Notules
dominicales de culture domestique n°46 - 3 février 2002
DIMANCHE.
Aménagement du territoire.
Les employées reviennent le matin pour continuer l'installation
de la pharmacie. Caroline continue seule l'après-midi, de façon
à ce que le monument puisse ouvrir le lendemain. Elle relève
une page complète de choses à revoir : fuites, spots
défaillants, moquette mal posée...
TV. 8° épisode de Six
Feet Under.
Lecture. Chiens sales (François
Barcelo, Gallimard, coll. Série Noire n° 2589, 2000).
Carmen voit débarquer chez elle deux chasseurs qui ont tué
par erreur un ministre du gouvernement québécois. La police
- les chiens du titre - donne l'assaut à la maison. Carmen parvient
à s'enfuir.
Baisse de régime pour François Barcelo, le Québécois
de la Série Noire (troisième titre paru). On retrouve sa
patte, mélange d'absurde et de dérision, dans la première
partie du livre qui se déroule dans la maison de Carmen. Mais une
fois celle-ci en fuite, ça se délite complètement.
Jamais on ne parvient à croire, ni même à s'intéresser
à la cavale de Carmen qui a à ses trousses tout ce que le
Québec compte d'uniformes. Au passage, l'auteur règle une
nouvelle fois ses comptes avec l'institution familiale (Carmen déteste
sa mère) et se moque sans grande finesse des politiques québécois.
Citation : "C'est ma mère, avec sa voix pointue et son ton
sarcastique de femme qui rêve de devenir un jour belle-mère
et grand-mère pour avoir deux individus de plus à emmerder."
LUNDI.
Ouverture. Après trois mois
de travaux (comme prévu), la pharmacie ouvre ses portes. Je passe
devant en revenant de l'école mais n'ose entrer tant la file d'attente
est impressionnante. On se croirait chez Harrod's le premier jour des
soldes. Enfin non, j'exagère. Le deuxième jour, disons.
Mail. J'envoie le correctif à
l'annonce de virus que j'avais transmise la semaine précédente :
il s'agissait d'une fausse information, un "hoax" comme on dit
dans ce milieu. Comme me le fait remarquer J. S. judicieusement, un vrai
virus s'avance masqué, sans envoyer de carte de visite...
TV. Jugatsu (San Tai Yon
X Jugatsu, Takeshi Kitano, Japon, 1990 avec Masahiko Ono, Takeshi
Kitano, Yuriko Ishida, Takahito Iguchi, Minoru Izuka, Hitoshi Ozawa).
Un employé de garage est frappé par un yakusa. Décidé
à se venger, il part à Okinawa dans le but de se procurer
une arme. Il fait la rencontre de deux gangsters qui eux-mêmes en
veulent à leur patron.
Un drôle de corps décidément que ce Kitano, qui m'intrigue
parce que ses films me sont pour une grande part obscurs. Néanmoins
le peu de lumière qu'on y entrevoit justifie l'intérêt
et me donne envie de les revoir tous. Jugatsu est son deuxième.
La séquence d'ouverture nous présente le jeune Masaki qui,
comme Shigaru dans A scene at the Sea, oppose un mutisme complet
aux sarcasmes de ceux qui l'entourent et le moquent (le silence est un
des éléments essentiels du cinéma de Kitano). Masaki
fait du base-ball comme Shigaru fera du surf : il parvient à
vaincre sa malhabileté à force de travail et d'obstination.
Chaque personnage de Kitano a une idée fixe : tenir sur une
planche de surf, se venger, rejoindre sa mère (L'Été
de Kikujiro).
Ce qui rend la chose difficile à suivre, c'est le découpage.
Kitano coupe brutalement une scène, abandonne ses personnages en
cours de route, les repêche un peu plus loin... C'est assez déroutant,
mais ça aiguise la curiosité du spectateur.
Deux autres traits présents dans tous ses films : le comique
burlesque dans des scènes express qui rappellent son travail pour
la télévision et la violence crue du Japon où l'on
cache des armes jusque dans les bouquets de fleurs. Un drôle de
corps, décidément, que ce Kitano...
MARDI.
Courrier. Un mot du propriétaire
du gîte de l'Eure avec une photo de la maison. Ça semble
charmant, au bord de l'eau comme dans la Creuse, ce qui semble promettre
de nouveaux exploits halieutiques.
Mail. Dans un livre de Yak Rivais,
je trouve, dans une note consacrée à l'alexandrin, cette
information : "I" (qui se lit "I un en chiffre romain et
en garamond gras", le garamond étant un caractère d'imprimerie)
serait le plus court alexandrin de la langue française. Rivais
l'attribue à Georges Perec, ce qui m'étonne car je ne l'ai
jamais rencontré dans son œuvre. Je demande un complément
d'enquête sur [listeperec] et les réponses affluent. En fait,
ce n'est pas de Perec mais de Jacques Bens. Perec, dans le genre, s'est
contenté de "WWWW". En fait, c'est un exercice assez
facile. A mes élèves, j'ai l'habitude de l'illustrer par
"Un petit o perdu dans un coin du tableau". On peut même
imaginer des alexandrins ne comportant aucune lettre. Par exemple: " ",
qui se lirait "Un long espace blanc entre deux guillemets".
Y. m'annonce qu'il est en train de mettre tous les numéros précédents
des notules en ligne sur ce qu'on appelle, je crois, une "page perso"
et m'en envoie un aperçu. C'est somptueux, il y a même une
rubrique "mots-clef" qui permet de se livrer à une recherche
précise.
MERCREDI.
Courrier. Je reçois le n°
8 d'Histoires littéraires et le dernier CD de Bob Dylan.
Travaux. Cérémonie de
réception des travaux qui, bien que la pharmacie soit ouverte,
continuent (peinture de la façade, cette semaine). L'architecture
annonce qu'il s'en va en vacances, faire du vélo en Afrique. On
se demande bien avec quel argent.
Mail. Ça s'agite sur la toile au sujet de nos prochaines
vacances en Autriche (nombre de voitures à prévoir, nature
des impedimenta à convoyer, durée de trajet...).
A ce jour, Caroline n'a toujours pas trouvé de remplaçante,
ce qui interdit son départ. J'envoie un paquet de notules à
Y. pour qu'il les mette en place.
Sur la [listeoulipo], on s'intéresse aux pangrammes (le pangramme
étant une phrase faisant sens et comprenant toutes les lettres
de l'alphabet, le but étant bien sûr de la faire la plus
courte possible). Certains trouvent des pangrammes de moins de 30 lettres
mais qui sont des phrases trop biscornues. Mon préféré
reste toujours le classique et limpide "Portez ce whisky vieux au
juge blond qui fume" (37 lettres) qui a en plus le mérite
d'être un parfait alexandrin.
Lecture. La place de l'Étoile
(Patrick Modiano, Gallimard, 1968).
J'ai dû lire tout ce que Modiano a publié depuis Un cirque
passe qui date de 1986, et ce avec un intérêt croissant.
J'ai donc entrepris de voir ce qu'il avait écrit avant, à
partir de cette Place de l'Étoile qui fut son premier roman.
On n'y trouve rien , ou presque rien, de ce qui constitue la légende
Modiano, l'atmosphère feutrée, le sentiment de flottement
des êtres et des choses. Il s'agit ici d'une sorte de délire
verbal. Le narrateur, Raphaël Schlemilovitch, se présente
comme un juif antisémite. Il traverse l'histoire de la 2° Guerre
Mondiale et de l'après-guerre, rencontre Maurice Sachs, Hitler,
Brasillach, tous les grands noms de la collaboration, est enseignant,
proxénète, tente de fuir en Israël, parle de Dreyfus,
de Céline... Le but de l'auteur m'échappe, je l'avoue. Il
me semble que Modiano eut un père collaborateur, peut-être
la clé réside-t-elle dans sa biographie.
TV. Memento (Christopher Nolan,
U.S.A., 2000 avec Guy Pearce, Carrie-Anne Mosse, Joe Pantoliano).
Leonard a perdu sa femme, violée et assassinée. De puis,
il a perdu autre chose : la mémoire, et, plus précisément,
la mémoire immédiate. Pour mener à bien sa quête
de l'assassin de sa femme, il doit tout noter sur du papier ou sur sa
peau (tatouages) ou photographier de peur de ne plus savoir ce qu'il recherche.
Parfois, dans la masse des films américains standard qui nous arrivent,
il en est un qui se fait remarquer par une astuce scénaristique
imparable, Usual Suspects ou Le Sixième sens par
exemple. C'est le cas ici avec un procédé plutôt ingénieux :
le film est entièrement monté à l'envers. Attention,
ce n'est pas un flash-back. Dans un film constitué d'un seul flash-back,
Falbalas de Jacques Becker, mettons, on commence par la scène Z,
puis on part à la scène A et on suit la chronologie A, B,C,D...
jusqu'à la scène Z. Ici, on part de Z pour arriver à
A en passant par Y,X,W et ainsi de suite. Ce qui fait que chaque action
n'est éclairée que par
celle qui la suit dans le film (et la précède dans la chronologie
de l'histoire, si je me fais bien comprendre). Mais il faut garder à
l'esprit que cette action précédente, le héros l'a
déjà oubliée...
Le résultat est passionnant, intriguant à souhait. Petit
à petit, la lumière se fait, on croit comprendre mais ce
n'est qu'illusion : à la fin, c'est à dire au début,
on n'en sait pas plus qu'au début. A moins que ce ne soit l'inverse
?
JEUDI.
Presse. J'achète Le style
du Monde, supplément qui constitue une sorte de contrat entre
le quotidien et ses lecteurs : il y est question de déontologie,
d'orthographe (faut-il mettre un "s" à taliban ?)...
Courrier. J'envoie une coupure du
Monde à Y., des photocopies de Yak Rivais à l'Association
Georges Perec, ma cotisation à l'association Agir en Pays Jalignois
qui s'occupe du Prix René-Fallet.
Mail. Je finis de balancer le reste
des notules à Y.
Vacances. Caroline déniche
une remplaçante pour les deux premiers jours.
Cinéma. The Navigators
(Ken Loach, G.-B., 2001 avec Dean Andrews, Thomas Craig, Joe Duttine,
Steve Huison, Venn Tracey, Andy Swallow, Sean Glenn).
1997. Les membres d'une équipe de cheminots basés dans un
dépôt de Sheffield apprennent la privatisation du British
Rail et en subissent immédiatement les conséquences.
On peut reprocher à Ken Loach son côté parfois un
peu lourd mais là, comme il s'agissait de dépeindre la situation
déplorable des chemins de fer britanniques, il n'a pas eu à
forcer le trait. S'en tenir à la réalité était
amplement suffisant. Le British Rail a été vendu à
des sociétés privées qui l'ont dépecé
selon des critères géographiques ou techniques : les
trains à W, les rails à X, les boulons qui tiennent les
rails à Y et les casquettes des contrôleurs à Z. Cette
lumineuse initiative de Tony Blair (qui essaie aujourd'hui de rattraper
le coup en injectant des millions de livres dans un domaine dévasté)
a eu les conséquences qu'on pouvait attendre. Les entreprises ont
essayé de rogner sur les coûts, se sont livré une
guerre sans merci et le train britannique est devenu aujourd'hui le moyen
de transport le plus cher, le moins fiable et le plus dangereux d'Europe.
Les cheminots du dépôt mis en scène ici découvrent
avec stupeur un beau matin que certains de leurs collègues sont
devenus leurs concurrents. Les uns acceptent une prime de départ,
d'autres s'accrochent mais le dépôt finit par fermer - pas
assez rentable - et ils louent leurs services aux sociétés
d'intérim, acceptant de travailler au mépris des normes
élémentaires de sécurité. Ça se terminera
sans surprise par la mort d'un d'entre eux. C'est un constat implacable,
glaçant, aéré par moments par des tranches de vie
de l'un ou l'autre des protagonistes. C'est aussi une bonne mise en garde
pour la SNCF (le P.D.-G. Jean Gallois a assisté à une avant-première
du film) à qui on prête parfois le désir d'imiter
ce qui a été fait outre-Manche.
VENDREDI.
Mail. Ajout de deux amis québécois
au répertoire des abonnés aux notules (ils les lisent en
fait depuis un moment grâce à la diligence de J.S. qui les
leur transmet).
TV. Alexandre le Bienheureux
(Yves Robert, France, 1967 avec Philippe Noiret, Marlène Jobert,
Jean Carmet, Paul Le Person, Tsilla Chelton, Françoise Brion, Pierre
Maguelon, Pierre Richard, Léonce Corne).
Alexandre est cultivateur. Sa femme, la Grande, le tue à la tâche.
Lorsqu'elle meurt dans un accident de voiture, Alexandre se met au lit,
bien décidé à n'en plus bouger. Son attitude met
le village en émoi.
Il y a d'abord une belle fable bucolique, un éloge de la paresse
et de la nature particulièrement réussi. Les séquences
du début, où Alexandre trime comme un esclave sous la surveillance
rapprochée de la Grande en particulier sont très drôles.
Il y a aussi un aspect beaucoup plus politique du film. Celui-ci est sorti
quelques semaines avant Mai 68 et on ne peut faire autrement qu'y voir
un avant-goût de ce qui va se passer. L'attitude d'Alexandre, son
abandon de tout effort, font écho au "Ne travaillez jamais"
de Guy Debord et de l'Internationale Situationniste. La population qui
le condamne et veut le remettre dans le droit chemin, celui du travail
("Un homme qui ne travaille pas, ce n'est pas moral", dit Sanguin,
le personnage incarné par Le Person) est un microcosme de la société
gaullienne et poujadiste de l'époque. Le doux anarchisme d'Alexandre
en fait un proche cousin du Blaireau de Ni vu ni connu, un des
premiers films d'Yves Robert. Son attitude est scandaleuse au sens étymologique
du mot (du grec skandalon, obstacle, pierre d'achoppement) : elle
fait obstacle au fonctionnement harmonieux de la société.
D'autant que les villageois, après avoir essayé
en vain de tirer Alexandre du lit, vont se coucher à leur tour.
Le slogan "Au lit, au plume, au pageot" que lance l'un d'eux
est, mine de rien, un véritable cri révolutionnaire...
Courrier. Longue lettre de B., qui
est en train de lire ma Tentative d'épuisement d'un lieu spinalien.
Lecture. Esprit (revue internationale,
n° 275, juin 2001).
J'avais acheté cette revue parce qu'on y parlait de Loft Story
et je voulais savoir ce que de grands "esprits", justement,
en pensaient. A cette heure, je ne m'en souviens plus, preuve que j'aurais
pu m'en dispenser. Le dossier le plus important de ce numéro est
intitulé "Nation, fédération, le compromis impossible
?" dans lequel on trouve du bon (l'héritage de la France libre
par Daniel Cordier) et de l'illisible (un entretien sur l'Europe avec
Jacques Delors).
Par ailleurs, on trouve un bon article sur la construction de la paix
au Kosovo, quelques considérations sur Saint Augustin (qui m'auront
au moins appris que celui-ci était né en Algérie)
et un article sur Mozart qui prouve combien il est difficile d'écrire
sur la musique (plus que sur la peinture en tout cas).
Gastronomie. C'est la Chandeleur,
on fait des crêpes.
TV. Code inconnu (Michael Haneke,
France-Allemagne, 2000 avec Juliette Binoche, Thierry Neuvic, Ona Lu Yenke,
Luminita Gheorghiu, Didier Flamand, Nathalie Richard, Andrée Tainsy).
Qui trop embrasse mal étreint. Haneke court trop de lièvres
à la fois, présentant en alternance une actrice, un reporter
de guerre, une réfugiée roumaine, une famille africaine,
un cultivateur aux prises chacun, avec un certain nombre de difficultés.
Comment, en deux heures, parler à la fois du racisme, de l'incommunicabilité,
des enfants battus, des sans-papiers, de la guerre, du malaise paysan,
sans paraître caricatural ? Le propos de Haneke est lourd,
démonstratif, ennuyeux. Stylistiquement, c'est intéressant
tout de même car il a choisi d'aligner les plans-séquences,
une cinquantaine peut-être au total, ce qui fait que la fluidité,
qui manque à l'ensemble du film, existe à l'intérieur
de chaque séquence. L'une de celles-ci montre Juliette Binoche
aux prises avec un beur qui l'agresse verbalement dans une rame de métro.
C'est le seul moment de tension du film.
Urgences. Nuit de garde pour Caroline
mais aucun client entre minuit et 8 heures ce matin. Soit il n'y avait
pas de malades, soit la nouvelle sonnette de garde ne marche pas.
Nouveauté. Les notules sont
donc désormais accessibles sur http://pdidion.free.fr/
(si ça marche).
Bon dimanche.
Notules
anticipées de culture domestique n°47 - 8 février 2002
DIMANCHE.
Mail. G.N. accuse réception
de l'enregistrement vidéo du concert McCartney que je lui ai envoyé.
Itinéraire patriotique départemental.
Nous partons en quête du monument aux morts de La Baffe. Facile
à trouver, il trône au milieu du cimetière. Ça
me permet d'aller dire bonjour à Daniel Dupont (1938-1991) mort
noyé à Bouzey un lendemain de noces. La Liberté de
l'Est l'avait prénommé Patrick dans sa relation de l'accident.
Sûr qu'il aurait apprécié d'être ainsi confondu
avec un danseur étoile. Le café où nous avions bu
un coup au sortir de l'enterrement n'existe plus. Je prends la maison
en photo pour mon répertoire de Bars clos.
TV. 9° épisode de Six
Feet Under.
LUNDI.
Courrier. Programme de la Boîte
à Films, carte postale de mes beaux-parents en vacances à
la neige. En plus, pour une fois, ils ne nous ont pas laissé leur
chien.
Mail. Y. a terminé la mise
en ligne de tous les numéros des notules. Beaucoup 'interrogations,
à propos du séjour en Autriche, sur la nature de l'équipement
mis à disposition par le propriétaire. Fournit-il les draps
ou non ? Le message de Herr Moosbrugger est livré à un décryptage
digne de l'exégèse biblique dans plusieurs salle des profs
sans qu'aucune certitude n'en ressorte.
TV. Aprile (Nanni Moretti,
Italie, 1998 avec Nanni Moretti, Silvio Orlando, Silvia Nono, Pietro Meretti,
Daniele Luchetti, Agata Apicella Moretti, Nuria Schoenberg).
Journal intime, tome 2.
Cinq ans après Journal intime, Moretti se met à nouveau
en scène. Tout commence en avril 94 avec la victoire (désormais
la première victoire) de Berlusconi aux élections. Moretti
essaie de monter un projet de comédie musicale mais ne parvient
pas à s'y intéresser. Il se lance alors dans un documentaire
sur l'Italie (inédit à ce jour, à ma connaissance)
relatant les nouvelles élections de 1996, la création de
la Padanie par Umberto Bossi, l'arrivée des réfugiés
albanais... Et puis surtout, il y a la grossesse de sa femme et la naissance
de son fils. On a l'impression d'assister au tournant de la carrière
artistique de Moretti, au moment où il tourne le dos au cinéma
politique (il jette à la fin toutes les coupures de presse qu'il
a accumulées depuis 20 ans) pour entreprendre une œuvre plus intimiste,
dont La Chambre du fils est pour l'instant le fleuron.
Pour se mettre en scène, Moretti sait fort bien doser les ingrédients
que nécessite le genre : narcissisme, impudeur et sens de
la dérision envers soi-même. C'est un exercice d'équilibrisme
assez difficile, le fait qu'il le réussisse le rend diablement
attachant.
MARDI.
Mail. N. envoie une liste qui rappelle
les "Le saviez-vous ?" du Journal de Mickey de mon enfance.
TV. La Noce (Svadba,
Pavel Lounguine, France-Allemagne-Russie, 2000 avec Marat Basharov, Maria
Mironova, Andrei Panine, Alexandre Semtchev).
Les films russes se font de plus en plus rares. Ceux qui nous arrivent
sont des coproductions internationales, montages financiers plus ou moins
acrobatiques. Si La Noce est franco-germano-russe, il faut par exemple
se rappeler que Le Barbier de Sibérie de Nikia Mikhalkov
n'était rien moins que franco-italo-tchéco-russe. Quand
un réalisateur réussit à monter un projet, celui-ci
apparaît alors comme boursouflé, car porteur de trop de frustrations.
Mikhalkov s'était tourné vers le passé, la Russie
mythique, et n'avait pas trop mal réussi son histoire romanesque.
Lounguine, lui, veut filmer la Russie d'aujourd'hui et essaie d'en rassembler
les divers aspects non seulement en un seul film mais en un film dont
l'histoire se déroule au cours d'une seule nuit de noces. Tout
y passe : le problème des salaires qui arrivent avec des mois de
retard, la mafia, la corruption et bien sûr la vodka. Ces tares
sont évidemment sublimées par l'indéfinissable "âme
slave" qui permet aux personnages de contempler leur misère
avec ce qu'il faut d'humour et de dérision. Cette noce est marquée
par un grand nombre de péripéties, les couples se font et
se défont, les flacons se vident, l'accordéon crie aux oreilles
et comme c'est filmé d'un bout à l'autre par une caméra
portée du genre sautillant, le résultat est bien fatigant.
MERCREDI.
Pérégrinations urbaines.
Je vais rendre des livres à la Bibliothèque municipale,
achète mes billets de train pour mon prochain voyage à Paris
et la vignette autoroute suisse pour les vacances en Autriche. Je fais
le plein de pages pour lesdites vacances avec les recueils de mots croisés
de Laclos qui me manquent, le dernier Lawrence Block et un livre sur Proust,
plus un dictionnaire des citations étrangères. Quand on
va chez Moosbrugger, il est bon de pouvoir citer Musil dans le texte.
Travaux. Mise en peinture du couloir
qui mène à l'appartement.
Courrier. Ma fréquentation
de la BiLiPo me vaut une invitation du Centre de recherches Holmésiennes
et Victoriennes à une conférence ("Du gothique au roman
policier chez Wilkie Collins").
Téléphone. J'appelle
M. pour les ultimes mises au point concernant le séjour en Autriche.
Cinéma. Italian for Beginners
(Italiensk for begyndere, Lone Sherfig, Danemark, 2001 avec Anders
W. Berthelsen, Anette Stovelbaek, Ann Eleonora Jorgensen, Lars Kaalund,
Peter Gantzler, Sara Indrio Jensen).
Un cours du soir d'italien réunit des personnes d'horizons différents
: une coiffeuse, un jeune pasteur, un ancien footballeur, un réceptionniste
d'hôtel, une vendeuse maladroite, une infirmière...
Chacun de ces personnages a été plus ou moins meurtri par
la vie et souffre de la solitude. Chacun a dû faire le deuil de
quelque chose ou de quelqu'un de cher : un père, une mère,
une épouse, une brillante carrière sportive ou, plus bêtement,
ses capacités sexuelles. Petit à petit, Lone Sherfig va
tisser des liens entre eux, conjuguer les solitudes, faire naître
l'amour entre l'un et l'autre. C'est très simple, comme la vie
de ces gens, très dépouillé (le film est estampillé
Dogma sans que ça donne lieu à des chichis naturalistes)
et au bout du compte remarquable. Chacun des interprètes donne
à son personnage une grande force et une grande crédibilité,
l'humour côtoie le tragique et, miracle, tout se termine bien au
cours d'un voyage à Venise où les couples se soudent. Un
film hors de l'air du temps, une très bonne surprise.
JEUDI.
Courrier. M. m'envoie le plan du village
de Schröcken pour trouver notre chalet. J'envoie des coupures à
l'AGP (Le Monde) et à Y. (Le Monde Diplomatique).
Obituaire. Je monte à l'église
de Saint-Laurent pour assister à la fin des obsèques de
Bibi, mort lundi d'une crise d'asthme chez ses parents, à deux
pas de la pharmacie. C'est là que je l'avais vu il y a quelques
semaines, il m'avait dit ne pas aller fort et Caroline m'avait confirmé
qu'il souffrait de graves problèmes respiratoires. Souvenirs des
samedis passés avec lui et la bande du PMU de Chantraine, les pizzas
qu'on allait chercher place des Vosges et les parties de 421. Il avait
37 ans.
Cinéma. 8 Femmes (François
Ozon, France, 2001 avec Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Emmanuelle
Béart, Fanny Ardant, Virginie Ledoyen, Danielle Darrieux; Ludivine
Sagnier, Firmine Richard).
Un homme meurt assassiné dans une maison isolée par la neige.
Les huit femmes de son entourage se révèlent sous un jour
inattendu à la suite de cet événement. La meurtrière
ne peut être que l'une d'entre elles.
Un exercice de style assez ennuyeux sur papier glacé. Pourtant,
j'aurais vraiment aimé aimer ce film sans restriction. Ozon est
un auteur estimable, réalisateur de films intéressants même
s'ils ne sont pas réussis à 100% (Sous le sable).
Il a déjà montré, avec Gouttes d'eau sur pierres
brûlantes qu'il savait adapter une pièce de théâtre.
Seulement, ici, ce n'est plus d'une pièce de Fassbinder qu'il s'agit
mais d'un vaudeville de Robert Thomas (immortel auteur au cinéma
de Mon Curé chez les nudistes) et ça change tout
de même pas mal de choses. Parce que si on a bien conscience qu'on
a affaire à un "A la manière de" Agatha Christie
(sans détective cependant), si la fin est plutôt inattendue,
le contenu de l'intrigue et des répliques est vraiment très
creux. Pour dynamiser la chose, Ozon a distillé quelques mots d'auteur
et des numéros musicaux. Chaque actrice interprète une chanson,
ça fait passer le temps, jusqu'à une version pitoyable de
Il n'y a pas d'amour heureux par Danielle Darrieux.
Heureusement, il reste au cinéphile la possibilité de jouer
au jeu des références et des clins d'œil et sur ce plan,
le film est très riche. Ozon a choisi des actrices emblématiques
de certains de ses aînés auxquels il souhaitait rendre hommage
: Darrieux pour Duvivier (Marie-Octobre), Ardant pour Truffaut, Huppert
(dans un rôle de vieille fille frustrée où elle est
vraiment formidable) pour Chabrol, Béart pour les derniers Sautet
et Deneuve qui condense à elle seule Demy, Truffaut et Bunuel (même
si c'est Béart qui joue la femme de chambre). L'intrigue et son
mode de traitement comique renvoient eux aux comédies policières
britanniques (Alexandre Mackendrick par exemple et son Tueur de dames)
qui ne m'ont jamais non plus beaucoup amusé. Enfin, le cinéma
mythique américain est aussi à l'honneur avec des clins
d'œil à Douglas Sirk, Gilda, Laura ou Mais qui a tué Harry,
et des tas d'autre certainement que je n'ai pu identifier.
Ainsi, le temps paraît moins long.
Au retour, je lis les critique du film et m'aperçois avec plaisir
que je ne me suis pas beaucoup trompé dans les références
cinématographiques que j'ai décelées. Mes réserves,
en revanche, ne sont pas partagées : que des louanges.
VENDREDI.
Courrier. Invitation à une
séance de lecture d'écrits de Perec à la Bibliothèque
de l'Arsenal pour la commémoration de sa mort.
Santé. Comme c'est le cas à
chaque fois que l'on part en vacances, Lucie a de la fièvre depuis
trois jours. Le médecin ne décèle rien, la déclare
bonne pour le service. L'Autriche nous attend.
RAPPEL : les anciens numéros des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
Bonnes vacances à ceux que ça concerne et bonne fin de semaine
à tous.
Notules
dominicales de villégiature exotique n°48 - 17 février
2002
SAMEDI
1.
Alpenstock, Rucksack & Knickerbockers.
Départ pour l'Autriche à 10 heures 20. Remiremont, Bussang,
Mulhouse, Allemagne.
Une heure de bouchon à la frontière suisse. Les L., qui
sont eux sur une file qui progresse, nous dépassent sans nous voir.
Nous les retrouvons au Mövenpick avant Zürich où nous
déjeunons de quelques frites achetées au prix des ortolans.
Will, St-Gall, Lustenau, Dornbirn et nous attaquons la montagne, nettement
moins enneigée que l'an passé. Nous traversons Au, lieu
de notre villégiature de l'hiver 2001. Schröcken est un peu
plus haut, à quelques kilomètres. Nous découvrons
le gîte (la Villa Wackenburg) sans difficulté, mais pas sans
appréhension : un champ de neige avec, planté au milieu,
une sorte de hangar à foin sans fenêtre. C'est là.
La petite verrue dans la prairie, quoi. Les L. sont déjà
là, les Moosbrugger expliquent à Y. les choses nécessaires
au bon fonctionnement de la maison. Comme
ils ont manifestement des doutes sur sa capacité de compréhension,
ils me répètent tout. J'opine sans écouter à
tout ce qu'ils jaspinent, afin de nous en débarrasser au plus vite.
L'objet de leur inquiétude est visiblement un énorme poêle
de faïence qui doit chauffer le
rez-de-chassée et qui ne doit pas être utilisé n'importe
comment. La cuisine est plutôt du genre sordide, formica sale millésimé
1950 et placards branlants mais le reste est presque convenable. Dieu
merci, il y a des radiateurs d'appoint dans les chambres. La nôtre
est
habillée (rideaux et parures de lit) de vichy rouge et blanc. Toute
la semaine, j'aurai l'impression de dormir sous la nappe d'un restaurant
de Riquewihr. Le reste de la troupe arrive petit à petit, nous
sommes 16 au total.
DIMANCHE.
Mauvais temps, neige et vent. Comme
je le ferai toute la semaine, je me lève le premier et mets à
profit les premières heures de la matinée pour avancer dans
mes lectures et les menus travaux d'aiguille littéraires que j'ai
apportés. La troupe va louer du matériel de
ski.
Lecture. Le premier aigle (The
First Eagle, Tony Hillerman, 1998, traduit de l'américain par
Danièle et Pierre Bondil, Rivages/Thriller 1999).
Le lieutenant Jim Chee, de la police tribale navajo, recherche le meurtrier
d'un de ses collègues. Parallèlement, Joe Leaphorn, son
ancien supérieur qui s'est lancé dans les enquêtes
privées, est chargé de retrouver une biologiste qui a disparu.
Tony Hillerman s'est fait un nom en relatant les aventures de Jim Chee,
policier navajo, qui se déroulent dans les réserves indiennes
du Nouveau-Mexique. Sous sa plume (d'Indien), le roman policier devient
document ethnographique. Il utilise des mots indiens (repris en glossaire
à la fin du volume), parle des coutumes des Hopis et des Navajos
qui ont du mal à survivre dans la société américaine
contemporaine. J'avoue mon manque d'intérêt pour le problème
et mon agacement devant des phrases du genre : "Chee réfléchit.
Selon les règles de l'éthique navajo, il ne serait pas tenu
de lui révéler la vérité à moins qu'elle
ne lui pose la question quatre fois."
Comme de plus l'intrigue policière n'est pas passionnante, les
états d'âme de Chee et Leaphorn encore moins, je peux dire
que je n'ai pas été emballé. Si on cherche un bon
romancier américain qui sache parler de la nature et - un peu -
des Indiens, Jim Harrison reste le meilleur.
MARDI.
Lucie fait ses premiers pas à ski autour de la maison. J'apprends
à la radio (Europe 1, seule station française captable)
la candidature de Chirac à l'élection présidentielle.
Lecture. Comment Proust peut changer
votre vie (How Proust Can Change your Life, Alain de Botton,
1997, traduit de l'anglais par Maryse Leynaud, 10-18 n° 3278, coll.
domaine étranger 1997).
Dans la masse des écrits consacré à Proust et à
son œuvre, il doit en exister une grande partie propre à dissuader
quiconque de jamais lire une ligne de la Recherche. Heureusement,
le Comment Proust... d'Alain de Botton a ceci de commun avec le
Proust fantôme de Jérôme Prieur qu'il a l'effet
inverse et donne envie de s'y plonger ou replonger immédiatement.
En 9 chapitres, Botton effectue une promenade entre l'homme et l'œuvre.
De Proust, il parle de ses rapports à l'amitié, à
l'art, à la maladie. De la Recherche, il éclaire
quelques épisodes, quelques personnages. Il s'intéresse,
comme l'indique le titre, à la portée philosophique du livre.
Que peut-on en tirer qui puisse nous aider à mieux vivre ? Comment
prendre son temps, comment réussir ses souffrances, comment exprimer
ses émotions, comment jouir des riens de la vie, comment être
un véritable ami, comment ouvrir les yeux et surtout, c'est le
titre du dernier chapitre, comment laisser tomber un livre. Botton rappelle
que Proust, après avoir idolâtré Ruskin, s'en était
détaché jusqu'au point de qualifier son œuvre de "stupide,
maniaque, crispante, fausse et ridicule". Il nous conseille de faire
de même avec Proust, c'est à dire de nous garder de toute
idolâtrie littéraire et de savoir nous en affranchir à
un moment donné pour voler de nos propres ailes (cf. le "Nathanaël,
jette mon livre" du Gide des Nourritures terrestres). Il moque
et déconseille la visite à la maison de tante Léonie
à
Illiers-Combray... pèlerinage que je ferai tout de même certainement
un jour...
MERCREDI.
Fin du séjour pour Caroline et Alice qui repartent dans la matinée.
Presse. Je lis Libération que
M. a trouvé en courses.
Lecture. Le détail (Daniel
Arasse, Flammarion, coll. Champs n° 624, 1992).
Pour une histoire détaillée de la peinture.
A propos du dernier livre de Daniel Arasse, On n'y voit rien, je
m'étais plaint des vains efforts faits par l'auteur pour faire
"popu" : expression relâchée, tics d'écriture,
comme s'il avait peur que son propos ne fût pas accessible s'il
l'énonçait avec trop de sérieux. Dans Le détail,
Arasse ne s'encombrait pas de telles précautions. Son livre est
un travail de spécialiste et il utilise un langage de spécialiste,
ce qui est tant mieux, même si je ne prétends pas avoir tout
saisi.
Il s'agit de définir et d'étudier le détail dans
l'histoire de la peinture, définition et étude illustrées
par de nombreux exemples et reproductions (malheureusement en noir et
blanc et dans un format beaucoup trop petit pour que, justement, on puisse
voir les détails). Détail au service de la dévotion,
détail au service du récit, détail signature, détail
iconique (qui imite un objet ou une partie d'objet), détail pictural
("qui ne représente pas et ne donne rien d'autre à
voir que la matière picturale posée sur la toile"),
détail permettant de mettre en cause une interprétation,
tout y passe dans un véritable festival d'érudition.
Ce qui concerne les problèmes de représentation, la théorie
sur la peinture en général, la mimesis, était d'un
niveau trop élevé pour moi mais ce livre apprend au moins
à mieux regarder les tableaux et à se rendre compte de leur
richesse. Comme en littérature, rien n'est gratuit en peinture,
tout fait sens.
JEUDI.
Courrier. Rédaction de 4 cartes
postales.
Chantier littéraire. Je tire
quatre pages de notes du Détail d'Arasse pour mes Propos
sur l'art peint.
Saint-Valentin. Les L. tentent une
incursion à Lech, station huppée proche, mais sans succès,
la route est fermée.
États d'âme. Je commence
à trouver le temps long et à avoir hâte de retrouver
la moitié rapatriée de ma famille. Confirmation du fait
que je préférerai toujours l'idée de vacances aux
vacances elles-mêmes. Les meilleurs moments des vacances : la rédaction
des listes de choses à emporter, l'établissement de l'itinéraire,
le choix des livres, le voyage, même s'il faut conduire, la découverte
et l'investissement d'un lieu, la première nuit, le premier matin
où je prends mes marques et découvre le fonctionnement de
la cafetière autochtone dans le
silence de l'aube... Après, c'est la routine, une autre forme de
routine mais la routine tout de même. Cela dit, si l'on met à
part le froid, le séjour continue agréablement. On prend
grand plaisir à écorcher l'allemand, même sans majuscule.
Je serais certainement plus détendu
si je parvenais à me persuader que Lucie n'enquiquine pas le monde,
ce qui n'est pas vraiment le cas. Mon incapacité à prendre
part à une discussion me pèse aussi, je suis entouré
des gens qui me sont les plus chers, mes amis les plus proches, mais ne
parviens à leur dire ce que je veux leur dire qu'à l'occasion
de brefs tête à tête. Je voudrais faire connaître
mon plaisir d'être en leur compagnie mais ne parviens certainement
qu'à passer pour un ours peu loquace. Mais bon on me connaît...
VENDREDI.
Courrier. Rédaction de 8 cartes
postales.
N. me conduit jusqu'au centre du village rapporter les skis loués
de Lucie. Signe de vacances réussies : ça fait une semaine
que je ne suis pas monté dans une voiture et que je n'ai vu que
des personnes connues et appréciées. L'inertie et l'isolement
sont deux des conditions nécessaires à mon bien-être.
La simple idée de devoir faire la queue à un appareil de
remontée mécanique en compagnie de germanophones me donne
envie de me construire un igloo.
Lecture. Ils y passeront tous
(Everybody dies, Lawrence Block, 1998, traduit de l'américain
par Robert Pépin, Le Seuil, coll. Policiers, 1999).
Le personnage de Matt Scudder continue à évoluer. Désormais
marié à Elaine, il semble, au début de cette histoire,
avoir trouvé une sorte d'équilibre et de sérénité.
Il a pris une licence de détective privé et fréquente
les A.A. de façon moins assidue. Dans ses aventures précédentes,
il multipliait les réunions, ici on en trouve un seule. Mais c'est
son responsable des A.A., Jim Faber, qui est assassiné. Un autre
de ses proches est attaqué : Mick Ballou, le truand philosophe,
propriétaire du bar Le Grogan, dont deux des lieutenants sont abattus.
Scudder vole au secours de l'un et veut venger l'autre, se rangeant résolument
du côté de l'illégalité. Ce qui en fait un
personnage plus complexe qu'en apparence, avec un aspect "vie rangée"
et un aspect beaucoup plus noir. Il n'hésite pas à accompagner
Ballou dans une sanglante expédition punitive et à se faire
justice lui-même. Ainsi, Lawrence Block ne cherche pas à
faire passer son héros pour plus sympathique qu'il n'est. Pour
survivre dans la jungle new-yorkaise, il faut une mentalité de
fauve et Scudder n'en est pas dépourvu.
SAMEDI 2.
Effervescence. Remise en ordre de
la maison avant l'arrivée des Moosbrugger prévue à
10 heures. Ceux-ci, finauds, débarquent avant l'heure dite mais
les L. ont déjà pris la route, nous permettant de ne déclarer
que 12 occupants et de réduire ainsi légèrement les
frais. Je prend le volant de la voiture de T. et nous roulons en convoi
jusqu'à une station-service helvète où nous saucissonnons
au frais.
Home, sweet home. Nous arrivons à
la maison à 16 heures 15. Plaisir immédiat de retrouver
une endroit sans courants d'air et de ne plus avoir froid aux pieds. Je
dépouille le courrier (une carte de H. de Marseille et un autocollant
pour éviter le dépôt de publicités dans
notre boîte à lettres que j'avais demandé au R.A.P.
- Rassemblement contre l'Agression Publicitaire. Depuis les travaux, nous
avons une boîte aux lettres et les publicités et journaux
gratuits s'y entassent. Je fais bien de temps en temps des retours à
l'envoyeur - sans timbre
- mais ça prend du temps) et le courriel (70 messages, la plupart
issus des listes Oulipo et Perec). Je fais un tour d'horizon téléphonique
des voyageurs pour savoir si chacun a regagné ses pénates
sans encombre, ce qui est le cas. Il ne reste plus qu'à attendre
que vienne la
nostalgie de ce séjour, la litanie des choses que l'on n'a pas
faites ou dites.
TV. 10° épisode de Six
Feet Under, enregistrement programmé pendant notre absence.
Une embaumeuse engagée par les Fisher révèle à
la mère l'homosexualité d'un de ses fils... Va-t-elle lui
en parler ? Heureusement, le suspense sera de courte durée :
le prochain épisode est pour demain...
RAPPEL. Les anciens numéros des notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°49 - 24 février 2002
DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental.
Nous excursionnons jusqu'au monument aux morts de Bains-les-Bains. A l'extérieur
de la ville, nous trouvons une aire de jeux sordide, parsemée de
tessons de canettes de bière, pour que les filles s'ébrouent.
TV. 11° épisode de Six
Feet Under. Rico, l'embaumeur de la maison Fisher, a du mal à
travailler sur le cadavre d'un bébé alors que sa femme est
elle-même enceinte. On le comprend.
LUNDI.
Entretien physique. Je passe la journée
à lire la presse accumulée en mon absence. J'apprends dans
Le Monde que Haider, sans doute impressionné par notre présence
sur ses terres, a décidé d'abandonner ses responsabilités
nationales pour se consacrer à son fief
de Carinthie. Je rédige diverses chroniques, une nouvelle en deux
lignes, recopie diverses notes et propos.
Mail. Échange de mots de satisfaction
entre les divers participants aux dernières vacances. F. me demande
les livres d'Arasse, je les lui envoie. Je préviens la [listeoulipo]
de la présence de Gilbert Salachas, un auteur que beaucoup apprécient
dans ce milieu, à une émission de France Culture du lendemain.
TV. Chéri Bibi (Marcel
Pagliero, France-Italie, 1954 avec Jean Richard, Raymond Bussières,
Danielle Godet, Albert Préjean, Lea Padovani).
Chéri Bibi, condamné au bagne pour un meurtre qu'il n'a
pas commis, revient pour se venger sous les traits de celui qui a épousé
celle qu'il aime.
Ramener l'épopée de Chéri Bibi à un film de
moins d'une heure trente n'est pas chose facile. Le roman de Gaston Leroux
rassemble des éléments qu'on trouve dans Le Comte de
Monte-Cristo, Les Misérables (l'injuste condamnation,
le désir de vengeance, le retour à la vie civile sous une
nouvelle identité) et Le mystérieux Docteur Cornélius
de Gustave Le Rouge (la chirurgie esthétique au service du changement
d'identité). Le côté ramassé du film lui donne
du rythme mais ne rend pas la complexité du personnage de Chéri
Bibi.
Dans le rôle, Jean Richard fait preuve de courage en jouant à
contre-emploi mais il n'est pas franchement convaincant. Je garde un meilleur
souvenir de la version feuilleton du roman, tournée pour la télévision
dans les années 70 avec Hervé Sand et l'inquiétant
Daniel Emilfork dans le rôle du Kanak.
MARDI.
Santé. Lucie passe la journée
couchée devant le télévision avec entre 39 et 40°
de fièvre.
Courrier. Faire-part de naissance
d'un jeune Antoine. Parallèlement, j'apprend le décès
du mari (42 ans) de la directrice de la crèche que fréquente
Alice : arrêt cardiaque en faisant du VTT. Le sport et ses
bienfaits.
Courriel. Diatribe de J.S. à
propos des J.O. et de la médaille de raccroc attribuée aux
Canadiens. J'avoue suivre tout ça d'assez loin.
TV. Mon Voisin le tueur (The
Whole Nine Yards, Jonathan Lynn, U.S.A., 2000 avec Bruce Willis, Matthew
Perry, Natasha Henstridge, Amanda Peet, Rosanna Arquette).
Dans la banlieue de Montréal, un tueur à gages emménage
à côté d'un dentiste qui va voir son existence bouleversée.
Un film sitôt vu, sitôt oublié. Une idée (?)
de scénario et une seule : un candide propulsé dans le monde
des tueurs (voir les films de Lautner), quelques démêlés
sentimentaux pour finir par la constitution de nouveaux couples : le dentiste
avec la femme du tueur, le tueur avec l'assistante du dentiste. Dans le
rôle de ce dernier, Matthew Perry est parfois assez drôle,
surtout dans la séquence d'ouverture où on le voit aux prises
avec une épouse invivable (Arquette). Face à lui, Bruce
Willis n'est qu'un corps massif surmonté d'un visage inexpressif
(ça tombe bien, il joue un tueur impassible).
MERCREDI.
Santé. Le médecin diagnostique
une angine pour Lucie. Rien de grave, sauf que, au cours de la journée,
la fièvre ne baisse pas et atteint 40° 3 en soirée,
ce qui me dissuade d'aller voir Ocean's Eleven au cinéma.
Palindrome. J'oublie de regarder ma
montre à 20 heures 02, moment exceptionnel : 20 02 2002, 20.02.
TV. 1974, une partie de campagne
(Raymond Depardon, France, 1974).
Documentaire sur la campagne et la victoire de Valéry Giscard d'Estaing
aux élections présidentielles de 1974.
La première surprise est d'ordre physique : à l'heure où
un Chirac empâté de 69 ans débute sa campagne, l'image
du Giscard de 1974 est saisissante. Il a 48 ans, il est svelte, élégant,
voire séduisant et on se demande comment cet homme a pu devenir
le dinosaure chuintant et vindicatif qu'il est devenu aujourd'hui. Malgré
son jeune âge, il est parfaitement à l'aise, maîtrise
son sujet et son image de façon impeccable : un véritable
animal politique. Deuxième surprise : les chiffres. 15% d'abstention
au premier tour, 13% au second, ça ne se reproduira sans doute
jamais. Et seulement 50,81% des voix pour Giscard au final, à une
époque où le pouvoir ne pouvait, par essence, appartenir
qu' à la droite. Et troisième source d'étonnement :
pourquoi Giscard a-t-il interdit si longtemps la sortie de ce film qu'on
ne découvre qu'aujourd'hui, vu qu'il y est tout à son avantage
? Probablement parce que la vengeance est un plat qui se mange froid,
particulièrement chez les dinosaures, et que le film ne peut que
nuire à Chirac qui entame sa campagne.
J'ai peu de souvenirs de cette époque. J'étais au collège,
j'avais 14 ans et je me rappelle simplement avoir demandé à
un prof si le nom de Mitterrand prenait deux r avant de le graver sur
ma table. Le film, aussi passionnant que le sera plus tard celui consacré
aux dernières élections municipales à Paris, permet
de revoir les personnalités politiques de l'époque. Ceux
qui ont disparu (Poniatowski, Labbé, Lecanuet...), ceux qui se
sont brûlé les ailes (d'Ornano, Chinaud...). Depardon innovait
alors, créait un style de proximité totale qui sera plus
tard imité par Serge Moati entre autres.
JEUDI.
Santé. Lucie passe une bonne
nuit, la fièvre est tombée. Heureusement que cet épisode
ne s'est pas déroulé en Autriche.
Voyage. Départ pour Paris par le bus de 6 heures 57
et le train de 7 heures 42. Je passe en bus rue du Faubourg Saint-Martin
devant la permanence du candidat Chirac. Photographes et cameramen sont
à l'affût, le Q.G. de campagne doit être inauguré
aujourd'hui.
Jospin a annoncé sa candidature la veille mais ses locaux, situés
un peu plus bas dans la même rue, ne sont pas encore opérationnels.
Je passe l'après-midi à la Bibliothèque de l'Arsenal,
au siège poussiéreux de l'Association Georges Perec, à
trier des papiers et classer des archives. J'y vois Danielle Constantin,
Bernard Magné, Eric Beaumatin, Cécile De Bary et des étudiants
en quête de renseignements
pour leurs travaux.
Lecture. Les rivières pourpres
(Jean-Christophe Grangé, 1998, Albin Michel coll. Spécial
Suspense).
Le commissaire Niémans enquête sur la découverte de
deux cadavres atrocement mutilés dans les montagnes qui entourent
une petite ville universitaire de l'Isère. Parallèlement,
Abdouf, un ancien voyou devenu inspecteur, s'intéresse à
une profanation de sépulture qui a eu lieu dans un cimetière
du Lot. les deux pistes et les deux hommes se rejoignent.
On peut trouver deux qualités à Jean-Christophe Grangé
: son imagination et son sens de la construction. L'histoire qu'il a choisi
de raconter, même si elle ne caractérise pas par sa vraisemblance,
fourmille de trouvailles surprenantes. Partie d'une histoire banale de
serial killer, elle explore les domaines de la génétique,
des sectes, du surhomme que des illuminés ont réussi à
créer. Les rebondissements, les surprises se succèdent à
un rythme soutenu et le livre captive de la première à la
dernière page, en dépit d'un dénouement assez complexe.
Le modèle de Grangé est de toute évidence américain
: le thème du serial killer, le côté monolithique
de l'enquêteur, le cadre (un campus universitaire). Mais malheureusement,
Grangé n'est pas un écrivain très subtil. Il se situe
plutôt du côté de Patricia Cornwell que de celui de
Michael Connelly, chez qui on trouve aussi des serial killers - Le
Poète - mais ceux-ci sont traqués par Harry Bosch, un
personnage qui a vraiment de la texture, de l'épaisseur. Ses personnages
sont taillés à la serpe, caricaturaux au possible (le grand
flic, ancien de l'Antigang, violent, solitaire, indépendant de
sa hiérarchie). Son écriture est aussi dépourvue
de finesse, grandiloquente, accumulant les clichés et les images
ridicules. Bref, il a une belle marge de progression mais le livre a remporté
un tel succès qu'on peut se douter qu'il se contentera de poursuivre
dans la même veine.
Cinéma. La Bête de
miséricorde (Jean-Pierre Mocky, France 2001 avec Bernard Menez,
Jackie Berroyer, Jean-Pierre Mocky, Patricia Barzyk, Catherine Van Hecke,
Diane Dassigny, Dominique Zardi, Jean Abeillé, Roger Knobelspiess,
Sacha Bourdo).
M. Mardet donne l'apparence d'un veuf paisible vivant en harmonie avec
ses voisines dans un pavillon de banlieue. En réalité, c'est
un tueur qui se croit investi d'une mission divine et supprime ceux pour
qui la vie est une souffrance.
Pour voir les films de Mocky, qui n'a plus de distributeur, il n'y a plus
qu'un endroit : le Brady, qu'il possède, boulevard de Strasbourg,
le dernier cinéma de quartier de Paris qui ne doit pas lui rapporter
grand-chose vu que j'étais le seul spectateur ce soir-là.
Néanmoins, Mocky tourne toujours son film annuel - au moins - avec
quelques amis acteurs : Zardi, bien sûr, un fidèle de toujours
- et ici Menez et Berroyer qui forment un duo de policiers plutôt
inattendu (sauf dans l'univers de Mocky). La Bête de miséricorde,
adapté d'un
roman du prolifique Frederic Brown, est un Mocky relativement sage. Il
y a même un personnage de curé qui n'est ni pédophile,
ni libidineux, c'est dire. Le manque de moyens est visible : longues
conversations à deux ou trois personnages, lieux de tournage peu
variés
(une route de campagne, une salle de commissariat, une église,
un café, la maison de Mardet). C'est un polar traditionnel, pas
franchement passionnant, centré sur la personnalité de Mardet
(Mocky), un illuminé qui tue pour obéir à Dieu et
soulager ceux qui souffrent. Quand il déclare à la fin du
film qu'il continuera sa mission avec résignation et persévérance,
le message est clair : malgré les embûches, Mocky continuera
à tourner quoi qu'il arrive. C'est une bonne nouvelle.
VENDREDI.
Exposition. Raphaël, Grâce
et Beauté (Musée du Luxembourg).
Le Musée du Luxembourg, que j'avais découvert lors de sa
réouverture avec l'exposition consacrée à la collection
du Dr Rau, n'est pas un lieu immense. On y trouve ici une douzaine de
peintures de Raphaël, quelques gravures et des photos de ses fresques
mais c'est suffisant. On a le temps de s'attarder, de revenir sur ses
pas, de traquer le détail comme me l'a appris Daniel Arasse (qui
fait d'ailleurs partie du comité scientifique de l'exposition).
Des cercles, de la rondeur, de la bonté, de la sérénité
qui s'exhalent de tous ses visages, de la sensualité aussi dans
son portrait de la Fornarina, comme si Raphaël, mort à 37
ans, n'avait pas eu le temps de connaître l'aigreur, la méchanceté,
la laideur du monde.
Vie parisienne. J'achète le
catalogue de l'exposition, marche jusqu'à la Librairie Dédale,
rue des Écoles, où je trouve deux inédits d'Henri
Thomas pour l'anniversaire de mon père. Je mange au Petit Cardinal
et passe l'après-midi à travailler sur mon Atlas de la Série
Noire à la Bibliothèque des Littératures Policières.
Retour à Épinal par le 18 heures 50, Lucie est guérie.
SAMEDI.
Courrier. Je reçois la liste
des livres sélectionnés pour le Prix René-Fallet
et en passe commande à Panorama 88. Comme l'an passé, je
compte consacrer la semaine de vacances que nous devrions passer à
Cannes à leur lecture.
Courriel. J'envoie une petite revue
de presse à la [listeoulipo] : un aptonyme découvert par
Le Canard Enchaîné (un M. Boisson, responsable de la section
viticole de la FNSEA) et une lettre de lecteur parue dans Télérama,
lecteur qui se trompe en annonçant la prochaine date palindrome
pour le 30 03 3003, oubliant le 21 12 2112. J'écris aussi à
Télérama pour souligner l'erreur.
Vie sociale. Le parrain de Caroline
et sa femme se sont connus il y a cinquante ans. Pour fêter l'événement,
ils ont convié une vingtaine de personnes au Calmosien, une bonne
table près d'Épinal. Nous en sommes. Ce n'est pas le genre
d'exercice que nous affectionnons particulièrement mais il faut
faire bonne figure : ce sont nos amphitryons qui mettent gracieusement
à notre disposition leur appartement de Cannes... La soupe est
bonne est nous sommes placés à côté d'une cousine
de Caroline qui fut mon élève dans les années 1984-1987
et qui est vraiment poilante. Nous retrouvons toutefois nos pénates
avec un intense soulagement à une heure fort tardive.
RAPPEL. Les anciens numéros de notules sont consultables
sur http://pdidion.free.fr/
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