Notules
dominicales de culture domestique n°50 - 3 mars 2002
DIMANCHE.
Crétins des Alpes. Comme nous
croûtons chez mes parents, je jette un œil sur les informations
télévisées. Deux skieurs français ont été
médaillés la veille dans une épreuve olympique. On
a donc un reportage sur la course, classique, mais immédiatement
après - comme j'avais déjà pu le remarquer en écoutants
Europe 1 en Autriche - un autre reportage nous emmène dans la station
alpine d'où le skieur mis à l'honneur est originaire. Foule
d'autochtones en liesse qui ont suivi la course par - 5° sur
un écran géant installé sur la place du village,
(des gens tellement chaleureux, un village tellement authentique qu'ils
n'ont même pas la télé chez eux), entretiens avec
le père du champion (ah, le bon petit !), sa fiancée, son
beau-frère, ah si son chien pouvait parler, le directeur de l'école
où il a appris à lire (il sait dans quel sens on doit tenir
ses skis pour qu'on en voie bien la marque), le patron du bistrot où
il a pris sa première cuite, que sais-je encore. Le but de tout
ça : attirer les gogos dans la station ainsi mise en vedette, opération
promotionnelle orchestrée par la municipalité, l'office
du tourisme et la chambre économique locale pour que le touriste
ait
l'impression qu'il a gardé en compagnie du champion les cochons
qui ont donné le lard de la tartiflette qu'il déguste dans
un restaurant typique qui se sent dès lors autorisé à
pratiquer les tarifs du Crillon. Je suppose qu'on filme ensuite aussi
le retour au pays du champion, avec les mêmes images des mêmes
abrutis en combinaison fluo agitant les mêmes cloches de vaches.
La cocarde ne suffit plus, il faut aussi le clocher. Les imbéciles
heureux qui sont nés quelque part...
Progrès. Alice n'appelle plus
sa mère "papa". En revanche, sa sœur est pour elle "tata"
ou quelque chose d'avoisinant. Il reste du chemin à faire.
TV. 12° épisode de Six
Feet Under. Dave fait son coming out.
Courriel. G.N. parle du concours de l'agrégation dont
il a passé les épreuves pendant les vacances. Les vidéos
des vieux films de gangsters avec James Cagney, Edward G. Robinson ou
Bogart que je lui avais passées lui ont été utiles
pour une composition sur "Organized crime in facts and on film :
repression versus expression", tant mieux. D.R. parle de date palindrome.
LUNDI.
Rentrée des classes. J'ai bien
du mal à me souvenir du nom de mes élèves. L'après-midi,
je suis tellement abruti que je profite d'un instant de répit pour
m'entourer la tête dans mon blouson et dormir un bon quart d'heure
affalé sur mon bureau.
Travaux. Cette fois, c'est la fin
: derniers joints de carrelage, derniers trous bouchés dans le
couloir, nouveau revêtement pour le trottoir.
Cinéma. Caroline va dormir
devant Cet amour-là, récit des dernières années
de Marguerite Duras.
Lecture. Trompe la mort (Hope
to Die, Lawrence Block, traduit de l'américain par Etienne
Menanteau, Éditions du Seuil, coll. Seuil Policiers, 2002).
Un couple de new-yorkais aisés est cambriolé et assassiné.
Peu après, les deux auteurs présumés sont retrouvés,
eux aussi abattus. L'enquête semble bouclée, sauf pour Matt
Scudder qui croit en l'existence d'un troisième homme.
Un très bon crû, cette dernière enquête de Matt
Scudder. Sa vie privée passe au second plan, malgré les
événements importants qui la perturbent (mort de son ex-femme,
ennuis de son fils qui a tapé dans la caisse de son patron) et
qui amènent toujours à se poser la même question :
Scudder va-t-il prendre prétexte de ces circonstances difficiles
pour se remettre à boire ? Non, il tient le coup (ce qui me rassure
d'un point de vue personnel pour la suite de mon existence). L'essentiel
du livre est donc consacré à son enquête, vraiment
passionnante. C'est un whodunit très classique dans un premier
temps, puis la traque d'un serial killer, dont les faits et gestes sont
portés à la connaissance du lecteur dans des chapitres qui
lui sont exclusivement consacrés. Scudder, privé sans licence,
ne dispose pas des moyens mis au
service des spécialistes des tueurs en série : pas de profil
psychologique, pas de fichier du F.B.I. ... Scudder doit s'en remettre
à son intuition, à son ingéniosité, à
son opiniâtreté et à ses connaissances (T.J., Elaine,
Mickey Ballou). A la fin du roman, le tueur est toujours dans la nature,
après avoir mis en scène sa disparition à l'aide
du cadavre d'un autre : est-ce à dire qu'on le retrouvera face
à Matt Scudder dans un autre volume ?
MARDI.
PMU. Pour la première fois
de ma déjà longue carrière de turfiste, je touche
un quinté dans le désordre. Intense satisfaction mais gains
misérables (une soixantaine d'euros).
Courriel. Y. m'envoie un bel aptonyme
: Annick Quignon, boulangère à Châlons.
Papilles. Nous poursuivons notre tournée
des bonnes tables locales avec un dîner aux Ducs de Lorraine pour
l'anniversaire de ma belle-mère. Croûte somptueuse dans un
décor qui ne l'est pas moins, l'ancien siège de la chambre
patronale des industries textiles.
MERCREDI.
Emplettes. Mes gains PMU m'autorisent
une belle rafle en librairie avec le quatrième volume de Kafka
en Pléiade, le dernier Westlake, L'Année du Monde 2001,
l'énorme biographie de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère,
un essai d'Annie Le Brun et un volume sur le Paludes de Gide.
Presse. Télérama publie
la mise au point d'un lecteur concernant le palindrome erroné publié
la semaine dernière. Malheureusement, ce n'est pas celle que j'avais
envoyée.
Courriel. Y. envoie les photos des
vacances autrichiennes.
Cinéma. Amen. (Costa-Gavras,
France, 2002 avec Ulrich Tukur, Mathieu Kassovitz, Ullrich Mühe,
Michel Duchaussoy, Marcel Iures, Ion Caramitru, Hanns Zischler, Sebastian
Koch).
Kurt Gerstein, officier SS allemand spécialiste de l'hygiène
est persuadé que le Zyklon B qu'il fournit à l'armée
sert à la désinfection des casernes.
Jusqu'au jour où un docteur lui fait visiter un camp d'extermination
polonais. Gerstein tente d'alerter l'opinion mondiale via les autorités
religieuses, avec l'aide d'un jeune jésuite qui veut faire réagir
le pape Pie XII.
Il y a l'intention. Celle, en adaptant la pièce de Rolf Hochhuth,
Le Vicaire, de dénoncer l'inertie du Vatican face au génocide
juif. Pie XII hésita à condamner clairement le nazisme parce
que celui-ci était un rempart commode contre le communisme qu'il
redoutait principalement et parce qu'il craignait que les Allemands s'en
prennent aux richesses patrimoniales du Vatican. L'arrestation, sous ses
fenêtres, des Juifs de Rome ne lui fit pas lever le petit doigt.
Mieux : nombre de dignitaires nazis, comme on le voit avec le personnage
du docteur, trouvèrent à la fin de la guerre refuge en Amérique
du Sud par l'intermédiaire des autorités catholiques.
Il y a aussi l'intention de présenter un personnage complexe, celui
de Gerstein, qui, d'une main, fournit le Zyklon B et de l'autre tire les
sonnettes pour dénoncer l'Holocauste. Arrêté par les
forces de libération, il se pendit dans sa cellule, non sans avoir
au préalable rédigé un rapport attestant l'existence
des chambres à gaz. Il fut réhabilité 20 ans plus
tard.
Les intentions, donc, mais aussi la manière. Et là, on est
au regret de mettre un petit bémol. Costa-Gavras, pour son retour
au cinéma de dénonciation - Z, Section spéciale,
L'Aveu - filme un peu à la truelle. Facile, le contraste entre
la nudité des plaines de Pologne envahies par le brouillard et
la neige et les ors des résidences vaticanes. Lourdaude la symbolique,
comme l'étoile jaune que le jeune prêtre (Kassovitz) épingle
à sa soutane...
Signe des temps : lorsque la pièce fut montée, en 1963,
l'Eglise poussa des cris d'orfraie, refusant le rôle qu'on donnait
à Pie XII. Aujourd'hui, les autorités catholiques n'ont
pas eu un mot critique (à peine a-t-on pu lire une tribune de Paul
Thibault, président de l'Amitié judéo-chrétienne
de France, dans La Croix et Henri Amouroux est sorti de la naphtaline
pour asséner dans Le Figaro Magazine que "le Vatican a[avait]
sauvé plus de juifs que les États-Unis") sur le contenu
du film, se contentant d'en blâmer l'affiche, dont le dessin mêle
la croix gammée et le crucifix dans une symbolique gros sabots
due au créateur des aussi subtiles publicités Benetton.
Lecture. Paludes (André
Gide, 1895, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade).
Curieusement, c'est par Perec que j'en suis venu à lire Paludes.
D'après son biographe David Bellos, Perec a écrit un pastiche
de Paludes en 1956-57 et vouait une grande admiration sinon à
Gide, du moins à ce livre. dans Quel petit vélo à
guidon chromé au fond de la cour ? (p. 51 en Folio) on
lit : "Il était six heures moins dix. Le vent fraîchit.
Nous fermâmes nos fenêtres et nous plongeâmes dans la
lecture de La Grande Encyclopédie...". On ouvre Paludes et
on trouve en guise d'incipit : "Vers cinq heures le temps fraîchit;
je fermai la fenêtre et me remis à écrire."
Ailleurs, le narrateur de Paludes s'exclame : "Savons-nous
quelles sont les choses importantes ? Quelle arrogance dans le choix !
- Regardons tout avec une égale insistance, et qu'avant le départ
excité, j'aie encore une calme méditation. Regardons ! Regardons
! - que vois-je ?
- Trois marchands de légumes passent.
- Un omnibus déjà.
- Un portier balaie devant sa porte.
- Les boutiquiers rafraîchissent leur devanture.
- La cuisinière part pour le marché.
- Des collégiens vont à l'école.
- Les kiosques reçoivent leurs journaux; des messieurs pressés
les achètent.
- On pose les tables d'un café..."
Perec saura s'en souvenir : "Observer la rue, de temps en temps,
peut-être avec un souci un peu systématique (...) essayer
de décrire la rue, de quoi c'est fait, à quoi ça
sert. les gens dans les rues. Les voitures." (Espèces d'espaces).
"Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, tout le reste, où
est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal,
le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra-ordinaire,
le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger,
comment le décrire ?" (L'infra-ordinaire). Le début
d'énumération de Gide trouvera son écho dans Tentative
de description de choses vues au carrefour Mabillon et dans la Tentative
d'épuisement d'un lieu parisien de Perec.
A part ça ? Heureusement qu'il y avait cette relation Gide-Perec
pour susciter mon intérêt et soutenir mon attention, car
je n'ai pas été enthousiasmé par ce livre, pas plus
que je ne l'avais été par Les Nourritures terrestres,
qui parut deux ans après Paludes. Le narrateur de Paludes
écrit ... Paludes, l'histoire d'un homme
qui vit dans un champ, près d'un marais, et qui ne cherche pas
à voir le monde autour de lui. Ses relations (celles du narrateur)
le pressent de leur en dire plus sur son œuvre en cours, il en livre des
extraits, s'adonne à des réflexions philosophiques et morales
sur le sens de sa vie, le besoin d'en changer ou non... Pas vraiment captivant,
d'autant que la langue de Gide est pleine d'afféteries qui vieillissent
mal : les écrivains y sont des "littérateurs",
il est question d'une nuit de chasse "fructifère"...
Lire Bertrand Poirot-Delpech pour en savoir plus.
JEUDI.
Mail. Échange avec un abonné
qui songe à se réfugier dans le silence. Lui suggérer
de lire Paludes ? J'envoie l'adresse d'un site oulipien en
langue espagnole à J.
Tracas. Caroline prend conseil auprès
d'un avocat au sujet des exigences financières pharaoniques d'un
architecte local dont le projet pour la rénovation de la pharmacie
n'avait pas été retenu.
Courrier. J'envoie des félicitations
aux parents d'un nouveau-né, des demandes d'éclaircissement
sur mon abonnement à Histoires littéraires, une demande
de documents à Joël Henry, du Latourex (Laboratoire de Tourisme
Expérimental), des coupures à Y. (Le Monde, Le Canard enchaîné),
à H. (La Liberté de l'Est), à l'Association Georges
Perec (La Liberté de l'Est, Le Monde, plus des photocopies de pages
du Rimbaud de Lefrère et des nouvelles radiophoniques).
TV. La Ligne verte (The
Green Mile, Franck Darabont, U.S.A., 1999 avec Tom Hanks, David Morse,
Michael Clarke Duncan, Gary Sinise, Harry Dean Stanton).
Paul Edgecomb a 108 ans, vit dans une maison de retraite. Il raconte ce
qui est arrivé en 1935 dans le pénitencier de Louisiane
où il était gardien-chef du quartier des condamnés
à mort et fut amené à conduire l'exécution
de John Caffey, un détenu innocent doté de pouvoirs surnaturels.
Du cinéma diablement efficace, qui manque certes de subtilité
mais qui fonctionne parfaitement. La première partie du film est
la plus réussie, qui nous montre la vie quotidienne du pénitencier.
L'équipe des gardiens est soudée, fait preuve d'humanité
avec les détenus. Ceux-ci passent un moment avec eux, sont exécutés
pour le bien de la société. Tout marche sans heurt, personne
ne s'interroge sur le système, accepté par les détenus,
par les gardiens et par Darabont qui les met en scène comme dans
La Dernière marche de Tim Robbins (cf. notules n° 40).
Un couple de méchants (un gardien et un détenu) vient pimenter
la chose, faciliter l'implication du spectateur dans le camp des gentils.
C'est alors qu'interviennent les pouvoirs de John Caffey, un Noir gigantesque
qui réussit à guérir Edgecomb d'une chaude-pisse,
à ressusciter une souris écrasée et à sauver
d'une tumeur la femme du directeur de la prison. Là, on touche
au grand-guignol (c'est tiré d'un livre de Stephen King et il faut
au moins le Kubrick de Shining pour réussir à transcender
du Stephen King) et le film part malheureusement en lambeaux, tire vers
le sentimentalisme grossier (l'exécution de Caffey entourée
de matons en larmes est, dans son genre, grandiose) pour s'achever dans
un message philosophique de bains-douches. On est alors tout surpris d'avoir
tenu jusqu'au bout (la chose dure tout de même plus de trois heures)
sans finalement trouver le temps long : c'est ça, l'efficacité.
VENDREDI.
O.M. Visite surprise de H., en provenance
de Marseille et de passage dans les Vosges. Il s'intéresse plus
que moi à l'existence de ses contemporains et comme d'habitude,
c'est lui qui, paradoxalement, nous donne des nouvelles de la vie spinalienne.
TV. Des pissenlits par la racine
(Georges Lautner, France, 1963 avec Louis de Funès, Michel Serrault,
Mireille Darc, Francis Blanche, Maurice Biraud).
Jockey Jack tue le truand Pom Chips et cache son cadavre dans l'étui
à contrebasse de son cousin Jérôme. Dans un premier
temps, il importe de se débarrasser du corps, puis, à partir
du moment où il s'avère que celui-ci recèle dans
une de ses poches un ticket de tiercé gagnant, de le retrouver.
Georges Lautner, qui vient alors de terminer Les Tontons flingueurs,
a trouvé la recette du polar parodique qui va devenir sa spécialité
: prendre un Série Noire (ici Y avait un macchabée...
de Clarence Weff), le franciser, confier les dialogues à Audiard
et l'interprétation aux piliers de la comédie de l'époque
(outre les acteurs cités, on a aussi Darry Cowl, Hubert Deschamps,
Philippe Castelli, Guy Grosso...). Ça marche très bien,
même si je n'ai pas très bien saisi le dénouement,
ce qui n'a aucune importance. Comme dans Les Tontons flingueurs,
il y a une séquence consacrée à une "party"
où on peut entendre une musique abominable. Louis de Funès,
qui n'était pas encore à son apogée, est d'autant
plus discret qu'il passe la majeure partie du film dans une malle en osier.
Ce qui permet la mise en valeur de Maurice Biraud, mon idole, qui est
ici le porteur des répliques d'Audiard les plus ciselées.
SAMEDI.
Courrier. Je reçois la bande
originale du film Accords et désaccords et la Symphonie
n°1 de Mahler.
TV. Défaite de l'Angleterre
contre la France dans le Tournoi des Six Nations de rugby. Tout ce qui
peut pourrir le Jubilé de la reine est à bénir. Cet
après-midi, c'est moi qui jubile.
Les Rivières pourpres (Mathieu Kassovitz, France, 2000 avec
Jean Reno, Vincent Cassel, Nadia Farès).
Un tueur en série sévit autour d'une université située
dans une ville de montagne. Le commissaire Niémans, un solitaire,
accepte l'aide d'un jeune lieutenant de police qui, lui, enquête
sur une histoire de profanation de sépulture. Les deux affaires
semblent liées.
Comme le roman de Jean-Christophe Grangé, le film apparaît
comme un objet efficace et sans nuance. il s'ouvre sur la vision du premier
cadavre avec une caméra qui s'attarde complaisamment sur toutes
les plaies qui le lacèrent et les divers insectes qui en sortent.
Le déroulement de l'intrigue est d'abord assez fidèle au
livre avant de s'en écarter franchement et d'aboutir à un
dénouement incompréhensible. Manifestement, Kassovitz s'en
moque. Ce qui lui importe, c'est d'enfiler les scènes d'action
spectaculaires (c'est un film à gros budget, ça se voit)
filmées "à l'américaine" avec force plongées
et contre-plongées. Reno correspond assez bien à l'idée
qu'on pouvait se faire de Niémans, Cassel compense son élocution
déplorable par un impressionnant jeu de jambes dans une scène
de bagarre digne des films de Jackie Chan.
On a voulu comparer le film à Seven mais on en est loin.
Rappel. Les numéros précédents des notules
sont consultables sur http://pdidion.free.fr/
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°51 - 10 mars 2002
DIMANCHE.
Cinéma. Caroline emmène
Lucie voir Oliver et Olivia dans le cadre de Ciné-juniors.
Je prends le relais avec La Vie peu ordinaire de Doña Linharès
(Eu, tu, eles, Andrucha Waddington, Brésil, 2000 avec Regina
Casé, Lima Duarte, Stênio Garcia, Luìs Carlos Vasconcelos,
Nilda Spencer).
Darlene, abandonnée par le père de son fils, épouse
Osias, riche et vieux barbon qui l'exploite de façon éhontée.
Elle se console dans les bras de plusieurs autres hommes qui lui donnent,
chacun à leur tour, trois autres fils.
Si j'essaie de comparer avec le seul autre film brésilien récent
que je connaisse, Central do Brasil, de Walter Salles Jr (remercié
d'ailleurs dans le générique), je peux dire qu'on trouve
dans les deux histoires un certain goût pour le mélo sulpicien.
Mais heureusement, ici c'est beaucoup moins pesant que chez Salles. Certes,
Darlene a tout pour susciter la compassion : elle doit élever
ses enfants, travailler dur dans une plantation de canne à sucre
et entretenir la maison sous l'œil de son mari qui passe sa vie allongé
dans un hamac à écouter la radio. Cependant, elle ne se
lamente pas, et trouve à se venger en se donnant à d'autres
hommes. De même, le personnage d'Osias n'est pas entièrement
détestable. Bien sûr, il exploite sa femme mais ne prend
pas ombrage de ses mauvaises fortunes conjugales et ouvre sa maison sans
arrière-pensée à ceux qui en sont à l'origine.
De l'émotion, de l'humour, de l'humanité avec des décors
naturels - le sertão - magnifiquement filmés.
TV. 13° épisode de Six
Feet Under, le dernier de la saison, riche en promesses pour la prochaine.
Qu'allons-nous faire de nos dimanches soirs en attendant que celle-ci
soit diffusée ?
Lecture. "J'écris Paludes"
(Bertrand Poirot-Delpech, Gallimard, coll. L'un et l'autre, 2001)
C'est à un exercice d'admiration que se livre ici Bertrand Poirot-Delpech.
Il nous parle de l'importance qu'a eue pour lui le livre de Gide du moment
où, jeune étudiant dans le Paris de l'après-guerre,
il le découvrit, jusqu'à aujourd'hui où il déclare
le relire tous les ans - ce qui, malgré mon intérêt,
ne risque tout de même pas de m'arriver. Encore une fois, il me
semble que l'engouement pour Gide est une question de génération.
Poirot-Delpech essaie de replacer le livre dans son contexte historique,
histoire événementielle, histoire des idées, histoire
personnelle de lui-même et de Gide. Plus loin, il va rechercher
les traces que Gide a laissées chez les autres écrivains,
Mauriac, Malraux, Camus mais aussi Sarraute, Robbe-Grillet et Barthes.
Gide père du Nouveau Roman ? Pourquoi pas, l'histoire racontée
dans Paludes étant une non-histoire, l'écriture en étant
le seul sujet. Cependant, il manque Perec, ce qui est étonnant
car Bertrand Poirot-Delpech connaît Perec, qu'il mentionne parfois
dans ses chroniques du Monde.
Le ton du livre est agréable, persuasif, aéré par
des anecdotes intéressantes. Même s'il n'est pas totalement
convaincant - affaire de génération, je le répète
- l'auteur a le mérite de montrer que pour accéder à
certains pans de la littérature, il faut des passeurs, des initiateurs
(Magné pour Perec, Marthe Robert pour Kafka, Nowak pour Joyce...)
- et il assume ce rôle, concernant Gide, avec bonheur.
LUNDI.
Ouverture de la saison de Formule 1. Sur
le chemin du retour du collège, mon pot d'échappement commence
à se détacher. Tout automobiliste normalement constitué,
face à une telle situation, s'arrête et essaie de remédier
à la chose en arrachant ou rattachant la
pièce défectueuse. Je n'en fais rien et poursuis ma route
en priant pour que ça passe, que je puisse atteindre la maison
et n'y plus penser, rentrant les épaules pour éviter le
regard des autres automobilistes intrigués par le potin d'enfer
que je fais. Arrivé à la crèche, au moment
de me garer, le pot se met en vrille, se coince sous le châssis,
défonce et transperce le pare-chocs et soulève la voiture
à la manière d'un cric. Impossible d'avancer ou de reculer.
Il fait beau. Tout le personnel de la crèche, enfants et monitrices,
est dans le petit jardin qui
surplombe le parking. Quarante paires d'yeux goguenards me contemplent
en train d'essayer de décoincer la pièce récalcitrante
à grands coups de savate. J'ai rarement eu aussi chaud. Le garagiste
à qui je montre les dégâts dans la soirée est
hilare, dit qu'au cours de sa longue carrière - il a l'âge
d'avoir réparé des Juva 4 - il n' a jamais vu ça.
Courrier. Lettre de B., qui s'est
mise à Perec.
Courriel. Réactions aux notules.
D.R. fait le parallèle entre La Ligne verte et Breaking
the Waves. H., qui vit aux États, m'assure que les crétins
du Colorado n'ont rien à envier à ceux des Alpes.
MARDI.
TV. Le Procès (The
Trial, Orson Welles, France, 1963 avec Anthony Perkins, Jeanne Moreau,
Romy Schneider, Elsa Martinelli, Orson Welles, Suzanne Flon, Madeleine
Robinson, Fernand Ledoux, Michael Lonsdale).
"On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir
rien fait de mal, il fut arrêté un matin."
Le livre-énigme de Kafka à adapter, voilà un défi
qu'Orson Welles a dû trouver à sa (dé)mesure. On retrouve
bien dans le film tous les éléments du roman, parfois un
peu bousculés, comme la parabole du Gardien qui tient ici lieu
de prologue. Welles s'est permis
quelques ajouts, comme la présence d'un ordinateur - modèle
63, donc gigantesque - qui a parfaitement sa place dans cet univers. En
revanche, quelle drôle d'idée d'avoir utilisé, à
la place du couteau dans le cœur, un fagot de bâtons de dynamite
pour l'exécution de K. qui
est suivie d'un champignon atomique.
Orson ne cherche pas - à part dans cette dernière séquence
- à donner à tout prix une interprétation au Procès.
Ce qui l'intéresse, c'est la recherche formelle, la reproduction
de l'univers de Kafka. Pour cela, il utilise la profondeur de champ, qui
lui permet d'agrandir l'espace. Le travail du décorateur est exceptionnel
- l'appartement de l'avocat,celui du peintre, la salle du tribunal (qui
n'est autre que la gare d'Orsay !), le lieu de travail de K. Les scènes
de foule sont particulièrement réussies, la sortie des bureaux
et la séance de tribunal. Pour marquer la faiblesse de Joseph K.,
Welles le représente soit isolé dans un espace vide, soit
face à un personnage occupant une position dominante (le juge sur
l'estrade, le curé en chaire, l'avocat juché sur son lit).
La seule composante chaleureuse de ce monde déshumanisé
est représentée par les femmes qui sont porteuses d'une
tentation et d'une sensualité refusées par Joseph K., comme
d'ailleurs par Kafka dans sa vie. S'il est parfois un peu bavard, Le Procès
est le film somme toute respectueux d'un grand formaliste.
MERCREDI.
Courrier. Je reçois un double
CD intitulé Hollywood 1927-1950, les plus grands thèmes
chantés du cinéma. Régal en perspective.
Retour à la terre. Première
incursion de la saison dans le jardin où je nettoie toutes les
immondices abandonnées par les représentants de tous les
corps de métier au cours des travaux.
Cinéma. Monsieur Batignole
(Gérard Jugnot, France, 2002 avec Jules Sitruk, Gérard Jugnot,
Michèle Garcia, Jean-Paul Rouve, Alexia Portal, Violette Blanckaert,
Daphné Baiwir, Götz Burger).
Paris, juillet 1942. Les hasards de la guerre amènent Edmond Batignole,
charcutier-traiteur plutôt coulant avec les Allemands, à
cacher le fils de ses voisins juifs.
Gérard Jugnot est à mes yeux un cinéaste estimable
qui réussit toujours à gratter avec bonheur un petit pan
de réalité. Pour la première fois, il quitte l'époque
contemporaine pour illustrer, après tant d'autres, les années
d'Occupation. Il livre ce que Besson appelle - mais lui voudrait que tout
le cinéma soit comme ça - un "objet gentil". Le
parcours d'Edmond Batignole, de la collaboration passive à l'héroïsme,
est exemplaire, formidablement pédagogique. On peut sans hésiter
mettre le film aux programmes d'histoire et d'éducation civique
des élèves français. On ne va pas chipoter sur les
invraisemblances qu'on peut déceler ici ou là, elles servent
le récit qui rebondit quand il faut, s'il ne contient aucune surprise.
On frôle parfois le film édifiant, iconique, mais heureusement
les tentations de Jugnot cinéaste sont rattrapées par Jugnot
acteur. Dans l'émotion il s'arrête juste à temps,
dans le comique il est épatant. Il y a en particulier a une scène
où Batignole, boucher, est pris pour un médecin (merci Molière)
et doit soigner une entorse du genou qui est
hilarante.
Après avoir recueilli le jeune Simon, plus ses deux cousines, Edmond
s'est mis en tête de les faire passer en Suisse. Ils séjournent
alors un moment près de Morteau, dans le Haut-Doubs, et tout ce
passage est un rappel du Grand Chemin, jusqu'à la scène
de dépeçage du lapin à qui on "enlève
son pyjama".On sent alors malheureusement un peu trop la patte du
Conseil Régional de Franche-Comté, vertes prairies et forêts
ombreuses, qui fait sa promotion touristique.
Monsieur Batignole permet à Jugnot de jeter un coup d'œil sur sa
carrière passée : dans un parc, il photographie un officier
allemand et on se souvient que l'un de ses tout premiers rôles était
celui d'un photographe dans Le Juge et l'assassin de Tavernier;
ailleurs il est dit que "le père Morel est une ordure"...;
enfin comment ne pas se rappeler Papy fait de la résistance où
Jugnot jouait Adolfo Ramirez, le collabo hystérique.
Faire du cinéma grand public sans mépriser le public, c'est
le métier de Gérard Jugnot et il le fait consciencieusement.
JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. (Le Monde), à l'A.G.P. (Le Monde) et une lettre à Bertrand
Poirot-Delpech à propos de son livre.
TV. In The Mood For Love (Wong
Kar-Wai, France - Hong-Kong, 2000 avec Maggie Cheung, Tony Leung).
Hong-Kong 1962. M. Chow et Mme Chan sont voisins de palier. leurs conjoints
sont souvent absents, ce qui les rapproche. Ils en viennent à soupçonner
une liaison entre Mme Chow et M. Chan et sont tentés de les imiter.
Comparé à ce que je connais de Wong Kar-Wai (Les Anges
déchus) et du cinéma asiatique hors Japon, ce film est
d'une limpidité surprenante : une histoire simplissime, peu de
personnages, ce qui évite les confusions. A partir de là,
on peut se consacre à
regarder le film, sans se torturer les méninges à essayer
de savoir qui est qui et qui fait quoi. Les images de Wong Kar-Wai sont
d'une beauté à couper le souffle. Tout ce qu'il montre est
gracieux : les mouvements d'appareil, les couleurs, rien que les robes
de Maggie Cheung... Rarement le ralenti a été aussi bien
utilisé, les personnages sont aériens, portés par
le thème de valse qui les accompagne tout au long de leur histoire.
Celle-ci est empreinte d'une grande tristesse : Chow et Chan s'interdisent
l'amour qu'ils se portent pour ne pas imiter leurs conjoints. Plus tard,
lorsqu'ils seront séparés de ceux-ci, dans la possibilité
de vivre leur amour, ils se rateront, de rendez-vous manqué en
rendez-vous manqué.
Un million d'entrées en France pour un film où il ne se
passe pratiquement rien, ça prouve que Wong Kar-Wai a réussi
à faire passer sa magie. Du grand art.
VENDREDI.
Transparence. Au cours d'un conseil de classe auquel j'assiste
avec mon bagout habituel, un collègue s'exclame : "C'est tout
de même dommage que le prof d'anglais ne soit pas là"
alors que je suis assis à deux chaises de lui. Je pouffe. En silence.
TV. Le Genou de Claire (Eric
Rohmer, France, 1970 avec Jean-Claude Brialy, Aurora Cornu, Béatrice
Romand, Michèle Montel, Laurence de Monaghan, Fabrice Luchini).
Annecy. Jérôme fait la connaissance, peu avant son mariage,
de Mme Walter et de ses deux filles, Laura et Claire.
Il faut reconnaître à Éric Rohmer un certain culot.
Celui de construire des films à partir de trois fois rien, des
films beaucoup plus oraux que visuels. Ici, un homme mûr s'amuse
avec une adolescente puis est attiré par sa sœur qui a de beaux
genoux.
Passionnant. Alors on s'irrite, on soupire, on s'endort, on rembobine
la cassette pour voir ce qu'on a manqué (c'est à dire rien)
mais peu à peu, un certain charme s'installe et on finit conquis.
J'avais déjà constaté le phénomène
avec Conte d'automne, qui faisait partie d'un autre cycle rohmérien
(on est ici dans celui des Contes moraux).
Les dialogues, extrêmement écrits, portent sur les relations
entre hommes et femmes, la fidélité, la séduction,
vérité et mensonge dans les sentiments, marivaudage, libertinage...
On remarque la présence de deux comédiens qui deviendront
des piliers du cinéma de Rohmer : Luchini et Romand.
SAMEDI.
Emplettes. Je visite un nouveau libraire
d'occasions chez qui je trouve le Série Noire n° 419 (La Reine
des pommes de Chester Himes, déjà lu dans une autre collection).
J'achète des fleurs à repiquer, des patates à planter.
Jardin. Plantation de primevères
et de pensées.
Santé. Lucie revient de Saint-Jean-du-Marché
avec la crise d'asthme qu'elle récolte à chaque fois qu'elle
se rend là-bas.
TV. Après la réconciliation
(Anne-Marie Miéville, France-Suisse, 1999 avec Claude Perron, Anne-Marie
Miéville, Jacques Spiesser, Jean-Luc Godard).
Conversation de salon.
Qui a jamais souffert devant un film de Godard devrait faire l'effort
de regarder celui-ci, réalisé par sa compagne. Un Godard
abscons lui apparaîtrait alors aussi léger qu'un dessin animé
de Tex Avery. Je n'avais pour ma part jamais rien subi de tel. Des personnages
assis dans des fauteuils occupés à se lancer des phrases
creuses. Sidérant. De l'humour, peut-être ?
Rappel. Les précédents numéros des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°52 - 17 mars 2002
DIMANCHE.
Jardinage. Plantation de nouveaux
fraisiers.
TV. Pauline à la plage (Éric Rohmer, France,
1983 avec Amanda Langlet, Arielle Dombasle, Pascal Greggory, Feodor Atkine,
Simon de La Brosse).
Marion et sa jeune cousine Pauline passent l'été dans une
villa de Normandie. Marion retrouve un ancien amour, Pierre, qui aimerait
renouer mais Marion lui préfère Henri, un séducteur
sans scrupule. Pauline, de son côté, s'éprend du jeune
Sylvain.
Bien qu'appartenant à un cycle différent, celui des Comédies
et proverbes, Pauline à la plage est de la même veine
que Le Genou de Claire vu la semaine dernière. On y trouve
des personnages en villégiature, qui vivent sans aucune contrainte
sociale - ils mangent, mais personne ne fait les courses - ce qui leur
laisse tout le temps nécessaire pour s'interroger et discuter sur
les sentiments qu'ils éprouvent les uns envers les autres.. Ici
la grande question est de savoir si on peut trouver l'amour en un clin
d'œil ou s'il doit être précédé d'un long travail
d'approche. Marion, qui s'embrase immédiatement pour Henri, se
brûle les ailes mais n'en retire aucune amertume : elle réessaiera
plus tard avec quelqu'un d'autre... Le charme rohmérien est bien
réel, je le constate de film en film, d'autant qu'ici on a un semblant
d'intrigue - jalousie, dénonciation, trahison - qui faisait défaut
au Genou de Claire.
Lecture. Du trop de réalité
(Annie Le Brun, Éditions Stock, 2000).
Essai.
Annie Le Brun lance un cri de révolte contre les orientations prises
par la société moderne. Il n'y a pas de différence
pour elle entre l'affadissement de la vie culturelle et les dérives
naturelles qui menacent la planète. Ses cibles, en vrac : la subvention
qui a pris le pas sur la subversion, l'artiste étant devenu un
animateur socio-culturel, la poésie d'élevage, l'érotisme
dans le roman contemporain, la Bibliothèque François-Mitterrand,
la récupération et la normalisation des rebelles (les situationnistes,
les surréalistes - on imagine ce qu'elle doit penser de l'exposition
qui vient de s'ouvrir à Beaubourg - Artaud, Rimbaud et Baudelaire
qui ont donné leurs noms à des corps expéditionnaires
de l'armée française...), la nouvelle muséographie
(et sa mode des installations et des performances), la nouvelle architecture,
le culte du pléonasme qui envahit le langage, l'identité
(basque, homosexuelle, ou autre) qui remplace l'individualité,
le sport, les vêtements... Elle essaie de tout rattacher à
son concept de "trop de réalité" qui a pour corollaire,
si j'ai bien compris, la perte de l'imagination et nous fait évoluer
dans une virtualité réelle plutôt que que dans une
réalité virtuelle.
Elle se réclame de Lautréamont, de Sade, de Rimbaud, de
Baudelaire, d'Apollinaire, de Jarry, bref de gloires passées. Aucun
contemporain ne trouve grâce à ses yeux. C'est là
que ça devient un peu gênant car une fois son entreprise
de dénonciation et de démolition terminée, qu'est-ce
qui reste ? Annie Le Brun ? Elle aimerait peut-être nous en persuader
mais il faudrait déjà qu'elle écrive des phrases
un peu moins emberlificotées qui pourraient se comprendre à
première lecture, qu'elle relise soigneusement ses épreuves
("Si les véritables amateurs connaissent ce sentiment qui
les trompent rarement ...") et qu'elle cite correctement les œuvres
(le livre de Julien Gracq qu'elle mentionne s'intitule En lisant en
écrivant et non En lisant, en écrivant ce qui
n'est pas tout à fait la même chose).
LUNDI.
Commémoration. Drôle
d'anniversaire aujourd'hui. Le 11 mars 2001 aurait dû être
marqué essentiellement par le premier tour des élections
municipales mais tourna complètement différemment. Au matin,
d'abord, j'envoyai à F. un courriel intitulé notules, comprenant
quelques remarques littéraires, cinématographiques et autobiographiques,
premier numéro d'une série qui allait meubler tous mes dimanches
matins jusqu'à ce jour. La chose, réservée dans un
premier temps à un seul correspondant, fut proposée au cours
des mois suivants à d'autres connaissances qui lui firent un accueil
favorable, se mit petit à petit en forme, est désormais
envoyée à une vingtaine d'adresses en Meurthe-et-Moselle,
en Moselle, en Haute-Marne, en Aveyron, en Haute-Savoie, dans la Marne,
dans les Bouches-du-Rhône, dans la banlieue parisienne, au Québec,
à Vienne (Autriche), à Dallas (Texas)... et, grâce
à un abonné compétent et efficace, est même
disponible sur un site internet. Ce même jour, en milieu de matinée,
Alice fut hospitalisée d'urgence et nous fit vivre une semaine
de grande frayeur. Aujourd'hui, la santé va mieux, Lucie commence
la semaine par un petit 39°, et finit la journée à 40°,
comme d'habitude.
Stupeur et tremblements. Je trouve
dans mon casier, au collège, un mot de mon principal m'avertissant
de la visite, prévue jeudi, d'un inspecteur. C'était attendu,
vu ma demande de changement de statut. Ce qui l'est moins, c'est qu'il
s'agit du M. G. qui animait le stage auquel j'ai participé en décembre
ou en janvier dernier et qui m'avait prodigieusement énervé.
MARDI.
Obsession. J'ai l'esprit hanté
par cette inspection à venir. J'aimerais bien qu'il en soit autrement,
jouer le détachement, l'indifférence, me dire que je ne
risque pas grand-chose, que ce n'est qu'un mauvais moment à passer,
je n'y arrive pas. Je peste contre ce
système infantilisant et dégradant. En une heure de temps,
un type va juger l'ensemble de mon travail et décider des vingt
prochaines années de ma vie. Dieu merci, personne au collège
n'est au courant de ce qui m'attend, ce qui m'évite les encouragements,
les tapes
dans le dos et les condoléances de la part de mes collègues.
Douceurs. Je demande à une
collègue, qui part en voyage en Allemagne, de me rapporter du chocolat
au "marzipan", histoire de retrouver quelques saveurs des vacances
en Autriche. La nostalgie est aussi gustative.
Mail. Echanges ave N., qui m'envoie
un photomontage de Johnny Depp et Buster Keaton, et avec F.
TV. Faites comme si je n'étais
pas là (Olivier Jahan, France, 2000 avec Jérémie
Rénier, Aurore Clément, Johan Leysen, Sami Bouajila, Alexia
Stresi, Emma de Caunes).
Éric est un lycéen solitaire, peu communicatif. Il ne s'entend
pas avec le nouveau compagnon de sa mère et passe son temps à
observer ses voisins à la jumelle et à leur envoyer des
lettre anonymes.
On est loin des grands films sur le voyeurisme, Fenêtre sur cour
de Hitchcock, et Le Voyeur de Michael Powell, loin même de
Pile ou face de Robert Enrico. Si le film tient tout de même
à peu près debout, c'est grâce à Rénier,
déjà remarqué dans La Promesse des frères
Dardenne et très bon ici dans sa composition d'adolescent buté.
Dire qu'on suit son cheminement avec intérêt, c'est autre
chose. La fin précipitée de l'histoire - Éric réalise
son fantasme en copulant avec ses voisins, mâle et femelle, son
beau-père se suicide, il retrouve la sérénité
auprès de sa mère et d'une petite amie du lycée -
apparaît comme un soulagement.
MERCREDI.
Jardin. Installation d'un portique
(pas par moi, on s'en doute), semis de capucines, premiers coups de bêche.
JEUDI.
Dies horribilis. L'inspecteur
arrive à 8 heures 30. Je fais mon cours, qu'il écoute à
peine, tout occupé qu'il est à feuilleter le cahier de textes
de la classe et les cahiers des élèves avec une morgue toute
balladurienne. Au cours de l'entretien qui suit, il balance rapidement
quelques commentaires sur ce que je viens de faire, s'en dit non pas satisfait
(ce genre de personnage n'est jamais satisfait) mais pas totalement mécontent,
me trouvant même une "belle sensibilité littéraire".
C'est la pommade avant l'estocade. Il se met ensuite à démolir
consciencieusement tout ce que j'ai fait depuis le début de l'année
: trop de ceci, pas assez de cela, me reprochant avant tout une trop grande
désinvolture vis à vis des programmes et des instructions
officielles. Ça dure une heure, mais très rapidement je
me lasse d'essayer de m'expliquer, lui signifie que j'ai compris et que
ce n'est pas la peine d'aller plus loin, me bute, n'opposant plus qu'un
silence borné à ses demandes de justification, et finis
par le remercier chaleureusement pour son aide. Il me signifie qu'il va
transmettre son rapport à l'inspectrice en chef - car il n'est
lui-même qu'un rouage, investi d'une petite parcelle de pouvoir
dont il use avec jouissance à mon encontre - qui décidera
de la tournure à donner à mon avenir professionnel. Je regagne
la solitude de ma salle. J'aimerais me sentir soulagé mais c'est
le sentiment d'humiliation qui domine. Je suis moulu, brisé, anéanti,
n'ai qu'une envie : tout laisser en plan et me faire embaucher comme grouillot
dans une pharmacie que je connais. Je m'en veux de m'être embarqué
dans cette aventure (demander un changement de statut pour enseigner ce
que j'aime), connaissant mon inclination pour l'échec qui fait
que si j'avais demain à repasser mon permis de conduire on me conseillerait
la trottinette. J'essaie de voir le bon côté des choses :
plus jamais je ne me prêterai à cette mascarade, désormais
je vais pouvoir continuer à travailler comme je le fais, car une
chose est sûr, je ne vais pas changer ma méthode d'un iota.
Elle me permet de vivre en bonne entente avec mes élèves,
leurs parents, ma hiérarchie directe et ma conscience. Après
tout, ça fait 18 ans que je marne dans cette turne, je vois ce
que mes élèves deviennent et je n'ai pas à en rougir.
Tant pis pour mes rêves de changement de carrière, de mutation,
s'il le faut je resterai petit médiocre à Châtel,
puisque je suis fait pour ça, dans le fond c'est bien chauffé.
C'est vrai de toute façon que je n'entretiens qu'un rapport lointain
avec les sacrosaintes instructions officielles que je n'ai d'ailleurs
jamais lues, trouvant toujours dans mes rayonnages quelque chose de plus
intéressant à me mettre sous la prunelle. Je pourrais faire
semblant d'être contrit et me rendre, mercredi prochain, à
la journée de stage animée par mon bourreau pour laquelle
je suis convoqué mais je n'ai pas envie d'aller à Canossa.
De fait, ma "belle sensibilité littéraire", j'ai
bien envie de la lui carrer dans le fondement, fondement qu'il peut d'ailleurs
s'astiquer avec ses instructions officielles armoriées. Il me faut
maintenant un peu de temps pour que je cicatrise, pour que mes activités
professionnelles retrouvent, au rang de mes préoccupations, la
place que je leur ai toujours attribuée et que je n'aurais jamais
dû m'autoriser à leur faire quitter, la dernière.
Je donne mes cours suivants dans le brouillard, la gorge nouée,
et rentre at home, même pas soulagé. Le plus dur est d'annoncer
mon échec à Caroline. Comment ai-je pu être assez
bête pour m'imaginer que ça allait bien se passer ?
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. (Le Monde, Télérama), ma cotisation à R.A.P. (Résistance
à l'Agression Publicitaire), une commande de disque à Frémeaux
et Associés, une lettre à Annie Le Brun à propos
de son livre.
TV. Madame Sousatzka (Madame
Sousatzka, John Schlesinger, G.-B., 1988 avec Shirley MacLaine, Peggy
Ashcroft, Navin Chowdhry, Twiggy).
Londres. Marek est un jeune pianiste très doué. Sa famille
aimerait monnayer son talent mais son professeur, Madame Sousatzka, s'y
oppose.
Peut-être les inconditionnels de Shirley MacLaine trouveront-ils
quelque intérêt à sa composition de vieille fille
d'origine russe, professeur de piano rigoriste et intransigeant. les autres
auront du mal à s'intéresser à cette histoire fade
et sans surprise, filmée avec
platitude.
Sommeil. Je ne dors en général
que 5 à 6 heures par nuit. Il importe donc que mon sommeil soit
de qualité. Je m'endors toujours immédiatement : comme je
ne sais plus quel personnage de Stendhal dans Lucien Leuwen, je n'entends
pas tomber ma deuxième pantoufle. Cette fois, à cause de
ce cher M. ., je peine à sombrer dans les bras de Morphée.
Donc, outre les dommages collatéraux, cet homme me prive d'une
heure de sommeil. Cette fois, je sais que je lui en veux. A mort.
VENDREDI.
Vie professionnelle (ou ce qu'il en reste).
La première chose que je fais est de flanquer à la poubelle
toute la paperasse officielle qui encombre mon bureau. Je me sens encore
plus mal qu'hier. Je rase les murs mais ne peux éviter mon principal
qui me coince dans un couloir. L'inspecteur a dû le mettre au courant
car il m'annonce : "C'est embêtant, parce que je comptais
un peu sur vous pour...". On parle déjà de moi à
l'imparfait. C'est on ne peut plus réconfortant.
Compensation. Je noie ma déconvenue
dans la surconsommation, achète un billet de train, des tas de
livres et pars pour Paris.
SAMEDI.
Vie parisienne. Dans le bus qui m'emmène
à Jussieu, une fille monte avec un bambin en poussette. Le chauffeur
lui fait remarquer, pas très gentiment, que celles-ci doivent être
pliées. La fille se rebiffe, l'envoie promener, le chauffeur monte
sur ses grands chevaux (vapeur), le ton monte, on échange des noms
d'oiseaux. Des voyageurs s'en mêlent, prennent parti pour l'un ou
pour l'autre. Je songe aux 99 variantes des Exercices de style de Raymond
Queneau : "Un jour vers midi, du côté du parc Monceau,
sur la plate-forme arrière d'un autobus à peu près
complet de la ligne S (aujourd'hui 84) ..." Le machiniste, excédé,
finit par planter son bus en plein milieu du boulevard Saint-Germain et
refuse d'aller plus loin. Je n'ai pas le temps d'écouter les palabres
et négociations qui s'ensuivent et poursuis mon chemin à
pied. Je ne peux m'empêcher d'être admiratif devant ces gens
qui, à tort ou à raison et certes pour des motifs futiles,
ne se laissent pas marcher sur les pieds, moi qui ressens fortement ces
temps-ci ma vocation d'éternel piétiné. J'arrive
juste à temps pour le
début du séminaire Perec. C'est la foule des grands jours
: c'est Bernard Magné, le spécialiste numéro un qui
parle, et il y a là Roland Brasseur, Paulette Perec, Jean-Pierre
Salgas, le biographe de Gombrowicz, David Bellos qui a fait le voyage
de Princeton, Bernardo Schiavetta de la revue Formules (celui qui me prend
pour un journaliste du Nouvel Observateur), Hervé Le Tellier et
Emmanuel Brouillard des Papous de France Culture. Magné fait le
point sur ses vingt ans de recherches, axant sa communication sur ce qu'il
appelle le métatextuel perecquien ("tout énoncé
qui apporte une information dans un texte sur son écriture et/ou
sa lecture", l'exemple le plus fameux chez Perec étant dans
La Vie mode d'emploi la scène de la petite fille qui mord le coin
d'un petit-beurre, l'angle manquant du biscuit se retrouvant dans la structure
du roman auquel il manque un chapitre, celui qui devait décrire
l'appartement situé au coin inférieur gauche du plan de
l'immeuble). Magné est comme d'habitude captivant à écouter,
plutôt obscur dans ses parties théoriques par son goût
du parler universitaire (l'"ironie métatextuelle dénotative"
précède de peu le "métatextuel dénotatif
paradoxal", c'est dire) mais lumineux dans les exemples qu'il donne.
Je déjeune au Petit Cardinal d'un bout de poulet aussi mou et filandreux
que mon moral et passe l'après-midi à m'abîmer dans
mon travail à la BiLiPo. Mon bus du retour n'ira pas non plus jusqu'à
destination : le chauffeur s'arrête devant Notre-Dame, le boulevard
Sébastopol étant bloqué par une manifestation. Il
y a des jours, que dis-je, des semaines comme ça. Je rejoins la
gare du Nord par le R.E.R. Parmi les centaines de voyageurs qui déambulent,
c'est moi qui suis sélectionné par un grand diable plutôt
agressif pour être délesté de quelques euros. A ce
stade, je n'en suis de toute façon plus à une mortification
près.
Voyage. Ça peut sembler surprenant,
mais le train ne déraille pas.
Bon dimanche.
Rappel. Les
précédents numéros des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
Notules
dominicales de culture domestique n°53 - 24 mars 2002
DIMANCHE.
Cicatrisation. Plusieurs faits convergent
pour me faire, sinon oublier, du moins effacer du premier plan de mes
préoccupations mes déboires professionnels. D'abord, la
rédaction des notules au matin. Les vertus cathartiques de l'écriture
sont pour moi bien réelles.
Ensuite, à peine les notules envoyées, les messages de sympathie
arrivent (n'aurais-je d'ailleurs pas relaté mon aventure que pour
les solliciter ?) : R., G.N. qui a subi le mois dernier une
inspection menée par le même genre d'olibrius. D'autres suivront
dans la semaine.
Enfin, je passe l'après-midi dans le jardin. Les filles inaugurent
le portique, je goûte le côté apaisant des sermons
des carêmes protestant et catholique que j'écoute à
la suite en plantant des pois et des mange-tout, en semant de la batavia
rustique et en cueillant et nettoyant la mâche rescapée de
l'hiver. Je donne mes premiers coups de bêche de la saison. Chaque
lombric que je tronçonne du fer de ma bêche a la tête
de M. G.. Un coup de téléphone de Ch., qui travaille avec
moi, m'apprend d'ailleurs que l'homme est coutumier du flingage sans sommation.
Ce qui continue à m'inquiéter, c'est que je ne sais pas
jusqu'où s'étend le pouvoir de nuisance de cet individu.
La transformation de mon poste est déjà budgétée,
peut-on mettre quelqu'un de compétent à ma place et m'envoyer
planter mes choux ?
Lecture. Au pire qu'est-ce qu'on
risque ? (What's the Worst That Could Happen ?, Donald Westlake,
1996, 2001 pour la traduction française, Rivages coll. Thriller,
traduit de l'américain par Marie-Caroline Aubert).
Dortmunder est surpris au cours d'un cambriolage. Sa victime, le magnat
Max Fairbanks, non content de le menacer d'une arme et de le faire embarquer
par la police, lui vole sa propre bague porte-bonheur. Dortmunder est
prêt à tout pour la récupérer.
Retrouvailles avec Dortmunder, le cambrioleur neurasthénique, après
Histoires d'os dont la traduction date de 1996. Il est à nouveau
embarqué dans un coup gigantesque, braquant deux maisons à
New York, une chambre du Watergate à Washington pour finir par
un casino à Las Vegas. Tout ça pour récupérer
une bague de pacotille. Au fur et à mesure qu'il avance dans son
œuvre, Westlake donne une dimension sociologique à ses livres -
voir ceux qui se déroulent dans le milieu du journalisme, Faites-moi
confiance et Moi, mentir ?. Avant, il me semble que Dortmunder
apparaissait comme un farfelu dans un monde normal alors qu'ici c'est
lui qui apparaît comme normal - dans la limite de ses activités
"professionnelles" - et le monde qui ne tourne pas rond. Westlake
se régale avec la peinture de Las Vegas et de ses occupants, qui
sert de cadre au casse final. Une dimension sociale aussi avec le personnage
de Max Fairbanks, multimilliardaire caricatural dont on apprécie
le châtiment.
Extrait : "Ils rentraient du cinéma sous la pluie. May adorait
le cinéma, aussi y allaient-ils de temps en temps, même si
Dortmunder ne voyait pas ce que ça avait de tellement intéressant,
en dehors d'un tas de gens qui n'avaient pas besoin de bague porte-bonheur.
Quand ces gens que l'on voyait dans les films se postaient devant un arrêt
de bus, le bus arrivait dans la seconde. Quand ils sonnaient à
la porte, la personne qu'ils venaient voir devait les attendre derrière
le battant, parce qu'elle ouvrait illico. Quand ils allaient braquer une
banque, ces gens dans les films, ils trouvaient toujours un endroit où
se garer juste devant. Quand ils tombaient d'un immeuble, ce qui arrivait
fréquemment, ils ne jetaient même pas un coup d'œil en bas,
ils se contentaient de tendre la main et voilà qu'une hampe de
drapeau était déjà en place, tellement pratique pour
s'accrocher en attendant que la charrette remplie de foin passe juste
en dessous."
Cicatrisation (suite). Je remonte
la pente : 0,45 € de gains au PMU.
LUNDI.
Vie professionnelle. Pas envie de
voir le monde. Je m'applique à arriver le premier à l'école,
à en repartir le dernier et me déguise en ectoplasme pour
ne voir personne.
TV. Virgin Suicides (The
Virgin Suicides, Sofia Coppola, U.S.A., 1999 avec James Woods, Kathleen
Turner, Kristen Dunst, Hanna Hall).
Années 1970, Michigan. Les cinq filles du professeur Lisbon se
suicident. Les garçons du voisinage essaient de comprendre.
Papa Coppola est à la production, le frère est réalisateur
pour la deuxième équipe, Sofia est bien entourée.
Ce qui ne l'empêche pas de signer un premier film particulièrement
intéressant, très personnel, bourré d'idées
et cinématographiquement très riche.
La première idée, c'est celle du scénario, qu'elle
signe, adapté du roman d'un certain Jeffrey Eugenides. Le contraste
est terrible entre les promesses données par ces cinq filles et
l'issue de leur vie. Sofia Coppola nous montre, multipliée par
cinq, l'image quintessencielle de la
jeune fille américaine parfaite : blanche, blonde, belle et ayant
pour préoccupation principale celle de savoir qui la mènera
au bal de fin d'année du lycée. Mais il y a une fêlure
: l'une d'elles, Cecilia, réussit à se suicider à
sa deuxième tentative. Les parents - parfaits Woods
et Turner - vont alors construire une barrière entre leurs quatre
filles et le monde. Les filles manquent d'air : on leur tolère
parfois un galant quand celui-ci se contente de venir regarder la télévision
avec la famille. Le bal de fin d'année, à l'issue duquel
l'aînée découche, aura pour
conséquence l'interdiction totale de sortir, même pour aller
à l'école. Tout manque d'air, d'ailleurs : les ormes devant
la maison sont en train de crever, le lac s'emplit d'algues qui empuantissent
l'atmosphère. Les jeunes voisins, tous plus ou moins amoureux des
filles, ne
peuvent plus les voir qu'à la jumelle. Elles se tuent, ils doivent
survivre avec leur nostalgie et leur chagrin.
MARDI.
TV. Hitcher (The Hitcher,
Robert Harmon, U.S.A., 1985 avec Rutger Hauer, C. Thomas Howell, Jennifer
Jason Leigh, Jeffrey DeMunn).
Sur une route déserte du Texas, le jeune Jim Halsey charge un auto-stoppeur.
Celui-ci le menace d'un couteau et lui apprend qu'il n'en est pas à
son premier crime. Ni à son dernier. Le problème, c'est
que Jim est pris pour le tueur et pourchassé par la police.
Au bout de dix minutes, on a compris qu'on ne parlerait pas de subtilité
à propos de ce film. Tout est lourd : la musique, les comédiens
qui en font des tonnes, les effets (cochonnerie de ralenti !). On voit
que Harmon cherche à s'inspirer du Duel de Spielberg, de
Speed (un autre produit formaté, mais plutôt efficace)
et des Nerfs à vif version Scorsese pour le côté
indestructible du méchant.
Impossible de ne pas trouver ridicules les gesticulations de C. Thomas
Howell et les mines inquiétantes de Rutger Hauer. Quant au rôle
féminin, n'en parlons pas. Pourtant, il y avait peut-être
matière à quelque chose d'intéressant dans la relation
entre les deux personnages,
dans la fascination qu'exerce le tueur sur son souffre-douleur. Robert
Harmon ne s'approche jamais de ce terrain, préférant multiplier
à l'envi les rebondissements totalement artificiels de l'action.
MERCREDI.
Bibliothèque municipale. J'y
lis la presse du jour pendant que Lucie assiste à l'Heure du conte.
Mauvaises nouvelles. Visite d'O. B.
qui nous apprend que son frère H. a fait une chute de vingt mètres
au cours d'une séance d'escalade près de Marseille où
il habite. Fractures du crâne et forts riques de perte d'un œil.
Heureusement, la colonne vertébrale n'est pas atteinte et il n'a
pas perdu conscience. J'avertis ses connaissances par le biais d'Internet.
JEUDI.
Voyage. Mes parents partent pour Vienne.
Ce voyage était offert à Caroline pour avoir vendu beaucoup
de pastilles Drill mais il nous était impossible d'en profiter
et nous avons dû le leur refiler, ce dont je me félicite.
Ils ont bien l'âge de faire leur baptême de l'air.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. (Le Monde) et à l'AGP (Libération).
TV. Magnolia (Paul Thomas Anderson,
U.S.A., 1999 avec Tom Cruise, Julianne Moore, William H. Macy).
En Californie, dans la vallée de San Fernando, les destins croisés
de neuf personnes qui vivent un moment-clé de leur existence, au
cours d'une seule et même journée.
Anderson a choisi de pousser jusqu'à la limite la logique du montage
parallèle : le film dure plus de trois heures au cours desquelles
on suit un gamin surdoué qui refuse de continuer le jeu télévisé
dont il est la vedette, le dirigeant d'une espèce de secte machiste
(Cruise, impressionnant) démonté en pleine gloire par une
petite journaliste, un policier saint-bernard épris de justice
qui trouve l'amour, une femme (Moore) qui se rend compte qu'elle aime
le vieillard qu'elle n'a épousé que pour son argent et d'autres
encore.
Certaines de ces vies resteront parallèles, d'autres se rejoindront,
se croiseront à cause d'un hasard, le hasard qui fait parfois si
bien ou si mal les choses comme Anderson le montre dans un prologue très
réussi.
A partir de là, tout est une question de rythme. Il faut tenir
le spectateur en haleine, capter son intérêt pour des personnages
dont, faute de place, de temps, le réalisateur ne peut faire de
portraits fouillés. Paul Thomas Anderson, qui sait choisir ses
sujets (voir son Boogie Nights, sur une star masculine du cinéma
porno), s'en sort plutôt bien. Il y a bien quelques scènes
de confession longuettes à déplorer mais l'ensemble sait
retenir l'attention.
Sur le sens qu'on peut donner au film, il n'est pas facile d'apporter
une seule réponse. Anderson semble déplorer la fausseté,
l'artifice des rapports humains, les masques derrière lesquels
se cachent les êtres et qui empêchent tout rapport sincère.
La pluie de grenouilles qui tombe à la fin du film pourrait alors
bien être un châtiment divin sans frais mais avec frai) pour
l'instant, ou plutôt un avertissement.
VENDREDI.
Vie scolaire. Ch. m'offre, pour me
consoler de mes déboires, Le Portique de Philippe Delerm.
En quatrième de couverture : "Philippe Delerm décide
de tracer, non sans une certaine distanciation humoristique, le portrait
d'un professeur de lettres entre deux âges avec ses fêlures,
ses questions, et ses tentatives pour échapper au mal-être
qui l'assaille." Bon, les fêlures, les questions, le mal-être,
je veux bien mais entre deux âges ? Et-ce ça qui l'a fait
penser à moi ? Une collègue retour d'Allemagne m'offre les
tablettes de chocolat au marzipan commandées, un autre me demande
de lui rapporter des produits de la pharmacie, les profs de sport veulent
s'approvisionner en bandelettes (pour emmailloter les mains des élèves
qu'ils initient à la boxe) auprès de Caroline. Difficile,
dans des conditions de continuer à faire la gueule, surtout à
des gens qui ne me veulent que du bien. Allez, c'est décidé,
lundi je cesse de me terrer. En attendant, je quitte le collège
à 20 heures après un exercice honni entre tous : la
rencontre avec les parents d'élèves. Un rêve : enseigner
dans un orphelinat.
Lecture.
Le cachet de la poste (Jean-Pierre Le Goff, Gallimard, coll. l'arbalète,
2000).
Feuilles volantes.
La démarche de Jean-Pierre Le Goff n'est pas entièrement
littéraire. Elle se situe à mi-chemin entre les initiatives
du Latourex (Laboratoire de Tourisme Expérimental) et les travaux
du Québécois Robert Racine (qui construisit par exemple
un escalier dont la hauteur des marches était proportionnelle à
la longueur des chapitres de Salammbô de Flaubert et fit un jardin
composé des définitions de tous les mots du Petit Robert
collées sur des bouts de carton). Concernant les expériences
de tourisme aléatoire, Le Goff, qui est passionné par les
perles, organise un itinéraire qui relie tous les "Hôtels
de la Perle" qu'il a pu trouver, fait un voyage qui traverse successivement
Paris-Evreux-Rouen-Le Havre-Étretat (P.E.R.L.E.), se rend à
Perles (Aisne) puis à Lhuître (Aube), etc.. A chacune de
ses étapes, il organise une sorte de manifestation, d'installation
pour commémorer l'événement. C'est son côté
plasticien, qui tourne souvent à la pose, que je goûte moins,
préférant de beaucoup son rôle de voyageur du hasard
. Il joue aussi beaucoup avec les nombres et c'est alors l'influence de
l'Oulipo qui apparaît.
Le livre est composé des lettres qu'il a envoyées au cours
de ces dernières années à ses connaissances, et qui
les invitent à le rejoindre sur tel ou tel itinéraire ou
pour telle ou telle installation. Le ton en est souvent emphatique ("Je
cherche à éprouver la sensation de tenir au monde en liant
mes mots à une ficelle qui le calcule, cordon ombilical qui relie
mes pensées et mes rêveries à la matérialité
physique et géographique"). C'est dommage, ses expériences
m'intéressent dans la mesure où il m'arrive d'en inventer
et d'en pratiquer de semblables. Mais Le Goff a un gros travers dans lequel
je dois m'efforcer de ne pas tomber : il se prend au sérieux.
SAMEDI.
Pétarades. Retour du marché
(où j'ai déniché deux Série Noire préhistoriques
dont le n° 2 de la collection), mon bus est pris dans une manifestation
de "motards en colère" (sic)*. Si je comprends bien leurs
revendications, ils souhaitent que le code de la route s'applique à
tout le monde sauf à eux. L'approche des élections présidentielles
fait éclore les corporatismes, chaque groupuscule y va de sa banderole.
Après les motards en colère, nous aurons le cortège
des aérostiers atrabilaires, la théorie des numismates hargneux,
le défilé des fil-de-féristes ronchons, des pêcheurs
à la ligne verts de rage, la manifestation des antipodistes vindicatifs
et celle des scaphandriers irascibles. J'attendrai pour ma part que se
mette en place le collectif des conjoints de pharmaciens asociaux pour
aller battre le pavé.
* A ne pas confondre avec les tocards en molaires qui ne sont que de mauvais
dentistes.
Vie
sociale (justement). Visite de Ch. avec sa Garance qui joue
un moment avec Lucie. J'arrive à voir quelques images du match
de rugby Ecosse-France (10-22).
TV. Drame de la jalousie (Dramma della
gelosia, Ettore Scola, Italie, 1970 avec Marcello Mastroianni, Giancarlo
Giannini, Monica Vitti, Manolo Zarzo).
A Rome, Oreste, peintre en bâtiment, tombe amoureux d'Adélaïde
qui le trompe avec Nello, son meilleur ami. Oreste quitte sa famille,
le Parti Communiste, perd son travail et devient meurtrier.
L'histoire de ce trio est racontée en un long flash-back qui aboutit
au meurtre dont la scène d'ouverture est la reconstitution. Tout
est reconstitution d'ailleurs car les personnages s'interrompent fréquemment
pour livrer leur témoignage directement à la caméra,
s'adressant au président du tribunal qui juge Oreste. Les ingrédients
sont la tragédie, la comédie, notamment avec le personnage
truculent du magnat de la viande qui devient pendant un temps l'amant
d'Adélaïde) et la politique : Oreste est communiste, il rencontre
Adélaïde à la
Fête de l'Unita et tient des discours représentatifs de sa
classe. On est en pleine heure de gloire de la comédie italienne,
un genre qui ne m'enthousiasme pas vraiment. La faconde des personnages
fait défiler les sous-titres à trop grande vitesse et la
musique qui les accompagne est, elle, franchement insupportable.
Lecture. (Abrégé
de littérature potentielle, Oulipo, Éditions Mille et
une Nuits, n° 379, 2002).
Mise à jour.
Soixante pages pour faire un tour rapide de la littérature à
contraintes en moins d'une demi-heure. Ça permet de rafraîchir
les connaissances des lecteurs avertis et d'initier les débutants
au palindrome, au lipogramme, à S + 7 et autres. Par rapport à
l'ouvrage fondateur, La Littérature potentielle (Idées-Gallimard,
repris en Folio-Essais), cet ouvrage a le mérite de proposer de
nouvelles contraintes, comme les poèmes de métro de Jacques
Jouet (poème composé dans le métro pendant le temps
d'un parcours et comptant autant de vers que le voyage compte de stations
moins un) ou les filigranes : "...dans un dictionnaire de référence,
sélectionner un certain nombre de locutions contenant un mot donné.
Effacer le mot dans chaque locution. Construire un court poème
avec ce qui reste." Ce qui donne ce splendide raccourci consacré
à l'œuf par Hervé Le Tellier : "Mollet dur mayo jaune."
Bon dimanche.
Rappel. Les précédents numéros des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
Notules
pascales de culture domestique n°54 - 31 mars 2002
LUNDI.
Mail. Au tour de Henry de me raconter
une inspection catastrophe dont il fut victime - sans conséquences.
Diffusion. Un abonnement aux notules
version papier, une proposition d'abonnement envoyée aux L., en
Côte d'Or.
TV. Un crime au Paradis (Jean
Becker, France, 2000 avec Jacques Villeret, Josiane Balasko, André
Dussollier, Suzanne Flon).
Jojo Braconnier a épousé une mégère alcoolique
et rêve de s'en débarrasser. Habilement, il va amener un
avocat à lui souffler la solution de son problème.
Depuis L'Été meurtrier, il n'y a aucune prise de
risque, aucune mise en danger dans le cinéma de Jean Becker. Ce
n'est pas l'énorme succès des Enfants du marais qui
allait bousculer les choses. On retrouve donc ici la même province
figée, intemporelle (seule la menace de la guillotine permet de
se situer), idéale (encore un Conseil Régional remercié
dans le générique), habitée par des personnages types
: le cafetier, le garagiste, l'épicière, l'institutrice.
Mieux, Becker réutilise les comédiens de ses précédents
films : Villeret dans son éternel rôle de benet pas si bête,
Dussollier, Flon, Gérard Hernandez, Roland Magdane, Jenny Clève...
C'est dire que la composition de Balasko en ivrognesse redoutable est
rafraîchissante car c'est la seule touche de nouveauté. La
reconstitution du crime est amusante, la joute oratoire entre Dussollier
et Daniel Prévost n'est pas mal non plus mais le reste du temps,
c'est du cinéma ronron.
Lecture. Le portique (Philippe
Delerm, Éditions du Rocher, 1999).
Sébastien est professeur de lettres. Il glisse dans la dépression
jusqu'au moment où la visite d'un inspecteur qui n'apprécie
pas son travail lui redonne goût à la vie.
Ch. ne m'a pas offert ce livre par hasard. Le morceau de bravoure que
constitue l'inspection de Sébastien m'est bien sûr allé
droit au cœur, d'autant que les reproches qu'on lui fait sont exactement
ceux que j'ai entendus. Le fait que Sébastien se rebiffe, se justifie
et envoie paître son inspecteur a avivé mes regrets d'être
resté si passif mais entre un personnage de roman et ma personne,
il y a des différences difficiles à gommer. Delerm, qui
doit être du sérail, décrit assez justement le milieu
enseignant, ce qui donne certes un intérêt à son livre
pour ceux qui peuvent s'y reconnaître ou reconnaître quelqu'un.
Cependant, on se doute que Delerm vise plus haut, qu'il a une autre ambition
: celle de faire œuvre de littérature. Il prend soin de glisser
quelques noms dans son texte, Nerval, Proust, offre même une description
de giroflée qui se veut peut-être le pendant du passage sur
les aubépines dans La Recherche (ce qui ne l'empêche
pas ailleurs d'écrire Boby Lapointe avec deux b). Pour Delerm,
faire de la littérature, c'est une question de niveau de langue :
au verbe ralentir, il préfère le ridicule s'alentir (deux
occurrences : "cet imperceptible alentissement", "les paroles
alenties"); lorsque Sébastien vidange sa tondeuse, ça
donne : "il la couchait sur le sol et la laissait pleurer le
sang visqueux, saumâtre, qui croupissait dans ses entrailles."
(!) Parlant de la femme de Sébastien, Delerm écrit : "On
ne pouvait imaginer Camille sans sa passion pour la viole de gambe."
Voilà où en est la littérature selon Delerm (et selon
ceux qui l'encensent chaque semaine dans les colonnes du Figaro littéraire).
Une sorte de "plaisir minuscule", pour reprendre son titre à
succès, une chose vernie, confite, polie, bien époussetée.
Tout ça donne envie de se plonger dans un bon San-Antonio !
MARDI.
Lecture. Roi, dame, valet (King,
Queen, Knave, Vladimir Nabokov, 1928 pour la version russe, 1968 pour
la version anglaise, 1971 pour la traduction française, traduit
de l'anglais par Georges Magnane, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade).
Le jeune Franz arrive à Berlin où il compte sur son oncle
Dreyer pour lui procurer un emploi. Il devient l'amant de sa tante. Tous
deux complotent la mort de Dreyer.
La différence entre Machenka, qui date de 1926 (cf. notules n°
9), et Roi, dame, valet est impressionnante. Alors que son premier
roman était fortement marqué par l'autobiographie, Nabokov
trouve ici un véritable sujet auquel il imprime une marque très
personnelle. Ce sujet n'est pas follement original mais Nabokov donne
un dénouement inattendu à cette aventure d'un trio classique
mari-femme-amant. Alors que tout est en place pour l'assassinat de Dreyer,
c'est sa femme qui meurt.
Celle-ci, Martha, s'ennuie auprès de son mari et rêve d'une
nouvelle vie avec son jeune amant. On aura reconnu le canevas de Madame
Bovary et Nabokov paie son tribut à Flaubert d'une manière
évidente. Dans sa description de la bêtise des deux amants,
la trivialité de leurs réflexions et de leurs actes, tout
ce qui fait que c'est Dreyer, un bon gros bourgeois simple et jouisseur,
qui en sort grandi. Dans de plus petits détails aussi comme cette
broche en forme d'hirondelle que porte Martha lorsque Franz la voit pour
la première fois, qui rappelle l'Hirondelle, la voiture
qui relie Yonville à Rouen dans Madame Bovary. Il y en a
des dizaines comme ça et on peut s'amuser à faire de Roi,
dame, valet une lecture flaubertienne. Il y a certainement une autre
lecture à faire, shakespearienne celle-là, via Hamlet, mais
là je ne suis pas compétent. Pas besoin de saisir toutes
ces allusions pour goûter l'humour féroce de Nabokov, un
auteur auquel je ne regrette pas de m'être attaqué.
TV. Le New Yorker (Benoît Griffin, France, 1998
avec Mathieu Demy, Grace Phillips, Shawn Elliott, Gretchen Cleevely, Don
Williams).
Alfred débarque à New York pour revoir une Américaine
rencontrée à Paris. Elle lui claque la porte au nez, il
se retrouve à errer dans la ville, sans un sou.
Une bonne surprise avec ce premier film d'errance urbaine qui fait penser
au premier Rohmer (Le Signe du Lion) et à Amos Kollek (Sue
perdue dans Manhattan). Alfred lutte pour s'approprier un lieu hostile,
les échecs qu'il rencontre ne le font pas reculer : il veut devenir
un "New Yorker", pas question pour lui de rentrer à Paris.
Graffin filme la ville (en caméra DV) en sachant éviter
les clichés, il aime Woody Allen et en a retenu les leçons.
Alfred est marqué par les rencontres successives qu'il fait : un
restaurateur indien qui l'emploie un moment, un membre des services de
l'immigration qui l'oblige à se cacher, un ponte de la pègre,
la fille de celui-ci qui le prend comme sujet de snuff-movie... A chaque
fois, on pense qu'il va s'enfoncer définitivement, mais il s'accroche,
rebondit et repart. Dans le rôle, Mathieu Demy est épatant.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète un roman
sélectionné pour le Prix René-Fallet, les derniers
ouvrages de Gérard Mordillat et Henning Mankell.
Courrier. Carte postale de mes parents
en séjour à Vienne.
Cinéma. A la folie pas du
tout (Laetitia Colombani, France, 2002 avec Audrey Tautou, Samuel
Le Bihan, Isabelle Carré, Clément Sibony, Sophie Guillemin).
Bordeaux. Angélique est amoureuse d'un cardiologue qui ne s'en
rend pas compte, heureux qu'il est avec sa femme légitime qui attend
un enfant.
Mais Angélique est prête à tout pour obtenir ce qu'elle
veut.
Dans une première partie bien pénible, on suit les faits
et gestes d'Angélique, ses manœuvres pour conquérir son
médecin bien-aimé : cadeaux, petits mots doux, coups de
téléphone, invitation au voyage. Les mines et les chatteries
d'Audrey Tautou sont d'autant plus agaçantes que ses partenaires
sont réduits au rang de silhouettes et qu'elle occupe tout l'écran.
Ça commence à devenir intéressant lorsqu'on se rend
compte que son acharnement a quelque chose de pathologique...
Mais là, patatras, retour en arrière, on reprend l'histoire
depuis le début, du point de vue du cardiologue qui, on l'avait
deviné depuis longtemps, ignore l'identité de celle qui
le poursuit. Le ton est celui de la comédie, de la comédie
poussive pour dire la vérité, et on se dit que sur un canevas
semblable, on avait bien plus aimé Karin Viard amoureuse d'un dirigeant
socialiste incarné par Pierre-Loup Rajot dans La Nouvelle Ève
de Catherine Corsini.
Mais en suivant l'histoire du côté de Loïc, le médecin,
certains faits qui paraissaient anodins dans la première partie
prennent toute leur importance et révèlent la folie (érotomanie)
d'Angélique. On a alors basculé du côté du
thriller et on se demande comment ça va finir... La fin, qui voit
Angélique sortir de l'hôpital psychiatrique, réserve
d'ailleurs une belle surprise.
Je me suis d'abord dit que c'était tout simplement un film à
moitié raté, soyons indulgent, à moitié réussi
parce qu'il s'agit d'une première œuvre.
Avant de comprendre que que l'on avait affaire à une film roublard,
que la mièvrevie de la première partie était intentionnelle
et que je m'étais fait avoir dans les grande largeurs. Laetitia
Colombani est beaucoup plus subtile que je l'avais cru à première
vue. C'est cette erreur d'aiguillage qu'elle fait commettre au spectateur
qui fait la valeur de son film, plutôt que la ficelle qui consiste
à révéler la signification de certains indices factuels
à la fin de l'histoire, procédé à la mode
depuis Usual Suspects et Sixième sens.
JEUDI.
Courrier. Je reçois le n°
2 de l'intégrale Salvador parue chez Frémeaux et Associés
et le n° 9 de la revue Histoires littéraires. J'envoie
des coupures à Y. (Le Monde), à l'AGP (Le Monde, Le Figaro
littéraire), un mot avec une proposition d'abonnement aux notules
à I. en Allemagne, une carte à la Prévention Routière
contre l'amnistie des infractions au code de la route.
Téléphone. Après
avoir pris de ses nouvelles auprès de sa compagne, de sa sœur et
de son frère, je réussis à joindre H. sur son lit
d'hôpital. L'opération qu'il a subie hier (neurochirurgie
et chirurgie maxillo-faciale) s'est bien passée. On lui a refait
le front, la pommette, l'orbite avec son propre matériel osseux.
Avec une élocution rendue difficile par sa mâchoire entravée,
il me parle de sa douleur, de sa difficulté à s'alimenter,
de sa grande fatigue qui met vite fin à l'entretien. Le chirurgien
est satisfait de son travail et surtout de la façon dont il réagit
et s'accroche. Il plaisantait dimanche avec T., qui l'assurait au cours
de cette sinistre expédition en montagne...
Mail. J'envoie une revue de presse
à l'AGP et des nouvelles de H. à ses connaissances.
TV. Happy Texas (Happy,
Texas, Mark Illsley, U.S.A., 2000 avec Ally Walker, Jeremy Northam,
Steve Zahn).
Deux taulards s'évadent et volent le camion de deux organisateurs
de parades. Ils débarquent à Happy, petit bled texan où
ils doivent jouer le rôle des deux organisateurs en question.
Pour corses la chose, les fugitifs sont pris pour un couple d'homosexuels,
ce qui pourrait donner au film prétexte à devenir une farce
lourde. Illsley évite le piège, comme il évite celui,
tout aussi tentant, de dépeindre les habitants de Happy comme autant
d'abrutis. Il se moque d'eux, mais gentiment, soulignant plus le manque
d'affection dont ils souffrent - via les personnages du shérif
(William H. Macy, déjà vu dans Magnolia) et de l'institutrice
- que leur bêtise. Il y a des moments fort drôles, notamment
quand Steve Zahn doit faire répéter des pas de danse à
des bambins survoltés pour la parade à venir.
Le film se conclut sur le hold-up de la banque locale, sorte de point
de passage obligé qui le fait retourner dans le banal et le convenu.
On aura eu le temps toutefois d'apercevoir le talent d'un cinéaste
prometteur.
VENDREDI.
Mail. Du Québec, G. m'annonce
le prochain enregistrement du septième album du Rêve du
Diable.
Courrier. Je reçois une lettre
de Bertrand Poirot-Delpech (de l'Académie Française, tout
de même), suite à mes remarques sur son livre concernant
les rapports entre Gide et Perec : "Je vous remercie de la confiance
et de l'attention subtile que vous manifestez dans votre lettre à
propos de Paludes. Vous avez tout à fait raison de citer Perec
parmi les auteurs influencés par le Gide de Paludes. etc."
Si je mets cette lettre sur le plateau de la balance face aux remarques
blessantes d'un petit flic de l'Éducation Nationale, je m'en trouve
plutôt ragaillardi.
Lecture. Matilda (Matilda,
Roald Dahl, 1988, traduit de l'anglais par Henri Robillot, Gallimard,
coll. Folio junior n° 744).
Matilda est une enfant surdouée qui, à cinq ans, a déjà
épuisé tous les rayonnages de la bibliothèque de
son quartier. Son environnement familial entre un père escroc et
une mère négligente ne favorise pas vraiment son épanouissement.
Heureusement, à l'école, elle se fait une amie de Mlle Candy,
son institutrice.
Il s'agit d'une lecture professionnelle, à des fins scolaires.
La littérature pour la jeunesse ne m'intéresse absolument
pas mais on a ici affaire à Roald Dahl, un polygraphe qui a du
métier et dont j'avais apprécié la série télévisée
Bizarre bizarre basée sur ses nouvelles policières. Il livre
ici un récit sans surprise, plutôt amusant, surtout dans
la peinture du milieu familial de Matilda. On y trouve à la fois
un "roman familial" au sens freudien du terme et la structure
du conte de fées avec la marâtre, l'ogresse, l'intervention
du surnaturel et la bonne fée. Matilda est tellement nourrie de
littérature qu'on se demande si c'est consciemment ou non qu'elle
cite le Bartleby de Melville page 203 : "J'aimerais mieux pas."
TV. Premier épisode de la 8°
saison de PJ. Léonetti claque l'argent qu'il a gagné au
loto, une fille est violée au cours d'une garde à vue...
C'est toujours assez plaisant.
SAMEDI.
Survivor. Passage de mon père
que j'ai plaisir à revoir : au cours de la semaine, il a tout de
même survécu à un voyage en avion et à une
séance du conseil municipal, ce qui est assez remarquable par les
temps qui courent.
Courrier. B. m'envoie une carte postale
du monument aux morts de Lodève qui semble valoir le déplacement.
La Société des Amis de Marcel Proust m'invite à la
"Journée des aubépines" à Illiers-Combray,
qui comprend un "goûter proustien à la maison de tante
Léonie". (!)
Mail. Échange avec A., entre
autres sur Tony Hillerman.
TV. Le Feu follet (Louis Malle,
France, 1963 avec Maurice Ronet, Jeanne Moreau, Alexandra Stewart, Lena
Skerla).
Alain Leroy sort de la clinique de Versailles où il est en cure
de désintoxication alcoolique. Il est décidé à
se tuer et souhaite, auparavant, faire le tour de ses connaissances.
Encore un film de vagabondage urbain, totalement désespéré
celui-là. Alain Leroy a inscrit la date de sa mort sur le miroir
de sa chambre, l'issue est connue et inévitable. S'il tient à
revoir ses proches, c'est plus pour leur dire adieu, leur faire un dernier
reproche ("Je me tue parce que vous ne m'avez pas aimé, parce
que je ne vous ai pas aimés", dit le roman de Drieu La Rochelle
dont le film est tiré) que pour trouver des raisons de se raccrocher
à la vie. Son errance le mène chez un ami qui s'est rangé
et mène une vie pantouflarde en rêvant de grand'œuvre, chez
des activistes politiques qui trouvent leur salut dans l'action et le
mépris du danger, chez de faux artistes prétentieux, chez
des demi-mondains où il retrouve quelques anciennes conquêtes.
Toutes ces rencontres renforcent sa détermination à en finir.
La musique de Satie et le visage fatigué de Ronet donnent une noirceur
profonde au film proche, sur cet aspect, de La Maman et la putain
de Jean Eustache.
Joyeuses Pâques.
Rappel. Les précédents numéros des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
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