Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°83 - 3 novembre 2002

DIMANCHE.
Santé. Je passe la journée avec une balle de golf sous l'œil gauche, gonflé et douloureux. Caroline fait diligence.

Départ. Préparation des bagages pour le séjour en Lozère.

TV. Six Feet Under. Canal Jimmy diffuse maintenant les épisodes deux par deux. C'est un peu dommage, on peut craindre l'indigestion. L'humour noir qui dominait jusque là fait place à la noirceur tout court. Chacun des personnages est en proie à ses démons : Dave n'arrive pas à trouver un nouveau compagnon, Claire s'enfonce dans sa révolte, Brenda manifeste un intérêt trouble pour une prostituée, Nate est malade, la mère, endoctrinée par une secte, divague totalement.

LUNDI.
Voyage. J'embarque bagages et filles et nous démarrons peu après neuf heures. Lucie vomit une heure plus tard, ce sera le seul incident du voyage qui se termine à Castanet vers 16 heures trente. Notre arrivée porte l'effectif de la troupe à 16, 8 adultes et 8 enfants. Comme d'habitude, A.M. est aux fourneaux (ce soir c'est sanglier), nous parle du Japon. Je donne à J. des nouvelles du collège et de ma carrière.

MARDI.
Vacances. Je me lève tôt, ce que je parviendrai à faire tout au long de la semaine, pour lire Zola, faire des mots croisés et même, ce matin (mais ça ne se renouvellera pas) travailler un peu sur mon Atlas.
Il fait beau, suffisamment chaud pour le traditionnel pique-nique au Mas de la Barque. J'en redescends avant les autres, les filles sont fatiguées et geignardes et on n'est pas là pour enquiquiner le monde.

Presse. Dans Midi Libre, je découvre l'amusement des Lozériens dont le préfet a été convoqué pour être tancé par Sarkozy à cause de ses mauvais résultats en matière de délinquance. Sur la période retenue par les experts sarkoziens, la criminalité a considérablement augmenté en pourcentage dans le département mais vu que celui-ci est quasiment désert on s'aperçoit que le nombre de délits est simplement passé (je donne les chiffres de mémoire) de 440 à 480, ce qui est bien sûr ridicule en comparaison des départements urbains. Les autres préfets convoqués sont d'ailleurs ceux du Cantal et de la Marne, départements tout aussi faiblement peuplés.

Citrouilles. Les enfants font leur soirée Halloween sans terroriser Alice.

MERCREDI.
Effectif. Départ de D.B. avec trois garçons. Il ne fait pas beau, j'ai juste le temps d'emmener les filles pour une petite marche jusqu'au château. Arrivée de B., de M. et A. Première soirée musicale, ce sera la seule alors qu'elles étaient quasiment quotidiennes les années passées. Le cœur n'y était pas vraiment cet automne après la disparition de J.B. qui a si souvent tenu la guitare dans notre petite troupe. Je souffle dans un harmonica pour la première fois depuis 1998 et chante quelques airs québécois amusants avec moins d'appréhension que l'année dernière. Alice est impressionnée par les trombones.

JEUDI.
Vacances. M. et A. nous quittent au matin. Je descends au marché à Villefort avec Alice. L'après-midi, Lucie biche : elle part en balade avec la troupe et sans son père, revient avec du houx, des fleurs, des châtaignes. Il y a aussi des champignons savoureux que nous dévorons avec appétit. Ce n'est qu'une fois la casserole léchée que J. se plonge dans un guide et découvre que les pholiotes changeantes que nous avons cru avaler ressemblent trait pour trait aux galères marginées (seule une odeur de farine chez celles-ci put les différencier) qui sont bêtement mortelles. Les sourires jaunissent. Est-ce une conséquence ? La soirée, marquée par l'arrivée de C.B. et de ses deux garçons, sera plus arrosée que les précédentes, donnant lieu à des sentences définitives du genre (dans une conversation sur les végétariens) "Ça fait du bruit quand on mange une carotte crue, on n'entend rien de ce qu'on vous dit, c'est pour ça que les ânes ont de si grandes oreilles", "Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, quand il n'y a plus de vie il n'y a plus d'espoir" et ce joyau, échappé de la bouche de J. alors que nous parlons des changements intervenus chez les enfants des uns et des autres : "C'est les enfants qui vieillissent, nous, on bouge pas". Fin de la meilleure journée du séjour, j'ai presque réussi à me détendre.

VENDREDI.
Voyage. Nous partons sous le soleil à 10 heures 45. Un arrêt pour croûter aux abords crasseux d'une station service près de Firminy, un autre pour faire un peu de balançoire peu après Mâcon. Je combats l'endormissement qui me guette à l'aide d'une cassette du Rêve du Diable. Les filles sont gentilles, le voyage se passe finalement bien, Lucie nous inflige l'écoute de la cassette de Blanche Neige une bonne douzaine de fois mais c'est un moindre mal. Nous arrivons à 18 heures.

TV. P.J. Je ne verrai par la fin de l'épisode, vaincu par la fatigue mais j'ai tout de même le temps de m'amuser. Un squelette est découvert au cours de fouilles sur un chantier. On reconnaît une situation déjà utilisée par K.C. Constantine dans L'homme qui aimait se regarder ou par Michael Connely dans Wonderland Avenue. Dans ces romans, il fallait un tas de recherches, d'analyses, d'examens au médecin légiste pour donner une vague idée de l'identité du propriétaire de ces vestiges. Ici, le lieutenant Poret, interrogé par Agathe qui arrive sur les lieux, livre immédiatement le sexe, l'âge et la date de la mort du squelette. Supériorité de la police française sur son homologue américaine.

SAMEDI.
Mail. Je découvre les premières photos de Lozère, envoyées par A.M. Retrouvailles (stériles) avec le PMU, lecture de la presse locale, visite des parents.

TV. Un monde sans pitié (Éric Rochant, France, 1989 avec Hippolyte Girardot, Mireille Perrier, Yvan Attal, Jean-Marie Rollin).
Paris. Hippo vit avec son jeune frère Xavier qui deale de la drogue dans son lycée. Il rencontre Nathalie, jeune normalienne à la vie équilibrée et rangée.
Un monde sans pitié est un film qui se voulait sans doute représentatif d'une époque plutôt désenchantée, celle de la fin des années 80. En une douzaine d'années, c'est fou ce qu'il semble vieilli : un interprète principal qui se voulait un nouveau Jean-Pierre Léaud et qui ne parvient qu'à évoquer Antoine de Caunes, des tics de langage exaspérants ("Putain", "Dur", "Fait chier"), des personnages qui tournent en rond autour du Panthéon et de leur nombril sans éveiller le moindre intérêt, une musique furieusement ringarde. Dire que certains (les jurés du Prix Louis-Delluc entre autres) ont vu là-dedans l'annonce d'une nouvelle Nouvelle vague...

Lecture. Seul, comme Franz Kafka (Marthe Robert, Calmann-Lévy, coll. Diaspora, 1979).
Essai.
La collection Diaspora était (est encore ?) consacrée à la question juive dans la littérature, publiant des ouvrages d'Hannah Arendt, Isaiah Berlin ou Amos Oz. La première partie de l'étude de Marthe Robert est donc consacrée aux rapports, complexes bien sûr (qu'y avait-il de simple chez cet homme ?), qu'entretint Kafka avec la judéité. La question de l'identité est primordiale chez cet auteur - se souvenir des K. qui peuplent ses histoires - de nationalité tchèque mais de langue allemande, issu d'une famille juive qui ne pratiquait que de façon distante. Kafka va essayer de trouver sa voie dans une affirmation plus prononcée de sa judéité, allant jusqu'à connaître des tentations sionistes. C'est d'ailleurs dans sa rencontre avec une troupe de théâtre yiddish qu'il va trouver bon nombre de pistes pour son œuvre. Cette quête religieuse est une façon de s'opposer à son père qui ne le comprendra jamais. L'étude de Marthe Robert est pointue, exigeante, constellée de notes en bas de page mais reste toujours très claire et compréhensive.
Dans sa deuxième partie, elle s'intéresse plus précisément aux textes de Kafka, à la façon dont le religieux apparaît dans ses écrits qui, on le sait, ont donné lieu à nombre d'interprétations théologiques. Là, ça devient un peu trop corsé pour moi et je ne suis retombé sur mes pieds que dans les dernières pages où Marthe Robert analyse les thèmes du dédoublement et de l'hybride dans les personnages kafkaïens en s'appuyant sur la psychanalyse.


Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°84 - 10 novembre 2002

DIMANCHE.
Jardin. Je plante des oignons sous une pluie battante (crocus, jacinthes).

TV. Six Feet Under. Je m'endors devant l'épisode. J'ai l'impression qu'il va me falloir un mois pour récupérer de ces quatre jours de vacances.

LUNDI.
Rentrée des classes. L'auto tombe en panne au milieu du chemin, je suis obligé de faire un arrêt au stand parental pour en changer. Si même la voiture ne veut pas y aller...

Alice, à la crèche, passe chez les grands.

Toile. Un membre de la [listeoulipo] m'a scanné La Peinture à Dora de François Le Lionnais, que je cherchais en vain depuis des semaines. Je le lis immédiatement.

Courrier. Carte postale des G., en Bretagne.

TV. Six Feet Under. Brenda et Nate vont se marier, Dave et Keith se remettent ensemble.

MARDI.
TV.
Le Placard (Francis Veber, France, 2001 avec Daniel Auteuil, Gérard Depardieu, Thierry Lhermitte, Michèle Laroque).
François Pignon, un petit comptable, apprend qu'il va être licencié. Son voisin de palier lui donne l'idée d'une parade infaillible : se faire passer pour un homosexuel, de façon à ce que la direction ait peur d'être taxée d'homophobie en le virant.
Michel Aumont joue le voisin de Pignon. S'il l'aide à éviter d'être mis à la porte, c'est parce que, dit-il, "Il y a vingt ans, j'ai été viré pour les raisons qui font qu'on vous garde aujourd'hui." Autrement dit, le film se propose de faire le constat de l'évolution de la place laissée aux homosexuels dans la société, plus précisément dans le monde de l'entreprise. Et au-delà, il nous permet de voir l'évolution de l'image de l'homosexuel dans la comédie à la française. Car il y a vingt ans, c'était La Cage aux folles... C'est donc un film un peu plus ambitieux qu'il n'en a l'air, comme souvent chez Veber (depuis Le Jouet).
La comédie n'est pas toujours très novatrice (on a même droit à la visite de l'usine par des clients japonais comme dans La Zizanie de Claude Zidi) ni très fine, mais ce qu'elle décrit (les bonnes blagues entre collègues) ne l'est pas non plus. Elle est en tout cas efficace, Depardieu en homophobe obligé de jouer la tolérance est quand même irrésistible.

MERCREDI.
Mail. Échange avec C.D. à propos de P.J.

Emplettes. J'achète un livre sur Proust, le volume 7 d'Ed McBain, Les Thibault en Pléiade, un polar suédois et une chemise hors de prix.

Littérature. Je commence à travailler pour l'Oulipo à une version à contrainte de El Desdichado de Nerval.

Cinéma. demonlover (Olivier Assayas, France, 2002 avec Charles Berling, Connie Nielsen, Chloë Sevigny, Gina Gershon).
Demonlover et Mangatronics sont deux firmes qui se disputent le contrôle d'une société japonaise spécialisée dans la fabrication de mangas pornographiques.
Olivier Assayas passe sans transition de la guerre de 14-18 à l'espionnage industriel, de la fabrication de la porcelaine et du cognac à celle des images électroniques : il y a un gouffre entre Les Destinées sentimentales et demonlover, ce qui est une marque de courage chez Assayas qui n'hésite pas à se remettre en question et à exploiter de nouveaux territoires. En fait, ce film a plusieurs points communs avec son Irma Vep, dans les rapports avec l'Asie et les combinaisons portées par Connie Nielsen. L'histoire est terriblement complexe, déroutante, sorte de polar futuriste qui se rapproche des premiers livres de Maurice G. Dantec. La façon de filmer est d'une richesse incroyable, Assayas multiplie les expérimentations sur le son comme sur l'image et à part un dialogue au restaurant filmé en champ - contrechamp, il n'y a pratiquement pas un seul plan "classique" dans le film. Ça donne un résultat assez sidérant qui évoque Mulholland Drive, cité clairement à plusieurs reprises. demonlover est-il, enfin, le film de l'année ? On n'en est pas loin.

JEUDI.
Santé. Je dois tirer Caroline du lit. Au sens propre : lumbago. Comme de plus Alice a une angine, la journée est un peu délicate à organiser.

Courrier. J'envoie des condoléances à la mère d'un ancien élève, des coupures à l'Association Georges Perec, à Y., N., C.N., G.N. et aux N.

Cinéma. Le Fils (Luc et Jean-Pierre Dardenne, France-Belgique, 2002 avec Olivier Gourmet, Morgan Marinne, Isabella Soupart, Rémy Renaud, Nassim Hassaïni).
Olivier, formateur en menuiserie, s'attache à un adolescent perdu qui arrive dans le centre d'insertion où il travaille.
Je n'oublie pas que si je me suis remis à pratiquer, de façon parfois intensive, le cinéma, c'est en grande partie dû au choc qu'ont constitué pour moi les films de Bruno Dumont et des frères Dardenne. Ce film n'ajoutera rien ou plutôt ne changera rien à l'opinion du public sur ceux-ci : ceux qui les apprécient comme ceux qui les dénigrent seront confortés dans leur jugement. C'est que rien n'a changé depuis Rosetta : la caméra, portée, s'attache à un personnage, le suit, le colle et ne le lâche plus. Quand il court, on s'essouffle, quand il s'arrête, on se cogne dedans. Comme il y a des cinéastes du visage, les Dardenne sont des cinéastes de la nuque et du lobe d'oreille.
Il est impossible ici de dire ce qui unit Olivier au jeune apprenti, le fait de l'avoir lu par ailleurs m'a un peu gâché le plaisir. Disons que l'attachement de l'adulte pour l'adolescent comprend une part de masochisme et une part de désir de sainteté. Les Dardenne pratiquent un cinéma qu'on pourrait qualifier d'humaniste chrétien, le fait qu'Olivier, menuisier, passe ses journées à remuer des planches et des clous n'est certainement pas dû au hasard. Par ailleurs, Olivier, le formateur, apprend les gestes du métier de menuisier à ses apprentis comme Gourmet, l'acteur, apprend ceux du métier de comédien aux amateurs qui l'entourent.
C'est magnifique, troublant, abrupt, profond, mais c'est un inconditionnel qui le dit. Et si c'était Le Fils, en fait, le film de l'année ?

VENDREDI.
Toile. Fin de l'échange avec Y. pour l'installation d'une page de "Liens" sur le site des notules. Le succès de celui-ci m'effraie un peu : plus de cent visites cette semaine. Qui, mais qui ? Cet après-midi, au collège, j'ai eu la surprise de constater en entendant une conversation qu'un collègue avec qui je n'ai pas échangé plus de trois phrases depuis son arrivée (il vient d'une région éloignée et semble professer, pour celle qui l'accueille et ses habitants, un mépris dans lequel il m'englobe certainement) connaissait mon Itinéraire patriotique départemental...

TV. P.J. L'effet soporifique se confirme.

Lecture. Pot-Bouille (Émile Zola, 1882, Pocket, coll. Classiques, n° 6061)
Octave Mouret débarque à Paris, bien décidé à réussir en s'aidant de son charme auprès des femmes. Il s'installe comme locataire dans une maison de la rue de Choiseul.
Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas lu de Zola, j'avais abandonné Les Rougon-Macquart en 1979, au sixième épisode (Son Excellence Eugène Rougon), n'y revenant que pour une incursion dans Germinal. Autant dire tout de suite que ces retrouvailles ont été bien agréables. La lecture de Zola n'a rien d'une punition, le centenaire de sa mort sera peut-être l'occasion de s'en rendre compte.
Dans la langue populaire, le pot-bouille désigne l'ordinaire du ménage, une cuisine peu raffinée, voire le pot-au-feu bourgeois. C'est la marmite où mijotent les restes et les bas morceaux. Dans le roman, les ingrédients sont représentés par les turpitudes de la bourgeoisie du Second Empire, la marmite par l'immeuble de la rue de Choiseul dont tous les occupants sont les personnages de l'histoire (ce qui a fait dire à certains que Pot-Bouille était l'ancêtre de La Vie mode d'emploi). Dès le premier chapitre, on fait connaissance des Josserand (un petit employé et sa femme, acharnée à marier ses filles), des Vabre (propriétaires enrichis par le commerce et bientôt ruinés), des Gourd (concierges), des Duveyrier (bourgeois de robe), des Pichon (petits fonctionnaires), des Campredon (architecte représentant les professions libérales), Octave Mouret traverse les étages et les couches sociales, nous sert de guide dans la société de l'époque. Ce qui gouverne ces gens : deux choses, l'argent et le sexe. Le livre est rempli de coucheries sordides, d'adultères, de basses intrigues pour caser une fille, éviter de payer une dot ou capter un héritage. Le trait de Zola est dur, son ironie féroce, aucun personnage ne trouve grâce à ses yeux, à la notable exception de l'abbé Mauduit dont la foi est le seul élément sincère du roman. Il tire à boulets rouges sur la cupidité, la bêtise, la convoitise qui se cachent sous des masques de respectabilité.
Et puis il y a un deuxième monde derrière la façade, celui qui occupe les cuisines et les mansardes, celui des domestiques. Comme un chœur antique, les bonnes commentent grossièrement les actes de leurs maîtres mais leur univers est sordide : saleté, ignorance, dépravation. L'accouchement solitaire d'Adèle, qui a tout fait pour cacher sa grossesse à ses patrons, est le morceau de bravoure du livre.
Octave Mouret finira par arriver à ses fins en épousant la patronne du magasin Le Bonheur des Dames qui donnera son titre à l'épisode suivant des Rougon-Macquart.
Citation. "- Vous travaillez toujours beaucoup ? demanda M. Josserand.
- Toujours, toujours, monsieur ! répondit le vieillard avec une énergie désespérée. Le travail, c'est ma vie.
Et il expliqua son grand ouvrage. Depuis dix ans, il dépouillait chaque année le catalogue officiel du Salon de peinture, portant sur des fiches, à chaque nom de peintre, les tableaux exposés. Il en parlait d'un air de lassitude et d'angoisse; l'année lui suffisait à peine, c'était une besogne si ardue souvent, qu'il y succombait : ainsi, par exemple, lorsqu'une femme artiste se mariait et qu'elle exposait ensuite sous le nom de son mari, comment pouvait-il s'y reconnaître ?
- Jamais mon travail ne sera complet, c'est ce qui me tue, murmura-t-il.
- Vous vous intéressez aux arts ? reprit M. Josserand, pour le flatter.
M. Vabre le regarda, plein de surprise.
- Mais non, je n'ai pas besoin de voir les tableaux, il s'agit d'un travail de statistique... Tenez, il vaut mieux que je me couche, j'aurai la tête plus libre demain. Bonsoir, monsieur."
Je me reconnais assez dans ce personnage ridicule du père Vabre, et dans son acharnement à mener à bien une œuvre interminable et totalement inutile qui n'est pas sans préfigurer (plagiat par anticipation, dirait-on à l'Oulipo) mes Propos sur l'art peint.

SAMEDI.
Mail. F. parle de son séjour en Bretagne et de Pascal Quignard, récent Prix Goncourt.

Courrier. Je reçois une convocation à l'Assemblée Générale d'Attac 88, une invitation à un vernissage à Illiers-Combray (tiens, si j'y allais en famille ?) et un CD, Les remixes de M. Untel, expérimentations sonores à partir des musiques des films de Jacques Tati.

TV. Rugby. France - Afrique du Sud 30 - 10. Dans l'après-midi, l'Angleterre a battu la Nouvelle-Zélande et l'Irlande l'Australie. La fin (provisoire certainement) de la suprématie de l'hémisphère sud est de bon augure avant la Coupe du Monde 2003.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°85 - 17 novembre 2002

DIMANCHE.
Sortie. Le frère de Caroline nous fait visiter la maison qu'il vient d'acheter à Golbey. Ça sent l'invitation au déménagement.

TV. Six Feet Under. Deux épisodes. Le premier, consacré à la célébration de Noël chez les Fisher (l'épisode de Noël est une sorte de point de passage obligé dans les séries américaines) est un des sommets de la série. Le père, disparu l'année précédente, est présent dans les pensées de chacun qui se matérialisent sur l'écran. Parallèlement, business is business, se déroule la cérémonie funèbre d'un "biker". Tous ses amis, plus distingués les uns que les autres, sont venus lui rendre un dernier hommage. "He always told me his two favorite things were riding his bike and riding me", confie sa veuve éplorée dans un sursaut poétique.

LUNDI.
Mail. Échange avec A. pour convenir d'une date de visite.
J. parle du Fils des Dardenne, me dit du bien du dernier roman de Philip Roth et évoque le phénomène récent des fausses plaques commémoratives (du genre "Ici vécut Philibert Gégout, plombier") qui fleurissent sur les murs de Paris. La chose a été évoquée sur la [listeoulipo] avec un texte de Jean-Pierre Le Goff que je lui transmets.

Itinéraire patriotique départemental. C'est le moment ou jamais de s'y remettre. Direction Bainville-aux-Saules, quatre morts seulement en 14 mais un monument tout de même. Nous avons emporté les vélos, les filles prennent l'air. Journée faste pour ma littérature : je déniche en route trois bistrots désaffectés que je photographie pour mes Bars clos.

Cinéma. Caroline va voir Playtime.

TV. Le Roman de Marguerite Gautier (Camille, George Cukor, USA, 1936 avec Greta Garbo, Robert Taylor, Lionel Barrymore, Henry Daniell, Jessie Ralph).
Paris, XIX° siècle. Marguerite Gautier est entretenue par le baron de Valville mais aime le jeune Armand Duval dont le père s'oppose à cette liaison.
Ce film est un des multiples avatars de La Dame aux camélias, la pièce d'Alexandre Dumas fils dont je ne connaissais que quelques bribes (en gros, elle tousse et elle meurt). George Cukor se montre aussi à l'aise dans le mélodrame qu'il l'est dans la comédie et utilise au mieux le star system de la MGM : Le Roman de Marguerite Gautier est un film pour Garbo, qui domine tant que ses partenaires masculins, Robert Taylor compris, apparaissent bien pâles. C'est aussi, par moments, un film sur Garbo : comme Marguerite Gautier, elle vit dans un monde qui n'est pas le sien, elle est adulée par un entourage bien peu sincère, et la menace de la chute, de la répudiation, de la mort, n'est jamais bien loin. Garbo tournera son dernier film, avec Cukor d'ailleurs, en 1941. Max Ophüls saura se souvenir de Marguerite Gautier (la scène de duel, par exemple) quand il tournera Madame de... avec Danielle Darrieux.

MARDI.
TV. Little Senegal (Rachid Bouchareb, France, 2001 avec Sotigui Kouyaté, Sharon Hope, Roschdy Zem, Karim Koussein Traoré, Adetoro Makinde, Adja Diarra).
Alloune quitte le Sénégal, refait le trajet de ses ancêtres et recherche leurs traces en Amérique.
La quête d'Alloune est un échec. Bien sûr, il parvient à suivre l'itinéraire de ses ancêtres de plantation en plantation, là où ils ont été esclaves, il retrace la généalogie de sa famille. Mais là où il espérait trouver une communauté noire aussi attachée que lui à son passé et aussi respectueuse de ses racines, il découvre avec effroi la jungle de Harlem où le Noir africain est considéré comme trop noir par ses prétendus frères de couleur. La lenteur et le regard stupéfait de l'acteur Kouyaté finissent par devenir pesants et par plomber un film aux intentions louables mais insuffisantes.

MERCREDI.
Mail. Ch. m'envoie des reproches concernant un passage des dernières notules. Je mea culpise. Une demande d'abonnement vient me rasséréner à temps.

PMU. Un quinté dans le désordre assure le financement de mon prochain séjour à Paris.

Big Brother. Installation de caméras de surveillance à la pharmacie, la fauche prenant des proportions inquiétantes.

Presse. Entrefilet du Monde plutôt inquiétant pour qui croit aux bienfaits du sport : "FOOTBALL : Jeff Astle, ancien international anglais, est décédé des suites des nombreux coups de tête donnés dans le ballon pendant ses vingt ans de carrière, a jugé, lundi 11 novembre, un tribunal anglais. Dans les années 1960, à l'époque des ballons en cuir lourd, Jeff Astle, qui jouait à West Bromwich Albion, était un attaquant reconnu pour son remarquable jeu de tête. "En 1997, Jeff Astle a montré des signes de détérioration du cerveau, a expliqué le tribunal dans son verdict. Les traumatismes dans la partie frontale de son cerveau ont probablement eu des conséquences importantes." Jeff Astle est décédé en janvier 2002, à 59 ans, d'une maladie du cerveau. "J'ai trouvé qu'il y avait chez lui des traumatismes au cerveau tels ceux observés chez les boxeurs", a indiqué le docteur Derek Robson, neuropathologiste."

Lecture. Du côté de chez Swann (Marcel Proust, 1913, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade)
Relecture.
Il y a d'abord le plaisir certain de pouvoir se dire, comme les poseurs qui ne l'ont jamais lu une seule fois, "Je relis Proust". Il y a ensuite la certitude, un peu vertigineuse, de savoir que je ne cesserai jamais de le lire et relire, que je retournerai Du côté de chez Swann dès que je serai parvenu au bout de la Recherche et qu'il en sera ainsi jusqu'à ma mort. Proust a tout compris et tout su traduire en mots de l'âme humaine. Quiconque a eu un jour une enfance, un père, une mère et un amour ne peut qu'être ébloui par la justesse et la finesse de ses analyses des sentiments.
Pas question ici pour moi de faire une critique du livre, d'ajouter l'exégèse à l'exégèse, Proust n'étant pas pour moi un objet d'étude mais de plaisir, un monde dans lequel je peux laisser libre cours à mon goût pour l'émotion, la mémoire, le souvenir et la souffrance qui naît de son évocation : "le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas ! comme les années."

Famille. Naissance d'un nouveau neveu, Gaspard Didion, à Lisieux.

Cinéma. Une femme de ménage (Claude Berri, France, 2002 avec Jean-Pierre Bacri, Émilie Dequenne, Brigitte Catillon, Jacques Frantz, Axelle Abbadie, Catherine Breillat).
Jacques vit seul à Paris depuis le départ de sa femme. Il engage une femme de ménage, la jeune Laura, qui va lui redonner goût à la vie.
Le film est tiré d'un roman de Christian Oster qui fait partie, avec Jean-Philippe Toussaint, Tanguy Viel, Laurent Mauvignier et d'autres, de la nouvelle écurie des Éditions de Minuit. Ces auteurs et cette maison ne sont pas réputés pour leur goût pour le romanesque et j'imagine (je ne les lis pas) que si leurs romans, centrés sur le vide, tiennent debout, c'est par le biais de l'écriture, du style. Ici, ça marche aussi, grâce aux interprètes : Émilie Dequenne est merveilleuse de naturel et Bacri, qui connaît son rôle de quinquagénaire bougon sur le bout des doigts, sait s'arrêter juste avant d'en faire trop. En plus, il y a le cadre, la rue de Buci, à deux pas du très perecquien carrefour Mabillon, le carrefour de l'Odéon, l'UGC Danton, le café Danton que j'ai retrouvés avec plaisir. Naturellement, Jacques succombe au charme de Laura qui s'installe chez lui mais ce qui est intéressant, c'est que ça se passe justement de façon naturelle, sans que les grosses ficelles apparaissent.
Ça dure presque une heure, la première moitié du film, avant que le couple ne parte pour un séjour en Bretagne où on assiste, impuissant, au naufrage de leur amour et du film. Berri ne sait pas comment meubler le temps, filme sans conviction des scènes de plage, des balades à vélo, une soirée en boîte au cours desquelles il ne se passe strictement rien. Laura trouvera là, bien sûr, un amour de son âge et Berri nous abandonne là, les fesses dans le sable qui gratte, alors qu'il doit faire si bon à Paris, au mois d'août...

JEUDI.
Courrier. Je reçois le catalogue Frémeaux et Associés, toujours plein de pépites musicales et littéraires, envoie des coupures à Y., à l'Association Georges Perec et à G.N. (un article du Magazine littéraire sur George Whitman, rescapé de la Beat Generation que nous avons vu un jour dans sa librairie du quai de Montebello, Shakespeare and Company).

Visite. H. vient nous faire admirer sa nouvelle prothèse oculaire.

Mail. J'envoie à l'AGP un extrait du Figaro littéraire dans lequel Patrick Besson raconte des âneries sur Perec (engagé pour l'Algérie !).

Compétence professionnelle. Caroline va promener son lumbago dans une formation sur le traitement de la douleur.

TV. Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution (Jean-Luc Godard, France, 1965 avec Eddie Constantine, Anna Karina, Akim Tamiroff, Howard Vernon, Laszlo Szabo)
L'agent secret Lemmy Caution arrive des "pays extérieurs" sur Alphaville. Il se fait passer pour un journaliste et essaie de mettre fin aux visées exterminatrices du savant Von Braun.
Essayer de donner un compte rendu rationnel d'un film de Godard est une gageure à laquelle je ne m'essaierai pas. Vous qui pénétrez dans ce film, abandonnez toute espérance d'y trouver un cheminement logique. On peut tout de même suivre quelques pistes qui ne manquent pas d'intérêt.
Le maître mot, ici, c'est le mélange. Mélange d'influences, de lectures, de genres qui fait se côtoyer Orwell (1984), Bradbury (Fahrenheit 451), pour l'univers futuriste d'Alphaville, Peter Cheyney pour le personnage de détective "hard boiled" dont Constantine endosse toute la panoplie, Jean Ray (un personnage s'appelle Henry Dickson), sans oublier, parce qu'il est cité explicitement, Eluard et Capitale de la douleur, un livre dans lequel les domaines du rêve et de la réalité se confondent. Apparemment, Caution, envoyé sur Alphaville pour éviter la déshumanisation du monde, réussira (comme Eluard) à échapper au désespoir grâce à l'amour.
Les images forment un collage surréaliste baignant dans un univers confiné et nocturne. On y trouve quelques plans inoubliables, les travellings dans les longs couloirs de l'hôtel où Constantine ouvre les portes une à une, repris dans le générique de la défunte émission Cinéma Cinéma à laquelle je dois nombre de couchers tardifs. Et puis, plus inattendu, il y a l'humour : la façon qu'a Lemmy Caution de congédier les importuns d'un "Fous-moi le camp" péremptoire, les scènes de bagarre, les HLM qui sont des hôpitaux de longue maladie, le journaliste envoyé spécial du "Figaro Pravda", une machine automatique qui contre une pièce de un franc délivre un carton "Merci", des citations détournées ("le silence des espaces infinis m'a effrayé")... Dire qu'on se tient les côtes de rire et que Godard est un génie mécompris du burlesque serait sans doute exagéré mais à l'époque il avait encore quelque chose à dire.

VENDREDI.
Bonnes œuvres pataphysiques. Je signe une pétition, parue sur la liste [oulipo], "dans le but d'immortaliser Jean-Pierre Brisset, Prince des penseurs injustement oublié, ancien employé de chemin de fer à Angers, auteur de nombreux ouvrages de grammaire et de philosophie et même de méthodes de français et de natation."

TV. P.J. Ce que j'aime dans P.J., c'est sa superficialité. Dans l'épisode de ce soir maleureusement, les auteurs essaient de donner une profondeur psychologique aux personnages mais ne parviennent qu'à les rendre ridicules.

Cinéma. Insomnia (Christopher Nolan, USA, 2002 avec Al Pacino, Robin Williams, Hilary Swank, Maura Tierney, Martin Donovan, Paul Dooley).
Christopher Nolan s'était fait remarquer avec Memento, un film très intéressant, monté à l'envers, dans lequel chaque scène était éclairée par la suivante qui la précédait dans le temps. Insomnia est plus classique, un bon polar carré avec quelques longueurs, porté par un Al Pacino qui confirme son regain de forme entrevu dans S1m0ne. Il arrive en Alaska à la saison où la nuit ne tombe pas, y passe une semaine dévoré par l'insomnie (le fait que son personnage s'appelle Dormer ne lui est d'aucun secours) qui décompose peu à peu son visage et son jugement des choses. Le cadre est un atout du film, l'Alaska, l'eau partout, les chaos glaciaires, les mines désaffectées, les trains de bois flotté. L'autre atout tient au fait que Robin Williams n'apparaît qu'au bout d'une heure et que Nolan a su à peu près contenir le cabotinage dont il est coutumier.

SAMEDI.
Mail. Je passe la matinée à m'escrimer sur l'ordinateur, pour une manœuvre que je n'ai encore jamais tentée, l'envoi de photos par la voie informatique. J'irais plus vite si j'entreprenais de les reproduire avec un pinceau et une boîte de couleurs. Vivement que l'on invente l'enveloppe, le timbre, la poste, ce genre de choses.

Courrier. Une lettre de B.G., abonnée papier de l'Aveyron.

TV. Rugby. France - Nouvelle-Zélande 20 - 20. les All Blacks se révèlent plus coriaces que les Springboks mais les promesses entrevues samedi dernier sont tenues.

Création littéraire. Je passe le début de la nuit à mettre la dernière main à mon travail sur Nerval. Depuis deux mois, les caciques de la [listeoulipo] s'affrontent sur une épreuve commune, la réécriture sous contrainte du poème El Desdichado de Gérard de Nerval. 101 variations sont déjà parues aux éditions Quintette (anagrammes, palindromes, acrostiches, version latine...) mais le jeu continue et j'ai décidé de m'y essayer en passant le texte au filtre de ma contrainte dite des "homophonies approximatives à caractère géographique". Il ne s'agit pas de faire des vers holorimes (qui se reproduisent son pour son, du genre "Il est ténor mais m'embête/Il est énormément bête"), au contraire, l'approximation fait partie du contrat et ajoute, à mon sens, un peul de sel et d'humour Vermot. Je livre ici mon texte, avec le poème original en regard. En guise de surcontrainte, j'ai essayé d'utiliser le maximum de noms de lieux habités par des connaissances qui, justement, s'y reconnaîtront, et j'ai glissé une allusion à Georges Perec.

El Géographichado

Jœuf Huy Luton Évreux, Elbeuf, Lincoln Solesmes,
Le Raincy Dax Eton Alatyr Eboli :
Marseille Aydoilles Aigues-Mortes, Ay Montluçon Thélème
Puerta del Sol Edward Delhi Milan Cali.

Golan Idhult Ombo, Tacoma Bossolé,
Gand Void Lepreau Philipp Alamor Kigali,
Barfleur Kip Les Étangs Amoncourt Déoulé,
Ailat Rillieux-la-Pape Alamo Thessalie.

Suisse Amou Roubaix Bus ? Lézignan Okhirón ?
Montfrin Pérouse Angkor Dubaï Zolder Achen;
Erevan Douala Gron Tours Magellan Suresnes...

Egée Dreux Foix Winkler Trammer See Lac Huron :
Medellin Toura Toul Sarlat Laredo Fée
Lesse Oubir Dallas Saintes Conakry De la Fé.

Gérardmer Norval

El Desdichado

Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ? Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encore du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la syrène.

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

Gérard de Nerval



Liste des lieux cités, par ordre d'apparition à l'écran :

1. Jœuf : Meurthe-et-Moselle, France; Huy : Belgique; Luton : Angleterre, G.-B.; Évreux : Eure, France; Elbeuf : Seine-Maritime, France; Lincoln : Nebraska, E.-U.; Solesmes : Nord, France.

2. Le Raincy : Seine-Saint-Denis, France; Dax : Landes, France; Eton : Angleterre, G.-B.; Alatyr : Russie; Eboli : Italie.

3. Marseille : Bouches-du-Rhône, France; Aydoilles : Vosges, France; Aigues-Mortes : Gard, France; Ay : Marne, France; Montluçon : Allier, France; Thélème : abbaye, "jouste la rivière de Loyre, à deux lieues de la grande forest du Port Huault", soit approximativement Indre-et-Loire, France.

4. Puerta del Sol : Sonora, Mexique; Edward : île, Ontario, Canada; Delhi : Inde; Milan : Italie; Cali : Colombie.

5. Golan : région, Syrie; Idhult : Suède; Ombo : Mali; Tacoma : Washington, E.-U.; Bossolé : République centrafricaine.

6. Gand : Belgique; Void : Meuse, France; Lepreau : Nouveau-Brunswick, Canada; Philipp : Massachusetts, E.-U.; Alamor : Équateur; Kigali : Rwanda.

7. Barfleur : Manche, France; Kip : Croatie; Les Étangs : Moselle, France; Amoncourt : Haute-Saône, France; Déoulé : Côte-d'Ivoire.

8. Ailat : Israël; Rillieux-la-Pape : Rhône, France; Alamo : Texas, E.-U.; Thessalie : région, Grèce.

9. Suisse : Europe; Amou : Aude, France; Roubaix : Nord, France; Bus : Pas-de-Calais, France; Lézignan : Aude, France; Okhirón : Grèce.

10. Montfrin : Gard, France; Pérouse : Italie; Angkor : Cambodge; Dubaï : Émirats Arabes Unis; Zolder : Belgique; Achen : Allemagne.

11. Erevan : Arménie; Douala : Cameroun; Gron : Yonne, France; Tours : Indre-et-Loire, France; Magellan : détroit, Argentine - Chili; Suresnes : Hauts-de-Seine, France.

12. Égée : mer, Europe; Dreux : Eure-et-Loir, France; Foix : Ariège, France; Winkler : Manitoba, Canada; Trammer See : Allemagne; Lac Huron : Canada - E.-U.

13. Medellin : Colombie; Toura : Russie; Toul : Meurthe-et-Moselle, France; Sarlat : Dordogne, France; Laredo : Texas, E.-U.;
Fée : Eure-et-Loir, France.

14. Lesse : Moselle, France; Oubir : Tchad; Dallas : Texas, E.-U.; Saintes : Charente-Maritime; Conakry : Guinée; De la Fé : Philippines.

Gérardmer : Vosges, France; Norval : Ontario, Canada.

Sources : Petit Robert 2
Atlas routier France Michelin
Grand Atlas Hammond - Larousse
Atlas mondial Microsoft ® Encarta ® 2000

Bon dimanche,

D'.

Rappel. Les numéros précédents des notules sont consultables sur http://pdidion.free.fr

N.B. Possibilité de retard dans la livraison des notules 86.

 

Notules dominicales de culture domestique n°86 - 24 novembre 2002

DIMANCHE.
Collectivité bocal. Caroline et Lucie reviennent d'une expédition en ville avec un nouveau locataire, un poisson rouge baptisé Vermillon, toujours vivant à cette heure.

Itinéraire patriotique départemental. Découverte du monument aux morts de Balléville. Nous en profitons pour prendre une marche dans la forêt (Lucie doit rapporte des feuilles à l'école) mais les coups de fusil qui n'ont pas l'air si lointains que ça nous font vite sortir du bois. Au retour, je fausse-manœuvre en voulant retirer la pellicule de l'appareil photo, offre une partie du film au jour, ruinant ainsi une bonne partie des clichés pour lesquels j'ai parcouru - et fait parcourir aux miens - des centaines de kilomètres. Heureusement, je commence à ne plus me navrer de ce genre de choses, j'accepte petit à petit les pertes et gâchis que trop souvent ma hâte, mon énervement ou ma malhabileté occasionnent. Et le fait d'avoir à commenter des photos toutes blanches ou toutes noires pour mon Itinéraire et mes Bars clos ne me dérange pas vraiment, je n'en suis pas à une incongruité près.

El Géographichado. Alain Zalmanski, de la [listeoulipo] m'apprend que j'ai été plagié par anticipation et me communique une version du poème de Nerval basée sur des homophonies géographiques. Le texte me semble moins bon que le mien (pour la modestie, je ne crains personne) mais la contrainte est plus dure car il ne comprend que des noms de lieux français.

TV. Six Feet Under. Le mariage de Brenda et Nate aura-t-il lieu ? Entre elle qui couchaille avec le premier venu et lui qui a mis une fille enceinte, on peut franchement se le demander.

LUNDI.
Santé. Lucie a la varicelle. Le poisson peut-il l'attraper ? Conjuration anagrammatique de la contagion : La varicelle ? Laver l'Alice...

El Géographichado (suite). En dépit de sa brièveté, je préfère la réaction d'Éric Angelini, autre ponte de la [listeoulipo] à celle de Zalmanski : "Nickel !"

TV. Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures (Claude Lanzmann, France 2001).
Documentaire.
Si j'ai bien compris, l'entretien de Lanzmann avec Yehuda Lerner, qui constitue l'ossature du film, provient du tournage de Shoah en 1979. Le réalisateur ne l'avait pas inclus dans son film fleuve où il était peu question de Sobibor, un camp polonais où périrent 250 000 Juifs. Le fait est que l'histoire de Lerner méritait un film unique car elle constitue un fait unique : un acte de révolte des prisonniers qui réussirent à assassiner une douzaine d'officiers allemands avant de s'enfuir. Lerner faisait partie des prisonniers désignés pour tuer et raconte l'organisation minutieuse de l'événement, toutes les exécutions devant avoir lieu simultanément, au moment désigné par le titre. Le but de Lanzmann est d'aller contre l'idée selon laquelle tous les Juifs auraient marché à la mort sans esquisser un seul geste de révolte. Sobibor illustre, selon lui, la réappropriation de la violence par les Juifs. Son dispositif reprend celui de Shoah, les images de l'entretien, en plan fixe, alternant avec celles des lieux évoqués filmés aujourd'hui.
On préfère le Lanzmann cinéaste au Lanzmann polémiste qui s'emporte et condamne dès qu'un autre que lui s'avise d'évoquer la Shoah, un domaine dont il se veut le gardien exclusif (on le vit même ferrailler là-dessus avec Marcel Ophüls, c'est dire, dans un récent numéro des Cahiers du Cinéma).

MARDI.
Mail. Échange avec G.N. à propos de Truffaut.

Presse. Au tour du Monde de s'intéresser au mystère des fausses plaques commémoratives de Paris.

TV. Nénette et Boni (Claire Denis, France, 1996 avec Grégoire Colin, Alice Houri, Valeria Bruni-Tedeschi, Vincent Gallo)
Marseille. Boni vend des pizzas dans une camionnette. Il est amoureux de sa boulangère. Sa jeune sœur de 15 ans, Nénette, débarque chez lui. Elle est enceinte.
Le film se termine par l'accouchement de Nénette. C'est une délivrance pour tout le monde. Auparavant, Claire Denis aura exploré consciencieusement la charge érotique contenue dans le métier de boulanger, du pétrissage à la mise au four, et assommé non moins consciencieusement le spectateur avec une mise en scène qui se veut innovante et qui n'est que pénible. Heureusement, elle a fait bien mieux depuis avec les mêmes acteurs, Colin dans Beau travail et Gallo dans Trouble Every Day.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un livre de Sophie Calle et deux recueils de mots croisés.

Cinéma. Au plus près du paradis (Tonie Marshall, France, 2002 avec Catherine Deneuve, William Hurt, Bernard Le Coq, Hélène Fillières, Patrice Chéreau, Nathalie Richard, Gilbert Melki, Emmanuelle Devos)
Fanette se rend à New York dans le cadre d'un livre qu'elle écrit sur un peintre mais surtout pour y retrouver Philippe, un ancien amour qui lui a donné rendez-vous au sommet de l'Empire State Building. Elle rencontre Matt, un photographe et ils passent 48 heures ensemble.
Là, Tonie Marshall a pris des risques. Beaucoup plus que pour son surestimé Vénus Beauté (Institut). En plaçant clairement son film sous le patronage de Leo McCarey, elle veut rendre hommage à la comédie sentimentale américaine, prouver qu'on peut encore tourner aujourd'hui des films de ce genre, revendiquer le futile et le mettre en scène à New York après le 11 septembre. De McCarey, je connais surtout les débuts, les films avec Laurel et Hardy et les Marx Brothers et ça fait trop longtemps que j'ai vu Les Cloches de Sainte-Marie pour m'en souvenir. Il y avait un cycle Leo McCarey au début du mois sur TCM, j'ai tout enregistré, notamment Elle et lui, mais la version 1938, pas celle de 1957 avec Cary Grant et Deborah Kerr dont on voit ici plusieurs extraits. C'est dans cette dernière version qu'on trouve la phrase qui donne le titre du film de Tonie Marshall, "the nearest thing to Heaven" qui évoque l'Empire State Building. Le New York qu'elle filme est un New York immémorial, idéalisé. Tout le monde y parle français, comme tout le monde parlait américain dans les films de l'époque qui prenaient Paris pour cadre.
Tonie Marshall prend des risques parce que son film est constamment en équilibre, bâti sur une trame scénaristique si fine qu'il menace à tout moment de tomber dans le vide. L'histoire tient en un vers de bluette sentimentale "If you are not with the one you love, love the one you are with". On frôle la chute, la mièvrerie, le néant mais ça tient debout, on en est tout émerveillé. Et ce en grande partie parce que Catherine Deneuve, dont je ne suis pas un inconditionnel, est une des rares actrices qui puisse supporter d'être comparée aux monstres sacrés hollywoodiens, qui puisse être filmée comme une icône et assumer cette charge, donner une telle densité à une histoire anodine. En face, William Hurt, tout en désinvolture, n'est pas mal non plus. Chapeau.

JEUDI.
Courrier. Envoi de coupures à Y. et à G.N. (toujours à propos de Truffaut, plus un extrait de Libé du jour sur la traduction de la Recherche en anglais).

Cinéma. L'Homme sans passé (Mies vailla menneisyyttä, Aki Kaurismäki, Finlande, 2002 avec Markku Peltola, Kati Outtinen, Anikki Tähti, Juhani Niemelä, Kaija Pakarinen, Sakari Kuosmanen).
Helsinki. Un homme est tabassé à sa descente du train. Il s'enfuit de l'hôpital où on l'a laissé pour mort et tente de reconstruire sa vie : il a perdu la mémoire, jusqu'au souvenir de son nom.
Je n'avais encore jamais vu de film de Kaurismäki, porte-parole du cinéma finlandais à la réputation flatteuse. L'Homme sans passé fait partie de la déferlante cannoise (Grand Prix du Jury et Prix d'interprétation féminine) qui illumine les écrans de cet automne : Assayas, Dardenne, bientôt Bellocchio et Cronenberg, Kitano un jour si on a de la chance.
Après son agression, l'homme s'installe sur le port, dans un conteneur désaffecté, fréquente la soupe populaire de l'Armée du Salut où il tombe amoureux d'Irma, un soldat de l'institution. Kaurismäki dépeint un monde très particulier, celui des laissés pour compte de la société finlandaise où parviennent à émerger les valeurs de solidarité et les sentiments authentiques. Il montre les ravages de la société capitaliste, l'environnement saccagé, les victimes des faillites et des restructurations d'entreprises, la corruption... Mais on n'est pas dans le cinéma social britannique, qui fait de la dénonciation son maître mot, c'est beaucoup plus léger, subtil. Ses personnages sont brisés mais restent des hommes, ils s'habillent en dimanche pour aller à la soupe populaire. Le deuxième point fort est l'humour : l'absence d'identité de l'homme donne lieu à des situations savoureuses et il y a des scènes franchement hilarantes : la conversion au rock'n'roll de l'orchestre salutiste, la plaidoirie chuintante de l'avocat dans un commissariat face à un flic médusé, beaucoup d'autres encore. Un monde et un cinéma à part, très attachants. Et puis j'ai un faible pour l'Armée du Salut, je n'ai raté, en compagnie de GN, aucune prestation du petit groupe qui chaque vendredi soir de l'hiver 1982-83 venait jouer dans un bistrot face à la pharmacie de l'Homme de Fer, à Strasbourg. Nous achetions leur feuille, qui racontait l'histoire du prophète Osée en feuilleton, et nous la lisions en buvant des verres d'edelzwicker...
Un mot sur les interprètes, qui ont des têtes à avoir vécu ailleurs que sur des scènes de théâtre ou sur des plateaux de cinéma, des trognes telles qu'ils ont dû ou vont très bientôt recevoir un coup de téléphone de Jean-Pierre Mocky.

VENDREDI.
Courrier. Encore un CD des musiques des films de Tati, mais assorties de bribes de dialogues cette fois.

Voyage. Départ pour Paris par le 18 h 57 (bus) et le 19 h 36 (train). Pas d'accident sur la voie cette fois, j'arrive à l'heure.

Lecture. Danse avec l'ange (Dans med en ängel, Åke Edwardson, 1997, 2002 pour la traduction française, traduit du suédois par Anna Gibson, éditions Jean-Claude Lattès).
Un jeune Suédois est retrouvé sauvagement assassiné dans une chambre d'hôtel au sud de Londres. Peu de temps après, un meurtre tout aussi sadique est commis à Göteborg. Des indices semblent relier les deux crimes, dont s'occupe le commissaire Erik Winter.
Je me suis fait avoir en beauté par un article louangeur paru dans je ne sais plus quel quotidien et par une quatrième de couverture qui présentaient Edwardson comme un ami de Henning Mankell et son commissaire Winter comme un personnage comparable à Wallander. Seulement, ce n'est pas parce que Chirac est un ami de David Douillet qu'il est un bon judoka et au jeu de la comparaison, Edwardson n'arrive pas à la cheville de Mankell. On retrouve chez celui-là le même souci de dépeindre une Suède devenue hautement criminogène et un personnage de policier qui, à sa modeste échelle, fait tout pour y rétablir un minimum de justice. Winter est plus jeune que Wallander, trente-sept ans, mais n'a pas plus d'illusions. L'histoire est encombrée par un monologue intérieur dans lequel il s'étend de façon creuse sur la signification de son métier. La trame criminelle, encore une histoire de tueur en série et de snuff movie, est dépourvue d'originalité. Edwardson essaie de la renouveler en faisant voyager son personnage de Göteborg à Londres mais ça ne marche pas. Il faut attendre les cinquante dernières pages et la révélation du coupable pour que l'intérêt s'éveille enfin.

SAMEDI.
Vie parisienne. Séance du séminaire Perec à Jussieu (dont toute une aile est détruite pour désamiantage). Annelies Schulte Nordholt, une Batave de l'université de Leyde au physique d'héroïne fitzgeraldienne, intervient sur Un homme qui dort et ses implications autobiographiques mais l'assemblée ne parle que de l'événement du moment : la parution, dans la revue Poésie 2002, d'un article plutôt sordide de David Bellos sur les problèmes sexuels de Perec. Bellos, qui n'était déjà pas en odeur de sainteté au sein de l'Association n'est certainement pas près d'y remettre les pieds. C'est la biographie à l'anglo-saxonne, qui met son nez dans les mouchoirs crottés et renifle les draps souillés.
Je fais un tour à la librairie Dédale sans y trouver la revue incriminée et croûte au Petit Cardinal.
Après-midi studieuse à la Bibliothèque des Littératures Policières, j'épluche des Série Noire pour mon Atlas.

Exposition. Matisse Picasso (Galeries Nationales du Grand Palais).
Les organisateurs ont choisi la confrontation systématique des toiles : autoportrait contre autoportrait, intérieur contre intérieur, nature morte contre nature morte, collage contre collage, pour montrer ce que chacun des deux artistes doit à l'autre. C'est plus intéressant quand ce sont de petits détails qui se répondent : l'amputation d'une épaule de l'Italienne de Matisse et la dissymétrie des épaules de la Femme à l'éventail de Picasso. L'exercice peut sembler forcé car il fait fi des autres influences qu'ont pu connaître les deux artistes. On a beau placer une toile cubiste de Picasso à côté d'un Matisse, c'est à Braque qu'on pense, et à personne d'autre. Cependant, il m'intéresse, j'ai suffisamment traqué la citation dans les œuvres littéraires et cinématographiques pour ne pas m'y intéresser en peinture. De toute façon, on oublie au fur et à mesure des salles de comparer et on se surprend à ne pas toujours gagner au jeu "Qui a peint quoi ?" Les tableaux se débarrassent petit à petit du poids de la comparaison et s'apprécient individuellement. Je retrouve avec plaisir L'Intérieur au violon de Matisse déjà présenté au Grand Palais dans le cadre de l'exposition Méditerranée.

TV. Je regarde le journal télévisé, ce qui m'arrive très rarement. La dernière fois, ce devait être le 11 septembre, et pas celui de cette année. Le sujet de une montre une Anglaise qui gâche du champagne sur un bateau. Si c'est ça l'information la plus importante de la journée, j'aime autant ne pas subir le reste. Je vais voir à la Brasserie de l'Est si la tête de veau est comparable à celle de Caroline (enfin, je m'entends) et me couche tôt.

Bonne semaine.