Notules
dominicales de culture domestique n°55 - 7 avril 2002
DIMANCHE.
Viande froide. Mort de la reine mère.
La cérémonie funèbre est prévue pour le 9
avril. La princesse Margaret, décédée le 9 février
dernier, a été enterrée le 15.
On peut, et Dieu sait que je m'en prive guère, reprocher beaucoup
de choses aux Anglais mais on ne peut que s'incliner devant la qualité
de leurs frigos.
Pâques. Cérémonie des œufs à découvrir
dans le jardin. Où l'on s'aperçoit qu'il n'est pas facile
de fêter Pâques avec une fille allergique au chocolat.
Retour à la terre. Nous passons
l'après-midi à Saint-Jean-du-Marché.
LUNDI.
Manutention. Le ramassage des objets
encombrants a lieu demain. Nous passons l'après-midi à sortir
des vieilleries (présentoirs, mobilier hétéroclite)
sur le trottoir et à bouffer de la poussière.
TV. Capitaines d'avril (Capitães
de Abril, Maria de Medeiros, France-Portugal, 2000 avec Stefano Accorsi,
Maria de Medeiros, Joaquim de Almeida, Frédéric Pierrot,
Fele Martinez).
Avril 1974. Le Mouvement des forces armées renverse la dictature
et s'empare du pouvoir au Portugal.
Maria de Medeiros, qui se met en scène sous les traits de la fillette
qu'elle était à l'époque, rend un bel hommage à
la Révolution des Œillets qui libéra le Portugal du salazarisme.
Un mouvement démocratique mené par des militaires, pas les
haut gardés mais les capitaines du titre, voilà qui peut
sembler surprenant. Il faut savoir qu'à l'époque, le pays
était totalement englué dans des conflits coloniaux - Angola,
Guinée - et que la jeunesse redoutait le service militaire de quatre
ans - qui avait l'Afrique pour horizon. Maria de Medeiros parvient à
rendre cet état d'esprit, la vision d'un pays étouffé,
avec l'histoire d'un jeune couple d'amoureux. Elle utilise un mode de
narration très classique qui suit différents protagonistes
aux moments-clés du conflit : le parcours d'un jeune capitaine
d'une caserne de province jusqu'au palais du
gouvernement, la prise d'une station de radio, la libération des
prisonniers politiques de la prison de Caxias. Un film sincère
qui permet de rafraîchir les souvenirs de l'époque.
MARDI.
Mail. A. m'envoie des curiosités
linguistiques anglaises.
Y. me reproche d'en dire trop dans ma critique du film A la folie pas
du tout parue dans les dernières notules et d'en déflorer
l'intérêt. Ce n'est pas vraiment l'impression que j'avais
en la rédigeant ni celle que j'ai en la relisant mais je retiens
la leçon. Si un jour je regarde Titanic, j'en tairai le
dénouement dans ma chronique.
Promotion. Alice passe chez les moyens
à la crèche.
Courrier. Réception d'une carte
de S.B.. postée à Bali le 10 mars.
MERCREDI.
Bibliothèque. J'y lis la presse
pendant que Lucie assiste à l'Heure du conte.
Vie sociale. Visite de mon frère
lexovien et de son épouse qui attend un deuxième enfant.
Je redoute déjà le baptême.
Téléphone. J'appelle
H. dans sa chambre d'hôpital à Marseille. Son visage est
débandé et il a pu marcher un peu mais souffre toujours,
principalement du dos (je crois qu'on lui a posé un corset). On
lui a laissé peu d'espoir concernant son œil.
JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
l'AGP (Libération, Télérama) avec les doubles de
ma correspondance avec Bertrand Poirot-Delpech et une lettre loufoque
à Philippe Meyer de France Culture.
Mail. Annonce de la naissance
d'un petit Colin, poisson d'avril un peu tardif mais qui fait
la taille.
TV. Il était une fois en
Amérique (Once upon a Time in America, Sergio Leone,
U.S.A., 1983 avec Robert De Niro, James Woods, Elizabeth McGovern, Treat
Williams, Larry Rapp).
Une bande de gamins juifs de New York débute dans les petits larcins
et fait fortune à l'époque de la prohibition. L'un d'eux,
Noodles, revient à New York plus de trente ans après le
démantèlement du gang.
Il y a donc trois strates temporelles qui s'entrecroisent, présentant
Noodles dans son adolescence, à l'âge adulte et au temps
de sa vieillesse. Si la première époque est montrée
en continu, les deux autres sont découpées en épisodes
qui s'éclairent mutuellement. C'est le film testament de Sergio
Leone, son premier film américain, hommage à l'Amérique
mythique. La présence de De Niro et de Joe Pesci et la thématique
font penser aux grands films de Scorsese mais là où Scorsese
joue sur le rythme et impose un récit linéaire, Leone privilégie
la science du montage sophistiqué.
On sent que le réalisateur est porté par son sujet, ce qui
amène quelques excès - abus des mouvements de grue dans
la première partie et utilisation démesurée des machines
à produire de la fumée dont il a semble-t-il loué
tout un lot à vil prix. De même, on peut trouver Ennio Morricone
un peu trop porté sur le violon lourdingue. N'empêche. Quel
film ! Un vrai grand film, une fresque gigantesque où sont présents
tous les ingrédients nécessaires à une bonne histoire
: amitié, trahison, amour, sexe, violence, argent et alcool par
caisses de douze. Ce qui domine à la fin est la nostalgie, nostalgie
de Noodles pour sa jeunesse, nostalgie de Leone pour une certaine Amérique,
nostalgie du spectateur pour un genre de cinéma.
Lecture. Un serpent dans l'ombre
(The Shape of Snakes, Minette Walters, 2000, 2001 pour la traduction
française, traduit de l'anglais par Philippe Bonnet, Éditions
Stock).
Une femme noire atteinte du syndrome de Tourette (tics moteurs, coprolalie)
est trouvée morte en 1978 dans une rue de la banlieue de Londres.
L'enquête conclut à un accident. Une voisine, Mrs Ranelagh,
est persuadée qu'elle a été tuée. Elle est
déterminée à faire rouvrir l'enquête, même
après avoir passé vingt ans loin de l'Angleterre.
Immanquablement, comme Minette Walters est anglaise, la quatrième
de couverture l'annonce comme étant la "reine incontestée
du nouveau roman policier anglais." Combien sont-elles au fait à
porter cette couronne virtuelle ? Il reste à toutes ces prétendantes
du chemin à faire avant de rejoindre P.D. James et Ruth Rendell.
Minette Walters, dont c'est le huitième roman traduit, ne manque
pas de talent dans son choix de décrire une femme dont le désir
de justice est toujours intact vingt ans après. Son obstination
finira par payer et on découvre à la fin du livre un meurtrier
que, bien sûr, on ne soupçonnait pas. Le récit de
la quête de Mrs Ranelagh est interrompu par des reproductions de
lettres, de rapports de police, d'emails, voire de photos, qui donnent
un côté vivant, vécu, à la chose. Autre atout,
sa sincérité, son désir de bien faire quand elle
met le doigt sur le racisme ordinaire d'une banlieue tout aussi ordinaire.
Ce qui gâte un peu la chose, c'est le grand nombre de personnages
qui interviennent (tous les habitants du quartier) et le côté
compliqué des liens entre eux. On finit par s'y perdre et l'intérêt
en souffre un peu.
VENDREDI.
Presse. Au collège, Ch. m'informe
que le dernier numéro de la NRP (Nouvelle Revue Pédagogique)
consacre un dossier à Perec. Une page du Monde des Livres de poche
parle de la publication des romans de GP en Pochothèque. J'envoie
ces informations sur la [liste perec].
TV. Matilda (Matilda,
Danny DeVito, U.S.A., 1996 avec Danny DeVito, Rhea Perlman, Mara Wilson,
Embeth Davidtz, Pam Ferris, Paul Reubens).
Le combat d'une enfant surdouée contre ses parents et la directrice
de son école.
Une adaptation sans surprise du roman de Roald Dahl dont l'intrigue est
transposée aux États-Unis. On aurait aimé que DeVito
insiste dans la satire de la famille américaine qui'il ébauche
au début du film. Il a préféré miser sur le
personnage redoutable de la directrice, miss Trunchbull ou en français
Mlle Legourdin, qui finira vaincue par l'ingéniosité et
les pouvoirs surnaturels de Matilda. Ces derniers donnent lieu à
une belle scène musicale lorsque la petite fille met en mouvement
tous les objets de la demeure familiale.
P.J. Une intrigue embrouillée
d'assistante sociale agressée. On s'en moque : Nadine a réussi
le concours de gardien de la paix, Poret est guéri de son cancer
et Fournier est de retour, reléguant dans l'ombre ce trou du cul
de Lamouchi qui lui avait piqué son bureau.
SAMEDI.
Vie sociale. Après avoir déposé
les filles chez mes parents, j'arrive à attraper la deuxième
mi-temps de France-Irlande (rugby). Nous partons ensuite pour Pont-à-Mousson
puis Pompey pour les noces d'une cousine de Caroline. J'ai déjà
vécu pire épreuve mais c'en est une tout de même quand
on ne boit pas, ne danse pas, ne parle pas, qu'on est dépourvu
de tout sens ludique et que la première grasse matinée au
premier jour des vacances a pris fin à 6 heures. Nous parvenons
à nous coucher peu après 4 heures du matin. La journée
sera glauque.
Bon dimanche et bonnes vacances pour ceux et celles que ça concerne.
Rappel. Les numéros précédents des notules
sont consultables sur http://pdidion.free.fr/
N.B. Le prochain numéro des notules sera publié le
dimanche 21 avril.
Notules
dominicales de culture domestique n°56 - 21 avril 2002
DIMANCHE
1.
Voyage. Nous partons pour Mandelieu
en milieu d'après-midi. Les filles mènent la sarabande dans
la voiture et ne s'éteignent qu'à 22 heures. Nous touchons
au port à 1 heure du matin. 4 heures de sommeil, 9 heures de route,
le lit est bienvenu.
LUNDI 1.
Lecture. Patch (Tania de Montaigne,
présenté par Florent Massot, 2000, sélectionné
pour le Prix René-Fallet).
Les 39 premières journées sans tabac dans la vie d'une jeune
femme.
Tania de Montaigne, nous apprend la quatrième de couverture, a
été présentatrice de télévision, notamment
auprès de Jean-Luc Delarue. C'est dire que son pseudonyme fait
plus référence à l'avenue parisienne du même
nom qu'à un certain essayiste bordelais. Le livre se présente
sous la forme d'un journal décrivant les affres de sa rédactrice,
aux prises avec sa mère hospitalisée, des petits boulots
et un caractère rendu difficile par le manque de nicotine. Ça
se veut jeune, branché et drôle, ça n'est que débraillé,
conventionnel et pesant. Le type même du livre jetable écrit
à la va-vite par quelqu'un qui veut profiter au plus vite d'une
gloire médiatique éphémère.
Bêtisier. "C'est son cadeau après tout. Ça égaillerait."
"... les cigarettes que j'ai non fumé."
"... rien n'est exclus."
"... ma mère qui veut que je vois du monde."
Sortie. Le ciel est voilé mais
il ne pleut pas. Nous allons sur la plage, tremper un nougat circonspect
dans l'eau glacée : l'eau de mer peut faire du bien à l'eczéma
de Lucie. Nous rentrons juste au moment où je commence à
me demander si je déteste la mer autant que la montagne.
TV. Une des choses dépaysantes
en vacances, c'est qu'on y regarde une télévision standard,
dépourvue des chaînes qui composent -à prix d'or-
notre ordinaire spinalien : Canal +, Cinéclassics, Cinécinémas,
Turners Classic Movie et Tiji pour Lucie. On y voit donc des choses inhabituelles
comme des spots publicitaires, des bouts de journaux télévisés,
des émissions que je ne connaissais que par ouï-dire. Je me
rappelle que l'an dernier, au même endroit, j'avais regardé
un film sur TF1 et suivi avec plaisir un jeu animé par Jean-Pierre
Foucault. Cette année, je découvre la tête -mais pas
la voix je regarde sans son, tout de même - du chanteur Garou et
Lucie est conquise par Lagaf, un animateur de jeux plutôt vulgaire
qui lui apprend ses premières répliques de Molière
(!) : "Mais qu'est-ce que je vous ai fait ?
-Tu m'as fait que je veux que tu sortes."
Enfin, ce soir, on a de la chance avec la programmation puisque ARTE propose
:
Baisers volés (François Truffaut, France, 1968 avec
Jean-Pierre Léaud, Claude Jade, Delphine Seyrig, Daniel Ceccaldi,
Claire Duhamel, Michael Lonsdale).
Antoine Doinel, qui s'était engagé dans l'armée,
est réformé. Il revoit Christine Debon, dont il était
amoureux et devient veilleur de nuit dans un hôtel, puis enquêteur
privé.
C'est le deuxième long métrage (mais le troisième
volet) de la saga d'Antoine Doinel, consacré à son éducation
sentimentale. Antoine va tomber amoureux d'une femme mariée (Seyrig)
qui le fascine. Le caractère instable, le côté décalé,
l'idéalisme d'Antoine Doinel font de lui un être absolument
attirant, sans équivalent dans le cinéma français.
Truffaut en fait ici un employé d'une agence de détectives
qui se fait bien sûr repérer dès sa première
filature, rendant ainsi hommage aux livres de Charles Williams, de William
Irish et de Jim Thompson dont il se nourrissait.
MARDI 1.
Lecture. Un été autour
du cou (Guy Goffette, Gallimard, coll. nrf, 2001, sélectionné
pour le Prix René-Fallet).
L'initiation amoureuse du jeune Simon auprès d'une femme mûre,
la Monette.
Pour son premier roman, Guy Goffette qui est déjà connu
pour d'autres travaux, poétiques principalement, se lance dans
un récit d'enfance qu'on devine largement autobiographique. Simon
laisse d'ailleurs souvent place au "je", comme si l'auteur avait
du mal à se voir comme personnage indépendant de lui-même.
Les souvenirs qu'il évoque sont loin d'être enchanteurs :
coincé entre un père alcoolique et brutal et une mère
soumise, Simon ne trouve d'échappatoire ni dans l'amitié
- les camarades qu'il fréquente, presque à son corps défendant,
sont des brutes, les amours enfantines confinent au touche-pipi sordide.
Une femme plantureuse qui vient de s'installer dans le pays va changer
sa vie, lui faire découvrir le désir puis l'amour avant
d'apparaître sous son vrai jour de nymphomane détraquée
et lui donner le dégoût des femmes pour la vie entière.
C'est un récit très amer, bien écrit, plutôt
intéressant car l'auteur fait preuve d'originalité dans
un genre très couru.
Sortie. Promenade au bord de la mer.
Ça caille. Pluie, embouteillages.
TV. Tuer n'est pas jouer (The
Living Daylights, John Glen, G.-B., 1987 avec Timothy Dalton, Maryam
d'Abo, Joe Don Baker, Art Malik, Jeroen Krabbé).
James Bond est chargé d'organiser le passage à l'Ouest d'un
général russe.
En 1987, les récits classiques d'espionnage vivaient leurs dernières
heures : rideau de fer, guerre froide, monde libre, toutes ces notions
allaient être chamboulées deux ans plus tard, menaçant
le fonds de commerce du genre dont James Bond était le parangon.
Je dois dire que je n'ai pas compris grand-chose à ces histoires
d'agents doubles ou infiltrés, de trafic d'armes, d'opium et de
diamants mais que ça n'a aucune importance. L'histoire est fertile
en rebondissements et ne comporte pas de temps morts. On suit James Bond
de Bratislava (très grise) aux montagnes afghanes (très
arides) via Tanger (très colorée) et Vienne (très
viennoise).
Ironie de l'histoire, ce sont les moudjahidin afghans combattant l'oppresseur
soviétique, qui sauveront James Bond... Celui-ci est interprété
pour la première fois par Timothy Dalton et se révèle
aussi à l'aise aux commandes de son Aston Martin bourrée
de gadgets ou d'un avion de l'Aeroflot que sur une luge de fortune constituée
par l'étui d'un violoncelle.
MERCREDI 1.
Courrier. Rédaction de 5 cartes
postales.
Sortie. Caroline passe la journée
à Cannes à magasiner avec Lucie. Je tente une petite sortie
poussette avec Alice, on roule dans les crottes de chiens.
Lecture. Mephisto valse (Ollivier Pourriol, Grasset,
2001, sélectionné pour le Prix René-Fallet).
Un jeune pianiste participe au concours Chopin à Varsovie.
Impossible de s'intéresser aux aventures et aux réflexions
du narrateur qui concernent tour à tour la situation des Juifs
en Pologne, le monde de la musique, ses aventures sentimentales et je
ne sais quoi encore. Ça a l'air d'avoir été écrit
à toute vitesse sur un coin de table à partir d'une fausse
bonne idée - un concours artistique qui révèle des
failles dans le passé de divers personnages. C'est plus que mauvais,
c'est ridicule.
Rue des Rigoles (Gérard Mordillat, Calmann-Lévy,
2002).
Souvenirs d'enfance.
Gérard Mordillat a passé son enfance rue des Rigoles, à
deux pas de chez Perec, dans le 20° arrondissement. Il en avait déjà
parlé dans Vive la Sociale ! qu'il avait lui-même
adapté au cinéma. Une enfance de petit parisien typique,
le père communiste SNCF, la mère professeur chez Berlitz,
les copains, les premières amours, les premiers boulots, entre
Doinel (il parle du Rotor, le manège qu'on voit dans Les 400 coups)
et Doisneau, quenelles et Queneau. On a déjà lu ça
je ne sais combien de fois, le vert paradis de l'enfance enjolivée,
Paris qui était encore Paris, etc. (voir l'insupportable Olivier
et ses amis de Robert Sabatier par exemple).
Heureusement, Mordillat est un type bien, qui sait se servir de sa plume,
possède la gouaille nécessaire à ce genre d'exercice
(ce qu'on peut vérifier en écoutant ses contributions aux
Papous de France Culture) et l'intelligence de ne pas tomber dans les
pièges attendus. Son livre, s'il est sans surprise, est d'une lecture
agréable, contient les doses nécessaires d'humour et d'émotion.
La nostalgie est là mais elle n'est pas outrée, la vie ne
s'est pas arrêtée au sortir de l'enfance. A noter un chapitre
hilarant intitulé "Je hais le théâtre" dans
lequel je me suis totalement retrouvé.
TV. Je jette un œil sur Real Madrid
- Bayern Munich (2-0), non que ça me passionne vraiment mais parce
qu'il y a Zidane qui joue au Real. Viendra le jour où Zidane prendra
sa retraite et où les matches de football risquent d'être
bien ennuyeux.
JEUDI 1.
Courrier. Rédaction de 5 cartes
postales.
Célébration. Anniversaire
de Caroline.
Lecture. Comment je suis devenu
stupide (Martin Page, Le Dilettante, 2001, sélectionné
pour le Prix René-Fallet).
Antoine est un jeune homme intelligent, sans histoires et sans argent.
Peu satisfait de son existence, il essaie de devenir alcoolique, de se
suicider, puis de sombrer dans la stupidité.
Il réussira dans cette troisième voie, grâce notamment
aux comprimés d'"Heurozac" prescrits par un ami médecin.
Pour devenir un parfait imbécile, Antoine va s'acheter des vêtements
à la mode, regarder la télévision, gagner de l'argent
dans un métier de courtier, acheter une voiture... avant de retrouver
sa condition initiale grâce à ses amis qui réussissent
à lui faire ouvrir les yeux. 200 pages pour dire que l'argent ne
fait pas le bonheur et que le monde est en majorité peuplé
d'imbéciles, on n'en avait peut-être pas besoin de tant.
Mais le ton léger de Martin Page, son regard ironique, ses quelques
trouvailles (Antoine qui vole des livres à la
FNAC page par page avant de les reconstituer chez lui; le coma éthylique
qu'il connaît au bout d'un demi-verre de bière) rendent la
lecture de son livre assez plaisante.
Sortie. Néant. Il fait un temps
de chien, le soleil brille de mille feux sur les Vosges. Bonheur de rester
enfermé à remuer du papier. J'ai apporté un Pléiade
de Stendhal pour prévenir toute pénurie de lecture ou en
cas d'hospitalisation imprévue. Je relis Le Rouge, remets
un peu d'ordre dans mes notes pour mon Atlas de la Série Noire
et mes Propos sur l'art peint.
VENDREDI 1.
Courrier. Fin des cartes postales.
Sortie. Départ pour Marseille dans la matinée
pour aller visiter H. sur son lit de douleur à l'Hôpital
Nord, sorte de grande barre grise tendance Haut-du-Lièvre aux balcons
rouillés. J'ai des nœuds dans le ventre au moment de frapper à
sa porte et mesure le courage qu'il a fallu à ceux et celles qui
sont venus me voir quand je jouais mon concerto pour tuyaux et bandelettes
à l'hôpital de Metz. Les bandes du visage, justement, sont
enlevées. Là où j'attendais plutôt un champ
de mines, le côté endommagé est bien refait, bien
lisse, encore légèrement enflé. L'œil fermé
est choquant, les lignes de cicatrices sur le crâne impressionnantes
mais tout ce qui est nez-front-pommette est bien refait et avec le temps,
le reste suivra. Il marche un peu, parle de mieux en mieux, fait de la
kiné, s'ennuie, dort mal. Il doit être transféré
le jour-même dans un centre de rééducation, toujours
à Marseille. Nous parlons des circonstances de l'accident, dont
il ne se rappelle rien. F., qui l'accompagnait, est tombé dans
les pommes en le découvrant après la chute. Heureusement,
ils étaient avec un autre couple dont la femme, qui est infirmière
ou secouriste je ne sais plus, lui a fait un point de compression jusqu'à
ce qu'il soit héliporté jusqu'à cet hôpital
par les pompiers de Vitrolles. Il a hâte de sortir, de retravailler,
de se remettre à la moto et ... à l'escalade. Caroline prend
le relais à son chevet puis nous le laissons avec sa mère
qui empaquette ses affaires en vue de son transfert. Nous partons à
la découverte du Vieux Port, mangeons des trucs mous sur la Canebière
et ne nous attardons pas : le soir-même doit avoir lieu le match
O.M. - P.S.G. et l'ambiance est quelque peu électrique. Sur l'autoroute
du retour, un ralentissement : ce sont trois bus de supporters du P.S.G.
accompagnés par des véhicules de police. Je suppose qu'on
les promène autour de la ville - de peur de les lâcher dedans
- en attendant l'ouverture des portes du stade. Nous les dépassons
: des visages grimaçants de haine et de bêtise collés
aux vitres, des banderoles et des écharpes "Comité
anti-Marseillais", des bras d'honneur... Des singes. Vive le sport.
TV. Un bon épisode de P.J.
dans lequel les inspecteurs ont affaire à des néonazis.
SAMEDI 1.
Lecture. Le soir du chien (Marie-Hélène
Lafon, Buchet/Chastel, 2001, sélectionné pour le Prix René-Fallet).
Dans un village d'Auvergne, Laurent raconte son amour pour Marlène,
qui le quitta pour un vétérinaire.
Outre le récit de Laurent, on a celui de Marlène, celui
de la mère de l'un, de la grand-mère de l'autre, de l'employée
du bibliobus qui dessert le village et d'autres encore. C'est un roman
polyphonique donc et c'est en tissant ces voix, en les croisant pour voir
ce qu'elles ont en commun qu'on réussit un peu à connaître
un peu de la vie de Marlène et Laurent, de leur passé. Marie-Hélène
Lafon ne cède pas à la facilité : il y a beaucoup
de personnages qui interviennent, tant qu'il n'est pas aisé de
savoir qui est qui au moment où ils prennent la parole; et tout
ce que raconte chacun d'eux n'a rien d'événementiel : il
ne se passe quasiment rien, sinon dans le cœur ou dans la tête de
ces personnages. L'auteur parvient à ne pas être ennuyeuse,
grâce à un style qui n'évite pas quelques poncifs
d'écriture "féminine" mais qui a de la tenue.
DIMANCHE 2.
Sortie. Expédition jusqu'à
Saint-Tropez, via l'arrière-pays, belle petite route dans le massif
de l'Estérel, Fréjus, moins moche que je ne le pensais,
puis la côte, Saint-Raphaël, Sainte-Maxime, Port-Grimaud derrière
une décapotable décapotée conduite par un vieux beau
pendu à son téléphone cellulaire, tout à fait
couleur locale. Nous visitons le Musée de l'Annonciade, petit bijou
qu'on ne s'attend pas à trouver dans un tel endroit. Ici, foin
de la muséographie : des murs blancs et des tableaux, point. Parmi
ces derniers, quelques toiles déjà vues au Musée
d'Art Moderne de la Ville de Paris dans le cadre de l'exposition consacrée
au fauvisme : les Femmes à la balustrade de Van Dongen, Le Pont
de Chatou de Vlaminck, la Gitane de Matisse. Mais aussi des paysages de
Braque et Derain, trois beaux Bonnard, des
divisionnistes (le superbe Orage de Signac et des disciples), Delaunay,
Vallotton, Vuillard, tous attirés par la lumière de Saint-Tropez.
Heureusement que nous ne sommes pas venus pour les Dufy : ils ont été
prêtés pour l'exposition du Musée de Nancy. Nous arpentons
le port, il y a du monde bien sûr, mais c'est vraiment un lieu charmant.
Nous tombons sur les G., qui camping-carisent à Port-Grimaud et
devisons un moment. Nous trouvons la place des Lices, mais pas la gendarmerie
qui abrita les gesticulations de de Funès.
LUNDI 2.
Départ. Ménage, rangement
et route du retour sous le soleil revenu. Nous sommes au logis peu avant
minuit et dépouillons le courrier : un numéro de Viridis
Candela et une carte des C. en Savoie.
MARDI 2.
Retour à la routine. Alice fait sa rentrée en crèche,
pas franchement ravie, et Caroline à la pharmacie où, sur
les trois employées, deux sont enceintes et la dernière
doit aller chercher un enfant en Haïti, ce qui annonce des périodes
un peu délicates à organiser. Je prends connaissances de
mon courrier électronique (messages d'A. et de N.) et lis la presse
en retard.
MERCREDI 2.
Fin de la routine. J'abandonne le domicile conjugal par le bus de 6 heures
57, et prends le train pour Paris de 7 heures 42. Je vais à la
librairie Dédale lire en diagonale le dernier livre de Jacques
Roubaud où, comme attendu, il est question de Perec et de l'Oulipo,
mange au Petit Cardinal et passe l'après-midi à travailler
sur mon Atlas à la Bibliothèque des Littératures
Policières. Je trouve de la Zébraline pour ma mère
au Bazar des Écoles, et épluche Le Monde devant un thé
dans un bar branché de la rue Champollion.
Cinéma (le Quartier Latin,
rue Champollion). Jalla ! Jalla ! (Josef Fares, Suède, 2000
avec Laleh Pourkarim, Leonard Terfelt, Jan Fares, Sofi Ahlström Helleday,
Fares Fares, Torkel Petersson, Tuva Novotny).
Roro, fils d'émigrés libanais en Suède, est amoureux
de Lisa. Sa famille veut le marier avec Yasmine, une des leurs. Son copain
Måns connaît lui des problèmes d'érection avec
sa copine Jenny.
L'aventure de Roro, obligé de se battre contre le poids de sa famille
pour vivre avec celle qu'il aime fait penser (sans remonter à Molière)
à celle de Zaza dans Mariage tardif de l'Israélien Dover
Kosashvili (cf. notules n° 41). Sauf qu'ici on a affaire à
une comédie des plus réussies, un petit bijou qui montre,
après Italian for Beginners du Danois Lone Sherfig, la vitalité
du cinéma de l'Europe du Nord. Sur un sujet grave, le carcan des
traditions familiales, Josef Fares donne un film léger, dynamique
(utilisation du zoom, bande son de rock et de reggae suédois pas
du tout désagréable). Les mésaventures de Måns,
confronté à l'impuissance, sont aussi traitées sur
le mode comique, sans tomber dans le graveleux si tentant pour un tel
sujet. C'est drôle, surprenant, enlevé, bien interprété
par des figures très attachantes, bref la meilleure comédie
de l'année à ce jour.
Lecture. La muraille invisible
(Brandvägg, Henning Mankell, 1998, 2002 pour la traduction française,
traduit du suédois par Anna Gibson, Éditions du Seuil, coll.
Seuil Policiers).
Une jeune femme tue un chauffeur de taxi, s'enfuit du commissariat et
est retrouvée morte dans un transformateur électrique à
haute tension. Le cadavre de son petit ami est découvert dans la
salle des machines d'un ferry. Un consultant en informatique meurt devant
un distributeur bancaire. Quel est le lien entre ces différentes
affaires ? Pour sa quatrième enquête, l'inspecteur Kurt Wallander,
du commissariat d'Ystad, en Scanie, est servi : ce n'est ni plus ni moins
qu'un gigantesque complot financier mondial qu'il lui faut combattre,
avec l'aide d'un jeune hacker. Et ce au moment où une enquête
est diligentée contre lui pour violences à l'égard
d'un suspect et où il apprend que son collègue Martinsson
complote dans son dos pour lui prendre sa place.
Qu'il se batte contre un tueur en série ou un cyber-délinquant,
Wallander utilise les mêmes méthodes : incessants va-et-vient
entre son domicile, le commissariat et les lieux des crimes, interrogatoires
de témoins, réunions de l'équipe d'enquêteurs,
attente des résultats des analyses scientifiques, comptes à
rendre au procureur... Alors qu'il doit ici mettre fin à un danger
omniprésent, presque immatériel, jamais on ne l'a senti
aussi pesant, aussi terrestre, les pieds collés à la glèbe
de la Scanie. Wallander sait que cette enquête n'est pas pour lui,
qu'il appartient à une génération de policiers qui
n'aura bientôt plus raison d'être. Son travail le repousse,
son pays, qu'il ne comprend plus, le repousse : ses amis, un par un, font
leurs bagages et quittent la Suède. Mais Wallander s'accroche,
maintient le cap malgré les
bourrasques, ce qui en fait un personnage extrêmement attachant.
L'enquête menée ici est passionnante de bout en bout, et
confirme le fait que Mankell est au sommet du polar européen.
Cinéma (le Rex, boulevard Bonne-Nouvelle).
Parle avec elle (Hable con ella, Pedro Almodóvar,
Espagne, 2002 avec Javier Cámara, Darío Grandinetti, Leonor
Watling, Rosario Flores, Mariola Fuentes, Geraldine Chaplin).
Lydia, torera, est à l'hôpital dans un coma profond après
un accident de corrida. Son ami Marco y fait la connaissance de Benigno,
infirmier amoureux d'une autre belle endormie, Alicia.
C'est la première fois qu'Almodóvar, que je considère
comme un cinéaste surestimé, parvient à me toucher
avec
cette histoire d'amour et de mort. Il y a d'une part Marco, pour qui Lydia
est déjà morte et qui finit d'ailleurs par mourir, d'autre
part Benigno, qui s'occupe d'Alicia, "parle avec elle" comme
si elle pouvait l'entendre et le comprendre. L'une mourra, donc, l'autre
sortira du coma. Eros 1 - Thanatos 1. On sent qu'Almodóvar a logiquement
privilégié le personnage de Benigno, sorte de naïf
toujours à la limite du ridicule dans sa relation avec Alicia.
Heureux les simples d'esprit, c'est lui qui a raison et c'est son attitude
qui finit par s'avérer la plus adaptée.
Almodóvar évite le huis-clos hospitalier étouffant
grâce à des retours en arrière qui expliquent l'histoire
de chacun des deux couples. Le dosage entre gravité, émotion
et légèreté est parfait, loin de la pesanteur de
Tout sur ma mère. Deux scènes sublimes à retenir
: le
changement des draps d'Alicia à l'hôpital, où la toile
devient suaire, lange, voile (filmée en plongée) et une
version bouleversante de Cucurrucucù Paloma chantée par
Caetono Veloso sur une terrasse qui justifie à elle seule l'achat
de la musique du film.
JEUDI 2.
Cinéma (UGC Rotonde, boulevard
Montparnasse). Gosford Park (Robert Altman, U.S.A., 2001 avec Emily Watson,
Alan Bates, Maggie Smith, Kristin Scott Thomas, Helen Mirren, Derek Jacobi,
Stephen Fry, Richard E. Grant, Ryan Phillippe, Charles Dance, Bob Balaban).
Angleterre, 1932. A l'occasion d'une partie de chasse, de fortunés
Anglais se réunissent dans le manoir de Sir William McCordle. L'organisation
des valets de chacun se met en place autour de l'événement.
Mais un meurtre va soudain perturber la belle réunion.
On connaît les qualités d'observateur de la société
américaine de Robert Altman, l'acuité de son regard. C'est
avec le même œil d'entomologiste qu'il se penche ici sur un échantillon
de la noblesse anglaise de l'entre deux guerres, dans un film qu'il faudrait
certainement voir à
plusieurs reprises tant il y a d'histoires qui y sont entremêlées.
On trouve une brochette de membres de la haute société,
chacun étant accompagné d'un domestique. La mise en scène
fait alterner les séquences, parfois très courtes, des maîtres
et des valets, séparés socialement bien sûr, mais
aussi géographiquement aux différents étages de la
maison. Il y a des intrigues de cœur, de famille et d'argent qui sont
parfois difficiles à suivre. Altman décrit un monde de faux-semblants
: les jalousies, les haines se cachent sous le vernis du paraître
et de l'étiquette mais finiront par se matérialiser sous
la forme d'un meurtre. C'est le virage "christien" du film,
avec l'entrée en scène d'un détective balourd (Fry)
qui a la dégaine et la pipe de M. Hulot.
La hiérarchie existe aussi à l'intérieur de chaque
caste. les domestiques sont sous les ordres d'un majordome (Bates, saisissant),
d'une gouvernante (Mirren, superbe, déjà vue à son
avantage dans l'excellente série télévisée
anglaise Prime Suspect) et d'une cuisinière. La caméra d'Altman
est cruelle quand elle filme les puissants, plus humaine quand elle s'attache
aux humbles. Ceux-ci sont privés d'une existence propre, ne vivent
que par procuration au point qu'ils se donnent les noms de leurs maîtres
pour se reconnaître entre eux. Il n'y a aucun espoir de transgression,
de pouvoir passer d'un monde à l'autre : celui qui s'y essaie se
retrouve rejeté par les deux camps. Les riches commencent à
apparaître comme des survivants (l'argent commence à manquer,
l'Empire britannique perd de sa solidité, le centre du monde se
déplace de l'autre côté de l'Atlantique comme le montrent
deux personnages acteurs de Hollywood) mais continuent à faire
comme si de rien n'était.
Richesse de l'interprétation ((on comprend pourquoi on s'arrache
les comédiens anglais), richesse du scénario, richesse de
la reconstitution, un des sommets de l'œuvre d'Altman.
Retour. Je regagne Épinal dans
la soirée, après une nouvelle séance de travail à
la Bilipo.
VENDREDI 2.
Jardin. Je parviens à donner
quelques coups de bêche entre deux averses.
Mail. Mise à jour du courrier
électronique avec des réponses à A., N., Y. et F.
SAMEDI 2.
Courrier. Je reçois le n°6
de Temps noir et une réponse drôle de Philippe Meyer à
ma lettre du 4 avril.
Jardin. Mise en terre des épices
(échalotes, oignons jaunes, blancs et rouges), mise en godets de
cosmos et de lupins.
TV. PJ. Une taupe est infiltrée
dans le commissariat. Serait-ce le jeune beur récemment embauché
comme emploi-jeune ? Trop facile...
Bon dimanche.
Rappel.
Les numéros précédents des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
Notules
dominicales de culture domestique n°57 - 28 avril 2002
DIMANCHE.
Élections. Je vote Mamère.
Cela fait déjà plusieurs scrutins que j'ai abandonné
le vote communiste (je ne suis pas le seul apparemment) pour le vote écologiste.
Sans doute un effet de ma tardive mais somme toute récente paternité.
Ce n'est pas par goût des petites fleurs et des petits oiseaux (la
nature m'ennuie et si je pense quelquefois à me retirer loin d'Épinal
pour mes vieux jours, je pense plus à Paris qu'à Saint-Jean-du-Marché)
mais le tout automobile et l'architecture périurbaine me navrent.
Donc, je vote vert, mais garde en un coin de ma tête la phrase de
Finkielkraut : "Il ne suffit pas de se demander quelle planète
nous allons laisser à nos enfants, il faudrait aussi se demander
quels enfants nous allons laisser à la planète" (je
cite de mémoire). J'entame la soirée électorale à
la radio et la poursuis à la télévision. Comme tout
le monde, je suis surpris mais ne me sens pas coupable de ne pas avoir
voté Jospin. Je serais plus mal à l'aise si j'avais choisi
Laguiller, qui refuse
de "choisir entre la peste et le choléra" pour le deuxième
tour. Je ne suis pas non plus effaré par la bêtise de mes
compatriotes : je suis flaubertien, je vais au bistrot tous les jours,
j'entends ce qui s'y dit et Caroline me rapporte ce qu'elle entend de
ses clients à la pharmacie. C'est TF1, ce n'est pas ARTE qui est
la chaîne de télévision la plus regardée. Les
Vosges, où l'abruti à front bas trouve un terreau fertile
à son épanouissement, placent bien sûr Le Pen en tête,
à la notable exception des villes d'Épinal et Remiremont.
C'est maintenant que commence le plus dur : me persuader d'aller voter
Chirac au second tour plutôt que rester at home ou voter blanc.
La victoire de Chirac doit être la plus large possible pour que,
justement, ce ne soit pas sa victoire. C'est après qu'on rigolera,
quand il essaiera (le fera-t-il au moins ?) d'appliquer ses promesses
fiscales et sécuritaires démagogiques. Cela dit, j'avoue
que la situation n'est pas désagréable car il y a une certaine
jouissance, un certain confort à se retrouver dans une position
de résistance.
LUNDI.
Mail. D.R. me donne l'adresse de la
gendarmerie de Saint-Tropez. G.N. me fait part d'une erreur commise dans
les dernières notules où Christine Darbon (la fiancée
d'Antoine Doinel dans Baisers volés) est devenue, je ne
sais pourquoi, Christine Debon (peut-être parce que j'ai regardé
un James Bond le lendemain). S. me confie avoir bien ri au chapitre "Viande
froide" des notules n°55. La [listeperec] et la [listeoulipo]
oublient leurs spécificités pour appeler à voter
Jacques Chirac.
Vie professionnelle. Retour aux affaires
scolaires. Au collège, J.-C. F. m'offre deux Série Noire
cartonnés qu'il a dénichés dans une brocante. Je
fais ma demande de mutation pour les quatre établissements d'Épinal
que je peux atteindre en bus.
MARDI.
Élections. Je trouve dans la
chronique de Pierre Foglia (La Presse de Montréal) un sentiment
proche du mien quand je dis qu'il y a un certain plaisir à se retrouver
en résistance. Pour lui, "la gauche est avant tout une culture
d'opposition (...) l'exercice du pouvoir est incompatible avec une pensée
critique. Il faut laisser les libéraux - au sens économique
du mot - gouverner. Ils sont plus doués pour ça. Ils sont
tombés dedans quand ils étaient petits."
Sortie. Je me rends au Lycée
Lapicque où des profs ont invité Jean-Pierre Verheggen à
faire une causerie. Je ne veux pas rater ça, ce n'est pas tous
les jours qu'on peut voir un poète vivant, et que j'ai lu en plus
(cf. notules n° 38). Même si Epinal est aussi dotée d'un
poète, Richard Rognet, dont je ne suis pas un fervent admirateur.
Verheggen est un poète jubilatoire, tordeur de mots, drôle
et jouisseur. Il parle de sa belgitude, de Lacan, de son parcours, c'est
plutôt intéressant. II lit - très bien - des extraits
de ses recueils. Le public semble être composé des profs
qui l'ont invité, de la libraire qui va essayer de vendre ses bouquins
et des internes du lycée qui ont été convoqués
pour faire la claque. A l'issue de la causerie, je vais lui faire signer
mon exemplaire de On n'est pas sérieux quand on a 117 ans
("Tu verras !", ajoute-t-il) sans avoir à jouer des coudes
car je suis le seul à avoir un livre de lui. Je discute assez longuement
avec lui de Sttellla (un groupe belge qui a la même attitude que
lui face au langage), de la 'Pataphysique, de Blavier, de Cueco, d'Hervé
Le Tellier, des Papous. Il semble étonné que je connaisse
ces gens-là : "Mais...vous habitez ici ?"
MERCREDI.
Emplettes. J'achète un polar
de Max Allan Collins, I Remember de Jo Brainard, le dernier Michael
Connely et le volume de Perec en Pochothèque. Ce qui me fait quatre
exemplaires de La Vie mode d'emploi : un exemplaire annoté,
bientôt illisible, un exemplaire à prêter, un exemplaire
pour une lecture "blanche", sans notes, et celui-ci qui sera
un exemplaire de voyage. Je trouve aussi un Série Noire cartonné
chez un soldeur.
Jardin. Première tonte. La
dernière chose que je sectionne est la courroie d'entraînement
de la tondeuse, ce qui met fin au vacarme.
Sortie. Caroline se rend à
la Faculté de droit pour une conférence sur l'histoire du
quartier de Saint-Laurent.
TV. La Vierge des tueurs (Barbet
Schroeder, France-Colombie, 2000 avec German Jaramillo, Anderson Ballesteros,
Juan David Restrepo, Manuel Busquets).
Fernando, un écrivain homosexuel, revient après des années
d'absence à Medellín. Il rencontre Alexis, un garçon
de 16 ans. Ils s'installent dans un appartement à partir duquel
ils arpentent la ville. Une ville que Fernando ne reconnaît plus,
tant elle est devenue violente. On y tue pour les prétextes les
plus futiles (un voisin trop bruyant, un chauffeur de taxi qui écoute
la radio trop fort...), les gangs règnent en maîtres. C'est
Alexis qui sert de guide à Fernando dans cette jungle urbaine.
Peu à peu Fernando surmonte son étonnement et sa réprobation,
se fait petit à petit à son nouveau milieu, jusqu'au moment
où Alexis est tué à son tour.
Le film a une valeur de témoignage indéniable, mais sa forme
lui enlève sa crédibilité. Pour des raisons de sécurité
on suppose, Schroeder a dû tourner en caméra DV, ce qui fait
que les scènes d'intérieur semblent sortir d'une telenovela
brésilienne et celles d'extérieur d'un reportage d'Envoyé
spécial. Le son ne vaut pas mieux, du moins en version doublée.
JEUDI.
Courrier. J'envoie un objet ludique
au
jeune Colin, des coupures à l'AGP (NRP, Le Monde, La Croix)
et à Y. (Libération, Le Journal du Dimanche, Le Monde),
décline une invitation à un mariage.
Mail. F. me dit du bien du dernier
Jonquet.
Cinéma. L'Orphelin d'Anyang
(Anyang de yinger, Wang Chao, Chine, 2001 avec Zhu Jie, Sun Gui Lin, Yue
Sen Yi).
Anyang, une ville moyenne de la province chinoise du Henan. Yu Dagang,
un ouvrier quadragénaire, se retrouve brusquement au chômage
et sans ressources. Un soir, il découvre en pleine rue un nouveau-né
abandonné par sa mère. Celle-ci, une prostituée,
offre 200 yuans par mois à qui voudra bien s'occuper de son fils.
Yu Dagang décide de prendre soin de l'enfant.
Si on s'attend à une sorte de "Un homme seul et un couffin",
on risque d'être déçu. Le visage fermé de Yu
Dagang, son mutisme quasi total ne sont pas là pour tirer le film
vers la comédie. La mise en scène non plus : quand Wang
Chao filme Dagang en train de manger un bol de nouilles ou la prostituée
en train d'étendre son linge, c'est en plan fixe et ça dure
jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien dans le bol ou dans la bassine.
Donc on ne s'amuse pas. Est-ce qu'on s'ennuie ? Ça arrive mais
au fur et à mesure que le film progresse, l'intérêt
grandit. Pas vraiment pour l'histoire de ce drôle de trio qui est
plutôt obscure, mais plutôt pour le cadre. Wang Chao a une
façon de filmer on ne peut plus basique : il pose sa caméra
sur un trottoir et regarde les gens passer. En voiture (les klaxons sont
omniprésents), en camionnette, à vélo, à pied...
Et le spectacle devient passionnant. Car les Chinois, outre le fait qu'ils
sont nombreux, semblent tous être la proie d'une idée fixe :
se rendre d'un point à un autre, si possible en transportant quelque
chose de volumineux. C'est ce spectacle incessant (Beijing Bicycle,
de Wang Xiaoshuai - cf. notules n° 13 - en donnait quelques trop brefs
aperçus) qui donne le plus d'intérêt au film.
VENDREDI.
Téléphone. Je prends
des nouvelles de H. Il est retourné hier à l'Hôpital
Nord se faire libérer la mâchoire mais a encore du mal à
parler. Les médecins sont satisfaits de l'évolution. Il
n'arrive toujours pas à ouvrir la paupière gauche et ne
se fait plus d'illusions sur l'état de l'œil qu'elle cache. La
vie au centre de rééducation n'est pas rose : ennui et mauvaise
nourriture. A part une demi-heure de kinésithérapie le matin,
il ne fait rien et pense signer une décharge afin de pouvoir sortir.
Courrier. Je reçois le dernier
CD de René Aubry, le fils des voisins de Saint-Jean-du-Marché.
SAMEDI.
Emplettes. Encore cinq anciens Série
Noire trouvés au marché. J'achète Le Guide du
cinéma chez soi (10 000 films chroniqués) édité
par Télérama.
Courrier. Une carte postale des M.
& M. en vacances en Vendée.
Lecture. Cahiers Georges Perec n°
2 (Textuel n° 21, Revue de l'UFR "Science des textes et documents"
de l'Université Paris 7 - Denis Diderot, textes établis
et présentés par Marcel Bénabou et Jean-Yves Pouilloux,
1987).
W ou le souvenir d'enfance : une fiction.
Ce numéro présente les travaux du séminaire Perec
1986-1987, entièrement consacré à W. Il a été
légèrement réactualisé à l'occasion
d'une réédition en 1997 mais devra certainement l'être
davantage à la lumière de la découverte du "manuscrit
de Stockholm" que David Bellos présenta - j'y étais
- aux yeux éblouis de la gent perecquienne à L'École
Normale Supérieure, rue d'Ulm, le 5 juin 1999. Ce nouveau manuscrit
devrait permettre à Philippe Lejeune surtout de compléter
son travail de recherche génétique.
Cela dit, ce numéro des Cahiers conserve son intérêt
primordial : la recension des "sutures" découvertes par
Bernard Magné entre les chapitres autobiographiques et les chapitres
fictionnels de W. Là où on avait toujours cru avoir affaire
à deux textes totalement indépendants imbriqués l'un
dans l'autre, il démontre que ces deux ensembles ne cessent de
correspondre, de se répondre par des mots, des tournures, des structures
qui forment un véritable réseau.
TV. P.J. Épisode qui n'aurait
aucun intérêt s'il ne contenait cette belle perle : "Je
suis de Moselle. Laxou..."
Bon dimanche.
Rappel.
Les numéros précédents des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
|