Notules
dominicales de culture domestique n°67 - 7 juillet 2002
DIMANCHE.
Lecture. On ne s'endort jamais
seul (René Frégni, Denoël 2000).
Antoine vit seul à Marseille avec sa fille de sept ans. Lorsque
celle-ci disparaît un jour à la sortie de l'école,
sa vie s'arrête.
Le livre est dédié, entre autres, à "Jean-Claude
Izzo, abattu de deux cartouches de cigarettes en pleine poitrine".
Si Frégni s'aventure sur les terres du polar, il reste fidèle
à ses thèmes de prédilection : Marseille, la prison,
le désespoir qui s'empare d'un être confronté à
un manque ( jadis l'amante ou la mère, ici l'enfant), l'enfance,
l'amitié (Antoine cherche sa fille avec l'aide d'un caïd du
milieu, copain d'enfance). Seulement, il y a d'habitude dans ses romans
un souffle qu'on cherche ici en vain. C'est comme si Frégni s'était
mis sur ses rails et s'était contenté du minimum syndical.
Une déception.
Jardin. Curiosité : je termine
cette lecture assis sur un fauteuil dans le jardin. Je m'aperçois
que c'est la première fois que j'utilise cet endroit comme un lieu
de détente. Je remédie à ce laissez-aller en taillant
le cognassier du Japon.
TV. Roberto Succo (Cédric Kahn, France, 2001
avec Stefano Cassetti, Isild Le Besco, Patrick Dell'Isola).
Roberto Succo a tué ses parents. Il s'évade du centre psychiatrique
où il est détenu en Italie et entame une odyssée
sanglante en France.
L'aventure de Succo s'est terminée par un suicide en prison en
1988. Je n'ai aucun souvenir de cette histoire, ce qui est assez curieux
car Succo a accumulé les cadavres au long de son parcours. Cédric
Kahn nous dépeint un mythomane (il se prétend un jour policier,
un jour trafiquant, un jour agent secret...) aux réactions imprévisibles,
capable de tuer sauvagement ou de laisser la vie sauve aux personnes qu'il
croise. La bonne idée du réalisateur est d'avoir contrebalancé
la folie de Succo par la placidité et la froide détermination
de l'enquêteur qui le piste, interprété par Dell'Isola.
La traque fait penser à celle du Juge et l'Assassin de Tavernier.
C'est un film passionnant de bout en bout, au rythme soutenu, consacré
à un être insaisissable dans tous les sens du terme.
LUNDI.
Courrier. Première carte postale
de vacances.
Cinéma. Memento mori
(Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, Corée du Sud, 2000 avec Kim Min-sun,
Park Yeh-jin, Lee Young-jin, Kim Min-hee, Gong Hyo-jin).
Une lycéenne découvre le journal intime de deux de ses camarades.
L'une de celles-ci se suicide.
Il m'a fallu un bon bout de temps avant de trouver quelques repères
dans cette histoire. Il y a d'abord les problèmes d'identification
dans les dizaines de jeunes filles en uniforme du lycée (de plus,
l'onomastique coréenne n'est pas un cadeau). Je n'avais pas compris
non plus que le film contenait des retours en arrière qui ajoutent
à la confusion. Une fois l'écheveau à peu près
démêlé, on se trouve face à un film habile,
intéressant mais qui ne peut prétendre être mis sur
le même plan que Virgin Suicides de Sofia Coppola, contrairement
à ce qui a été dit ici ou là.
Memento mori a été présenté au festival
Fantastic'Arts de Gérardmer en 2001. Le fantastique émane
ici d'un objet (ce qu'est un memento mori, en fait) apparemment
banal qui renferme pouvoirs et secrets. Les effets utilisés par
les réalisateurs (image saturée, cadrages insolites) sont
bien mis au service du récit. Les relations entre les jeunes filles,
dans un lycée où on fait tout, apparemment, sauf apprendre,
sont bien traitées et les personnages principaux finissent par
émerger de la masse, heureusement. Il est toujours intéressant
de découvrir des films de nationalités peu répandues
cinématographiquement, de là à crier au chef-d'œuvre,
il y a une marge.
MARDI.
Obituaire. Alain Zalmanski annonce
sur la [listeoulipo] le décès de Claude Berge, mathématicien
et membre fondateur de l'Oulipo, qui apparaît au chapitre LIX de
La Vie mode d'emploi : "Le Comte de Bellerval (der Graf von
Bellerval), logicien allemand disciple de
Lukasiewicz, démontre en présence de son maître qu'une
île est un espace clos de berges"
Devoirs de vacances. Archivage de
papiers administratifs.
Cinéma. Kedma (Amos
Gitaï, Israël, 2002 avec Andrei Kashkar, Helena Yaralova, Yussef
Abu Warda, Juliano Merr, Menachem Lang, Sandy Bar, Tomer Ruso, Moni Moshonov).
Un bateau rouillé, le "Kedma", transporte à son
bord des réfugiés juifs rescapés de la Shoah vers
la Terre Promise. A peine débarqués, ceux-ci sont enrôlés
pour se battre et chasser les Palestiniens qui bloquent la route de Jérusalem.
Gitaï continue à assembler les pièces du puzzle qui
forment l'histoire de son pays. Le problème, c'est que ses films
sont de plus en plus ennuyeux : plans séquences interminables (même
si le dernier est une prouesse technique), longues plages de silence qui
alternent avec des scènes d'un bavardage philosophico-historique
pesant. On est ici à une époque charnière (1947 ou
1948) où se croisent les nouveaux colons qui débarquent,
les Arabes qui fuient et les Anglais qui s'incrustent. Comme dans Kippour,
la guerre est vécue par un petit groupe dans un petit coin du pays
sans que le spectateur soit mis au courant de l'ensemble du conflit et
de le stratégie mise en œuvre. C'est un choix qui est respectable
mais qui ne contribue pas à l'intérêt du film.
MERCREDI.
Classement. Publication des résultats
du concours de pronostics pour la Coupe du Monde à la Croix de
Lorraine : je finis 18° sur 26, ce qui n'est pas très glorieux.
Santé. Rapatriement sanitaire
de Lucie dont la journée à Saint-Jean-du-Marché se
solde par la crise d'asthme habituelle.
Visite. H. nous arrive de Marseille,
couturé comme un vieux pirate. Plaisir de se sentir vivant.
Vide grenier. Nous recevons des futurs
parents, ce qui nous permet de leur repasser un parc, une poussette et
des vêtements pour bébé.
JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
l'AGP (Viridis Candela), à Y. (Le Monde, Le Figaro, Libération,
La Liberté de l'Est), des demandes d'abonnement vacances à
des quotidiens nationaux, un enregistrement radiophonique à A.
TV. Sans famille (André
Michel, France, 1957 avec Joël Flateau, Pierre Brasseur, Gino Cervi,
Bernard Blier, Simone Renant).
Le jeune Rémi est vendu par ses parents adoptifs à Vitalis,
un artiste ambulant. Il s'efforce de retrouver sa mère.
Cette adaptation est conforme à mes souvenirs de lecture enfantine.
Le chien Capi, la harpe, le gilet en peau de mouton, les chapeaux sont
ceux des illustrations de la collection "Rouge et Or Dauphine".
Cependant, je n'ai jamais dû lire le livre jusqu'au bout car les
démêlés londoniens et les retrouvailles finales entre
Rémi et sa mère ne me disaient rien.
Sur le plan cinématographique, on appréciera le fait que
les scènes émotionnellement fortes (la mort du singe Joli
Cœur, celle de Vitalis) soient traitées plutôt sobrement.
La présence d'acteurs connus ajoute au plaisir : Bernard Blier
en Garofoli (un exploiteur d'enfants dickensien) est particulièrement
remarquable.
Lecture. Contrôle d'identité
(Vassilis Alexakis, Éditions du Seuil 1985, nouvelle édition
revue par l'auteur aux Editions Stock, 2000).
Paul Descombes, de son vrai nom Cocovic, est soudain frappé d'amnésie.
La majeure partie de ce lointain roman se déroule dans un appartement
où le patron de Descombes donne une réception.
L'univers baroque, un rien loufoque, rappelle celui des films d'Otar Iosseliani
(Adieu, plancher des vaches), un autre exilé en France. Le charme
que j'avais trouvé aux autres livres d'Alexakis est ici malheureusement
absent. On retiendra seulement un bel épisode au cours
duquel Descombes essaie de deviner qui il est parmi les consommateurs
qui se reflètent dans la glace d'un bistrot.
VENDREDI.
Jardin. Cueillette des groseilles.
Web. Y. m'envoie un beau trio d'aptonymes
exerçant en Côte-d'Or : un Deschamps agriculteur, un Boisson
viticulteur et une Régine Pomade, pharmacienne à Beaune
qui devrait bien s'entendre avec Françoise Cachet exerçant
à Lisieux.
F. est déçu par l'adaptation cinématographique du
Total Kheops d'Izzo.
SAMEDI.
Vie sociale. Nous filet-mignonnons
en compagnie des D. et des P.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°68 - 14 juillet 2002
DIMANCHE.
Détente. Nous passons la journée
à Saint-Jean-du-Marché où nous avons la ferme pour
nous seuls. Le beau temps s'installe au fur et à mesure de la journée.
Lecture. L'Été (René
Frégni, Denoël 2002)
Paul tient un restaurant dans le sud de la France. Il tombe amoureux de
Sylvia, qui vit avec un artiste qui la brutalise.
Encore une histoire de vie qui bascule, de passion cruelle comme Frégni
sait les évoquer. C'est mieux qu'On ne s'endort jamais seul
mais on sent que l'auteur (le lecteur aussi en fait) court après
la magie que possédait son premier roman, Les Chemins noirs,
sans jamais parvenir à le retrouver tout à fait. Ce qui
est dommage et tant mieux à la fois car ça fait des Chemins
noirs un livre vraiment unique.
TV. Palettes : Le Radeau de
la Méduse (Géricault).
Arte et Alain Jaubert ont concocté une nouvelle série de
Palettes pour cet été. Je suis en général
plutôt indifférent à ce qui se passe à la télévision
mais je n'oublie pas que c'est Palettes qui m'a donné le
goût d'en savoir plus sur la peinture, d'aller interroger des tableaux
dans des musées et des expositions, de lire des catalogues, des
livres théoriques (Arasse) et finalement de me mettre à
rédiger mes Propos sur l'art peint. Ce numéro est
captivant. Il faut dire que le fait divers qui sert de motif à
la toile de Géricault est exceptionnel : colonialisme, mutinerie,
incompétence des officiers, cannibalisme, sauvetage miraculeux
sont des ingrédients qui ont amené la population de l'époque
à se passionner pour l'affaire. Il y a a aussi la drôle de
vie de Géricault, qui emprunte à l'hôpital voisin
de son atelier des morceaux de cadavre pour les représenter sur
la toile et qui meurt à 33 ans en tombant d'un cheval après
avoir passé la majeure partie de sa vie à en peindre...
LUNDI.
Courrier. Une carte postale d'Avène-les-Bains.
TV. Un temps pour l'ivresse des
chevaux (Zamani barayé masti asbha, Bahman Ghobadi, Iran, 2000
avec Ayoub Ahmodi, Madi Ekhtiar-dini, Nezhad Ekhtiar-dini).
A la frontière irano-irakienne, Rojine veille sur ses frères
et sœurs depuis la mort des parents. Ayoub cherche à travailler
pour payer l'opération de Madi, au corps atrophié.
Les conditions de vie des habitants du Kurdistan iranien sont épouvantables.
Le seul travail possible est celui de contrebandier : des caravanes s'aventurent
dans les montagnes au mépris du climat, des mines et des embuscades,
pour faire passer des marchandises en Irak. Pour que les chevaux, des
mulets en fait, supportent le voyage et le chargement, on les enivre,
d'où le titre. A partir de là se pose une question qui n'est
pas neuve : comment filmer la misère ? En choisissant une
famille d'orphelins dont l'un est estropié, sans éviter
les gros plans sur le visage de ce dernier, Ghobadi n'en fait-il pas un
peu trop ? D'autant que son film a aussi une nette tendance à esthétiser
la misère (beaux plans des vêtements de couleur vive sur
fond neigeux). Difficile de répondre, tant la réalité
semble atroce...
MARDI.
Lecture. Talgo (Vassilis Alexakis, le Seuil 1982, édition
revue par l'auteur, Fayard 1997).
Eléni, une jeune Athénienne, évoque la fin de sa
liaison avec Grigoris, un Grec installé à Paris.
Je retrouve, après l'intermède raté de Contrôle
d'identité, l'Alexakis que j'aime et qui m'enchante. Il y est déjà
question d'un personnage entre deux pays, la Grèce et la France,
mais curieusement, c'est à une femme qui fut l'amante de cet homme
que l'auteur confie le rôle de narratrice. La magie tient à
la façon de raconter des petits riens, de dépeindre l'atmosphère
des quartiers d'Athènes ou de Barcelone (Talco est le nom d'un
train qui relie Paris à Barcelone), d'analyser les sentiments d'amour
et de désamour. Certaines pages annoncent les œuvres suivantes
d'Alexakis, La Langue maternelle, Paris-Athènes ou
Le Cœur de Marguerite.
Citation : "Il y a environ dix-huit ans que je vis en France, as-tu
dit. Ce n'est pas suffisant pour apprendre le français, mais c'est
suffisant pour oublier le grec. J'ai même oublié où
il faut accentuer certains mots. J'ai tendance à accentuer le mot
électron comme les Français. Je n'ai plus de langue maternelle."
Lecture (bis). La Normandie de
Proust (Nadine Beauthéac et François-Xavier Bouchart,
Éditions du Chêne, coll. Vue sur..., 2001).
Tourisme littéraire.
Trouville, Cabourg, Houlgate, Caen, Bayeux et le mythique Balbec sont
les phares de la Normandie proustienne. Ces lieux sont évoqués
par des citations, issues pour la plupart d'A l'ombre des jeunes filles
en fleurs, accompagnées de photos léchées. Ce
n'est pas d'un grand intérêt mais ça donne envie de
séjourner au Grand Hôtel de Cabourg.
Vie sociale. Nous partageons quelques
produits maritimes avec les H., à la veille de leur accession à
la propriété à Blainville-sur-l'Eau. Le déménagement
à venir sert de prétexte à se débarrasser
d'un lot de polars dont j'hérite.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète un album
de photos sur Rimbaud à Aden, un court récit de Ramuz et
le dernier James Crumley.
Voyage. Nous passons la journée
à Nancy, où Caroline a rendez-vous avec un anesthésiste
en vue d'une intervention à venir. Au Hall du livre, je trouve
la version de Them There Eyes enregistrée par Lester Young
en 1938 et que je cherchais depuis à peu près la même
époque. Je lis Ramuz au Grand Café Foy pendant que Caroline
court les échoppes.
Lecture. Montée au Grand
Saint-Bernard (Charles Ferdinand Ramuz, éditions Séquences,
1931).
Récit de voyage.
Ça faisait un petit moment que j'entends parler de Ramuz et que
j'avais envie d'aller voir ce qu'il en était. Écrivain suisse
francophone, Ramuz doit sa (relative) renommée au lyrisme dont
il fait preuve en exaltant la nature et à une langue naïve
utilisant les idiotismes du patois vaudois. C'est au premier aspect qu'on
a droit ici. Ramuz raconte, pour un hebdomadaire, sa montée au
Grand Saint-Bernard dans une automobile conduite par son éditeur.
Dans une langue très soignée, qui n'a rien de patoisant
(j'ai quand même enfin trouvé l'orthographe du mot mazot
- "l'amas des mazots branlants en vieux mélèze violet"
- qui désigne aujourd'hui l'abri sous lequel sont entreposées
les bennes à ordures collectives en Savoie), il se moque gentiment
des touristes, des frontières, évoque l'histoire du lieu
(on croirait par moment lire une description du tableau Bonaparte
franchissant les Alpes
de Paul Delaroche) raconte les combats entre l'homme et la nature.
Ce qui ne donne qu'une petite idée de l'univers ramuzien qu'il
conviendrait maintenant de voir à travers un récit de fiction.
Courrier. Je reçois ma feuille
de route pour la rentrée prochaine. Le fiasco de cette année
se solde tout de même par une satisfaction : je ne ferai plus que
du français l'an prochain. Autres bonnes choses : pas de charge
de professeur principal, pas d'heures supplémentaires mais deux
ou trois heures d'étude surveillée qui me permettront de
bouquiner tranquillement.
JEUDI.
Nouvelle inspection. J.-C. F., mon
conseiller horticole, vient jeter un œil sur mes plantations et m'apporte
deux Série Noire cartonnés.
Courrier. Un mot de remerciement du
néo-député Heinrich.
J'envoie des nouvelles radiophoniques et des coupures à l'AGP (Les
Cahiers du cinéma), d'autres coupures à Y. (Le Monde, Télérama).
Esprit compétiteur. Je commence
à travailler sur le concours Alexandre Dumas dans Télérama.
Une question me résiste. Je me muscle en manipulant les volumes
du Nouveau Larousse illustré de 1905.
Jardin. Cueillette des cassis.
TV. Le Facteur (Youchai, He
Jianju, Chine, 1995 avec Fang Yuanzheng, Liang Danni, Pu Quanxin, Huang
Xing).
Un jeune postier ouvre certaines des lettres qu'il transporte et tente
de faire le bonheur des gens dont il a surpris les secrets.
On trouvait la même idée de départ dans un fort médiocre
téléfilm avec Henri Génès intitulé,
si mes souvenirs sont exacts, Le Facteur de Foncabrette. On est
loin ici de cette sous-pagnolade et le visage fermé de l'interprète
principal n'est pas fait pour encourager la faconde méditerranéenne.
Pour tout dire, c'est chiant comme la pluie et je n'ai pu résister
aux vertus soporifiques de la chose. Le seul rythme est donné par
les coups de tampon assénés par la collègue du facteur
aux plis que celui-ci est amené à distribuer. Un parti-pris
minimaliste prive le film des scènes de rue qui donnent souvent
du charme aux films chinois (Beijing Bicycle, L'Orphelin d'Anyang),
le décor se limitant ici à un bureau de poste, un appartement
et quelques couloirs d'immeubles sinistres.
VENDREDI.
Vie sociale. Bonne soirée avec
H. et S. autour de quelques saucisses de Montbéliard (beaucoup
moins parfumées que la Morteau).
SAMEDI.
Mail. Échange intéressant
sur la [listeperec] à propos des figures de rhétorique contenues
dans Quel petit vélo à guidon chromé au fond de
la cour ? Ce qui me fait penser que je n'ai même pas de Gradus,
et que le Dictionnaire de rhétorique de Georges Molinié
que je possède ne m'a jamais vraiment satisfait. Une lacune à
combler d'urgence.
Téléphone. Des nouvelles
de mon frère lexovien et de J. qui s'apprête à partir
en vacances en Corse. J'ai l'impression que si nous partions nous aussi
en Corse, nous ne pourrions faire un pas sans tomber sur une connaissance.
TV. Un jeu d'enfants (Laurent
Tuel, France, 2001 avec Karin Viard, Charles Berling, Ludivine Sagnier,
Camille Vatel, Alexandre Bongibault).
Marianne reçoit la visite d'un frère et d'une sœur qui ont,
enfants, habité l'appartement parisien qu'elle occupe avec sa famille.
A partir de ce jour, le comportement de ses enfants lui semble étrange.
Une tentative de fantastique à la française qui recèle
quelques qualités. On y trouve un argument qui évoque Les
Autres d'Alejandro Amenabar et le désir de profiter d'une vague
de succès inaugurée par Sixième sens et Harry,
un ami qui vous veut du bien. La clarté n'est pas la principale
vertu du film mais c'est la loi du genre.
Certaines scènes sont vraiment inquiétantes et Karin Viard
joue avec une conviction de bon aloi.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°69 - 21 juillet 2002
DIMANCHE.
TV. Le Silence est d'or (René
Clair, France, 1947 avec Maurice Chevalier, François Périer,
Marcelle Derrien, Dany Robin).
A Paris, en 1906, Émile Clément dirige un petit studio de
cinéma muet. Il recueille Madeleine Célestin, dont il a
jadis aimé la mère. Sa tendresse pour elle se change bientôt
en amour, mais il est concurrencé sur ce terrain par Jacques Francet,
un jeune acteur qui est aussi son ami.
Le petit monde de René Clair est un enchantement. Le milieu du
cinéma muet, dans lequel il a débuté, le Paris populaire
du début du siècle dernier (puisqu'il faut bien l'appeler
ainsi désormais), les petits métiers, les chanteurs des
rues (comme Albert Préjean dans Sous les toits de Paris),
sont dépeints avec tendresse. Ce n'est pas sans raison qu'on a
parlé de l'influence de René Clair à propos d'Amélie
Poulain. L'intrigue sentimentale est d'une banalité totale, une
rivalité amoureuse entre un homme d'âge mûr et son
jeune ami, mais bénéficie d'une interprétation parfaite
: François Périer, récemment disparu, commence à
s'affirmer, Maurice Chevalier accepte enfin de jouer des rôles de
son âge (59 ans tout de même) et Marcelle Derrien, dont la
carrière fut météorique, forment un trio d'un charme
redoutable. La musique de Georges Van Parys, avec la chanson Pour les
amants c'est tous les jours dimanche, complète le tableau,
en tout point charmant.
LUNDI.
Organisation. Les heures du petit
matin, les seules où l'on trouve fraîcheur et solitude, sont
trop précieuses pour que j'en gaspille une minute. Après
deux semaines de grasse matinée (relative, jusqu'à 6 heures
30), je remets le réveil en service. Seulement, je suis en vacances :
je le règle sur 5 heures 51, au lieu des 5 heures 50 habituels
en période scolaire.
TV. 15 Août (Patrick
Alessandrin, France, 2001 avec Richard Berry, Charles Berling, Jean-Pierre
Darroussin).
Trois copains débarquent à La Baule où leurs familles
sont en vacances. A l'arrivée, ils constatent que leurs trois épouses
ont quitté la maison.
Trois hommes qui se retrouvent brusquement sans femme, avec maison et
enfants à charge, donnent immanquablement lieu aux mêmes
situations convenues : les problèmes avec les appareils ménagers,
la cuite virile qui se termine en dispute, les tentations extra-conjugales,
les ennuis causés par les enfants. Le catalogue est ici récité
sans un seul oubli, sans une once d'imagination ou d'originalité
pour aboutir à un dénouement tout aussi conventionnel avec
le retour au bercail des trois fugueuses. Un film tout à fait réac
et macho, qui donne toutefois l'occasion de sourire par moments grâce
à l'interprétation parfaite de trois acteurs en forme, dont
Berling dans un registre éloigné de ce qu'il fait d'habitude.
MARDI.
Cinéma. Cravate Club
(Frédéric Jardin, France, 2002 avec Charles Berling, Édouard
Baer).
Bernard et Adrien sont amis et associés dans un cabinet d'architecture.
Le soir des 40 ans de Bernard, Adrien refuse son invitation, prétextant
un dîner à son club. C'est le point de départ d'une
brouille sérieuse.
Il s'agit de l'adaptation d'une pièce de théâtre due
à Fabrice Roger-Lacan (à qui on doit le scénario
des Frères Sœurs, le film précédent de Jardin,
plutôt réussi), exercice d'autant plus périlleux (on
se souvient du ratage complet du Quadrille de Valérie Lemercier
d'après Guitry) qu'elle ne met en scène que deux personnages.
On voit bien quelques silhouettes dans le film mais elles sont muettes,
la parole est l'apanage exclusif de Bernard et Adrien. L'essentiel du
film se déroule dans le cabinet des deux amis, que le décorateur
a pris soin de concevoir assez vaste pour permettre les déplacements
des acteurs. Ce qui ne suffit pas à donner du rythme à la
chose : les dialogues sont trop écrits, trop raides pour sembler
naturels, même s'ils sont énoncés en mouvement ou
dans des téléphones portables. On s'ennuie donc pendant
un bon moment, jusqu'à ce que les personnages acquièrent
enfin une certaine épaisseur via la crise qu'ils traversent. Petit
à petit, l'amitié se transforme en méfiance, puis
en haine. Le propos, pas inintéressant, est de savoir la superficie
du jardin secret que l'on peut entretenir dans une relation, quelle est
la part qu'on livre aux autres et celle qu'on se garde. Grâce au
talent des acteurs (même si Baer me gêne dans la mesure où
son visage porte trop l'estampille "Je suis un produit Canal +")
on finit conquis. Un détail : on s'amuse aussi beaucoup à
voir ces deux architectes travailler seuls, sans même l'apport d'une
secrétaire, et mener à bien des projets de la taille de
la Maison de la Radio ou du Stade de France.
MERCREDI.
TV. Les Fous du roi (All
the King's Men, Robert Rossen, USA, 1949 avec Broderick Crawford,
John Ireland, Mercedes McCambridge).
Willie Stark se lance dans la politique en dénonçant la
corruption. Elu gouverneur de l'État, il ne tarde pas à
tomber dans les travers qu'il combattait.
L'univers politique décrit par Robert Rossen est sans espoir, à
partir du moment où un homme qui démarre avec des visions
saines et honnêtes devient rapidement aussi corrompu que ses collègues
(ce qui fait de ce film l'antithèse du Mr Smith au Sénat
de Frank Capra). On se demande l'effet qu'a pu avoir le film sur les membres
de la commission McCarthy, créée deux ans plus tôt.
Le propos du cinéaste est on ne peut plus noir, plutôt courageux
dans le contexte de l'époque, même si on peut se demander
la part de courage qu'il faut pour clamer "Tous pourris"...
Les affaires de corruption décrites sont assez compliquées
mais le film est mené à un train qui, malgré le contexte,
n'est pas celui d'un sénateur et servi par des interprètes
de second rang mais convaincants.
JEUDI.
Courrier. J'adresse des coupures et
des nouvelles radiophoniques à l'AGP (Le Figaro, la nécro
de Claude Berge dans Le Monde), des coupures à Y. (Le Monde, Le
Figaro) et à F. (Le Monde), un chèque de réservation
au Théâtre du Peuple de Bussang.
Esprit de compétition. J'épluche
Les Trois Mousquetaires (Édition Alexandre Dumas illustré,
chez A. Le Vasseur et Cie, Paris, illustrations de Maurice Leloir, sans
date mais apparemment du début des années 1900) à
la recherche des réponses au concours Dumas de Télérama.
Cinéma. Mulholland Drive
(David Lynch, USA, 2001).
Voir
notules n° 39
Revu six mois après sa sortie, Mulholland Drive n'en paraît
pas plus clair mais n'a rien perdu de son charme ni de son éclat.
On gagne d'ailleurs à le revoir en sachant qu'il est inutile d'y
chercher un sens logique (l'imbroglio final des identités est toujours
aussi déroutant), ce
qui permet de goûter sa beauté cinématographique pure.
Le monde lynchien, sorte de kaléidoscope des fantasmes du réalisateur,
est somptueux, magnifiquement illustré par la musique d'Angelo
Badalamenti.
VENDREDI.
Radio. Surprise au journal de 7 heures
de France Culture : j'y entends FPP, un copain perdu de vue chez qui j'ai
passé à plusieurs reprises des vacances qui sentaient plus
le muscadet que l'iode quand il travaillait au Croisic. J'apprends qu'il
est maintenant à Malakoff, et il est interviewé sur les
centres d'enfermement pour mineurs que le gouvernement va remettre à
l'honneur.
Courrier. Une carte postale des G.,
de passage à Saint-Tropez où nous les rencontrâmes
en avril dernier.
Vie sociale. Nous sommes invités
à croûter chez les P. qui veulent nous faire admirer leur
nouvelle piscine. Encore des gens qui ne lisent pas les statistiques sur
les accidents domestiques.
SAMEDI.
TV. Palettes : L'Atelier au
mimosa, Pierre Bonnard.
Alain Jaubert transforme un tableau d'apparence anodine (un paysage vu
par la verrière de l'atelier du peintre) en une réflexion
mallarméo-proustienne sur le temps et la mémoire, la vie
intérieure et le monde extérieur. Sidérant.
Bon dimanche.
Pré-notules
dominicales de culture domestique n°70 - 27 juillet 2002
DIMANCHE.
Exil. Il s'agit de quitter la ville
rapidement avant d'être envahis par les ahanants du Triathlon des
Images qui galopent sur notre paillasson. Direction Saint-Jean-du-Marché
où nous festoyons avec les reliefs laissés par le député
Heinrich, convié la veille.
TV. Apparences (What Lies
Beneath, Robert Zemeckis, USA, 2000 avec Harrison Ford, Michelle Pfeiffer,
Diana Scarwid, Joe Morton).
Claire est mariée à Norman Spencer, un brillant chercheur.
Des phénomènes étranges apparaissent dans la maison
du Vermont où ils viennent d'emménager. Claire est persuadée
que leur voisin a tué sa femme.
La musique est un démarquage, dans les moments de tension, de la
partition composée par Bernard Herrmann pour Psychose et certains
plans de Claire observant à la jumelle la maison voisine font écho
à Fenêtre sur cour. Malgré ces références
un peu trop évidentes, on est loin de Hitchcock. Pour en arriver
à une dernière demi-heure vraiment haletante où Harrison
Ford se révèle aussi indestructible que Robert De Niro dans
la version de Scorsese des Nerfs à vif, il faut en passer
par une mise en place du récit plutôt longuette. On touche
là à une différence de plus en plus évidente
entre les films américains et les films français ou asiatiques
qui tient à la prise en compte du spectateur. Dans les premiers,
on prend son temps pour bien mettre les situations et les personnages
en place, dans les seconds, on se contente d'allusions, d'effleurements,
de plans fugitifs, on multiplie les ellipses. Ce qui rend les uns parfois
trop simples et les autres souvent trop complexes. C'est comme si le cinéma
américain sous-estimait son spectateur, le pensait incapable de
cheminer dans un film sans qu'on le tienne par la main, et comme si le
cinéma français ou asiatique considérait que le spectateur
doit être capable de se débrouiller sans aide, de construire
l'histoire à partir d'indices épars, ce qui est parfois
- pour moi tout au moins - trop lui demander.
LUNDI.
Jardin. Arrachage des épices.
Lecture. Le Rouge et le Noir
(Stendhal, 1830, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade).
Relecture.
C'est certainement la dernière fois que je lis Le Rouge,
alors que j'ai encore l'intention de reprendre L'Éducation
et la Bovary avant ma fin. C'est comme ça, la froideur de
Stendhal et de son Julien Sorel ne m'enchantent guère. Quel beau
personnage, cependant, partagé entre son ambition qui est de prendre
sa revanche sur une époque qui l'a fait naître pauvre, et
sa passion pour deux femmes, Mme de Rênal et Mlle de la Mole....
Quelle belle construction, quasi palindromique : le père - Mme
de Rênal - Mathilde - Mme de Rênal - le père, qui est
le dernier à le visiter dans sa prison... Mais aussi, quel ennui
devant le carrousel sentimental (elle l'aime/il l'aime; elle l'aime/il
ne l'aime plus; elle ne l'aime plus/il l'aime; ils ne s'aiment plus, et
ça repart pour un tour) et surtout devant ces intrigues politico-religieuses
qui m'ont rappelé la souffrance éprouvée pour venir
à bout des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand.
Remarques en passant.
1. On sait que La Chartreuse de Parme fut écrit en 53 jours.
Ici, le prince Korasoff donne à Julien 53 lettres à recopier
pour séduire la maréchale de Fervaques. Qui, à la
manière de Bernard Magné au sujet du 11 et du 43 chez Perec,
s'attaquera un jour au 53 chez Stendhal ?
2. J'aime beaucoup les litotes empreintes de laconisme qui suivent les
moments où Julien a réussi à coucher avec les deux
femmes qu'il a séduites. Après la première nuit avec
Mme de Rênal, ça donne : "Quelques heures après,
quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût
pu dire, en style de roman, qu'il n'avait plus rien à désirer."
Et au sujet de la nuit avec Mathilde de la Mole : " Après
de longues incertitudes (...) Mathilde finit par être pour lui une
maîtresse aimable."
3. Un mot sur l'édition de la Pléiade qui date de 1952 et
qui mériterait un bon coup de plumeau tant l'introduction d'Henri
Martineau paraît datée.
Préparatifs de départ.
Vérification du matériel de pêche.
Courriel. GN a déménagé,
passant de la rue Saint-Antoine à la rue Saint-Dominique.
Cinéma. Marie-Jo et ses
2 amours (Robert Guédiguian, France, 2001 avec Ariane Ascaride,
Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Julie-Marie Parmentier,
Jacques Boudet).
A Marseille, une femme ne peut se résoudre à choisir entre
son mari et son amant.
Question : faut-il tout pardonner à Robert Guédiguian, tout
lui laisser passer ? Ce qui est en cause ici est le final, mélodramatique
à la puissance 10, sur le kyrie d'une messe de Mozart, qu'il
nous offre. On sait que le réalisateur, quand il s'agit de manier
le symbole, n'y va pas avec le dos de la truelle, voir le final, là
aussi, de La Ville est tranquille avec le petit pianiste. Pour
ma part, je serais enclin à tout accepter. Les personnages qu'il
présente ont désormais une profondeur humaine incomparable.
Ce sont des gens qui ont vécu avant de se poser sur une toile de
cinéma, le fait de voir Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet vieillir
avec nous de film en film ajoute à l'intérêt et à
l'implication ressentis. Guédiguian construit mine de rien sa petite
Comédie humaine, sa galerie de personnages. On le voit progresser
de film en
film depuis Marius et Jeannette. Il se met ici à filmer les corps
et non plus seulement les visages, et c'est très beau. L'émotion
est bien sûr omniprésente, au sommet dans la scène
où Marie-Jo s'excuse et s'explique auprès de sa fille (Julie-Marie
Parmentier).
MARDI.
Escapade. J'arrive à Paris
peu avant midi. Depuis le bus, j'aperçois les parasols bleus de
l'opération Paris-plage, près de l'Hôtel de Ville.
Chez Gibert, je trouve un Gradus d'occasion. Avant l'ouverture de la Bilipo,
j'ai le temps d'aller rue de Tournon, face au Luxembourg où se
trouve l'Institut français d'architecture. L'architecture est un
sujet d'intérêt récent pour moi, né de l'écoute
des excellentes émissions de François Chaslin sur France
Culture le mercredi matin. L'Institut accueille une exposition intitulée
La ville en Tatirama. Beaucoup de photos des films du grand Jacques et
les études graphiques de son collaborateur artistique Jacques Lagrange.
Ironie : les Parisiens découvrent aujourd'hui ce que nous avions
vu l'été dernier à Ahun, microscopique chef-lieu
de canton de la Creuse, où l'Office du Tourisme organisait une
exposition sur Jacques Lagrange. Rien de nouveau pour moi, donc, si ce
n'est une belle maquette de la villa de Mon oncle. Je fais mon
PMU au Tabac de la Mutualité, grignote un sandwich devant la pharmacie
des Écoles et travaille sur mon Atlas à la bibliothèque
le reste de la journée.
Cinéma. Playtime (Jacques
Tati, France, 1967 avec Jacques Tati, Barbara Dennek, John Abbey, Yves
Barsacq, Valérie Camille, Jacqueline Lecomte, Reinhardt Kolldehoff,
Billy Kearns) à l'Arlequin, rue de Rennes.
M. Hulot se rend à Paris où il a rendez-vous pour raisons
professionnelles. Sur son chemin, il va croiser un groupe de touristes
américaines, un copain de régiment....
J'avais vu ce film il y a fort longtemps à la télévision
et l'expérience m'avait semblé plutôt pénible.
Aujourd'hui, c'est autre chose avec une copie 70 mm restaurée et
une connaissance cinématographique accrue qui ne me fait plus considérer
Tati comme un auteur exclusivement comique. A l'époque, je ne cherchais
que le gag, or, si le gag est présent, il n'est pas l'élément
sur lequel le film est bâti. Playtime fut un film pharaonique,
qui engloutit des sommes colossales et laissa Tati exsangue. Mais contrairement
à la légende, Playtime ne fut pas un échec
et Playtime n'est pas un film raté. L'histoire dit par exemple
que quelqu'un fut dépêché aux États-Unis rien
que pour y trouver les chapeaux des touristes américaines. Eh bien
quand on voit le plan des deux groupes de touristes chapeautées
qui se croisent sur
un escalator ou, plus tard, la tablée des mêmes touristes
au restaurant, on sait que Tati a vu juste, qu'il fallait ces chapeaux-là
et pas d'autres.
Dans Playtime, Tati organise l'espace. Espace froid et vide de
l'aéroport et de l'immeuble de bureaux, espace saturé de
bruit et de personnages du restaurant. Dans cet espace, il se passe quelque
chose aux quatre coins de l'image (le format inhabituel permet une profondeur
de champ exceptionnelle) comme dans les tableaux de Jérôme
Bosch ou dans les immenses photos d' Andreas Gurski, et le spectateur
est incapable de tout saisir. En ce sens, c'est la richesse du film qui
déroute, de même que la bande son qui capte tous les bruits
(les différents bruits de chaussures par exemple) au détriment
de la clarté des dialogues - mais on est habitué à
ça depuis Jour de fête.
Tout a été dit sur le côté prémonitoire
du film, du point de vue sociologique et architectural. La trilogie verre-marbre-acier
des immeubles, l'omniprésence ridicule d'un anglais d'arrière-cuisine,
la déshumanisation de l'habitat, du monde du travail (les employés
filmés comme des souris de laboratoire dans un labyrinthe), l'uniformisation
de l'environnement, la standardisation des objets (toutes les voitures
sont des Simca), l'artificialité des relations humaines, tout cela
était en quelque sorte visionnaire. Heureusement, là-dedans
il y a Hulot, qui, comme dans Mon oncle, apporte la touche de poésie,
d'imprévu et d'authentique, le seul être vivant en somme
mais bientôt appelé à se fonder dans la masse, comme
le montrent les sosies du personnage qui apparaissent dans quelques scènes.
MERCREDI.
Flânerie. Aux Galeries Lafayette
(que j'avais dû toujours arpenter le nez au sol car ce n'est qu'aujourd'hui
que je remarque la splendeur de la coupole), un couple indien achète
des fournitures scolaires. Ils en sont déjà à 253
euros quand ils s'aperçoivent qu'ils ont oublié d'acheter
le sac. Le père sort son téléphone de poche et demande
à son écolier de fils s'ils préfère un modèle
Eden Park ou, plus sobre, un Nike. J'achète derrière eux
un agenda à 9 euros pour Lucie. "Avec mon p'tit cadeau j'avais
l'air d'un ..." (air connu). Un peu plus loin, une Japonaise campée
devant une porte en verre on ne peut plus commune, le genre qu'on tire
ou qu'on pousse, attend patiemment son ouverture automatique : c'est Playtime
qui continue...
Cinéma. Lantana (Ray
Lawrence, Australie, 2001 avec Anthony LaPaglia, Barbara Hershey, Geoffrey
Rush, Kerry Armstrong, Rachel Blake, Glenn Robbins, Vince Colosimo, Daniela
Farinacci, Leah Purcell) à l'UGC Opéra, boulevard des Italiens.
Sydney. Leon, policier, la quarantaine, deux enfants, trompe sa femme
Sonja. Celle-ci s'en ouvre à la psychologue qu'elle consulte, Valerie.
Valerie disparaît à la suite d'un accident de la route. Leon
est chargé de l'enquête et s'aperçoit que sa femme
est au courant de son aventure. Il soupçonne le voisin de sa maîtresse
d'avoir tué Valerie.
Trois couples, voire quatre, sont aux prises dans cette histoire. Valerie
et son mari, la maîtresse de Leon et son mari qu'elle vient de chasser,
Leon et sa femme, les voisins de Valerie. Chacun des personnages semble
à un tournant de sa vie affective, Leon le premier. Leurs destins
se croisent, ils font un bout de chemin l'un avec l'autre ou l'un contre
l'autre et auront trouvé, à la fin de la crise racontée
par le film, une situation de compromis que l'on sent fragile. Ces tranches
de vie sont traitées avec une grande finesse par un Australien
(je sais, ça peut surprendre) inconnu. L'intrigue policière
a valu au film un prix au Festival de Cognac mais Lawrence, là
non plus, n'enfonce pas le clou : le suspense est là, il titille,
il agace, mais il n'écrase pas. Belle performance d'Anthony LaPaglia,
l'interprète de Leon. Je
suis inquiet pour la carrière du film qui méritait plus
que la présence de deux spectateurs (moi inclus) pour sa sortie...
Flânerie (suite). Je croûte
d'un jambon-beurre au Royal-Jussieu et passe l'après-midi à
la Bilipo. Je remonte la rue Monge que j'aime beaucoup (petits commerces,
large rue en pente, beaux immeubles où je rêve de m'embalconner),
bois mon thé place Monge face à un square tranquille et
rentre at home.
Lecture. Quelqu'un d'autre (Tonino
Benacquista, Gallimard, nrf, 2002).
Deux hommes font connaissance à l'occasion d'une partie de tennis.
Ils vont boire un verre dans un café et se donnent rendez-vous
au même endroit trois ans plus tard. Au cours de ces trois années,
chacun va essayer de devenir "quelqu'un d'autre".
On pouvait redouter, à propos de Benacquista, le syndrome qui frappe
les auteurs de polar qui, soucieux de respectabilité ou d'autre
chose, quittent les collections noires pour s'engager sur les voies de
la "vraie" littérature. Syndrome qui, entre autres, a
condamné Picouly à l'insignifiance et Pennac au ressassement.
Bonne surprise : Benacquista ne s'en tire pas mal du tout. Bien sûr,
il s'est bien assagi depuis Les morsures de l'aube mais il a gardé
son talent pour camper des personnages et des intrigues dignes d'intérêt.
L'écriture, très léchée, et la thématique
(le changement d'identité) font penser aux romans de Boileau-Narcejac
(D'entre les morts ou Les louves par exemple). Un des personnages,
Thierry Blin, va devenir détective privé, l'autre, Nicolas
Gredzinski, fera fortune comme inventeur tout en sombrant dans l'alcool.
La construction est très simple, un chapitre pour chacun des deux
hommes en alternance jusqu'à l'épilogue qui les réunit.
C'est passionnant de bout en bout, il y a là comme chez Houellebecq
dans un autre genre (quoique l'on peut trouver un même regard sur
les relations humaines, dans le monde du travail notamment) un je-ne-sais-quoi
qui fait qu'on ne peut lâcher le livre avant d'en avoir terminé
la lecture.
Citation : "Il gardait en mémoire ce jour où il était
arrivé juste à l'heure du biberon chez un couple d'amis
fiers de présenter au monde leurs jumeaux. L'un d'eux était
colérique, fébrile à l'idée de téter;
de peur de déclencher des hurlements, sa mère le nourrissait
en priorité. L'autre, timide, retenu, attendait son tour en silence.
Nicolas y voyait une métaphore universelle : les emmerdeurs passeraient
toujours les premiers."
JEUDI.
Préparatifs. Rédaction
des listes pour les vacances et découverte des programmes d'été
de France Cul qui recèlent une bonne surprise : la chaîne
va rediffuser en feuilleton l'adaptation de La Montagne magique,
le livre que j'ai l'intention d'emporter. Passage de Ch. qui repart avec
un transat, un chauffe-biberon et un stérilisateur.
Fractales. Cuisson et dégustation
du premier chou-fleur du jardin. J'arrive aussi à grappiller quelques
haricots mais, comme le veut la tradition, la majeure partie des légumes
sera à maturité parfaite au cours de notre absence.
Courrier. Afflux de cartes postales
: Aveyron, Avignon, Gironde, Corse. Imperméable à tout exotisme,
j'adresse, imperturbable, mes sempiternelles coupures à l'AGP (Le
Magazine littéraire), N. (idem), Y. (Le Figaro, Le Monde, Libération,
Madame Figaro) et J. (Le Monde).
Web. Message de D.R. qui a lui aussi
apprécié le numéro de Palettes consacré
au Radeau de la Méduse. Exceptionnellement, j'entame la
rédaction des notules qui, départ en vacances oblige, doivent
être livrées en avance.
Lecture. La contrée finale
(The Final Country, James Crumley, 2001, Gallimard 2002 pour la
traduction française de Philippe Garnier, coll. La Noire).
Milo Milodragovitch a quitté son Montana pour s'installer au Texas.
Pour blanchir son argent sale, il s'est acheté un bar et a repris
une licence de privé. Dans un bar d'Austin, il entre en collision
avec un Noir gigantesque qui vient de flinguer le gérant du lieu.
Les flics locaux débarquent, et Milo est bien décidé
à retrouver le grand Noir avant eux pour lui faire éviter
le couloir de la mort.
Le début est le même que celui d'Adieu ma jolie de
Raymond Chandler où Marlowe tombe aussi sur un géant qui
va l'entraîner dans des histoires d'une complexité redoutable.
Chandler n'a jamais été réputé pour la clarté
de ses intrigues et sur ce plan tout au moins, Crumley n'a rien à
lui envier. Ce n'était pas un obstacle à son Canard siffleur
mexicain qui recelait une énergie formidable. Ce n'est pas
le cas ici malgré les incessants rebondissements de l'enquête
de Milo qui rebondit de femme fatale en politicien véreux sans
que le lecteur se sente impliqué ni même intéressé.
C'est long, obscur, ennuyeux, mais Crumley n'est pas le seul coupable.
J'aimais beaucoup Philippe Garnier quand il écrivait ses articles
sur Los Angeles dans Rock & Folk, j'ignore ce que vaut la biographie
de David Goodis qu'il a écrite il y a quelques années mais
il faut bien dire ici que sa traduction ne vaut pas tripette. D'emblée,
l'incipit laisse présager le pire : "C'était tard en
novembre juste au bord de ce qu'on appelle le Hill Country, mais je n'avais
pas mis longtemps à apprendre que par ici les choses ne sont jamais
exactement tout à fait ce qu'elles paraissent." Pourquoi pas
"exactement tout à fait précisément" du
temps qu'on y est ? On peut mettre le "Cette fille que vous
avez mentionné" sur le dos du correcteur (p.118) mais les
"terres arides asphyxiées de broussaille et perclues (pour
percluses) de ravins" sont assez gênantes (p.186). Garnier
n'a pas une attitude claire par rapport aux anglicismes qu'il souhaite
conserver : il nous parle du "vert" d'un parcours de golf (p.146)
alors que tout le monde sait ce qu'est un "green" dans ce contexte,
mais n'hésite pas à mentionner sans même un note explicative
un "bail bondsman" des plus obscurs (p.181). Mieux encore, son
indétermination nous donne une "ampoule de twilight sleep"
(p. 269) qui devient quatre pages plus loin une "dose de sommeil
du crépuscule". Quant aux tournures telles que "Je crois
qu'ils sont mauvais après moi" (p.195); "Une fois fini
de faire
le larbin ce premier matin" (p.285) ou "deux steaks valant la
peine de mourir pour" (p.341), n'importe quel étudiant de
première année d'anglais peut toujours essayer de les coller
dans une version s'il a le goût du risque.
VENDREDI.
Courrier. Je m'amuse beaucoup à répondre à
un courrier comminatoire de la société Wanadoo qui n'a pu
se payer son dernier prélèvement (une banale histoire de
carte bancaire arrivée à expiration, ce que j'avais signalé
en temps utile).
Radio. Fin du feuilleton Les Thibault
d'après Roger Martin du Gard que France Cul diffusait depuis le
mois de mai. Je suis si content d'avoir réussi à enregistrer
53 épisodes sur 60 que je rate le dernier.
Préparatifs. Séance
chez le coiffeur, après celle chez le dentiste la veille. Mes dents
tombent moins vite et en moins grand nombre que mes cheveux, ce qui est
esthétiquement très rassurant. Je vais laver les autos,
range la piscine dégonflable, arrose une dernière fois les
végétaux, rédige les notules, consulte l'itinéraire,
trouve les réponses au concours Alexandre Dumas de la semaine (facilement,
elles sont presque toutes dans l'introduction du volume de la Pléiade
contenant Le Comte de Monte-Cristo que je lis depuis un bon moment),
téléphone aux propriétaires du gîte, appelle
ma mère pour la sainte Anne, prépare une fournée
de croque-monsieur pour manger demain sur la route, parviens à
me servir pour la première fois de mon scanner, un an après
l'avoir acheté.
Bonne fin de semaine.
N.B. Le numéro 71 des notules sera daté du 11 août.
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