Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°74 - 1er septembre 2002

DIMANCHE.
Théâtre. Nous prenons congé des JVC et mes parents viennent nous chercher, direction le Théâtre du Peuple à Bussang où on donne la dernière de La Cerisaie de Tchékhov. Connaissant l'habileté de mon père - dont j'ai en partie hérité - pour le maniement de la
chose automobile, je préfère l'assoupissement à la contemplation du paysage. J'avais vu à Bussang une pièce de Beaumarchais en 1989 et depuis, rien n'a changé. Même assemblage de planches minces qui semblent prêtes à s'embraser à la moindre étincelle, même confort spartiate (le Consul Général de Russie à Strasbourg, assis à quelques places de nous, est à la même enseigne), même émerveillement quand les panneaux du fond de la scène s'ouvrent sur la forêt vosgienne. C'est la dernière saison du directeur Jean-Claude Berutti, dont la mise en scène est parfois un peu laborieuse. Si l'interprétation masculine est irréprochable, les actrices m'ont semblé souvent limitées dans leur registre. M'est avis que le texte méritait mieux, mais le théâtre est un genre que je pratique trop peu souvent (la dernière pièce que j'avais vue était une adaptation d'Espèces d'espaces, de Perec, en janvier 1997) pour que mon jugement soit de grande valeur.

TV. De l'histoire ancienne (Orso Miret, France, 2000 avec Yann Goven, Olivier Gourmet, Brigitte Catillon, Martine Audrain).
A la suite de la mort d'un ancien résistant, ses deux fils et sa fille voient leurs vies bouleversées.
Il s'agit de savoir qui va s'occuper de la mère qui perd un peu la tête, de savoir si l'incinération qui a eu lieu correspondait bien aux dernières volontés du défunt. La fille quitte son mari, un des fils quitte son emploi... Les mines sont graves, voire compassées, les lieux sont mal définis, les péripéties bien rares. Bref, on s'ennuie ferme malgré les bonnes intentions.

LUNDI.
Bureau. Je bute sur une question du concours Dumas, mais rédige deux nouvelles en deux lignes.

Mail. Les vacances se terminent, les messages deviennent plus nombreux : GN m'adresse deux photos, traces d'une ancienne escapade parisienne à la librairie Shakespeare & Co et à l'impasse Florimont; N est en pleine phase de mesmérisme; Y. donne des nouvelles (bonnes) de L.

TV. La Drôlesse (Jacques Doillon, France, 1979 avec Claude Hébert, Madeleine Desdevises).
Dans un petit village français, François, un grand adolescent farouche et frustré, décide de séquestrer une gamine, Madeleine.
Il l'idolâtre. Elle est contente. Une sorte de bizarre vie à deux, clandestine, s'organise.
Avec La Drôlesse, Jacques Doillon fait le lien entre l'œuvre de Robert Bresson et les films de Bruno Dumont (La Vie de Jésus, L'Humanité). De Bresson on retrouve le cadre rural et les enfants d'Au hasard Balthazar, l'attention portée aux bruits et à l'énonciation (pour ne pas se faire remarquer, les deux complices chuchotent tout au long du film), l'utilisation d'acteurs non professionnels (des "modèles", pour parler comme Bresson). Chez Dumont, on retrouvera la peinture d'un milieu et d'êtres frustes, en marge de la société, qui tentent de se créer un univers à part.
Mais la drôle de relation qui s'établit entre François et Madeleine appartient en propre à Doillon. Devant une enfant de 11 ans, François, adolescent mal dégrossi, doit endosser un rôle d'adulte pour lequel il n'est pas taillé. Madeleine est sensible à sa maladresse et doit elle-même combler ses lacunes. Ils parviennent un temps à mener une vraie vie de couple, à montrer l'un pour l'autre un respect qu'ils ne rencontrent jamais chez les autres. Une œuvre dépouillée, vraiment digne et belle comme du Bresson.

MARDI.
Emplettes. Je trouve un pantalon dans une échoppe qui correspond bien à ce que je cherche, ce que j'appelle un "pantalon de rien-foutre", pour traîner at home, léger et confortable. Je l'essaie, il me va, Lucie m'encourage à l'acheter. De retour à la maison, je
découvre l'étiquette : c'est du 16 ans. Bon sang, nos jeunes ont de drôles de manières de s'attifer.

Mail. Échange avec Y. qui me propose de référencer, c'est à dire de rendre accessible à partir d'un moteur de recherche, le site des notules. En attendant, il a posé un compteur qui me permet de constater avec plaisir que le dit site est consulté par d'autres personnes que moi-même.

TV. Liam (Stephen Frears, G.-B., 2000 avec Anthony Borrows, Ian Hart, Claire Hackett, Anne Reid).
Liverpool, années 30. L'enfance de Liam, 7 ans, terrorisé par les leçons de catéchisme qu'il reçoit à l'école et dont le père vient de perdre son emploi.
La charge contre les milieux catholiques de l'époque est assez convenue. Frears montre le catholicisme par son côté le plus obtus, présente une institutrice et un prêtre caricaturaux, des sermons sur l'enfer qui semblent tirés du Portrait de l'artiste de Joyce.
L'aspect plus original du film nous montre la tentation fasciste et xénophobe qui s'empare d'une partie du monde ouvrier britannique avant la Deuxième Guerre Mondiale (et dont j'ignorais tout). On dit aux Irlandais de rentrer dans leur pays et on n'hésite pas à s'attaquer aux Juifs et à leurs biens. Le père de Liam s'engage dans un groupuscule de chemises noires et participe à un attentat aux conséquences imprévisibles qui réveille quelque peu le spectateur engourdi par ce film ronronnant.

MERCREDI.
Vie sociale. Les G. sont nos hôtes. Les filles s'entendent bien, et les parents pas plus mal. Ils repartent lestés d'un exemplaire de ma Tentative d'épuisement.

JEUDI.
Mail. Retour sur la toile de F. et de P.H.

Courrier. J'envoie des coupures à Y. (Le Monde, L'Humanité) et le remercie pour la duplication d'un album de Maxime Le Forestier reçu le matin-même, une réponse à une invitation des M&M, un mot d'encouragement à un collègue qui quitte l'enseignement pour
l'administration, la nécrologie d'Hélène Chatelain à GN.

Cinéma. Être et avoir (Nicolas Philibert, France, 2002).
Documentaire sur une école à classe unique en Auvergne.
C'est avec pas mal de circonspection, voire de réticence, que j'ai abordé ce film consacré à un métier que je n'ai jamais franchement chéri et qui, depuis mes récents déboires, m'est devenu franchement exécrable. Heureusement, par delà le documentaire pédagogique, c'est une véritable œuvre cinématographique que livre ici Nicolas Philibert avec un cadre, des personnages et une dramaturgie. Philibert est connu pour son documentaire sur La Ville Louvre et Être et avoir s'ouvre sur un clin d'œil à l'art pictural, une tortue qui traverse horizontalement le bas de l'écran, à la manière des escargots de certaines Résurrections ou Annonciations (celle de Francesco del Cossa, par exemple) de maîtres italiens de la Renaissance. La tortue, animal antédiluvien, pourrait être le totem de M. Lopez, l'enseignant en charge de cette école. Car M. Lopez n'est pas un professeur des écoles, encore moins un instituteur, c'est un maître, un saint laïc à l'allure et à la mise monacales. Il règne avec noblesse sur son domaine : quand il travaille le soir à son bureau, c'est Saint Jérôme dans son cabinet de travail d'Antonello de Messine; quand il convoque deux élèves qui se sont battus, c'est Salomon qui rend son jugement; quand il s'entretient avec un garçon de son passage en 6°, c'est Saint Louis sous son chêne; quand il prend un petit dans ses bras, c'est saint Jean-Baptiste.
Philibert élude rapidement la facilité que serait la mise en scène d'une sorte de "Foire aux cancres" avec bons mots d'enfants et facéties. Il y a bien le personnage du jeune Jojo, trublion de la classe, qui fait un temps illusion dans ce domaine mais heureusement il est vite ravalé au rang d'élément constitutif de l'ensemble, à égalité avec les autres.
Les saisons passent, la fin de l'année approche et avec elle la séparation d'avec les plus grands qui vont entrer au collège.
L'heure devient grave et Philibert nous offre deux tête-à-tête bouleversants entre M. Lopez et deux de ses élèves qui font entrer le film dans une dimension émotionnelle intense. L'émotion, M. Lopez ne la laisse jamais apparaître, explique, corrige avec une équanimité sidérante.
Jusqu'à ce dernier regard capté par la caméra le dernier jour de classe...
Remarque : M. Lopez semble faire faire beaucoup de dictées à ses élèves. Il serait peut-être bon de signaler ce travers à son inspecteur.

Lecture. Moloch (Thierry Jonquet, Gallimard, coll. Série Noire n° 2489, 1998).
Des enfants sont retrouvés carbonisés dans une maison de la ceinture parisienne. L'équipe du commissaire Sandoval enquête et recherche un enfant qui, apparemment, a réussi à échapper au massacre.
Sandoval, Dimeglio, Rovère et d'autres sont des personnages qui apparaissaient déjà dans un précédent polar de Jonquet, Les Orpailleurs, sans que j'en aie gardé grand souvenir. L'auteur les définit à grands traits mais ne semble pas vraiment s'intéresser à eux. Ce qui importe davantage pour lui, apparemment, c'est l'enquête, qui mène à la découverte d'un trafic d'enfants. La cruauté, le réalisme anatomique, la violence font partie des thèmes déclinés par Jonquet depuis Mygale. Il s'est ici inspiré de faits réels, ce qui lui valut quelques ennuis avec la justice (qui aboutirent à un non-lieu) car ces faits n'étaient pas encore jugés au moment de la sortie du livre.

VENDREDI.
Voyage. Je pars pour Paris par le bus de 6 heures 57 et le train de 7 heures 42, assez lourdement chargé : j'emporte mon matériel d'enregistrement pour capter les deux derniers épisodes de La Montagne magique. Je vais voir les livres de la rentrée littéraire à la librairie Dédale, rue des Écoles. Le seul livre de cette rentrée qui m'intéresse, le nouveau roman de Vassilis Alexakis, ne sort que mardi prochain. Je m'interroge. Je suis ce que les statistiques appellent un grand lecteur, ou un gros lecteur, je ne sais plus. Sur les 663 romans de la rentrée, je vais en acheter un. Combien en achèteront les petits lecteurs ? Je passe l'après-midi à travailler à la Bibliothèque des Littératures Policières. Le soir venu, je pars à la découverte de contrées inconnues, les abords du canal Saint-Martin, le bassin et la rotonde de La Villette, les quais du canal de l'Ourcq, lieux qui servent de décor au dernier Jonquet que j'ai entamé dans le train.

Cinéma (MK2, quai de Seine, 19°). Mille millièmes, fantaisie immobilière (Rémi Waterhouse, France, 2002 avec Patrick Chesnais, Jean-Pierre Darroussin, Grégori Dérangère, Suzanne Flon, Irène Jacob, Luis Rego, Wladimir Yordanoff).
Les habitants d'un immeuble parisien se retrouvent pour l'assemblée annuelle des copropriétaires. Sous la houlette du syndic, chacun débat de ses frustrations et de ses envies.
Fantaisie immobilière, ou fantaisie immobile, plutôt, tant les personnages sont figés dans
leur stéréotype. Waterhouse présente un échantillon d'humanité, c'est la loi du genre, qui n'évolue absolument pas : le concierge est enfermé dans son Portugal, un copropriétaire dans son homosexualité, un autre dans son homophobie, un autre encore dans sa nostalgie (il est né dans l'immeuble)... Seul le jeune (Dérangère) qui cherche à vendre son appartement fait preuve d'un peu de complexité psychologique, monstre d'égoïsme sous des dehors charmants. Les comédiens s'ennuient, certains sont franchement mauvais (que ne donnerait-on pas pour effacer le niais sourire du visage d'Irène Jacob), les autre y croient encore moins que le spectateur (Darroussin, Chesnais).

Retrouvailles. Je moule-frite près de la Gare de l'Est et accueille Caroline au train de 23 heures 32.

SAMEDI.
Vie parisienne. Je passe la journée à la Bilipo, avec une pause à midi : Caroline me rejoint et on mange au Monge, rue Monge.

Cinéma (Rex, boulevard Poissonnière, 2°). L'Adversaire (Nicole Garcia, France, 2002 avec Daniel Auteuil, Géraldine Pailhas, François Cluzet, Emmanuelle Devos, Bernard Fresson, François Berléand).
La vie de Jean-Marc Faure repose sur un mensonge : il n'est pas le médecin qu'il prétend être. Une succession d'indices éveille - au bout de dix-huit ans ! - les soupçons de son épouse.
Je n'attendais pas grand-chose d'Être et avoir, j'ai été enthousiasmé. J'attendais beaucoup de L'Adversaire, j'ai été un peu déçu. Pas par Auteuil, qui est comme d'habitude, c'est à dire parfait, mais par les choix de mise en scène de Nicole Garcia. Elle emmêle à l'envi les époques (le jour du carnage final, la vie de Faure jusqu'à cette impasse, les entretiens des témoins avec le juge d'instruction) d'une façon absolument gratuite. Or, il s'agit d'une histoire qui se construit au fil du temps, qui se construit sur un vide de plus en plus criant, une existence factice dont l'artifice est de plus en plus apparent. La progression chronologique s'imposait d'elle-même, choix qu'avait fait Emmanuel Carrère dans le livre-source me semble-t-il, non pas pour ménager le suspense, tout le monde sait comment l'affaire Romand s'est terminée, mais par simple logique narrative. Ça a dû sembler trop simple justement à Nicole Garcia, qui n'est pas une apôtre de la simplicité (voir Place Vendôme).
On retiendra deux belles idées, le plan sur l'agenda vierge de Jean-Marc Faure et celui du hall de l'OMS où il s'avance dans la foule de ses "collègues" et où il est le seul à ne pas porter de badge.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°75 - 8 septembre 2002

DIMANCHE.
Vie parisienne. J'aurais volontiers passé un moment planté devant Le Radeau de la Méduse de Géricault mais la queue devant le Louvre est vraiment dissuasive. Qu'à cela ne tienne, il fait un temps splendide, nous arpentons le jardin du Carrousel, les Tuileries avec vigilance : il n'est pas rare, dans ces lieux, de se prendre un jogger en pleine poire au détour d'un allée. Nous traversons la Seine par la passerelle de Solférino, qui doit être une des dernières réalisations de la municipalité Tibéri, une vraie réussite, avec une halte au milieu pour jouir de la vue. Rue de Solférino, l'immeuble du PS est vide : les éléphants sont allés panser leurs plaies à La Rochelle. La file d'attente devant le Musée d'Orsay a l'air plus fréquentable. En plus, elle avance vite : bonne surprise, les musées nationaux sont gratuits le premier dimanche de chaque mois, donc aujourd'hui. Au bout de cinq minutes, nous sommes dans les lieux, cloués par le regard impudique de l'Olympia de Manet. C'est tout ce que je voulais voir, plus question d'arpenter ce musée en essayant d'en aborder tous les chefs-d'œuvre, c'est trop éreintant. Nous allons tout de même voir l'exposition du moment, consacrée à l'œuvre graphique de Kupka, un Tchèque déjà vu chez les Fauves. A la librairie, je trouve le catalogue du Musée de l'Annonciade que je regrettais tant ne pas avoir acheté à Saint-Tropez. Nous papillonnons de croûte en croûte avant d'aller en casser une (syllepse de sens, je n'ai pas acheté un Gradus pour rien) au Saint-Germain, rue du Bac et de prendre le train du retour.

Courrier. A. m'envoie un commentaire du Saint Jérôme d'Antonello.

Mail. Les M. ont repris le travail au Texas.
Bonne surprise avec une demande d'abonnement. Ça doit être la première fois que quelqu'un demande à recevoir les notules. D'habitude, c'est plutôt moi qui propose, de manière à ce qu'on ne puisse pas refuser.

LUNDI.
Rentrée. Encore une. Plus que dix-sept. Mauvaises nouvelles du précédent principal, victime d'une attaque cardiaque pendant les vacances. On lui avait offert un vélo tout terrain pour son départ. Soyez d'attaque pour l'été, offrez un VTT. Le patron est nouveau, la sous-maxé est nouvelle, de nouveaux profs aussi. Il y a là une blonde qui me glace, tant sa physionomie et sa classe me font penser à une fille à Le Pen. L'après-midi, je vide la salle 26 que j'occupais depuis des temps immémoriaux (équipée pour l'anglais, que je ne pratique plus) pour m'installer dans un nouveau local. C'est long : comme tout le monde, au début de ma carrière, j'emmenais beaucoup de choses de l'école chez moi, cours à préparer, copies à corriger, manuels à compulser. Depuis, j'ai cessé de polluer mon intérieur avec ces objets et c'est mon chez-moi que je j'installe à l'école : cafetière, vaisselle, couverts, serviette de table, habits de rechange, coussin pour la sieste, petite bibliothèque, cassettes, radio... Je pense que finirai par prendre des chaussons.

Mail. Y. continue à travailler sur le référencement de mon site. Je rédige et envoie les notules en retard.

Dictionnaire. Entrée de l'adjectif "oulipien" dans le Petit Larousse 2002.

Téléphone. J. m'apprend la mort de J.B., ancien compagnon de vacances en Lozère. Homme doux, guitariste virtuose. Souvenir d'une version du Take the A Train d'Ellington avec lui, B. au piano, A. au trombone et un chorus que j'avais sorti d'un harmonica en la mineur que je maîtrisais pourtant plutôt mal.

MARDI.
Soulagement. Rentrée des classes pour Lucie, sans heurts ni pleurs.

Rencontre. Maigre affluence au cinéma, ce soir. Trois personnes dans la queue. Parmi celles-ci, M. G., mon nouveau principal. Il me salue par mon nom alors que je ne l'avais jamais vu avant la journée d'hier où je n'étais qu'un tête anonyme parmi les autres. Stupéfaction : du fait de ma personnalité hors du commun, l'ancien patron, à son arrivée, m'avait pris pendant deux mois pour le professeur de dessin (et je m'étais bien gardé de le détromper). Je m'interroge : qu'est-ce qui me vaut cette soudaine et inattendue popularité ?

Cinéma. Shaolin Soccer (Siu lam juk kau, Stephen Chow, Hongkong, 2001 avec Stephen Chow, Vicki Zao Wei, Ng Man Tat, Patrick Tse Yin, Wong Yat-fei, Sarondar Li, Cecilia Cheung).
Un moine shaolin (une discipline dérivée du kung-fu) rencontre un ex-joueur de football qui lui apprend à jouer. Ils constituent alors une équipe et s'engagent dans un tournoi avec un million de dollars à la clé.
C'est un film comme il doit s'en tourner cent par jour à Hongkong, qui repose sur une idée assez originale : associer les gestes du kung-fu à ceux du football, ce qui donne quelques séquences très spectaculaires. La construction est celle du conte classique avec héros positif et négatif et une belle prisonnière (de sa laideur en l'occurrence). Stephen Chow se fiche complètement de la vraisemblance, présentant les matches de foot (à cinq ou six joueurs par équipe, apparemment) comme une succession d'affrontements singuliers. Il y a là-dedans des gags que n'auraient même pas osé les Charlots à leur époque glorieuse des Fous du stade. Un joyeux foutoir, un j'm'en foutisme réjouissant.

Lecture.
Ad vitam aeternam (Thierry Jonquet, Éditions du Seuil, coll. Fiction & Cie, 2002).
Anabel rencontre M. Jacob, entrepreneur de pompes funèbres, à sa sortie de prison. Au même moment, Ruderi, un vieillard, termine ses quarante années de détention. Oleg, tueur à gages, est chargé de le suivre afin de découvrir qui il est réellement. Ruderi, une fois rendu à la vie civile, semble rajeunir de jour en jour. Il conduit Oleg chez M. Jacob.
L'histoire se termine en 2126. Jonquet quitte le domaine du polar stricto sensu pour s'aventurer sur les terres de l'anticipation. Mais comme l'indique le sous-titre, c'est tout de même un roman noir qu'il livre ici, tout à fait dans la lignée de ses œuvres précédentes. Le corps humain y est une fois de plus présenté comme un champ d'expérimentation, mais c'est le Temps et la Mort qui en constituent les axes principaux. Jonquet, s'il n'est pas un grand styliste, sait construire une histoire et intéresser son lecteur. Sur un terrain qui pourrait facilement prêter au ridicule, il se révèle plutôt à l'aise.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète une anthologie de la poésie française en deux volumes, un polar russe, une chemise hors de prix et, pour Lucie, un CD rom que je n'arriverai pas à installer : ce truc, destiné à m'assurer quelques heures de tranquillité, va empoisonner tout mon après-midi.

Courrier.
Lettre aveyronnaise de B.

Jardin. Septième tonte de la saison. Le voisin, venu faire son inspection vespérale, m'interpelle "Ça tond, ça tond !". J'opine. Il est difficile de ne pas opiner face à une personne qui, lorsqu'elle vous surprend une bêche à la main, vous lance "Ça bêche, ça bêche !", un arrosoir au bout du bras, "Ça arrose, ça arrose !" ou, affairé à pomper de l'air pour la piscine dégonflable, "Ça gonfle, ça gonfle !" Nous vivons dans une atmosphère de consensus que bien des voisins doivent nous envier.

Mail. Échange avec F. à propos de mesmérisme.

JEUDI.
Sommeil. Mes fantômes inspectoriaux viennent me tirer du lit vers les 4 heures. Je commence à devenir adepte de la lecture devant une TV froide et grise. Après ça, je me rendors aisément.

Courrier. J'envoie des coupures à Y. (Marie-Claire, Le Monde, Spectacles à Nancy et alentours), des condoléances à D.B., un mot à J. et le CD rom défectueux (?) à des services techniques compétents.

Toile. GN nous invite à croûter et à visiter son site internet rénové.

TV. Raphaël le tatoué (Christian-Jaque, France, 1938 avec Fernandel, Madeleine Sologne, Armand Bernard, Aimos, Monique Rolland, René Génin, Pierre Stéphen, Léon Bélières).
Modeste est veilleur de nuit à l'usine du constructeur automobile Roger Drapeau. Pour éviter d'être mis à la porte à la suite d'une absence, il s'invente un frère jumeau, Raphaël, un mauvais garçon.
Fernandel est au sommet de sa forme. Bien dirigé, il évite le cabotinage et compose deux personnages opposés, Modeste, qui porte bien son nom, et Raphaël, "un tatoué, un dur, un vrai" comme le dit la chanson du film. Il est bien secondé par des acteurs talentueux, dont l'irrésistible Armand Bernard (que Christian-Jaque fait tourner la même année dans Les Disparus de Saint-Agil) et Madeleine Sologne qu'on n'a pas vraiment l'habitude de voir en brune et dans une comédie. L'édifice est solide pendant la première moitié du film, qui contient la scène d'anthologie dans laquelle Fernandel joue une dispute entre les deux frères, mais montre ensuite des signes d'affaissement quand il s'agit de conclure au terme d'un marathon automobile éprouvant pour l'attention et les oreilles du spectateur.

VENDREDI.
Vie scolaire. Première journée complète au collège. L'événement est ailleurs : je fais ma rentrée au PMU de Nomexy.

Cinéma. Les Messagers du vent (Windtalkers, John Woo, USA avec Nicolas Cage, Christian Slater, Adam Beach, Roger Willie, Peter Stormare, Mark Ruffalo, Noah Emmerich, Frances O'Connor).
1944. La conquête de l'île de Saipan, sous mandat japonais, par les Marines américains.
Depuis Il faut sauver le soldat Ryan et sa mémorable séquence du Débarquement, on semble assister à une sorte de surenchère dans le réalisme des scènes de guerre. Et dans ce domaine, si on cherche John Woo, on le trouve : Windtalkers s'ouvre sur une séquence de combats dans les marais des Îles Salomon absolument époustouflante. Woo est d'ailleurs demandeur de cette comparaison avec Spielberg, on le voit dans une autre scène où une toute petite goutte de sang vient se coller sur l'objectif de sa caméra, là où Spielberg en balançait de pleins baquets. Le son, le style "cut", la caméra portée, la crudité des images (on se surprendrait presque à chercher derrière son fauteuil la jambe perdue d'un Marine) donnent à ces séquences un réalisme saisissant. Mais John Woo, comme dans Broken Arrow, en fait tellement que la saturation guette.
L'histoire est belle, celle d'une amitié improbable entre un sergent baroudeur (Cage, halluciné et dégoûté par l'horreur de ce qu'il vit) et un opérateur-radio navajo dont la langue a servi de base à un code de transmission indétectable par les Japonais. Le sel vient du fait que le Marine doit protéger l'Indien mais a pour mission de l'abattre s'il tombe aux mains ennemies pour protéger ce fameux code. Le film rend hommage aux Indiens d'Amérique qui se sont engagés dans le conflit pour combattre aux côtés de leurs oppresseurs. Le message est clair et se veut actuel : quand le monde libre est menacé, nous sommes tous des Américains. Dans le combat final, Ben Yahzee, l'Indien, est plus fougueux que les Blancs, tout comme John Woo, cinéaste hongkongais, est devenu plus américain que les réalisateurs nourris au lait d'Hollywood.
Ce n'est pas la peine de reprocher au film son manque de finesse, c'est un film de genre et dans le même domaine, John Ford, que j'ai tendance à porter aux nues, n'était pas vraiment une dentellière (voir Les Sacrifiés). Ce qui peut gêner, cependant, c'est qu'à aucun moment il n'est fait mention de la raison pour laquelle l'Amérique combat le Japon. Pour un jeune spectateur peu au fait des données historiques, il apparaît que l'on combat les Japonais parce qu'ils sont japonais, point. On est en quelque sorte passé du Pourquoi nous combattons de D.W. Griffith à Comment nous combattons. Il aurait suffi d'une seule phrase, d'une seule mention de l'engagement du Japon aux côtés de l'Allemagne nazie pour que soit dissipé ce léger malaise.

SAMEDI.
TV. Chypre - France en football (1-2).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°76 - 15 septembre 2002

DIMANCHE.
Anniversaires, célébrations, commémorations et chiffres ronds (ou A.C.C.C.R., pour faire plaisir à D.R.). Depuis quelques jours, impossible d'ouvrir un journal ou la radio sans y trouver tel ou tel aspect d'un événement new-yorkais qui eut lieu voici bientôt un an. Il s'agit principalement de vendre du papier, des images, des mouchoirs et des petits drapeaux. J'aime aussi beaucoup les fêtes et anniversaires, ça a quelque chose de joyeux. Ainsi aujourd'hui 8 septembre 2002 de l'Ere Vulgaire, entrons nous dans l'an 130 de l'Ère Pataphysique.

Prise de risques. Montage et installation d'une nouvelle étagère à CD, accrochage d'un cadre dans le bureau de Caroline, abattage d'un arbre (enfin, d'un arbuste). Aucune victime à déplorer, à part l'arbre en question.

TV. Les Âmes fortes (Raoul Ruiz, France-Belgique, 2001 avec Laetitia Casta, Frédéric Diefenthal, Arielle Dombasle, John Malkovich).
Années 1890, dans le Diois. Une jeune lingère quitte la campagne avec son fiancé pour faire sa vie à la ville. Elle entre au service d'un couple de rentiers cossus, les Numance.
La scène se passe un jour de l'an passé, au moment de la sortie de Belphégor ou de Taxi 2, dans la queue au cinéma. Une connaissance lance à la personne qui l'accompagne en me désignant : "C'est fou ce qu'il ressemble à Frédéric Diefenthal." Je dessine sur ma bouche diefenthalienne un sourire entendu mais je n'en mène pas large : je n'ai jamais vu ce loustic et je me demande bien à quoi (sinon à moi-même) il peut bien ressembler. Depuis, je vis partagé entre le soulagement de n'avoir pas été comparé à Michel Simon ou à Robert Dalban et le désir de voir enfin un film avec Frédéric Dienfenthal. Voila qui est fait. Déjà, il faut faire abstraction de la casquette et de la moustache, que je porte rarement, et aussi tout de même de son statut de cocu qui pourrait s'avérer blessant. A partir de là, c'est vrai que sur certains plans, la ressemblance existe, ça donne une drôle de sensation, mais c'est peut-être parce que Diefenthal fait la gueule tout au long du film.
Maintenant, je plains ceux qui ne ressemblent pas à Frédéric Diefenthal et qui voient ce film car c'est le seul intérêt que j'y ai trouvé. L'histoire est lente et obscure (je ne sais si c'est plus clair chez Giono qui a écrit le livre), Ruiz semble avoir laissé les commandes à son chef-opérateur, Éric Gauthier, dont le seul souci est de bien éclairer le visage de Laetitia Casta. A part ça, Arielle Dombasle a l'air contente de se promener dans de belles toilettes - on la dirait sortie d'une toile de Renoir ou de Berthe Morisot - et Malkovich travaille son français avec application.

LUNDI.
A.C.C.C.R. J'enregistre aujourd'hui ma centième cassette des Cinglés du music-hall de Jean-Christophe Averty.

Lecture. Est-ce que les aveugles sont plus malheureux que les sourds ? (Alain Gagnol, Gallimard, coll. La Noire, 2000).
J'avais été un peu dérouté par un précédent livre d'Alain Gagnol, Les lumières du frigo, qui avait paru en Série Noire. Gagnol, de toute façon, aime dérouter, il n'y a qu'à voir le titre de ce roman. Roman dans lequel il ne se passe rien, ou si peu : une ville non définie, près de Lyon, une bande d'adolescents en plein malaise et parmi eux, Martin, qui couche avec Madeleine, une amie de sa mère. Son copain, Franck, aimerait que Martin tue Madeleine, qui doit posséder un beau magot. La tentative d'assassinat dure trois pages et échoue lamentablement. Le reste est constitué de dialogues de phrases inabouties, de récits de virées glauques au dancing ou en forêt, de descriptions d'après-midi passées à ne rien faire chez l'un ou chez l'autre. C'est tellement mou, flasque, déprimant que ça en devient intéressant, une sorte de non-écriture mise au service de non-personnages qui mènent une existence transparente. Pas mal joué, Gagnol...

TV. La Métamorphose des cloportes (Pierre Granier-Deferre, France, 1965 avec Lino Ventura, Pierre Brasseur, Charles Aznavour, Irina Demick).
Scénario, adaptation et dialogues : Alphonse Boudard, Albert Simonin et Michel Audiard. Autrement dit ce qui se fait de mieux en matière de langage fleuri et de formules ciselées estampillées langue verte. Pour prononcer ces fleurs de rhétorique, des acteurs qui ont déjà prouvé qu'ils savaient parler comme des hommes, des vrais : Ventura dans Les Tontons flingueurs, Aznavour dans Un taxi pour Tobrouk, Georges Géret dans Week-end à Zuydcoote et Maurice Biraud qui a aussi pratiqué Audiard dans Des pissenlits par la racine. Tout pour plaire, quoi.
Il n'y a pas ici la force parodique qui a fait le succès des Tontons. C'est un vrai film noir, qui balance au son de l'orgue de Jimmy Smith, une histoire de vengeance classique : Alphonse (Ventura) sort de prison bien décidé à dérouiller les "cloportes" qui l'ont lâché après un casse foireux. Sa croisade va se heurter à un obstacle inattendu, une jolie secrétaire qui ne fera qu'une bouchée du caïd. Les répliques d'Audiard sont moins connues que celles extraites des Tontons flingueurs mais sont tout aussi réussies et il faut se réjouir que La Métamorphose ne soit pas devenu un film culte mais un petit bijou pour initiés.

MARDI.
A.C.C.C.R. Le 10 septembre 1995 disparaissait Charles Denner.


MERCREDI.
A.C.C.C.R. Le 11 septembre 2001, je mettais pour la première fois mon scanner sous tension.

Mail. Y. se souvient lui du 11 septembre 1973 à Santiago.

Courrier. Je reçois la bande originale du film Virgin Suicides par le groupe Air.

Jardin. J'entame le bêchage d'automne et le débitage du bois abattu.

TV. Le fabuleux destin d'Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, France, 2000 avec Audrey Tautou, Matthieu Kassovitz, Rufus, André Dussollier, Yolande Moreau).
Quand j'ai vu Amélie pour la première fois (http://pdidion.free.fr/notules_2001/notules_2001_mai.htm) c'était la semaine de sa sortie et on était encore loin du phénomène que le film est devenu. Le revoir permet de remettre les choses à une juste place : Amélie Poulain n'est pas un chef-d'œuvre, Amélie Poulain n'est pas un objet rétrograde xénophobe poujado-vichyste non plus. C'est un film habile, drôle, touchant, et ce n'est déjà pas si mal. Il lui manque peut-être une touche de sincérité, on sait Jeunet si bon faiseur qu'on devine que tous les ingrédients ont été soigneusement pesés pour aboutir au succès.
Je l'ai revu comme un film d'un genre aujourd'hui moribond, le film à sketches avec commentaire en voix off, comme Les Casse-pieds de Noël-Noël : chaque personnage voit sa destinée filmée à part, le personnage d'Amélie étant le seul point commun entre tous. On peut aussi comprendre la réticence des spectateurs qui n'ont pas tous le même penchant que moi pour la nostalgie : le côté désuet (décors, éclairages, professions, objets, ritournelles à l'accordéon) peut parfois franchement agacer.
Curiosité. On apprend dans son portrait qu'Amélie aime remarquer dans les films les petits détails qui échappent aux autres spectateurs. Ça tombe bien, moi aussi. Et comme l'histoire du film se déroule en septembre 1997 (après la mort de Lady Di le 31 août) je m'étonne qu'Amélie regarde à la télévision les images d'un cheval échappé de son enclos et semant la panique dans le peloton d'une course cycliste : la course en question était la première étape du Critérium International de la Route, qui s'était déroulée le samedi 29 mars de cette année-là.

JEUDI.
A.C.C.C.R. Le 12 septembre 1888 naissait Maurice Chevalier.

Courrier. J'envoie des vœux de rétablissement à un malade, des coupures à Y. (Libération, Le Monde, Le Figaro, La Croix, L'Humanité) et à l'Association Georges Perec (Libération, Le Monde).

TV. Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night, Norman Jewison, USA, 1967 avec Sidney Poitier, Rod Steiger, Warren Oates).
Sparta, Mississipi. Un meurtre vient d'être commis. Immédiatement, les soupçons se portent sur un Noir, étranger à la ville. Mais le suspect est un policier, et même un expert en criminologie, qui va se heurter aux mœurs racistes de la ville.
La musique de Quincy Jones, la chaleur lourde qui émane de chaque plan, le poids des préjugés et des non-dits, le visage porcin et la bêtise du chef Gillespie (Steiger) opposé au faciès impassible de Virgil Tibbs (Poitier, à l'époque LE Noir du cinéma US), tout concourt à faire de ce film un petit joyau. On peut trouver sa charge antiraciste un peu simpliste mais ce serait oublier sa date de naissance, 1967 : Luther King est toujours vivant, le combat pour les droits civiques n'est pas terminé. Dans les états du Sud, les Noirs sont toujours considérés comme des sous-hommes. Le nom de la ville est clair : à Sparta, les Noirs d'aujourd'hui jouent le même rôle que les ilotes dans la Sparte antique. Là où le film est encore plus fort, c'est quand il fait sortir les personnages de leur rôle emblématique : Tibbs n'est pas infaillible, par haine, il se trompe de coupable et le reconnaît; de l'autre côté , Gillespie, à la fin, n'est plus un raciste aussi radical qu'au début. Leur rencontre les a un peu changés, il est permis d'espérer.
Enfin, aspect non négligeable, Dans la chaleur de la nuit n'est pas qu'un film à thèse, c'est aussi un très bon polar au suspense efficace.

VENDREDI.
A.C.C.C.R. Il y a 5 ans, le 13 septembre 1997, mourait Georges Guétary.

Cinéma. Les Sentiers de la perdition (Road to Perdition, Sam Mendes, USA, 2002 avec Tom Hanks, Paul Newman, Jude Law, Jennifer Jason Leigh, Stanley Tucci, Daniel Craig, Tyler Hoechlin).
1931. Michael Sullivan est un tueur professionnel au service de John Rooney, patron de la mafia irlandaise à Chicago. Quand sa femme et le plus jeune de ses deux enfants sont assassinés par le fils Rooney, il s'enfuit avec son autre fils.
Quitte à choisir un titre idiot, Les Sentiers de la rédemption aurait été plus proche de l'histoire. Sullivan a passé sa vie à tuer pour Rooney et tous ses efforts visent à se racheter aux yeux de son fils, afin que celui-ci ne marche pas sur ses traces.
Il faut attendre près d'une heure avant que le film s'emballe vraiment avec la cavale du père et du garçon. Avant cela, les arcanes du milieu chicagoan sont plutôt obscures. Quand les deux fuyards prennent la route, on se met à rêver à une odyssée aussi belle et poignante que celle de Costner et du môme dans Un monde parfait d'Eastwood. Malheureusement, ça ne marche pas, l'émotion n'est pas au rendez-vous.La faute à qui ? à quoi ? Pas à Tom Hanks et à son jeune partenaire, mais plutôt à une mise en scène un peu trop calibrée, à un enchaînement un peu trop prévisible qui mène à un dénouement aux rebondissements attendus.
C'est dommage parce que le film ne manque pas d'atouts, à commencer par la reconstitution du Chicago des années 30 qui jette vraiment du jus et des personnages intéressants, en particulier le photographe-tueur interprété par Jude Law.

SAMEDI.

A.C.C.C.R. Il y a 20 ans, le 14 septembre 1982, disparaissait tragiquement la princesse Grace de Monaco.

Jardin.
Récolte des épinards.

Vie sociale. Nous sommes conviés à Blainville-sur-l'Eau pour découvrir les nouveaux lares de G.N. Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas mangé un bon lapin.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°77 - 22 septembre 2002

DIMANCHE.
Radio. J'ai enregistré ces deux dernières nuits la rediffusion d'une émission de France Culture datant de 1993, Profils perdus, et consacrée à François Le Lionnais. Le Lionnais était une grand mathématicien, mais aussi un homme complet, féru de littérature (il fonda l'Oulipo avec Raymond Queneau et en devint le premier président) et d'art. C'est sa connaissance prodigieuse dans ce dernier domaine qui m'intéresse particulièrement aujourd'hui. En effet l'émission rappelle un épisode de sa vie que je connaissais déjà pour en avoir pris connaissance dans un vieux numéro du Magazine Littéraire et qui me fascine au plus haut point : pendant la guerre, en captivité au camp de Dora, pour vaincre l'ennui, la faim et surtout continuer à faire travailler sa mémoire et son intellect, Le Lionnais organisait pour ses camarades de détention des visites virtuelles du Louvre. Il les conduisait dans un coin du camp, annonçait "Nous sommes ici dans la salle x de l'aile y consacrée à la peinture z" et se mettait à décrire avec une grande précision les tableaux de ladite salle, tableaux qu'il connaissait parfaitement pour les avoir longtemps fréquentés au Louvre réel. Ce que je ne savais pas, c'est que Le Lionnais a raconté cette expérience dans un texte intitulé La peinture à Dora qu'il faut absolument que je me procure. Un appel lancé sur la [listeoulipo] me donne quelques références qui aboutiront peut-être. C'est sans doute l'expérience de Le Lionnais que j'avais en tête l'autre jour à Orsay : serais-je capable, dans une vie carcérale future, de donner une description satisfaisante de l'Olympia de Manet ?

LUNDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 8 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, octobre-novembre-décembre 2001, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs).
La revue s'ouvre sur un entretien fort intéressant avec François Caradec, biographe de Raymond Roussel, qui parle entre autres de ses liens avec l'Oulipo et le Collège de 'Pataphysique, d'Artaud, de Jacques Lagrange, gagman de Tati et organisateur de "bistrot-cross", du Tabac Saint-Sulpice, "à l'angle de la rue Bonaparte et de la rue du Vieux-Colombier, bistrot où venait déjà Verlaine" et que je suis heureux d'avoir fréquenté avant qu'il ne devienne un magasin de vêtements.
Par ailleurs, il est question d'Henri Monnier, créateur du personnage de Joseph Prudhomme, de plagiat littéraire et de poésie contemporaine (pff...). La chronique des ventes relate l'homérique préemption par la BNF du manuscrit du Voyage au bout de la nuit de Céline pour 12,18 millions de francs (record mondial pour un manuscrit littéraire, battu depuis par Sur la route de Jack Kerouac). L'édition originale des Choses de Perec est partie plus modestement pour 8 500 francs. De Perec il est également question dans les Livres reçus avec une critique peu amène du volume Portrait(s) de Georges Perec. Dans cette rubrique, j'ai relevé un recueil de poèmes d'un certain Henry J.-M. Levet que j'ai ajouté à ma liste d'achats à venir.

Lecture (bis). La maison cinéma et le monde I. Le Temps des Cahiers 1962-1981 (Serge Daney, P.O.L. éditeur, 2001, édition présentée par Patrice Rollet avec Jean-Claude Biette et Christophe Manon).
Recueil de critiques cinématographiques.
Le premier article de Daney fut une critique du Rio Bravo de Hawks parue en 1962 dans une petite revue, Visages du cinéma. On la trouve ici en ouverture du volume, elle est tellement éblouissante qu'on comprend qu'elle lui ait immédiatement ouvert les portes des Cahiers du cinéma puis du quotidien Libération. Malheureusement, on ne retrouvera jamais par la suite cet aspect brillant de Daney qui se confine dans une lecture exclusivement marxiste des films qu'il chronique. Ceux-ci sont choisis dans le vivier du cinéma d'idées, là aussi quasi exclusivement : quand Daney accepte de parler du cinéma de divertissement, c'est vraiment du bout des lèvres et sur un ton comminatoire. C'est d'autant plus dommage que j'ai pu l'été dernier découvrir les émissions radiophoniques que Daney animait et que France Culture a rediffusées. A l'oral, son enthousiasme, sa connaissance, sa passion faisaient merveille. A l'écrit, on a l'impression d'avoir affaire à un gardien du dogme froid et rigoriste.

Vie professionnelle. Je m'engage avec une classe dans l'opération "Collège et cinéma".

TV. La Famille Foldingue (Nutty Professor II : The Klumps, Peter Segal, USA, 2000 avec Eddie Murphy, Janet Jackson, Larry Miller).
Le professeur Sherman Klump, obèse gentil et timide, est habité par un double grossier et égrillard qui va compromettre son mariage.
Ce double personnage est vaguement inspiré de celui de Dr Jerry et Mr Love créé par Jerry Lewis, d'ailleurs crédité au générique (Kathleen Freeman, partenaire de Jerry dans le film de 1963, a même un petit rôle ici). Eddie Murphy ne se contente pas de ce double rôle puisqu'il interprète également les autres membres de la famille Klump, toutes générations confondues. On peut lui trouver une certaine force comique dans les personnages féminins de la mère et de la grand-mère libidineuse. Certains gags outranciers sont réjouissants comme cette scène de sodomie pratiquée par un hamster géant mais pour le reste, on est livré à un film criard, gesticulatoire, pénible. Le plus vertigineux est le fait que ce genre de produit sert de pain cinématographique quotidien à une grande part des adolescents de la planète. Je préférerai toujours, pour ma part, les six Fernandel du Mouton à cinq pattes à des myriades d'Eddie Murphy.

MARDI.
Mail. Échange avec F. sur Edward Bunker, les fêtes de fin d'année et les vacances de février.
Y. m'annonce que le site des notules est désormais référencé sur un moteur de recherche assez obscur (oozap, je crois). Il faut encore attendre avant que les gros poissons (Yahoo et autres) ne l'intègrent.

Lecture. Azazel (Boris Akounine, traduction d'Odette Chevalot, Presses de la Cité 2001 pour la traduction française).
Moscou, mai 1876. Un suicide étrange conduit un jeune fonctionnaire de police débutant, Eraste Fandorine, sur la piste d'un complot international.
Azazel est le premier épisode d'une série de sept aventures d'Eraste Fandorine. Son auteur est, je crois, le traducteur de Perec en russe. Son but est clair, renouer avec la tradition du roman feuilleton populaire des XIX° et début du XX° siècles. Il en reprend les intitulés de chapitres ("Chapitre cinquième, dans lequel de sérieux désagréments attendent le héros"), l'accumulation des rebondissements qui finit d'ailleurs par étourdir, et la présentation d'un jeune héros confronté à des épreuves qui vont faire de lui un homme. Par sa jeunesse, sa perspicacité, son intrépidité, sa quête d'un amour idéal et sa rapidité à gravir les échelons qui le mènent à la gloire, Fandorine n'est pas sans évoquer le Rouletabille de Gaston Leroux. Un exercice de style bien mené mais pas assez captivant pour que j'envisage de lire les six volumes suivants.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète le dernier Alexakis et un vieux Modiano.

Célibat.
Je conduis Caroline jusqu'à une clinique nancéienne où elle doit se faire opérer des varices à une jambe.

TV. Un revenant (Christian-Jaque, France, 1946 avec Louis Jouvet, Gaby Morlay, François Périer, Marguerite Moreno, Ludmilla Tcherina, Jean Brochard, Louis Seigner).
Jean-Jacques Sauvage revient à Lyon où, vingt ans auparavant, la famille de Geneviève Nisard, dont il était amoureux, a tout fait pour s'opposer à son mariage et provoqué sa fuite.
Jouvet campe le personnage froid, cassant, machiavélique, auquel on est habitué. Sauvage revient à Lyon pour se venger mais ne tire aucune jubilation de sa vengeance. Les vingt ans qu'il vient de passer ont fait de lui un misanthrope, ce qui ne l'empêche pas de montrer, presque à son corps défendant, un peu d'intérêt pour François, le neveu de celle qu'il aimait, en qui il reconnaît le jeune homme qu'il était. Ce côté dramatique du film n'est pas très réussi, la froideur de Jouvet finissant par laisser le spectateur de marbre lui aussi. Beaucoup plus intéressant est l'aspect social du film. Christian-Jaque (et Henri Jeanson au scénario) dépeint le milieu bourgeois des soyeux lyonnais avec une ironie mordante et réjouissante : intrigues familiales, mariages arrangés, héritages convoités, esprit de caste, primauté de l'apparence, tout y passe. Pour preuve cette belle réplique du père de François qui veut lui faire épouser un riche laideron : "Tu partiras en voyage de noces en Italie. Le change nous est favorable."

JEUDI.
Célibat (fin). Je retourne à Nancy (inutile de mentionner mon angoisse à conduire dans les rues de cette métropole) d'où je ramène une épouse peu ingambe.

Mail. Je reçois le programme des "Jeudis de l'Oulipo" à Jussieu.

Courrier. Envoi des habituelles coupures à Y. (Le Monde, Le Figaro) et à l'AGP (Le Monde, Histoires littéraires).

Lecture.
L'A 26 (Pascal Garnier, Zulma 1999, coll. Quatre-bis).
Depuis qu'elle a été tondue à la Libération pour avoir accordé ses faveurs aux Allemands, Yolande n'est jamais sortie de chez elle. Elle vit avec son frère Bernard dans une vieille maison, près d'une autoroute en construction.
Noir, très noir, ce très court roman qui ouvre la carrière de Garnier chez Zulma après ses brillants débuts au Fleuve Noir. La réclusion à laquelle se condamne Yolande rappelle La bête et la belle de Jonquet. Yolande est enfermée dans sa maison, dans son passé, dans ses souvenirs et dans sa folie qui finira par éclater. Le cadre géographique, le Nord, est celui que l'auteur réutilisera dans Nul n'est à l'abri du succès. Il y a aussi une série de meurtres, des cadavres planqués dans le chantier autoroutier tout proche. Noir, très noir. Un peu vain aussi, peut-être.

VENDREDI.
Cinéma. Simone (S1m0ne, Andrew Niccol, USA, 2001 avec Al Pacino, Catherine Keener, Pruitt Taylor Vince, Jay Mohr, Elias Koteas, Jason Schwartzman, Stanley Anderson).
Ancien cinéaste de renom, Viktor Taransky est aujourd'hui considéré comme un has been. Abandonné sur un tournage par son actrice principale, il rencontre Hank, un génie de l'informatique qui lui fait cadeau d'un programme révolutionnaire : une actrice virtuelle totalement opérationnelle. En secret, le cinéaste termine son film avec celle qu'il a désormais nommée Simone. Il retrouve immédiatement le succès et Simone devient une star.
Comme Woody Allen dans Hollywood Ending, Pacino campe un personnage de metteur en scène qui a du mal à exister, du fait de son originalité, dans le cinéma aux normes hollywoodiennes. Ça donne l'occasion de se moquer du star-system, de l'avidité des journalistes, des exigences des acteurs, de la capacité du public à gober n'importe quoi. Parallèlement le réalisateur Andrew Niccol donne une énième version du mythe de Pygmalion qui intéresse le cinéma américain depuis au moins Les Mains d'Orlac de Karl Freund en 1935 : Taransky crée Simone puis en devient l'esclave et se demande si ce n'est pas en fait Simone qui l'a créé.
Cette double thématique suffirait à donner un film solide et honnête, mais Simone est plus que ça : une brillante comédie, féroce et drôle, lucide et décapante, portée par un Al Pacino épatant.
Curiosité : les spectateurs qui ont la patience de suivre le (long) générique final jusqu'au bout (j'étais le seul dans ce cas, comme toujours ou presque) sont récompensés par un petit gag offert en bonus.

SAMEDI.
Mail. M. a trouvé une maison pour les vacances de février.

Basse-cour. Je passe l'après-midi en compagnie de Clémence, Hélia, Éline, Fanny, affluence féminine due non pas à l'invalidité de Caroline mais à l'anniversaire de Lucie qui a aujourd'hui 5 ans.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°78 - 29 septembre 2002

DIMANCHE.
Cinéma. Filles perdues cheveux gras (Claude Duty, France, 2002 avec Amira Casar, Marina Foïs, Olivia Bonamy, Charles Berling, Sergi Lopez, Esse Lawson, Léa Drucker, Margot Abascal, Évelyne Buyle, Béatrice Costantini, Amadou Diallo, Jean-François Gallotte, Sylvie Gallotte).
Itinéraire croisé de trois jeunes filles perdues : Élodie veut retrouver sa fille, Natacha son chat et Marianne son âme.
Après un film hongkongais et trois films américains, je me réjouissais de mes retrouvailles avec le cinéma français. Plus dure fut la chute. Tout tombe à plat dans ce film, qui s'étale dans tous les domaines qu'il fait mine d'aborder : comédie, satire, mélodrame, chanson. Les actrices sont consternantes, à l'exception de Marina Foïs tout de même. Voir un Charles Berling égaré patauger dans cette panade fait de la peine.

LUNDI.
Lecture. L'Arc n° 76 (revue littéraire, numéro spécial Georges Perec, 3° trimestre 1979).
Ce numéro de L'Arc est fréquemment cité dans les études perecquiennes car il contient un entretien entre Perec et Jean-Marie Le Sidaner et un article de Perec lui-même dans lesquels l'auteur livre quelques clés sur la construction de La Vie mode d'emploi paru un an plus tôt. Il ne dévoile pas tout, loin de là : ainsi, s'il révèle le nombre de signes contenus dans chaque ligne du Compendium au chapitre LI (qui est aisément décelable à l'œil nu), il ne dit rien du mot "âme" qu'on peut y lire en diagonale. Perec explique la polygraphie du cavalier et le bi-carré orthogonal d'ordre 10 qui ont présidé à la construction du roman sans indiquer quels éléments il a fait permuter dans ce bi-carré.
Dans les autres articles consacré à La Vie mode d'emploi on voit les spécialistes essayer de trouver des pistes et à ce jeu, Gilbert Lascault ne s'en tire pas mal du tout avec son analyse des nombres contenus dans le texte.
On trouve aussi des inédits de Perec (une grille de mots croisés, le texte J'aime, je n'aime pas, un extrait du projet Lieux qui ne vit jamais le jour), un article de Jacques Roubaud qui confirme son caractère totalement illisible et des textes sur W dont un de Robert Misrahi qui fait un parallèle intéressant entre la date de rédaction du livre (1970-1974) et celle de l'attentat des J.O. de Munich (1972). Sans oublier Jean-Yves Pouilloux qui donne la contrainte régissant les 243 cartes postales en couleurs : une combinaison mathématique de 5 rangées de chacune trois membres de phrase, soit 3 x 3 x 3 x 3 x 3 = 243.

Vie professionnelle. P., le retour. Il fallait bien que ça tombe un jour. Le principal me coince dans un couloir (ça m'apprendra à m'y promener à visage découvert, il serait peut-être bon de retourner à un peu plus de clandestinité) et m'invite dans son bureau. Où il m'apprend que P. me convoque à trois journées de formation à Nancy (merci, bien, j'y suis allé deux fois la semaine dernière, j'ai ma dose pour les dix ans à venir) et me demande de prendre contact avec mon contrôleur judiciaire, une certaine Mme C. (à spirales, à souches, à pistons ?). Ça doit signifier qu'il faut que je lui téléphone. Donc, je lui écris. Teneur de la lettre, en bref : je sais que P. fera tout pour m'interdire toute intégration ou mutation, que je ne souhaite plus ni l'une ni l'autre, que ses tentatives d'humiliation et d'infantilisation me laissent froid (ce qui est on ne peut plus faux, j'entends déjà le bruit caractéristique de mes heures de sommeil qui se recroquevillent) et que j'ai un peu passé l'âge d'être chaperonné, qu'elle peut venir me voir si elle veut constater de visu l'inanité de mon travail mais qu'en attendant je me satisfais pleinement de l'environnement de mes collègues, plus proches et certainement tout aussi compétents qu'elle. Voilà. Je dis merde alors que tout le monde, moi le premier, me conseille de dire amen et je vais encore m'en prendre plein les dents. Tant pis, je m'aime mieux comme ça.

Cinéma.
Ararat (Atom Egoyan, Canada, 2002 avec Charles Aznavour, Elias Koteas, Christopher Plummer, Bruce Greenwood, Arsinée Khadjian, Eric Bogosian, Marie-Josée Croze).
Evocation du génocide arménien à travers les destins croisés d'hommes et de femmes.
Quand on est comme moi peu au fait des données historiques concernant le génocide arménien, le film a d'abord un intérêt pédagogique. Tout ce que je savais, c'est que la loi relative à cet événement (une loi qui tient en une phrase : "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915") n'a été publiée que dans le numéro du 30-31 janvier 2001 du Journal officiel. On comprend mieux, à la lumière du film, l'acharnement des Arméniens "publics" (Aznavour, Verneuil, Egoyan lui-même) à évoquer sans cesse le poids de ce passé. Ce que souligne également Egoyan, c'est le rôle qu'a joué la religion dans l'opposition entre Turcs et Arméniens, sans oublier le fait que les Arméniens, au moment où ils étaient massacrés, étaient des citoyens turcs.
Sur le plan cinématographique, Ararat est également une réussite. C'est une œuvre ambitieuse dans laquelle se mêlent plusieurs parcours situés dans différentes couches du passé. Le siège de la ville de Van par les Turcs est vu à travers sa reconstitution pour un film tourné par un réalisateur arménien (Aznavour). La conseillère historique du film en question a eu un enfant avec un Arménien condamné à mort pour avoir assassiné un diplomate turc. Lequel enfant, âgé d'une vingtaine d'années au moment du tournage, effectue un voyage en Arménie. A son retour, il raconte l'histoire de son peuple à un douanier (Plummer, excellent) qui le soupçonne de transporter de la drogue. Le douanier a un fils gardien d'un musée qui abrite une toile célèbre d'un peintre arménien qui a échappé au génocide et dont on suit l'exil à New York. Et ainsi de suite. C'est très bien fichu, on saute d'un personnage et d'une époque à l'autre sans difficulté, une véritable prouesse narrative.

Les nuits de la correspondance. Je me lève à 4 heures pour rédiger une version moins amène de ma lettre.

MARDI.
Courrier. Je reçois la musique de Parle avec elle d'Almodovar.

Sévigné. Troisième mouture de la lettre à Carnet. Je remets un peu d'huile.

TV. Palettes.
La Liberté guidant le peuple (Delacroix). Alain Jaubert souligne les similitudes entre Le Radeau de la Méduse de Géricault et le tableau de Delacroix : même construction triangulaire, même souci de réalisme. Les toiles sont d'ailleurs voisines au Louvre.

Perec.
J'annote mon exemplaire de travail de La Vie mode d'emploi à la lumière de ma lecture de L'Arc.

MERCREDI.
Occupons nos enfants. Première séance d'"éveil musical" pour Lucie à la M.J.C.

Cinéma. Le Pianiste (The Pianist, Roman Polanski, France-Pologne-G.-B., 2002 avec Adrien Brody, Thomas Kretschmann, Ed Stoppard, Jessica Kate Meyer, Frank Finlay, Maureen Lipman, Emilia Fox).
2° Guerre Mondiale. Wladyslaw Szpilman, pianiste juif de Varsovie, parvient à échapper à la déportation. Il se cache, aidé par des résistants, des amis, puis par un officier allemand.
Les jurés du dernier Festival de Cannes ont donné la Palme d'Or à Polanski. Pouvaient-ils agir autrement ? Difficilement, même un prix d'interprétation à Adrien Brody eût semblé mesquin (d'autant que le même prix avait été attribué à Benoît Magimel pour La Pianiste l'an dernier, ce qui aurait accrédité la thèse qu'il suffit de poser les mains sur un clavier pour être couronné et nous aurait valu une vague de films avec Gilbert Montagné ou Richard Clayderman en vedette). Le Pianiste est en effet un film inattaquable. Il suit le récit autobiographique de Wladyslaw Szpilman, miraculé du ghetto de Varsovie. La première partie relate la tragédie collective : celle de la famille Szpilman (6 personnes), celle de tous les Juifs de la ville, des premières brimades mesquines à la déportation massive. C'est le meilleur du film, jusqu'à la séparation, au départ pour les camps auquel le pianiste échappe par miracle. Après, Wladyslaw occupe seul l'écran, devient héros de cinéma. Trouve-t-on que les coïncidences qui assurent sa survie sont vraiment miraculeuses ? Elles sont attestées par son récit, et on sait qu'il fallut de véritables miracles pour sauver quelques vies. Trouve-t-on certaines scènes outrées (celle du vieillard qui lape la soupe tombée à terre) ? En plus du témoignage de Szpilman, on a celui de Polanski qui a vécu son enfance dans le ghetto de Cracovie et qui a pu assister à de telles scènes. Trouve-t-on qu'on a déjà vu ces épisodes de brutalité gratuite, ces images de wagons qui se ferment ? De telles choses doivent être montrées et remontrées sans cesse. Tout juste pourra-t-on trouver "limites" les moments où Szpilman s'imagine en train de jouer et celle où il joue vraiment devant l'officier qui va le sauver. C'est peu. Inattaquable, donc. Histoire édifiante, témoignage bouleversant qui permet de voir, ce n'est pas rien, que les Polonais n'étaient pas tous les antisémites qu'on décrit souvent, reconstitution parfaite. Ce qui n'empêche pas de penser que, sur le plan cinématographique, Ararat est une œuvre plus ambitieuse et plus stimulante.

JEUDI.
Courrier. Je reçois l'enveloppe "premier jour" du timbre Perec mis en vente ce lundi et le programme du séminaire Perec 2002-2003. J'envoie des coupures à Y. (Le Monde Diplomatique, Le Monde, Le Figaro) et des félicitations pour la naissance d'une jeune Clémence.

Cinéma. Les neuf reines (Nueve Reinas, Fabian Belinsky, Argentine, 2000 avec Gaston Pauls, Ricardo Darin, Leticia Bredice, Tomas Fonzi, Graciela Tenembaum, Maria Mercedes Villagra, Gabriel Correa, Pochi Ducasse).
Deux petits escrocs de Buenos Aires se lancent dans un gros coup : dérober la copie d'une planche de timbres de valeur (les neuf reines) pour la revendre au prix de l'original.
Grand Prix du Festival du Film policier de Cognac 2002, Les neuf reines a le mérite de montrer qu'il existe toujours un cinéma argentin malgré la situation du pays. Même si ce film a été tourné avant l'effondrement de l'économie argentine, qui date de juillet 2001. On peut d'ailleurs s'amuser, et c'est le côté le plus intéressant du film, à guetter les signes de la faillite à venir : prédominance du dollar sur le peso, omniprésence de la combine, de la corruption, de la débrouille dont les deux héros sont des spécialistes, duplicité des personnages prêts à trahir et à vendre père et mère pour engranger quelque argent. C'est sur cette menace de trahison permanente qu'est bâtie l'intrigue policière dont les subtilités m'ont fréquemment échappé. Reste un bon duo d'acteurs inconnus dans un épisode des Pieds Nickelés à Buenos Aires.

Lecture. Les mots étrangers (Vassilis Alexakis, Stock, 2002).
Nicolaïdès, un écrivain qui se partage entre le français et le grec, décide d'apprendre le sango, une langue parlée en Centrafrique, après la mort de son père.
Alexakis a écrit La langue maternelle après la mort de sa mère. Les mots étrangers est un roman inspiré par la mort de son père (Nicolaïdès n'est qu'un prête-nom transparent). On en viendrait presque à souhaiter qu'il lui reste des êtres chers à la santé vacillante et prêts à disparaître pour qu'il puisse poursuivre une œuvre aussi attachante. Même si ici, je joindrai quelques réticences à mon admiration habituelle. Dans la première moitié du roman, on retrouve tout à fait l'Alexakis de La langue maternelle, de Talco et de Paris-Athènes : ayant fait le tour des relations entre les deux langues qu'il pratique, le français et le grec, et écrit les livres qu'elles lui inspiraient, il se lance dans l'apprentissage d'une troisième, le sango. Ses démarches pour obtenir un dictionnaire et un traité de sango, ses premiers pas dans cette langue, ses réflexions sur sa famille après la mort du père sont comme à l'accoutumée prétexte à un récit subtil, ironique, détaché, qui est la marque de fabrique d'Alexakis.
Mais dans un deuxième temps le narrateur décide de se rendre en Centrafrique pour y rencontrer le sango en tant que langue vivante. On passe alors à un récit quasi ethnographique où les personnages rencontrés (indigènes ou vestiges du colonialisme) sont beaucoup moins intéressants que ce qui se passe dans la tête de Nicolaïdès-Alexakis. La réflexion sur la langue s'accompagne d'une galerie de portraits plutôt fade qui déçoit un peu. Cela dit, je suis prêt à beaucoup pardonner à cet auteur et l'impression d'ensemble reste largement positive.

VENDREDI.
Courrier. Une carte de N. qui s'est installé à Stockholm. S'il ne réclame pas son réabonnement aux notules, ce ne peut être que parce qu'il ne s'est pas encore reconnecté. Je reçois aussi le n° 9 de Viridis Candela.

Cinéma. La Mémoire dans la peau (The Bourne Identity, Doug Liman, USA, 2002 avec Matt Dillon, Franka Potente, Chris Cooper, Clive Owen, Brian Cox, Adewale Akinnuoye-Agbaje, Julia Stiles).
Un homme est repêché par des marins au large de Marseille. On extirpe de son corps deux balles et une capsule indiquant un numéro de compte bancaire à Zurich. Une fois réveillé, l'homme se révèle amnésique. Il se rend à Zurich dans le but de découvrir son identité.
Le principal mérite des films adaptés des romans de Robert Ludlum (il y en eut en fait assez peu, dont le dernier Peckinpah, Le Weekend Osterman), c'est qu'ils nous dispensent de lire ses livres. Ludlum fut, jusqu'à sa mort récente (le 12 mars 2001) le spécialiste incontesté du best-seller planétaire fondé sur la politique-fiction américanocentrique. Ce sont des récits convenus mais riches en action et en suspense, pain béni pour les cinéastes.
Doug Liman en sort un film de très bonne facture, trop long d'une demi-heure sans doute car il fait traîner la révélation finale comme s'il faisait semblant de croire qu'on y comprend quelque chose (ce qui est faux mais n'a aucune importance). La quête d'identité d'un amnésique est devenue un poncif mais Matt Dillon met une belle énergie dans le rôle. Et puis, principal atout du film, une grande partie de l'histoire se déroule à Paris (le vrai Paris, alors que les scènes de Zurich ont été tournées à Prague) dont une course poursuite auto-motos très spectaculaire et qu'il est toujours réjouissant et instructif de voir Paris à travers un regard américain.

SAMEDI.
Courrier. Réception d'un faire-part de naissance où l'on apprend qu'un bébé vient de faire sa "rentrée" dans la vie. On ne l'avait pas vu en sortir.

Jardin. Sciage de bois, arrachage de légumes morts, bêchage d'automne. Le voisin : "Ça bêche, ça bêche !"

TV. Dr. T et les femmes (Dr. T and the Women, Robert Altman, USA, 2000 avec Richard Gere, Helen Hunt, Farrah Fawcett, Laura Dern, Shelley Long, Tara Reid, Kate Hudson).
Le Dr. T est le gynécologue en vue de Dallas. Harcelé par ses clientes, il ne peut même pas trouver de repos dans sa vie familiale : sa femme est folle et sa fille est lesbienne.
Une carrière aussi remplie que celle d'Altman s'accompagne inévitablement de hauts et de bas. Gosford Park était assez haut pour qu'on lui pardonne ce film de peu d'intérêt. Il se veut ironique, essaie de mordre avec sa peinture d'un milieu féminin qu'il filme comme un poulailler empli de pintades criardes et gesticulantes. C'est un peu simpliste, un peu facile, et l'exaspération qu'éprouve le Dr. T face à cette engeance ne tarde pas à gagner le spectateur.


Bon dimanche.