Notules dominicales 2002
 
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Notules dominicales de culture domestique n°67 - 7 juillet 2002

DIMANCHE.
Lecture. On ne s'endort jamais seul (René Frégni, Denoël 2000).
Antoine vit seul à Marseille avec sa fille de sept ans. Lorsque celle-ci disparaît un jour à la sortie de l'école, sa vie s'arrête.
Le livre est dédié, entre autres, à "Jean-Claude Izzo, abattu de deux cartouches de cigarettes en pleine poitrine". Si Frégni s'aventure sur les terres du polar, il reste fidèle à ses thèmes de prédilection : Marseille, la prison, le désespoir qui s'empare d'un être confronté à un manque ( jadis l'amante ou la mère, ici l'enfant), l'enfance, l'amitié (Antoine cherche sa fille avec l'aide d'un caïd du milieu, copain d'enfance). Seulement, il y a d'habitude dans ses romans un souffle qu'on cherche ici en vain. C'est comme si Frégni s'était mis sur ses rails et s'était contenté du minimum syndical. Une déception.

Jardin. Curiosité : je termine cette lecture assis sur un fauteuil dans le jardin. Je m'aperçois que c'est la première fois que j'utilise cet endroit comme un lieu de détente. Je remédie à ce laissez-aller en taillant le cognassier du Japon.

TV.
Roberto Succo (Cédric Kahn, France, 2001 avec Stefano Cassetti, Isild Le Besco, Patrick Dell'Isola).
Roberto Succo a tué ses parents. Il s'évade du centre psychiatrique où il est détenu en Italie et entame une odyssée sanglante en France.
L'aventure de Succo s'est terminée par un suicide en prison en 1988. Je n'ai aucun souvenir de cette histoire, ce qui est assez curieux car Succo a accumulé les cadavres au long de son parcours. Cédric Kahn nous dépeint un mythomane (il se prétend un jour policier, un jour trafiquant, un jour agent secret...) aux réactions imprévisibles, capable de tuer sauvagement ou de laisser la vie sauve aux personnes qu'il croise. La bonne idée du réalisateur est d'avoir contrebalancé la folie de Succo par la placidité et la froide détermination de l'enquêteur qui le piste, interprété par Dell'Isola. La traque fait penser à celle du Juge et l'Assassin de Tavernier. C'est un film passionnant de bout en bout, au rythme soutenu, consacré à un être insaisissable dans tous les sens du terme.

LUNDI.
Courrier. Première carte postale de vacances.

Cinéma. Memento mori (Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, Corée du Sud, 2000 avec Kim Min-sun, Park Yeh-jin, Lee Young-jin, Kim Min-hee, Gong Hyo-jin).
Une lycéenne découvre le journal intime de deux de ses camarades. L'une de celles-ci se suicide.
Il m'a fallu un bon bout de temps avant de trouver quelques repères dans cette histoire. Il y a d'abord les problèmes d'identification dans les dizaines de jeunes filles en uniforme du lycée (de plus, l'onomastique coréenne n'est pas un cadeau). Je n'avais pas compris non plus que le film contenait des retours en arrière qui ajoutent à la confusion. Une fois l'écheveau à peu près démêlé, on se trouve face à un film habile, intéressant mais qui ne peut prétendre être mis sur le même plan que Virgin Suicides de Sofia Coppola, contrairement à ce qui a été dit ici ou là.
Memento mori a été présenté au festival Fantastic'Arts de Gérardmer en 2001. Le fantastique émane ici d'un objet (ce qu'est un memento mori, en fait) apparemment banal qui renferme pouvoirs et secrets. Les effets utilisés par les réalisateurs (image saturée, cadrages insolites) sont bien mis au service du récit. Les relations entre les jeunes filles, dans un lycée où on fait tout, apparemment, sauf apprendre, sont bien traitées et les personnages principaux finissent par émerger de la masse, heureusement. Il est toujours intéressant de découvrir des films de nationalités peu répandues cinématographiquement, de là à crier au chef-d'œuvre, il y a une marge.

MARDI.
Obituaire. Alain Zalmanski annonce sur la [listeoulipo] le décès de Claude Berge, mathématicien et membre fondateur de l'Oulipo, qui apparaît au chapitre LIX de La Vie mode d'emploi : "Le Comte de Bellerval (der Graf von Bellerval), logicien allemand disciple de
Lukasiewicz, démontre en présence de son maître qu'une île est un espace clos de berges"

Devoirs de vacances. Archivage de papiers administratifs.

Cinéma. Kedma (Amos Gitaï, Israël, 2002 avec Andrei Kashkar, Helena Yaralova, Yussef Abu Warda, Juliano Merr, Menachem Lang, Sandy Bar, Tomer Ruso, Moni Moshonov).
Un bateau rouillé, le "Kedma", transporte à son bord des réfugiés juifs rescapés de la Shoah vers la Terre Promise. A peine débarqués, ceux-ci sont enrôlés pour se battre et chasser les Palestiniens qui bloquent la route de Jérusalem.
Gitaï continue à assembler les pièces du puzzle qui forment l'histoire de son pays. Le problème, c'est que ses films sont de plus en plus ennuyeux : plans séquences interminables (même si le dernier est une prouesse technique), longues plages de silence qui alternent avec des scènes d'un bavardage philosophico-historique pesant. On est ici à une époque charnière (1947 ou 1948) où se croisent les nouveaux colons qui débarquent, les Arabes qui fuient et les Anglais qui s'incrustent. Comme dans Kippour, la guerre est vécue par un petit groupe dans un petit coin du pays sans que le spectateur soit mis au courant de l'ensemble du conflit et de le stratégie mise en œuvre. C'est un choix qui est respectable mais qui ne contribue pas à l'intérêt du film.

MERCREDI.
Classement. Publication des résultats du concours de pronostics pour la Coupe du Monde à la Croix de Lorraine : je finis 18° sur 26, ce qui n'est pas très glorieux.

Santé. Rapatriement sanitaire de Lucie dont la journée à Saint-Jean-du-Marché se solde par la crise d'asthme habituelle.

Visite. H. nous arrive de Marseille, couturé comme un vieux pirate. Plaisir de se sentir vivant.

Vide grenier. Nous recevons des futurs parents, ce qui nous permet de leur repasser un parc, une poussette et des vêtements pour bébé.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à l'AGP (Viridis Candela), à Y. (Le Monde, Le Figaro, Libération, La Liberté de l'Est), des demandes d'abonnement vacances à des quotidiens nationaux, un enregistrement radiophonique à A.

TV. Sans famille (André Michel, France, 1957 avec Joël Flateau, Pierre Brasseur, Gino Cervi, Bernard Blier, Simone Renant).
Le jeune Rémi est vendu par ses parents adoptifs à Vitalis, un artiste ambulant. Il s'efforce de retrouver sa mère.
Cette adaptation est conforme à mes souvenirs de lecture enfantine. Le chien Capi, la harpe, le gilet en peau de mouton, les chapeaux sont ceux des illustrations de la collection "Rouge et Or Dauphine". Cependant, je n'ai jamais dû lire le livre jusqu'au bout car les démêlés londoniens et les retrouvailles finales entre Rémi et sa mère ne me disaient rien.
Sur le plan cinématographique, on appréciera le fait que les scènes émotionnellement fortes (la mort du singe Joli Cœur, celle de Vitalis) soient traitées plutôt sobrement. La présence d'acteurs connus ajoute au plaisir : Bernard Blier en Garofoli (un exploiteur d'enfants dickensien) est particulièrement remarquable.

Lecture. Contrôle d'identité (Vassilis Alexakis, Éditions du Seuil 1985, nouvelle édition revue par l'auteur aux Editions Stock, 2000).
Paul Descombes, de son vrai nom Cocovic, est soudain frappé d'amnésie.
La majeure partie de ce lointain roman se déroule dans un appartement où le patron de Descombes donne une réception.
L'univers baroque, un rien loufoque, rappelle celui des films d'Otar Iosseliani (Adieu, plancher des vaches), un autre exilé en France. Le charme que j'avais trouvé aux autres livres d'Alexakis est ici malheureusement absent. On retiendra seulement un bel épisode au cours
duquel Descombes essaie de deviner qui il est parmi les consommateurs qui se reflètent dans la glace d'un bistrot.

VENDREDI.
Jardin. Cueillette des groseilles.

Web. Y. m'envoie un beau trio d'aptonymes exerçant en Côte-d'Or : un Deschamps agriculteur, un Boisson viticulteur et une Régine Pomade, pharmacienne à Beaune qui devrait bien s'entendre avec Françoise Cachet exerçant à Lisieux.
F. est déçu par l'adaptation cinématographique du Total Kheops d'Izzo.

SAMEDI.
Vie sociale. Nous filet-mignonnons en compagnie des D. et des P.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°68 - 14 juillet 2002

DIMANCHE.
Détente. Nous passons la journée à Saint-Jean-du-Marché où nous avons la ferme pour nous seuls. Le beau temps s'installe au fur et à mesure de la journée.

Lecture. L'Été (René Frégni, Denoël 2002)
Paul tient un restaurant dans le sud de la France. Il tombe amoureux de Sylvia, qui vit avec un artiste qui la brutalise.
Encore une histoire de vie qui bascule, de passion cruelle comme Frégni sait les évoquer. C'est mieux qu'On ne s'endort jamais seul mais on sent que l'auteur (le lecteur aussi en fait) court après la magie que possédait son premier roman, Les Chemins noirs, sans jamais parvenir à le retrouver tout à fait. Ce qui est dommage et tant mieux à la fois car ça fait des Chemins noirs un livre vraiment unique.

TV. Palettes : Le Radeau de la Méduse (Géricault).
Arte et Alain Jaubert ont concocté une nouvelle série de Palettes pour cet été. Je suis en général plutôt indifférent à ce qui se passe à la télévision mais je n'oublie pas que c'est Palettes qui m'a donné le goût d'en savoir plus sur la peinture, d'aller interroger des tableaux dans des musées et des expositions, de lire des catalogues, des livres théoriques (Arasse) et finalement de me mettre à rédiger mes Propos sur l'art peint. Ce numéro est captivant. Il faut dire que le fait divers qui sert de motif à la toile de Géricault est exceptionnel : colonialisme, mutinerie, incompétence des officiers, cannibalisme, sauvetage miraculeux sont des ingrédients qui ont amené la population de l'époque à se passionner pour l'affaire. Il y a a aussi la drôle de vie de Géricault, qui emprunte à l'hôpital voisin de son atelier des morceaux de cadavre pour les représenter sur la toile et qui meurt à 33 ans en tombant d'un cheval après avoir passé la majeure partie de sa vie à en peindre...

LUNDI.
Courrier. Une carte postale d'Avène-les-Bains.

TV. Un temps pour l'ivresse des chevaux (Zamani barayé masti asbha, Bahman Ghobadi, Iran, 2000 avec Ayoub Ahmodi, Madi Ekhtiar-dini, Nezhad Ekhtiar-dini).
A la frontière irano-irakienne, Rojine veille sur ses frères et sœurs depuis la mort des parents. Ayoub cherche à travailler pour payer l'opération de Madi, au corps atrophié.
Les conditions de vie des habitants du Kurdistan iranien sont épouvantables. Le seul travail possible est celui de contrebandier : des caravanes s'aventurent dans les montagnes au mépris du climat, des mines et des embuscades, pour faire passer des marchandises en Irak. Pour que les chevaux, des mulets en fait, supportent le voyage et le chargement, on les enivre, d'où le titre. A partir de là se pose une question qui n'est pas neuve : comment filmer la misère ? En choisissant une famille d'orphelins dont l'un est estropié, sans éviter les gros plans sur le visage de ce dernier, Ghobadi n'en fait-il pas un peu trop ? D'autant que son film a aussi une nette tendance à esthétiser la misère (beaux plans des vêtements de couleur vive sur fond neigeux). Difficile de répondre, tant la réalité semble atroce...

MARDI.
Lecture.
Talgo (Vassilis Alexakis, le Seuil 1982, édition revue par l'auteur, Fayard 1997).
Eléni, une jeune Athénienne, évoque la fin de sa liaison avec Grigoris, un Grec installé à Paris.
Je retrouve, après l'intermède raté de Contrôle d'identité, l'Alexakis que j'aime et qui m'enchante. Il y est déjà question d'un personnage entre deux pays, la Grèce et la France, mais curieusement, c'est à une femme qui fut l'amante de cet homme que l'auteur confie le rôle de narratrice. La magie tient à la façon de raconter des petits riens, de dépeindre l'atmosphère des quartiers d'Athènes ou de Barcelone (Talco est le nom d'un train qui relie Paris à Barcelone), d'analyser les sentiments d'amour et de désamour. Certaines pages annoncent les œuvres suivantes d'Alexakis, La Langue maternelle, Paris-Athènes ou Le Cœur de Marguerite.
Citation : "Il y a environ dix-huit ans que je vis en France, as-tu dit. Ce n'est pas suffisant pour apprendre le français, mais c'est suffisant pour oublier le grec. J'ai même oublié où il faut accentuer certains mots. J'ai tendance à accentuer le mot électron comme les Français. Je n'ai plus de langue maternelle."

Lecture (bis). La Normandie de Proust (Nadine Beauthéac et François-Xavier Bouchart, Éditions du Chêne, coll. Vue sur..., 2001).
Tourisme littéraire.
Trouville, Cabourg, Houlgate, Caen, Bayeux et le mythique Balbec sont les phares de la Normandie proustienne. Ces lieux sont évoqués par des citations, issues pour la plupart d'A l'ombre des jeunes filles en fleurs, accompagnées de photos léchées. Ce n'est pas d'un grand intérêt mais ça donne envie de séjourner au Grand Hôtel de Cabourg.

Vie sociale. Nous partageons quelques produits maritimes avec les H., à la veille de leur accession à la propriété à Blainville-sur-l'Eau. Le déménagement à venir sert de prétexte à se débarrasser d'un lot de polars dont j'hérite.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un album de photos sur Rimbaud à Aden, un court récit de Ramuz et le dernier James Crumley.

Voyage. Nous passons la journée à Nancy, où Caroline a rendez-vous avec un anesthésiste en vue d'une intervention à venir. Au Hall du livre, je trouve la version de Them There Eyes enregistrée par Lester Young en 1938 et que je cherchais depuis à peu près la même époque. Je lis Ramuz au Grand Café Foy pendant que Caroline court les échoppes.

Lecture. Montée au Grand Saint-Bernard (Charles Ferdinand Ramuz, éditions Séquences, 1931).
Récit de voyage.
Ça faisait un petit moment que j'entends parler de Ramuz et que j'avais envie d'aller voir ce qu'il en était. Écrivain suisse francophone, Ramuz doit sa (relative) renommée au lyrisme dont il fait preuve en exaltant la nature et à une langue naïve utilisant les idiotismes du patois vaudois. C'est au premier aspect qu'on a droit ici. Ramuz raconte, pour un hebdomadaire, sa montée au Grand Saint-Bernard dans une automobile conduite par son éditeur. Dans une langue très soignée, qui n'a rien de patoisant (j'ai quand même enfin trouvé l'orthographe du mot mazot - "l'amas des mazots branlants en vieux mélèze violet" - qui désigne aujourd'hui l'abri sous lequel sont entreposées les bennes à ordures collectives en Savoie), il se moque gentiment des touristes, des frontières, évoque l'histoire du lieu (on croirait par moment lire une description du tableau Bonaparte franchissant les Alpes de Paul Delaroche) raconte les combats entre l'homme et la nature. Ce qui ne donne qu'une petite idée de l'univers ramuzien qu'il conviendrait maintenant de voir à travers un récit de fiction.

Courrier. Je reçois ma feuille de route pour la rentrée prochaine. Le fiasco de cette année se solde tout de même par une satisfaction : je ne ferai plus que du français l'an prochain. Autres bonnes choses : pas de charge de professeur principal, pas d'heures supplémentaires mais deux ou trois heures d'étude surveillée qui me permettront de bouquiner tranquillement.

JEUDI.
Nouvelle inspection. J.-C. F., mon conseiller horticole, vient jeter un œil sur mes plantations et m'apporte deux Série Noire cartonnés.

Courrier. Un mot de remerciement du néo-député Heinrich.
J'envoie des nouvelles radiophoniques et des coupures à l'AGP (Les Cahiers du cinéma), d'autres coupures à Y. (Le Monde, Télérama).

Esprit compétiteur. Je commence à travailler sur le concours Alexandre Dumas dans Télérama. Une question me résiste. Je me muscle en manipulant les volumes du Nouveau Larousse illustré de 1905.

Jardin. Cueillette des cassis.

TV. Le Facteur (Youchai, He Jianju, Chine, 1995 avec Fang Yuanzheng, Liang Danni, Pu Quanxin, Huang Xing).
Un jeune postier ouvre certaines des lettres qu'il transporte et tente de faire le bonheur des gens dont il a surpris les secrets.
On trouvait la même idée de départ dans un fort médiocre téléfilm avec Henri Génès intitulé, si mes souvenirs sont exacts, Le Facteur de Foncabrette. On est loin ici de cette sous-pagnolade et le visage fermé de l'interprète principal n'est pas fait pour encourager la faconde méditerranéenne. Pour tout dire, c'est chiant comme la pluie et je n'ai pu résister aux vertus soporifiques de la chose. Le seul rythme est donné par les coups de tampon assénés par la collègue du facteur aux plis que celui-ci est amené à distribuer. Un parti-pris minimaliste prive le film des scènes de rue qui donnent souvent du charme aux films chinois (Beijing Bicycle, L'Orphelin d'Anyang), le décor se limitant ici à un bureau de poste, un appartement et quelques couloirs d'immeubles sinistres.

VENDREDI.
Vie sociale. Bonne soirée avec H. et S. autour de quelques saucisses de Montbéliard (beaucoup moins parfumées que la Morteau).

SAMEDI.
Mail. Échange intéressant sur la [listeperec] à propos des figures de rhétorique contenues dans Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Ce qui me fait penser que je n'ai même pas de Gradus, et que le Dictionnaire de rhétorique de Georges Molinié que je possède ne m'a jamais vraiment satisfait. Une lacune à combler d'urgence.

Téléphone. Des nouvelles de mon frère lexovien et de J. qui s'apprête à partir en vacances en Corse. J'ai l'impression que si nous partions nous aussi en Corse, nous ne pourrions faire un pas sans tomber sur une connaissance.

TV. Un jeu d'enfants (Laurent Tuel, France, 2001 avec Karin Viard, Charles Berling, Ludivine Sagnier, Camille Vatel, Alexandre Bongibault).
Marianne reçoit la visite d'un frère et d'une sœur qui ont, enfants, habité l'appartement parisien qu'elle occupe avec sa famille. A partir de ce jour, le comportement de ses enfants lui semble étrange.
Une tentative de fantastique à la française qui recèle quelques qualités. On y trouve un argument qui évoque Les Autres d'Alejandro Amenabar et le désir de profiter d'une vague de succès inaugurée par Sixième sens et Harry, un ami qui vous veut du bien. La clarté n'est pas la principale vertu du film mais c'est la loi du genre.
Certaines scènes sont vraiment inquiétantes et Karin Viard joue avec une conviction de bon aloi.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°69 - 21 juillet 2002

DIMANCHE.
TV. Le Silence est d'or (René Clair, France, 1947 avec Maurice Chevalier, François Périer, Marcelle Derrien, Dany Robin).
A Paris, en 1906, Émile Clément dirige un petit studio de cinéma muet. Il recueille Madeleine Célestin, dont il a jadis aimé la mère. Sa tendresse pour elle se change bientôt en amour, mais il est concurrencé sur ce terrain par Jacques Francet, un jeune acteur qui est aussi son ami.
Le petit monde de René Clair est un enchantement. Le milieu du cinéma muet, dans lequel il a débuté, le Paris populaire du début du siècle dernier (puisqu'il faut bien l'appeler ainsi désormais), les petits métiers, les chanteurs des rues (comme Albert Préjean dans Sous les toits de Paris), sont dépeints avec tendresse. Ce n'est pas sans raison qu'on a parlé de l'influence de René Clair à propos d'Amélie Poulain. L'intrigue sentimentale est d'une banalité totale, une rivalité amoureuse entre un homme d'âge mûr et son jeune ami, mais bénéficie d'une interprétation parfaite : François Périer, récemment disparu, commence à s'affirmer, Maurice Chevalier accepte enfin de jouer des rôles de son âge (59 ans tout de même) et Marcelle Derrien, dont la carrière fut météorique, forment un trio d'un charme redoutable. La musique de Georges Van Parys, avec la chanson Pour les amants c'est tous les jours dimanche, complète le tableau, en tout point charmant.

LUNDI.
Organisation. Les heures du petit matin, les seules où l'on trouve fraîcheur et solitude, sont trop précieuses pour que j'en gaspille une minute. Après deux semaines de grasse matinée (relative, jusqu'à 6 heures 30), je remets le réveil en service. Seulement, je suis en vacances : je le règle sur 5 heures 51, au lieu des 5 heures 50 habituels en période scolaire.

TV. 15 Août (Patrick Alessandrin, France, 2001 avec Richard Berry, Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin).
Trois copains débarquent à La Baule où leurs familles sont en vacances. A l'arrivée, ils constatent que leurs trois épouses ont quitté la maison.
Trois hommes qui se retrouvent brusquement sans femme, avec maison et enfants à charge, donnent immanquablement lieu aux mêmes situations convenues : les problèmes avec les appareils ménagers, la cuite virile qui se termine en dispute, les tentations extra-conjugales, les ennuis causés par les enfants. Le catalogue est ici récité sans un seul oubli, sans une once d'imagination ou d'originalité pour aboutir à un dénouement tout aussi conventionnel avec le retour au bercail des trois fugueuses. Un film tout à fait réac et macho, qui donne toutefois l'occasion de sourire par moments grâce à l'interprétation parfaite de trois acteurs en forme, dont Berling dans un registre éloigné de ce qu'il fait d'habitude.

MARDI.
Cinéma. Cravate Club (Frédéric Jardin, France, 2002 avec Charles Berling, Édouard Baer).
Bernard et Adrien sont amis et associés dans un cabinet d'architecture. Le soir des 40 ans de Bernard, Adrien refuse son invitation, prétextant un dîner à son club. C'est le point de départ d'une brouille sérieuse.
Il s'agit de l'adaptation d'une pièce de théâtre due à Fabrice Roger-Lacan (à qui on doit le scénario des Frères Sœurs, le film précédent de Jardin, plutôt réussi), exercice d'autant plus périlleux (on se souvient du ratage complet du Quadrille de Valérie Lemercier d'après Guitry) qu'elle ne met en scène que deux personnages. On voit bien quelques silhouettes dans le film mais elles sont muettes, la parole est l'apanage exclusif de Bernard et Adrien. L'essentiel du film se déroule dans le cabinet des deux amis, que le décorateur a pris soin de concevoir assez vaste pour permettre les déplacements des acteurs. Ce qui ne suffit pas à donner du rythme à la chose : les dialogues sont trop écrits, trop raides pour sembler naturels, même s'ils sont énoncés en mouvement ou dans des téléphones portables. On s'ennuie donc pendant un bon moment, jusqu'à ce que les personnages acquièrent enfin une certaine épaisseur via la crise qu'ils traversent. Petit à petit, l'amitié se transforme en méfiance, puis en haine. Le propos, pas inintéressant, est de savoir la superficie du jardin secret que l'on peut entretenir dans une relation, quelle est la part qu'on livre aux autres et celle qu'on se garde. Grâce au talent des acteurs (même si Baer me gêne dans la mesure où son visage porte trop l'estampille "Je suis un produit Canal +") on finit conquis. Un détail : on s'amuse aussi beaucoup à voir ces deux architectes travailler seuls, sans même l'apport d'une secrétaire, et mener à bien des projets de la taille de la Maison de la Radio ou du Stade de France.

MERCREDI.
TV. Les Fous du roi (All the King's Men, Robert Rossen, USA, 1949 avec Broderick Crawford, John Ireland, Mercedes McCambridge).
Willie Stark se lance dans la politique en dénonçant la corruption. Elu gouverneur de l'État, il ne tarde pas à tomber dans les travers qu'il combattait.
L'univers politique décrit par Robert Rossen est sans espoir, à partir du moment où un homme qui démarre avec des visions saines et honnêtes devient rapidement aussi corrompu que ses collègues (ce qui fait de ce film l'antithèse du Mr Smith au Sénat de Frank Capra). On se demande l'effet qu'a pu avoir le film sur les membres de la commission McCarthy, créée deux ans plus tôt. Le propos du cinéaste est on ne peut plus noir, plutôt courageux dans le contexte de l'époque, même si on peut se demander la part de courage qu'il faut pour clamer "Tous pourris"... Les affaires de corruption décrites sont assez compliquées mais le film est mené à un train qui, malgré le contexte, n'est pas celui d'un sénateur et servi par des interprètes de second rang mais convaincants.

JEUDI.
Courrier. J'adresse des coupures et des nouvelles radiophoniques à l'AGP (Le Figaro, la nécro de Claude Berge dans Le Monde), des coupures à Y. (Le Monde, Le Figaro) et à F. (Le Monde), un chèque de réservation au Théâtre du Peuple de Bussang.

Esprit de compétition. J'épluche Les Trois Mousquetaires (Édition Alexandre Dumas illustré, chez A. Le Vasseur et Cie, Paris, illustrations de Maurice Leloir, sans date mais apparemment du début des années 1900) à la recherche des réponses au concours Dumas de Télérama.

Cinéma. Mulholland Drive (David Lynch, USA, 2001).
Voir notules n° 39
Revu six mois après sa sortie, Mulholland Drive n'en paraît pas plus clair mais n'a rien perdu de son charme ni de son éclat. On gagne d'ailleurs à le revoir en sachant qu'il est inutile d'y chercher un sens logique (l'imbroglio final des identités est toujours aussi déroutant), ce
qui permet de goûter sa beauté cinématographique pure. Le monde lynchien, sorte de kaléidoscope des fantasmes du réalisateur, est somptueux, magnifiquement illustré par la musique d'Angelo Badalamenti.

VENDREDI.
Radio. Surprise au journal de 7 heures de France Culture : j'y entends FPP, un copain perdu de vue chez qui j'ai passé à plusieurs reprises des vacances qui sentaient plus le muscadet que l'iode quand il travaillait au Croisic. J'apprends qu'il est maintenant à Malakoff, et il est interviewé sur les centres d'enfermement pour mineurs que le gouvernement va remettre à l'honneur.

Courrier. Une carte postale des G., de passage à Saint-Tropez où nous les rencontrâmes en avril dernier.

Vie sociale. Nous sommes invités à croûter chez les P. qui veulent nous faire admirer leur nouvelle piscine. Encore des gens qui ne lisent pas les statistiques sur les accidents domestiques.

SAMEDI.
TV. Palettes : L'Atelier au mimosa, Pierre Bonnard.
Alain Jaubert transforme un tableau d'apparence anodine (un paysage vu par la verrière de l'atelier du peintre) en une réflexion mallarméo-proustienne sur le temps et la mémoire, la vie intérieure et le monde extérieur. Sidérant.

Bon dimanche.

 

Pré-notules dominicales de culture domestique n°70 - 27 juillet 2002

DIMANCHE.
Exil. Il s'agit de quitter la ville rapidement avant d'être envahis par les ahanants du Triathlon des Images qui galopent sur notre paillasson. Direction Saint-Jean-du-Marché où nous festoyons avec les reliefs laissés par le député Heinrich, convié la veille.

TV. Apparences (What Lies Beneath, Robert Zemeckis, USA, 2000 avec Harrison Ford, Michelle Pfeiffer, Diana Scarwid, Joe Morton).
Claire est mariée à Norman Spencer, un brillant chercheur. Des phénomènes étranges apparaissent dans la maison du Vermont où ils viennent d'emménager. Claire est persuadée que leur voisin a tué sa femme.
La musique est un démarquage, dans les moments de tension, de la partition composée par Bernard Herrmann pour Psychose et certains plans de Claire observant à la jumelle la maison voisine font écho à Fenêtre sur cour. Malgré ces références un peu trop évidentes, on est loin de Hitchcock. Pour en arriver à une dernière demi-heure vraiment haletante où Harrison Ford se révèle aussi indestructible que Robert De Niro dans la version de Scorsese des Nerfs à vif, il faut en passer par une mise en place du récit plutôt longuette. On touche là à une différence de plus en plus évidente entre les films américains et les films français ou asiatiques qui tient à la prise en compte du spectateur. Dans les premiers, on prend son temps pour bien mettre les situations et les personnages en place, dans les seconds, on se contente d'allusions, d'effleurements, de plans fugitifs, on multiplie les ellipses. Ce qui rend les uns parfois trop simples et les autres souvent trop complexes. C'est comme si le cinéma américain sous-estimait son spectateur, le pensait incapable de cheminer dans un film sans qu'on le tienne par la main, et comme si le cinéma français ou asiatique considérait que le spectateur doit être capable de se débrouiller sans aide, de construire l'histoire à partir d'indices épars, ce qui est parfois - pour moi tout au moins - trop lui demander.

LUNDI.
Jardin. Arrachage des épices.

Lecture. Le Rouge et le Noir (Stendhal, 1830, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade).
Relecture.
C'est certainement la dernière fois que je lis Le Rouge, alors que j'ai encore l'intention de reprendre L'Éducation et la Bovary avant ma fin. C'est comme ça, la froideur de Stendhal et de son Julien Sorel ne m'enchantent guère. Quel beau personnage, cependant, partagé entre son ambition qui est de prendre sa revanche sur une époque qui l'a fait naître pauvre, et sa passion pour deux femmes, Mme de Rênal et Mlle de la Mole.... Quelle belle construction, quasi palindromique : le père - Mme de Rênal - Mathilde - Mme de Rênal - le père, qui est le dernier à le visiter dans sa prison... Mais aussi, quel ennui devant le carrousel sentimental (elle l'aime/il l'aime; elle l'aime/il ne l'aime plus; elle ne l'aime plus/il l'aime; ils ne s'aiment plus, et ça repart pour un tour) et surtout devant ces intrigues politico-religieuses qui m'ont rappelé la souffrance éprouvée pour venir à bout des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand.
Remarques en passant.
1. On sait que La Chartreuse de Parme fut écrit en 53 jours. Ici, le prince Korasoff donne à Julien 53 lettres à recopier pour séduire la maréchale de Fervaques. Qui, à la manière de Bernard Magné au sujet du 11 et du 43 chez Perec, s'attaquera un jour au 53 chez Stendhal ?
2. J'aime beaucoup les litotes empreintes de laconisme qui suivent les moments où Julien a réussi à coucher avec les deux femmes qu'il a séduites. Après la première nuit avec Mme de Rênal, ça donne : "Quelques heures après, quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût pu dire, en style de roman, qu'il n'avait plus rien à désirer." Et au sujet de la nuit avec Mathilde de la Mole : " Après de longues incertitudes (...) Mathilde finit par être pour lui une maîtresse aimable."
3. Un mot sur l'édition de la Pléiade qui date de 1952 et qui mériterait un bon coup de plumeau tant l'introduction d'Henri Martineau paraît datée.

Préparatifs de départ. Vérification du matériel de pêche.

Courriel. GN a déménagé, passant de la rue Saint-Antoine à la rue Saint-Dominique.

Cinéma. Marie-Jo et ses 2 amours (Robert Guédiguian, France, 2001 avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Julie-Marie Parmentier, Jacques Boudet).
A Marseille, une femme ne peut se résoudre à choisir entre son mari et son amant.
Question : faut-il tout pardonner à Robert Guédiguian, tout lui laisser passer ? Ce qui est en cause ici est le final, mélodramatique à la puissance 10, sur le kyrie d'une messe de Mozart, qu'il nous offre. On sait que le réalisateur, quand il s'agit de manier le symbole, n'y va pas avec le dos de la truelle, voir le final, là aussi, de La Ville est tranquille avec le petit pianiste. Pour ma part, je serais enclin à tout accepter. Les personnages qu'il présente ont désormais une profondeur humaine incomparable. Ce sont des gens qui ont vécu avant de se poser sur une toile de cinéma, le fait de voir Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet vieillir avec nous de film en film ajoute à l'intérêt et à l'implication ressentis. Guédiguian construit mine de rien sa petite Comédie humaine, sa galerie de personnages. On le voit progresser de film en
film depuis Marius et Jeannette. Il se met ici à filmer les corps et non plus seulement les visages, et c'est très beau. L'émotion est bien sûr omniprésente, au sommet dans la scène où Marie-Jo s'excuse et s'explique auprès de sa fille (Julie-Marie Parmentier).

MARDI.
Escapade. J'arrive à Paris peu avant midi. Depuis le bus, j'aperçois les parasols bleus de l'opération Paris-plage, près de l'Hôtel de Ville. Chez Gibert, je trouve un Gradus d'occasion. Avant l'ouverture de la Bilipo, j'ai le temps d'aller rue de Tournon, face au Luxembourg où se trouve l'Institut français d'architecture. L'architecture est un sujet d'intérêt récent pour moi, né de l'écoute des excellentes émissions de François Chaslin sur France Culture le mercredi matin. L'Institut accueille une exposition intitulée La ville en Tatirama. Beaucoup de photos des films du grand Jacques et les études graphiques de son collaborateur artistique Jacques Lagrange. Ironie : les Parisiens découvrent aujourd'hui ce que nous avions vu l'été dernier à Ahun, microscopique chef-lieu de canton de la Creuse, où l'Office du Tourisme organisait une
exposition sur Jacques Lagrange. Rien de nouveau pour moi, donc, si ce n'est une belle maquette de la villa de Mon oncle. Je fais mon PMU au Tabac de la Mutualité, grignote un sandwich devant la pharmacie des Écoles et travaille sur mon Atlas à la bibliothèque le reste de la journée.

Cinéma. Playtime (Jacques Tati, France, 1967 avec Jacques Tati, Barbara Dennek, John Abbey, Yves Barsacq, Valérie Camille, Jacqueline Lecomte, Reinhardt Kolldehoff, Billy Kearns) à l'Arlequin, rue de Rennes.
M. Hulot se rend à Paris où il a rendez-vous pour raisons professionnelles. Sur son chemin, il va croiser un groupe de touristes américaines, un copain de régiment....
J'avais vu ce film il y a fort longtemps à la télévision et l'expérience m'avait semblé plutôt pénible. Aujourd'hui, c'est autre chose avec une copie 70 mm restaurée et une connaissance cinématographique accrue qui ne me fait plus considérer Tati comme un auteur exclusivement comique. A l'époque, je ne cherchais que le gag, or, si le gag est présent, il n'est pas l'élément sur lequel le film est bâti. Playtime fut un film pharaonique, qui engloutit des sommes colossales et laissa Tati exsangue. Mais contrairement à la légende, Playtime ne fut pas un échec et Playtime n'est pas un film raté. L'histoire dit par exemple que quelqu'un fut dépêché aux États-Unis rien que pour y trouver les chapeaux des touristes américaines. Eh bien quand on voit le plan des deux groupes de touristes chapeautées qui se croisent sur
un escalator ou, plus tard, la tablée des mêmes touristes au restaurant, on sait que Tati a vu juste, qu'il fallait ces chapeaux-là et pas d'autres.
Dans Playtime, Tati organise l'espace. Espace froid et vide de l'aéroport et de l'immeuble de bureaux, espace saturé de bruit et de personnages du restaurant. Dans cet espace, il se passe quelque chose aux quatre coins de l'image (le format inhabituel permet une profondeur de champ exceptionnelle) comme dans les tableaux de Jérôme Bosch ou dans les immenses photos d' Andreas Gurski, et le spectateur est incapable de tout saisir. En ce sens, c'est la richesse du film qui déroute, de même que la bande son qui capte tous les bruits (les différents bruits de chaussures par exemple) au détriment de la clarté des dialogues - mais on est habitué à ça depuis Jour de fête.
Tout a été dit sur le côté prémonitoire du film, du point de vue sociologique et architectural. La trilogie verre-marbre-acier des immeubles, l'omniprésence ridicule d'un anglais d'arrière-cuisine, la déshumanisation de l'habitat, du monde du travail (les employés filmés comme des souris de laboratoire dans un labyrinthe), l'uniformisation de l'environnement, la standardisation des objets (toutes les voitures sont des Simca), l'artificialité des relations humaines, tout cela était en quelque sorte visionnaire. Heureusement, là-dedans il y a Hulot, qui, comme dans Mon oncle, apporte la touche de poésie, d'imprévu et d'authentique, le seul être vivant en somme mais bientôt appelé à se fonder dans la masse, comme le montrent les sosies du personnage qui apparaissent dans quelques scènes.

MERCREDI.
Flânerie. Aux Galeries Lafayette (que j'avais dû toujours arpenter le nez au sol car ce n'est qu'aujourd'hui que je remarque la splendeur de la coupole), un couple indien achète des fournitures scolaires. Ils en sont déjà à 253 euros quand ils s'aperçoivent qu'ils ont oublié d'acheter le sac. Le père sort son téléphone de poche et demande à son écolier de fils s'ils préfère un modèle Eden Park ou, plus sobre, un Nike. J'achète derrière eux un agenda à 9 euros pour Lucie. "Avec mon p'tit cadeau j'avais l'air d'un ..." (air connu). Un peu plus loin, une Japonaise campée devant une porte en verre on ne peut plus commune, le genre qu'on tire ou qu'on pousse, attend patiemment son ouverture automatique : c'est Playtime qui continue...

Cinéma. Lantana (Ray Lawrence, Australie, 2001 avec Anthony LaPaglia, Barbara Hershey, Geoffrey Rush, Kerry Armstrong, Rachel Blake, Glenn Robbins, Vince Colosimo, Daniela Farinacci, Leah Purcell) à l'UGC Opéra, boulevard des Italiens.
Sydney. Leon, policier, la quarantaine, deux enfants, trompe sa femme Sonja. Celle-ci s'en ouvre à la psychologue qu'elle consulte, Valerie. Valerie disparaît à la suite d'un accident de la route. Leon est chargé de l'enquête et s'aperçoit que sa femme est au courant de son aventure. Il soupçonne le voisin de sa maîtresse d'avoir tué Valerie.
Trois couples, voire quatre, sont aux prises dans cette histoire. Valerie et son mari, la maîtresse de Leon et son mari qu'elle vient de chasser, Leon et sa femme, les voisins de Valerie. Chacun des personnages semble à un tournant de sa vie affective, Leon le premier. Leurs destins se croisent, ils font un bout de chemin l'un avec l'autre ou l'un contre l'autre et auront trouvé, à la fin de la crise racontée par le film, une situation de compromis que l'on sent fragile. Ces tranches de vie sont traitées avec une grande finesse par un Australien (je sais, ça peut surprendre) inconnu. L'intrigue policière a valu au film un prix au Festival de Cognac mais Lawrence, là non plus, n'enfonce pas le clou : le suspense est là, il titille, il agace, mais il n'écrase pas. Belle performance d'Anthony LaPaglia, l'interprète de Leon. Je
suis inquiet pour la carrière du film qui méritait plus que la présence de deux spectateurs (moi inclus) pour sa sortie...

Flânerie (suite). Je croûte d'un jambon-beurre au Royal-Jussieu et passe l'après-midi à la Bilipo. Je remonte la rue Monge que j'aime beaucoup (petits commerces, large rue en pente, beaux immeubles où je rêve de m'embalconner), bois mon thé place Monge face à un square tranquille et rentre at home.

Lecture. Quelqu'un d'autre (Tonino Benacquista, Gallimard, nrf, 2002).
Deux hommes font connaissance à l'occasion d'une partie de tennis. Ils vont boire un verre dans un café et se donnent rendez-vous au même endroit trois ans plus tard. Au cours de ces trois années, chacun va essayer de devenir "quelqu'un d'autre".
On pouvait redouter, à propos de Benacquista, le syndrome qui frappe les auteurs de polar qui, soucieux de respectabilité ou d'autre chose, quittent les collections noires pour s'engager sur les voies de la "vraie" littérature. Syndrome qui, entre autres, a condamné Picouly à l'insignifiance et Pennac au ressassement.
Bonne surprise : Benacquista ne s'en tire pas mal du tout. Bien sûr, il s'est bien assagi depuis Les morsures de l'aube mais il a gardé son talent pour camper des personnages et des intrigues dignes d'intérêt. L'écriture, très léchée, et la thématique (le changement d'identité) font penser aux romans de Boileau-Narcejac (D'entre les morts ou Les louves par exemple). Un des personnages, Thierry Blin, va devenir détective privé, l'autre, Nicolas Gredzinski, fera fortune comme inventeur tout en sombrant dans l'alcool. La construction est très simple, un chapitre pour chacun des deux hommes en alternance jusqu'à l'épilogue qui les réunit. C'est passionnant de bout en bout, il y a là comme chez Houellebecq dans un autre genre (quoique l'on peut trouver un même regard sur les relations humaines, dans le monde du travail notamment) un je-ne-sais-quoi qui fait qu'on ne peut lâcher le livre avant d'en avoir terminé la lecture.
Citation : "Il gardait en mémoire ce jour où il était arrivé juste à l'heure du biberon chez un couple d'amis fiers de présenter au monde leurs jumeaux. L'un d'eux était colérique, fébrile à l'idée de téter; de peur de déclencher des hurlements, sa mère le nourrissait en priorité. L'autre, timide, retenu, attendait son tour en silence. Nicolas y voyait une métaphore universelle : les emmerdeurs passeraient toujours les premiers."

JEUDI.
Préparatifs. Rédaction des listes pour les vacances et découverte des programmes d'été de France Cul qui recèlent une bonne surprise : la chaîne va rediffuser en feuilleton l'adaptation de La Montagne magique, le livre que j'ai l'intention d'emporter. Passage de Ch. qui repart avec un transat, un chauffe-biberon et un stérilisateur.

Fractales. Cuisson et dégustation du premier chou-fleur du jardin. J'arrive aussi à grappiller quelques haricots mais, comme le veut la tradition, la majeure partie des légumes sera à maturité parfaite au cours de notre absence.

Courrier. Afflux de cartes postales : Aveyron, Avignon, Gironde, Corse. Imperméable à tout exotisme, j'adresse, imperturbable, mes sempiternelles coupures à l'AGP (Le Magazine littéraire), N. (idem), Y. (Le Figaro, Le Monde, Libération, Madame Figaro) et J. (Le Monde).

Web. Message de D.R. qui a lui aussi apprécié le numéro de Palettes consacré au Radeau de la Méduse. Exceptionnellement, j'entame la rédaction des notules qui, départ en vacances oblige, doivent être livrées en avance.

Lecture. La contrée finale (The Final Country, James Crumley, 2001, Gallimard 2002 pour la traduction française de Philippe Garnier, coll. La Noire).
Milo Milodragovitch a quitté son Montana pour s'installer au Texas. Pour blanchir son argent sale, il s'est acheté un bar et a repris une licence de privé. Dans un bar d'Austin, il entre en collision avec un Noir gigantesque qui vient de flinguer le gérant du lieu. Les flics locaux débarquent, et Milo est bien décidé à retrouver le grand Noir avant eux pour lui faire éviter le couloir de la mort.
Le début est le même que celui d'Adieu ma jolie de Raymond Chandler où Marlowe tombe aussi sur un géant qui va l'entraîner dans des histoires d'une complexité redoutable. Chandler n'a jamais été réputé pour la clarté de ses intrigues et sur ce plan tout au moins, Crumley n'a rien à lui envier. Ce n'était pas un obstacle à son Canard siffleur mexicain qui recelait une énergie formidable. Ce n'est pas le cas ici malgré les incessants rebondissements de l'enquête de Milo qui rebondit de femme fatale en politicien véreux sans que le lecteur se sente impliqué ni même intéressé. C'est long, obscur, ennuyeux, mais Crumley n'est pas le seul coupable. J'aimais beaucoup Philippe Garnier quand il écrivait ses articles sur Los Angeles dans Rock & Folk, j'ignore ce que vaut la biographie de David Goodis qu'il a écrite il y a quelques années mais il faut bien dire ici que sa traduction ne vaut pas tripette. D'emblée, l'incipit laisse présager le pire : "C'était tard en novembre juste au bord de ce qu'on appelle le Hill Country, mais je n'avais pas mis longtemps à apprendre que par ici les choses ne sont jamais exactement tout à fait ce qu'elles paraissent." Pourquoi pas "exactement tout à fait précisément" du temps qu'on y est ? On peut mettre le "Cette fille que vous avez mentionné" sur le dos du correcteur (p.118) mais les "terres arides asphyxiées de broussaille et perclues (pour percluses) de ravins" sont assez gênantes (p.186). Garnier n'a pas une attitude claire par rapport aux anglicismes qu'il souhaite conserver : il nous parle du "vert" d'un parcours de golf (p.146) alors que tout le monde sait ce qu'est un "green" dans ce contexte, mais n'hésite pas à mentionner sans même un note explicative un "bail bondsman" des plus obscurs (p.181). Mieux encore, son indétermination nous donne une "ampoule de twilight sleep" (p. 269) qui devient quatre pages plus loin une "dose de sommeil du crépuscule". Quant aux tournures telles que "Je crois qu'ils sont mauvais après moi" (p.195); "Une fois fini de faire
le larbin ce premier matin" (p.285) ou "deux steaks valant la peine de mourir pour" (p.341), n'importe quel étudiant de première année d'anglais peut toujours essayer de les coller dans une version s'il a le goût du risque.

VENDREDI.
Courrier.
Je m'amuse beaucoup à répondre à un courrier comminatoire de la société Wanadoo qui n'a pu se payer son dernier prélèvement (une banale histoire de carte bancaire arrivée à expiration, ce que j'avais signalé en temps utile).

Radio. Fin du feuilleton Les Thibault d'après Roger Martin du Gard que France Cul diffusait depuis le mois de mai. Je suis si content d'avoir réussi à enregistrer 53 épisodes sur 60 que je rate le dernier.

Préparatifs. Séance chez le coiffeur, après celle chez le dentiste la veille. Mes dents tombent moins vite et en moins grand nombre que mes cheveux, ce qui est esthétiquement très rassurant. Je vais laver les autos, range la piscine dégonflable, arrose une dernière fois les végétaux, rédige les notules, consulte l'itinéraire, trouve les réponses au concours Alexandre Dumas de la semaine (facilement, elles sont presque toutes dans l'introduction du volume de la Pléiade contenant Le Comte de Monte-Cristo que je lis depuis un bon moment), téléphone aux propriétaires du gîte, appelle ma mère pour la sainte Anne, prépare une fournée de croque-monsieur pour manger demain sur la route, parviens à me servir pour la première fois de mon scanner, un an après l'avoir acheté.

Bonne fin de semaine.

N.B. Le numéro 71 des notules sera daté du 11 août.