téléphone au collègue pour l'assurer de mon soutien. Dans ma situation actuelle, quelqu'un qui se fait enquiquiner par sa hiérarchie ne peut m'être que foncièrement sympathique.

TV. Dieu est grand, je suis toute petite (Pascale Bailly, France, 2000 avec Audrey Tautou, Édouard Baer, Julie Depardieu)
Michèle tombe amoureuse de François, vétérinaire. Lorsqu'elle découvre qu'il est juif, elle décide de se convertir.
Autant dire tout de suite que dans le genre "comédie religieuse version hébraïque", L'Homme est une femme comme les autres de Jean-Jacques Zilbermann avec Antoine de Caunes était plus réussi, plus drôle. L'agitation incessante d'Audrey Tautou et de la mise en scène ne suscite qu'un fort sentiment de lassitude. Les mines ébahies de Baer, dépassé par l'agitation en question, valent quelques bons moments bien trop rares.

SAMEDI.
Dilemme. Que faire le 11 janvier prochain ? Jusqu'à maintenant, c'était réglé : assemblée générale de l'Association Georges Perec. J'apprends aujourd'hui qu'au même moment, les Papous de France Culture seront à Dijon pour une séance en public. Que faire ?

Lecture.
Monsieur Proust (Céleste Albaret, souvenirs recueillis par Georges Belmont, Robert Laffont, coll. Vécu, 1973)
Céleste Albaret fut la gouvernante de Marcel Proust de 1913 à la mort de l'écrivain, le 18 novembre 1922. Elle avait 82 ans quand elle se décida à livrer ses souvenirs, montrant un bel esprit de résistance car on se doute que les sollicitations n'ont pas manqué. Elle seule a partagé l'intimité d'un être totalement secret et hors du temps.
Céleste passe rapidement sur ses années de jeunesse dans un village de Lozère pour arriver au moment où elle entre au service de Marcel Proust par l'intermédiaire de son mari qui lui servait de chauffeur de taxi. A l'époque, Proust a presque entamé sa vie de reclus : son dernier voyage à Cabourg, où elle l'accompagne, a lieu en septembre 1914. La terrible crise d'asthme qui le saisit au retour le conduit à s'enfermer définitivement dans l'appartement du 102, boulevard Haussmann qu'il ne quittera que rarement pour quelques sorties mondaines dans Paris.
Céleste apprend peu à peu le rituel étrange qui va rythmer sa vie à l'envers, Proust travaillant la nuit et ne se levant, ne s'éveillant plutôt, puisqu'il ne quittait pratiquement pas son lit, que vers quatre heures de l'après-midi : le café au lait et les croissants qui constituaient sa seule nourriture, les bouillottes, les fumigations, les visites à faire, le courrier à porter, les coups de téléphone à donner et surtout la conversation. Elle devient peu à peu sa seule confidente, recueille ses avis sur ses contemporains, ses souffrances vis à vis de son œuvre, sa lutte contre le temps car il se sait voué à une mort prochaine, sa certitude de voir son génie un jour reconnu. Sans avoir pris une seule note, elle se remémore des pans complets de conversation, sans compter une foule d'anecdotes, ce qui pose tout de même le problème de la fiabilité et de la sincérité d'une mémoire plus vraiment jeune.
Ce qu'on ne peut en revanche mettre en doute, c'est la sincérité des sentiments de Céleste envers son maître : dévouement, attachement, fidélité, respect, tendresse, amour pour un homme qui, d'après elle, le méritait bien. Elle loue sa sensibilité, sa finesse, son intelligence, son courage, sa bonté. Surtout, elle s'insurge contre pratiquement tous ceux qui, avant elle, ont rendu des témoignages sur Proust, chercheurs, journalistes, proches, dont les écrits comportent nombre de mensonges qu'elle tient à faire disparaître. Cependant, son souci de ne pas voir l'image de Proust ternie par quelque tache que ce soit lui masque parfois la vérité. La façon dont elle évacue, en quelques phrases, l'homosexualité de son maître n'est malheureusement pas suffisante sur le plan historique. Elle se donne aussi peut-être un peu trop facilement le beau rôle quand elle cite les compliments que lui adressait l'écrivain et quand elle dit que c'est elle qui inventa les fameux becquets que Proust collait sur les épreuves qu'il corrigeait et sur lesquels il écrivait les ajouts à faire.
450 pages, c'est peu pour une vie dont on brûle de percer les secrets, c'est aussi beaucoup quand on s'aperçoit que malgré la proximité, Proust reste un mystère pour Céleste. Celle-ci en est réduite à raconter les petits faits qui faisaient son quotidien, plutôt répétitifs et anodins - comment préparer le café, la température du lait, les taches de dentifrice sur la cravate... Quand on s'intéresse à l'œuvre, des phrases comme "ce couvre-pieds ressemblait à celui qu'il avait vu, enfant, sur le lit d'une de ses tantes, dont il a fait la "Tante Léonie" de son livre, et qu'il avait beaucoup aimée" ne constituent pas des révélations renversantes. En fait, c'est au moment de sa mort que Céleste fut la plus proche de l'auteur, et son récit des derniers moments est des plus poignants.
J'ai été chercher chez Jean-Yves Tadié, dont le Marcel Proust fait autorité en matière de biographie, comment Monsieur Proust était considéré et j'ai été agréablement surpris de lire, au lieu du commentaire d'universitaire blasé et vaguement méprisant que j'attendais, ce jugement respectueux : Céleste, "bien que très peu lettrée, a pris conscience qu'elle vivait auprès d'un homme de génie, dont la différence essentielle devait être protégée, servie, aimée, avant et après la mort : aucune biographie, aucun essai critique n'est plus émouvant que Monsieur Proust, où cette femme du peuple, qui a gardé la même fraîcheur, la même simplicité, a été le Boswell ou l'Eckermann d'un autre grand homme." C'est un bel hommage.

TV. L'héroïque Monsieur Boniface (Maurice Labro, France, 1949, avec Fernandel, Andrex, Liliane Bert, Yves Deniaud)
M. Boniface, un homme sans histoires, a la surprise de découvrir un soir un cadavre dans son lit.
Une dose d'humour noir (un genre qui va bien à Fernandel, voir L'Armoire volante de Carlo Rim, son film précédent), deux doigts de romance, quelques passages vraiment drôles (un dialogue de bègues entre un chef de gare et son lampiste), quelques répliques bien senties ("Si ma tante Caroline avait des roues, ce serait un autobus"), trois chansons de Fernandel, un film du samedi soir comme je les aime.

Lecture (bis).
Des histoires vraies + dix (Sophie Calle, Actes Sud, 2002)
Fragments autobiographiques.
Des histoires vraies fut publié en 1994. Sophie Calle y alignait une suite de textes courts sur des objets, des hommes, des rencontres, des situations extraits de son enfance la plupart du temps. Le hasard, la coïncidence, l'étrange qui les caractérisent expliquent l'insistance sur le mot "vraies". Actes Sud réédite ce texte aujourd'hui introuvable, avec un ajout d'une dizaine d'histoires qui sont presque toutes consacrées à son mariage et à son divorce avec un Américain. Cette thématique unique est à mon avis moins intéressante que le côté patchwork du premier recueil. Je m'intéresse depuis longtemps au travail de Sophie Calle qui cherche à faire de sa vie même une œuvre d'art et dont les initiatives me séduisent presque toujours : essayer de tout connaître d'un individu suivi dans la rue, organiser des repas monochromatiques comme Madame Moreau dans La Vie mode d'emploi, se marier dans un "24 Hr drive up wedding window" à Las Vegas, voyager dans un wagon en Wallonie en lisant W de Perec, se faire installer un lit au sommet de la Tour Eiffel... A la lire, on s'aperçoit de tout ce que lui doit Valérie Mréjen avec ses petits livres, Mon grand-père et L'Agrume, intéressants mais moins radicaux que ces Histoires vraies.
Une histoire : Le lit. "C'était mon lit. Celui dans lequel j'ai dormi jusqu'à mes dix-sept ans. Puis ma mère l'a mis dans une chambre qu'elle a louée. Le 7 octobre 1979, le locataire s'est couché et s'est immolé par le feu. Il est mort. Les pompiers ont jeté le lit par la fenêtre. Il est resté neuf jours exposé dans la cour de l'immeuble."

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°88 - 8 décembre 2002

DIMANCHE.
Jardin. Je récolte navets ventrus et poireaux étiques, de quoi assurer la soupe du soir, plante quelques oignons de tulipe et quatre framboisiers. Pas grand-chose, juste de quoi me mettre le dos en capilotade pour le reste de la semaine.

TV. The Sopranos. Après Six Feet Under, Canal Jimmy diffuse la quatrième saison de cette série au renom prestigieux mais dont je n'ai jamais regardé un épisode. Peut-on prendre le train en marche ? Essayons. Les Soprano sont une famille dont les chefs se consacrent aux activités mafieuses, celles-ci ne semblant pas vraiment florissantes au début de l'histoire. Comme ces gens-là ont le sens de la famille, les neveux, cousins, beaux-frères et autres sont légion et il n'est pas facile de s'y retrouver. Mon endormissement prolongé au cœur du deuxième épisode n'est pas pour arranger les choses. A suivre.

LUNDI.
Toile. A.N. m'envoie un avis d'alerte virale qui, le fait est assez rare pour être signalé, n'est pas un "hoax". J'en profite pour m'abonner à la lettre du site hoaxbuster, spécialisé dans la traque des canulars et rumeurs informatiques.

Musique. Sortie du nouveau disque du Rêve du Diable.

TV. Hannibal (Ridley Scott, USA, 2000 avec Anthony Hopkins, Julianne Moore)
Après son évasion, le redoutable docteur Hannibal Lecter vit à Florence. L'agent du FBI Clarice Starling n'a pas renoncé à le retrouver.
Ce n'est pas sans appréhension qu'on aborde cette suite donnée au Silence des agneaux, qui fleure l'exploitation d'un bon filon. Mais on se laisse vite porter par l'histoire et la crainte du mauvais film se mue en crainte du personnage de Lecter, toujours aussi effrayant. Ce qui fait son intérêt, c'est qu'il allie la violence la plus crue (la fin est assez gore) à un raffinement exquis dans ses autres activités. Il faut l'entendre donner une conférence sur Dante dans la bibliothèque florentine dont il est devenu le conservateur. A ce personnage de classe, Ridley Scott a voulu donner un écrin de classe, ce qui pour lui signifie de larges extraits de Bach, des ralentis et l'usage du filtre bleu. Cet aspect chichiteux s'oublie vite face aux péripéties, aux punitions que réserve Lecter à ceux qui, par appât du gain ou vengeance, cherchent à s'attaquer à lui. Parallèlement, on s'intéresse aussi au jeu fascination-répulsion qui domine les actes auxquels se livre Starling (£). Dans le rôle, Julianne Moore est très bien et ne souffre pas de la comparaison avec Jodie Foster qui l'y avait précédée. La fin est bien entendu ouverte pour laisser place à d'éventuelles nouvelles aventures.

MARDI.
Santé. Alice est atteinte à son tour par la varicelle.

TV. Oscar (Édouard Molinaro, France, 1967 avec Louis de Funès, Claude Gensac, Claude Rich, Mario David, Paul Préboist).
Bertrand Barnier, un riche promoteur, reçoit son homme de confiance, Christian Martin, qui ose lui demander une augmentation et la main de sa fille.
On est là dans l'adaptation d'une pièce de vaudeville, avec son lot de quiproquos, de rebondissements et de portes qui claquent. Le problème, c'est qu'il s'agit d'un vaudeville très pauvre - une pièce d'un certain Claude Magnier - inintéressant au possible, à cent degrés au-dessous d'Hibernatus, adaptation très réussie du même Molinaro pour le même de Funès. Celui-ci fait son possible pour sortir le film du néant mais en vain, sauf dans une scène où il se fait masser par Mario David, ex "Apollon aux dernières Olympiades du muscle".

Lecture. Mon grand appartement (Christian Oster, Éditions de Minuit, 1999).
Luc Gavarine perd la serviette contenant ses clés d'appartement. Il couche à l'hôtel, puis rencontre Flore à la piscine. Il l'accompagne en Bretagne, où elle accouche d'un bébé dont il se considère comme le père.
C'est le film Une femme de ménage de Claude Berri qui m'a fait sortir Christian Oster de mes étagères. Je n'ai pas eu à le regretter. Oster nous fait visiter, de l'intérieur, un homme insignifiant dont la vie va prendre un tournant inattendu à partir d'un événement anodin. Le monologue intérieur de Gavarine est remarquable d'ironie, qui dérape souvent dans l'absurde le plus réjouissant, quand il évoque ses relations avec sa serviette par exemple. L'écriture est d'une précision diabolique, la phrase longue, léchée. C'est l'histoire d'un homme qui se rend finalement compte qu'il a quelque chose à faire sur terre et dont la volonté toute neuve vient à bout d'obstacles devant lesquels il s'était toujours incliné. Il n'y a pas là de pose, de procédé, mais un ton léger très réjouissant.
Extrait : "J'eus un petit problème avec mes chaussettes. Les pieds, probablement, constituent la partie du corps la moins aisée à sécher, sans doute parce que l'homme, quand il est empêché de s'asseoir - comme c'était mon cas dans cette cabine, dont j'avais encombré le petit banc de mes affaires, que je ne voulais pas mouiller en les déposant au sol, qui l'était déjà, lui, mouillé - parce que l'homme, dis-je, n'accède à leur plante, avec sa serviette, que l'une après l'autre, au prix d'une difficile station sur une jambe. Or, le sol étant mouillé, je dus aussi, quand j'eus approximativement séché mon pied gauche, le maintenir en l'air, pour y enfiler ma chaussette, et prolonger d'autant ma station sur le droit, tâche dans laquelle je n'échouai qu'une fois, il est vrai, mais une fois suffisante pour que, mon pied gauche ayant en quelque façon chuté puis rencontré la flaque où je me tenais en équilibre, je dusse réentreprendre de le sécher. Par chance, je n'étais pas parvenu à y enfiler ma chaussette. Mais ce ne fut pas avec ce pied-là que j'eus le plus de mal.
Debout ensuite sur le pied gauche, en effet, où j'avais finalement enfilé ma chaussette et, dans la foulée, si je puis dire, ma chaussure, je parvins sans trop de peine à maintenir en l'air le droit, nu, mais sur celui-ci, encore trop humide hélas pour qu'elle y glissât sans problème, ma seconde chaussette parvenue à mi-chemin refusa d'avancer, de sorte que, de son côté fermé, elle se mit à pendre, tandis que je tirais en vain, sur sa partie ouverte, afin que tant bien que mal elle s'enfilât. Pendant quelques précieuses secondes, donc, rien n'y fit, et c'est toute la chaussette, bientôt, que je dus ôter avant de la retrousser, cette fois, de façon que son bout fermé, faisant butoir sur mes orteils, me permît en la déplissant d'en hausser l'ouverture au niveau convenable, à savoir celui de ma cheville.
Et je ne parle pas des talons, celui du pied et celui de la chaussette, qui ne parvinrent jamais à parfaitement coïncider. En clair, je pris encore un peu de retard."


MERCREDI.
Emplettes. J'achète un petit essai sur le football, un autre sur Kafka, et un polar de la série Pierre de Gondol.

Art contemporain. Afin qu'ils sèchent plus vite, on applique sur les boutons de l'enfant atteint de varicelle un produit nommé fluorescéine qui, on le devine à son nom, est très coloré. Caroline absente, c'est moi qui suis chargé aujourd'hui du badigeon. Mon adresse légendaire fait une fois de plus merveille : le flacon ouvert m'échappe des mains, je tente de le rattraper d'un subtil amorti du cou-de-pied, ne parviens qu'à le projeter contre le mur. La salle de bains a l'air d'avoir été repeinte au Stabyloboss. Je passe un long moment à tout nettoyer, en tentant de me convaincre que toute expérience est bonne à prendre : c'est tout de même la première fois que je lave une savonnette.

Toile. Je reçois une demande d'abonnement aux notules. J'y réponds favorablement, bien sûr, mais non sans appréhension : je ne connais pas du tout le demandeur, qui devient mon premier abonné qui ne soit ni un ami, ni une connaissance, ni un ami d'ami, ni une connaissance de connaissance, ni une connaissance d'ami, ni un ami de connaissance, toutes personnes qui, du fait de leur appartenance à un de ces statuts, me lisent avec une certaine mansuétude.

Cinéma. Bloody Sunday (Paul Greengrass, G.-B. - Irlande, 2001 avec James Nesbitt, Tim Pigott-Smith, Nicholas Farrell, Gerard McSorley, Kathy Kiera Clarke).
Évocation des faits qui ont endeuillé l'Irlande du Nord le 30 janvier 1972 : 13 personnes abattues par l'armée britannique au cours d'une manifestation pacifique destinée à défendre l'égalité des droits civiques entre protestants et catholiques et protester contre les emprisonnements sans procès du gouvernement.
Greengrass filme l'ensemble de la journée comme un reportage d'actualités, caméra à l'épaule : la mise en place de la manifestation (interdite) et des forces armées, le défilé, les provocations et jets de pierres d'une minorité violente, la répression aveugle des parachutistes, le décompte des victimes, le désarroi des organisateurs, la parodie d'enquête au sein de l'armée qui aboutit bien sûr à un non-lieu. C'est un exemple édifiant du cinéma d'indignation, qui rend ici parfaitement compte de l'extraordinaire faculté qu'ont les Anglais à se faire détester partout où ils passent. La figure centrale est celle du député Ivan Cooper, organisateur de la marche, qui se démène comme un beau diable pour éviter le pire et qui voit peu à peu la situation lui échapper. C'est lui qui tire la leçon de ce dimanche sanglant : l'injustice et la frustration ressenties vont faire grossir les rangs de l'IRA. Le mois suivant, un attentat de l'IRA contre un mess d'officiers à Aldershot en Grande-Bretagne fera sept morts. Bloody Sunday, la chanson de U2 qui accompagne le générique final, n'avait jamais résonné aussi fort.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y. et à A.N., des félicitations à F. pour un acte de bravoure dont la presse locale a rendu compte.

Cinéma. All or Nothing (Mike Leigh, G.-B., 2002 avec Timothy Spall, Lesley Manville, Alison Garland, James Corden, Ruth Sheen, Marion Bailey).
Dans la banlieue de Londres, un couple vit dans une lancinante routine, avec un fils obèse et méchant et une fille taciturne, jusqu'à ce qu'un accident provoque un électrochoc au sein de la famille.
Confirmation de l'impression que j'avais eue après Secrets et Mensonges : Mike Leigh prend ses spectateurs pour des veaux et n'hésite pas à user des ficelles les plus grosses pour les faire pleurer comme tels. Mais le sentiment de compassion, de sympathie est phagocyté par l'outrance. Dans l'immeuble où loge la famille, on a droit à tout : la mère célibataire et sa fille-mère en devenir, l'alcoolique, les jeunes désœuvrés, la mouise derrière chaque porte. Un cinéaste comme Guédiguian sait faire sortir l'humanité d'un tel milieu, Mike Leigh ne suscite que l'exaspération. La scène finale, qui voit le couple s'expliquer et se réconcilier se veut poignante, elle n'est qu'interminable. Les acteurs, qu'on devine de qualité, surjouent chaque expression, chaque geste. C'est un vrai miracle qu'émerge de ce magma lacrymal la figure de Ruth Sheen, une découverte épatante.

VENDREDI.
TV. Le Vélo de Ghislain Lambert (Philippe Harel, France-Belgique, 2001 avec Benoît Poelvoorde, José Garcia, Daniel Ceccaldi).
Histoire d'un modeste coureur cycliste.
Je n'ai pas souvenir d'un seul film entièrement consacré au sport cycliste de puis Les Cracks d'Alex Joffé en 1968 avec Bourvil. Entre-temps, on avait tout de même pu admirer Alain Souchon en cuissard dans L'Été meurtrier et c'est à peu près tout. En s'attachant à retracer la carrière d'un sans-grade, Philippe Harel choisit donc un sujet original qui éveille l'intérêt. D'autant que la carrière de Ghislain Lambert se déroule au début des années 70, ce qui permet de revoir avec plaisir les maillots Molteni, Kas, Bic, Peugeot, Mercier et de sentir l'ombre tutélaire du grand Merckx. Le milieu des kermesses belges, ces courses du dimanche où s'affrontent amateurs et professionnels de faible renom est très bien rendu : la souffrance des "porteurs d'eau", la tentation du dopage, les alliances plus ou moins licites, la tyrannie des directeurs sportifs, l'ingratitude des petits leaders... Quelques gags, portés par la réelle force comique de l'acteur Poelvoorde, agrémentent le tout.
C'est nettement moins intéressant quand Lambert remporte Bordeaux-Paris et participe au Tour de France, où il atteint la gloire en étant lanterne rouge. Le film s'étire alors inutilement, s'essouffle comme un échappé qui a présumé de ses forces.

SAMEDI.
Soulagement. C'est aujourd'hui que mon beau-frère déménage. Je redoute une convocation. Un coup de téléphone à la mi-journée m'autorise à rester chez moi : on n'a pas besoin de ma maladresse, de mon mal de dos et de mon physique de corde à linge. Je n'en suis pas fâché.

Travail littéraire. Je mets à jour mes Bars clos et mon Itinéraire patriotique départemental en y insérant les rares photos réussies.

Fête. Saint-Nicolas est en visite à l'école et défile en ville. Nous croûtons chez les parents de Caroline où il a laissé quelques cadeaux pour les filles.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°89 - 15 décembre 2002

DIMANCHE.
Vie sociale. Nous passons la journée chez les N., près de Thionville, où je vois une bibliothèque comme dans mes rêves. Bonne chère, conversation brillante, petit tour au marché de Noël local et nous repartons, lestés des cinq premiers CD de Signé Furax, de l'intégrale de Proust sur CD Rom (un outil incroyablement riche) et d'une betterave à cuire.

LUNDI.
Vie scolaire. Premier conseil de classe. A nouvelle direction nouvelle mise en scène : le principal a fait installer dans la salle un ordinateur relié à un téléviseur sur lequel on peut voir (il ne dit pas "voir", bien sûr, il dit "visualiser", comme il dit cadrer ou cibler pour définir, optimiser pour améliorer, affiner pour préciser et dysfonctionnement pour couille dans le potage) les résultats des élèves et leur évolution sous forme de graphiques riches en courbes colorées. L'école du XXI° siècle est en marche, seulement, comme j'ai pour ma part conservé mon acuité visuelle du XX°, tout ce que je distingue de ma place est un vague halo multicolore, une sorte de vision de la façade de Beaubourg sans verres correcteurs. Je ne m'en sens pas démesurément frustré.

TV. The Sopranos. Les Indiens s'opposent à une fête italo-américaine destinée à célébrer Christophe Colomb. Les personnages m'échappent encore mais l'humour apparaît ici et là.

MARDI.
Chantier littéraire. J'achète un petit carnet, un grand cahier et une lampe de poche à faisceau étroit à poser sur ma table de nuit pour mettre en pratique un exercice qui me trotte dans la tête depuis quelques semaines : consigner mes rêves par écrit. Ce désir vient probablement d'un double sentiment de frustration : d'abord celui de ne pas posséder l'imagination qui me permettrait d'écrire de la fiction. Parallèlement, et comme beaucoup de gens sans doute, je suis souvent étonné de la richesse de l'imaginaire que je développe en rêve. Malheureusement, seconde frustration, cet étonnement est souvent la seule trace qui me reste à mon réveil : ce qui l'a suscité, le rêve proprement dit, a disparu entre le moment où j'ai ouvert les yeux et celui où j'ai posé le pied par terre. Il faut donc agir vite pour noter les choses rêvées, d'où l'acquisition de cet équipement. Je ne sais ce que je ferai de ce qui sortira de ce travail : en général, les recueils de rêves ne sont pas passionnants, même celui de Perec, La boutique obscure, ne m'a pas vraiment intéressé. Si j'essaie de cerner mes intentions, je pense qu'il s'agit ici inconsciemment (c'est le cas de le dire) de soumettre ma vie entière à l'écriture en transformant en production écrite le seul moment de mon existence qui y échappe encore, le sommeil. Avec ça, j'ai l'impression d'avoir bouclé la boucle, d'être totalement sous le joug de l'écriture. Je n'en suis pas encore, comme Kafka, à passer une moitié de ma nuit "éveillée" et l'autre "sans sommeil" mais ça viendra. Ce doit être le onzième ou douzième chantier littéraire ouvert, tout aussi interminable et inutile que les autres mais ces livres, si on peut les appeler ainsi, "n'existent que pour être écrits, pas pour être lus" (Kafka encore, à propos du Procès tout de même, citation à redimensionner à mon échelle donc).

Courrier. Je reçois le Bulletin de l'Association Georges Perec, j'y suis cité deux fois.

TV.
Le Chevalier mystérieux (Il Cavaliere misterioso, Riccardo Freda, Italie, 1948 avec Vittorio Gassman, Maria Mercader, Yvonne Sanson, Gianna Maria Canale, Elli Parvo).
A Venise, Giacomo Casanova est chargé par la dogaresse de mettre la main sur une lettre compromettante.
Intrigues de cour, diplomatie secrète et séduction, on retrouve ici les principales caractéristiques de la vie de Casanova. Je ne sais si ce qui est raconté dans ce film, son rôle d'intermédiaire entre Venise et Saint-Petersbourg, est tiré de ses Mémoires où a été inventé par les scénaristes. Tout ce que je sais, c'est que la chose est assez poussiéreuse et peu intéressante. Il reste le visage de Gassman passé à la poudre de riz et quelques beaux plans d'une chasse à l'ours en Russie qui évoquent Les Chasseurs dans la neige de Bruegel.

MERCREDI.
Travail littéraire. Je recopie sur mon grand cahier les quatre "bribes oniriques" (j'aime bien ce titre) notées sur mon carnet à différents moments de la nuit. La chose est lancée.

Cinéma.
C'est le bouquet ! (Jeanne Labrune, France, 2002 avec Dominique Blanc, Jean-Pierre Darroussin, Sandrine Kiberlain, Mathieu Amalric, Jean-Claude Brialy, Maurice Bénichou, Hélène Lapiower, Dominique Besnehard, Richard Debuisne).
Emmanuel Kirsch, en revoyant Le Figurant avec Buster Keaton, se rappelle la jeune fille avec qui il a vu ce film pour la première fois quinze ans auparavant. Il lui téléphone et lui envoie des fleurs.
Le bouquet de fleurs envoyé par Kirsch va jouer le même rôle que la commode de Ça ira mieux demain, le précédent film de Jeanne Labrune. Passant de main en main, il va servir de prétexte pour nous faire découvrir une galerie de personnages aux prises avec la réalité. Catherine, à qui il est destiné, est mariée à Raphaël, tout juste viré de la start-up où il travaille et qui s'interroge sur la flexibilité, Stéphane son patron, Antoine et Alice ses voisins un peu trop curieux, Edith sa collègue qui drague en citant Kant... Le ton de Jeanne Labrune est toujours léger et sensible, elle sait jouer de l'absurde dans les situations et dans les mots, rendre ses personnages attachants avec trois fois rien. Confirmation d'un vrai talent.
Curiosité : la musique est due au pianiste spinalien Bruno Fontaine.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures et des nouvelles radiophoniques à l'AGP, des articles sur Colette et l'écriture féminine à N., la critique du King Lear présenté à Nancy parue dans Le Figaro à GN, d'autres coupures à F. et à Y.

Informatique. Création d'un fichier intitulé Bribes oniriques.

TV. The Sopranos. Ça y est, je suis dedans. J'ai enfin compris que les personnages secondaires n'étaient que secondaires, que tout tournait autour du personnage de Tony Soprano, interprété par James Gandolfini, une sorte de Fernand Raynaud bouffi, un gros ours capable de sautes de violence effrayantes : sa femme qui s'efforce de vivre comme s'il avait des activités professionnelles normales, ses enfants qui ont hâte de quitter le nid, ses lieutenants et cousins qui se tirent dans les pattes pour obtenir la moindre miette de pouvoir.

VENDREDI.
TV. Panic (Henry Bromell, USA, 2000 avec William H. Macy, Donald Sutherland, Tracey Ullman, Neve Campbell).
Alex est tueur à gages au service de son père. Il rencontre la jeune Sarah, qui l'attire. Quitter sa femme ? Quitter son métier ? Alex s'interroge.
William H. Macy, depuis Magnolia au moins, semble taillé pour les rôles de dépressifs où ses yeux larmoyants font merveille. C'est le cas ici dans un petit film où son abattement contraste avec la bonne santé de Donald Sutherland qui vieillit bien (voir Space Cowboys). Dire qu'on est passionné par la crise d'âge mûr que traverse Alex serait exagéré mais le film se laisse voir.

SAMEDI.
Courrier. N. raconte la célébration de la Sainte-Lucie à Stockholm.

Vie sociale. Nous passons la soirée à Ludres, chez les G., ce qui permet à Caroline, affligée d'un mari peux disert, de prendre des nouvelles de ce qui se passe sur mon lieu de travail.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°90 - 22 décembre 2002

DIMANCHE.
Courriel. J'envoie la proposition de menu retenu pour le Nouvel An aux convives attendus.

Tendance.
Caroline et Lucie se rendent au marché de Noël du quartier. La prolifération de ces rassemblements va bientôt atteindre celle des vide-greniers. Elle est là la France coupée en deux : six mois de marché de Noël, six mois de vide-grenier.

TV. The Sopranos. Deux épisodes ce soir, avec, dans l'un, Jean-Hugues Anglade en guest star inattendue.

Lecture. Kafka et les jeunes filles (Daniel Desmarquest, 2002 Éditions Pygmalion/Gérard Watelet à Paris).
Essai (Prix Médicis Essai 2002).
Cela fait maintenant plusieurs semaines que je suis sous Kafka comme d'autres sont sous tutelle ou sous Prozac, avec un intérêt qui tourne à la fascination. Je doute que ce livre apprenne beaucoup de choses aux vrais spécialistes, même si le parallèle entre Kafka et le peintre Balthus, lui aussi marqué par les jeunes filles, me semble neuf et intéressant, mais il avait parfaitement sa place dans ma phase de découverte. Bober et Dumayet, dans leur émission sur la correspondance de Kafka, s'étaient limités à ses rapports avec Felice et Milena. Desmarquest, lui, traite de toutes les jeunes filles et femmes qui ont côtoyé l'auteur et qui constituent un gynécée fourni. Il procède de manière chronologique, en se référant continuellement au Journal ou à la correspondance. On peut par moments déceler une tendance à la biographie façon Troyat : "Six heures du matin, le jour se lève. Kafka éteint la lampe et étire ses jambes ankylosées de dessous la table. Il vient de mettre le point final au Verdict, commencé la veille au soir à dix heures et écrit 'd'une seule traite'. Son lit n'est pas défait. A la bonne, croisée dans l'appartement familial, il annonce son exploit..." Mais si on se reporte au Journal, à la date du 23 septembre 1912, on retrouve tout : l'heure, l'ankylose, l'état du lit, le passage de la bonne... Donc, Desmarquest fait des phrases, des effets, mais la rigueur est là.
Rien n'est simple chez Kafka, on le sait. Aussi, quand Desmarquest essaie de trouver une correspondance entre telle et telle phase de son œuvre et la présence ou l'absence de telle ou telle femme dans sa vie n'arrive-t-il pas toujours à quelque chose de convaincant. Kafka recherche la compagnie féminine, il sait plaire, mais il ne s'engage que pour mieux fuir car il a autant besoin de la présence que du manque pour nourrir son œuvre. Les moments de bonheur complet sont rares, mais ils sont tous dus à la présence d'une femme, Milena, Minze, sa sœur Ottla, Dora qui vécut ses derniers jours à ses côtés. Un bonheur qu'il s'empresse de détruire par la fuite, la rupture, la dérobade : "La torture m'est de grande importance, je ne m'occupe pas d'autre chose que de la subir ou de l'infliger." Peu de femmes réussiront à le soulager parce que peu de femmes ont compris l'importance qu'avait pour lui la littérature. Aveuglement et cruauté inconsciente de l'entourage, son drame le plus profond, le plus intime : Felice qui lui parle de son "penchant" pour la littérature, sa mère évoque "un passe-temps" que le mariage finira par apaiser ! Alors qu'il ne vit que par et pour l'écriture...

LUNDI.
Lecture. Les bouffons du foot (Christian Authier, Éditions du Rocher, coll. Colère, 2002).
Essai.
Essai, ou plutôt pamphlet car l'intitulé de la collection nous oriente clairement vers les coups de gueule. Celui d'Authier est dirigé contre le football, ou plus exactement contre la transformation subie par le football depuis la victoire de l'équipe de France lors de la Coupe du Monde 1998. L'auteur ridiculise sans difficulté les éditorialistes -ceux de Libération principalement- pour qui ce sport est passé, en quelques semaines, d'une activité imbécile pratiquée par des crétins en short et tout juste bonne à alimenter les conversations bistrotières à un symptôme d'une intégration réussie, à une image de la France qui gagne, la fameuse France "black-blanc-beur".
Même si on a déjà lu ailleurs les commentaires qu'il fait sur la starisation des joueurs, la toute-puissance de l'argent et la menace d'éclatement de la bulle financière que constitue ce sport, c'est tout de même une lecture rafraîchissante pour ceux qui aiment le foot pour autre chose que l'argent qu'il peut leur rapporter. Faire le procès du foot d'aujourd'hui ne peut se faire qu'en faisant l'éloge du foot d'antan, mais Authier détourne habilement l'accusation de nostalgie stérile qu'on pourrait lui porter : "Un soir de foot à la télé, ce n'était pas un soir comme un autre. Nostalgie ? Oui, sans doute, et tant pis si cela déplait aux apôtres furieusement modernistes du néo-football. Osons même avancer que l'amateur de foot est par nature un nostalgique puisque son goût pour le ballon le renvoie inévitablement à l'âge où cette passion s'est nouée - une passion simple, certes ponctuée de ruptures et de rapports contrariés mais dont dont on ne se détache jamais tout à fait. Cette nostalgie ne peut se réduire au cliché éculé du 'c'était mieux avant', car elle est aussi une lucidité qui, par le souvenir et la connaissance du 'foot d'avant', permet aux amateurs de ne pas mordre à l'hameçon du fast-foot d'aujourd'hui."
Nostalgique peut-être, le lecteur footophile se retrouvera dans cette énumération : "Chaque amateur de ce sport a son histoire, ses références, ses amulettes. Les vignettes autocollantes des albums Panini, les pluies de confettis dans les stades argentins en 78, la partie de foot de Mort à crédit, les matchs épiques de Saint-Etienne contre Liverpool, le Carton jaune de Nick Hornby, le France/Koweït de 1982 digne d'un album de Tintin, la finale dans la boue de la coupe UEFA Bastia/PSV Eindhoven 78, une chanson de Miossec sur un arrière un peu brutal évoluant en troisième division, un tacle de Di Meco, quelques phrases d'Eduardo Galeano, le ballon orange sur le terrain de Sochaux recevant l'Eintracht Francfort, les trois buts de Platini contre la Yougoslavie en 84..."
Franchement, il est quand même temps de s'interroger : quel football allons-nous laisser à nos enfants ?

TV. Accattone (Pier Paolo Pasolini, Italie, 1961 avec Franco Citti, Franco Pasut, Silvana Corsini).
Garçon pauvre d'un misérable faubourg de Rome, Accattone s'est fait le souteneur d'une prostituée. Celle-ci est emprisonnée. Accattone cherche à séduire une fille naïve pour l'exploiter et s'aperçoit qu'il l'aime.
Pasolini m'est presque totalement inconnu. Si j'ai vu Salo ou Les cent vingt journées de Sodome à la fin des années 70 au Caméo à Nancy, c'était plus par voyeurisme que par intérêt cinéphilique. Je me souviens aussi de l'émouvant hommage rendu à Pasolini par Nanni Moretti dans Journal intime. Accattone est son premier long métrage et méritait sans doute une meilleure attention que celle que j'ai pu lui accorder, parasitée qu'elle était par une trop grande fatigue et une lecture difficile des sous-titres (Pasolini utilise un noir et blanc artisanal très contrasté et les sous-titres sont blancs...).
Mais même une vision parcellaire permet de se rendre compte de la nouveauté qu'apporte Pasolini au cinéma. Au son de la musique de Bach, il filme la misère des faubourgs de Rome, l'humanité qui émane de ses personnages miséreux les rend immenses. Le visage de Franco Citti, non professionnel comme tous les autres acteurs, est inoubliable. Son personnage, Accattone, petit proxénète, atteint la pureté dans la dernière scène, phase ultime du processus de sanctification des gueux entrepris par Pasolini.

Courrier. Je reçois le Bulletin Marcel Proust de l'année.

MARDI.

Courriel. Échanges divers sur Bruno Fontaine, Wagner, Emmanuel Carrère.

Célébration. Libations de fin d'année au collège.

TV.
Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, France, 1961 avec Corinne Marchand, Antoine Bourseiller, Dorothée Blank, Michel Legrand).
Cléo, une jeune chanteuse de petit renom, attend les résultats d'une analyse médicale. Elle redoute un cancer. Après avoir consulté une cartomancienne, elle erre dans Paris.
Agnès Varda travaille presque en temps réel, ne rabotant qu'une demi-heure aux 120 minutes vécues par Cléo pour les faire entrer dans son film. Des incrustations viennent régulièrement rappeler combien de temps s'est écoulé, combien il en reste avant le verdict. Car c'est une sorte de course contre la montre, contre la mort que vit Cléo, obligée, au sens propre, de tuer le temps. Pour ce faire, elle multiplie les activités (c'est fou ce qu'on peut arriver à faire en l'espace de deux heures) : shopping, café, répétition avec musicien (Legrand) et parolier, visite, promenade... Surtout promenade. La plupart du temps, Cléo déambule et c'est là que le film tient sa plus belle réussite. En même temps que le portrait d'une femme, Varda (qui avait déjà à l'époque réalisé un film sur la rue Mouffetard) fait celui de la ville qu'elle arpente. Quand elle filme les abords d'une gare, on devine la documentariste qu'elle est aussi. Paris n'a jamais été aussi bien filmée que par les cinéastes de la Nouvelle Vague, Godard, Rohmer dans Le Signe du lion et donc Varda. Celle-ci nous montre que la ville existe différemment pour chacun selon le regard qu'on lui porte et les préoccupations qu'on a en tête : Cléo se trouve confrontée à la mort pratiquement à chacun de ses pas, croise un enterrement, passe devant un magasin de pompes funèbres, etc., avant de rencontrer un homme, parc Montsouris, qui pourrait être le seul à lui faire oublier l'échéance s'il n'avait lui aussi à faire face à un ultimatum mortifère : son départ, le lendemain, pour l'Algérie.

MERCREDI.
Emplettes. Max Aub, Westlake, Nadeau, Thomas Mann, Matisse-Picasso : belle moisson.

Vie sociale.
Nous sommes conviés à dîner dans le voisinage. Il y a là un avocat pour qui le terme familier de "bavard" que l'on utilise parfois pour désigner les membres de sa corporation semble avoir été inventé. Mon ennui est tel qu'il se transforme en colère, ce qui me sera ultérieurement reproché. Encore des gens qui vont se demander ce que fait une si accorte apothicaire avec un tel ursidé.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des vœux à N., des coupures à l'AGP et à Y.

VENDREDI.
TV. Notre histoire (Bertrand Blier, France, 1984 avec Alain Delon, Nathalie Baye, Michel Galabru).
Robert Avranche, garagiste, voyage en train de Genève à Paris. Il rencontre Donatienne, couche avec elle, s'accroche et s'installe chez elle.
Bertrand Blier poursuivait avec Notre histoire son entreprise de déstabilisation commencée avec les Valseuses et poursuivie avec Buffet froid. Déstabilisation construite sur l'utilisation d'acteurs à contre-emploi (Delon ici, hagard, obsédé de la canette), l'instabilité des personnages, la déstructuration du scénario et l'absurde des situations et des dialogues. C'est un choix qui peut agacer mais qui laisse parfois passer de belles choses. Ici on retiendra les scènes qui se déroulent chez le voisin de Donatienne, interprété par Galabru, où tout le voisinage est rassemblé. Le plaisir que Blier prend à détruire est alors communicatif : détruire les couples, détruire les conventions, la logique, détruire le décor. Après ce sommet, le film s'étire et devient franchement ennuyeux.

Lecture. Les derniers mystères de Paris (Noël Simsolo, Éditions Baleine 2002, coll. Pierre de Gondol).
Un mystérieux personnage assassine une personne par arrondissement de Paris. Le commissaire Yèble demande de l'aide au libraire Pierre de Gondol, qui a tôt fait de découvrir que le serial killer s'inspire de la série des Nouveaux mystères de Paris de Léo Malet.
La série des aventures de Pierre de Gondol permet aux auteurs qui y contribuent de donner libre cours à leurs passions littéraires et d'essayer de les faire partager aux lecteurs puisque les affaires criminelles proposées sont toutes en relation avec la littérature. Dans ce cadre, on a vu Jean-Bernard Pouy marcher sur les traces de Jim Thompson et Roland Brasseur sur celles de Perec. Pour apprécier leurs réalisations, il faut être assez intime avec l'écrivain étudié et posséder une bonne connaissance bibliographique. Ce qui ne me gêne pas outre mesure mais ce qui limite tout de même l'étendue du lectorat potentiel. On dit les éditions Baleine prêtes à mettre la clé sous la porte, et ça s'explique : le Poulpe, destiné au grand public, s'essouffle et Pierre de Gondol ne peut satisfaire que les happy few.
J'ai beaucoup de respect pour le travail de Noël Simsolo, notamment à la radio : ses séries d'émissions sur France Musiques et France Culture consacrées aux musiques des films de Minnelli et au compositeur Franz Waxman font partie de mes cassettes de chevet. Mais là, il se fait plaisir en prenant le risque de ne pas intéresser grand monde. Il faut avoir une solide connaissance de l'œuvre de Léo Malet et de ses rapports avec le groupe surréaliste pour suivre Pierre de Gondol dans une intrigue-prétexte pas vraiment exaltante.

SAMEDI.
Courriel. Échanges avec GN, A.N., Ch. Willy Wauquaire m'envoie son glossaire consacré aux figures de style contenues dans Quel petit vélo de Perec.

Courrier. Des vœux en provenance du Québec et d'Allemagne.

Vie familiale. Nous ossobuccons chez mes parents pour l'anniversaire d'une nièce.

Bon Noël.

 

Notules dominicales de culture domestique n°91 - 29 décembre 2002

DIMANCHE.
Lecture. Crimes exemplaires (Max Aub, 1956 and Heirs of Max Aub, traduit de l'espagnol par Danièle Guibbert, Cent pages 1990).
Recueil.
Un des crimes relatés dans ce livre sert souvent de base aux exercices de style pratiqués par les Papous de France Culture. Pour savoir qui est Max Aub, la quatrième de couverture de ce volume est, pour une fois, parfaite :
"Ami lecteur, tu te tiens au rayon littérature d'une bonne librairie, plus précisément en position debout, les jambes en appui.
Tu feuillettes le recueil Crimes exemplaires de Max Aub, écrivain espagnol, ami de Bunuel, Dali et Lorca, réfugié à Paris pendant la guerre d'Espagne, co-scénariste du film L'Espoir avec Malraux, commanditaire du Guernica de Picasso. Emprisonné en 1940, il erre de camp de concentration en prison puis s'évade et rejoint le Mexique où il écrit trois romans sur les camps, des recueils de contes, du théâtre, rédige à lui seul une revue; c'est en 1956 qu'il publie ce recueil, catalogue d'une centaine de crimes accomplis par agacement, impatience, principe ou charité.
Ami lecteur, tu hésites encore malgré tout cela, tu poses et reprends le livre, tu le poses puis finalement sors de la bonne librairie, les mains vides. C'est donc ainsi, les mains vides que tu sors. C'est ainsi sur le trottoir que je te rattrape et t'occis."
Les crimes relatés sont présentés par l'auteur comme des confessions orales qu'il aurait lui-même recueillies. On y trouve une parfaite maîtrise de l'humour noir et du cynisme, ainsi qu'une forme d'exutoire : bon nombre de ces crimes sont ceux qu'on a un jour rêvé de perpétrer, contre un voisin trop bruyant, un serveur trop lent, un bébé trop criard, un automobiliste trop arrogant. Grâce à Max Aub, on se rattrape, on réalise l'interdit.
Quelques exemples : "A vrai dire, ma sœur, personne ne pouvait la supporter."
"Le ballon était à moi. Le couteau non. Mais c'est du ballon dont il était question."
"Je voulais un fils, monsieur ! A la quatrième fille, je l'ai tuée."
"Je suis instituteur. Cela fait dix ans que je suis instituteur à l'École Primaire de Tenancingo, Zac. Beaucoup d'enfants sont passés sur les bancs de mon école. Je crois que je suis un bon maître. Je le croyais jusqu'à ce qu'arrive ce Pancho Contreras. Il ne me prêtait aucune attention et n'apprenait absolument rien : parce qu'il ne voulait pas. Les punitions aussi bien morales que corporelles ne lui faisaient aucun effet. Il me regardait avec insolence. Je le suppliais. Je le collais. Il n'y eut rien à faire. Les autres enfants commencèrent à se moquer de moi. Je perdis toute autorité et le sommeil et l'appétit jusqu'à ce jour où ne pouvant plus le supporter et pour que cela serve d'exemple, je l'ai pendu à l'arbre de la cour."

Aménagement du territoire. Nous allons-retournons au-delà de Metz dans un grand magasin d'où nous rapportons des objets (lustre, stores, portemanteau) dont l'installation va meubler le reste de mon après-midi. Nous lorgnons sur les bibliothèques qui permettraient de contenir l'invasion paginale que nous subissons, mais il faudrait acheter une grosse auto pour transporter ces gros objets alors forcément ça met en cause un budget plus conséquent.

TV. Le Signe du Lion (Éric Rohmer, France, 1959 avec Jess Hahn, Van Doude, Michèle Girardon).
Pierre Wesserlin, musicien américain, vit à Paris, fréquente le milieu de Saint-Germain-des-Prés. Il apprend la mort d'une riche tante dont il doit hériter.
Cette promesse d'héritage ne se concrétisera pas. Pierre, chassé de son appartement par le propriétaire, se retrouve à l'hôtel, puis à la rue. C'est l'été, toutes les connaissances qu'il essaie de contacter pour obtenir un peu d'aide sont absentes, sur la Côte ou à la campagne.
Après plusieurs visions, Le Signe du Lion reste mon Rohmer préféré, et même un de mes films français de prédilection. Comme le Cléo de Varda vu la semaine dernière, c'est un film ambulatoire, un film piéton. La majeure partie est occupée par l'errance quasi muette de Wesserlin dans Paris, sa clochardisation qui progresse, comme lui, pas à pas : la tache d'huile sur le pantalon, la barbe qui pousse, les amis injoignables, la tentation de la Seine, le vol à l'étalage, la chaussure qui rend l'âme. Depuis ma dernière vision de ce film, j'ai lu La Faim de Knut Hamsun et il est impossible de ne pas mettre les deux œuvres en parallèle, seule la chaleur de l'été parisien est à l'opposé du froid d'Oslo, pour le reste c'est la même description implacable d'une même descente aux enfers.
L'histoire de l'héritage est sans doute venue de Chabrol, producteur du film, qui a pu se lancer dans le cinéma grâce justement à un héritage. D'autres cinéastes font une brève apparition, Melville, Resnais, et surtout Godard, hilarant mélomane monomaniaque.
Jess Hahn, qui a passé sa carrière à jouer les utilités musculeuses dans le cinéma français montre ici qu'il méritait mieux.

LUNDI.
Mathématiques. Depuis cet été, en bon oulipien, j'ai pris l'habitude de consacrer un peu de mes vacances à l'étude de quelques phénomènes mathématiques. Je m'intéresse cette semaine aux suites de Fibonacci.

Vie familiale. Après avoir lâchement abandonné Alice à la crèche, je déambule en ville avec Lucie en attendant l'heure de la séance de cinéma. Nous n'avons rien à faire, rien à voir, juste à passer du temps ensemble sans, pour une fois, avoir à courir pour attraper le bus ou autre. C'est si rare que je m'efforce de savourer, comme si ce moment pouvait effacer les "dépêche-toi" et "je n'ai pas le temps" qui sont les phrases que Lucie entend le plus fréquemment sortir de ma bouche. Je m'amuse du regard des passants qui me prennent, me figuré-je, pour un père divorcé qui profite de sa fille pendant les vacances, syndrome "un week-end sur deux".

Cinéma. Mon voisin Totoro (Toneri no Totoro, Hayao Miyazaki, Japon, 1988).
Deux fillettes, Satsuki et Mei, s'installent dans une nouvelle maison plutôt vétuste avec leur père, en attendant que leur mère sorte de l'hôpital. Elles font la connaissance de Totoro, créature magique qui habite le voisinage.
Le seul point de repère que je possède, en matière d'animation japonaise, est Le Tombeau des lucioles d'Isao Takahata. Totoro est d'un niveau inférieur, que ce soit sur le plan émotionnel, scénaristique ou initiatique. Mais il ne cherche pas le même public : c'est un pur film pour enfants, avec des monstres gentils et de bons sentiments. Un film qui ne tire pourtant pas toutes les ressources de ses personnages, on pense notamment au chat-bus et à Totoro lui-même qui sont sous-exploités.

Courriel. Une demande de désabonnement aux notules.

Cinéma. Le Sourire de ma mère (L'Ora di religione, Marco Bellocchio, Italie, 2002 avec Sergio Castellitto, Jacqueline Lusitg, Chiara Conti, Alberto Mondini, Gianni Schicchi, Maurizio Donadoni, Giorgio Alberti, Bruno Cariello).
Ernesto, artiste athée, apprend que sa défunte mère, étranglée dans son sommeil par son fils aîné, un malade mental, va être élevée au rang de sainte par l'Église.
Les thèmes de la folie et du meurtre de la mère étaient déjà présents dans le premier film de Bellocchio, Les Poings dans les poches, en 1965. S'y ajoute celui de la religion, plus exactement la toute-puissance de l'Église dans l'Italie d'aujourd'hui, son sens du commerce et des intrigues auquel s'oppose, seul, Ernesto. Ça ne donne pas quelque chose de très passionnant, plutôt un film bavard sur le plan des dialogues comme sur celui de la musique. Arriver à son terme sans s'endormir constitue aussi une sorte de brevet de sainteté que je n'ai pas réussi à passer.

MERCREDI.
Vie familiale. Nous passons le journée de Noël chez mes parents. Toute la fratrie est réunie, avec les neuf petits-enfants, mais c'est moins éprouvant que je ne le redoutais. A la fin de la journée, je suis heureux d'entendre ma mère admettre du bout des lèvres qu'elle a peut-être passé l'âge d'organiser de tels rassemblements.

TV. L'Enjeu (Desperate Measures, Barbet Schroeder, USA, 1998 avec Michael Keaton, Andy Garcia, Brian Cox, Marcia Gay Harden).
Pour sauver son fils atteint de leucémie, le policier Frank Conner pirate les fichiers du FBI et trouve un donneur de moelle osseuse, Peter McCabe, un serial killer emprisonné.
Avec ce point de départ, on aurait pu avoir un film centré sur le dilemme intérieur de McCabe : que peut-il gagner, lui qui n'a plus rien à perdre, à sauver la vie d'un gamin, fils de flic de surcroît, sinon une éventuelle rédemption ? On aurait pu voir Conner essayer de persuader McCabe, se battre pour le convaincre. Cette piste est explorée au tout début du film, au moment où le flic rend visite au tueur dans sa cellule. Ensuite, Schroeder abandonne la psychologie pour se consacrer à l'action. McCabe a finalement accepté de donner sa moelle, mais il s'échappe au cours de l'opération. Prenant modèle sur Piège de cristal de John McTiernan, Schroeder filme la traque d'un tueur dans un milieu clos, ici un hôpital. Il y a des séquences spectaculaires, un peu de suspense mais ça devient très vite répétitif et lassant.

JEUDI.
Courrier. Je réponds à des vœux, envoie des coupures à Y. et à l'AGP.

Lecture. Une vie en littérature (Maurice Nadeau, conversations avec Jacques Sojcher, Éditions Complexe, 2002).
A quatre-vingt-douze ans, Maurice Nadeau est plus que jamais présent sur la scène littéraire. On réédite son Sade, son Leiris, son Flaubert, on l'interviewe dans Les inrockuptibles, on s'entretient longuement avec lui sur France Culture (série A voix nue, plusieurs Surpris par la nuit où il converse avec Alain Veinstein) ou dans ce livre. J'y ai lu ce que j'avais déjà entendu dans les émissions précitées mais sans lassitude, tant ce qu'il raconte est intéressant. Nadeau a passé sa vie dans le papier, le papier journal d'abord dans ses chroniques à Combat, les revues qu'il a lancées, Les Lettres nouvelles et La Quinzaine littéraire qu'il continue à diriger. Les livres ensuite avec les collections qu'il a créées chez divers éditeurs et sa propre maison. Avec, à son palmarès, la fierté d'avoir mis le pied à l'étrier à des gens comme Robert Antelme, Malcolm Lowry, Barthes, Beckett, Gombrowicz, Perec, Houellebecq... Des auteurs qu'il a publiés et qui, une fois le succès venu, sont allés poursuivre leur carrière sous des cieux plus prestigieux et plus rémunérateurs sans qu'il en conçoive amertume ou regret, satisfait d'avoir accompli son devoir de dénicheur.
Nadeau parle aussi de son engagement politique chez les trotskistes, de ses relations avec Breton et les surréalistes, de ses enfants qu'il n'a pas pu, submergé de travail qu'il était, aider à grandir (sur ce dernier point, le regret est fugitivement évoqué mais bien présent). Sa lucidité et la clarté de sa mémoire font merveille à chaque page.

Cinéma. Mon idole (Guillaume Canet, France, 2002 avec Guillaume Canet, François Berléand, Diane Kruger, Philippe Lefebvre, Clotilde Courau, Daniel Prévost, Jacqueline Jehanneuf).
Un jeune assistant de télévision attire l'attention de son idole, un célèbre producteur qui lui propose de travailler sur un sujet commun.
Le film s'ouvre sur une émission de télé-réalité - tendance Jerry Springer Show - et fait naître quelques craintes. C'est que le cinéma n'est guère convaincant quand il s'agit de faire la satire du milieu télévisuel pour la bonne et simple raison que la satire ne peut atteindre la bassesse de la réalité. Une caricature d'Arthur, par exemple, ne réussira jamais à être aussi vulgaire que le véritable Arthur. Même Chabrol, qui s'était essayé à la chose dans Masques, n'avait pas été convaincant.
Heureusement on quitte rapidement les studios pour la maison de campagne où le producteur (Berléand) vient s'emmerder tous les week-ends et où il a convié le jeune talent qu'il a découvert (Canet). La partie de campagne va tourner au cauchemar et permettre à Canet réalisateur de varier les genres, la satire, toujours, des milieux aisés, l'humour parfois grotesque, la peinture d'un monde où règnent le cynisme et l'argent découvert par un candide. Pour une première réalisation, Guillaume Canet s'en tire honorablement, est intéressant de bout en bout ou presque, évite la morale et offre à Berléand un rôle étoffé dans lequel celui-ci fait étalage de son talent.

VENDREDI.
Voyage. Je file à Paris par le train de 8 heures 03 et fais 14-18 (heures) à la Bibliothèque des littératures policières. Le soir venu, je fouine chez les libraires d'ancien et d'occasion de la rue Saint-André-des-Arts, sans oublier de lever les yeux vers les fenêtres du numéro 50 où vécut Baudelaire (pas de plaque, il faut dire qu'il a eu tellement d'adresses dans ce quartier qu'il aurait fallu ouvrir une carrière de marbre pour les commémorer toutes). Dieu merci, je n'ai pas la fibre bibliophilique et je n'achète rien, sinon une poignée de cartes postales d'écrivains sur lesquelles je rédigerai quelques vœux. Rue de la Huchette - à l'animation factice détestable - on fait encore la queue pour aller voir La Cantatrice chauve et ça fait quarante-six ans que ça dure.

Lecture. Rapport sur moi (Grégoire Bouillier, Éditions Allia, 2002).
Difficile de définir cet écrit dans lequel l'auteur revient sur ses années d'enfance, sur quelques étapes de sa formation, marquée par les rencontres féminines qui ont donné une orientation nouvelle à son existence. Ce n'est pas vraiment un recueil de souvenirs, non plus qu'une autobiographie classique, peut-être est-ce ce que Doubrovsky appelle l'autofiction ? Ou c'est tout bêtement, dans le fond il a dû avoir assez de mal à trouver son titre, un "rapport sur lui". Ça n'a guère d'importance, et si je m'attarde tant sur l'étiquette, c'est que le contenu ne présente pas grand-chose d'intéressant. Les événements sont présentés en éclats, sans ordre chronologique, ce qui évoque les petits livres de Valérie Mréjen, aussi publiés aux éditions Allia qui pensent peut-être là tenir un filon. Mais là où Mréjen intrigue, amuse, intéresse, Bouillier ennuie. Il faut, pour sortir de sa torpeur, tomber sur ce superbe barbarisme : "Je montai en cours. Le premier était celui de chimie. Il fallut faire un exercice. Je le résolvai en moins de deux..."

SAMEDI.
Travail littéraire. Journée continue à la Bilipo, je ne m'interromps que pour aller ingurgiter des nourritures plus terrestres et acheter une photo de l'équipe de foot de Coventry (saison 1909-1910) et un Série Noire cartonné dans les boîtes d'une bouquiniste du quai de Tournelle.

Back home. Retour par le 17 heures 49, sans trop souffrir du retard occasionné par la découverte d'un colis suspect dans le Paris-Strasbourg précédent, évacué en gare d'Épernay. Au courrier, une lettre des M., de Dallas.

Bon dimanche.