Notules
dominicales de culture domestique n°74 - 1er septembre 2002
DIMANCHE.
Théâtre. Nous prenons
congé des JVC
et mes parents viennent nous chercher, direction le Théâtre
du Peuple à Bussang où on donne la dernière de La
Cerisaie de Tchékhov. Connaissant l'habileté de mon père
- dont j'ai en partie hérité - pour le maniement de la
chose automobile, je préfère l'assoupissement à la
contemplation du paysage. J'avais vu à Bussang une pièce
de Beaumarchais en 1989 et depuis, rien n'a changé. Même
assemblage de planches minces qui semblent prêtes à s'embraser
à la moindre étincelle, même confort spartiate (le
Consul Général de Russie à Strasbourg, assis à
quelques places de nous, est à la même enseigne), même
émerveillement quand les panneaux du fond de la scène s'ouvrent
sur la forêt vosgienne. C'est la dernière saison du directeur
Jean-Claude Berutti, dont la mise en scène est parfois un peu laborieuse.
Si l'interprétation masculine est irréprochable, les actrices
m'ont semblé souvent limitées dans leur registre. M'est
avis que le texte méritait mieux, mais le théâtre
est un genre que je pratique trop peu souvent (la dernière pièce
que j'avais vue était une adaptation d'Espèces d'espaces,
de Perec, en janvier 1997) pour que mon jugement soit de grande valeur.
TV. De l'histoire ancienne
(Orso Miret, France, 2000 avec Yann Goven, Olivier Gourmet, Brigitte Catillon,
Martine Audrain).
A la suite de la mort d'un ancien résistant, ses deux fils et sa
fille voient leurs vies bouleversées.
Il s'agit de savoir qui va s'occuper de la mère qui perd un peu
la tête, de savoir si l'incinération qui a eu lieu correspondait
bien aux dernières volontés du défunt. La fille quitte
son mari, un des fils quitte son emploi... Les mines sont graves, voire
compassées, les lieux sont mal définis, les péripéties
bien rares. Bref, on s'ennuie ferme malgré les bonnes intentions.
LUNDI.
Bureau. Je bute sur une question du
concours Dumas, mais rédige deux nouvelles en deux lignes.
Mail. Les vacances se terminent, les
messages deviennent plus nombreux : GN m'adresse deux photos, traces d'une
ancienne escapade parisienne à la librairie Shakespeare & Co
et à l'impasse Florimont; N est en pleine phase de mesmérisme;
Y. donne des nouvelles (bonnes) de L.
TV. La Drôlesse (Jacques
Doillon, France, 1979 avec Claude Hébert, Madeleine Desdevises).
Dans un petit village français, François, un grand adolescent
farouche et frustré, décide de séquestrer une gamine,
Madeleine.
Il l'idolâtre. Elle est contente. Une sorte de bizarre vie à
deux, clandestine, s'organise.
Avec La Drôlesse, Jacques Doillon fait le lien entre l'œuvre
de Robert Bresson et les films de Bruno Dumont (La Vie de Jésus,
L'Humanité). De Bresson on retrouve le cadre rural et les
enfants d'Au hasard Balthazar, l'attention portée aux bruits
et à l'énonciation (pour ne pas se faire remarquer, les
deux complices chuchotent tout au long du film), l'utilisation d'acteurs
non professionnels (des "modèles", pour parler comme
Bresson). Chez Dumont, on retrouvera la peinture d'un milieu et d'êtres
frustes, en marge de la société, qui tentent de se créer
un univers à part.
Mais la drôle de relation qui s'établit entre François
et Madeleine appartient en propre à Doillon. Devant une enfant
de 11 ans, François, adolescent mal dégrossi, doit endosser
un rôle d'adulte pour lequel il n'est pas taillé. Madeleine
est sensible à sa maladresse et doit elle-même combler ses
lacunes. Ils parviennent un temps à mener une vraie vie de couple,
à montrer l'un pour l'autre un respect qu'ils ne rencontrent jamais
chez les autres. Une œuvre dépouillée, vraiment digne et
belle comme du Bresson.
MARDI.
Emplettes. Je trouve un pantalon dans
une échoppe qui correspond bien à ce que je cherche, ce
que j'appelle un "pantalon de rien-foutre", pour traîner
at home, léger et confortable. Je l'essaie, il me va, Lucie m'encourage
à l'acheter. De retour à la maison, je
découvre l'étiquette : c'est du 16 ans. Bon sang, nos jeunes
ont de drôles de manières de s'attifer.
Mail. Échange avec Y. qui me
propose de référencer, c'est à dire de rendre accessible
à partir d'un moteur de recherche, le site des notules. En attendant,
il a posé un compteur qui me permet de constater avec plaisir que
le dit site est consulté par d'autres personnes que moi-même.
TV. Liam (Stephen Frears, G.-B.,
2000 avec Anthony Borrows, Ian Hart, Claire Hackett, Anne Reid).
Liverpool, années 30. L'enfance de Liam, 7 ans, terrorisé
par les leçons de catéchisme qu'il reçoit à
l'école et dont le père vient de perdre son emploi.
La charge contre les milieux catholiques de l'époque est assez
convenue. Frears montre le catholicisme par son côté le plus
obtus, présente une institutrice et un prêtre caricaturaux,
des sermons sur l'enfer qui semblent tirés du Portrait de
l'artiste de Joyce.
L'aspect plus original du film nous montre la tentation fasciste et xénophobe
qui s'empare d'une partie du monde ouvrier britannique avant la Deuxième
Guerre Mondiale (et dont j'ignorais tout). On dit aux Irlandais de rentrer
dans leur pays et on n'hésite pas à s'attaquer aux Juifs
et à leurs biens. Le père de Liam s'engage dans un groupuscule
de chemises noires et participe à un attentat aux conséquences
imprévisibles qui réveille quelque peu le spectateur engourdi
par ce film ronronnant.
MERCREDI.
Vie sociale. Les G. sont nos hôtes.
Les filles s'entendent bien, et les parents pas plus mal. Ils repartent
lestés d'un exemplaire de ma Tentative d'épuisement.
JEUDI.
Mail. Retour sur la toile de F. et
de P.H.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. (Le Monde, L'Humanité) et le remercie pour la duplication d'un
album de Maxime Le Forestier reçu le matin-même, une réponse
à une invitation des M&M, un mot d'encouragement à un
collègue qui quitte l'enseignement pour
l'administration, la nécrologie d'Hélène Chatelain
à GN.
Cinéma. Être et avoir
(Nicolas Philibert, France, 2002).
Documentaire sur une école à classe unique en Auvergne.
C'est avec pas mal de circonspection, voire de réticence, que j'ai
abordé ce film consacré à un métier que je
n'ai jamais franchement chéri et qui, depuis mes récents
déboires, m'est devenu franchement exécrable. Heureusement,
par delà le documentaire pédagogique, c'est une véritable
œuvre cinématographique que livre ici Nicolas Philibert avec un
cadre, des personnages et une dramaturgie. Philibert est connu pour son
documentaire sur La Ville Louvre et Être et avoir
s'ouvre sur un clin d'œil à l'art pictural, une tortue qui traverse
horizontalement le bas de l'écran, à la manière des
escargots de certaines Résurrections ou Annonciations (celle de
Francesco del Cossa, par exemple) de maîtres italiens de la Renaissance.
La tortue, animal antédiluvien, pourrait être le totem de
M. Lopez, l'enseignant en charge de cette école. Car M. Lopez n'est
pas un professeur des écoles, encore moins un instituteur, c'est
un maître, un saint laïc à l'allure et à la mise
monacales. Il règne avec noblesse sur son domaine : quand il travaille
le soir à son bureau, c'est Saint Jérôme dans son
cabinet de travail d'Antonello de Messine; quand il convoque deux élèves
qui se sont battus, c'est Salomon qui rend son jugement; quand il s'entretient
avec un garçon de son passage en 6°, c'est Saint Louis sous
son chêne; quand il prend un petit dans ses bras, c'est saint Jean-Baptiste.
Philibert élude rapidement la facilité que serait la mise
en scène d'une sorte de "Foire aux cancres" avec bons
mots d'enfants et facéties. Il y a bien le personnage du jeune
Jojo, trublion de la classe, qui fait un temps illusion dans ce domaine
mais heureusement il est vite ravalé au rang d'élément
constitutif de l'ensemble, à égalité avec les autres.
Les saisons passent, la fin de l'année approche et avec elle la
séparation d'avec les plus grands qui vont entrer au collège.
L'heure devient grave et Philibert nous offre deux tête-à-tête
bouleversants entre M. Lopez et deux de ses élèves qui font
entrer le film dans une dimension émotionnelle intense. L'émotion,
M. Lopez ne la laisse jamais apparaître, explique, corrige avec
une équanimité sidérante.
Jusqu'à ce dernier regard capté par la caméra le
dernier jour de classe...
Remarque : M. Lopez semble faire faire beaucoup de dictées à
ses élèves. Il serait peut-être bon de signaler ce
travers à son inspecteur.
Lecture. Moloch (Thierry Jonquet,
Gallimard, coll. Série Noire n° 2489, 1998).
Des enfants sont retrouvés carbonisés dans une maison de
la ceinture parisienne. L'équipe du commissaire Sandoval enquête
et recherche un enfant qui, apparemment, a réussi à échapper
au massacre.
Sandoval, Dimeglio, Rovère et d'autres sont des personnages qui
apparaissaient déjà dans un précédent polar
de Jonquet, Les Orpailleurs, sans que j'en aie gardé grand
souvenir. L'auteur les définit à grands traits mais ne semble
pas vraiment s'intéresser à eux. Ce qui importe davantage
pour lui, apparemment, c'est l'enquête, qui mène à
la découverte d'un trafic d'enfants. La cruauté, le réalisme
anatomique, la violence font partie des thèmes déclinés
par Jonquet depuis Mygale. Il s'est ici inspiré de faits
réels, ce qui lui valut quelques ennuis avec la justice (qui aboutirent
à un non-lieu) car ces faits n'étaient pas encore jugés
au moment de la sortie du livre.
VENDREDI.
Voyage. Je pars pour Paris par le
bus de 6 heures 57 et le train de 7 heures 42, assez lourdement chargé
: j'emporte mon matériel d'enregistrement pour capter les deux
derniers épisodes de La Montagne magique. Je vais voir les
livres de la rentrée littéraire à la librairie Dédale,
rue des Écoles. Le seul livre de cette rentrée qui m'intéresse,
le nouveau roman de Vassilis Alexakis, ne sort que mardi prochain. Je
m'interroge. Je suis ce que les statistiques appellent un grand lecteur,
ou un gros lecteur, je ne sais plus. Sur les 663 romans de la rentrée,
je vais en acheter un. Combien en achèteront les petits lecteurs ?
Je passe l'après-midi à travailler à la Bibliothèque
des Littératures Policières. Le soir venu, je pars à
la découverte de contrées inconnues, les abords du canal
Saint-Martin, le bassin et la rotonde de La Villette, les quais du canal
de l'Ourcq, lieux qui servent de décor au dernier Jonquet que j'ai
entamé dans le train.
Cinéma (MK2, quai de Seine,
19°). Mille millièmes, fantaisie immobilière (Rémi
Waterhouse, France, 2002 avec Patrick Chesnais, Jean-Pierre Darroussin,
Grégori Dérangère, Suzanne Flon, Irène Jacob,
Luis Rego, Wladimir Yordanoff).
Les habitants d'un immeuble parisien se retrouvent pour l'assemblée
annuelle des copropriétaires. Sous la houlette du syndic, chacun
débat de ses frustrations et de ses envies.
Fantaisie immobilière, ou fantaisie immobile, plutôt, tant
les personnages sont figés dans
leur stéréotype. Waterhouse présente un échantillon
d'humanité, c'est la loi du genre, qui n'évolue absolument
pas : le concierge est enfermé dans son Portugal, un copropriétaire
dans son homosexualité, un autre dans son homophobie, un autre
encore dans sa nostalgie (il est né dans l'immeuble)... Seul le
jeune (Dérangère) qui cherche à vendre son appartement
fait preuve d'un peu de complexité psychologique, monstre d'égoïsme
sous des dehors charmants. Les comédiens s'ennuient, certains sont
franchement mauvais (que ne donnerait-on pas pour effacer le niais sourire
du visage d'Irène Jacob), les autre y croient encore moins que
le spectateur (Darroussin, Chesnais).
Retrouvailles. Je moule-frite près
de la Gare de l'Est et accueille Caroline au train de 23 heures 32.
SAMEDI.
Vie parisienne. Je passe la journée
à la Bilipo, avec une pause à midi : Caroline me rejoint
et on mange au Monge, rue Monge.
Cinéma (Rex, boulevard Poissonnière,
2°). L'Adversaire (Nicole Garcia, France, 2002 avec Daniel
Auteuil, Géraldine Pailhas, François Cluzet, Emmanuelle
Devos, Bernard Fresson, François Berléand).
La vie de Jean-Marc Faure repose sur un mensonge : il n'est pas le médecin
qu'il prétend être. Une succession d'indices éveille
- au bout de dix-huit ans ! - les soupçons de son épouse.
Je n'attendais pas grand-chose d'Être et avoir, j'ai été
enthousiasmé. J'attendais beaucoup de L'Adversaire, j'ai
été un peu déçu. Pas par Auteuil, qui est
comme d'habitude, c'est à dire parfait, mais par les choix de mise
en scène de Nicole Garcia. Elle emmêle à l'envi les
époques (le jour du carnage final, la vie de Faure jusqu'à
cette impasse, les entretiens des témoins avec le juge d'instruction)
d'une façon absolument gratuite. Or, il s'agit d'une histoire qui
se construit au fil du temps, qui se construit sur un vide de plus en
plus criant, une existence factice dont l'artifice est de plus en plus
apparent. La progression chronologique s'imposait d'elle-même, choix
qu'avait fait Emmanuel Carrère dans le livre-source me semble-t-il,
non pas pour ménager le suspense, tout le monde sait comment l'affaire
Romand s'est terminée, mais par simple logique narrative. Ça
a dû sembler trop simple justement à Nicole Garcia, qui n'est
pas une apôtre de la simplicité (voir Place Vendôme).
On retiendra deux belles idées, le plan sur l'agenda vierge de
Jean-Marc Faure et celui du hall de l'OMS où il s'avance dans la
foule de ses "collègues" et où il est le seul
à ne pas porter de badge.
Bonne
semaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°75 - 8 septembre 2002
DIMANCHE.
Vie parisienne. J'aurais volontiers
passé un moment planté devant Le Radeau de la Méduse
de Géricault mais la queue devant le Louvre est vraiment dissuasive.
Qu'à cela ne tienne, il fait un temps splendide, nous arpentons
le jardin du Carrousel, les Tuileries avec vigilance : il n'est pas
rare, dans ces lieux, de se prendre un jogger en pleine poire au détour
d'un allée. Nous traversons la Seine par la passerelle de Solférino,
qui doit être une des dernières réalisations de la
municipalité Tibéri, une vraie réussite, avec une
halte au milieu pour jouir de la vue. Rue de Solférino, l'immeuble
du PS est vide : les éléphants sont allés panser
leurs plaies à La Rochelle. La file d'attente devant le Musée
d'Orsay a l'air plus fréquentable. En plus, elle avance vite :
bonne surprise, les musées nationaux sont gratuits le premier dimanche
de chaque mois, donc aujourd'hui. Au bout de cinq minutes, nous sommes
dans les lieux, cloués par le regard impudique de l'Olympia
de Manet. C'est tout ce que je voulais voir, plus question d'arpenter
ce musée en essayant d'en aborder tous les chefs-d'œuvre, c'est
trop éreintant. Nous allons tout de même voir l'exposition
du moment, consacrée à l'œuvre graphique de Kupka, un Tchèque
déjà vu chez les Fauves. A la librairie, je trouve le catalogue
du Musée de l'Annonciade que je regrettais tant ne pas avoir acheté
à Saint-Tropez. Nous papillonnons de croûte en croûte
avant d'aller en casser une (syllepse de sens, je n'ai pas acheté
un Gradus pour rien) au Saint-Germain, rue du Bac et de prendre le train
du retour.
Courrier. A. m'envoie un commentaire
du Saint Jérôme d'Antonello.
Mail. Les M. ont repris le travail
au Texas.
Bonne surprise avec une demande d'abonnement. Ça doit être
la première fois que quelqu'un demande à recevoir les notules.
D'habitude, c'est plutôt moi qui propose, de manière à
ce qu'on ne puisse pas refuser.
LUNDI.
Rentrée. Encore une. Plus que
dix-sept. Mauvaises nouvelles du précédent principal, victime
d'une attaque cardiaque pendant les vacances. On lui avait offert un vélo
tout terrain pour son départ. Soyez d'attaque pour l'été,
offrez un VTT. Le patron est nouveau, la sous-maxé est nouvelle,
de nouveaux profs aussi. Il y a là une blonde qui me glace, tant
sa physionomie et sa classe me font penser à une fille à
Le Pen. L'après-midi, je vide la salle 26 que j'occupais depuis
des temps immémoriaux (équipée pour l'anglais, que
je ne pratique plus) pour m'installer dans un nouveau local. C'est long
: comme tout le monde, au début de ma carrière, j'emmenais
beaucoup de choses de l'école chez moi, cours à préparer,
copies à corriger, manuels à compulser. Depuis, j'ai cessé
de polluer mon intérieur avec ces objets et c'est mon chez-moi
que je j'installe à l'école : cafetière, vaisselle,
couverts, serviette de table, habits de rechange, coussin pour la sieste,
petite bibliothèque, cassettes, radio... Je pense que finirai par
prendre des chaussons.
Mail. Y. continue à travailler
sur le référencement de mon site. Je rédige et envoie
les notules en retard.
Dictionnaire. Entrée de l'adjectif
"oulipien" dans le Petit Larousse 2002.
Téléphone. J. m'apprend
la mort de J.B., ancien compagnon de vacances en Lozère. Homme
doux, guitariste virtuose. Souvenir d'une version du Take the A Train
d'Ellington avec lui, B. au piano, A. au trombone et un chorus que j'avais
sorti d'un harmonica en la mineur que je maîtrisais pourtant plutôt
mal.
MARDI.
Soulagement. Rentrée des classes
pour Lucie, sans heurts ni pleurs.
Rencontre. Maigre affluence au cinéma,
ce soir. Trois personnes dans la queue. Parmi celles-ci, M. G., mon nouveau
principal. Il me salue par mon nom alors que je ne l'avais jamais vu avant
la journée d'hier où je n'étais qu'un tête
anonyme parmi les autres. Stupéfaction : du fait de ma personnalité
hors du commun, l'ancien patron, à son arrivée, m'avait
pris pendant deux mois pour le professeur de dessin (et je m'étais
bien gardé de le détromper). Je m'interroge : qu'est-ce
qui me vaut cette soudaine et inattendue popularité ?
Cinéma. Shaolin Soccer
(Siu lam juk kau, Stephen Chow, Hongkong, 2001 avec Stephen Chow,
Vicki Zao Wei, Ng Man Tat, Patrick Tse Yin, Wong Yat-fei, Sarondar Li,
Cecilia Cheung).
Un moine shaolin (une discipline dérivée du kung-fu) rencontre
un ex-joueur de football qui lui apprend à jouer. Ils constituent
alors une équipe et s'engagent dans un tournoi avec un million
de dollars à la clé.
C'est un film comme il doit s'en tourner cent par jour à Hongkong,
qui repose sur une idée assez originale : associer les gestes du
kung-fu à ceux du football, ce qui donne quelques séquences
très spectaculaires. La construction est celle du conte classique
avec héros positif et négatif et une belle prisonnière
(de sa laideur en l'occurrence). Stephen Chow se fiche complètement
de la vraisemblance, présentant les matches de foot (à cinq
ou six joueurs par équipe, apparemment) comme une succession d'affrontements
singuliers. Il y a là-dedans des gags que n'auraient même
pas osé les Charlots à leur époque glorieuse des
Fous du stade. Un joyeux foutoir, un j'm'en foutisme réjouissant.
Lecture. Ad vitam aeternam (Thierry Jonquet, Éditions
du Seuil, coll. Fiction & Cie, 2002).
Anabel rencontre M. Jacob, entrepreneur de pompes funèbres, à
sa sortie de prison. Au même moment, Ruderi, un vieillard, termine
ses quarante années de détention. Oleg, tueur à gages,
est chargé de le suivre afin de découvrir qui il est réellement.
Ruderi, une fois rendu à la vie civile, semble rajeunir de jour
en jour. Il conduit Oleg chez M. Jacob.
L'histoire se termine en 2126. Jonquet quitte le domaine du polar stricto
sensu pour s'aventurer sur les terres de l'anticipation. Mais comme l'indique
le sous-titre, c'est tout de même un roman noir qu'il livre ici,
tout à fait dans la lignée de ses œuvres précédentes.
Le corps humain y est une fois de plus présenté comme un
champ d'expérimentation, mais c'est le Temps et la Mort qui en
constituent les axes principaux. Jonquet, s'il n'est pas un grand styliste,
sait construire une histoire et intéresser son lecteur. Sur un
terrain qui pourrait facilement prêter au ridicule, il se révèle
plutôt à l'aise.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète une anthologie
de la poésie française en deux volumes, un polar russe,
une chemise hors de prix et, pour Lucie, un CD rom que je n'arriverai
pas à installer : ce truc, destiné à m'assurer
quelques heures de tranquillité, va empoisonner tout mon après-midi.
Courrier. Lettre aveyronnaise de B.
Jardin. Septième tonte de la
saison. Le voisin, venu faire son inspection vespérale, m'interpelle
"Ça tond, ça tond !". J'opine. Il est difficile
de ne pas opiner face à une personne qui, lorsqu'elle vous surprend
une bêche à la main, vous lance "Ça bêche,
ça bêche !", un arrosoir au bout du bras, "Ça
arrose, ça arrose !" ou, affairé à pomper de
l'air pour la piscine dégonflable, "Ça gonfle, ça
gonfle !" Nous vivons dans une atmosphère de consensus que
bien des voisins doivent nous envier.
Mail. Échange avec F. à
propos de mesmérisme.
JEUDI.
Sommeil. Mes fantômes inspectoriaux
viennent me tirer du lit vers les 4 heures. Je commence à devenir
adepte de la lecture devant une TV froide et grise. Après ça,
je me rendors aisément.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. (Marie-Claire, Le Monde, Spectacles à Nancy et alentours), des
condoléances à D.B., un mot à J. et le CD rom défectueux (?)
à des services techniques compétents.
Toile. GN nous invite à croûter
et à visiter son
site internet rénové.
TV. Raphaël le tatoué
(Christian-Jaque, France, 1938 avec Fernandel, Madeleine Sologne, Armand
Bernard, Aimos, Monique Rolland, René Génin, Pierre Stéphen,
Léon Bélières).
Modeste est veilleur de nuit à l'usine du constructeur automobile
Roger Drapeau. Pour éviter d'être mis à la porte à
la suite d'une absence, il s'invente un frère jumeau, Raphaël,
un mauvais garçon.
Fernandel est au sommet de sa forme. Bien dirigé, il évite
le cabotinage et compose deux personnages opposés, Modeste, qui
porte bien son nom, et Raphaël, "un tatoué, un dur, un
vrai" comme le dit la chanson du film. Il est bien secondé
par des acteurs talentueux, dont l'irrésistible Armand Bernard
(que Christian-Jaque fait tourner la même année dans Les
Disparus de Saint-Agil) et Madeleine Sologne qu'on n'a pas vraiment
l'habitude de voir en brune et dans une comédie. L'édifice
est solide pendant la première moitié du film, qui contient
la scène d'anthologie dans laquelle Fernandel joue une dispute
entre les deux frères, mais montre ensuite des signes d'affaissement
quand il s'agit de conclure au terme d'un marathon automobile éprouvant
pour l'attention et les oreilles du spectateur.
VENDREDI.
Vie scolaire. Première journée
complète au collège. L'événement est ailleurs
: je fais ma rentrée au PMU de Nomexy.
Cinéma. Les Messagers du
vent (Windtalkers, John Woo, USA avec Nicolas Cage, Christian Slater,
Adam Beach, Roger Willie, Peter Stormare, Mark Ruffalo, Noah Emmerich,
Frances O'Connor).
1944. La conquête de l'île de Saipan, sous mandat japonais,
par les Marines américains.
Depuis Il faut sauver le soldat Ryan et sa mémorable séquence
du Débarquement, on semble assister à une sorte de surenchère
dans le réalisme des scènes de guerre. Et dans ce domaine,
si on cherche John Woo, on le trouve : Windtalkers s'ouvre sur une séquence
de combats dans les marais des Îles Salomon absolument époustouflante.
Woo est d'ailleurs demandeur de cette comparaison avec Spielberg, on le
voit dans une autre scène où une toute petite goutte de
sang vient se coller sur l'objectif de sa caméra, là où
Spielberg en balançait de pleins baquets. Le son, le style "cut",
la caméra portée, la crudité des images (on se surprendrait
presque à chercher derrière son fauteuil la jambe perdue
d'un Marine) donnent à ces séquences un réalisme
saisissant. Mais John Woo, comme dans Broken Arrow, en fait tellement
que la saturation guette.
L'histoire est belle, celle d'une amitié improbable entre un sergent
baroudeur (Cage, halluciné et dégoûté par l'horreur
de ce qu'il vit) et un opérateur-radio navajo dont la langue a
servi de base à un code de transmission indétectable par
les Japonais. Le sel vient du fait que le Marine doit protéger
l'Indien mais a pour mission de l'abattre s'il tombe aux mains ennemies
pour protéger ce fameux code. Le film rend hommage aux Indiens
d'Amérique qui se sont engagés dans le conflit pour combattre
aux côtés de leurs oppresseurs. Le message est clair et se
veut actuel : quand le monde libre est menacé, nous sommes tous
des Américains. Dans le combat final, Ben Yahzee, l'Indien, est
plus fougueux que les Blancs, tout comme John Woo, cinéaste hongkongais,
est devenu plus américain que les réalisateurs nourris au
lait d'Hollywood.
Ce n'est pas la peine de reprocher au film son manque de finesse, c'est
un film de genre et dans le même domaine, John Ford, que j'ai tendance
à porter aux nues, n'était pas vraiment une dentellière
(voir Les Sacrifiés). Ce qui peut gêner, cependant,
c'est qu'à aucun moment il n'est fait mention de la raison pour
laquelle l'Amérique combat le Japon. Pour un jeune spectateur peu
au fait des données historiques, il apparaît que l'on combat
les Japonais parce qu'ils sont japonais, point. On est en quelque sorte
passé du Pourquoi nous combattons de D.W. Griffith à
Comment nous combattons. Il aurait suffi d'une seule phrase, d'une
seule mention de l'engagement du Japon aux côtés de l'Allemagne
nazie pour que soit dissipé ce léger malaise.
SAMEDI.
TV. Chypre - France en football (1-2).
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°76 - 15 septembre 2002
DIMANCHE.
Anniversaires, célébrations, commémorations
et chiffres ronds (ou A.C.C.C.R., pour faire plaisir à
D.R.). Depuis quelques jours, impossible d'ouvrir un journal ou la radio
sans y trouver tel ou tel aspect d'un événement new-yorkais
qui eut lieu voici bientôt un an. Il s'agit principalement de vendre
du papier, des images, des mouchoirs et des petits drapeaux. J'aime aussi
beaucoup les fêtes et anniversaires, ça a quelque chose de
joyeux. Ainsi aujourd'hui 8 septembre 2002 de l'Ere Vulgaire, entrons
nous dans l'an 130 de l'Ère Pataphysique.
Prise de risques. Montage et installation
d'une nouvelle étagère à CD, accrochage d'un cadre
dans le bureau de Caroline, abattage d'un arbre (enfin, d'un arbuste).
Aucune victime à déplorer, à part l'arbre en question.
TV. Les Âmes fortes (Raoul
Ruiz, France-Belgique, 2001 avec Laetitia Casta, Frédéric
Diefenthal, Arielle Dombasle, John Malkovich).
Années 1890, dans le Diois. Une jeune lingère quitte la
campagne avec son fiancé pour faire sa vie à la ville. Elle
entre au service d'un couple de rentiers cossus, les Numance.
La scène se passe un jour de l'an passé, au moment de la
sortie de Belphégor ou de Taxi 2, dans la queue au cinéma.
Une connaissance lance à la personne qui l'accompagne en me désignant
: "C'est fou ce qu'il ressemble à Frédéric Diefenthal."
Je dessine sur ma bouche diefenthalienne un sourire entendu mais je n'en
mène pas large : je n'ai jamais vu ce loustic et je me demande
bien à quoi (sinon à moi-même) il peut bien ressembler.
Depuis, je vis partagé entre le soulagement de n'avoir pas été
comparé à Michel Simon ou à Robert Dalban et le désir
de voir enfin un film avec Frédéric Dienfenthal. Voila qui
est fait. Déjà, il faut faire abstraction de la casquette
et de la moustache, que je porte rarement, et aussi tout de même
de son statut de cocu qui pourrait s'avérer blessant. A partir
de là, c'est vrai que sur certains plans, la ressemblance existe,
ça donne une drôle de sensation, mais c'est peut-être
parce que Diefenthal fait la gueule tout au long du film.
Maintenant, je plains ceux qui ne ressemblent pas à Frédéric
Diefenthal et qui voient ce film car c'est le seul intérêt
que j'y ai trouvé. L'histoire est lente et obscure (je ne sais
si c'est plus clair chez Giono qui a écrit le livre), Ruiz semble
avoir laissé les commandes à son chef-opérateur,
Éric Gauthier, dont le seul souci est de bien éclairer le
visage de Laetitia Casta. A part ça, Arielle Dombasle a l'air contente
de se promener dans de belles toilettes - on la dirait sortie d'une toile
de Renoir ou de Berthe Morisot - et Malkovich travaille son français
avec application.
LUNDI.
A.C.C.C.R. J'enregistre aujourd'hui
ma centième cassette des Cinglés du music-hall de
Jean-Christophe Averty.
Lecture. Est-ce que les aveugles
sont plus malheureux que les sourds ? (Alain Gagnol, Gallimard, coll.
La Noire, 2000).
J'avais été un peu dérouté par un précédent
livre d'Alain Gagnol, Les lumières du frigo, qui avait paru
en Série Noire. Gagnol, de toute façon, aime dérouter,
il n'y a qu'à voir le titre de ce roman. Roman dans lequel il ne
se passe rien, ou si peu : une ville non définie, près de
Lyon, une bande d'adolescents en plein malaise et parmi eux, Martin, qui
couche avec Madeleine, une amie de sa mère. Son copain, Franck,
aimerait que Martin tue Madeleine, qui doit posséder un beau magot.
La tentative d'assassinat dure trois pages et échoue lamentablement.
Le reste est constitué de dialogues de phrases inabouties, de récits
de virées glauques au dancing ou en forêt, de descriptions
d'après-midi passées à ne rien faire chez l'un ou
chez l'autre. C'est tellement mou, flasque, déprimant que ça
en devient intéressant, une sorte de non-écriture mise au
service de non-personnages qui mènent une existence transparente.
Pas mal joué, Gagnol...
TV. La Métamorphose des
cloportes (Pierre Granier-Deferre, France, 1965 avec Lino Ventura,
Pierre Brasseur, Charles Aznavour, Irina Demick).
Scénario, adaptation et dialogues : Alphonse Boudard, Albert Simonin
et Michel Audiard. Autrement dit ce qui se fait de mieux en matière
de langage fleuri et de formules ciselées estampillées langue
verte. Pour prononcer ces fleurs de rhétorique, des acteurs qui
ont déjà prouvé qu'ils savaient parler comme des
hommes, des vrais : Ventura dans Les Tontons flingueurs, Aznavour
dans Un taxi pour Tobrouk, Georges Géret dans Week-end
à Zuydcoote et Maurice Biraud qui a aussi pratiqué Audiard
dans Des pissenlits par la racine. Tout pour plaire, quoi.
Il n'y a pas ici la force parodique qui a fait le succès des Tontons.
C'est un vrai film noir, qui balance au son de l'orgue de Jimmy Smith,
une histoire de vengeance classique : Alphonse (Ventura) sort de prison
bien décidé à dérouiller les "cloportes"
qui l'ont lâché après un casse foireux. Sa croisade
va se heurter à un obstacle inattendu, une jolie secrétaire
qui ne fera qu'une bouchée du caïd. Les répliques d'Audiard
sont moins connues que celles extraites des Tontons flingueurs
mais sont tout aussi réussies et il faut se réjouir que
La Métamorphose ne soit pas devenu un film culte mais un
petit bijou pour initiés.
MARDI.
A.C.C.C.R. Le 10 septembre 1995 disparaissait
Charles Denner.
MERCREDI.
A.C.C.C.R. Le 11 septembre 2001, je
mettais pour la première fois mon scanner sous tension.
Mail. Y. se souvient lui du 11 septembre
1973 à Santiago.
Courrier. Je reçois la bande
originale du film Virgin Suicides par le groupe Air.
Jardin. J'entame le bêchage
d'automne et le débitage du bois abattu.
TV. Le fabuleux destin d'Amélie
Poulain (Jean-Pierre Jeunet, France, 2000 avec Audrey Tautou, Matthieu
Kassovitz, Rufus, André Dussollier, Yolande Moreau).
Quand j'ai vu Amélie pour la première fois (http://pdidion.free.fr/notules_2001/notules_2001_mai.htm)
c'était la semaine de sa sortie et on était encore loin
du phénomène que le film est devenu. Le revoir permet de
remettre les choses à une juste place : Amélie Poulain n'est
pas un chef-d'œuvre, Amélie Poulain n'est pas un objet rétrograde
xénophobe poujado-vichyste non plus. C'est un film habile, drôle,
touchant, et ce n'est déjà pas si mal. Il lui manque peut-être
une touche de sincérité, on sait Jeunet si bon faiseur qu'on
devine que tous les ingrédients ont été soigneusement
pesés pour aboutir au succès.
Je l'ai revu comme un film d'un genre aujourd'hui moribond, le film à
sketches avec commentaire en voix off, comme Les Casse-pieds de
Noël-Noël : chaque personnage voit sa destinée filmée
à part, le personnage d'Amélie étant le seul point
commun entre tous. On peut aussi comprendre la réticence des spectateurs
qui n'ont pas tous le même penchant que moi pour la nostalgie :
le côté désuet (décors, éclairages,
professions, objets, ritournelles à l'accordéon) peut parfois
franchement agacer.
Curiosité. On apprend dans son portrait qu'Amélie aime remarquer
dans les films les petits détails qui échappent aux autres
spectateurs. Ça tombe bien, moi aussi. Et comme l'histoire du film
se déroule en septembre 1997 (après la mort de Lady Di le
31 août) je m'étonne qu'Amélie regarde à la
télévision les images d'un cheval échappé
de son enclos et semant la panique dans le peloton d'une course cycliste
: la course en question était la première étape du
Critérium International de la Route, qui s'était déroulée
le samedi 29 mars de cette année-là.
JEUDI.
A.C.C.C.R. Le 12 septembre 1888 naissait
Maurice Chevalier.
Courrier. J'envoie des vœux de rétablissement
à un malade, des coupures à Y. (Libération, Le Monde,
Le Figaro, La Croix, L'Humanité) et à l'Association Georges
Perec (Libération, Le Monde).
TV. Dans la chaleur de la nuit
(In the Heat of the Night, Norman Jewison, USA, 1967 avec Sidney
Poitier, Rod Steiger, Warren Oates).
Sparta, Mississipi. Un meurtre vient d'être commis. Immédiatement,
les soupçons se portent sur un Noir, étranger à la
ville. Mais le suspect est un policier, et même un expert en criminologie,
qui va se heurter aux mœurs racistes de la ville.
La musique de Quincy Jones, la chaleur lourde qui émane de chaque
plan, le poids des préjugés et des non-dits, le visage porcin
et la bêtise du chef Gillespie (Steiger) opposé au faciès
impassible de Virgil Tibbs (Poitier, à l'époque LE Noir
du cinéma US), tout concourt à faire de ce film un petit
joyau. On peut trouver sa charge antiraciste un peu simpliste mais ce
serait oublier sa date de naissance, 1967 : Luther King est toujours vivant,
le combat pour les droits civiques n'est pas terminé. Dans les
états du Sud, les Noirs sont toujours considérés
comme des sous-hommes. Le nom de la ville est clair : à Sparta,
les Noirs d'aujourd'hui jouent le même rôle que les ilotes
dans la Sparte antique. Là où le film est encore plus fort,
c'est quand il fait sortir les personnages de leur rôle emblématique
: Tibbs n'est pas infaillible, par haine, il se trompe de coupable et
le reconnaît; de l'autre côté , Gillespie, à
la fin, n'est plus un raciste aussi radical qu'au début. Leur rencontre
les a un peu changés, il est permis d'espérer.
Enfin, aspect non négligeable, Dans la chaleur de la nuit
n'est pas qu'un film à thèse, c'est aussi un très
bon polar au suspense efficace.
VENDREDI.
A.C.C.C.R. Il y a 5 ans, le 13 septembre
1997, mourait Georges Guétary.
Cinéma. Les Sentiers de
la perdition (Road to Perdition, Sam Mendes, USA, 2002 avec
Tom Hanks, Paul Newman, Jude Law, Jennifer Jason Leigh, Stanley Tucci,
Daniel Craig, Tyler Hoechlin).
1931. Michael Sullivan est un tueur professionnel au service de John Rooney,
patron de la mafia irlandaise à Chicago. Quand sa femme et le plus
jeune de ses deux enfants sont assassinés par le fils Rooney, il
s'enfuit avec son autre fils.
Quitte à choisir un titre idiot, Les Sentiers de la rédemption
aurait été plus proche de l'histoire. Sullivan a passé
sa vie à tuer pour Rooney et tous ses efforts visent à se
racheter aux yeux de son fils, afin que celui-ci ne marche pas sur ses
traces.
Il faut attendre près d'une heure avant que le film s'emballe vraiment
avec la cavale du père et du garçon. Avant cela, les arcanes
du milieu chicagoan sont plutôt obscures. Quand les deux fuyards
prennent la route, on se met à rêver à une odyssée
aussi belle et poignante que celle de Costner et du môme dans Un
monde parfait d'Eastwood. Malheureusement, ça ne marche pas, l'émotion
n'est pas au rendez-vous.La faute à qui ? à quoi ? Pas à
Tom Hanks et à son jeune partenaire, mais plutôt à
une mise en scène un peu trop calibrée, à un enchaînement
un peu trop prévisible qui mène à un dénouement
aux rebondissements attendus.
C'est dommage parce que le film ne manque pas d'atouts, à commencer
par la reconstitution du Chicago des années 30 qui jette vraiment
du jus et des personnages intéressants, en particulier le photographe-tueur
interprété par Jude Law.
SAMEDI.
A.C.C.C.R. Il y a 20 ans, le 14 septembre
1982, disparaissait tragiquement la princesse Grace de Monaco.
Jardin. Récolte des épinards.
Vie sociale. Nous sommes conviés
à Blainville-sur-l'Eau pour découvrir les nouveaux lares
de G.N. Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas mangé
un bon lapin.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°77 - 22 septembre 2002
DIMANCHE.
Radio. J'ai enregistré ces
deux dernières nuits la rediffusion d'une émission de France
Culture datant de 1993, Profils perdus, et consacrée à
François Le Lionnais. Le Lionnais était une grand mathématicien,
mais aussi un homme complet, féru de littérature (il fonda
l'Oulipo avec Raymond Queneau et en devint le premier président)
et d'art. C'est sa connaissance prodigieuse dans ce dernier domaine qui
m'intéresse particulièrement aujourd'hui. En effet l'émission
rappelle un épisode de sa vie que je connaissais déjà
pour en avoir pris connaissance dans un vieux numéro du Magazine
Littéraire et qui me fascine au plus haut point : pendant
la guerre, en captivité au camp de Dora, pour vaincre l'ennui,
la faim et surtout continuer à faire travailler sa mémoire
et son intellect, Le Lionnais organisait pour ses camarades de détention
des visites virtuelles du Louvre. Il les conduisait dans un coin du camp,
annonçait "Nous sommes ici dans la salle x de l'aile y consacrée
à la peinture z" et se mettait à décrire avec
une grande précision les tableaux de ladite salle, tableaux qu'il
connaissait parfaitement pour les avoir longtemps fréquentés
au Louvre réel. Ce que je ne savais pas, c'est que Le Lionnais
a raconté cette expérience dans un texte intitulé
La peinture à Dora qu'il faut absolument que je me procure.
Un appel lancé sur la [listeoulipo] me donne quelques références
qui aboutiront peut-être. C'est sans doute l'expérience de
Le Lionnais que j'avais en tête l'autre jour à Orsay : serais-je
capable, dans une vie carcérale future, de donner une description
satisfaisante de l'Olympia de Manet ?
LUNDI.
Lecture. Histoires littéraires
n° 8 (revue trimestrielle consacrée à la littérature
française des XIX° et XX° siècles, octobre-novembre-décembre
2001, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs).
La revue s'ouvre sur un entretien fort intéressant avec François
Caradec, biographe de Raymond Roussel, qui parle entre autres de ses liens
avec l'Oulipo et le Collège de 'Pataphysique, d'Artaud, de Jacques
Lagrange, gagman de Tati et organisateur de "bistrot-cross",
du Tabac Saint-Sulpice, "à l'angle de la rue Bonaparte et
de la rue du Vieux-Colombier, bistrot où venait déjà
Verlaine" et que je suis heureux d'avoir fréquenté
avant qu'il ne devienne un magasin de vêtements.
Par ailleurs, il est question d'Henri Monnier, créateur du personnage
de Joseph Prudhomme, de plagiat littéraire et de poésie
contemporaine (pff...). La chronique des ventes relate l'homérique
préemption par la BNF du manuscrit du Voyage au bout de la nuit
de Céline pour 12,18 millions de francs (record mondial pour un
manuscrit littéraire, battu depuis par Sur la route de Jack
Kerouac). L'édition originale des Choses de Perec est partie
plus modestement pour 8 500 francs. De Perec il est également
question dans les Livres reçus avec une critique peu amène
du volume Portrait(s) de Georges Perec. Dans cette rubrique, j'ai
relevé un recueil de poèmes d'un certain Henry J.-M. Levet
que j'ai ajouté à ma liste d'achats à venir.
Lecture (bis). La maison cinéma
et le monde I. Le Temps des Cahiers 1962-1981 (Serge Daney, P.O.L.
éditeur, 2001, édition présentée par Patrice
Rollet avec Jean-Claude Biette et Christophe Manon).
Recueil de critiques cinématographiques.
Le premier article de Daney fut une critique du Rio Bravo de Hawks parue
en 1962 dans une petite revue, Visages du cinéma. On la
trouve ici en ouverture du volume, elle est tellement éblouissante
qu'on comprend qu'elle lui ait immédiatement ouvert les portes
des Cahiers du cinéma puis du quotidien Libération.
Malheureusement, on ne retrouvera jamais par la suite cet aspect brillant
de Daney qui se confine dans une lecture exclusivement marxiste des films
qu'il chronique. Ceux-ci sont choisis dans le vivier du cinéma
d'idées, là aussi quasi exclusivement : quand Daney accepte
de parler du cinéma de divertissement, c'est vraiment du bout des
lèvres et sur un ton comminatoire. C'est d'autant plus dommage
que j'ai pu l'été dernier découvrir les émissions
radiophoniques que Daney animait et que France Culture a rediffusées.
A l'oral, son enthousiasme, sa connaissance, sa passion faisaient merveille.
A l'écrit, on a l'impression d'avoir affaire à un gardien
du dogme froid et rigoriste.
Vie professionnelle. Je m'engage avec
une classe dans l'opération "Collège et cinéma".
TV. La Famille Foldingue (Nutty
Professor II : The Klumps, Peter Segal, USA, 2000 avec Eddie Murphy, Janet
Jackson, Larry Miller).
Le professeur Sherman Klump, obèse gentil et timide, est habité
par un double grossier et égrillard qui va compromettre son mariage.
Ce double personnage est vaguement inspiré de celui de Dr Jerry
et Mr Love créé par Jerry Lewis, d'ailleurs crédité
au générique (Kathleen Freeman, partenaire de Jerry dans
le film de 1963, a même un petit rôle ici). Eddie Murphy ne
se contente pas de ce double rôle puisqu'il interprète également
les autres membres de la famille Klump, toutes générations
confondues. On peut lui trouver une certaine force comique dans les personnages
féminins de la mère et de la grand-mère libidineuse.
Certains gags outranciers sont réjouissants comme cette scène
de sodomie pratiquée par un hamster géant mais pour le reste,
on est livré à un film criard, gesticulatoire, pénible.
Le plus vertigineux est le fait que ce genre de produit sert de pain cinématographique
quotidien à une grande part des adolescents de la planète.
Je préférerai toujours, pour ma part, les six Fernandel
du Mouton à cinq pattes à des myriades d'Eddie Murphy.
MARDI.
Mail. Échange avec F. sur Edward
Bunker, les fêtes de fin d'année et les vacances de février.
Y. m'annonce que le site des notules est désormais référencé
sur un moteur de recherche assez obscur (oozap,
je crois). Il faut encore attendre avant que les gros poissons (Yahoo
et autres) ne l'intègrent.
Lecture. Azazel (Boris Akounine,
traduction d'Odette Chevalot, Presses de la Cité 2001 pour la traduction
française).
Moscou, mai 1876. Un suicide étrange conduit un jeune fonctionnaire
de police débutant, Eraste Fandorine, sur la piste d'un complot
international.
Azazel est le premier épisode d'une série de sept aventures
d'Eraste Fandorine. Son auteur est, je crois, le traducteur de Perec en
russe. Son but est clair, renouer avec la tradition du roman feuilleton
populaire des XIX° et début du XX° siècles. Il en
reprend les intitulés de chapitres ("Chapitre cinquième,
dans lequel de sérieux désagréments attendent le
héros"), l'accumulation des rebondissements qui finit d'ailleurs
par étourdir, et la présentation d'un jeune héros
confronté à des épreuves qui vont faire de lui un
homme. Par sa jeunesse, sa perspicacité, son intrépidité,
sa quête d'un amour idéal et sa rapidité à
gravir les échelons qui le mènent à la gloire, Fandorine
n'est pas sans évoquer le Rouletabille de Gaston Leroux. Un exercice
de style bien mené mais pas assez captivant pour que j'envisage
de lire les six volumes suivants.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète le dernier
Alexakis et un vieux Modiano.
Célibat. Je conduis Caroline jusqu'à une clinique
nancéienne où elle doit se faire opérer des varices
à une jambe.
TV. Un revenant (Christian-Jaque,
France, 1946 avec Louis Jouvet, Gaby Morlay, François Périer,
Marguerite Moreno, Ludmilla Tcherina, Jean Brochard, Louis Seigner).
Jean-Jacques Sauvage revient à Lyon où, vingt ans auparavant,
la famille de Geneviève Nisard, dont il était amoureux,
a tout fait pour s'opposer à son mariage et provoqué sa
fuite.
Jouvet campe le personnage froid, cassant, machiavélique, auquel
on est habitué. Sauvage revient à Lyon pour se venger mais
ne tire aucune jubilation de sa vengeance. Les vingt ans qu'il vient de
passer ont fait de lui un misanthrope, ce qui ne l'empêche pas de
montrer, presque à son corps défendant, un peu d'intérêt
pour François, le neveu de celle qu'il aimait, en qui il reconnaît
le jeune homme qu'il était. Ce côté dramatique du
film n'est pas très réussi, la froideur de Jouvet finissant
par laisser le spectateur de marbre lui aussi. Beaucoup plus intéressant
est l'aspect social du film. Christian-Jaque (et Henri Jeanson au scénario)
dépeint le milieu bourgeois des soyeux lyonnais avec une ironie
mordante et réjouissante : intrigues familiales, mariages arrangés,
héritages convoités, esprit de caste, primauté de
l'apparence, tout y passe. Pour preuve cette belle réplique du
père de François qui veut lui faire épouser un riche
laideron : "Tu partiras en voyage de noces en Italie. Le change nous
est favorable."
JEUDI.
Célibat (fin). Je retourne
à Nancy (inutile de mentionner mon angoisse à conduire dans
les rues de cette métropole) d'où je ramène une épouse
peu ingambe.
Mail. Je reçois le programme
des "Jeudis de l'Oulipo" à Jussieu.
Courrier. Envoi des habituelles coupures
à Y. (Le Monde, Le Figaro) et à l'AGP (Le Monde, Histoires
littéraires).
Lecture. L'A 26 (Pascal Garnier, Zulma 1999, coll. Quatre-bis).
Depuis qu'elle a été tondue à la Libération
pour avoir accordé ses faveurs aux Allemands, Yolande n'est jamais
sortie de chez elle. Elle vit avec son frère Bernard dans une vieille
maison, près d'une autoroute en construction.
Noir, très noir, ce très court roman qui ouvre la carrière
de Garnier chez Zulma après ses brillants débuts au Fleuve
Noir. La réclusion à laquelle se condamne Yolande rappelle
La bête et la belle de Jonquet. Yolande est enfermée dans
sa maison, dans son passé, dans ses souvenirs et dans sa folie
qui finira par éclater. Le cadre géographique, le Nord,
est celui que l'auteur réutilisera dans Nul n'est à l'abri
du succès. Il y a aussi une série de meurtres, des cadavres
planqués dans le chantier autoroutier tout proche. Noir, très
noir. Un peu vain aussi, peut-être.
VENDREDI.
Cinéma. Simone (S1m0ne,
Andrew Niccol, USA, 2001 avec Al Pacino, Catherine Keener, Pruitt Taylor
Vince, Jay Mohr, Elias Koteas, Jason Schwartzman, Stanley Anderson).
Ancien cinéaste de renom, Viktor Taransky est aujourd'hui considéré
comme un has been. Abandonné sur un tournage par son actrice principale,
il rencontre Hank, un génie de l'informatique qui lui fait cadeau
d'un programme révolutionnaire : une actrice virtuelle totalement
opérationnelle. En secret, le cinéaste termine son film
avec celle qu'il a désormais nommée Simone. Il retrouve
immédiatement le succès et Simone devient une star.
Comme Woody Allen dans Hollywood Ending, Pacino campe un personnage
de metteur en scène qui a du mal à exister, du fait de son
originalité, dans le cinéma aux normes hollywoodiennes.
Ça donne l'occasion de se moquer du star-system, de l'avidité
des journalistes, des exigences des acteurs, de la capacité du
public à gober n'importe quoi. Parallèlement le réalisateur
Andrew Niccol donne une énième version du mythe de Pygmalion
qui intéresse le cinéma américain depuis au moins
Les Mains d'Orlac de Karl Freund en 1935 : Taransky crée Simone
puis en devient l'esclave et se demande si ce n'est pas en fait Simone
qui l'a créé.
Cette double thématique suffirait à donner un film solide
et honnête, mais Simone est plus que ça : une brillante
comédie, féroce et drôle, lucide et décapante,
portée par un Al Pacino épatant.
Curiosité : les spectateurs qui ont la patience de suivre le (long)
générique final jusqu'au bout (j'étais le seul dans
ce cas, comme toujours ou presque) sont récompensés par
un petit gag offert en bonus.
SAMEDI.
Mail. M. a trouvé une maison
pour les vacances de février.
Basse-cour. Je passe l'après-midi
en compagnie de Clémence, Hélia, Éline, Fanny, affluence
féminine due non pas à l'invalidité de Caroline mais
à l'anniversaire de Lucie qui a aujourd'hui 5 ans.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°78 - 29 septembre 2002
DIMANCHE.
Cinéma. Filles perdues cheveux
gras (Claude Duty, France, 2002 avec Amira Casar, Marina Foïs,
Olivia Bonamy, Charles Berling, Sergi Lopez, Esse Lawson, Léa Drucker,
Margot Abascal, Évelyne Buyle, Béatrice Costantini, Amadou
Diallo, Jean-François Gallotte, Sylvie Gallotte).
Itinéraire croisé de trois jeunes filles perdues : Élodie
veut retrouver sa fille, Natacha son chat et Marianne son âme.
Après un film hongkongais et trois films américains, je
me réjouissais de mes retrouvailles avec le cinéma français.
Plus dure fut la chute. Tout tombe à plat dans ce film, qui s'étale
dans tous les domaines qu'il fait mine d'aborder : comédie, satire,
mélodrame, chanson. Les actrices sont consternantes, à l'exception
de Marina Foïs tout de même. Voir un Charles Berling égaré
patauger dans cette panade fait de la peine.
LUNDI.
Lecture. L'Arc n° 76 (revue
littéraire, numéro spécial Georges Perec, 3°
trimestre 1979).
Ce numéro de L'Arc est fréquemment cité dans les
études perecquiennes car il contient un entretien entre Perec et
Jean-Marie Le Sidaner et un article de Perec lui-même dans lesquels
l'auteur livre quelques clés sur la construction de La Vie mode
d'emploi paru un an plus tôt. Il ne dévoile pas tout,
loin de là : ainsi, s'il révèle le nombre de signes
contenus dans chaque ligne du Compendium au chapitre LI (qui est
aisément décelable à l'œil nu), il ne dit rien du
mot "âme" qu'on peut y lire en diagonale. Perec explique
la polygraphie du cavalier et le bi-carré orthogonal d'ordre 10
qui ont présidé à la construction du roman sans indiquer
quels éléments il a fait permuter dans ce bi-carré.
Dans les autres articles consacré à La Vie mode d'emploi
on voit les spécialistes essayer de trouver des pistes et à
ce jeu, Gilbert Lascault ne s'en tire pas mal du tout avec son analyse
des nombres contenus dans le texte.
On trouve aussi des inédits de Perec (une grille de mots croisés,
le texte J'aime, je n'aime pas, un extrait du projet Lieux
qui ne vit jamais le jour), un article de Jacques Roubaud qui confirme
son caractère totalement illisible et des textes sur W dont un
de Robert Misrahi qui fait un parallèle intéressant entre
la date de rédaction du livre (1970-1974) et celle de l'attentat
des J.O. de Munich (1972). Sans oublier Jean-Yves Pouilloux qui donne
la contrainte régissant les 243 cartes postales en couleurs : une
combinaison mathématique de 5 rangées de chacune trois membres
de phrase, soit 3 x 3 x 3 x 3 x 3 = 243.
Vie professionnelle. P., le retour.
Il fallait bien que ça tombe un jour. Le principal me coince dans
un couloir (ça m'apprendra à m'y promener à visage
découvert, il serait peut-être bon de retourner à
un peu plus de clandestinité) et m'invite dans son bureau. Où
il m'apprend que P. me convoque à trois journées de formation
à Nancy (merci, bien, j'y suis allé deux fois la semaine
dernière, j'ai ma dose pour les dix ans à venir) et me demande
de prendre contact avec mon contrôleur judiciaire, une certaine
Mme C. (à spirales, à souches, à pistons ?). Ça
doit signifier qu'il faut que je lui téléphone. Donc, je
lui écris. Teneur de la lettre, en bref : je sais que P. fera tout
pour m'interdire toute intégration ou mutation, que je ne souhaite
plus ni l'une ni l'autre, que ses tentatives d'humiliation et d'infantilisation
me laissent froid (ce qui est on ne peut plus faux, j'entends déjà
le bruit caractéristique de mes heures de sommeil qui se recroquevillent)
et que j'ai un peu passé l'âge d'être chaperonné,
qu'elle peut venir me voir si elle veut constater de visu l'inanité
de mon travail mais qu'en attendant je me satisfais pleinement de l'environnement
de mes collègues, plus proches et certainement tout aussi compétents
qu'elle. Voilà. Je dis merde alors que tout le monde, moi le premier,
me conseille de dire amen et je vais encore m'en prendre plein les dents.
Tant pis, je m'aime mieux comme ça.
Cinéma. Ararat (Atom Egoyan, Canada, 2002 avec
Charles Aznavour, Elias Koteas, Christopher Plummer, Bruce Greenwood,
Arsinée Khadjian, Eric Bogosian, Marie-Josée Croze).
Evocation du génocide arménien à travers les destins
croisés d'hommes et de femmes.
Quand on est comme moi peu au fait des données historiques concernant
le génocide arménien, le film a d'abord un intérêt
pédagogique. Tout ce que je savais, c'est que la loi relative à
cet événement (une loi qui tient en une phrase : "La
France reconnaît publiquement le génocide arménien
de 1915") n'a été publiée que dans le numéro
du 30-31 janvier 2001 du Journal officiel. On comprend mieux, à
la lumière du film, l'acharnement des Arméniens "publics"
(Aznavour, Verneuil, Egoyan lui-même) à évoquer sans
cesse le poids de ce passé. Ce que souligne également Egoyan,
c'est le rôle qu'a joué la religion dans l'opposition entre
Turcs et Arméniens, sans oublier le fait que les Arméniens,
au moment où ils étaient massacrés, étaient
des citoyens turcs.
Sur le plan cinématographique, Ararat est également une
réussite. C'est une œuvre ambitieuse dans laquelle se mêlent
plusieurs parcours situés dans différentes couches du passé.
Le siège de la ville de Van par les Turcs est vu à travers
sa reconstitution pour un film tourné par un réalisateur
arménien (Aznavour). La conseillère historique du film en
question a eu un enfant avec un Arménien condamné à
mort pour avoir assassiné un diplomate turc. Lequel enfant, âgé
d'une vingtaine d'années au moment du tournage, effectue un voyage
en Arménie. A son retour, il raconte l'histoire de son peuple à
un douanier (Plummer, excellent) qui le soupçonne de transporter
de la drogue. Le douanier a un fils gardien d'un musée qui abrite
une toile célèbre d'un peintre arménien qui a échappé
au génocide et dont on suit l'exil à New York. Et ainsi
de suite. C'est très bien fichu, on saute d'un personnage et d'une
époque à l'autre sans difficulté, une véritable
prouesse narrative.
Les nuits de la correspondance. Je
me lève à 4 heures pour rédiger une version moins
amène de ma lettre.
MARDI.
Courrier. Je reçois la musique
de Parle avec elle d'Almodovar.
Sévigné. Troisième
mouture de la lettre à Carnet. Je remets un peu d'huile.
TV. Palettes.
La Liberté guidant le peuple (Delacroix). Alain Jaubert
souligne les similitudes entre Le Radeau de la Méduse de
Géricault et le tableau de Delacroix : même construction
triangulaire, même souci de réalisme. Les toiles sont d'ailleurs
voisines au Louvre.
Perec. J'annote mon exemplaire de travail de La Vie mode
d'emploi à la lumière de ma lecture de L'Arc.
MERCREDI.
Occupons nos enfants. Première
séance d'"éveil musical" pour Lucie à la
M.J.C.
Cinéma. Le Pianiste (The
Pianist, Roman Polanski, France-Pologne-G.-B., 2002 avec Adrien Brody,
Thomas Kretschmann, Ed Stoppard, Jessica Kate Meyer, Frank Finlay, Maureen
Lipman, Emilia Fox).
2° Guerre Mondiale. Wladyslaw Szpilman, pianiste juif de Varsovie,
parvient à échapper à la déportation. Il se
cache, aidé par des résistants, des amis, puis par un officier
allemand.
Les jurés du dernier Festival de Cannes ont donné la Palme
d'Or à Polanski. Pouvaient-ils agir autrement ? Difficilement,
même un prix d'interprétation à Adrien Brody eût
semblé mesquin (d'autant que le même prix avait été
attribué à Benoît Magimel pour La Pianiste
l'an dernier, ce qui aurait accrédité la thèse qu'il
suffit de poser les mains sur un clavier pour être couronné
et nous aurait valu une vague de films avec Gilbert Montagné ou
Richard Clayderman en vedette). Le Pianiste est en effet un film
inattaquable. Il suit le récit autobiographique de Wladyslaw Szpilman,
miraculé du ghetto de Varsovie. La première partie relate
la tragédie collective : celle de la famille Szpilman (6 personnes),
celle de tous les Juifs de la ville, des premières brimades mesquines
à la déportation massive. C'est le meilleur du film, jusqu'à
la séparation, au départ pour les camps auquel le pianiste
échappe par miracle. Après, Wladyslaw occupe seul l'écran,
devient héros de cinéma. Trouve-t-on que les coïncidences
qui assurent sa survie sont vraiment miraculeuses ? Elles sont attestées
par son récit, et on sait qu'il fallut de véritables miracles
pour sauver quelques vies. Trouve-t-on certaines scènes outrées
(celle du vieillard qui lape la soupe tombée à terre) ?
En plus du témoignage de Szpilman, on a celui de Polanski qui a
vécu son enfance dans le ghetto de Cracovie et qui a pu assister
à de telles scènes. Trouve-t-on qu'on a déjà
vu ces épisodes de brutalité gratuite, ces images de wagons
qui se ferment ? De telles choses doivent être montrées et
remontrées sans cesse. Tout juste pourra-t-on trouver "limites"
les moments où Szpilman s'imagine en train de jouer et celle où
il joue vraiment devant l'officier qui va le sauver. C'est peu. Inattaquable,
donc. Histoire édifiante, témoignage bouleversant qui permet
de voir, ce n'est pas rien, que les Polonais n'étaient pas tous
les antisémites qu'on décrit souvent, reconstitution parfaite.
Ce qui n'empêche pas de penser que, sur le plan cinématographique,
Ararat est une œuvre plus ambitieuse et plus stimulante.
JEUDI.
Courrier. Je reçois l'enveloppe
"premier jour" du timbre Perec mis en vente ce lundi et le programme
du séminaire Perec 2002-2003. J'envoie des coupures à Y.
(Le Monde Diplomatique, Le Monde, Le Figaro) et des félicitations
pour la naissance d'une jeune Clémence.
Cinéma. Les neuf reines
(Nueve Reinas, Fabian Belinsky, Argentine, 2000 avec Gaston Pauls, Ricardo
Darin, Leticia Bredice, Tomas Fonzi, Graciela Tenembaum, Maria Mercedes
Villagra, Gabriel Correa, Pochi Ducasse).
Deux petits escrocs de Buenos Aires se lancent dans un gros coup : dérober
la copie d'une planche de timbres de valeur (les neuf reines) pour la
revendre au prix de l'original.
Grand Prix du Festival du Film policier de Cognac 2002, Les neuf reines
a le mérite de montrer qu'il existe toujours un cinéma argentin
malgré la situation du pays. Même si ce film a été
tourné avant l'effondrement de l'économie argentine, qui
date de juillet 2001. On peut d'ailleurs s'amuser, et c'est le côté
le plus intéressant du film, à guetter les signes de la
faillite à venir : prédominance du dollar sur le peso, omniprésence
de la combine, de la corruption, de la débrouille dont les deux
héros sont des spécialistes, duplicité des personnages
prêts à trahir et à vendre père et mère
pour engranger quelque argent. C'est sur cette menace de trahison permanente
qu'est bâtie l'intrigue policière dont les subtilités
m'ont fréquemment échappé. Reste un bon duo d'acteurs
inconnus dans un épisode des Pieds Nickelés à Buenos
Aires.
Lecture. Les mots étrangers
(Vassilis Alexakis, Stock, 2002).
Nicolaïdès, un écrivain qui se partage entre le français
et le grec, décide d'apprendre le sango, une langue parlée
en Centrafrique, après la mort de son père.
Alexakis a écrit La langue maternelle après la mort de sa
mère. Les mots étrangers est un roman inspiré par
la mort de son père (Nicolaïdès n'est qu'un prête-nom
transparent). On en viendrait presque à souhaiter qu'il lui reste
des êtres chers à la santé vacillante et prêts
à disparaître pour qu'il puisse poursuivre une œuvre aussi
attachante. Même si ici, je joindrai quelques réticences
à mon admiration habituelle. Dans la première moitié
du roman, on retrouve tout à fait l'Alexakis de La langue maternelle,
de Talco et de Paris-Athènes : ayant fait le tour des relations
entre les deux langues qu'il pratique, le français et le grec,
et écrit les livres qu'elles lui inspiraient, il se lance dans
l'apprentissage d'une troisième, le sango. Ses démarches
pour obtenir un dictionnaire et un traité de sango, ses premiers
pas dans cette langue, ses réflexions sur sa famille après
la mort du père sont comme à l'accoutumée prétexte
à un récit subtil, ironique, détaché, qui
est la marque de fabrique d'Alexakis.
Mais dans un deuxième temps le narrateur décide de se rendre
en Centrafrique pour y rencontrer le sango en tant que langue vivante.
On passe alors à un récit quasi ethnographique où
les personnages rencontrés (indigènes ou vestiges du colonialisme)
sont beaucoup moins intéressants que ce qui se passe dans la tête
de Nicolaïdès-Alexakis. La réflexion sur la langue
s'accompagne d'une galerie de portraits plutôt fade qui déçoit
un peu. Cela dit, je suis prêt à beaucoup pardonner à
cet auteur et l'impression d'ensemble reste largement positive.
VENDREDI.
Courrier. Une carte de N. qui s'est
installé à Stockholm. S'il ne réclame pas son réabonnement
aux notules, ce ne peut être que parce qu'il ne s'est pas encore
reconnecté. Je reçois aussi le n° 9 de Viridis Candela.
Cinéma. La Mémoire
dans la peau (The Bourne Identity, Doug Liman, USA, 2002 avec
Matt Dillon, Franka Potente, Chris Cooper, Clive Owen, Brian Cox, Adewale
Akinnuoye-Agbaje, Julia Stiles).
Un homme est repêché par des marins au large de Marseille.
On extirpe de son corps deux balles et une capsule indiquant un numéro
de compte bancaire à Zurich. Une fois réveillé, l'homme
se révèle amnésique. Il se rend à Zurich dans
le but de découvrir son identité.
Le principal mérite des films adaptés des romans de Robert
Ludlum (il y en eut en fait assez peu, dont le dernier Peckinpah, Le
Weekend Osterman), c'est qu'ils nous dispensent de lire ses livres.
Ludlum fut, jusqu'à sa mort récente (le 12 mars 2001) le
spécialiste incontesté du best-seller planétaire
fondé sur la politique-fiction américanocentrique. Ce sont
des récits convenus mais riches en action et en suspense, pain
béni pour les cinéastes.
Doug Liman en sort un film de très bonne facture, trop long d'une
demi-heure sans doute car il fait traîner la révélation
finale comme s'il faisait semblant de croire qu'on y comprend quelque
chose (ce qui est faux mais n'a aucune importance). La quête d'identité
d'un amnésique est devenue un poncif mais Matt Dillon met une belle
énergie dans le rôle. Et puis, principal atout du film, une
grande partie de l'histoire se déroule à Paris (le vrai
Paris, alors que les scènes de Zurich ont été tournées
à Prague) dont une course poursuite auto-motos très spectaculaire
et qu'il est toujours réjouissant et instructif de voir Paris à
travers un regard américain.
SAMEDI.
Courrier. Réception d'un faire-part
de naissance où l'on apprend qu'un bébé vient de
faire sa "rentrée" dans la vie. On ne l'avait pas vu
en sortir.
Jardin. Sciage de bois, arrachage
de légumes morts, bêchage d'automne. Le voisin : "Ça
bêche, ça bêche !"
TV. Dr. T et les femmes (Dr.
T and the Women, Robert Altman, USA, 2000 avec Richard Gere, Helen
Hunt, Farrah Fawcett, Laura Dern, Shelley Long, Tara Reid, Kate Hudson).
Le Dr. T est le gynécologue en vue de Dallas. Harcelé par
ses clientes, il ne peut même pas trouver de repos dans sa vie familiale
: sa femme est folle et sa fille est lesbienne.
Une carrière aussi remplie que celle d'Altman s'accompagne inévitablement
de hauts et de bas. Gosford Park était assez haut pour qu'on
lui pardonne ce film de peu d'intérêt. Il se veut ironique,
essaie de mordre avec sa peinture d'un milieu féminin qu'il filme
comme un poulailler empli de pintades criardes et gesticulantes. C'est
un peu simpliste, un peu facile, et l'exaspération qu'éprouve
le Dr. T face à cette engeance ne tarde pas à gagner le
spectateur.
Bon dimanche.
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