Notules
dominicales (par anticipation) de culture domestique n°120
2 août 2003
DIMANCHE.
Aménagement du territoire.
Je termine le rangement par les policiers en collection de poche. Ca y
est, tous les bouquins ont trouvé leur place, même les 1 114
cassettes audio répertoriées.
Infra-littérature. J'entame
la rédaction des listes pour les vacances.
Jardin. Je repique une soixantaine
de pieds de salade, profitant du retour de la pluie.
TV. La Revanche de Roger la Honte
(André Cayatte, France, 1946 avec Lucien Coëdel, Paul Bernard,
Maria Casarès, Louis Salou; diffusé sur TV5 en ?).
Un an avant la revanche, André Cayatte a tourné Roger
la Honte, adaptation d'un roman-feuilleton populaire de Jules Mary,
un film assez peu estimé que je n'ai pas vu et qui est résumé
au début de ce second volet : l'industriel Roger Laroque, condamné
pour un meurtre qu'il n'a pas commis, s'est échappé et a
fait fortune au Canada. Il revient ici en France pour y prendre sa revanche
et confondre le véritable assassin. Même si Lucien Coëdel,
dans le rôle-titre, est un comédien un peu falot, on prend
plaisir à suivre ces aventures. Les péripéties ne
manquent pas dans une histoire qui ressemble à un mélange
des destinées de Jean Valjean et d'Edmond Dantès. Gabriello
et Rellys, dans des rôles secondaires, ajoutent une touche d'humour,
les jeunes Jean Desailly et Simone Valère assurent la partie romance.
La suite de l'oeuvre de Cayatte sera beaucoup moins légère.
LUNDI.
Radio. Découverte de la grille
d'été de France Culture. Je commence à encassetter
les deux séries qui me semblent les plus dignes d'intérêt
et qui dureront jusqu'au 29 août : Histoires de peintures,
une "traversée de l'histoire de la peinture, de l'invention
de la perspective jusqu'à la disparition de la figure" par
Daniel Arasse (dont j'ai déjà pu apprécier les écrits
et les émissions) et Bandes d'amateurs, "diffusion
d'enregistrements faits par des auditeurs amateurs : entretiens ou documents
familiaux, discussions politiques, interviews dans les rues de Marseille,
entretiens avec des célébrités de l'ORTF dans les
années 50, entretien avec un veilleur de nuit..." Une déception
: pas de grand feuilleton cet été. Je me consolerai en emportant
les 60 épisodes des Thibault enregistrés l'été
dernier.
Préparatifs. J'envoie une demande
d'abonnement de vacances au quotidien local. J'ai décidément
bien du mal à me couper de mes racines. D'un autre côté,
si je veux être informé des premiers pas du SAS football
en CFA 2, ce n'est pas dans La Nouvelle République du Centre Ouest
que j'ai des chances de trouver mon bonheur et si ça peut, au retour,
éviter à Caroline des scènes du genre "Bonjour,
Madame ***, au fait votre mari ça va mieux ? - Bien mieux, on l'a
enterré avant-hier", ce n'est pas plus mal.
Je téléphone au propriétaire de la maison du Loir-et-Cher
pour des détails pratiques. Il y a de l'eau dans l'étang,
les poissons peuvent commencer à faire leurs prières.
Lecture. Les Cahiers du LATOUREX n°
12 bis (laboratoire de tourisme expérimental, C/o Joël Henry,
Strasbourg, s.d., s.p.m., n.p.).
Première surprise : le format. Un banal 21 x 14,5 cm, alors que
les précédentes réalisations de Joël Henry mesuraient
7 x 4,5 ou 8 x 6 cm. Deuxième surprise : le LATOUREX lance une
invitation à un colloque en plein air à Cerisy-Belle-Étoile
(60100) prévu le mercredi 21 juin 2004. Or le 21 juin 2004, sauf
événement exceptionnel d'ici là, devrait être
un lundi...
Au fil du numéro, on s'intéresse au Diplotourisme ("Action
touristique humanitaire qui consiste à visiter toutes les villes
où ont été ratifiés un traité, un pacte
ou des accords (...) : Aix-la-Chapelle, Al-Arich, Amboise, Amsterdam..."),
au Topo Food ("Nouvelle pratique gastronomique et touristique qui
consiste à concevoir des plats ou des menus en faisant exclusivement
usage d'aliments et de préparations culinaires dont le nom est
associé à un lieu : Airelles d'Amérique, Filet d'Anvers,
Jambon d'Aoste, Saucisson d'Arles,...") et aux mots-valises de voyage.
Quelques exemples :
"Patatour n.m. Circuit touristique expérimental
à travers tous les lieux du monde qui ont donné leur nom
à une pomme de terre¹ : Alaska, Anvers (galets d'), Athèna,
Atlas, Calagary, Europa, Lutetia, Le Touquet (ratte du), Fontenay (belle
de), Mistral, Marathon, Noirmoutier (bonnotte de), Porto, Sahel...
¹ liste complète des variétés de pommes de terre
sur Internet : http://www.plantdepommedeterre.org
Toutour n.m. Découverte des ailleurs qui portent
un nom de chien. V. Labrador, Terre-Neuve, Yorkshire, Pittbull, Rottweiller,
Mirza (Rép. du Salvador), etc.
Tour à tours n.m. Voyage organisé qui consiste
à faire le tour des tours (Pise, Babel, Montparnasse...)"
Plus convenu, un voyage lexical baptisé "Lexicodyssey"
reprend, à partir du verbe "Voyager" un exercice déjà
réalisé par Perec dans Espèces d'espaces à
partir de "déménager" et "emménager"
(une liste de synonymes du mot-source, puis de synonymes de synonymes,
puis de synonymes de synonymes de synonymes...).
Et aussi : une citation, un graffiti, un appel à contributions
en vue de la réalisation d'un "Codex Bistrotibus Orbis",
un jeu et d'autres fruits de l'esprit fertile de Joël Henry.
Horizon 2020 (?). Je profite de ma
séance semestrielle de rangement de papiers administratifs pour
ouvrir, non sans gourmandise, un dossier "Retraite".
Obituaire. "Je me souviens des
Trois Stooges, et de Bud Abbott et Lou Costello; et de Bob Hope, Dorothy
Lamour et Bing Crosby; et de Red Skelton." Georges Perec, Je me
souviens, Jms n° 300.
TV. La Maison des bois (feuilleton
de Maurice Pialat, 1971, épisode 7, diffusé sur TV5 le 26
juillet 2003).
C'est dans ce dernier épisode que l'on devine vraiment le Pialat
à venir, qu'il ébauche deux de ses thèmes de prédilection,
la difficulté à vivre son enfance et une vie de couple (Nous
ne vieillirons pas ensemble). L'oeuvre est belle, sensible, même
si la lenteur agace parfois. Elle dément en tout cas l'étiquette
de misanthrope qu'on a souvent collée à Pialat.
MARDI.
Radio. Daniel Arasse explique pourquoi
La Joconde est un tableau exceptionnel. Brillant.
Jardin. Attaque de doryphores. Alerte
rouge sur les patates. Pas de risque de disette : les topinambours
sont sains et gaillards.
TV. 3 zéros (Fabien
Onteniente, France, 2001 avec Gérard Lanvin, Samuel Le Bihan, Lorant
Deutsch; diffusé sur Canal + en juin 2003).
Manu a repéré Tibor Kovacs, un prodige du foot, alors qu'ils
étaient tous deux en prison. A peine libéré, il s'improvise
son agent...
Les agents véreux, le président du club qui vient d'Air
France et qui part ensuite dans la sidérurgie allemande, la corruption,
la créatine, les joueurs à la tête vide et enflée
(joli démarquage d'Anelka dans le personnage de Stomy Bugsy) qu'on
échange comme du bétail au moyen de contrats aussi vite
signés que chiffonnés, tout cela est présent dans
le film. Mais pas pour une dénonciation, pas pour une charge au
vitriol : pour une comédie gentiment moqueuse. Comme si on
voulait dire au spectateur : regardez comme c'est drôle, ces
gens qui jonglent avec les millions comme avec les ballons. D'ailleurs,
c'est tellement inoffensif que tout le monde du foot a accepté
de jouer dans le film : joueurs (ceux du PSG où joue Kovacs),
entraîneurs (Fernandez, Courbis), commentateurs (Roland), jusqu'au
maire de Paris qui s'appelait alors Jean Tiberi et qui accepte de célébrer
un mariage blanc pour la naturalisation d'un joueur. Bêtise ?
complaisance ? narcissisme ? inconscience ? Plus sûrement
du cynisme.
Curiosité. On note la présence au générique
d'une intéressante Frigide Barjot.
MERCREDI.
Préparatifs. Je vérifie
et renouvelle le matériel de pêche, achète le Guide
du Routard consacré aux Châteaux de la Loire, découvre
ce qui est dit de Mur-de-Sologne, la localité où nous allons
gîter : "A 12 km de Romorantin, sur la route de Blois et des
châteaux de la Loire. Rien à voir dans le village" (p.
206). Ça m'arrange plutôt.
Courrier. Les M., en provenance de
Dallas, redécouvrent "la franchouillardise" dans le Roussillon.
Lecture. Histoires littéraires
n° 10 (Avril-mai-juin 2002, Du Lérot éditeur).
Revue trimestrielle consacrée à la littérature française
des XIX° et XX° siècles.
2002, c'est encore l'année Hugo. François Caradec exhume
une chanson à la gloire de "L'Universel poète"
(c'est le titre) due à Paul Pouyaud père pour les paroles
et à Émile Pouyaud fils pour la musique? datant de 1884.
Couplet 6 :
"Victor Hugo, c'est le moderne Homère,
C'est Démosthène autant que Cicéron¹,
A Guernesey la vie était amère,
Il a passé par la barque à Caron,
Puis il revint sur les bords de la Seine,
Pour éclairer tous les gouvernements,
Il fit jouer à Paris, ce Mécène,
Un drame ayant ce nom Le Châtiments.
¹ En même temps qu'Eschyle, Sophocle et Euripide [note des
auteurs]."
Comme je lis les revues très lentement, j'ai déjà
oublié ce que Mathieu Bénézet écrit du poète
René Ghil (1862-1925) mais ai trouvé intérêt
à lire un article sur les rapports de Gide avec la revue Le
Centaure.
Suivent quelques pages sur une Mme Howland, à qui Proust dédia
un texte, un trop rapide survol de la nouvelle française au XIX°
siècle, un entretien avec Claude Durand, président des éditions
Fayard, un article sur "La géographie littéraire et
ses atlas" (une discipline qui attend son maître), un échange
de lettres entre Lucien Guitry et Émile Zola (dont plusieurs romans
furent adaptés au théâtre), l'étude d'une esquisse
de Prévert pour Une partie de campagne de Renoir.
L'intérêt revient avec l'article de Hans Hartje "Perec
sur Internet", un monde où on a parfois du mal à différencier
Georges de Marie-José. Dans les livres chroniqués, j'ai
retenu Les Drames de la vie ouvrière, un "grand roman
d'actualités politiques et sociales" de 1887 que j'essaierai
de me procurer.
Enfin, dans le "Courrier des lecteurs contents et mécontents",
on note la lettre de Jacques Neefs à propos du Portrait(s) de
Georges Perec qui avait été rudement chroniqué
dans un numéro précédent.
Cinéma. Le Coût de
la vie (Philippe Le Guay, France, 2003 avec Vincent Lindon, Fabrice
Luchini, Géraldine Pailhas, Lorant Deutsch, Isild Le Besco, Claude
Rich, Camille Japy, Catherine Hosmalin, Michel Vuillermoz, Bernard Bloch).
Les différentes sortes de relations qu'on peut entretenir avec
l'argent sont représentées ici par le truchement d'un radin,
d'un généreux, d'un jeune désargenté, d'un
PDG, d'une riche héritière, d'une call-girl de luxe, d'une
chômeuse, etc. Les portraits ne sont pas d'égale valeur.
Le radin (Luchini) est caricatural alors que le PDG (Rich) est un personnage
beaucoup plus complexe et intéressant. Au prix de torsions scénaristiques
laborieuses, tous ces personnages se croisent, se rencontrent, se fréquentent,
s'opposent ou se rassemblent. Dans les années 60, on faisait des
films à sketches (La Française et l'amour, Les
sept péchés capitaux...). Aujourd'hui, la mode est au
"film choral". Le Coût de la vie aurait pu être
un bon film à sketches.
JEUDI.
Courrier. Carte postale des G., qui
grignotent le Canigou. J'envoie une revue de presse à Y. et à
l'AGP, des réponses au concours du Monde.
Fermeture définitive. C'est
l'inscription qui barre la vitrine du marchand-réparateur TV en
face de la pharmacie. Je doute qu'il ait eu connaissance de l'existence
de la télé couleur mais je regretterai le capharnaüm
de sa boutique qui me servait de boîte à outils et où
il n'était pas rare de voir une brouette pleine de sable ou une
tronçonneuse luisante d'huile trôner au milieu des appareils
éventrés.

TV.
Sept hommes en or (Sette uomini d'oro, Marco Vicario, Italie-France-Espagne,
1965 avec Philippe Leroy, Rossana Podesta, Gabriele Tinti, Gastone Moschin;
diffusé sur Canal + en ?).
Le Professeur a mis au point un casse ingénieux pour vider de son
or une banque de Genève. Tout se passe bien jusqu'au partage du
butin.
L'habillage (la musique, les costumes, l'ambiance) fait penser, le côté
parodique en moins, aux films de la même époque tournés
par Georges Lautner, avec Rossana Podesta à la place de Mireille
Darc. La première moitié du film, consacrée au casse,
est bien menée, avec très peu de dialogues, du rythme et
des expérimentations sur le son et un suspense honnête. Le
reste est plus convenu (trahison des complices, coups de théâtre
attendus) mais l'impression finale est celle d'un film frais et techniquement
très abouti.
Curiosité : le Professeur, alias Albert, en émule de Pierre
Benoit peut-être, ne recrute que des hommes dont le prénom
commence par un A. Son gang est composé d'Adolf, Aldo, August,
Anthony, Alfonso et Alfred (un Allemand, un Italien, un Portugais, un
Irlandais, un Espagnol et un Français).
VENDREDI.
Bars clos. J'apprends dans la presse
locale la fermeture du Bar de l'Avenue, face à la gare, et vais
le photographier.
SAMEDI.
Vacances. En raison desquelles le
numéro 121 des notules sera servi le 17 août.
Bonne fin de semaine.
Notules
dominicales de villégiature exotique n°121 - 17 août
2003
SAMEDI
1.
Obituaire. Sur la [listeperec], D.
Cosnard m'apprend que c'est Georges Perec qui, sur photo, avait suggéré
à Alain Corneau de confier à Marie Trintignant le rôle
de Mona dans Série Noire (adapté et dialogué
par G. P. d'après un roman de Jim Thompson).
Vacances. Départ à 9
h 50. Troyes, Sens, Montargis, Châteauneuf-sur-Loire, Orléans,
Blois où l'on passe au sud de la Loire, Cour-Cheverny et Mur-de-Sologne
(code postal 41230, suite intéressante), notre lieu de résidence
estival. Il fait une chaleur de four, la climatisation de la nouvelle
auto est bienvenue. Dire qu'avant d'avoir ce véhicule, nous étions
obligés de rouler tout l'été vitres fermées,
rouges et suants, pour faire croire à nos voisins de bitume que
notre véhicule était climatisé... La maison fait
partie d'une ancienne ferme, totalement isolée à la sortie
du bourg. Les propriétaires sont absents. Nous sommes reçus
par un type, un voisin qui se donne le nom de gardien comme si, sur ces
terres de longue tradition ancillaire, son larbinat était un titre
de gloire. La maison est vaste, fraîche, ce qui risque d'avoir son
importance, et plutôt confortable. On voit qu'on est dans la région
des châteaux et que les propriétaires ont un goût sûr
pour l'aménagement intérieur. Les étagères
des armoires et placards sont recouvertes de papier aluminium ou de feuilles
d'essuie-tout, ce qui change de la toile de Jouy, des aubussonneries et
gobelinades qui habillent les demeures environnantes. Les ampoules des
lampes de chevet sont grillées pour nous rappeler le bon temps
des chandelles. En essayant d'ouvrir le tiroir de la table de nuit, j'emmène
le meuble jusqu'au milieu de la pièce, le remets précautionneusement
en place de peur d'en faire du petit bois (la caution est élyséenne).
Le matelas est estampillé Rizla Croix mais les filles sont heureuses
des lits superposés. L'étang est juste derrière la
maison. Se fiant à ma bonne tête de Hulot, le voisin-gardien
me fait miroiter des silures d'1,20 m avant de m'annoncer qu'en raison
de la chaleur, les poissons crèvent et qu'il n'est pas question
de pêcher. Une heure plus tard, Lucie et moi commençons à
rôtir, la canne en main, au bout du ponton. Lucie attrape le premier
poisson, un silure d'1,20 m raccourci de 115 cm, un poisson-chat, en réalité.
Je ne regagnerai le domicile que le soir venu, après avoir enfin
égalisé. En peu de temps, avec des journaux et des poupées
éparpillés un peu partout et France Cul qui grésille
dans un coin, on se sent chez nous. Alice s'endort sur son assiette, nous
écoutons le premier épisode des Thibault et les résultats
de la première soirée de foot (Metz commence par une défaite
à domicile).
DIMANCHE 1.
Exploration. Nous découvrons
les commerces de Mur-de-Sologne (supérette Euco où on ne
soucie guère des dates de péremption des produits), sillonnons
la campagne environnante, des étangs, des bois clôturés,
des pins maritimes, la brique rose omniprésente, des champs d'asperges,
de fraises, de poireaux, de glaïeuls, de cucurbitacées non
identifiées. J'aime bien ces régions neutres, maintenant.
J'ai trop aimé la Provence dans ma jeunesse pour y retourner un
jour, par crainte de voir ce qu'elle est devenue. Dans un domaine proche
de la maison, un Festival du Yoga. Ils sont plus de mille, paraît-il,
à être venus passer la semaine là-dedans, ce qui nous
vaudra, les jours suivants, de croiser quelques beaux spécimens
de Sikhs, bonzes, brahmanes et autres enturbannés, quelques-uns
courant pieds nus sur un bitume aussi fondu qu'eux. Inutile de chercher
à acheter des germes du soja, de l'Ebly ou du boulgour dans le
canton. Pas besoin d'affronter la canicule : France Culture diffuse 2 h 30
d'émission sur Kafka.
LUNDI 1.
Exploration. Nous partons à
Romorantin pour le ravitaillement. Ville moyenne, 20 000 habitants, mais
très étendue car dépourvue d'immeubles et totalement
sinistrée depuis la fermeture des usines Matra. Pendant notre absence,
les asticots se sont carapatés dans le frigo, ce qui ne me vaut
pas que des compliments. L'après-midi, visite de l'aquarium Aliotis.
Sûr qu'après avoir vu le bassin aux carpes Koï, mon
entourage va regarder mes prises d'un autre oeil.
Fait divers. "Donald Jirick avait
survécu le 1° août 1944 au crash de son bombardier. Cinquante-neuf
ans plus tard, l'ancien combattant américain revient en Touraine
et décède après une journée commémorative
en son honneur." (La Nouvelle République du Centre-Ouest du
jour).
MARDI 1.
Canicule. A part la maison, où
on ne peut tout de même pas garder les filles cloîtrées
toute la journée, le seul endroit supportable se révèle
être la piscine de Romorantin. Affectionnant peu ce genre de lieux,
je me contenterais bien du rôle de spectateur mais l'endroit est
curieusement "interdit aux personnes vêtues".
Pêche. Une piqûre de poisson-chat
au bout du doigt me vaut un bras anesthésié pendant douze
heures malgré l'intervention de ma pharmacienne préférée.
Une épuisette et une paire de ciseaux font naufrage.
MERCREDI 1.
Occupation. Piscine.
JEUDI 1.
Courrier. J'envoie une revue de presse
et une cassette à Y., entame les cartes postales.
Visite. Nous partons à la recherche
de la fraîcheur au château de Cheverny, modèle du Moulinsart
de Hergé. L'habituelle enfilade de pièces sans intérêt
pour moi mais Lucie aime bien la chambre du roi et s'attend à voir
une princesse débouler à tout moment. Pas de fraîcheur,
mais une odeur de renfermé semblable à celle de la ferme
de Saint-Jean-du-Marché à sa réouverture. Ne disons
pas que Cheverny sent la ferme mais que la ferme sent le château.
VENDREDI 1.
Excursion. Nous passons la journée
à Tours avec toujours cette sensation de se trouver à moins
d'un mètre d'un barbecue rougeoyant. Devant la cathédrale,
pas un centimètre carré n'a été concédé
aux marchands du temple : pas un parasol, pas une carte postale. A l'intérieur,
la température est propre à susciter des vocations. Je visite
le Musée des Beaux-Arts avec Lucie, moins riche que celui de Rouen
mais contenant deux pépites : Le Christ au Jardin des Oliviers
et La Résurrection de Mantegna, les deux volets du retable
de San Zeno de Vérone qui entouraient la Crucifixion visible
au Louvre (et dont, fait curieux, on voit ici une copie réalisée
par Degas). Je me rappelle avoir vu une autre version du Christ au
Jardin des Oliviers de même Mantegna à la National Gallery
de Londres avec le même traitement mais une autre disposition des
personnages. A part ça, un Rubens, un Rembrandt (à moins
que ce ne soit Dou) et beaucoup de choses moins intéressantes mais
une belle salle consacrée à Olivier Debré qui mériterait
peut-être un peu de la gloire accordée à Nicolas de
Staël. Nous rejoignons Caroline et Alice, en quête de magasins
climatisés après avoir arpenté quelques rues du vieux
quartier. Je n'aurai vu pour ma part que la partie reconstruite de la
ville qu'il nous faut fuir avant l'étouffement fatal.
Presse. La Nouvelle République
montre la photo d'un écriteau apposé en bordure de l'étang
du camping d'Autrèche : "PÊCHE FERMÉE. Pêche
fermée momentanément car avec la chaleur les poissons manquent
d'oxygène. Merci de votre compréhension. Le propriétaire,
Mr Goujon."
SAMEDI 2.
Pêche. En passant de l'asticot
au ver de terreau, je prends plus de gardons que de poissons-chats. Depuis
ma piqûre, je n'ai plus d'affection pour ces derniers qui, outre
leurs nageoires empoisonnées, présentent l'inconvénient
d'être si goulus qu'il faut quasiment les éviscérer
pour pouvoir récupérer son hameçon.
Tripot. J'apprends à Lucie
à jouer à la bataille.
Occupation. Piscine. Un semblant d'orage
apporte un peu de fraîcheur. Les filles jouent dehors jusqu'à
la nuit, j'écoute la soirée de foot dans un état
de béatitude totale accentué par la certitude qu'il ne se
reproduira pas. Demain débutera la deuxième semaine, la
dégringolade vers le retour, on commencera à penser aux
denrées qu'il n'est plus nécessaire d'acheter, à
l'itinéraire, aux choses à faire en rentrant...
DIMANCHE 2.
Gâchis. Qu'est-ce que je disais.
Aujourd'hui, première journée foirée. Les filles
sont pénibles, les parents énervés. Nous tentons
de nous rafraîchir l'esprit en allant prendre un bain de pieds dans
le Cher, à Selles-sur-Cher exactement. Je ne pouvais tout de même
pas rater ce palindrome géographique. Lucie se fait piquer par
une guêpe, ce qui couronne le tout.
LUNDI 2.
Courrier. J'envoie les réponses
au concours du Monde de la semaine dernière et une nouvelle fournée
de cartes postales.
Occupation. Piscine.
Feuilleton. Nous abandonnons l'écoute
des Thibault, pas vraiment passionnante.
MARDI 2.
Presse. Les avis de décès
occupent de plus en plus de place dans La Nouvelle République.
Occupation. Piscine.
MERCREDI 2.
Excursion. Nous partons à la
découverte de Blois. En chemin, un coup de téléphone
nous apprend que mon beau-père s'est fait emboutir au volant de
l'auto que nous avions laissée à la pharmacie. Leçon
n° 1 : planquer les clés des véhicules qu'on laisse
sur place. Leçon n° 2 : ne pas emporter de téléphone
en vacances. Nous faisons le tour de la vieille ville en calèche.
Les filles bichent d'être assises à portée de crottin,
de chaque côté de la jeune calèchière. Quant
à nous, nous nous disons qu'il vaut mieux être dévisagés
par les passants goguenards sur ce genre de véhicule que dans les
petits trains électriques qui sillonnent les rues de Cannes ou
de Strasbourg. La température est presque redevenue supportable,
ce qui autorise une visite de Blois sans soif. Nous croûtons en
terrasse sur l'esplanade du château. Des fenêtres du Musée
de la Magie, des dragons passent de temps en temps une tête ou une
patte articulées. Au retour, nous passons chez un viticulteur dont
j'avais noté l'adresse. La Jaguar garée dans la cour me
dissuade de contribuer à l'accroissement de son capital imposable.
Pêche. Sept gardons au coup
du soir, record de la quinzaine.
JEUDI 2.
Courrier. J'envoie une revue de presse
à Y., accompagnée de mes félicitations pour sa première
apparition dans Le Monde, son
travail sur les violences conjugales ayant été mis
en valeur par l'affaire Marie Trintignant.
Occupation. Dernière séance
à la piscine.
VENDREDI 2.
Occupation. Je passe la journée
sur le ponton, fais mes adieux aux poules d'eau, aux martins-pêcheurs
et aux gardons manqués. Les filles attrapent des grenouilles. Nous
partons manger des trucs mous à Romorantin, que nous connaissons
désormais comme notre poche. Je m'étais d'ailleurs dit au
début du séjour que si je me perdais à Romorantin,
je n'irais jamais à New York.

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SAMEDI 3.
Bilan littéraire. Je m'étais
promis de finir Les Thibault pendant ce séjour, sans y parvenir.
La pêche m'a trop accaparé (pas un seul bredouille). En revanche,
je suis satisfait du travail fait sur mon Atlas puisque j'ai exploité
la douzaine de Série Noire que j'avais emportée.
Retour. Nous décollons à
10 h 25, trouvons l'ombre propice au pique-nique dans la forêt de
Montargis. Arrêt désormais traditionnel dans les hangars
à nippes de Troyes, histoire de bien se persuader que les vacances
sont terminées. Prise d'ennui, Alice entreprend de graver la vitre
latérale de l'auto avec un silex déniché dans sa
chaussure, ce qui donne un petit air de voiture RATP à notre véhicule.
Ou comment passer de Romorantin à la Chaussée d'Antin. Je
dépouille le courrier et le courriel. G.N. est à Hastings,
les D. en Bretagne, les M. à Gaillac. J.-C.F. m'a déniché
une cargaison de vieux Série Noire. F.P. s'est mis à la
chasse aux aptonymes. Une demande d'abonnement aux notules. Patrick Boman,
un auteur chroniqué dans un ancien numéro, m'envoie un mot
fort civil malgré le ton mitigé de ma critique, ce qui me
change des râleurs vindicatifs. Après Le Monde, Y. fait son
apparition dans Le Parisien, sur les ondes de France Info et de la BBC.
J'ai raté le numéro spécial des Inrockuptibles sur
Perec.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°122 - 24 août 2003
DIMANCHE.
Reprise. Je fais ma rentrée
au PMU (3,50 de gains) et à Saint-Jean-du-Marché.
TV. Total Khéops (Alain
Bévérini, France, 2002 avec Richard Bohringer, Marie Trintignant,
Robin Renucci; diffusé sur Canal + en juillet 2003).
Marseille. A peine sorti de prison, Manu commet un cambriolage à
l'issue duquel il est abattu. Son ami de jeunesse, Fabio, enquête.
A l'origine, il y a un trio de jeunes amis autour de Lole, leur amour
à tous les trois. Deux deviennent voleurs, l'autre passe du côté
des gendarmes. Les voleurs meurent, le gendarme voudrait savoir pourquoi.
Bévérini suit fidèlement la trame du roman de Jean-Claude
Izzo, à part pour le dénouement qui anticipe sur ce qui
se passera dans les épisodes suivants de la trilogie. Le charme
du roman ne venait pas de l'intrigue, très convenue, mais du personnage
central (Bohringer le campe bien) et surtout du cadre, de la façon
de présenter Marseille sur le mode fascination-répulsion.
L'adaptation de Bévérini ne donne pas un grand film mais
un film honnête plombé parfois par ses maladresses (les retours
en arrière sur les jeux de plage du trio avec Lole).
LUNDI.
Plaies et bosses. Je mène l'auto
cabossée chez le carrossier. Caroline s'occupe de l'imprimante
et du distributeur de préservatifs tombés en panne pendant
notre absence. Conséquence : une préparatrice est enceinte.
Jardin. Les légumes n'ont pas
trop souffert de la sécheresse. Les tomates sont belles et bonnes,
les topinambours atteignent le double mètre, la récolte
de charlottes sera moyenne mais celle de rattes s'annonce meilleure. J'active
la première ratatouille.
Cinéma. Narc (John Carnahan,
USA, 2002 avec Ray Liotta, Jason Patric, Busta Rhymes, Chi McBride, Anne
Openshaw, Richard Chevolleau, John Ortiz, Booth Savage).
Nick Tellis, officier du service de stupéfiants de Detroit et ancien
drogué, est réintégré par ses supérieurs
pour enquêter sur la mort d'un de ses collègues.
Aux côtés de Narc, Total Kheops, vu la veille,
ressemble à un conte pour enfants. Narc est un vrai film
noir, urbain, qui rappelle le Tarantino des débuts (Reservoir
Dogs, avec la séquence finale dans le garage). De Detroit,
on ne verra que des faubourgs désolés, des taudis, jamais
le ciel ou presque. Ce qui domine, c'est la peur, également partagée
entre les flics et les délinquants, entre lesquels la frontière
est d'ailleurs très floue. Chaque porte qui s'ouvre peut être
l'occasion de se trouver face à une arme en activité. La
vérité que recherche Nick Tellis, associé pour son
enquête à un flic hyper violent, est fuyante. On ne connaîtra
la façon dont le flic assassiné est mort qu'après
un long cheminement sur des fausses pistes épuisantes. John Carnahan,
un inconnu, multiplie les changements de rythme, de traitement de l'image
avec maestria, sans tomber dans l'épate ou la sophistication genre
Seven. Les dialogues sont hachés et scandés comme des morceaux
de rap. Le polar de l'été assurément.
MARDI.
Courriel. J'envoie ma contribution
pour les Cahiers du LIS (Laboratoire d'Inventions Scientifiques, voir
http://www.fatrazie.com/Calis.htm)
n° 33.
Interrogatoire. "Après
un effondrement de plancher qui a fait six blessés dimanche, une
expertise de tous les sols et plafonds aura lieu à Chambord."
(La Liberté de l'Est du jour). Je vous jure, Monsieur le Commissaire,
que si je suis bien allé à Chambord avec ma famille la semaine
dernière, nous nous sommes contentés d'admirer l'édifice
de l'extérieur. Je suis bien trop radin pour avoir eu ne serait-ce
que l'intention d'acquitter les droits d'entrée dans ce château
et ce ne sont pas les cavalcades et les trépignements de mes filles
sur les parquets cirés qui peuvent être à l'origine
de la fragilisation des structures ayant occasionné cet accident.
DVD. Kafka (Steven Soderbergh,
USA, 1991 avec Jeremy Irons, Theresa Russell, Joel Grey, Ian Holm, Jeroen
Krabbé, Armin Mueller-Stahl, Alec Guinness).
Contrairement à ce que le titre pourrait laisser croire - et à
ce que je m'attendais à voir - il ne s'agit pas d'une biographie
filmée de Franz Kafka mais d'une plongée, d'une totale immersion
dans l'oeuvre de l'écrivain, d'une ambitieuse tentative d'illustration
de son univers. Sur le plan formel, Soderbergh fait clairement référence
aux films expressionnistes allemands (ceux que Kafka a pu voir à
Prague ou à Vienne, il me semble même qu'il a fait de la
figuration dans certains films) : un personnage s'appelle Doctor Murnau
(réalisateur de Nosferatu, 1922), il est question d'un dossier
Orlac (cf. Les Mains d'Orlac de Robert Wiene, 1924). L'autre référence
est la version du Procès par Orson Welles, premier grand film kafkaïen
avant le Playtime de Tati, qui avait utilisé la gare d'Orsay
comme décor, d'où ici la présence de verrières
et de salles immenses.
Le personnage interprété par Jeremy Irons s'appelle Kafka.
Comme l'écrivain, il travaille le jour pour une compagnie d'assurances
et écrit la nuit. Une de ses connaissances lui parle de son admiration
pour La colonie pénitentiaire, il lui apprend qu'il est
en train d'écrire La métamorphose et le film se termine
par la lecture en voix off de La lettre au père qu'un Kafka
toussotant (tuberculose) entreprend de rédiger face à sa
fenêtre après avoir recommandé à un ami, incarnation
de Max Brod, de détruire tous ses manuscrits. Ces indices biographiques,
et c'est là que le film est très fort, sont insérés
dans un tissu qui mêle les fils de plusieurs oeuvres de Kafka. La
ville où travaille Kafka est dominée par un château
qui abrite une administration aussi puissante que mystérieuse.
Kafka, comme le K. du Château, cherche à s'introduire dans
l'édifice et à en percer les secrets (le héros de
cinéma y parvient, à la différence de celui du roman,
ce qui donne lieu aux seuls scènes en couleur et à des scènes
de torture présentes, elles, dans Le Procès). Au
début de l'histoire, Kafka est à la recherche d'un de ses
collègues de travail, Edouard Raban, qui a disparu sans laisser
de trace. Edouard Raban, c'est le nom du héros d'une nouvelle de
Kafka, Préparatifs de noce à la campagne. Kafka,
le Kafka du film, fait part de son inquiétude à une autre
de ses collègues, Gabriela Rossmann. Rossmann, c'est le nom de
famille du héros de L'Amérique. Il y a aussi un nommé
Grubach : la concierge de Joseph K. dans Le Procès s'appelle
Mme Grubach. Mieux que ça, on affecte à Kafka deux aides
dans son travail, ce qui arrive effectivement à K. dans Le Château.
Or, au cours d'une scène, les deux aides deviennent les deux messieurs
qui accompagnent Joseph K. à la mort dans les dernières
pages du Procès (et qui apparaissent à la fin du
chapitre I de La Vie mode d'emploi de Perec). Voilà ce que
j'ai repéré mais je ne connais Kafka que de façon
lacunaire (je ne suis pas un kafkalogue que l'on redoute, je ne suis qu'un
kafkalogue des soirs tristes) et quelqu'un de plus averti que moi trouvera
certainement d'autres correspondances, de même qu'un connaisseur
de Shakespeare pourra s'intéresser au personnage du fossoyeur.
On touche là au revers de la médaille, à savoir que
Kafka est un film pour initiés. Plus on connaît l'écrivain
et plus on se régale. En tout cas, c'est un travail magnifique
accompli par Lem Dobbs (scénariste) et Soderbergh qui ne fera pas
toujours preuve d'autant d'ambition dans la suite de son oeuvre. A voir
et à revoir au fil des lectures et relectures de Kafka.
Curiosité. J'aime bien lire les critiques autorisés après
avoir vu un film et en avoir rédigé ma chronique. Ca me
flatte quand je vois que j'ai repéré les bonnes références,
ça me navre quand je vois que j'ai raté tel ou tel aspect
du film. Voici ce que je lis dans Le Guide des films (Jean Teulard,
Bouquins, Robert Laffont, 1997) : "On attendait une vie de Kafka,
on a un mauvais pastiche des films expressionnistes. Tout est gratuit
et vain dans cette oeuvre prétentieuse." Tant pis, je persiste
et signe.
MERCREDI.
Lecture. Viridis Candela (Carnets
Trimestriels du Collège de 'Pataphysique n° 10, 15 décembre
2002).
Le Collège de 'Pataphysique cultive l'aptonymie : François
Carré, Martine Courtois, Henri Bouché, Pierre Dieulefait,
Luc Cornet, pour ne citer que quelques-uns de ses dignitaires, occupent
en son sein des fonctions en rapport avec la signification de leur patronyme.
Il est donc naturel de trouver dans ce numéro une solide contribution
d'Alain Zalmanski, notulien, qui fait le point sur les dernières
avancées de la science aptonymique. Rappelons à sa suite
qu'un aptonyme est un "nom de personne qui se trouve étroitement
associé au métier et aux occupations de l'individu qui le
porte et, par extension, à toute référence objective
le concernant, en particulier géographique". La France se
révèle un terrain particulièrement propice à
la culture de l'aptonyme puisqu'elle détient le record mondial
des patronymes "avec près d'un million de noms portés
en 2000, malgré la disparition de 200 000 noms au cours du
siècle précédent." La liste des aptonymes recensés
(voir
http://www.fatrazie.com/aptonymes.htm)
couvre 8 pages des Carnets, de Xavier ALHERITIERE, notaire à Dijon
(21) à Rose WEHR, café-bar à Knutange (57). Le département
des Vosges est à l'honneur avec William FAGOT, menuiserie à
Denipaire (qui, d'après l'annuaire 2003, a cessé de menuiser
sous son propre nom et exerce désormais sous la plate raison sociale
"Denibois") et Robert GUERY, médecin à Celles-sur-Plaine.
En vrac, dans le reste de ce numéro : la fin de la publication
de la pièce Vive la France !, de Franc-Nohain ("On
sait que Dieu est là, ça impressionne et ça fait
plaisir") et un article sur une discipline intéressante, la
rétrophysiognomonie, ou étude visuelle, voire tactile, des
fessiers qui se fonde sur des maximes telles que "Il est plus réconfortant
de dévisager un cul que de déculer un visage." Terminons
avec cette fable-expresse de Greg Lacroix :
"J'ai donné mon corps à la science
Et c'est vraiment un beau cadeau
Un superbe champ d'expérience
Qu'ils ont mis, les sots, au frigo.
Moralité
Ce sont toujours les corps donnés
Qui sont les plus mal chauffés."
TV. Football. Suisse-France
(0-2). Je retrouve un intérêt certain pour le foot après
une période d'éloignement due aux abus qui ont suivi la
Coupe du Monde 1998. J'ai cessé le lire L'Equipe après 20
ans de pratique quotidienne et je suis sûr que je n'ai pas suivi
plus de cinq matches la saison dernière. Les budgets se dégonflent,
le F.C. Metz et le S.A. Spinalien sont promus à un échelon
supérieur, mon goût revient. J'ai même envie de retourner
au stade.
JEUDI.

Ceci
est une boîte de camembert. Je ne suis pas tyrosémiophile
mais j'aime beaucoup cette image. J'ai reçu un véritable
choc esthétique quand je l'ai vue à l'étal de mon
crémier. J'y ai vu une sorte de version naïve et rustique
du Changeur et sa femme de Quentin Metsys (voir http://www.macrosociologie.com/macrosociologie/tome_2a.html).
J'aime tellement cette image que j'ai imposé à mon foyer
la consommation exclusive du camembert Bons Mayennais. C'est qu'en plus
d'être ornée d'une image magnifique, la boîte de Bons
Mayennais contient un point. En cumulant ces points, on peut obtenir des
cadeaux. J'ai déjà dans ma garde-robe un tee-shirt Bons
Mayennais avec la reproduction de ce couple sur le coeur. Aujourd'hui,
j'envoie 150 bons et 3,40 € en timbres pour recevoir une montre.
Comme le carrelage de la maison de Mur-de-Sologne a été
fatal à ma montre Marcel Proust, il me semble que seule une montre
Bons Mayennais pouvait la remplacer avantageusement. Il me restera ensuite
à acquérir un ballon, une peluche (150 bons), un drap de
bain, un stylo plume de marque (60 bons), un pin's et un jeu de cartes
(20 bons) pour être à la tête de la collection complète.
J'envoi une revue de presse à Y. et à l'AGP et une moisson
d'aptonymes à A.Z. : Béatrice BABY, sage-femme à
Beauvais (merci G.N.), François MORTIER, professeur en faculté
de pharmacie à Nancy (merci Caroline), une MALAISE et une BOUTON
infirmières à Romorantin.
VENDREDI.
Aménagement du territoire.
Installation de lits superposés dans la chambre des filles. Une
seule ampoule pour 179 vis, score honorable.
Courrier. Une carte postale de S.,
à Bruxelles.
Courriel. G.N. m'envoie trois incipit
géographiques.
Sortie. Nous partons en quatuor écouter
Mister Oz's Big Band place des Vosges. Musique pénible, station
debout pénible, filles pénibles, ma tentative de réconciliation
avec la foule, entamée en juillet, tourne court.
SAMEDI.
Emplettes. J'achète les numéros
3 et 4 de notre collection de DVD, A bout de souffle de Godard
et Parade de Tati pour 4,09 € chacun.
Football. SAS - Amnéville (2-1).
Cela faisait cinq ans que je n'avais pas mis les pieds au stade de la
Colombière. Ici, la foule ne me gêne pas, je suis sûr
de n'être reconnu de personne. Je retrouve d'anciennes vedettes
des lieux, côté pelouse ou côté buvette, et
des joies primaires. Avec une victoire des locaux et une petite bagarre
à la fin, le plaisir est total. Je reviendrai.
TV. Les petites couleurs (Patricia
Plattner, France-Suisse, 2002 avec Anouk Grinberg, Bernadette Lafont,
Philippe Bas, Gilles Tschudi; diffusé sur Canal + en juillet 2003).
Christelle, coiffeuse, est maltraitée par son mari. Elle s'enfuit
du domicile et trouve refuge au motel Galaxy dont la patronne, Mona, devient
son amie.
Patricia Plattner commence par présenter une situation de femme
victime de violences conjugales. Certaines traces sont visibles, celles
laissées par les coups du mari, d'autres non mais sont tout aussi
handicapantes : Christelle n'a pas un sou, c'est l'homme qui tient les
cordons de la bourse. On s'oriente ensuite vers une sorte de conte de
fées, la rencontre avec Mona, qui recueille Christelle, la loge,
la nourrit, l'emploie, puis avec un prince charmant qui lui fait découvrir
le véritable amour. Pourtant, on ne peut s'agacer de ce côté
un peu trop facile car il est totalement assumé, notamment par
la présentation, qui court tout au long du film, d'un feuilleton
sentimental caricatural que les deux femmes suivent à la télévision
et qui montre des aspects de leur vraie vie sans qu'elles s'en rendent
compte. En basculant ainsi volontairement du drame à la fantaisie,
la réalisatrice ne manque pas sa cible. Elle évite le film
charge démonstratif mais le temps que met Christelle à guérir
permet de ne jamais oublier ce dont elle a été victime.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°123 - 31 août 2003
DIMANCHE.
Chirac. Mes parents viennent à
la croûte. La tête de veau ravigote tout le monde.
Courriel. Échange avec A.Z.,
de passage en Touraine lui aussi cet été, qui me fait regretter
de n'avoir pas visité un musée consacré aux détournements
de la Joconde à Saint-Cyr-en-Val, près d'Orléans.
Ch. découvre le L.I.S.
J.-C.F. poursuit sa moisson de Série Noire et de Série Blême.
T.V. Terminator (The Terminator,
James Cameron, USA, 1984, avec Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton,
Paul Winfield, Lance Henriksen, Bessa Motta; diffusé sur TF1 en
février 2000).
Terminator est un robot venu du futur pour tuer Sarah Connor avant qu'elle
ne donne naissance à son enfant : celui-ci doit prendre la tête
de la rébellion contre les robots. Un autre passager en provenance
du futur essaie de protéger Sarah Connor.
La première partie de l'histoire, celle qui est consacrée
à la traque de Sarah par Terminator, est efficace. Suspense, rebondissements,
virtuosité de la mise en scène sont au service d'un thème
classique. Ca se gâte quand le protecteur de Sarah évoque
pour elle la vie qui attend les humains dans l'avenir (images proches
de Mad Max), et tombe amoureux d'elle. Pendant ces roucoulades, Terminator
(Schwarzenegger, aux mouvements très lents, est vraiment impressionnant)
fourbit ses armes et se prépare pour le combat final. Que je ne
peux raconter, m'étant endormi malgré la pétarade.
LUNDI.
Courrier. Les D. cabotent en Charente-Maritime,
J. est en Ardèche. B. m'envoie le numéro des Inrockuptibles
consacré à Perec et un article du Midi Libre faisant le
bilan chiffré du rassemblement altermondialiste du Larzac, bel
exemple de poésie énumérative : "1340 véhicules
et 582 personnes ont été contrôlées. Les gendarmes
ont établi 71 procédures dont 36 pour des affaires de stupéfiants.
Pêle-mêle, on retrouve 3 g de speed, des buvards de LSD, 33
cachets d'ecstasy, 1 g de cocaïne, 978 g de cannabis, 20 bières
au cannabis provenant d'Espagne, plusieurs bangs en bambou (pipes à
eau) et du MDA (mélange de plusieurs drogues dures)."
Cinéma. Loin du paradis
(Far From Heaven, Todd Haynes, USA, 2002 avec Julianne Moore, Dennis Quaid,
Dennis Haysbert, Patricia Clarkson, Viola Davis).
Hartford, Connecticut, 1957. Cathy Whitaker mène une vie de femme
au foyer exemplaire, d'épouse et de mère comblée,
impliquée dans la vie associative de la commune et attentive à
la vie professionnelle de son mari. Une série d'événements
et de révélations met ce bel édifice par terre.
Dès le générique, un survol de la petite ville aux
couleurs de l'été indien qui s'achève dans la belle
maison des Whitaker, c'est gagné : les grosses voitures alignées
devant la gare, le cinéma local qui passe Miracle in the Rain
de Rudolph Maté, les enseignes, la musique avec ce qu'il faut de
violons, la beauté de Julianne Moore, tout y est : le souvenir
des films de Douglas Sirk (l'histoire se réfère clairement
à Tout ce que le ciel permet), les couleurs de La Fureur
d'aimer d'Irving Rappner reviennent en mémoire. Haynes dépeint
une société où tout est merveilleusement à
sa place : l'homme à son bureau, la femme à son plumeau,
le Noir à son râteau. Cathy est une femme sans ombre, qui
ignore le mal, la méchanceté et qui va y être confrontée
en se cognant violemment à deux tabous de l'époque, l'homosexualité
et le racisme. Elle se retrouve seule, son couple brisé, ses amies
envolées, et fait face. Le mélodrame parfait, parce que
simple et respectueux des personnages, en même temps qu'un appel
à la tolérance et à la différence qui résonne
comme un cri dans le désert de cette Amérique des années
50.
Couriel. Reprise des billets d'Hervé
Le Tellier.
MARDI.
Emplettes. J'achète Jarry en
Pléiade et le dernier A.D.G.
Courrier. Carte postale des L., en
Crète.
T.V. Championnats du monde d'athlétisme
à Paris. Le commentateur cocardier qui officie ferait passer Thierry
Roland pour un être pondéré.
Courriel. Une inconnue, appâtée
par mes commentaires sur P.J., me demande l'adresse du fan club de Bruno
Wolkowitch.
MERCREDI.
Vie parisienne. Je pars pour Paris
par le 7 heures 40. En chemin, je pense à un nouveau texte qui
serait le fruit de mes visites au Louvre. J'arrive à midi, prends
le 47 jusqu'à la place Monge, croûte au Monge, ma cantine
cardinalice étant fermée pour l'été. J'achète
deux gravures du XIX° représentant Épinal, une sur bois
et une taille-douce, à un nouveau libraire d'ancien de la rue Monge.
Je passe l'après-midi à la Bibliothèque des Littératures
Policières et rejoins le Louvre par la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève,
la rue de Bièvre, les quais et le Pont Royal. J'achète un
ouvrage didactique sur la peinture et des cadeaux pour les filles à
la boutique des Musées de France et reprends mon exploration du
deuxième étage de l'aile Richelieu, salles 3 et 4 avec une
interruption thé-cake en terrasse au café Richelieu où
je suis le seul à parler français. Ce qui ne saute pas vraiment
aux oreilles puisque je suis aussi le seul à ne pas parler du tout.
Deux pièces majeures au programme de ces deux salles, La Vierge
du chancelier Rolin, de Van Eyck http://www.artyst.net/V/VanEyck15/VanEyckViergechancelierRolin15.htm,
et L'Annonciation (mon thème de prédilection en peinture,
à cause de sa richesse symbolique et de la fréquentation
de Daniel Arasse qui a su m'en dévoiler les mystères) de
Rogier Van der Weyden http://www.c2rmf.fr/pages/page_id18218_u1l2.htm,
peut-être déjà vue à l'occasion d'une rétrospective
à la National Gallery de Londres.
De retour dans ma chambre, je feuillette fébrilement Le Monde qui
publie les résultats du concours de l'été. Parmi
les vainqueurs, je ne trouve qu'un R. Bordier, d'Épinal. J'avais
pourtant l'impression d'avoir écrit mon nom de façon lisible.
Je croûte des rougets à la Brasserie de l'Est, à côté
de supporters britanniques venus du Stade de France.
JEUDI.
Vie parisienne (suite). Je rédige
l'avant-propos de mon nouveau texte, intitulé Mémoire
louvrière, que je mets ici en pièce
jointe. Le 47 me conduit place d'Italie d'où j'entame un
long vagabondage, d'abord dans le quartier de la Butte-aux-Cailles : rue
du Père-Guérin, rue du Moulin-des-Prés, rue des Cinq-Diamants
(une pharmacie minuscule, le siège des Amis de la Commune de Paris
avec drapeau rouge et oeuvres de Louise Michel en vitrine), passage Barrault
("voie privée interdite aux voitures pesant plus de 3000 kgs"),
rue Barrault où je n'ai pu voir ce pour quoi j'étais venu,
la Petite Russie où étaient logés les chauffeurs
d'une société de taxis et une autre cité insolite,
la petite Alsace. La faute aux digicodes. N'importe, je n'ai pas de regrets
tant le quartier est calme et agréable à sillonner avec
sa profusion de petites maisons et de jardins. Rue de la Butte-aux-Cailles,
je m'attarde devant Le Temps des Cerises, "Société
Coopérative Ouvrière de Production", un restaurant
en réalité ("Coupez vos portables, bordel" dit
gentiment l'affichette sur la porte). Je lis Le Figaro sur un banc du
boulevard Auguste-Blanqui, face au métro aérien, longe les
murs de la Santé et de l'hôpital Cochin. Il y a un marché
boulevard du Port-Royal mais les crémiers ne vendent pas de Bons
Mayennais. Je remonte le boulevard Raspail jusqu'à une boutique
chic où j'achète mon grimpant annuel. Boulevard Saint-Germain,
j'entre à L'Écume des pages et à La Hune regarder
les livres de la rentrée. Je croûte dans une pizzeria marocaine
de la rue des Boulangers et vais reposer mes arpions surchauffés
à la Bilipo. Je rentre at home par le 18 heures 49.
Lecture. Les Thibault (Roger
Martin du Gard, 8 parties, "Le cahier gris", " Le pénitencier",
"La belle saison", "La consultation", "La Sorellina",
"La mort du père", "L'été 1914",
"Épilogue" publiées entre 1922 et 1940 et rassemblées
en deux volumes de la Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
1955, 803 + 1011 pages; 53,36 + 45,73 ).
Paris, années 1900. Oscar Thibault, grand industriel, grand bourgeois,
grand catholique, a deux fils, Antoine, qui se destine à la carrière
de médecin, et Jacques, son cadet. Lorsque Jacques fugue jusqu'à
Marseille avec son ami Daniel, le père le punit durement en l'enfermant
dans un pénitencier catholique dont il est le fondateur-directeur.
A sa sortie, Jacques, profondément marqué, renonce à
retrouver sa place dans le milieu familial et s'installe en Suisse où
il fréquente les milieux de l'Internationale Socialiste. Devenu
un pacifiste convaincu, il meurt en avion au début de la guerre
de 14 alors qu'il s'apprête à larguer sur le front des tracts
appelant à l'insoumission. Parallèlement, Antoine est devenu
un médecin réputé, un modèle de réussite.
Mais la guerre casse son ascension : gazé, il meurt dans une clinique
du sud de la France après avoir observé et consigné
la progression de sa maladie et les réflexions qu'elle lui inspire.
Il faut du souffle, plus de deux mois de lecture pour venir à bout
de ce roman-fleuve, de ses rapides et de ses méandres : comme souvent
dans les grands textes, l'intérêt subit des variations importantes
au fil de la lecture. Toute la première moitié des Thibault
est plutôt digeste. Martin du Gard présente une famille bourgeoise
dominée par la figure effrayante du père. "Nous ne
sommes pas seulement deux individus, Antoine et Jacques : nous sommes
deux Thibault, nous sommes les Thibault. (...) Nous autres, les Thibault,
nous ne sommes pas comme tout le monde. Je crois même que nous avons
quelque chose de plus que les autres, à cause de ceci : que nous
sommes des Thibault." Un fils se soumet, l'autre non. On se croirait
chez les Flaubert, et chacun des fils vit en quelque sorte son éducation
sentimentale. Antoine vole de succès en succès, Jacques
s'enferme dans la solitude, découvre Gide et Nietzsche. L'épisode
du pénitencier est à mon goût le plus réussi,
l'aveuglement du père, l'horreur du sort qu'il réserve à
son fils (et basé sur des motifs religieux) sont saisissants. Son
agonie sera d'ailleurs à la mesure du personnage, oscillant du
grandiose au grotesque.
Une fois que Martin du Gard a débarrassé ses personnages
de cette ombre étouffante, il va les confronter à un autre
monstre : l'Histoire. Pris dans le tourbillon des événements
qui annoncent la guerre, Jacques se lance dans l'activisme politique,
Antoine ne pense qu'à sa carrière. C'est là ("L'été
1914") que le roman se fait pesant. Les discussions théoriques
entre Jacques et ses camarades (sur le socialisme, le pacifisme, le terrorisme)
n'en finissent pas, les heures et les chapitres s'allongent démesurément,
les artifices utilisés par l'auteur pour rattraper l'intérêt
du lecteur (Jacques, par exemple, assiste à l'assassinat de Jaurès
dans une scène dont Léautaud, dans son Journal littéraire,
a souligné les inexactitudes historiques) ne fonctionnent pas.
Jacques, de toute façon, Albert Camus a raison de le souligner
dans sa préface, est un personnage figé. De sa première
fugue à sa mort, il n'évolue pas, son idéalisme le
mène droit dans le mur. C'est un personnage noble et droit qui
a dû servir de modèle à nombre d'adolescents, mais
c'est un personnage fixe.
Le personnage d'Antoine est plus riche. L'épilogue est consacré
à son cheminement vers la mort, au fil des pages de son carnet
intime. Et c'est lui, parti avec un handicap important, qui devient le
personnage le plus intéressant du livre car c'est le seul qui change,
qui s'ouvre au monde après avoir vu toutes ses certitudes balayées
par la guerre.
L'ambition de Martin du Gard est immense. Le roman familial se termine
en roman universel. Martin du Gard écrit en 1940 sur l'année
1918 (avec des passages prémonitoires : "Au fond, combien
sommes-nous, à l'arrière, qui savons ce que c'est ? Ceux
qui en sont revenus, combien sont-ils ?... Et ceux-là, pourquoi
en parleraient-ils ? Ils ne peuvent, ils ne veulent rien dire. Ils savent
qu'on ne pourrait pas les comprendre."), ce qui n'incite pas à
l'optimisme. Mais son écriture n'est pas à la hauteur de
son ambition. Il est curieux de voir qu'au moment où le roman européen
éclate de toutes parts (Proust, Mann, Céline, Joyce, Kafka...),
renouvelle ses codes, explore de nouveaux territoires, Roger Martin du
Gard fait preuve d'un classicisme qui semble aujourd'hui terriblement
poussiéreux : scènes de bravoure à la Zola, omniscience
du narrateur, qualité "scolaire" du style.
Curiosité : Martin du Gard n'utilise pas le terme "gymnaste"
mais "gymnasiarque".
Extrait (non représentatif, ce sont les seules lignes empreintes
d'un peu de fantaisie). "Il y a treize ans que je rumine ça,
Monsieur Antoine. Depuis l'Exposition. J'ai même, rien qu'à
moi seul, inventé un tas de petites célébrités.
Oui. Un talon enregistreur, pour compter les pas. Un mouilleur de timbres,
automatique et perpétuel. (...) Mais le plus conséquent,
c'est l'œuf. L'œuf carré. Reste à trouver mon liquide. Pour
ça, je suis en correspondance avec des chercheurs. Les curés
de campagne, ce sont tous des candidats adeptes : en hiver, après
l'Angelus, on a le temps de bricoler, n'est-ce pas ? Je les ai tous lancés
sur mon liquide. Dès que j'aurai mon liquide... Mais le liquide,
ça n'est plus rien. Le difficile, c'était l'idée.
Antoine écarquillait les yeux :
- Dès que vous aurez trouvé le liquide ?...
- Eh bien, j'y trempe mes oeufs... juste assez pour ramollir la coquille
sans gâter l'œuf !... Vous y êtes ?
- Non.
- Je les fais sécher dans des moules...
- Carrés ?
- Naturellement !
M. Chasles se tortillait comme un ver coupé. Antoine ne l'avait
jamais vu dans cet état.
- Par centaines ! Par milliers ! Une usine ! L'œuf carré ! Plus
de coquetiers ! L'œuf carré se tient debout ! Sa coquille reste
dans le ménage ! On en fait un porte-allumettes, on en fait un
pot à moutarde ! L'œuf carré se range en boîtes, comme
des pains de savon ! Alors, pour les expéditions, vous vous rendez
compte ?
Il voulut regrimper sur son strapontin; mais aussitôt, comme s'il
s'était piqué, il sauta à terre. Il était
devenu pourpre.
- Excusez-moi, je reviens, murmura-t-il en gagnant la porte. La vessie...
C'est nerveux... Dès que je parle de l'œuf..."
Courrier. B. raconte le Larzac, I.
est à Bitche, un coin que je connais pour des raisons autres que
touristiques, Hervé Moritz envoi les "épreuves"
de ma contribution au CALIS pour accord.
VENDREDI.
Courrier. Un CD de Daniel Lanois,
une carte postale des S., en Corse. J'envoie ma phynance au Collège
de 'Pataphysique et une revue de presse à Y.
Obituaire. Mort de l'acteur Pieral.
"Je me souviens du géant Atlas (et du nain Pierhal ?)"
(Georges Perec, Je me souviens, Jms 390).
SAMEDI.
Courrier. Ma montre Bons Mayennais
est arrivée. Sa ligne audacieuse est tout à fait conforme
à ce qu'on peut attendre d'une montre camembert.
Football. SAS - Mâcon (1-0).
Quatrième victoire consécutive. La Ligue des Champions se
profile à l'horizon.
T.V. Terminator 2 : Le Jugement
dernier (Terminator 2 : Judgment Day, James Cameron, USA, 1991
avec Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Edward Furlong, Robert Patrick;
diffusé sur Canal + en juillet 2003).
Deux robots débarquent du futur, l'un pour protéger le jeune
John Connor, promis à un fabuleux destin, l'autre pour l'éliminer
: le schéma de départ reprend celui du premier épisode.
Mais plutôt que de livrer une copie conforme de son premier film,
Cameron change de registre. Changement bénéfique à
mes yeux, ce Terminator 2 étant plus séduisant que
son prédécesseur qui paraîtrait presque austère
(minator) et dépouillé à côté.
Les changements : Schwarzenegger passe du côté des gentils,
ce qui pourra lui être utile pour la carrière politique qu'il
envisage; les humains, qui, dans Terminator, se contentaient de
subir sans intervenir prennent ici leur destin en main; l'humour fait
son apparition dans les relations entre Schwarzy et le jeune Edward Furlong
qui entamait là une belle carrière; en sept ans, les effets
spéciaux ont évolué et on passe du gore un peu basique
du premier épisode à quelque chose de plus sophistiqué
(les transformations du Terminator méchant sont très réussies);
enfin, l'histoire débouche sur une interrogation sur le progrès,
les machines, simple mais bienvenue.
Rugby. J'ai juste le temps d'attraper
la dernière demi-heure de France-Angleterre (17-16) qui m'envoie
dans les toiles de bonne humeur.
Bon dimanche, et, pour ceux que ça concerne, bonne rentrée.
Pièce-jointe
aux notules 123
AVANT-PROPOS
Mon
projet d'une visite systématique du Louvre date du 27 juillet 2003.
Ce jour-là, j'ai entrepris d'étudier scrupuleusement les
tableaux de la salle 1 de l'aile Richelieu, puis de la salle 2, me promettant
de poursuivre ainsi jusqu'à épuisement des lieux ou de l'homme.
Cette démarche satisfait mon goût pour l'ordre, pour l'épuisement
justement, et a l'avantage d'éliminer la question que se pose tout
visiteur en débarquant sous la pyramide : "Bon, par quoi on
commence ?"
L'idée d'en faire un texte s'est imposée le 27 août
2003. Processus logique qui veut que chez moi chaque nouvelle expérience
débouche sur un nouvel exercice d'écriture. Je vais donc
regarder les tableaux, dans l'ordre, bloc et stylo en main, et prendre
des notes. Le texte qui naîtra de ces notes ne sera pas un texte
savant, mes connaissances en matière de peinture étant trop
fraîches et trop limitées pour que j'ajoute l'exégèse
à l'exégèse, l'ekphrasis à l'ekphrasis. Il
ne s'agira donc pas de répéter tel ou tel commentaire entendu
ou lu quelque part, mais d'écrire quelques mots concernant tantôt
l'aspect général du tableau, tantôt un détail,
un geste, une expression, une émotion, je ne peux vraiment le dire
à l'avance, qui devraient me permettre, en les relisant, de revoir
le tableau en entier ou un de ses aspects.
Le but poursuivi est double. D'abord, trouver une activité, une
de plus, qui puisse me tenir en éveil jusqu'à la fin de
mes jours. Ce texte prend donc naturellement sa place au sein de mes "œuvres
inachevables". Ensuite, avoir un outil qui me permette de visiter
le Louvre les yeux fermés ou presque (je pense à La Peinture
à Dora de François Le Lionnais), outil qui pourra m'être
utile en cas de modification importante de ma situation personnelle (dégradation
de mon état physique, exil, emprisonnement, aliénation)
ou de la situation extérieure (guerre, incendie du Louvre…).
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