Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°50 - 3 mars 2002

DIMANCHE.
Crétins des Alpes. Comme nous croûtons chez mes parents, je jette un œil sur les informations télévisées. Deux skieurs français ont été médaillés la veille dans une épreuve olympique. On a donc un reportage sur la course, classique, mais immédiatement après - comme j'avais déjà pu le remarquer en écoutants Europe 1 en Autriche - un autre reportage nous emmène dans la station alpine d'où le skieur mis à l'honneur est originaire. Foule d'autochtones en liesse qui ont suivi la course par - 5° sur un écran géant installé sur la place du village, (des gens tellement chaleureux, un village tellement authentique qu'ils n'ont même pas la télé chez eux), entretiens avec le père du champion (ah, le bon petit !), sa fiancée, son beau-frère, ah si son chien pouvait parler, le directeur de l'école où il a appris à lire (il sait dans quel sens on doit tenir ses skis pour qu'on en voie bien la marque), le patron du bistrot où il a pris sa première cuite, que sais-je encore. Le but de tout ça : attirer les gogos dans la station ainsi mise en vedette, opération promotionnelle orchestrée par la municipalité, l'office du tourisme et la chambre économique locale pour que le touriste ait
l'impression qu'il a gardé en compagnie du champion les cochons qui ont donné le lard de la tartiflette qu'il déguste dans un restaurant typique qui se sent dès lors autorisé à pratiquer les tarifs du Crillon. Je suppose qu'on filme ensuite aussi le retour au pays du champion, avec les mêmes images des mêmes abrutis en combinaison fluo agitant les mêmes cloches de vaches. La cocarde ne suffit plus, il faut aussi le clocher. Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part...

Progrès. Alice n'appelle plus sa mère "papa". En revanche, sa sœur est pour elle "tata" ou quelque chose d'avoisinant. Il reste du chemin à faire.

TV. 12° épisode de Six Feet Under. Dave fait son coming out.

Courriel.
G.N. parle du concours de l'agrégation dont il a passé les épreuves pendant les vacances. Les vidéos des vieux films de gangsters avec James Cagney, Edward G. Robinson ou Bogart que je lui avais passées lui ont été utiles pour une composition sur "Organized crime in facts and on film : repression versus expression", tant mieux. D.R. parle de date palindrome.

LUNDI.
Rentrée des classes. J'ai bien du mal à me souvenir du nom de mes élèves. L'après-midi, je suis tellement abruti que je profite d'un instant de répit pour m'entourer la tête dans mon blouson et dormir un bon quart d'heure affalé sur mon bureau.

Travaux. Cette fois, c'est la fin : derniers joints de carrelage, derniers trous bouchés dans le couloir, nouveau revêtement pour le trottoir.

Cinéma. Caroline va dormir devant Cet amour-là, récit des dernières années de Marguerite Duras.

Lecture. Trompe la mort (Hope to Die, Lawrence Block, traduit de l'américain par Etienne Menanteau, Éditions du Seuil, coll. Seuil Policiers, 2002).
Un couple de new-yorkais aisés est cambriolé et assassiné. Peu après, les deux auteurs présumés sont retrouvés, eux aussi abattus. L'enquête semble bouclée, sauf pour Matt Scudder qui croit en l'existence d'un troisième homme.
Un très bon crû, cette dernière enquête de Matt Scudder. Sa vie privée passe au second plan, malgré les événements importants qui la perturbent (mort de son ex-femme, ennuis de son fils qui a tapé dans la caisse de son patron) et qui amènent toujours à se poser la même question : Scudder va-t-il prendre prétexte de ces circonstances difficiles pour se remettre à boire ? Non, il tient le coup (ce qui me rassure d'un point de vue personnel pour la suite de mon existence). L'essentiel du livre est donc consacré à son enquête, vraiment passionnante. C'est un whodunit très classique dans un premier temps, puis la traque d'un serial killer, dont les faits et gestes sont portés à la connaissance du lecteur dans des chapitres qui lui sont exclusivement consacrés. Scudder, privé sans licence, ne dispose pas des moyens mis au
service des spécialistes des tueurs en série : pas de profil psychologique, pas de fichier du F.B.I. ... Scudder doit s'en remettre à son intuition, à son ingéniosité, à son opiniâtreté et à ses connaissances (T.J., Elaine, Mickey Ballou). A la fin du roman, le tueur est toujours dans la nature, après avoir mis en scène sa disparition à l'aide du cadavre d'un autre : est-ce à dire qu'on le retrouvera face à Matt Scudder dans un autre volume ?

MARDI.
PMU. Pour la première fois de ma déjà longue carrière de turfiste, je touche un quinté dans le désordre. Intense satisfaction mais gains misérables (une soixantaine d'euros).

Courriel. Y. m'envoie un bel aptonyme : Annick Quignon, boulangère à Châlons.

Papilles. Nous poursuivons notre tournée des bonnes tables locales avec un dîner aux Ducs de Lorraine pour l'anniversaire de ma belle-mère. Croûte somptueuse dans un décor qui ne l'est pas moins, l'ancien siège de la chambre patronale des industries textiles.

MERCREDI.
Emplettes. Mes gains PMU m'autorisent une belle rafle en librairie avec le quatrième volume de Kafka en Pléiade, le dernier Westlake, L'Année du Monde 2001, l'énorme biographie de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère, un essai d'Annie Le Brun et un volume sur le Paludes de Gide.

Presse. Télérama publie la mise au point d'un lecteur concernant le palindrome erroné publié la semaine dernière. Malheureusement, ce n'est pas celle que j'avais envoyée.

Courriel. Y. envoie les photos des vacances autrichiennes.

Cinéma. Amen. (Costa-Gavras, France, 2002 avec Ulrich Tukur, Mathieu Kassovitz, Ullrich Mühe, Michel Duchaussoy, Marcel Iures, Ion Caramitru, Hanns Zischler, Sebastian Koch).
Kurt Gerstein, officier SS allemand spécialiste de l'hygiène est persuadé que le Zyklon B qu'il fournit à l'armée sert à la désinfection des casernes.
Jusqu'au jour où un docteur lui fait visiter un camp d'extermination polonais. Gerstein tente d'alerter l'opinion mondiale via les autorités religieuses, avec l'aide d'un jeune jésuite qui veut faire réagir le pape Pie XII.
Il y a l'intention. Celle, en adaptant la pièce de Rolf Hochhuth, Le Vicaire, de dénoncer l'inertie du Vatican face au génocide juif. Pie XII hésita à condamner clairement le nazisme parce que celui-ci était un rempart commode contre le communisme qu'il redoutait principalement et parce qu'il craignait que les Allemands s'en prennent aux richesses patrimoniales du Vatican. L'arrestation, sous ses fenêtres, des Juifs de Rome ne lui fit pas lever le petit doigt. Mieux : nombre de dignitaires nazis, comme on le voit avec le personnage du docteur, trouvèrent à la fin de la guerre refuge en Amérique du Sud par l'intermédiaire des autorités catholiques.
Il y a aussi l'intention de présenter un personnage complexe, celui de Gerstein, qui, d'une main, fournit le Zyklon B et de l'autre tire les sonnettes pour dénoncer l'Holocauste. Arrêté par les forces de libération, il se pendit dans sa cellule, non sans avoir au préalable rédigé un rapport attestant l'existence des chambres à gaz. Il fut réhabilité 20 ans plus tard.
Les intentions, donc, mais aussi la manière. Et là, on est au regret de mettre un petit bémol. Costa-Gavras, pour son retour au cinéma de dénonciation - Z, Section spéciale, L'Aveu - filme un peu à la truelle. Facile, le contraste entre la nudité des plaines de Pologne envahies par le brouillard et la neige et les ors des résidences vaticanes. Lourdaude la symbolique, comme l'étoile jaune que le jeune prêtre (Kassovitz) épingle à sa soutane...
Signe des temps : lorsque la pièce fut montée, en 1963, l'Eglise poussa des cris d'orfraie, refusant le rôle qu'on donnait à Pie XII. Aujourd'hui, les autorités catholiques n'ont pas eu un mot critique (à peine a-t-on pu lire une tribune de Paul Thibault, président de l'Amitié judéo-chrétienne de France, dans La Croix et Henri Amouroux est sorti de la naphtaline pour asséner dans Le Figaro Magazine que "le Vatican a[avait] sauvé plus de juifs que les États-Unis") sur le contenu du film, se contentant d'en blâmer l'affiche, dont le dessin mêle la croix gammée et le crucifix dans une symbolique gros sabots due au créateur des aussi subtiles publicités Benetton.

Lecture. Paludes (André Gide, 1895, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade).
Curieusement, c'est par Perec que j'en suis venu à lire Paludes. D'après son biographe David Bellos, Perec a écrit un pastiche de Paludes en 1956-57 et vouait une grande admiration sinon à Gide, du moins à ce livre. dans Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (p. 51 en Folio) on lit : "Il était six heures moins dix. Le vent fraîchit. Nous fermâmes nos fenêtres et nous plongeâmes dans la lecture de La Grande Encyclopédie...". On ouvre Paludes et on trouve en guise d'incipit : "Vers cinq heures le temps fraîchit; je fermai la fenêtre et me remis à écrire."
Ailleurs, le narrateur de Paludes s'exclame : "Savons-nous quelles sont les choses importantes ? Quelle arrogance dans le choix ! - Regardons tout avec une égale insistance, et qu'avant le départ excité, j'aie encore une calme méditation. Regardons ! Regardons ! - que vois-je ?
- Trois marchands de légumes passent.
- Un omnibus déjà.
- Un portier balaie devant sa porte.
- Les boutiquiers rafraîchissent leur devanture.
- La cuisinière part pour le marché.
- Des collégiens vont à l'école.
- Les kiosques reçoivent leurs journaux; des messieurs pressés les achètent.
- On pose les tables d'un café..."
Perec saura s'en souvenir : "Observer la rue, de temps en temps, peut-être avec un souci un peu systématique (...) essayer de décrire la rue, de quoi c'est fait, à quoi ça sert. les gens dans les rues. Les voitures." (Espèces d'espaces). "Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra-ordinaire, le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger, comment le décrire ?" (L'infra-ordinaire). Le début d'énumération de Gide trouvera son écho dans Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon et dans la Tentative d'épuisement d'un lieu parisien de Perec.
A part ça ? Heureusement qu'il y avait cette relation Gide-Perec pour susciter mon intérêt et soutenir mon attention, car je n'ai pas été enthousiasmé par ce livre, pas plus que je ne l'avais été par Les Nourritures terrestres, qui parut deux ans après Paludes. Le narrateur de Paludes écrit ... Paludes, l'histoire d'un homme
qui vit dans un champ, près d'un marais, et qui ne cherche pas à voir le monde autour de lui. Ses relations (celles du narrateur) le pressent de leur en dire plus sur son œuvre en cours, il en livre des extraits, s'adonne à des réflexions philosophiques et morales sur le sens de sa vie, le besoin d'en changer ou non... Pas vraiment captivant, d'autant que la langue de Gide est pleine d'afféteries qui vieillissent mal : les écrivains y sont des "littérateurs", il est question d'une nuit de chasse "fructifère"... Lire Bertrand Poirot-Delpech pour en savoir plus.

JEUDI.
Mail. Échange avec un abonné qui songe à se réfugier dans le silence. Lui suggérer de lire Paludes ? J'envoie l'adresse d'un site oulipien en langue espagnole à J.

Tracas. Caroline prend conseil auprès d'un avocat au sujet des exigences financières pharaoniques d'un architecte local dont le projet pour la rénovation de la pharmacie n'avait pas été retenu.

Courrier. J'envoie des félicitations aux parents d'un nouveau-né, des demandes d'éclaircissement sur mon abonnement à Histoires littéraires, une demande de documents à Joël Henry, du Latourex (Laboratoire de Tourisme Expérimental), des coupures à Y. (Le Monde, Le Canard enchaîné), à H. (La Liberté de l'Est), à l'Association Georges Perec (La Liberté de l'Est, Le Monde, plus des photocopies de pages du Rimbaud de Lefrère et des nouvelles radiophoniques).

TV. La Ligne verte (The Green Mile, Franck Darabont, U.S.A., 1999 avec Tom Hanks, David Morse, Michael Clarke Duncan, Gary Sinise, Harry Dean Stanton).
Paul Edgecomb a 108 ans, vit dans une maison de retraite. Il raconte ce qui est arrivé en 1935 dans le pénitencier de Louisiane où il était gardien-chef du quartier des condamnés à mort et fut amené à conduire l'exécution de John Caffey, un détenu innocent doté de pouvoirs surnaturels.
Du cinéma diablement efficace, qui manque certes de subtilité mais qui fonctionne parfaitement. La première partie du film est la plus réussie, qui nous montre la vie quotidienne du pénitencier. L'équipe des gardiens est soudée, fait preuve d'humanité avec les détenus. Ceux-ci passent un moment avec eux, sont exécutés pour le bien de la société. Tout marche sans heurt, personne ne s'interroge sur le système, accepté par les détenus, par les gardiens et par Darabont qui les met en scène comme dans La Dernière marche de Tim Robbins (cf. notules n° 40). Un couple de méchants (un gardien et un détenu) vient pimenter la chose, faciliter l'implication du spectateur dans le camp des gentils. C'est alors qu'interviennent les pouvoirs de John Caffey, un Noir gigantesque qui réussit à guérir Edgecomb d'une chaude-pisse, à ressusciter une souris écrasée et à sauver d'une tumeur la femme du directeur de la prison. Là, on touche au grand-guignol (c'est tiré d'un livre de Stephen King et il faut
au moins le Kubrick de Shining pour réussir à transcender du Stephen King) et le film part malheureusement en lambeaux, tire vers le sentimentalisme grossier (l'exécution de Caffey entourée de matons en larmes est, dans son genre, grandiose) pour s'achever dans un message philosophique de bains-douches. On est alors tout surpris d'avoir tenu jusqu'au bout (la chose dure tout de même plus de trois heures) sans finalement trouver le temps long : c'est ça, l'efficacité.

VENDREDI.
O.M. Visite surprise de H., en provenance de Marseille et de passage dans les Vosges. Il s'intéresse plus que moi à l'existence de ses contemporains et comme d'habitude, c'est lui qui, paradoxalement, nous donne des nouvelles de la vie spinalienne.

TV. Des pissenlits par la racine (Georges Lautner, France, 1963 avec Louis de Funès, Michel Serrault, Mireille Darc, Francis Blanche, Maurice Biraud).
Jockey Jack tue le truand Pom Chips et cache son cadavre dans l'étui à contrebasse de son cousin Jérôme. Dans un premier temps, il importe de se débarrasser du corps, puis, à partir du moment où il s'avère que celui-ci recèle dans une de ses poches un ticket de tiercé gagnant, de le retrouver.
Georges Lautner, qui vient alors de terminer Les Tontons flingueurs, a trouvé la recette du polar parodique qui va devenir sa spécialité : prendre un Série Noire (ici Y avait un macchabée... de Clarence Weff), le franciser, confier les dialogues à Audiard et l'interprétation aux piliers de la comédie de l'époque (outre les acteurs cités, on a aussi Darry Cowl, Hubert Deschamps, Philippe Castelli, Guy Grosso...). Ça marche très bien, même si je n'ai pas très bien saisi le dénouement, ce qui n'a aucune importance. Comme dans Les Tontons flingueurs, il y a une séquence consacrée à une "party" où on peut entendre une musique abominable. Louis de Funès, qui n'était pas encore à son apogée, est d'autant plus discret qu'il passe la majeure partie du film dans une malle en osier. Ce qui permet la mise en valeur de Maurice Biraud, mon idole, qui est ici le porteur des répliques d'Audiard les plus ciselées.

SAMEDI.
Courrier. Je reçois la bande originale du film Accords et désaccords et la Symphonie n°1 de Mahler.

TV. Défaite de l'Angleterre contre la France dans le Tournoi des Six Nations de rugby. Tout ce qui peut pourrir le Jubilé de la reine est à bénir. Cet après-midi, c'est moi qui jubile.

Les Rivières pourpres (Mathieu Kassovitz, France, 2000 avec Jean Reno, Vincent Cassel, Nadia Farès).
Un tueur en série sévit autour d'une université située dans une ville de montagne. Le commissaire Niémans, un solitaire, accepte l'aide d'un jeune lieutenant de police qui, lui, enquête sur une histoire de profanation de sépulture. Les deux affaires semblent liées.
Comme le roman de Jean-Christophe Grangé, le film apparaît comme un objet efficace et sans nuance. il s'ouvre sur la vision du premier cadavre avec une caméra qui s'attarde complaisamment sur toutes les plaies qui le lacèrent et les divers insectes qui en sortent. Le déroulement de l'intrigue est d'abord assez fidèle au livre avant de s'en écarter franchement et d'aboutir à un dénouement incompréhensible. Manifestement, Kassovitz s'en moque. Ce qui lui importe, c'est d'enfiler les scènes d'action spectaculaires (c'est un film à gros budget, ça se voit) filmées "à l'américaine" avec force plongées et contre-plongées. Reno correspond assez bien à l'idée qu'on pouvait se faire de Niémans, Cassel compense son élocution déplorable par un impressionnant jeu de jambes dans une scène de bagarre digne des films de Jackie Chan.
On a voulu comparer le film à Seven mais on en est loin.

Rappel. Les numéros précédents des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°51 - 10 mars 2002

DIMANCHE.
Cinéma. Caroline emmène Lucie voir Oliver et Olivia dans le cadre de Ciné-juniors. Je prends le relais avec La Vie peu ordinaire de Doña Linharès (Eu, tu, eles, Andrucha Waddington, Brésil, 2000 avec Regina Casé, Lima Duarte, Stênio Garcia, Luìs Carlos Vasconcelos, Nilda Spencer).
Darlene, abandonnée par le père de son fils, épouse Osias, riche et vieux barbon qui l'exploite de façon éhontée. Elle se console dans les bras de plusieurs autres hommes qui lui donnent, chacun à leur tour, trois autres fils.
Si j'essaie de comparer avec le seul autre film brésilien récent que je connaisse, Central do Brasil, de Walter Salles Jr (remercié d'ailleurs dans le générique), je peux dire qu'on trouve dans les deux histoires un certain goût pour le mélo sulpicien. Mais heureusement, ici c'est beaucoup moins pesant que chez Salles. Certes, Darlene a tout pour susciter la compassion : elle doit élever ses enfants, travailler dur dans une plantation de canne à sucre et entretenir la maison sous l'œil de son mari qui passe sa vie allongé dans un hamac à écouter la radio. Cependant, elle ne se lamente pas, et trouve à se venger en se donnant à d'autres hommes. De même, le personnage d'Osias n'est pas entièrement détestable. Bien sûr, il exploite sa femme mais ne prend pas ombrage de ses mauvaises fortunes conjugales et ouvre sa maison sans arrière-pensée à ceux qui en sont à l'origine. De l'émotion, de l'humour, de l'humanité avec des décors naturels - le sertão - magnifiquement filmés.

TV. 13° épisode de Six Feet Under, le dernier de la saison, riche en promesses pour la prochaine. Qu'allons-nous faire de nos dimanches soirs en attendant que celle-ci soit diffusée ?

Lecture. "J'écris Paludes" (Bertrand Poirot-Delpech, Gallimard, coll. L'un et l'autre, 2001)
C'est à un exercice d'admiration que se livre ici Bertrand Poirot-Delpech. Il nous parle de l'importance qu'a eue pour lui le livre de Gide du moment où, jeune étudiant dans le Paris de l'après-guerre, il le découvrit, jusqu'à aujourd'hui où il déclare le relire tous les ans - ce qui, malgré mon intérêt, ne risque tout de même pas de m'arriver. Encore une fois, il me semble que l'engouement pour Gide est une question de génération. Poirot-Delpech essaie de replacer le livre dans son contexte historique, histoire événementielle, histoire des idées, histoire personnelle de lui-même et de Gide. Plus loin, il va rechercher les traces que Gide a laissées chez les autres écrivains, Mauriac, Malraux, Camus mais aussi Sarraute, Robbe-Grillet et Barthes. Gide père du Nouveau Roman ? Pourquoi pas, l'histoire racontée dans Paludes étant une non-histoire, l'écriture en étant le seul sujet. Cependant, il manque Perec, ce qui est étonnant car Bertrand Poirot-Delpech connaît Perec, qu'il mentionne parfois dans ses chroniques du Monde.
Le ton du livre est agréable, persuasif, aéré par des anecdotes intéressantes. Même s'il n'est pas totalement convaincant - affaire de génération, je le répète - l'auteur a le mérite de montrer que pour accéder à certains pans de la littérature, il faut des passeurs, des initiateurs (Magné pour Perec, Marthe Robert pour Kafka, Nowak pour Joyce...) - et il assume ce rôle, concernant Gide, avec bonheur.

LUNDI.
Ouverture de la saison de Formule 1. Sur le chemin du retour du collège, mon pot d'échappement commence à se détacher. Tout automobiliste normalement constitué, face à une telle situation, s'arrête et essaie de remédier à la chose en arrachant ou rattachant la
pièce défectueuse. Je n'en fais rien et poursuis ma route en priant pour que ça passe, que je puisse atteindre la maison et n'y plus penser, rentrant les épaules pour éviter le regard des autres automobilistes intrigués par le potin d'enfer que je fais. Arrivé à la crèche, au moment
de me garer, le pot se met en vrille, se coince sous le châssis, défonce et transperce le pare-chocs et soulève la voiture à la manière d'un cric. Impossible d'avancer ou de reculer. Il fait beau. Tout le personnel de la crèche, enfants et monitrices, est dans le petit jardin qui
surplombe le parking. Quarante paires d'yeux goguenards me contemplent en train d'essayer de décoincer la pièce récalcitrante à grands coups de savate. J'ai rarement eu aussi chaud. Le garagiste à qui je montre les dégâts dans la soirée est hilare, dit qu'au cours de sa longue carrière - il a l'âge d'avoir réparé des Juva 4 - il n' a jamais vu ça.

Courrier. Lettre de B., qui s'est mise à Perec.

Courriel. Réactions aux notules. D.R. fait le parallèle entre La Ligne verte et Breaking the Waves. H., qui vit aux États, m'assure que les crétins du Colorado n'ont rien à envier à ceux des Alpes.

MARDI.
TV. Le Procès (The Trial, Orson Welles, France, 1963 avec Anthony Perkins, Jeanne Moreau, Romy Schneider, Elsa Martinelli, Orson Welles, Suzanne Flon, Madeleine Robinson, Fernand Ledoux, Michael Lonsdale).
"On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin."
Le livre-énigme de Kafka à adapter, voilà un défi qu'Orson Welles a dû trouver à sa (dé)mesure. On retrouve bien dans le film tous les éléments du roman, parfois un peu bousculés, comme la parabole du Gardien qui tient ici lieu de prologue. Welles s'est permis
quelques ajouts, comme la présence d'un ordinateur - modèle 63, donc gigantesque - qui a parfaitement sa place dans cet univers. En revanche, quelle drôle d'idée d'avoir utilisé, à la place du couteau dans le cœur, un fagot de bâtons de dynamite pour l'exécution de K. qui
est suivie d'un champignon atomique.
Orson ne cherche pas - à part dans cette dernière séquence - à donner à tout prix une interprétation au Procès. Ce qui l'intéresse, c'est la recherche formelle, la reproduction de l'univers de Kafka. Pour cela, il utilise la profondeur de champ, qui lui permet d'agrandir l'espace. Le travail du décorateur est exceptionnel - l'appartement de l'avocat,celui du peintre, la salle du tribunal (qui n'est autre que la gare d'Orsay !), le lieu de travail de K. Les scènes de foule sont particulièrement réussies, la sortie des bureaux et la séance de tribunal. Pour marquer la faiblesse de Joseph K., Welles le représente soit isolé dans un espace vide, soit face à un personnage occupant une position dominante (le juge sur l'estrade, le curé en chaire, l'avocat juché sur son lit). La seule composante chaleureuse de ce monde déshumanisé est représentée par les femmes qui sont porteuses d'une tentation et d'une sensualité refusées par Joseph K., comme d'ailleurs par Kafka dans sa vie. S'il est parfois un peu bavard, Le Procès est le film somme toute respectueux d'un grand formaliste.

MERCREDI.
Courrier. Je reçois un double CD intitulé Hollywood 1927-1950, les plus grands thèmes chantés du cinéma. Régal en perspective.

Retour à la terre. Première incursion de la saison dans le jardin où je nettoie toutes les immondices abandonnées par les représentants de tous les corps de métier au cours des travaux.

Cinéma. Monsieur Batignole (Gérard Jugnot, France, 2002 avec Jules Sitruk, Gérard Jugnot, Michèle Garcia, Jean-Paul Rouve, Alexia Portal, Violette Blanckaert, Daphné Baiwir, Götz Burger).
Paris, juillet 1942. Les hasards de la guerre amènent Edmond Batignole, charcutier-traiteur plutôt coulant avec les Allemands, à cacher le fils de ses voisins juifs.
Gérard Jugnot est à mes yeux un cinéaste estimable qui réussit toujours à gratter avec bonheur un petit pan de réalité. Pour la première fois, il quitte l'époque contemporaine pour illustrer, après tant d'autres, les années d'Occupation. Il livre ce que Besson appelle - mais lui voudrait que tout le cinéma soit comme ça - un "objet gentil". Le parcours d'Edmond Batignole, de la collaboration passive à l'héroïsme, est exemplaire, formidablement pédagogique. On peut sans hésiter mettre le film aux programmes d'histoire et d'éducation civique des élèves français. On ne va pas chipoter sur les invraisemblances qu'on peut déceler ici ou là, elles servent le récit qui rebondit quand il faut, s'il ne contient aucune surprise. On frôle parfois le film édifiant, iconique, mais heureusement les tentations de Jugnot cinéaste sont rattrapées par Jugnot acteur. Dans l'émotion il s'arrête juste à temps, dans le comique il est épatant. Il y a en particulier a une scène où Batignole, boucher, est pris pour un médecin (merci Molière) et doit soigner une entorse du genou qui est
hilarante.
Après avoir recueilli le jeune Simon, plus ses deux cousines, Edmond s'est mis en tête de les faire passer en Suisse. Ils séjournent alors un moment près de Morteau, dans le Haut-Doubs, et tout ce passage est un rappel du Grand Chemin, jusqu'à la scène de dépeçage du lapin à qui on "enlève son pyjama".On sent alors malheureusement un peu trop la patte du Conseil Régional de Franche-Comté, vertes prairies et forêts ombreuses, qui fait sa promotion touristique.
Monsieur Batignole permet à Jugnot de jeter un coup d'œil sur sa carrière passée : dans un parc, il photographie un officier allemand et on se souvient que l'un de ses tout premiers rôles était celui d'un photographe dans Le Juge et l'assassin de Tavernier; ailleurs il est dit que "le père Morel est une ordure"...; enfin comment ne pas se rappeler Papy fait de la résistance où Jugnot jouait Adolfo Ramirez, le collabo hystérique.
Faire du cinéma grand public sans mépriser le public, c'est le métier de Gérard Jugnot et il le fait consciencieusement.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y. (Le Monde), à l'A.G.P. (Le Monde) et une lettre à Bertrand Poirot-Delpech à propos de son livre.

TV. In The Mood For Love (Wong Kar-Wai, France - Hong-Kong, 2000 avec Maggie Cheung, Tony Leung).
Hong-Kong 1962. M. Chow et Mme Chan sont voisins de palier. leurs conjoints sont souvent absents, ce qui les rapproche. Ils en viennent à soupçonner une liaison entre Mme Chow et M. Chan et sont tentés de les imiter.
Comparé à ce que je connais de Wong Kar-Wai (Les Anges déchus) et du cinéma asiatique hors Japon, ce film est d'une limpidité surprenante : une histoire simplissime, peu de personnages, ce qui évite les confusions. A partir de là, on peut se consacre à
regarder le film, sans se torturer les méninges à essayer de savoir qui est qui et qui fait quoi. Les images de Wong Kar-Wai sont d'une beauté à couper le souffle. Tout ce qu'il montre est gracieux : les mouvements d'appareil, les couleurs, rien que les robes de Maggie Cheung... Rarement le ralenti a été aussi bien utilisé, les personnages sont aériens, portés par le thème de valse qui les accompagne tout au long de leur histoire. Celle-ci est empreinte d'une grande tristesse : Chow et Chan s'interdisent l'amour qu'ils se portent pour ne pas imiter leurs conjoints. Plus tard, lorsqu'ils seront séparés de ceux-ci, dans la possibilité de vivre leur amour, ils se rateront, de rendez-vous manqué en rendez-vous manqué.
Un million d'entrées en France pour un film où il ne se passe pratiquement rien, ça prouve que Wong Kar-Wai a réussi à faire passer sa magie. Du grand art.

VENDREDI.
Transparence. Au cours d'un conseil de classe auquel j'assiste avec mon bagout habituel, un collègue s'exclame : "C'est tout de même dommage que le prof d'anglais ne soit pas là" alors que je suis assis à deux chaises de lui. Je pouffe. En silence.

TV. Le Genou de Claire (Eric Rohmer, France, 1970 avec Jean-Claude Brialy, Aurora Cornu, Béatrice Romand, Michèle Montel, Laurence de Monaghan, Fabrice Luchini).
Annecy. Jérôme fait la connaissance, peu avant son mariage, de Mme Walter et de ses deux filles, Laura et Claire.
Il faut reconnaître à Éric Rohmer un certain culot. Celui de construire des films à partir de trois fois rien, des films beaucoup plus oraux que visuels. Ici, un homme mûr s'amuse avec une adolescente puis est attiré par sa sœur qui a de beaux genoux.
Passionnant. Alors on s'irrite, on soupire, on s'endort, on rembobine la cassette pour voir ce qu'on a manqué (c'est à dire rien) mais peu à peu, un certain charme s'installe et on finit conquis. J'avais déjà constaté le phénomène avec Conte d'automne, qui faisait partie d'un autre cycle rohmérien (on est ici dans celui des Contes moraux).
Les dialogues, extrêmement écrits, portent sur les relations entre hommes et femmes, la fidélité, la séduction, vérité et mensonge dans les sentiments, marivaudage, libertinage... On remarque la présence de deux comédiens qui deviendront des piliers du cinéma de Rohmer : Luchini et Romand.

SAMEDI.
Emplettes. Je visite un nouveau libraire d'occasions chez qui je trouve le Série Noire n° 419 (La Reine des pommes de Chester Himes, déjà lu dans une autre collection). J'achète des fleurs à repiquer, des patates à planter.

Jardin. Plantation de primevères et de pensées.

Santé. Lucie revient de Saint-Jean-du-Marché avec la crise d'asthme qu'elle récolte à chaque fois qu'elle se rend là-bas.

TV. Après la réconciliation (Anne-Marie Miéville, France-Suisse, 1999 avec Claude Perron, Anne-Marie Miéville, Jacques Spiesser, Jean-Luc Godard).
Conversation de salon.
Qui a jamais souffert devant un film de Godard devrait faire l'effort de regarder celui-ci, réalisé par sa compagne. Un Godard abscons lui apparaîtrait alors aussi léger qu'un dessin animé de Tex Avery. Je n'avais pour ma part jamais rien subi de tel. Des personnages assis dans des fauteuils occupés à se lancer des phrases creuses. Sidérant. De l'humour, peut-être ?

Rappel. Les précédents numéros des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°52 - 17 mars 2002

DIMANCHE.
Jardinage. Plantation de nouveaux fraisiers.

TV.
Pauline à la plage (Éric Rohmer, France, 1983 avec Amanda Langlet, Arielle Dombasle, Pascal Greggory, Feodor Atkine, Simon de La Brosse).
Marion et sa jeune cousine Pauline passent l'été dans une villa de Normandie. Marion retrouve un ancien amour, Pierre, qui aimerait renouer mais Marion lui préfère Henri, un séducteur sans scrupule. Pauline, de son côté, s'éprend du jeune Sylvain.
Bien qu'appartenant à un cycle différent, celui des Comédies et proverbes, Pauline à la plage est de la même veine que Le Genou de Claire vu la semaine dernière. On y trouve des personnages en villégiature, qui vivent sans aucune contrainte sociale - ils mangent, mais personne ne fait les courses - ce qui leur laisse tout le temps nécessaire pour s'interroger et discuter sur les sentiments qu'ils éprouvent les uns envers les autres.. Ici la grande question est de savoir si on peut trouver l'amour en un clin d'œil ou s'il doit être précédé d'un long travail d'approche. Marion, qui s'embrase immédiatement pour Henri, se brûle les ailes mais n'en retire aucune amertume : elle réessaiera plus tard avec quelqu'un d'autre... Le charme rohmérien est bien réel, je le constate de film en film, d'autant qu'ici on a un semblant d'intrigue - jalousie, dénonciation, trahison - qui faisait défaut au Genou de Claire.

Lecture. Du trop de réalité (Annie Le Brun, Éditions Stock, 2000).
Essai.
Annie Le Brun lance un cri de révolte contre les orientations prises par la société moderne. Il n'y a pas de différence pour elle entre l'affadissement de la vie culturelle et les dérives naturelles qui menacent la planète. Ses cibles, en vrac : la subvention qui a pris le pas sur la subversion, l'artiste étant devenu un animateur socio-culturel, la poésie d'élevage, l'érotisme dans le roman contemporain, la Bibliothèque François-Mitterrand, la récupération et la normalisation des rebelles (les situationnistes, les surréalistes - on imagine ce qu'elle doit penser de l'exposition qui vient de s'ouvrir à Beaubourg - Artaud, Rimbaud et Baudelaire qui ont donné leurs noms à des corps expéditionnaires de l'armée française...), la nouvelle muséographie (et sa mode des installations et des performances), la nouvelle architecture, le culte du pléonasme qui envahit le langage, l'identité (basque, homosexuelle, ou autre) qui remplace l'individualité, le sport, les vêtements... Elle essaie de tout rattacher à son concept de "trop de réalité" qui a pour corollaire, si j'ai bien compris, la perte de l'imagination et nous fait évoluer dans une virtualité réelle plutôt que que dans une réalité virtuelle.
Elle se réclame de Lautréamont, de Sade, de Rimbaud, de Baudelaire, d'Apollinaire, de Jarry, bref de gloires passées. Aucun contemporain ne trouve grâce à ses yeux. C'est là que ça devient un peu gênant car une fois son entreprise de dénonciation et de démolition terminée, qu'est-ce qui reste ? Annie Le Brun ? Elle aimerait peut-être nous en persuader mais il faudrait déjà qu'elle écrive des phrases un peu moins emberlificotées qui pourraient se comprendre à première lecture, qu'elle relise soigneusement ses épreuves ("Si les véritables amateurs connaissent ce sentiment qui les trompent rarement ...") et qu'elle cite correctement les œuvres (le livre de Julien Gracq qu'elle mentionne s'intitule En lisant en écrivant et non En lisant, en écrivant ce qui n'est pas tout à fait la même chose).

LUNDI.
Commémoration. Drôle d'anniversaire aujourd'hui. Le 11 mars 2001 aurait dû être marqué essentiellement par le premier tour des élections municipales mais tourna complètement différemment. Au matin, d'abord, j'envoyai à F. un courriel intitulé notules, comprenant
quelques remarques littéraires, cinématographiques et autobiographiques, premier numéro d'une série qui allait meubler tous mes dimanches matins jusqu'à ce jour. La chose, réservée dans un premier temps à un seul correspondant, fut proposée au cours des mois suivants à d'autres connaissances qui lui firent un accueil favorable, se mit petit à petit en forme, est désormais envoyée à une vingtaine d'adresses en Meurthe-et-Moselle, en Moselle, en Haute-Marne, en Aveyron, en Haute-Savoie, dans la Marne, dans les Bouches-du-Rhône, dans la banlieue parisienne, au Québec, à Vienne (Autriche), à Dallas (Texas)... et, grâce à un abonné compétent et efficace, est même disponible sur un site internet. Ce même jour, en milieu de matinée, Alice fut hospitalisée d'urgence et nous fit vivre une semaine de grande frayeur. Aujourd'hui, la santé va mieux, Lucie commence la semaine par un petit 39°, et finit la journée à 40°, comme d'habitude.

Stupeur et tremblements. Je trouve dans mon casier, au collège, un mot de mon principal m'avertissant de la visite, prévue jeudi, d'un inspecteur. C'était attendu, vu ma demande de changement de statut. Ce qui l'est moins, c'est qu'il s'agit du M. G. qui animait le stage auquel j'ai participé en décembre ou en janvier dernier et qui m'avait prodigieusement énervé.

MARDI.
Obsession. J'ai l'esprit hanté par cette inspection à venir. J'aimerais bien qu'il en soit autrement, jouer le détachement, l'indifférence, me dire que je ne risque pas grand-chose, que ce n'est qu'un mauvais moment à passer, je n'y arrive pas. Je peste contre ce
système infantilisant et dégradant. En une heure de temps, un type va juger l'ensemble de mon travail et décider des vingt prochaines années de ma vie. Dieu merci, personne au collège n'est au courant de ce qui m'attend, ce qui m'évite les encouragements, les tapes
dans le dos et les condoléances de la part de mes collègues.

Douceurs. Je demande à une collègue, qui part en voyage en Allemagne, de me rapporter du chocolat au "marzipan", histoire de retrouver quelques saveurs des vacances en Autriche. La nostalgie est aussi gustative.

Mail. Echanges ave N., qui m'envoie un photomontage de Johnny Depp et Buster Keaton, et avec F.

TV. Faites comme si je n'étais pas là (Olivier Jahan, France, 2000 avec Jérémie Rénier, Aurore Clément, Johan Leysen, Sami Bouajila, Alexia Stresi, Emma de Caunes).
Éric est un lycéen solitaire, peu communicatif. Il ne s'entend pas avec le nouveau compagnon de sa mère et passe son temps à observer ses voisins à la jumelle et à leur envoyer des lettre anonymes.
On est loin des grands films sur le voyeurisme, Fenêtre sur cour de Hitchcock, et Le Voyeur de Michael Powell, loin même de Pile ou face de Robert Enrico. Si le film tient tout de même à peu près debout, c'est grâce à Rénier, déjà remarqué dans La Promesse des frères Dardenne et très bon ici dans sa composition d'adolescent buté. Dire qu'on suit son cheminement avec intérêt, c'est autre chose. La fin précipitée de l'histoire - Éric réalise son fantasme en copulant avec ses voisins, mâle et femelle, son beau-père se suicide, il retrouve la sérénité auprès de sa mère et d'une petite amie du lycée - apparaît comme un soulagement.

MERCREDI.
Jardin. Installation d'un portique (pas par moi, on s'en doute), semis de capucines, premiers coups de bêche.

JEUDI.
Dies horribilis. L'inspecteur arrive à 8 heures 30. Je fais mon cours, qu'il écoute à peine, tout occupé qu'il est à feuilleter le cahier de textes de la classe et les cahiers des élèves avec une morgue toute balladurienne. Au cours de l'entretien qui suit, il balance rapidement quelques commentaires sur ce que je viens de faire, s'en dit non pas satisfait (ce genre de personnage n'est jamais satisfait) mais pas totalement mécontent, me trouvant même une "belle sensibilité littéraire". C'est la pommade avant l'estocade. Il se met ensuite à démolir consciencieusement tout ce que j'ai fait depuis le début de l'année : trop de ceci, pas assez de cela, me reprochant avant tout une trop grande désinvolture vis à vis des programmes et des instructions officielles. Ça dure une heure, mais très rapidement je me lasse d'essayer de m'expliquer, lui signifie que j'ai compris et que ce n'est pas la peine d'aller plus loin, me bute, n'opposant plus qu'un silence borné à ses demandes de justification, et finis par le remercier chaleureusement pour son aide. Il me signifie qu'il va transmettre son rapport à l'inspectrice en chef - car il n'est lui-même qu'un rouage, investi d'une petite parcelle de pouvoir dont il use avec jouissance à mon encontre - qui décidera de la tournure à donner à mon avenir professionnel. Je regagne la solitude de ma salle. J'aimerais me sentir soulagé mais c'est le sentiment d'humiliation qui domine. Je suis moulu, brisé, anéanti, n'ai qu'une envie : tout laisser en plan et me faire embaucher comme grouillot dans une pharmacie que je connais. Je m'en veux de m'être embarqué dans cette aventure (demander un changement de statut pour enseigner ce que j'aime), connaissant mon inclination pour l'échec qui fait que si j'avais demain à repasser mon permis de conduire on me conseillerait la trottinette. J'essaie de voir le bon côté des choses : plus jamais je ne me prêterai à cette mascarade, désormais je vais pouvoir continuer à travailler comme je le fais, car une chose est sûr, je ne vais pas changer ma méthode d'un iota. Elle me permet de vivre en bonne entente avec mes élèves, leurs parents, ma hiérarchie directe et ma conscience. Après tout, ça fait 18 ans que je marne dans cette turne, je vois ce que mes élèves deviennent et je n'ai pas à en rougir. Tant pis pour mes rêves de changement de carrière, de mutation, s'il le faut je resterai petit médiocre à Châtel, puisque je suis fait pour ça, dans le fond c'est bien chauffé. C'est vrai de toute façon que je n'entretiens qu'un rapport lointain avec les sacrosaintes instructions officielles que je n'ai d'ailleurs jamais lues, trouvant toujours dans mes rayonnages quelque chose de plus intéressant à me mettre sous la prunelle. Je pourrais faire semblant d'être contrit et me rendre, mercredi prochain, à la journée de stage animée par mon bourreau pour laquelle je suis convoqué mais je n'ai pas envie d'aller à Canossa. De fait, ma "belle sensibilité littéraire", j'ai bien envie de la lui carrer dans le fondement, fondement qu'il peut d'ailleurs s'astiquer avec ses instructions officielles armoriées. Il me faut maintenant un peu de temps pour que je cicatrise, pour que mes activités professionnelles retrouvent, au rang de mes préoccupations, la place que je leur ai toujours attribuée et que je n'aurais jamais dû m'autoriser à leur faire quitter, la dernière. Je donne mes cours suivants dans le brouillard, la gorge nouée, et rentre at home, même pas soulagé. Le plus dur est d'annoncer mon échec à Caroline. Comment ai-je pu être assez bête pour m'imaginer que ça allait bien se passer ?

Courrier. J'envoie des coupures à Y. (Le Monde, Télérama), ma cotisation à R.A.P. (Résistance à l'Agression Publicitaire), une commande de disque à Frémeaux et Associés, une lettre à Annie Le Brun à propos de son livre.

TV. Madame Sousatzka (Madame Sousatzka, John Schlesinger, G.-B., 1988 avec Shirley MacLaine, Peggy Ashcroft, Navin Chowdhry, Twiggy).
Londres. Marek est un jeune pianiste très doué. Sa famille aimerait monnayer son talent mais son professeur, Madame Sousatzka, s'y oppose.
Peut-être les inconditionnels de Shirley MacLaine trouveront-ils quelque intérêt à sa composition de vieille fille d'origine russe, professeur de piano rigoriste et intransigeant. les autres auront du mal à s'intéresser à cette histoire fade et sans surprise, filmée avec
platitude.

Sommeil. Je ne dors en général que 5 à 6 heures par nuit. Il importe donc que mon sommeil soit de qualité. Je m'endors toujours immédiatement : comme je ne sais plus quel personnage de Stendhal dans Lucien Leuwen, je n'entends pas tomber ma deuxième pantoufle. Cette fois, à cause de ce cher M. ., je peine à sombrer dans les bras de Morphée. Donc, outre les dommages collatéraux, cet homme me prive d'une heure de sommeil. Cette fois, je sais que je lui en veux. A mort.

VENDREDI.
Vie professionnelle (ou ce qu'il en reste). La première chose que je fais est de flanquer à la poubelle toute la paperasse officielle qui encombre mon bureau. Je me sens encore plus mal qu'hier. Je rase les murs mais ne peux éviter mon principal qui me coince dans un couloir. L'inspecteur a dû le mettre au courant car il m'annonce : "C'est embêtant, parce que je comptais un peu sur vous pour...". On parle déjà de moi à l'imparfait. C'est on ne peut plus réconfortant.

Compensation. Je noie ma déconvenue dans la surconsommation, achète un billet de train, des tas de livres et pars pour Paris.

SAMEDI.
Vie parisienne. Dans le bus qui m'emmène à Jussieu, une fille monte avec un bambin en poussette. Le chauffeur lui fait remarquer, pas très gentiment, que celles-ci doivent être pliées. La fille se rebiffe, l'envoie promener, le chauffeur monte sur ses grands chevaux (vapeur), le ton monte, on échange des noms d'oiseaux. Des voyageurs s'en mêlent, prennent parti pour l'un ou pour l'autre. Je songe aux 99 variantes des Exercices de style de Raymond Queneau : "Un jour vers midi, du côté du parc Monceau, sur la plate-forme arrière d'un autobus à peu près complet de la ligne S (aujourd'hui 84) ..." Le machiniste, excédé, finit par planter son bus en plein milieu du boulevard Saint-Germain et refuse d'aller plus loin. Je n'ai pas le temps d'écouter les palabres et négociations qui s'ensuivent et poursuis mon chemin à pied. Je ne peux m'empêcher d'être admiratif devant ces gens qui, à tort ou à raison et certes pour des motifs futiles, ne se laissent pas marcher sur les pieds, moi qui ressens fortement ces temps-ci ma vocation d'éternel piétiné. J'arrive juste à temps pour le
début du séminaire Perec. C'est la foule des grands jours : c'est Bernard Magné, le spécialiste numéro un qui parle, et il y a là Roland Brasseur, Paulette Perec, Jean-Pierre Salgas, le biographe de Gombrowicz, David Bellos qui a fait le voyage de Princeton, Bernardo Schiavetta de la revue Formules (celui qui me prend pour un journaliste du Nouvel Observateur), Hervé Le Tellier et Emmanuel Brouillard des Papous de France Culture. Magné fait le point sur ses vingt ans de recherches, axant sa communication sur ce qu'il appelle le métatextuel perecquien ("tout énoncé qui apporte une information dans un texte sur son écriture et/ou sa lecture", l'exemple le plus fameux chez Perec étant dans La Vie mode d'emploi la scène de la petite fille qui mord le coin d'un petit-beurre, l'angle manquant du biscuit se retrouvant dans la structure du roman auquel il manque un chapitre, celui qui devait décrire l'appartement situé au coin inférieur gauche du plan de l'immeuble). Magné est comme d'habitude captivant à écouter, plutôt obscur dans ses parties théoriques par son goût du parler universitaire (l'"ironie métatextuelle dénotative" précède de peu le "métatextuel dénotatif paradoxal", c'est dire) mais lumineux dans les exemples qu'il donne. Je déjeune au Petit Cardinal d'un bout de poulet aussi mou et filandreux que mon moral et passe l'après-midi à m'abîmer dans mon travail à la BiLiPo. Mon bus du retour n'ira pas non plus jusqu'à destination : le chauffeur s'arrête devant Notre-Dame, le boulevard Sébastopol étant bloqué par une manifestation. Il y a des jours, que dis-je, des semaines comme ça. Je rejoins la gare du Nord par le R.E.R. Parmi les centaines de voyageurs qui déambulent, c'est moi qui suis sélectionné par un grand diable plutôt agressif pour être délesté de quelques euros. A ce stade, je n'en suis de toute façon plus à une mortification près.

Voyage. Ça peut sembler surprenant, mais le train ne déraille pas.

Bon dimanche.

Rappel. Les précédents numéros des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/

 

Notules dominicales de culture domestique n°53 - 24 mars 2002

DIMANCHE.
Cicatrisation. Plusieurs faits convergent pour me faire, sinon oublier, du moins effacer du premier plan de mes préoccupations mes déboires professionnels. D'abord, la rédaction des notules au matin. Les vertus cathartiques de l'écriture sont pour moi bien réelles.
Ensuite, à peine les notules envoyées, les messages de sympathie arrivent (n'aurais-je d'ailleurs pas relaté mon aventure que pour les solliciter ?) : R., G.N. qui a subi le mois dernier une inspection menée par le même genre d'olibrius. D'autres suivront dans la semaine.
Enfin, je passe l'après-midi dans le jardin. Les filles inaugurent le portique, je goûte le côté apaisant des sermons des carêmes protestant et catholique que j'écoute à la suite en plantant des pois et des mange-tout, en semant de la batavia rustique et en cueillant et nettoyant la mâche rescapée de l'hiver. Je donne mes premiers coups de bêche de la saison. Chaque lombric que je tronçonne du fer de ma bêche a la tête de M. G.. Un coup de téléphone de Ch., qui travaille avec moi, m'apprend d'ailleurs que l'homme est coutumier du flingage sans sommation. Ce qui continue à m'inquiéter, c'est que je ne sais pas jusqu'où s'étend le pouvoir de nuisance de cet individu. La transformation de mon poste est déjà budgétée, peut-on mettre quelqu'un de compétent à ma place et m'envoyer planter mes choux ?

Lecture. Au pire qu'est-ce qu'on risque ? (What's the Worst That Could Happen ?, Donald Westlake, 1996, 2001 pour la traduction française, Rivages coll. Thriller, traduit de l'américain par Marie-Caroline Aubert).
Dortmunder est surpris au cours d'un cambriolage. Sa victime, le magnat Max Fairbanks, non content de le menacer d'une arme et de le faire embarquer par la police, lui vole sa propre bague porte-bonheur. Dortmunder est prêt à tout pour la récupérer.
Retrouvailles avec Dortmunder, le cambrioleur neurasthénique, après Histoires d'os dont la traduction date de 1996. Il est à nouveau embarqué dans un coup gigantesque, braquant deux maisons à New York, une chambre du Watergate à Washington pour finir par un casino à Las Vegas. Tout ça pour récupérer une bague de pacotille. Au fur et à mesure qu'il avance dans son œuvre, Westlake donne une dimension sociologique à ses livres - voir ceux qui se déroulent dans le milieu du journalisme, Faites-moi confiance et Moi, mentir ?. Avant, il me semble que Dortmunder apparaissait comme un farfelu dans un monde normal alors qu'ici c'est lui qui apparaît comme normal - dans la limite de ses activités "professionnelles" - et le monde qui ne tourne pas rond. Westlake se régale avec la peinture de Las Vegas et de ses occupants, qui sert de cadre au casse final. Une dimension sociale aussi avec le personnage de Max Fairbanks, multimilliardaire caricatural dont on apprécie le châtiment.
Extrait : "Ils rentraient du cinéma sous la pluie. May adorait le cinéma, aussi y allaient-ils de temps en temps, même si Dortmunder ne voyait pas ce que ça avait de tellement intéressant, en dehors d'un tas de gens qui n'avaient pas besoin de bague porte-bonheur. Quand ces gens que l'on voyait dans les films se postaient devant un arrêt de bus, le bus arrivait dans la seconde. Quand ils sonnaient à la porte, la personne qu'ils venaient voir devait les attendre derrière le battant, parce qu'elle ouvrait illico. Quand ils allaient braquer une banque, ces gens dans les films, ils trouvaient toujours un endroit où se garer juste devant. Quand ils tombaient d'un immeuble, ce qui arrivait fréquemment, ils ne jetaient même pas un coup d'œil en bas, ils se contentaient de tendre la main et voilà qu'une hampe de drapeau était déjà en place, tellement pratique pour s'accrocher en attendant que la charrette remplie de foin passe juste en dessous."

Cicatrisation (suite). Je remonte la pente : 0,45 € de gains au PMU.

LUNDI.
Vie professionnelle. Pas envie de voir le monde. Je m'applique à arriver le premier à l'école, à en repartir le dernier et me déguise en ectoplasme pour ne voir personne.

TV. Virgin Suicides (The Virgin Suicides, Sofia Coppola, U.S.A., 1999 avec James Woods, Kathleen Turner, Kristen Dunst, Hanna Hall).
Années 1970, Michigan. Les cinq filles du professeur Lisbon se suicident. Les garçons du voisinage essaient de comprendre.
Papa Coppola est à la production, le frère est réalisateur pour la deuxième équipe, Sofia est bien entourée. Ce qui ne l'empêche pas de signer un premier film particulièrement intéressant, très personnel, bourré d'idées et cinématographiquement très riche.
La première idée, c'est celle du scénario, qu'elle signe, adapté du roman d'un certain Jeffrey Eugenides. Le contraste est terrible entre les promesses données par ces cinq filles et l'issue de leur vie. Sofia Coppola nous montre, multipliée par cinq, l'image quintessencielle de la
jeune fille américaine parfaite : blanche, blonde, belle et ayant pour préoccupation principale celle de savoir qui la mènera au bal de fin d'année du lycée. Mais il y a une fêlure : l'une d'elles, Cecilia, réussit à se suicider à sa deuxième tentative. Les parents - parfaits Woods
et Turner - vont alors construire une barrière entre leurs quatre filles et le monde. Les filles manquent d'air : on leur tolère parfois un galant quand celui-ci se contente de venir regarder la télévision avec la famille. Le bal de fin d'année, à l'issue duquel l'aînée découche, aura pour
conséquence l'interdiction totale de sortir, même pour aller à l'école. Tout manque d'air, d'ailleurs : les ormes devant la maison sont en train de crever, le lac s'emplit d'algues qui empuantissent l'atmosphère. Les jeunes voisins, tous plus ou moins amoureux des filles, ne
peuvent plus les voir qu'à la jumelle. Elles se tuent, ils doivent survivre avec leur nostalgie et leur chagrin.

MARDI.
TV. Hitcher (The Hitcher, Robert Harmon, U.S.A., 1985 avec Rutger Hauer, C. Thomas Howell, Jennifer Jason Leigh, Jeffrey DeMunn).
Sur une route déserte du Texas, le jeune Jim Halsey charge un auto-stoppeur. Celui-ci le menace d'un couteau et lui apprend qu'il n'en est pas à son premier crime. Ni à son dernier. Le problème, c'est que Jim est pris pour le tueur et pourchassé par la police.
Au bout de dix minutes, on a compris qu'on ne parlerait pas de subtilité à propos de ce film. Tout est lourd : la musique, les comédiens qui en font des tonnes, les effets (cochonnerie de ralenti !). On voit que Harmon cherche à s'inspirer du Duel de Spielberg, de Speed (un autre produit formaté, mais plutôt efficace) et des Nerfs à vif version Scorsese pour le côté indestructible du méchant.
Impossible de ne pas trouver ridicules les gesticulations de C. Thomas Howell et les mines inquiétantes de Rutger Hauer. Quant au rôle féminin, n'en parlons pas. Pourtant, il y avait peut-être matière à quelque chose d'intéressant dans la relation entre les deux personnages,
dans la fascination qu'exerce le tueur sur son souffre-douleur. Robert Harmon ne s'approche jamais de ce terrain, préférant multiplier à l'envi les rebondissements totalement artificiels de l'action.

MERCREDI.
Bibliothèque municipale. J'y lis la presse du jour pendant que Lucie assiste à l'Heure du conte.

Mauvaises nouvelles. Visite d'O. B. qui nous apprend que son frère H. a fait une chute de vingt mètres au cours d'une séance d'escalade près de Marseille où il habite. Fractures du crâne et forts riques de perte d'un œil. Heureusement, la colonne vertébrale n'est pas atteinte et il n'a pas perdu conscience. J'avertis ses connaissances par le biais d'Internet.

JEUDI.
Voyage. Mes parents partent pour Vienne. Ce voyage était offert à Caroline pour avoir vendu beaucoup de pastilles Drill mais il nous était impossible d'en profiter et nous avons dû le leur refiler, ce dont je me félicite. Ils ont bien l'âge de faire leur baptême de l'air.

Courrier. J'envoie des coupures à Y. (Le Monde) et à l'AGP (Libération).

TV. Magnolia (Paul Thomas Anderson, U.S.A., 1999 avec Tom Cruise, Julianne Moore, William H. Macy).
En Californie, dans la vallée de San Fernando, les destins croisés de neuf personnes qui vivent un moment-clé de leur existence, au cours d'une seule et même journée.
Anderson a choisi de pousser jusqu'à la limite la logique du montage parallèle : le film dure plus de trois heures au cours desquelles on suit un gamin surdoué qui refuse de continuer le jeu télévisé dont il est la vedette, le dirigeant d'une espèce de secte machiste (Cruise, impressionnant) démonté en pleine gloire par une petite journaliste, un policier saint-bernard épris de justice qui trouve l'amour, une femme (Moore) qui se rend compte qu'elle aime le vieillard qu'elle n'a épousé que pour son argent et d'autres encore.
Certaines de ces vies resteront parallèles, d'autres se rejoindront, se croiseront à cause d'un hasard, le hasard qui fait parfois si bien ou si mal les choses comme Anderson le montre dans un prologue très réussi.
A partir de là, tout est une question de rythme. Il faut tenir le spectateur en haleine, capter son intérêt pour des personnages dont, faute de place, de temps, le réalisateur ne peut faire de portraits fouillés. Paul Thomas Anderson, qui sait choisir ses sujets (voir son Boogie Nights, sur une star masculine du cinéma porno), s'en sort plutôt bien. Il y a bien quelques scènes de confession longuettes à déplorer mais l'ensemble sait retenir l'attention.
Sur le sens qu'on peut donner au film, il n'est pas facile d'apporter une seule réponse. Anderson semble déplorer la fausseté, l'artifice des rapports humains, les masques derrière lesquels se cachent les êtres et qui empêchent tout rapport sincère. La pluie de grenouilles qui tombe à la fin du film pourrait alors bien être un châtiment divin sans frais mais avec frai) pour l'instant, ou plutôt un avertissement.

VENDREDI.
Vie scolaire. Ch. m'offre, pour me consoler de mes déboires, Le Portique de Philippe Delerm. En quatrième de couverture : "Philippe Delerm décide de tracer, non sans une certaine distanciation humoristique, le portrait d'un professeur de lettres entre deux âges avec ses fêlures, ses questions, et ses tentatives pour échapper au mal-être qui l'assaille." Bon, les fêlures, les questions, le mal-être, je veux bien mais entre deux âges ? Et-ce ça qui l'a fait penser à moi ? Une collègue retour d'Allemagne m'offre les tablettes de chocolat au marzipan commandées, un autre me demande de lui rapporter des produits de la pharmacie, les profs de sport veulent s'approvisionner en bandelettes (pour emmailloter les mains des élèves qu'ils initient à la boxe) auprès de Caroline. Difficile, dans des conditions de continuer à faire la gueule, surtout à des gens qui ne me veulent que du bien. Allez, c'est décidé, lundi je cesse de me terrer. En attendant, je quitte le collège à 20 heures après un exercice honni entre tous : la rencontre avec les parents d'élèves. Un rêve : enseigner dans un orphelinat.

Lecture. Le cachet de la poste (Jean-Pierre Le Goff, Gallimard, coll. l'arbalète, 2000).
Feuilles volantes.
La démarche de Jean-Pierre Le Goff n'est pas entièrement littéraire. Elle se situe à mi-chemin entre les initiatives du Latourex (Laboratoire de Tourisme Expérimental) et les travaux du Québécois Robert Racine (qui construisit par exemple un escalier dont la hauteur des marches était proportionnelle à la longueur des chapitres de Salammbô de Flaubert et fit un jardin composé des définitions de tous les mots du Petit Robert collées sur des bouts de carton). Concernant les expériences de tourisme aléatoire, Le Goff, qui est passionné par les perles, organise un itinéraire qui relie tous les "Hôtels de la Perle" qu'il a pu trouver, fait un voyage qui traverse successivement Paris-Evreux-Rouen-Le Havre-Étretat (P.E.R.L.E.), se rend à Perles (Aisne) puis à Lhuître (Aube), etc.. A chacune de ses étapes, il organise une sorte de manifestation, d'installation pour commémorer l'événement. C'est son côté plasticien, qui tourne souvent à la pose, que je goûte moins, préférant de beaucoup son rôle de voyageur du hasard . Il joue aussi beaucoup avec les nombres et c'est alors l'influence de l'Oulipo qui apparaît.
Le livre est composé des lettres qu'il a envoyées au cours de ces dernières années à ses connaissances, et qui les invitent à le rejoindre sur tel ou tel itinéraire ou pour telle ou telle installation. Le ton en est souvent emphatique ("Je cherche à éprouver la sensation de tenir au monde en liant mes mots à une ficelle qui le calcule, cordon ombilical qui relie mes pensées et mes rêveries à la matérialité physique et géographique"). C'est dommage, ses expériences m'intéressent dans la mesure où il m'arrive d'en inventer et d'en pratiquer de semblables. Mais Le Goff a un gros travers dans lequel je dois m'efforcer de ne pas tomber : il se prend au sérieux.

SAMEDI.
Pétarades. Retour du marché (où j'ai déniché deux Série Noire préhistoriques dont le n° 2 de la collection), mon bus est pris dans une manifestation de "motards en colère" (sic)*. Si je comprends bien leurs revendications, ils souhaitent que le code de la route s'applique à tout le monde sauf à eux. L'approche des élections présidentielles fait éclore les corporatismes, chaque groupuscule y va de sa banderole. Après les motards en colère, nous aurons le cortège des aérostiers atrabilaires, la théorie des numismates hargneux, le défilé des fil-de-féristes ronchons, des pêcheurs à la ligne verts de rage, la manifestation des antipodistes vindicatifs et celle des scaphandriers irascibles. J'attendrai pour ma part que se mette en place le collectif des conjoints de pharmaciens asociaux pour aller battre le pavé.
* A ne pas confondre avec les tocards en molaires qui ne sont que de mauvais dentistes.

Vie sociale (justement). Visite de Ch. avec sa Garance qui joue un moment avec Lucie. J'arrive à voir quelques images du match de rugby Ecosse-France (10-22).

TV. Drame de la jalousie (Dramma della gelosia, Ettore Scola, Italie, 1970 avec Marcello Mastroianni, Giancarlo Giannini, Monica Vitti, Manolo Zarzo).
A Rome, Oreste, peintre en bâtiment, tombe amoureux d'Adélaïde qui le trompe avec Nello, son meilleur ami. Oreste quitte sa famille, le Parti Communiste, perd son travail et devient meurtrier.
L'histoire de ce trio est racontée en un long flash-back qui aboutit au meurtre dont la scène d'ouverture est la reconstitution. Tout est reconstitution d'ailleurs car les personnages s'interrompent fréquemment pour livrer leur témoignage directement à la caméra, s'adressant au président du tribunal qui juge Oreste. Les ingrédients sont la tragédie, la comédie, notamment avec le personnage truculent du magnat de la viande qui devient pendant un temps l'amant d'Adélaïde) et la politique : Oreste est communiste, il rencontre Adélaïde à la
Fête de l'Unita et tient des discours représentatifs de sa classe. On est en pleine heure de gloire de la comédie italienne, un genre qui ne m'enthousiasme pas vraiment. La faconde des personnages fait défiler les sous-titres à trop grande vitesse et la musique qui les accompagne est, elle, franchement insupportable.

Lecture. (Abrégé de littérature potentielle, Oulipo, Éditions Mille et une Nuits, n° 379, 2002).
Mise à jour.
Soixante pages pour faire un tour rapide de la littérature à contraintes en moins d'une demi-heure. Ça permet de rafraîchir les connaissances des lecteurs avertis et d'initier les débutants au palindrome, au lipogramme, à S + 7 et autres. Par rapport à l'ouvrage fondateur, La Littérature potentielle (Idées-Gallimard, repris en Folio-Essais), cet ouvrage a le mérite de proposer de nouvelles contraintes, comme les poèmes de métro de Jacques Jouet (poème composé dans le métro pendant le temps d'un parcours et comptant autant de vers que le voyage compte de stations moins un) ou les filigranes : "...dans un dictionnaire de référence, sélectionner un certain nombre de locutions contenant un mot donné. Effacer le mot dans chaque locution. Construire un court poème avec ce qui reste." Ce qui donne ce splendide raccourci consacré à l'œuf par Hervé Le Tellier : "Mollet dur mayo jaune."

Bon dimanche.

Rappel. Les précédents numéros des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/

 

Notules pascales de culture domestique n°54 - 31 mars 2002

LUNDI.
Mail. Au tour de Henry de me raconter une inspection catastrophe dont il fut victime - sans conséquences.

Diffusion. Un abonnement aux notules version papier, une proposition d'abonnement envoyée aux L., en Côte d'Or.

TV. Un crime au Paradis (Jean Becker, France, 2000 avec Jacques Villeret, Josiane Balasko, André Dussollier, Suzanne Flon).
Jojo Braconnier a épousé une mégère alcoolique et rêve de s'en débarrasser. Habilement, il va amener un avocat à lui souffler la solution de son problème.
Depuis L'Été meurtrier, il n'y a aucune prise de risque, aucune mise en danger dans le cinéma de Jean Becker. Ce n'est pas l'énorme succès des Enfants du marais qui allait bousculer les choses. On retrouve donc ici la même province figée, intemporelle (seule la menace de la guillotine permet de se situer), idéale (encore un Conseil Régional remercié dans le générique), habitée par des personnages types : le cafetier, le garagiste, l'épicière, l'institutrice. Mieux, Becker réutilise les comédiens de ses précédents films : Villeret dans son éternel rôle de benet pas si bête, Dussollier, Flon, Gérard Hernandez, Roland Magdane, Jenny Clève... C'est dire que la composition de Balasko en ivrognesse redoutable est rafraîchissante car c'est la seule touche de nouveauté. La reconstitution du crime est amusante, la joute oratoire entre Dussollier et Daniel Prévost n'est pas mal non plus mais le reste du temps, c'est du cinéma ronron.

Lecture. Le portique (Philippe Delerm, Éditions du Rocher, 1999).
Sébastien est professeur de lettres. Il glisse dans la dépression jusqu'au moment où la visite d'un inspecteur qui n'apprécie pas son travail lui redonne goût à la vie.
Ch. ne m'a pas offert ce livre par hasard. Le morceau de bravoure que constitue l'inspection de Sébastien m'est bien sûr allé droit au cœur, d'autant que les reproches qu'on lui fait sont exactement ceux que j'ai entendus. Le fait que Sébastien se rebiffe, se justifie et envoie paître son inspecteur a avivé mes regrets d'être resté si passif mais entre un personnage de roman et ma personne, il y a des différences difficiles à gommer. Delerm, qui doit être du sérail, décrit assez justement le milieu enseignant, ce qui donne certes un intérêt à son livre pour ceux qui peuvent s'y reconnaître ou reconnaître quelqu'un.
Cependant, on se doute que Delerm vise plus haut, qu'il a une autre ambition : celle de faire œuvre de littérature. Il prend soin de glisser quelques noms dans son texte, Nerval, Proust, offre même une description de giroflée qui se veut peut-être le pendant du passage sur les aubépines dans La Recherche (ce qui ne l'empêche pas ailleurs d'écrire Boby Lapointe avec deux b). Pour Delerm, faire de la littérature, c'est une question de niveau de langue : au verbe ralentir, il préfère le ridicule s'alentir (deux occurrences : "cet imperceptible alentissement", "les paroles alenties"); lorsque Sébastien vidange sa tondeuse, ça donne : "il la couchait sur le sol et la laissait pleurer le sang visqueux, saumâtre, qui croupissait dans ses entrailles." (!) Parlant de la femme de Sébastien, Delerm écrit : "On ne pouvait imaginer Camille sans sa passion pour la viole de gambe." Voilà où en est la littérature selon Delerm (et selon ceux qui l'encensent chaque semaine dans les colonnes du Figaro littéraire).
Une sorte de "plaisir minuscule", pour reprendre son titre à succès, une chose vernie, confite, polie, bien époussetée. Tout ça donne envie de se plonger dans un bon San-Antonio !

MARDI.
Lecture. Roi, dame, valet (King, Queen, Knave, Vladimir Nabokov, 1928 pour la version russe, 1968 pour la version anglaise, 1971 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Georges Magnane, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade).
Le jeune Franz arrive à Berlin où il compte sur son oncle Dreyer pour lui procurer un emploi. Il devient l'amant de sa tante. Tous deux complotent la mort de Dreyer.
La différence entre Machenka, qui date de 1926 (cf. notules n° 9), et Roi, dame, valet est impressionnante. Alors que son premier roman était fortement marqué par l'autobiographie, Nabokov trouve ici un véritable sujet auquel il imprime une marque très personnelle. Ce sujet n'est pas follement original mais Nabokov donne un dénouement inattendu à cette aventure d'un trio classique mari-femme-amant. Alors que tout est en place pour l'assassinat de Dreyer, c'est sa femme qui meurt.
Celle-ci, Martha, s'ennuie auprès de son mari et rêve d'une nouvelle vie avec son jeune amant. On aura reconnu le canevas de Madame Bovary et Nabokov paie son tribut à Flaubert d'une manière évidente. Dans sa description de la bêtise des deux amants, la trivialité de leurs réflexions et de leurs actes, tout ce qui fait que c'est Dreyer, un bon gros bourgeois simple et jouisseur, qui en sort grandi. Dans de plus petits détails aussi comme cette broche en forme d'hirondelle que porte Martha lorsque Franz la voit pour la première fois, qui rappelle l'Hirondelle, la voiture qui relie Yonville à Rouen dans Madame Bovary. Il y en a des dizaines comme ça et on peut s'amuser à faire de Roi, dame, valet une lecture flaubertienne. Il y a certainement une autre lecture à faire, shakespearienne celle-là, via Hamlet, mais là je ne suis pas compétent. Pas besoin de saisir toutes ces allusions pour goûter l'humour féroce de Nabokov, un auteur auquel je ne regrette pas de m'être attaqué.

TV.
Le New Yorker (Benoît Griffin, France, 1998 avec Mathieu Demy, Grace Phillips, Shawn Elliott, Gretchen Cleevely, Don Williams).
Alfred débarque à New York pour revoir une Américaine rencontrée à Paris. Elle lui claque la porte au nez, il se retrouve à errer dans la ville, sans un sou.
Une bonne surprise avec ce premier film d'errance urbaine qui fait penser au premier Rohmer (Le Signe du Lion) et à Amos Kollek (Sue perdue dans Manhattan). Alfred lutte pour s'approprier un lieu hostile, les échecs qu'il rencontre ne le font pas reculer : il veut devenir un "New Yorker", pas question pour lui de rentrer à Paris. Graffin filme la ville (en caméra DV) en sachant éviter les clichés, il aime Woody Allen et en a retenu les leçons. Alfred est marqué par les rencontres successives qu'il fait : un restaurateur indien qui l'emploie un moment, un membre des services de l'immigration qui l'oblige à se cacher, un ponte de la pègre, la fille de celui-ci qui le prend comme sujet de snuff-movie... A chaque fois, on pense qu'il va s'enfoncer définitivement, mais il s'accroche, rebondit et repart. Dans le rôle, Mathieu Demy est épatant.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un roman sélectionné pour le Prix René-Fallet, les derniers ouvrages de Gérard Mordillat et Henning Mankell.

Courrier. Carte postale de mes parents en séjour à Vienne.

Cinéma. A la folie pas du tout (Laetitia Colombani, France, 2002 avec Audrey Tautou, Samuel Le Bihan, Isabelle Carré, Clément Sibony, Sophie Guillemin).
Bordeaux. Angélique est amoureuse d'un cardiologue qui ne s'en rend pas compte, heureux qu'il est avec sa femme légitime qui attend un enfant.
Mais Angélique est prête à tout pour obtenir ce qu'elle veut.
Dans une première partie bien pénible, on suit les faits et gestes d'Angélique, ses manœuvres pour conquérir son médecin bien-aimé : cadeaux, petits mots doux, coups de téléphone, invitation au voyage. Les mines et les chatteries d'Audrey Tautou sont d'autant plus agaçantes que ses partenaires sont réduits au rang de silhouettes et qu'elle occupe tout l'écran. Ça commence à devenir intéressant lorsqu'on se rend compte que son acharnement a quelque chose de pathologique...
Mais là, patatras, retour en arrière, on reprend l'histoire depuis le début, du point de vue du cardiologue qui, on l'avait deviné depuis longtemps, ignore l'identité de celle qui le poursuit. Le ton est celui de la comédie, de la comédie poussive pour dire la vérité, et on se dit que sur un canevas semblable, on avait bien plus aimé Karin Viard amoureuse d'un dirigeant socialiste incarné par Pierre-Loup Rajot dans La Nouvelle Ève de Catherine Corsini.
Mais en suivant l'histoire du côté de Loïc, le médecin, certains faits qui paraissaient anodins dans la première partie prennent toute leur importance et révèlent la folie (érotomanie) d'Angélique. On a alors basculé du côté du thriller et on se demande comment ça va finir... La fin, qui voit Angélique sortir de l'hôpital psychiatrique, réserve d'ailleurs une belle surprise.
Je me suis d'abord dit que c'était tout simplement un film à moitié raté, soyons indulgent, à moitié réussi parce qu'il s'agit d'une première œuvre.
Avant de comprendre que que l'on avait affaire à une film roublard, que la mièvrevie de la première partie était intentionnelle et que je m'étais fait avoir dans les grande largeurs. Laetitia Colombani est beaucoup plus subtile que je l'avais cru à première vue. C'est cette erreur d'aiguillage qu'elle fait commettre au spectateur qui fait la valeur de son film, plutôt que la ficelle qui consiste à révéler la signification de certains indices factuels à la fin de l'histoire, procédé à la mode depuis Usual Suspects et Sixième sens.

JEUDI.
Courrier. Je reçois le n° 2 de l'intégrale Salvador parue chez Frémeaux et Associés et le n° 9 de la revue Histoires littéraires. J'envoie des coupures à Y. (Le Monde), à l'AGP (Le Monde, Le Figaro littéraire), un mot avec une proposition d'abonnement aux notules à I. en Allemagne, une carte à la Prévention Routière contre l'amnistie des infractions au code de la route.

Téléphone. Après avoir pris de ses nouvelles auprès de sa compagne, de sa sœur et de son frère, je réussis à joindre H. sur son lit d'hôpital. L'opération qu'il a subie hier (neurochirurgie et chirurgie maxillo-faciale) s'est bien passée. On lui a refait le front, la pommette, l'orbite avec son propre matériel osseux. Avec une élocution rendue difficile par sa mâchoire entravée, il me parle de sa douleur, de sa difficulté à s'alimenter, de sa grande fatigue qui met vite fin à l'entretien. Le chirurgien est satisfait de son travail et surtout de la façon dont il réagit et s'accroche. Il plaisantait dimanche avec T., qui l'assurait au cours de cette sinistre expédition en montagne...

Mail. J'envoie une revue de presse à l'AGP et des nouvelles de H. à ses connaissances.

TV. Happy Texas (Happy, Texas, Mark Illsley, U.S.A., 2000 avec Ally Walker, Jeremy Northam, Steve Zahn).
Deux taulards s'évadent et volent le camion de deux organisateurs de parades. Ils débarquent à Happy, petit bled texan où ils doivent jouer le rôle des deux organisateurs en question.
Pour corses la chose, les fugitifs sont pris pour un couple d'homosexuels, ce qui pourrait donner au film prétexte à devenir une farce lourde. Illsley évite le piège, comme il évite celui, tout aussi tentant, de dépeindre les habitants de Happy comme autant d'abrutis. Il se moque d'eux, mais gentiment, soulignant plus le manque d'affection dont ils souffrent - via les personnages du shérif (William H. Macy, déjà vu dans Magnolia) et de l'institutrice - que leur bêtise. Il y a des moments fort drôles, notamment quand Steve Zahn doit faire répéter des pas de danse à des bambins survoltés pour la parade à venir.
Le film se conclut sur le hold-up de la banque locale, sorte de point de passage obligé qui le fait retourner dans le banal et le convenu. On aura eu le temps toutefois d'apercevoir le talent d'un cinéaste prometteur.

VENDREDI.
Mail. Du Québec, G. m'annonce le prochain enregistrement du septième album du Rêve du Diable.

Courrier. Je reçois une lettre de Bertrand Poirot-Delpech (de l'Académie Française, tout de même), suite à mes remarques sur son livre concernant les rapports entre Gide et Perec : "Je vous remercie de la confiance et de l'attention subtile que vous manifestez dans votre lettre à propos de Paludes. Vous avez tout à fait raison de citer Perec parmi les auteurs influencés par le Gide de Paludes. etc." Si je mets cette lettre sur le plateau de la balance face aux remarques blessantes d'un petit flic de l'Éducation Nationale, je m'en trouve plutôt ragaillardi.

Lecture. Matilda (Matilda, Roald Dahl, 1988, traduit de l'anglais par Henri Robillot, Gallimard, coll. Folio junior n° 744).
Matilda est une enfant surdouée qui, à cinq ans, a déjà épuisé tous les rayonnages de la bibliothèque de son quartier. Son environnement familial entre un père escroc et une mère négligente ne favorise pas vraiment son épanouissement. Heureusement, à l'école, elle se fait une amie de Mlle Candy, son institutrice.
Il s'agit d'une lecture professionnelle, à des fins scolaires. La littérature pour la jeunesse ne m'intéresse absolument pas mais on a ici affaire à Roald Dahl, un polygraphe qui a du métier et dont j'avais apprécié la série télévisée Bizarre bizarre basée sur ses nouvelles policières. Il livre ici un récit sans surprise, plutôt amusant, surtout dans la peinture du milieu familial de Matilda. On y trouve à la fois un "roman familial" au sens freudien du terme et la structure du conte de fées avec la marâtre, l'ogresse, l'intervention du surnaturel et la bonne fée. Matilda est tellement nourrie de littérature qu'on se demande si c'est consciemment ou non qu'elle cite le Bartleby de Melville page 203 : "J'aimerais mieux pas."

TV. Premier épisode de la 8° saison de PJ. Léonetti claque l'argent qu'il a gagné au loto, une fille est violée au cours d'une garde à vue... C'est toujours assez plaisant.

SAMEDI.
Survivor. Passage de mon père que j'ai plaisir à revoir : au cours de la semaine, il a tout de même survécu à un voyage en avion et à une séance du conseil municipal, ce qui est assez remarquable par les temps qui courent.

Courrier. B. m'envoie une carte postale du monument aux morts de Lodève qui semble valoir le déplacement. La Société des Amis de Marcel Proust m'invite à la "Journée des aubépines" à Illiers-Combray, qui comprend un "goûter proustien à la maison de tante Léonie". (!)

Mail. Échange avec A., entre autres sur Tony Hillerman.

TV. Le Feu follet (Louis Malle, France, 1963 avec Maurice Ronet, Jeanne Moreau, Alexandra Stewart, Lena Skerla).
Alain Leroy sort de la clinique de Versailles où il est en cure de désintoxication alcoolique. Il est décidé à se tuer et souhaite, auparavant, faire le tour de ses connaissances.
Encore un film de vagabondage urbain, totalement désespéré celui-là. Alain Leroy a inscrit la date de sa mort sur le miroir de sa chambre, l'issue est connue et inévitable. S'il tient à revoir ses proches, c'est plus pour leur dire adieu, leur faire un dernier reproche ("Je me tue parce que vous ne m'avez pas aimé, parce que je ne vous ai pas aimés", dit le roman de Drieu La Rochelle dont le film est tiré) que pour trouver des raisons de se raccrocher à la vie. Son errance le mène chez un ami qui s'est rangé et mène une vie pantouflarde en rêvant de grand'œuvre, chez des activistes politiques qui trouvent leur salut dans l'action et le mépris du danger, chez de faux artistes prétentieux, chez des demi-mondains où il retrouve quelques anciennes conquêtes. Toutes ces rencontres renforcent sa détermination à en finir. La musique de Satie et le visage fatigué de Ronet donnent une noirceur profonde au film proche, sur cet aspect, de La Maman et la putain de Jean Eustache.

Joyeuses Pâques.

Rappel. Les précédents numéros des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/