Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°46 - 3 février 2002

DIMANCHE.
Aménagement du territoire. Les employées reviennent le matin pour continuer l'installation de la pharmacie. Caroline continue seule l'après-midi, de façon à ce que le monument puisse ouvrir le lendemain. Elle relève une page complète de choses à revoir : fuites, spots défaillants, moquette mal posée...

TV. 8° épisode de Six Feet Under.

Lecture. Chiens sales (François Barcelo, Gallimard, coll. Série Noire n° 2589, 2000).
Carmen voit débarquer chez elle deux chasseurs qui ont tué par erreur un ministre du gouvernement québécois. La police - les chiens du titre - donne l'assaut à la maison. Carmen parvient à s'enfuir.
Baisse de régime pour François Barcelo, le Québécois de la Série Noire (troisième titre paru). On retrouve sa patte, mélange d'absurde et de dérision, dans la première partie du livre qui se déroule dans la maison de Carmen. Mais une fois celle-ci en fuite, ça se délite complètement. Jamais on ne parvient à croire, ni même à s'intéresser à la cavale de Carmen qui a à ses trousses tout ce que le Québec compte d'uniformes. Au passage, l'auteur règle une nouvelle fois ses comptes avec l'institution familiale (Carmen déteste sa mère) et se moque sans grande finesse des politiques québécois.
Citation : "C'est ma mère, avec sa voix pointue et son ton sarcastique de femme qui rêve de devenir un jour belle-mère et grand-mère pour avoir deux individus de plus à emmerder."

LUNDI.
Ouverture. Après trois mois de travaux (comme prévu), la pharmacie ouvre ses portes. Je passe devant en revenant de l'école mais n'ose entrer tant la file d'attente est impressionnante. On se croirait chez Harrod's le premier jour des soldes. Enfin non, j'exagère. Le deuxième jour, disons.

Mail. J'envoie le correctif à l'annonce de virus que j'avais transmise la semaine précédente : il s'agissait d'une fausse information, un "hoax" comme on dit dans ce milieu. Comme me le fait remarquer J. S. judicieusement, un vrai virus s'avance masqué, sans envoyer de carte de visite...

TV. Jugatsu (San Tai Yon X Jugatsu, Takeshi Kitano, Japon, 1990 avec Masahiko Ono, Takeshi Kitano, Yuriko Ishida, Takahito Iguchi, Minoru Izuka, Hitoshi Ozawa).
Un employé de garage est frappé par un yakusa. Décidé à se venger, il part à Okinawa dans le but de se procurer une arme. Il fait la rencontre de deux gangsters qui eux-mêmes en veulent à leur patron.
Un drôle de corps décidément que ce Kitano, qui m'intrigue parce que ses films me sont pour une grande part obscurs. Néanmoins le peu de lumière qu'on y entrevoit justifie l'intérêt et me donne envie de les revoir tous. Jugatsu est son deuxième. La séquence d'ouverture nous présente le jeune Masaki qui, comme Shigaru dans A scene at the Sea, oppose un mutisme complet aux sarcasmes de ceux qui l'entourent et le moquent (le silence est un des éléments essentiels du cinéma de Kitano). Masaki fait du base-ball comme Shigaru fera du surf : il parvient à vaincre sa malhabileté à force de travail et d'obstination. Chaque personnage de Kitano a une idée fixe : tenir sur une planche de surf, se venger, rejoindre sa mère (L'Été de Kikujiro).
Ce qui rend la chose difficile à suivre, c'est le découpage. Kitano coupe brutalement une scène, abandonne ses personnages en cours de route, les repêche un peu plus loin... C'est assez déroutant, mais ça aiguise la curiosité du spectateur.
Deux autres traits présents dans tous ses films : le comique burlesque dans des scènes express qui rappellent son travail pour la télévision et la violence crue du Japon où l'on cache des armes jusque dans les bouquets de fleurs. Un drôle de corps, décidément, que ce Kitano...

MARDI.
Courrier. Un mot du propriétaire du gîte de l'Eure avec une photo de la maison. Ça semble charmant, au bord de l'eau comme dans la Creuse, ce qui semble promettre de nouveaux exploits halieutiques.

Mail. Dans un livre de Yak Rivais, je trouve, dans une note consacrée à l'alexandrin, cette information : "I" (qui se lit "I un en chiffre romain et en garamond gras", le garamond étant un caractère d'imprimerie) serait le plus court alexandrin de la langue française. Rivais l'attribue à Georges Perec, ce qui m'étonne car je ne l'ai jamais rencontré dans son œuvre. Je demande un complément d'enquête sur [listeperec] et les réponses affluent. En fait, ce n'est pas de Perec mais de Jacques Bens. Perec, dans le genre, s'est contenté de "WWWW". En fait, c'est un exercice assez facile. A mes élèves, j'ai l'habitude de l'illustrer par "Un petit o perdu dans un coin du tableau". On peut même imaginer des alexandrins ne comportant aucune lettre. Par exemple: " ", qui se lirait "Un long espace blanc entre deux guillemets".
Y. m'annonce qu'il est en train de mettre tous les numéros précédents des notules en ligne sur ce qu'on appelle, je crois, une "page perso" et m'en envoie un aperçu. C'est somptueux, il y a même une rubrique "mots-clef" qui permet de se livrer à une recherche précise.

MERCREDI.
Courrier. Je reçois le n° 8 d'Histoires littéraires et le dernier CD de Bob Dylan.

Travaux. Cérémonie de réception des travaux qui, bien que la pharmacie soit ouverte, continuent (peinture de la façade, cette semaine). L'architecture annonce qu'il s'en va en vacances, faire du vélo en Afrique. On se demande bien avec quel argent.

Mail.
Ça s'agite sur la toile au sujet de nos prochaines vacances en Autriche (nombre de voitures à prévoir, nature des impedimenta à convoyer, durée de trajet...). A ce jour, Caroline n'a toujours pas trouvé de remplaçante, ce qui interdit son départ. J'envoie un paquet de notules à Y. pour qu'il les mette en place.
Sur la [listeoulipo], on s'intéresse aux pangrammes (le pangramme étant une phrase faisant sens et comprenant toutes les lettres de l'alphabet, le but étant bien sûr de la faire la plus courte possible). Certains trouvent des pangrammes de moins de 30 lettres mais qui sont des phrases trop biscornues. Mon préféré reste toujours le classique et limpide "Portez ce whisky vieux au juge blond qui fume" (37 lettres) qui a en plus le mérite d'être un parfait alexandrin.

Lecture. La place de l'Étoile (Patrick Modiano, Gallimard, 1968).
J'ai dû lire tout ce que Modiano a publié depuis Un cirque passe qui date de 1986, et ce avec un intérêt croissant. J'ai donc entrepris de voir ce qu'il avait écrit avant, à partir de cette Place de l'Étoile qui fut son premier roman.
On n'y trouve rien , ou presque rien, de ce qui constitue la légende Modiano, l'atmosphère feutrée, le sentiment de flottement des êtres et des choses. Il s'agit ici d'une sorte de délire verbal. Le narrateur, Raphaël Schlemilovitch, se présente comme un juif antisémite. Il traverse l'histoire de la 2° Guerre Mondiale et de l'après-guerre, rencontre Maurice Sachs, Hitler, Brasillach, tous les grands noms de la collaboration, est enseignant, proxénète, tente de fuir en Israël, parle de Dreyfus, de Céline... Le but de l'auteur m'échappe, je l'avoue. Il me semble que Modiano eut un père collaborateur, peut-être la clé réside-t-elle dans sa biographie.

TV. Memento (Christopher Nolan, U.S.A., 2000 avec Guy Pearce, Carrie-Anne Mosse, Joe Pantoliano).
Leonard a perdu sa femme, violée et assassinée. De puis, il a perdu autre chose : la mémoire, et, plus précisément, la mémoire immédiate. Pour mener à bien sa quête de l'assassin de sa femme, il doit tout noter sur du papier ou sur sa peau (tatouages) ou photographier de peur de ne plus savoir ce qu'il recherche.
Parfois, dans la masse des films américains standard qui nous arrivent, il en est un qui se fait remarquer par une astuce scénaristique imparable, Usual Suspects ou Le Sixième sens par exemple. C'est le cas ici avec un procédé plutôt ingénieux : le film est entièrement monté à l'envers. Attention, ce n'est pas un flash-back. Dans un film constitué d'un seul flash-back, Falbalas de Jacques Becker, mettons, on commence par la scène Z, puis on part à la scène A et on suit la chronologie A, B,C,D... jusqu'à la scène Z. Ici, on part de Z pour arriver à A en passant par Y,X,W et ainsi de suite. Ce qui fait que chaque action n'est éclairée que par
celle qui la suit dans le film (et la précède dans la chronologie de l'histoire, si je me fais bien comprendre). Mais il faut garder à l'esprit que cette action précédente, le héros l'a déjà oubliée...
Le résultat est passionnant, intriguant à souhait. Petit à petit, la lumière se fait, on croit comprendre mais ce n'est qu'illusion : à la fin, c'est à dire au début, on n'en sait pas plus qu'au début. A moins que ce ne soit l'inverse ?

JEUDI.
Presse. J'achète Le style du Monde, supplément qui constitue une sorte de contrat entre le quotidien et ses lecteurs : il y est question de déontologie, d'orthographe (faut-il mettre un "s" à taliban ?)...

Courrier. J'envoie une coupure du Monde à Y., des photocopies de Yak Rivais à l'Association Georges Perec, ma cotisation à l'association Agir en Pays Jalignois qui s'occupe du Prix René-Fallet.

Mail. Je finis de balancer le reste des notules à Y.

Vacances. Caroline déniche une remplaçante pour les deux premiers jours.

Cinéma. The Navigators (Ken Loach, G.-B., 2001 avec Dean Andrews, Thomas Craig, Joe Duttine, Steve Huison, Venn Tracey, Andy Swallow, Sean Glenn).
1997. Les membres d'une équipe de cheminots basés dans un dépôt de Sheffield apprennent la privatisation du British Rail et en subissent immédiatement les conséquences.
On peut reprocher à Ken Loach son côté parfois un peu lourd mais là, comme il s'agissait de dépeindre la situation déplorable des chemins de fer britanniques, il n'a pas eu à forcer le trait. S'en tenir à la réalité était amplement suffisant. Le British Rail a été vendu à des sociétés privées qui l'ont dépecé selon des critères géographiques ou techniques : les trains à W, les rails à X, les boulons qui tiennent les rails à Y et les casquettes des contrôleurs à Z. Cette lumineuse initiative de Tony Blair (qui essaie aujourd'hui de rattraper le coup en injectant des millions de livres dans un domaine dévasté) a eu les conséquences qu'on pouvait attendre. Les entreprises ont essayé de rogner sur les coûts, se sont livré une guerre sans merci et le train britannique est devenu aujourd'hui le moyen de transport le plus cher, le moins fiable et le plus dangereux d'Europe.
Les cheminots du dépôt mis en scène ici découvrent avec stupeur un beau matin que certains de leurs collègues sont devenus leurs concurrents. Les uns acceptent une prime de départ, d'autres s'accrochent mais le dépôt finit par fermer - pas assez rentable - et ils louent leurs services aux sociétés d'intérim, acceptant de travailler au mépris des normes élémentaires de sécurité. Ça se terminera sans surprise par la mort d'un d'entre eux. C'est un constat implacable, glaçant, aéré par moments par des tranches de vie de l'un ou l'autre des protagonistes. C'est aussi une bonne mise en garde pour la SNCF (le P.D.-G. Jean Gallois a assisté à une avant-première du film) à qui on prête parfois le désir d'imiter ce qui a été fait outre-Manche.

VENDREDI.
Mail. Ajout de deux amis québécois au répertoire des abonnés aux notules (ils les lisent en fait depuis un moment grâce à la diligence de J.S. qui les leur transmet).

TV. Alexandre le Bienheureux (Yves Robert, France, 1967 avec Philippe Noiret, Marlène Jobert, Jean Carmet, Paul Le Person, Tsilla Chelton, Françoise Brion, Pierre Maguelon, Pierre Richard, Léonce Corne).
Alexandre est cultivateur. Sa femme, la Grande, le tue à la tâche. Lorsqu'elle meurt dans un accident de voiture, Alexandre se met au lit, bien décidé à n'en plus bouger. Son attitude met le village en émoi.
Il y a d'abord une belle fable bucolique, un éloge de la paresse et de la nature particulièrement réussi. Les séquences du début, où Alexandre trime comme un esclave sous la surveillance rapprochée de la Grande en particulier sont très drôles. Il y a aussi un aspect beaucoup plus politique du film. Celui-ci est sorti quelques semaines avant Mai 68 et on ne peut faire autrement qu'y voir un avant-goût de ce qui va se passer. L'attitude d'Alexandre, son abandon de tout effort, font écho au "Ne travaillez jamais" de Guy Debord et de l'Internationale Situationniste. La population qui le condamne et veut le remettre dans le droit chemin, celui du travail ("Un homme qui ne travaille pas, ce n'est pas moral", dit Sanguin, le personnage incarné par Le Person) est un microcosme de la société gaullienne et poujadiste de l'époque. Le doux anarchisme d'Alexandre en fait un proche cousin du Blaireau de Ni vu ni connu, un des premiers films d'Yves Robert. Son attitude est scandaleuse au sens étymologique du mot (du grec skandalon, obstacle, pierre d'achoppement) : elle fait obstacle au fonctionnement harmonieux de la société. D'autant que les villageois, après avoir essayé
en vain de tirer Alexandre du lit, vont se coucher à leur tour. Le slogan "Au lit, au plume, au pageot" que lance l'un d'eux est, mine de rien, un véritable cri révolutionnaire...

Courrier. Longue lettre de B., qui est en train de lire ma Tentative d'épuisement d'un lieu spinalien.

Lecture. Esprit (revue internationale, n° 275, juin 2001).
J'avais acheté cette revue parce qu'on y parlait de Loft Story et je voulais savoir ce que de grands "esprits", justement, en pensaient. A cette heure, je ne m'en souviens plus, preuve que j'aurais pu m'en dispenser. Le dossier le plus important de ce numéro est intitulé "Nation, fédération, le compromis impossible ?" dans lequel on trouve du bon (l'héritage de la France libre par Daniel Cordier) et de l'illisible (un entretien sur l'Europe avec Jacques Delors).
Par ailleurs, on trouve un bon article sur la construction de la paix au Kosovo, quelques considérations sur Saint Augustin (qui m'auront au moins appris que celui-ci était né en Algérie) et un article sur Mozart qui prouve combien il est difficile d'écrire sur la musique (plus que sur la peinture en tout cas).

Gastronomie. C'est la Chandeleur, on fait des crêpes.

TV. Code inconnu (Michael Haneke, France-Allemagne, 2000 avec Juliette Binoche, Thierry Neuvic, Ona Lu Yenke, Luminita Gheorghiu, Didier Flamand, Nathalie Richard, Andrée Tainsy).
Qui trop embrasse mal étreint. Haneke court trop de lièvres à la fois, présentant en alternance une actrice, un reporter de guerre, une réfugiée roumaine, une famille africaine, un cultivateur aux prises chacun, avec un certain nombre de difficultés. Comment, en deux heures, parler à la fois du racisme, de l'incommunicabilité, des enfants battus, des sans-papiers, de la guerre, du malaise paysan, sans paraître caricatural ? Le propos de Haneke est lourd, démonstratif, ennuyeux. Stylistiquement, c'est intéressant tout de même car il a choisi d'aligner les plans-séquences, une cinquantaine peut-être au total, ce qui fait que la fluidité, qui manque à l'ensemble du film, existe à l'intérieur de chaque séquence. L'une de celles-ci montre Juliette Binoche aux prises avec un beur qui l'agresse verbalement dans une rame de métro. C'est le seul moment de tension du film.

Urgences. Nuit de garde pour Caroline mais aucun client entre minuit et 8 heures ce matin. Soit il n'y avait pas de malades, soit la nouvelle sonnette de garde ne marche pas.

Nouveauté. Les notules sont donc désormais accessibles sur http://pdidion.free.fr/ (si ça marche).

Bon dimanche
.

 

Notules anticipées de culture domestique n°47 - 8 février 2002

DIMANCHE.
Mail. G.N. accuse réception de l'enregistrement vidéo du concert McCartney que je lui ai envoyé.

Itinéraire patriotique départemental. Nous partons en quête du monument aux morts de La Baffe. Facile à trouver, il trône au milieu du cimetière. Ça me permet d'aller dire bonjour à Daniel Dupont (1938-1991) mort noyé à Bouzey un lendemain de noces. La Liberté de l'Est l'avait prénommé Patrick dans sa relation de l'accident. Sûr qu'il aurait apprécié d'être ainsi confondu avec un danseur étoile. Le café où nous avions bu un coup au sortir de l'enterrement n'existe plus. Je prends la maison en photo pour mon répertoire de Bars clos.

TV. 9° épisode de Six Feet Under.

LUNDI.
Courrier. Programme de la Boîte à Films, carte postale de mes beaux-parents en vacances à la neige. En plus, pour une fois, ils ne nous ont pas laissé leur chien.

Mail. Y. a terminé la mise en ligne de tous les numéros des notules. Beaucoup 'interrogations, à propos du séjour en Autriche, sur la nature de l'équipement mis à disposition par le propriétaire. Fournit-il les draps ou non ? Le message de Herr Moosbrugger est livré à un décryptage digne de l'exégèse biblique dans plusieurs salle des profs sans qu'aucune certitude n'en ressorte.

TV. Aprile (Nanni Moretti, Italie, 1998 avec Nanni Moretti, Silvio Orlando, Silvia Nono, Pietro Meretti, Daniele Luchetti, Agata Apicella Moretti, Nuria Schoenberg).
Journal intime, tome 2.
Cinq ans après Journal intime, Moretti se met à nouveau en scène. Tout commence en avril 94 avec la victoire (désormais la première victoire) de Berlusconi aux élections. Moretti essaie de monter un projet de comédie musicale mais ne parvient pas à s'y intéresser. Il se lance alors dans un documentaire sur l'Italie (inédit à ce jour, à ma connaissance) relatant les nouvelles élections de 1996, la création de la Padanie par Umberto Bossi, l'arrivée des réfugiés albanais... Et puis surtout, il y a la grossesse de sa femme et la naissance de son fils. On a l'impression d'assister au tournant de la carrière artistique de Moretti, au moment où il tourne le dos au cinéma politique (il jette à la fin toutes les coupures de presse qu'il a accumulées depuis 20 ans) pour entreprendre une œuvre plus intimiste, dont La Chambre du fils est pour l'instant le fleuron.
Pour se mettre en scène, Moretti sait fort bien doser les ingrédients que nécessite le genre : narcissisme, impudeur et sens de la dérision envers soi-même. C'est un exercice d'équilibrisme assez difficile, le fait qu'il le réussisse le rend diablement attachant.

MARDI.
Mail. N. envoie une liste qui rappelle les "Le saviez-vous ?" du Journal de Mickey de mon enfance.

TV. La Noce (Svadba, Pavel Lounguine, France-Allemagne-Russie, 2000 avec Marat Basharov, Maria Mironova, Andrei Panine, Alexandre Semtchev).
Les films russes se font de plus en plus rares. Ceux qui nous arrivent sont des coproductions internationales, montages financiers plus ou moins acrobatiques. Si La Noce est franco-germano-russe, il faut par exemple se rappeler que Le Barbier de Sibérie de Nikia Mikhalkov n'était rien moins que franco-italo-tchéco-russe. Quand un réalisateur réussit à monter un projet, celui-ci apparaît alors comme boursouflé, car porteur de trop de frustrations. Mikhalkov s'était tourné vers le passé, la Russie mythique, et n'avait pas trop mal réussi son histoire romanesque. Lounguine, lui, veut filmer la Russie d'aujourd'hui et essaie d'en rassembler les divers aspects non seulement en un seul film mais en un film dont l'histoire se déroule au cours d'une seule nuit de noces. Tout y passe : le problème des salaires qui arrivent avec des mois de retard, la mafia, la corruption et bien sûr la vodka. Ces tares sont évidemment sublimées par l'indéfinissable "âme slave" qui permet aux personnages de contempler leur misère avec ce qu'il faut d'humour et de dérision. Cette noce est marquée par un grand nombre de péripéties, les couples se font et se défont, les flacons se vident, l'accordéon crie aux oreilles et comme c'est filmé d'un bout à l'autre par une caméra portée du genre sautillant, le résultat est bien fatigant.

MERCREDI.
Pérégrinations urbaines. Je vais rendre des livres à la Bibliothèque municipale, achète mes billets de train pour mon prochain voyage à Paris et la vignette autoroute suisse pour les vacances en Autriche. Je fais le plein de pages pour lesdites vacances avec les recueils de mots croisés de Laclos qui me manquent, le dernier Lawrence Block et un livre sur Proust, plus un dictionnaire des citations étrangères. Quand on va chez Moosbrugger, il est bon de pouvoir citer Musil dans le texte.

Travaux. Mise en peinture du couloir qui mène à l'appartement.

Courrier. Ma fréquentation de la BiLiPo me vaut une invitation du Centre de recherches Holmésiennes et Victoriennes à une conférence ("Du gothique au roman policier chez Wilkie Collins").

Téléphone. J'appelle M. pour les ultimes mises au point concernant le séjour en Autriche.

Cinéma. Italian for Beginners (Italiensk for begyndere, Lone Sherfig, Danemark, 2001 avec Anders W. Berthelsen, Anette Stovelbaek, Ann Eleonora Jorgensen, Lars Kaalund, Peter Gantzler, Sara Indrio Jensen).
Un cours du soir d'italien réunit des personnes d'horizons différents : une coiffeuse, un jeune pasteur, un ancien footballeur, un réceptionniste d'hôtel, une vendeuse maladroite, une infirmière...
Chacun de ces personnages a été plus ou moins meurtri par la vie et souffre de la solitude. Chacun a dû faire le deuil de quelque chose ou de quelqu'un de cher : un père, une mère, une épouse, une brillante carrière sportive ou, plus bêtement, ses capacités sexuelles. Petit à petit, Lone Sherfig va tisser des liens entre eux, conjuguer les solitudes, faire naître l'amour entre l'un et l'autre. C'est très simple, comme la vie de ces gens, très dépouillé (le film est estampillé Dogma sans que ça donne lieu à des chichis naturalistes) et au bout du compte remarquable. Chacun des interprètes donne à son personnage une grande force et une grande crédibilité, l'humour côtoie le tragique et, miracle, tout se termine bien au cours d'un voyage à Venise où les couples se soudent. Un film hors de l'air du temps, une très bonne surprise.

JEUDI.
Courrier. M. m'envoie le plan du village de Schröcken pour trouver notre chalet. J'envoie des coupures à l'AGP (Le Monde) et à Y. (Le Monde Diplomatique).

Obituaire. Je monte à l'église de Saint-Laurent pour assister à la fin des obsèques de Bibi, mort lundi d'une crise d'asthme chez ses parents, à deux pas de la pharmacie. C'est là que je l'avais vu il y a quelques semaines, il m'avait dit ne pas aller fort et Caroline m'avait confirmé qu'il souffrait de graves problèmes respiratoires. Souvenirs des samedis passés avec lui et la bande du PMU de Chantraine, les pizzas qu'on allait chercher place des Vosges et les parties de 421. Il avait 37 ans.

Cinéma. 8 Femmes (François Ozon, France, 2001 avec Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Fanny Ardant, Virginie Ledoyen, Danielle Darrieux; Ludivine Sagnier, Firmine Richard).
Un homme meurt assassiné dans une maison isolée par la neige. Les huit femmes de son entourage se révèlent sous un jour inattendu à la suite de cet événement. La meurtrière ne peut être que l'une d'entre elles.
Un exercice de style assez ennuyeux sur papier glacé. Pourtant, j'aurais vraiment aimé aimer ce film sans restriction. Ozon est un auteur estimable, réalisateur de films intéressants même s'ils ne sont pas réussis à 100% (Sous le sable). Il a déjà montré, avec Gouttes d'eau sur pierres brûlantes qu'il savait adapter une pièce de théâtre. Seulement, ici, ce n'est plus d'une pièce de Fassbinder qu'il s'agit mais d'un vaudeville de Robert Thomas (immortel auteur au cinéma de Mon Curé chez les nudistes) et ça change tout de même pas mal de choses. Parce que si on a bien conscience qu'on a affaire à un "A la manière de" Agatha Christie (sans détective cependant), si la fin est plutôt inattendue, le contenu de l'intrigue et des répliques est vraiment très creux. Pour dynamiser la chose, Ozon a distillé quelques mots d'auteur et des numéros musicaux. Chaque actrice interprète une chanson, ça fait passer le temps, jusqu'à une version pitoyable de Il n'y a pas d'amour heureux par Danielle Darrieux.
Heureusement, il reste au cinéphile la possibilité de jouer au jeu des références et des clins d'œil et sur ce plan, le film est très riche. Ozon a choisi des actrices emblématiques de certains de ses aînés auxquels il souhaitait rendre hommage : Darrieux pour Duvivier (Marie-Octobre), Ardant pour Truffaut, Huppert (dans un rôle de vieille fille frustrée où elle est vraiment formidable) pour Chabrol, Béart pour les derniers Sautet et Deneuve qui condense à elle seule Demy, Truffaut et Bunuel (même si c'est Béart qui joue la femme de chambre). L'intrigue et son mode de traitement comique renvoient eux aux comédies policières britanniques (Alexandre Mackendrick par exemple et son Tueur de dames) qui ne m'ont jamais non plus beaucoup amusé. Enfin, le cinéma mythique américain est aussi à l'honneur avec des clins d'œil à Douglas Sirk, Gilda, Laura ou Mais qui a tué Harry, et des tas d'autre certainement que je n'ai pu identifier.
Ainsi, le temps paraît moins long.

Au retour, je lis les critique du film et m'aperçois avec plaisir que je ne me suis pas beaucoup trompé dans les références cinématographiques que j'ai décelées. Mes réserves, en revanche, ne sont pas partagées : que des louanges.

VENDREDI.
Courrier. Invitation à une séance de lecture d'écrits de Perec à la Bibliothèque de l'Arsenal pour la commémoration de sa mort.

Santé. Comme c'est le cas à chaque fois que l'on part en vacances, Lucie a de la fièvre depuis trois jours. Le médecin ne décèle rien, la déclare bonne pour le service. L'Autriche nous attend.


RAPPEL : les anciens numéros des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/


Bonnes vacances à ceux que ça concerne et bonne fin de semaine à tous.

 

Notules dominicales de villégiature exotique n°48 - 17 février 2002

SAMEDI 1.
Alpenstock, Rucksack & Knickerbockers. Départ pour l'Autriche à 10 heures 20. Remiremont, Bussang, Mulhouse, Allemagne.
Une heure de bouchon à la frontière suisse. Les L., qui sont eux sur une file qui progresse, nous dépassent sans nous voir. Nous les retrouvons au Mövenpick avant Zürich où nous déjeunons de quelques frites achetées au prix des ortolans. Will, St-Gall, Lustenau, Dornbirn et nous attaquons la montagne, nettement moins enneigée que l'an passé. Nous traversons Au, lieu de notre villégiature de l'hiver 2001. Schröcken est un peu plus haut, à quelques kilomètres. Nous découvrons le gîte (la Villa Wackenburg) sans difficulté, mais pas sans appréhension : un champ de neige avec, planté au milieu, une sorte de hangar à foin sans fenêtre. C'est là. La petite verrue dans la prairie, quoi. Les L. sont déjà là, les Moosbrugger expliquent à Y. les choses nécessaires au bon fonctionnement de la maison. Comme
ils ont manifestement des doutes sur sa capacité de compréhension, ils me répètent tout. J'opine sans écouter à tout ce qu'ils jaspinent, afin de nous en débarrasser au plus vite. L'objet de leur inquiétude est visiblement un énorme poêle de faïence qui doit chauffer le
rez-de-chassée et qui ne doit pas être utilisé n'importe comment. La cuisine est plutôt du genre sordide, formica sale millésimé 1950 et placards branlants mais le reste est presque convenable. Dieu merci, il y a des radiateurs d'appoint dans les chambres. La nôtre est
habillée (rideaux et parures de lit) de vichy rouge et blanc. Toute la semaine, j'aurai l'impression de dormir sous la nappe d'un restaurant de Riquewihr. Le reste de la troupe arrive petit à petit, nous sommes 16 au total.

DIMANCHE.
Mauvais temps, neige et vent. Comme je le ferai toute la semaine, je me lève le premier et mets à profit les premières heures de la matinée pour avancer dans mes lectures et les menus travaux d'aiguille littéraires que j'ai apportés. La troupe va louer du matériel de
ski.

Lecture. Le premier aigle (The First Eagle, Tony Hillerman, 1998, traduit de l'américain par Danièle et Pierre Bondil, Rivages/Thriller 1999).
Le lieutenant Jim Chee, de la police tribale navajo, recherche le meurtrier d'un de ses collègues. Parallèlement, Joe Leaphorn, son ancien supérieur qui s'est lancé dans les enquêtes privées, est chargé de retrouver une biologiste qui a disparu.
Tony Hillerman s'est fait un nom en relatant les aventures de Jim Chee, policier navajo, qui se déroulent dans les réserves indiennes du Nouveau-Mexique. Sous sa plume (d'Indien), le roman policier devient document ethnographique. Il utilise des mots indiens (repris en glossaire à la fin du volume), parle des coutumes des Hopis et des Navajos qui ont du mal à survivre dans la société américaine contemporaine. J'avoue mon manque d'intérêt pour le problème et mon agacement devant des phrases du genre : "Chee réfléchit. Selon les règles de l'éthique navajo, il ne serait pas tenu de lui révéler la vérité à moins qu'elle ne lui pose la question quatre fois."
Comme de plus l'intrigue policière n'est pas passionnante, les états d'âme de Chee et Leaphorn encore moins, je peux dire que je n'ai pas été emballé. Si on cherche un bon romancier américain qui sache parler de la nature et - un peu - des Indiens, Jim Harrison reste le meilleur.

MARDI.
Lucie fait ses premiers pas à ski autour de la maison. J'apprends à la radio (Europe 1, seule station française captable) la candidature de Chirac à l'élection présidentielle.

Lecture. Comment Proust peut changer votre vie (How Proust Can Change your Life, Alain de Botton, 1997, traduit de l'anglais par Maryse Leynaud, 10-18 n° 3278, coll. domaine étranger 1997).
Dans la masse des écrits consacré à Proust et à son œuvre, il doit en exister une grande partie propre à dissuader quiconque de jamais lire une ligne de la Recherche. Heureusement, le Comment Proust... d'Alain de Botton a ceci de commun avec le Proust fantôme de Jérôme Prieur qu'il a l'effet inverse et donne envie de s'y plonger ou replonger immédiatement. En 9 chapitres, Botton effectue une promenade entre l'homme et l'œuvre. De Proust, il parle de ses rapports à l'amitié, à l'art, à la maladie. De la Recherche, il éclaire quelques épisodes, quelques personnages. Il s'intéresse, comme l'indique le titre, à la portée philosophique du livre. Que peut-on en tirer qui puisse nous aider à mieux vivre ? Comment prendre son temps, comment réussir ses souffrances, comment exprimer ses émotions, comment jouir des riens de la vie, comment être un véritable ami, comment ouvrir les yeux et surtout, c'est le titre du dernier chapitre, comment laisser tomber un livre. Botton rappelle que Proust, après avoir idolâtré Ruskin, s'en était détaché jusqu'au point de qualifier son œuvre de "stupide, maniaque, crispante, fausse et ridicule". Il nous conseille de faire de même avec Proust, c'est à dire de nous garder de toute idolâtrie littéraire et de savoir nous en affranchir à un moment donné pour voler de nos propres ailes (cf. le "Nathanaël, jette mon livre" du Gide des Nourritures terrestres). Il moque et déconseille la visite à la maison de tante Léonie à
Illiers-Combray... pèlerinage que je ferai tout de même certainement un jour...

MERCREDI.
Fin du séjour pour Caroline et Alice qui repartent dans la matinée.

Presse. Je lis Libération que M. a trouvé en courses.

Lecture. Le détail (Daniel Arasse, Flammarion, coll. Champs n° 624, 1992).
Pour une histoire détaillée de la peinture.
A propos du dernier livre de Daniel Arasse, On n'y voit rien, je m'étais plaint des vains efforts faits par l'auteur pour faire "popu" : expression relâchée, tics d'écriture, comme s'il avait peur que son propos ne fût pas accessible s'il l'énonçait avec trop de sérieux. Dans Le détail, Arasse ne s'encombrait pas de telles précautions. Son livre est un travail de spécialiste et il utilise un langage de spécialiste, ce qui est tant mieux, même si je ne prétends pas avoir tout saisi.
Il s'agit de définir et d'étudier le détail dans l'histoire de la peinture, définition et étude illustrées par de nombreux exemples et reproductions (malheureusement en noir et blanc et dans un format beaucoup trop petit pour que, justement, on puisse voir les détails). Détail au service de la dévotion, détail au service du récit, détail signature, détail iconique (qui imite un objet ou une partie d'objet), détail pictural ("qui ne représente pas et ne donne rien d'autre à voir que la matière picturale posée sur la toile"), détail permettant de mettre en cause une interprétation, tout y passe dans un véritable festival d'érudition.
Ce qui concerne les problèmes de représentation, la théorie sur la peinture en général, la mimesis, était d'un niveau trop élevé pour moi mais ce livre apprend au moins à mieux regarder les tableaux et à se rendre compte de leur richesse. Comme en littérature, rien n'est gratuit en peinture, tout fait sens.

JEUDI.
Courrier. Rédaction de 4 cartes postales.

Chantier littéraire. Je tire quatre pages de notes du Détail d'Arasse pour mes Propos sur l'art peint.

Saint-Valentin. Les L. tentent une incursion à Lech, station huppée proche, mais sans succès, la route est fermée.

États d'âme. Je commence à trouver le temps long et à avoir hâte de retrouver la moitié rapatriée de ma famille. Confirmation du fait que je préférerai toujours l'idée de vacances aux vacances elles-mêmes. Les meilleurs moments des vacances : la rédaction des listes de choses à emporter, l'établissement de l'itinéraire, le choix des livres, le voyage, même s'il faut conduire, la découverte et l'investissement d'un lieu, la première nuit, le premier matin où je prends mes marques et découvre le fonctionnement de la cafetière autochtone dans le
silence de l'aube... Après, c'est la routine, une autre forme de routine mais la routine tout de même. Cela dit, si l'on met à part le froid, le séjour continue agréablement. On prend grand plaisir à écorcher l'allemand, même sans majuscule. Je serais certainement plus détendu
si je parvenais à me persuader que Lucie n'enquiquine pas le monde, ce qui n'est pas vraiment le cas. Mon incapacité à prendre part à une discussion me pèse aussi, je suis entouré des gens qui me sont les plus chers, mes amis les plus proches, mais ne parviens à leur dire ce que je veux leur dire qu'à l'occasion de brefs tête à tête. Je voudrais faire connaître mon plaisir d'être en leur compagnie mais ne parviens certainement qu'à passer pour un ours peu loquace. Mais bon on me connaît...

VENDREDI.
Courrier. Rédaction de 8 cartes postales.

N. me conduit jusqu'au centre du village rapporter les skis loués de Lucie. Signe de vacances réussies : ça fait une semaine que je ne suis pas monté dans une voiture et que je n'ai vu que des personnes connues et appréciées. L'inertie et l'isolement sont deux des conditions nécessaires à mon bien-être. La simple idée de devoir faire la queue à un appareil de remontée mécanique en compagnie de germanophones me donne envie de me construire un igloo.

Lecture. Ils y passeront tous (Everybody dies, Lawrence Block, 1998, traduit de l'américain par Robert Pépin, Le Seuil, coll. Policiers, 1999).
Le personnage de Matt Scudder continue à évoluer. Désormais marié à Elaine, il semble, au début de cette histoire, avoir trouvé une sorte d'équilibre et de sérénité. Il a pris une licence de détective privé et fréquente les A.A. de façon moins assidue. Dans ses aventures précédentes, il multipliait les réunions, ici on en trouve un seule. Mais c'est son responsable des A.A., Jim Faber, qui est assassiné. Un autre de ses proches est attaqué : Mick Ballou, le truand philosophe, propriétaire du bar Le Grogan, dont deux des lieutenants sont abattus. Scudder vole au secours de l'un et veut venger l'autre, se rangeant résolument du côté de l'illégalité. Ce qui en fait un personnage plus complexe qu'en apparence, avec un aspect "vie rangée" et un aspect beaucoup plus noir. Il n'hésite pas à accompagner Ballou dans une sanglante expédition punitive et à se faire justice lui-même. Ainsi, Lawrence Block ne cherche pas à faire passer son héros pour plus sympathique qu'il n'est. Pour survivre dans la jungle new-yorkaise, il faut une mentalité de fauve et Scudder n'en est pas dépourvu.

SAMEDI 2.
Effervescence. Remise en ordre de la maison avant l'arrivée des Moosbrugger prévue à 10 heures. Ceux-ci, finauds, débarquent avant l'heure dite mais les L. ont déjà pris la route, nous permettant de ne déclarer que 12 occupants et de réduire ainsi légèrement les
frais. Je prend le volant de la voiture de T. et nous roulons en convoi jusqu'à une station-service helvète où nous saucissonnons au frais.

Home, sweet home. Nous arrivons à la maison à 16 heures 15. Plaisir immédiat de retrouver une endroit sans courants d'air et de ne plus avoir froid aux pieds. Je dépouille le courrier (une carte de H. de Marseille et un autocollant pour éviter le dépôt de publicités dans
notre boîte à lettres que j'avais demandé au R.A.P. - Rassemblement contre l'Agression Publicitaire. Depuis les travaux, nous avons une boîte aux lettres et les publicités et journaux gratuits s'y entassent. Je fais bien de temps en temps des retours à l'envoyeur - sans timbre
- mais ça prend du temps) et le courriel (70 messages, la plupart issus des listes Oulipo et Perec). Je fais un tour d'horizon téléphonique des voyageurs pour savoir si chacun a regagné ses pénates sans encombre, ce qui est le cas. Il ne reste plus qu'à attendre que vienne la
nostalgie de ce séjour, la litanie des choses que l'on n'a pas faites ou dites.

TV. 10° épisode de Six Feet Under, enregistrement programmé pendant notre absence. Une embaumeuse engagée par les Fisher révèle à la mère l'homosexualité d'un de ses fils... Va-t-elle lui en parler ? Heureusement, le suspense sera de courte durée : le prochain épisode est pour demain...

RAPPEL. Les anciens numéros des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°49 - 24 février 2002

DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental. Nous excursionnons jusqu'au monument aux morts de Bains-les-Bains. A l'extérieur de la ville, nous trouvons une aire de jeux sordide, parsemée de tessons de canettes de bière, pour que les filles s'ébrouent.

TV. 11° épisode de Six Feet Under. Rico, l'embaumeur de la maison Fisher, a du mal à travailler sur le cadavre d'un bébé alors que sa femme est elle-même enceinte. On le comprend.

LUNDI.
Entretien physique. Je passe la journée à lire la presse accumulée en mon absence. J'apprends dans Le Monde que Haider, sans doute impressionné par notre présence sur ses terres, a décidé d'abandonner ses responsabilités nationales pour se consacrer à son fief
de Carinthie. Je rédige diverses chroniques, une nouvelle en deux lignes, recopie diverses notes et propos.

Mail. Échange de mots de satisfaction entre les divers participants aux dernières vacances. F. me demande les livres d'Arasse, je les lui envoie. Je préviens la [listeoulipo] de la présence de Gilbert Salachas, un auteur que beaucoup apprécient dans ce milieu, à une émission de France Culture du lendemain.

TV. Chéri Bibi (Marcel Pagliero, France-Italie, 1954 avec Jean Richard, Raymond Bussières, Danielle Godet, Albert Préjean, Lea Padovani).
Chéri Bibi, condamné au bagne pour un meurtre qu'il n'a pas commis, revient pour se venger sous les traits de celui qui a épousé celle qu'il aime.
Ramener l'épopée de Chéri Bibi à un film de moins d'une heure trente n'est pas chose facile. Le roman de Gaston Leroux rassemble des éléments qu'on trouve dans Le Comte de Monte-Cristo, Les Misérables (l'injuste condamnation, le désir de vengeance, le retour à la vie civile sous une nouvelle identité) et Le mystérieux Docteur Cornélius de Gustave Le Rouge (la chirurgie esthétique au service du changement d'identité). Le côté ramassé du film lui donne du rythme mais ne rend pas la complexité du personnage de Chéri Bibi.
Dans le rôle, Jean Richard fait preuve de courage en jouant à contre-emploi mais il n'est pas franchement convaincant. Je garde un meilleur souvenir de la version feuilleton du roman, tournée pour la télévision dans les années 70 avec Hervé Sand et l'inquiétant Daniel Emilfork dans le rôle du Kanak.

MARDI.
Santé. Lucie passe la journée couchée devant le télévision avec entre 39 et 40° de fièvre.

Courrier. Faire-part de naissance d'un jeune Antoine. Parallèlement, j'apprend le décès du mari (42 ans) de la directrice de la crèche que fréquente Alice : arrêt cardiaque en faisant du VTT. Le sport et ses bienfaits.

Courriel. Diatribe de J.S. à propos des J.O. et de la médaille de raccroc attribuée aux Canadiens. J'avoue suivre tout ça d'assez loin.

TV. Mon Voisin le tueur (The Whole Nine Yards, Jonathan Lynn, U.S.A., 2000 avec Bruce Willis, Matthew Perry, Natasha Henstridge, Amanda Peet, Rosanna Arquette).
Dans la banlieue de Montréal, un tueur à gages emménage à côté d'un dentiste qui va voir son existence bouleversée.
Un film sitôt vu, sitôt oublié. Une idée (?) de scénario et une seule : un candide propulsé dans le monde des tueurs (voir les films de Lautner), quelques démêlés sentimentaux pour finir par la constitution de nouveaux couples : le dentiste avec la femme du tueur, le tueur avec l'assistante du dentiste. Dans le rôle de ce dernier, Matthew Perry est parfois assez drôle, surtout dans la séquence d'ouverture où on le voit aux prises avec une épouse invivable (Arquette). Face à lui, Bruce Willis n'est qu'un corps massif surmonté d'un visage inexpressif (ça tombe bien, il joue un tueur impassible).

MERCREDI.
Santé. Le médecin diagnostique une angine pour Lucie. Rien de grave, sauf que, au cours de la journée, la fièvre ne baisse pas et atteint 40° 3 en soirée, ce qui me dissuade d'aller voir Ocean's Eleven au cinéma.

Palindrome. J'oublie de regarder ma montre à 20 heures 02, moment exceptionnel : 20 02 2002, 20.02.

TV. 1974, une partie de campagne (Raymond Depardon, France, 1974).
Documentaire sur la campagne et la victoire de Valéry Giscard d'Estaing aux élections présidentielles de 1974.
La première surprise est d'ordre physique : à l'heure où un Chirac empâté de 69 ans débute sa campagne, l'image du Giscard de 1974 est saisissante. Il a 48 ans, il est svelte, élégant, voire séduisant et on se demande comment cet homme a pu devenir le dinosaure chuintant et vindicatif qu'il est devenu aujourd'hui. Malgré son jeune âge, il est parfaitement à l'aise, maîtrise son sujet et son image de façon impeccable : un véritable animal politique. Deuxième surprise : les chiffres. 15% d'abstention au premier tour, 13% au second, ça ne se reproduira sans doute jamais. Et seulement 50,81% des voix pour Giscard au final, à une époque où le pouvoir ne pouvait, par essence, appartenir qu' à la droite. Et troisième source d'étonnement : pourquoi Giscard a-t-il interdit si longtemps la sortie de ce film qu'on ne découvre qu'aujourd'hui, vu qu'il y est tout à son avantage ? Probablement parce que la vengeance est un plat qui se mange froid, particulièrement chez les dinosaures, et que le film ne peut que nuire à Chirac qui entame sa campagne.
J'ai peu de souvenirs de cette époque. J'étais au collège, j'avais 14 ans et je me rappelle simplement avoir demandé à un prof si le nom de Mitterrand prenait deux r avant de le graver sur ma table. Le film, aussi passionnant que le sera plus tard celui consacré aux dernières élections municipales à Paris, permet de revoir les personnalités politiques de l'époque. Ceux qui ont disparu (Poniatowski, Labbé, Lecanuet...), ceux qui se sont brûlé les ailes (d'Ornano, Chinaud...). Depardon innovait alors, créait un style de proximité totale qui sera plus tard imité par Serge Moati entre autres.

JEUDI.
Santé. Lucie passe une bonne nuit, la fièvre est tombée. Heureusement que cet épisode ne s'est pas déroulé en Autriche.

Voyage.
Départ pour Paris par le bus de 6 heures 57 et le train de 7 heures 42. Je passe en bus rue du Faubourg Saint-Martin devant la permanence du candidat Chirac. Photographes et cameramen sont à l'affût, le Q.G. de campagne doit être inauguré aujourd'hui.
Jospin a annoncé sa candidature la veille mais ses locaux, situés un peu plus bas dans la même rue, ne sont pas encore opérationnels.
Je passe l'après-midi à la Bibliothèque de l'Arsenal, au siège poussiéreux de l'Association Georges Perec, à trier des papiers et classer des archives. J'y vois Danielle Constantin, Bernard Magné, Eric Beaumatin, Cécile De Bary et des étudiants en quête de renseignements
pour leurs travaux.

Lecture. Les rivières pourpres (Jean-Christophe Grangé, 1998, Albin Michel coll. Spécial Suspense).
Le commissaire Niémans enquête sur la découverte de deux cadavres atrocement mutilés dans les montagnes qui entourent une petite ville universitaire de l'Isère. Parallèlement, Abdouf, un ancien voyou devenu inspecteur, s'intéresse à une profanation de sépulture qui a eu lieu dans un cimetière du Lot. les deux pistes et les deux hommes se rejoignent.
On peut trouver deux qualités à Jean-Christophe Grangé : son imagination et son sens de la construction. L'histoire qu'il a choisi de raconter, même si elle ne caractérise pas par sa vraisemblance, fourmille de trouvailles surprenantes. Partie d'une histoire banale de serial killer, elle explore les domaines de la génétique, des sectes, du surhomme que des illuminés ont réussi à créer. Les rebondissements, les surprises se succèdent à un rythme soutenu et le livre captive de la première à la dernière page, en dépit d'un dénouement assez complexe.
Le modèle de Grangé est de toute évidence américain : le thème du serial killer, le côté monolithique de l'enquêteur, le cadre (un campus universitaire). Mais malheureusement, Grangé n'est pas un écrivain très subtil. Il se situe plutôt du côté de Patricia Cornwell que de celui de Michael Connelly, chez qui on trouve aussi des serial killers - Le Poète - mais ceux-ci sont traqués par Harry Bosch, un personnage qui a vraiment de la texture, de l'épaisseur. Ses personnages sont taillés à la serpe, caricaturaux au possible (le grand flic, ancien de l'Antigang, violent, solitaire, indépendant de sa hiérarchie). Son écriture est aussi dépourvue de finesse, grandiloquente, accumulant les clichés et les images ridicules. Bref, il a une belle marge de progression mais le livre a remporté un tel succès qu'on peut se douter qu'il se contentera de poursuivre dans la même veine.

Cinéma. La Bête de miséricorde (Jean-Pierre Mocky, France 2001 avec Bernard Menez, Jackie Berroyer, Jean-Pierre Mocky, Patricia Barzyk, Catherine Van Hecke, Diane Dassigny, Dominique Zardi, Jean Abeillé, Roger Knobelspiess, Sacha Bourdo).
M. Mardet donne l'apparence d'un veuf paisible vivant en harmonie avec ses voisines dans un pavillon de banlieue. En réalité, c'est un tueur qui se croit investi d'une mission divine et supprime ceux pour qui la vie est une souffrance.
Pour voir les films de Mocky, qui n'a plus de distributeur, il n'y a plus qu'un endroit : le Brady, qu'il possède, boulevard de Strasbourg, le dernier cinéma de quartier de Paris qui ne doit pas lui rapporter grand-chose vu que j'étais le seul spectateur ce soir-là.
Néanmoins, Mocky tourne toujours son film annuel - au moins - avec quelques amis acteurs : Zardi, bien sûr, un fidèle de toujours - et ici Menez et Berroyer qui forment un duo de policiers plutôt inattendu (sauf dans l'univers de Mocky). La Bête de miséricorde, adapté d'un
roman du prolifique Frederic Brown, est un Mocky relativement sage. Il y a même un personnage de curé qui n'est ni pédophile, ni libidineux, c'est dire. Le manque de moyens est visible : longues conversations à deux ou trois personnages, lieux de tournage peu variés
(une route de campagne, une salle de commissariat, une église, un café, la maison de Mardet). C'est un polar traditionnel, pas franchement passionnant, centré sur la personnalité de Mardet (Mocky), un illuminé qui tue pour obéir à Dieu et soulager ceux qui souffrent. Quand il déclare à la fin du film qu'il continuera sa mission avec résignation et persévérance, le message est clair : malgré les embûches, Mocky continuera à tourner quoi qu'il arrive. C'est une bonne nouvelle.

VENDREDI.
Exposition. Raphaël, Grâce et Beauté (Musée du Luxembourg).
Le Musée du Luxembourg, que j'avais découvert lors de sa réouverture avec l'exposition consacrée à la collection du Dr Rau, n'est pas un lieu immense. On y trouve ici une douzaine de peintures de Raphaël, quelques gravures et des photos de ses fresques mais c'est suffisant. On a le temps de s'attarder, de revenir sur ses pas, de traquer le détail comme me l'a appris Daniel Arasse (qui fait d'ailleurs partie du comité scientifique de l'exposition). Des cercles, de la rondeur, de la bonté, de la sérénité qui s'exhalent de tous ses visages, de la sensualité aussi dans son portrait de la Fornarina, comme si Raphaël, mort à 37 ans, n'avait pas eu le temps de connaître l'aigreur, la méchanceté, la laideur du monde.

Vie parisienne. J'achète le catalogue de l'exposition, marche jusqu'à la Librairie Dédale, rue des Écoles, où je trouve deux inédits d'Henri Thomas pour l'anniversaire de mon père. Je mange au Petit Cardinal et passe l'après-midi à travailler sur mon Atlas de la Série Noire à la Bibliothèque des Littératures Policières. Retour à Épinal par le 18 heures 50, Lucie est guérie.

SAMEDI.
Courrier. Je reçois la liste des livres sélectionnés pour le Prix René-Fallet et en passe commande à Panorama 88. Comme l'an passé, je compte consacrer la semaine de vacances que nous devrions passer à Cannes à leur lecture.

Courriel. J'envoie une petite revue de presse à la [listeoulipo] : un aptonyme découvert par Le Canard Enchaîné (un M. Boisson, responsable de la section viticole de la FNSEA) et une lettre de lecteur parue dans Télérama, lecteur qui se trompe en annonçant la prochaine date palindrome pour le 30 03 3003, oubliant le 21 12 2112. J'écris aussi à Télérama pour souligner l'erreur.

Vie sociale. Le parrain de Caroline et sa femme se sont connus il y a cinquante ans. Pour fêter l'événement, ils ont convié une vingtaine de personnes au Calmosien, une bonne table près d'Épinal. Nous en sommes. Ce n'est pas le genre d'exercice que nous affectionnons particulièrement mais il faut faire bonne figure : ce sont nos amphitryons qui mettent gracieusement à notre disposition leur appartement de Cannes... La soupe est bonne est nous sommes placés à côté d'une cousine de Caroline qui fut mon élève dans les années 1984-1987 et qui est vraiment poilante. Nous retrouvons toutefois nos pénates avec un intense soulagement à une heure fort tardive.

RAPPEL. Les anciens numéros de notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr/