Notules dominicales 2003
 
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Notules dominicales de culture domestique n°111 - 1er juin 2003

DIMANCHE.
Obituaire. "Je me souviens de Jean Yanne à R.T.L. et de ses inoubliables calembours : Tire ailleurs, c'est mes galets !, Ce sont d'avides et bêtes abbés !, Neuf acteurs sonnent toujours deux fois !, L'abbé irrité sort de la douche des enfants ! etc." (Georges Perec, Je me souviens, Jms n° 449).
Pour ma part, je me souviens de Jean Yanne, seul à la terrasse du Grand Cluny, au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue Saint-Jacques, un matin de juin 2000. Sur sa table, un café et un téléphone portable. Vu son air avenant, je n'aurais pas aimé être celui qui interromprait la dégustation du premier en faisant sonner le second.

TV. The Sopranos (saison 3, épisodes 1 et 2; diffusés ce même jour sur Jimmy).
Je m'y perds dans la chronologie des Sopranos. En fait, je croyais avoir déjà vu la troisième saison sur Jimmy, saison que France 2 avait commencé à rediffuser avant de s'interrompre brutalement, montrant une fois encore l'immense respect du service public pour le public. En fait, je n'avais jamais vu ces deux épisodes, ce qui est plutôt une bonne surprise. Le premier montre le FBI en train de poser des micros dans la maison de Tony, le second raconte la mort de la mère de Tony, une vieille carne dont personne n'ose dire du mal.

LUNDI.
Lecture. H4Blues (Jean-Bernard Pouy; Gallimard, coll. Série Noire n° 2680, 2003).
Incipit : "C'est ce qu'on appelle une véritable série noire." Par cette phrase, Pouy ne souhaite pas seulement évoquer la succession d'ennuis qui s'abattent sur son héros. Il annonce la couleur, catégorise son roman (si je parlais le Magné couramment, je dirais que c'est une phrase qui tient du métatextuel dénotatif) et sa phrase signifie également "C'est ce qu'on appelle une véritable Série Noire" à l'ancienne. Les références sont convoquées une douzaine de pages plus loin : "Elle s'est mise à rigoler, elle était plus que saoule, imbibée à fond. Marlowe l'aurait embrassée, prise par le coude, et balancée tout habillée dans une baignoire d'eau glacée."
Un type ordinaire, Nicolas (enfin, ordinaire, il a une jambe de bois tout de même) se rend à l'enterrement d'un ami. La veuve trouve le décès suspect et Nicolas accepte de mener une enquête. En amateur, bien sûr, ce qui ne va pas l'empêcher de faire des découvertes, de voir son appartement exploser, de vivre une courte aventure sentimentale avec une junkie, etc. Pouy réalise un exercice de style jubilatoire, fait de son accumulation de poncifs une véritable récréation. Son héros replonge dans son passé et évoque ses souvenirs du lycée Henri-IV (le H4 du titre), là où se trouve la clé d'une intrigue bien menée, jamais lassante.
Extrait. "J'ai avalé fissa le reste de ma bière et j'ai cherché un tacot pour Saint-Thomas d'Aquin. C'était dimanche, ça roulait fluide, le chauffeur, africain, conduisait comme s'il était sur une piste encombrée de camions militaires à l'arrêt. Du coup, je suis arrivé devant l'église jésuitique du septième arrondissement presque en avance, alors que les premiers pleureurs entraient. Protégé derrière une voiture garée sur la petite place, j'ai pu détailler tous ceux qui venaient honorer la mémoire d'Yves Palland. Beaucoup de visages inconnus. Des couples dans la soixantaine. Normal. J'ai reconnu Maurice Rheims au bras d'une jolie blonde. Normal. Et puis, j'ai vu des têtes qui me disaient quelque chose. Des types qui avaient quarante balais de plus qu'au temps où je les bousculais pour entrer dans une classe. De temps en temps, un patronyme, plus ou moins contrôlé, s'imposait tout seul. Kreusen. Serge Kreusen, un cador en histoire, il avait fait un exposé sur la révolution d'Octobre qui aurait troué le cul à pas mal d'historiens aujourd'hui officiels. Giscard... Non, Gisclard. Notre préposé à Signé Furax. Comme il était externe, à midi, il rentrait chez lui et revenait, vers deux heures, dix minutes avant le début des cours, pour nous raconter la suite des aventures radiophoniques de notre héros favori et de la merveilleuse Malvina. Comédien né, il faisait tous les rôles, nous étions pliés, même si nous le soupçonnions d'inventer des péripéties inédites très éloignées de l'esprit pourtant ravagé de Pierre Dac et Francis Blanche."

Courrier. B. a repris ses rondes autour de l'hôpital de Montpellier.

TV. Bêtes de scène (Best in Show, Christopher Guest, USA, 2000 avec Parker Posey, Michael Hitchcock, Catherine O'Hara; diffusé sur Canal + en mai 2003).
L'astuce consiste à prendre un groupe humain qui partage la même passion - ici un attachement presque maladif aux animaux domestiques - et de le traiter à la manière d'un documentaire sérieux propre à révéler l'absurdité de leur comportement. On appelle ça un mockumentary. Si la chose est traitée avec suffisamment de subtilité, si la charge est rude sans être lourde, ça peut être très drôle et très instructif. C'est le cas ici où Val Guest nous présente un échantillon de cynophiles déroutants, d'abord dans une série d'interviews, face à la caméra, puis rassemblés à l'occasion d'un concours à Philadelphie. Avec des comédiens peu connus, Guest fait des merveilles, révèle une face d'humanité absurde et parfois effrayante.

MARDI.
TV. Travelling avant (Jean-Charles Tacchella, France, 1987 avec Thierry Frémont, Ann-Gisel Glass, Simon de la Brosse, Sophie Minet, Laurence Côte; diffusé sur La 5° en octobre 1999).
1948, Paris. Nino et Donald, cinéphiles passionnés, rêvent de monter un ciné-club.
Jean-Charles Tacchella raconte dans ce film largement autobiographique son passé de jeune cinéphile qui est celui de toute une génération, celle des macmahoniens, des futurs réalisateurs de la Nouvelle Vague, éblouis par l'arrivée en France des films de Welles, Lang, Sturges et consorts. Il mêle expérience cinématographique et intrigue amoureuse, cite abondamment acteurs, réalisateurs et films, nommément ou cinématographiquement. C'est toujours sincère, parfois touchant mais ça manque terriblement de fantaisie. Ces jeunes gens passionnés manquent par trop d'humour et l'impression finale est celle d'un film sentencieux et longuet.
Cinéphile, Tacchella devint donc cinéaste puis président (contesté) de la Cinémathèque.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un Pelecanos, un David McNeil à offrir, une chemisette et me vois remettre l'album de la Pléiade consacré à Simenon.

Cinéma. Les Côtelettes (Bertrand Blier, France, 2003 avec Michel Bouquet, Philippe Noiret, Farida Rahouadj, Catherine Hiegel).
Quand on va voir un film de Blier, on sait qu'on va mettre les pieds dans un monde qui, s'il a cessé de surprendre, n'est tout de même pas commun. Il adapte ici sa propre pièce de théâtre qui s'ouvre sur un long dialogue entre deux hommes âgés. L'un est venu chez l'autre "pour [le] faire chier", mission dans laquelle il réussit à merveille. Placer des répliques à la limite de l'absurde dans la bouche de deux comédiens de grande classe qui savourent les gros mots qu'ils prononcent comme des bonbons, c'est ce que Blier sait faire de mieux depuis Buffet froid. Ça rend la première partie du film agréable, presque réussie. Ça se gâte quand intervient un troisième personnage, une femme de ménage algérienne que se partagent les deux hommes et qui est prétexte à une réflexion sur l'échelle sociale et l'amour au troisième âge. Et ça sombre totalement quand débarque la Mort, sous les traits de Catherine Hiegel, venue faire son marché. Blier poursuit sa voie, continue à faire ses films comme il l'entend et c'est tant mieux. L'impression qui ressort de ses Côtelettes - en sélection officielle à Cannes... - est qu'on n'est pas loin d'avoir affaire à un vieux radoteur qui n'intéressera bientôt plus personne.

JEUDI.
Longo. Ça y est, Lucie sait faire du vélo à deux roues.

Cinéma. L'ultime razzia (The Killing, Stanley Kubrick, USA, 1956 avec Sterling Hayden, Coleen Gray, Elisha Cook Jr., Ted de Corsia, Joe Sawyer, Marie Windsor; présenté dans le cadre du cycle "Reflets sur le cinéma noir").
Il y a des soirs où c'est une vraie bénédiction d'être cinéphile dans une ville qui l'est peu. D'abord, on a de la place pour s'ébattre - nous étions deux dans la salle, comme la semaine dernière pour Blue Velvet. Et puis quand on a la chance de tomber sur ce petit joyau qu'est le troisième long métrage de Kubrick, c'est un bonheur parfait. A l'origine, il y a un roman de Lionel White, Série Noire n° 282, paru en 1955 sous le titre Clean Break (En mangeant de l'herbe en version française) que le film a également porté. White aime raconter des coups minutieusement montés (Un coup fumant est un autre de ses livres) qu'un grain de sable inattendu vient perturber. C'est sur un champ de courses qu'opère ici un gang composé d'un caissier et d'un barman qui travaillent sur place, un repris de justice, un comptable et un policier véreux, pour s'emparer de la recette du jour. Des hommes sans grande envergure dont les modestes talents, une fois combinés, s'avèrent efficaces. Les dialogues sont dus à un autre pilier de la littérature noire, Jim Thompson, dont on reconnaît la patte, principalement dans un échange où le caissier se fait humilier par sa femme. Là-dessus, Kubrick n'a qu'à plaquer une mise en scène intelligente et efficace construite sur un incessant va-et-vient dû à plusieurs retours en arrière successifs.
En comparaison, Ocean's Eleven de Soderbergh qui fonctionne sur le même schéma apparaît d'une boursouflure incongrue. En revanche, on s'aperçoit que The Barber des frères Coen, par son économie de moyens et son efficacité narrative, est une belle prolongation de l'œuvre de Kubrick.

Lecture. Le chien jaune (Georges Simenon, 1931; Éditions Rencontre 1967, Œuvre complètes Maigret II).
"Concarneau. J'y avais été une fois, en août. Visiter la Ville Close en pleines vacances, c'était comme tenter de traverser les Galeries Farfouilettes le premier jour des soldes. Mais je ne connaissais personne à Concarneau. Même pas un chien jaune." Jean-Bernard Pouy, H4Blues.
C'est ce passage sibyllin en apparence qui m'a donné envie de refaire un tour chez Simenon. Voyage d'actualité, puisque Simenon est partout, à Paris, à Liège, dans Le Magazine littéraire, dans Le Monde des livres, dans la Pléiade, et aussi parce que c'est quand même sous la pipe de Maigret que je me suis fait dépouiller.
Maigret mène ici sa sixième enquête (je les lis dans l'ordre, j'ai déjà assez de mal à me dépêtrer dans les trois saisons des Sopranos, j'imagine ce que ça pourrait donner dans les cent et quelques aventures de Maigret). Il a été détaché à la Brigade mobile de Rennes et enquête sur une tentative de meurtre qui met en cause des notables de Concarneau. Si Pouy parle d'un Concarneau envahi de touristes, ce n'est pas grâce à Simenon et le syndicat d'initiatives local n'est pas près d'élever une statue à l'effigie de Maigret. Le climat, qu'on le considère d'un point de vue météorologique ou social, y est particulièrement malsain. Fidèle à sa méthode, Maigret, transplanté dans ce navrant décor, ne fait pas grand-chose de spectaculaire : il observe, il s'imprègne, dénoue les fils de l'intrigue et sauve un pauvre bougre d'une situation tragique, comme dans son enquête précédente, La Tête d'un homme.
Je ne passerais pas des mois à lire du Simenon en continu mais il est intéressant de voir comment se bâtit, petit à petit, une œuvre avec une grande économie de moyens, et un personnage dont l'humanisme se dévoile imperceptiblement.
A noter que le roman n' a attendu qu'un an avant d'être adapté au cinéma par Jean Tarride.

Exploit sportif. Le Stade Athlétique Spinalien, section football, monte en CFA 2 après 5 saisons passées en Division d'Honneur.

VENDREDI.
TV. Le Stade de Wimbledon (Mathieu Amalric, France, 2000 avec Jeanne Balibar, Esther Gorintin, Anna Prucnal).
Une jeune femme arrive à Trieste. Elle recherche les personnes qu'ont fréquentées un intellectuel, ami d'écrivains qui n'a jamais écrit.
Je n'ai absolument rien compris au but et au propos d'Amalric, qui adapte le roman d'un certain Daniele Del Giudice. C'est dommage, je trouvais que le tirage au sort qui régit mes choix de films avait été pour une fois pertinent en proposant Le Stade de Wimbledon en plein tournoi de Roland-Garros. Il reste le plaisir de voir les rues de Trieste que j'arpenterais bien à la poursuite des fantômes de Joyce et de Svevo et l'occasion de revoir Esther Gorintin qui entame, à un âge canonique, une carrière d'actrice après sa découverte dans Voyages d'Emmanuel Finkiel.

SAMEDI.
Élémentaire. Je gonfle la piscine pour les filles, la mets en eau, prépare un barbecue et repique tomates, poivrons et aubergines. L'air, l'eau, le feu, la terre. Un vrai Robinson.

Vie sociale. Nous confions les filles à des soins tarifés et rejoignons une poignée de collègues à Ludres chez les G. Nous réussissons à ne pas trop parler boulot et à ne pas dire du mal des absents (ce qui permet d'aller aux toilettes sans appréhension) et levons le camp avant que la bouteille de poire ne soit plus qu'un souvenir. Je retiens l'idée pataphysiquement intéressante de R. qui s'apprête à visiter les communes vosgiennes dont le nom contient un x et qui sont étonnamment nombreuses (Xoulces, Xaffévillers, Xertigny, Uxegney, Xonrupt, Bouxurulles, Vaubexy, Xaronval, Ubexy, les villages du Xaintois...). Plus qu'ailleurs ? Idée d'étude statistique.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°112 - 8 juin 2003

DIMANCHE.
Fleurissement. Nous passons l'après-midi à empoter diverses plantes (impatiens, sauge, géraniums, oeillets), les filles à patauger. A la fin de la journée, tout le monde est crevé, y compris la piscine.

Lecture. Cartes postales et autres textes, précédés d'une conversation entre Léon-Paul Fargue et Valery Larbaud (Henry J.-M. Levet, La Maison des Amis des Livres, 1925; rééd. Poésie/Gallimard, 2001, Édition de Bernard Delvaille).
Depuis qu'elle a été rénovée et placée sous la direction d'André Velter, la collection Poésie/Gallimard est devenue une vraie collection savante. Qu'on en juge ici : les poèmes de Levet occupent 40 pages d'un volume qui en compte 165, le reste étant consacré à une courte et intelligente présentation de Bernard Delvaille, une conversation entre Fargue et Larbaud déjà présente dans l'édition originale dont ils étaient les instigateurs, des variantes, des inédits, des critiques, des témoignages de contemporains de Levet : la Pléiade en modèle réduit !
Dans un essai paru dernièrement, Dominique de Villepin, actuel ministre des Affaires étrangères, revient sur les liens parfois étroits qui ont uni le Quai-d'Orsay et la poésie, à travers des diplomates-poètes comme Claudel, Saint-John Perse, Berthelot, Morand. Je ne sais s'il y parle de Levet, mais celui-ci appartient lui aussi au monde de la "poésie consulaire". Né en 1874, il fut chargé de mission en Inde et en Indochine par le ministre de l'Instruction Publique, puis vice-consul à Manille, à Las Palmas et donna au retour de chacun de ses voyages quelques poèmes à des revues parisiennes avant de mourir à l'âge de 32 ans.
Les premiers poèmes, d'inspiration verlaino-mallarméenne sont d'un intérêt moindre à mon goût que ses Cartes postales où il convoque à la fois Rimbaud et l'exotisme de la malle des Indes. Paquebots, maharadjahs, officiers coloniaux, diplomates alanguis et spleen anglo-saxon peuplent des alexandrins disloqués et proprement renversants :

"L'Armand-Béhic (des Messageries Maritimes)
File quatorze noeuds sur l'Océan Indien..."

ou

"Les bureaux ferment à quatre heures à Calcutta;
Dans le park du palais s'émeut le tennis ground...
(...)
A Lahore par 120 degrés Fahrenheit
Les docteurs Grant et Perry font un match de cricket, -
Les railways rampent dans la jungle ensoleillée..."

On traque l'hémistiche, on s'étonne de la césure, de l'audace des rimes (ulcères/janissaires; émeraudes/Cléo de Mérode !), on s'émerveille devant cette poésie vraiment novatrice, unique.

Extrait. "ÉGYPTE. - PORT-SAÏD. - EN RADE
A Gabriel Fabre.

On regarde briller les feux de Port-Saïd,
Comme les Juifs regardaient la Terre Promise;
Car on ne peut débarquer; c'est interdit
- Paraît-il - par la Convention de Venise

A ceux du pavillon jaune de quarantaine.
On n'ira pas à terre calmer ses sens inquiets
Ni faire provision de photos obscènes
Et de cet excellent tabac de Latakieh...

Poète, on eût aimé, pendant la courte escale,
Fouler une heure ou deux le sol des Pharaons,
Au lieu d'écouter miss Florence Marshall
Chanter "The Belle of New York" au salon."


LUNDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
Y. envoie un aptonyme (un Le Borgne opticien à Sallanches).

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 3; diffusé sur Canal Jimmy le 1° juin 2003).
Depuis un moment, Tony Soprano suit une psychothérapie. Il remonte dans ses souvenirs, on le voit enfant dans une sorte de révélation proustienne où la madeleine est remplacée par un rosbif. Sa thérapeute lui parle d'ailleurs de Proust. Réaction de Tony : "This sounds very gay..."

MARDI.
Classé X. La toponymie en x des communes vosgiennes suscite des réactions. Y. donne les explications étymologiques (proximité du ch germanique) et A.Z. les données statistiques (une fréquence de 12,08 % dans le département contre 6,12 % dans le reste du pays).

Courrier. Une carte postale de F., de passage en Roumanie.

Vie professionnelle. Je participe, au Conseil Général, au comité de pilotage de l'opération Collège au cinéma.

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 4; diffusé sur Canal Jimmy le 1° juin 2003).
La psy de Tony ("shrink", en anglais, j'apprends) est victime d'un viol. Désir de vengeance. Si elle l'apprend à Tony, le violeur est bon pour être dépecé. Le fera-t-elle ?

Lecture. Dictionnaire des mots qu'il y a que moi qui les connais (Jean Yanne, Plon, 2000).
Néologismes.
Il y a quatre parties dans les articles du dictionnaire de Jean Yanne.
1. Le mot, imaginaire bien sûr, qui ne fait pas appel à une étymologie fantaisiste mais qui est choisi pour ses sonorités, parfois voisines d'un terme leste (les cougnes, l'ofion).
2. La définition.
3. Un exemple.
4. L'ouvrage dont est tiré l'exemple.
La définition a peu de saveur en soi, à part pour quelques cas. Par exemple : KETCHUPIENS : Nom donné aux nouveaux gardes du Vatican, afin de moderniser le personnel et remplacer les moutardiers du pape. C'est la citation qui, le plus souvent, lui donne du sel : DISTICOLE : En pâtisserie, qui sépare les blancs des jaunes. Par extension, qui permet de distinguer ces deux couleurs. "La guerre du Tonkin fut disticole." Les titres d'ouvrages fantaisistes donnent lieu à quelques trouvailles amusantes : "Lettre du père de Foucauld à la mère de Foucauld", "Dr Alain Bombard, Qu'on est bien avec les pieds dans l'eau".
Étalé sur 240 pages, l'exercice lasse vite, Jean Yanne, comme il l'a fait dans d'autres domaines, se laissant souvent aller à la facilité. On arrive à un résultat qui tient plus de l'humour des "Grosses têtes" que d'autre chose. Dans le lot, on trouve tout de même quelques perles. Ma préférée (dois-je en être fier ?) : WOOGLOO : Pâte épaisse d'origine africaine utilisée pour faire des pâtisseries longues et minces recouvertes de chocolat.
"Le serveur noir tendit le plateau de woogloos.
-Ah, des woogloos, dit le nonce apostolique en saisissant une pâtisserie.
-Ah, non, dit le serveur noir avec un grand sourire, ça, c'est mon doigt !"
"Réceptions, noces, banquets en Afrique", brochure éditée par le Ministère des Affaires étrangères.

MERCREDI.
Vie sociale. Visite de H., dont le visage reprend peu à peu son aspect d'antan, opération après opération.

Cinéma. Le Bison (et sa voisine Dorine) (Isabelle Nanty, France, 2003 avec Isabelle Nanty, Édouard Baer, Jules-Angelo Bigarnet, Tilly Mandelbrot, Nicolas Marais, Marie Martin).
Dorine, concierge dans un immeuble parisien, est abandonnée par son mari alors qu'elle attend son cinquième enfant. Louis Le Bison, un dandy de l'immeuble avec qui elle n'a aucun atome crochu, finit par lui venir en aide.
La parcelle de notoriété acquise par Isabelle Nanty dans Amélie Poulain lui a permis de gagner la confiance de Claude Berri producteur et de se mettre en scène. Elle fait étalage d'un comique fondé sur des mimiques qu'on n'avait plus vues chez une comédienne depuis peut-être Annette Poivre. Face à elle, Baer joue sur son registre ironique détaché, comme s'il attendait que ça finisse avant de passer à des choses plus intéressantes. On le comprend. C'est un film gentil, bien intentionné mais sans relief. Un gag par heure, des enfants qui sont là pour faire des mots d'enfants, des seconds rôles mal joués, on est loin du conte de fées moderne visé.

JEUDI.
Courrier. Revue de presse à destination de Y. et de l'AGP.

TV. La Maison du Maltais (Pierre Chenal, France, 1938, avec Viviane Romance, Marcel Dalio, Louis Jouvet, Pierre Renoir, Fréhel, Aimos, Gina Manès; diffusé sur CinéClassics en ?).
Safia, une prostituée de Sfax, attend un enfant d'un vagabond poète, Mattéo le Maltais, qui tarde à revenir d'une opération de contrebande. Safia s'embarque pour la France avec un bourgeois qu'elle épouse. Mattéo arrive à Paris et la recherche.
Le film vaut surtout pour sa première partie où la ville de Sfax est reconstituée en studio avec les décors de Wakhevitch. On est alors dans la tradition du film colonial français, dans la lignée de Pépé le Moko, avec une galerie de personnages brûlés par le soleil, la maladie, les rêves déçus. Le volet parisien de l'histoire est plus convenu avec la fille des rues qui, ayant atteint la respectabilité, est rattrapée par son passé et son amour.
Curiosité. Louis Jouvet apparaît dans un petit rôle. Il dirige une agence de police privée, l'agence Fiat Lux. On aura reconnu le nom de l'agence de Nestor Burma. Léo Malet s'est-il inspiré de ce film ? J'ai cherché chez Alfu (Léo Malet, parcours d'une oeuvre), chez Francis Lacassin (Sous le masque de Léo Malet, Nestor Burma), chez Malet lui-même (son autobiographie La vache enragée, le roman Gros plan du macchabée qui relate la création de l'agence Fiat Lux) sans trouver confirmation. Cependant, Léo Malet était à l'époque suffisamment introduit dans le milieu du cinéma (son amitié avec les frères Prévert lui permettait de faire de la figuration dans pas mal de films) pour qu'on puisse penser qu'il s'agit là d'autre chose que d'une coïncidence.

VENDREDI.
Courriel. Un membre de la [listeoulipo] envoie l'extrait de Paris-Normandie qui relate l'audience de la juge Vinas, présidant une audience consacrée aux délits de conduite en état alcoolique. J'en avais fait part aux oulipolistiers en août dernier.

SAMEDI.
TV. Les Démons à ma porte (Guizi lai le, Jiang Wen, Chine, 2000 avec Jiang Wen, Jian Hongbo, Kagawa Teruyuki; diffusé sur Canal + en mai 2003).
1945. Dans un village du nord-est de la Chine occupé par les Japonais, des villageois sont contraints de cacher un soldat japonais et son interprète.
C'est un film surprenant de bout en bout, et à plus d'un titre : par les langues d'abord, le chinois et le japonais qui s'entremêlent sans arrêt (il n'y a quasiment pas de plan muet, l'ensemble des dialogues doit meubler des centaines de pages), par le contexte historique mal connu (l'occupation d'une partie de la Chine par le Japon qui se termine par la capitulation), par la façon tragi-comique de traiter un sujet de vie et de mort, par une mise en scène déstabilisante qui voit les personnages littéralement sauter dans et hors du cadre. Ce n'est pas passionnant de bout en bout (ça dure tout de même 2 h 15), ce n'est pas d'une clarté limpide, mais Jiang Wen avait de quoi attirer la curiosité du jury de Cannes 2000 qui lui a attribué son Grand Prix.
L'histoire commence de façon burlesque avec des villageois qui ne savent comment se débarrasser de prisonniers qu'on leur a confiés sans leur demander leur avis, s'oriente vers un happy end avec la réconciliation des forces en présence avant de verser dans le drame. Absurde, dérisoire, tragique, la guerre dans toute son étendue.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°113 - 15 juin 2003

DIMANCHE.
Agapes. C'est aujourd'hui communion solennelle pour Marie, fille d'O., frère de Caroline. En tant que chargé de famille, je suis exempté de messe et rejoins la troupe chez O., à Golbey. La maison qu'il vient d'acheter est dotée d'une piscine. C'est tout de même la première fois que j'emporte un maillot de bains pour me rendre à une cérémonie de ce genre.
O. et sa femme, tous deux présents, sont divorcés. Je m'amuse beaucoup à découvrir des avocats en ouverture du repas. J'imagine la suite : un chaud-froid de volaille sauce financière, des oeufs brouillés, un dessert à base de pâte brisée, mais non, la métaphore ne sera pas filée.

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 5; diffusé le jour-même sur Canal Jimmy).
Tony traîne sa femme chez sa psy. La tête de Carmela ! La mort d'un protagoniste d'un cancer du poumon me fait pour la première fois de ma vie songer à arrêter de fumer.

LUNDI.
Canicule. On a oublié d'éteindre le four avant de partir à Saint-Jean-du-Marché. Il fait très bon quand on rentre le soir au logis.

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 5; diffusé la veille sur Canal Jimmy).
J'ai commandé un peu plus tôt le disque de la série, qui contient des noms prestigieux - Springsteen, Dylan, Clapton. J'ai hâte d'écouter la chanson du générique à fort volume au volant de ma puissante automobile, exactement comme Tony Soprano. Je vais me remettre au cigare.

MARDI.
TV. Hôtel New Hampshire (The Hotel New Hampshire, Tony Richardson, USA, 1984 avec Jodie Foster, Beau Bridges, Rob Lowe; diffusé sur Paris Première en octobre 1999).
Tony Richardson signe l'adaptation d'un roman de John Irving. John Irving écrit de manière habile des livres à succès dans lesquels il entasse une profusion de personnages et de sentiments. Le film est à l'image des livres d'Irving : une succession linéaire de situations selon un savant dosage de tragédie, d'humour, de dérision et de sérieux. Au centre, il y a la famille, noyau indestructible et étalon de toutes les valeurs, autour il y a un hôtel matriciel, un montreur d'ours viennois nommé Freud, des terroristes tout aussi viennois, un enfant écrivain, un viol collectif, une catastrophe aérienne, un suicide, un inceste et sûrement un tas d'autres choses car l'abondance ne m'a pas empêché de m'endormir. Cinématographiquement, le seul intérêt de la chose est qu'on y peut voir des comédiens dans leurs jeunes années (Foster, mais aussi Nastassja Kinski).

MERCREDI.
Emplettes. Je fais faire des photos d'identité pour le renouvellement de mes papiers. J'ai l'air d'un joueur d'oud égyptien. J'achète des billets de train en tablant sur un apaisement des conflits sociaux, les deux copieux volumes d'Entretiens et conférences de Perec, un Mankell et un petit Modiano.

Aménagement du territoire. Prise des mesures pour l'achat de nouveaux rayonnages, programmé pour juillet.

Cinéma. L'Impasse (Carlito's Way, Brian De Palma, USA, 1993 avec Al Pacino, Sean Penn, Penelope Ann Miller, John Leguizamo; présenté dans le cadre du cycle "Reflets sur le cinéma noir").
New York, 1975. Carlito Brigante sort de prison, bien décidé à rentrer dans le droit chemin. Mais on n'échappe pas à son destin et les rêves de retraite paisible aux Bahamas avec Gail, sa compagne, vont se révéler impossibles à réaliser. Et ce à cause de David Kleinfeld (Penn), l'avocat de Brigante qui va l'entraîner dans un mauvais coup. Ironie du sort, Kleinfeld, qui a aidé Brigante à sortir de prison, va passer du statut d'instrument de rédemption à celui d'instrument de perdition.
Le film s'ouvre sur la mort de Brigante et la suite est un long retour en arrière. La question n'est donc pas de savoir ce qui est arrivé, mais comment on en est arrivé là. Ce De Palma est digne des meilleurs Scorsese. Il intéresse autant par la destinée de Brigante (pourtant, le thème n'est pas neuf, on le trouve par exemple dans L'Ennemi public de William Wellman avec James Cagney en 1931) que par la virtuosité de la mise en scène. De Palma livre un catalogue de trouvailles, d'inventions, de prouesses techniques. Sa manière de meubler un plan est fascinante. Il faut regarder de près les scènes de foule. Quand il utilise des figurants dans une boîte de strip-tease ou dans la gare de Grand Central où se déroule la séquence finale, on s'aperçoit que chacun d'eux bouge et parle de façon autonome, ce ne sont pas des silhouettes destinées à occuper l'espace mais de vrais personnages. Cette virtuosité deviendra plus tard un peu vaine, dans Snake Eyes par exemple, mais est ici utilisée de la meilleure des façons, au service de l'histoire.
Curiosité. James Gandolfini, futur Tony Soprano, apparaît dans un petit rôle. De mafioso, bien sûr.

JEUDI.
Courrier. J'envoie une revue de presse à Y. et une lettre aux Objets trouvés, rue des Morillons à Paris, injoignables par téléphone, "en espérant que [leurs] plumes seront moins occupées que [leurs] lignes."

Cinéma. Filles uniques (Pierre Jolivet, France, 2003 avec Sandrine Kiberlain, Sylvie Testud, Vincent Lindon, François Berléand, Roschdy Zem, Francis Leplay, Julien Cottereau, Albert Dray).
Autant le dire tout de suite, je ne suis pas passionné par l'oeuvre de Pierre Jolivet, auteur de films parfois intéressants (Force majeure), parfois crispants (Ma petite entreprise). Si je suis venu, c'est pour Sandrine, et je n'étais pas le seul, comme me l'a confié J., notulien rencontré sur place. Sandrine, j'irais la voir au théâtre dans une pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt s'il le fallait, c'est dire. Je suis venu pour Sandrine et j'ai été conquis par Sylvie Testud, dont la maîtrise étonne de film en film. Elle incarne ici une marginale, une petite voleuse un peu paumée, rôle qui peut donner lieu aux tics, langagiers ou autres, les plus pénibles comme Vincent Cassel en fit la démonstration dans Sur mes lèvres de Jacques Audiard. Elle échappe pourtant à tous ces pièges et rend ce film féminin (les hommes y sont très discrets) parfaitement crédible et charmant. L'histoire coule toute seule, même si l'épisode d'Annecy est plus faible que le reste et Jolivet sait utiliser des intérieurs de classe (le Palais de Justice, le Train Bleu, la salle de restaurant d'un hôtel d'Annecy) ou insolites (le Palais de la Femme). Quant à Sandrine, elle est parfaite, cela va sans dire.
Anecdote. J'avais passé la soirée de la veille à grelotter, en short et chemisette, devant De Palma, victime d'une climatisation façon Vivagel. Prudent, je n'ose dire échaudé, je m'étais muni ce soir d'un pull, accessoire qui s'est révélé totalement inutile dans une salle surchauffée. D'Hibernatus, on était passé à In the Heat of the Night.

VENDREDI.
Départ. Je prends le train pour Paris, non sans avoir fait au préalable un crochet par le cinéma où j'ai oublié hier soir mon portefeuille, un objet qui semble ne pas être très attaché à ma personne ces derniers temps. Je crois bien qu'on pourrait reconstituer la robe d'une charolaise de belle taille avec le cuir de tous les portefeuilles que j'ai perdus depuis mes jeunes années et que ma mémoire serait bien plus performante si je parvenais à en chasser tous les codes secrets inutiles des cartes bancaires que j'ai égarées ou dont j'ai été dépouillé.

Lecture. A contre-courant du grand toboggan (A Long Walk Up The Water Slide, Don Winslow, 1994; Gallimard, Série Noire n° 2534, 1999, 331 p., traduit de l'américain par Philippe Loubat-Delranc).
La secrétaire d'un producteur d'une chaîne de télévision familiale accuse celui-ci de l'avoir violée. Elle disparaît et se place sous la protection des concurrents de ses anciens patrons.
Trois ans avant Vie et mort de Bobby Z, Don Winslow utilise déjà le thème du personnage qui essaie d'échapper à une meute de poursuivants disparates acharnés à sa perte, en l'occurrence des mafiosi, des financiers véreux, des membres du monde de la télévision ou de la presse à scandale. Si le gibier, une jeune femme plutôt délurée, est attachant, les chasseurs sont trop nombreux, leurs intérêts trop variés et obscurs pour que l'intérêt soit soutenu de bout en bout. La poursuite s'étire, s'envase dans un hôtel de Las Vegas et se révèle finalement ennuyeuse. Un Série Noire pesant.
Perle. "Withers s'asseya sur la banquette pour terminer son verre." (p. 207)

SAMEDI.
Vie parisienne. Je bavarde avec Danielle Constantin, secrétaire de l'Association Georges Perec, à l'Epsilon, rue Linné, en attendant l'heure du séminaire. Elle est originaire de Québec mais a surtout vécu à Toronto et au Mexique, ce qui ne l'empêche pas de connaître Le Rêve du Diable. A Jussieu, intervention de Bernard Magné, qui remplace Dominique Bertelli au pied levé, sur "Couples mode d'emploi". Il ne s'agit pas de l'étude des couples humains dans La Vie mode d'emploi - ce que je regrette un peu, j'aurais aimé en savoir plus sur les jeux érotico-aquatiques de Philippe et Caroline Marquiseaux au chapitre 30 - mais de celle de la contrainte intitulée "Couples" dans le Cahier des charges. Pour cette dernière des 21 paires de contraintes de la liste, il s'agit de mêler et de faire apparaître dans chacun des chapitres de La Vie mode d'emploi deux éléments d'une série de 10 couples (Laurel et Hardy, Philémon et Baucis, Faucille et Marteau, Labourage et Pâturage...). C'est sur la compréhension du mécanisme de cette contrainte, sur le fait de savoir si les éléments apparaissaient d'une façon explicite (pour le dernier couple cité, un paysan qui laboure par exemple) ou implicite (une allusion au Labour Party), que Magné a repris sévèrement Bellos dans les Cahiers Georges Perec n° 7, ce qui a entraîné une vive polémique sur la [listeperec]. Magné revient sur sa présentation de la contrainte dans le Cahier des charges, reconnaît son aspect insuffisant et la reformule totalement en s'appuyant sur la linguistique et les notions d'expression figée et de défigement. C'est passionnant, brillant, souvent drôle, dépourvu des piques méchantes que je reproche parfois à Magné. L'auditoire est subjugué, conquis, baba, moi le premier. Ce type est vraiment fortiche.
Je croûte un jambon-beurre qui fond en terrasse au Petit Cardinal et vais profiter de la climatisation à la Bibliothèque des Littératures Policières. J'achète deux Série Noire cartonnés à l'Amour du Noir et une carte du département des Vosges en 1849 quai de Tournelle. Je bifurque rue de Bièvre pour un bref pèlerinage mitterrandien et passe à Shakespeare & C°, librairie anglo-saxonne où se déroule ces jours-ci (avec apothéose le 16 juin, Bloomsday) un festival de littérature "Lost, Beat & New, Three Generations of Parisian Literary Tradition". George Whitman ne trône plus au milieu de sa boutique mais sa fille, Sylvia, lui ressemble déjà. Mon train part trop tôt pour que je puisse assister à la lecture de Harry Mathews. Je lis Le Monde devant un thé au Café Panis dans un état de béatitude totale jusqu'à la pétarade occasionnée par une imposante manifestation de motards une fois de plus (ça commence à devenir pléonastique) en colère et je rentre par le 19 h 44.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°114 - 22 juin 2003

DIMANCHE.
Fête des pères. Je laisse Caroline à sa garde et vais rejoindre les filles à Saint-Jean-du-Marché. Elles m'offrent un galet de Moselle peint et un porte-crayons rouleau de papier WC du plus bel effet.

LUNDI.
Bloomsday. L'événement est brièvement évoqué sur la [listeoulipo]. F.G. cite sur son site la fin des Morts.

Courriel. Je m'abonne au bulletin de remue.net, le site de François Bon.

Courrier. Les JVC sont de passage à Sète. Je reçois le Bulletin n° 42 de l'Association Georges Perec.

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 7; diffusé la veille sur Canal Jimmy).
Carmela a maintenant son propre psychologue, qui lui conseille de quitter Tony et refuse son argent, qu'il juge trop sale. On a ici la réponse à une question que je me pose depuis longtemps : oui, Carmela est bien au courant des activités mafieuses de son mari. Et leurs enfants ?

MARDI.
TV. The Sopranos (saison 3, épisode 8; diffusé dimanche sur Canal Jimmy).
Tony s'entiche d'une vendeuse de Mercedes. Avec Tony, les choses ne traînent pas : pour conquérir la belle, il court à la concession où elle travaille et achète un coupé 600. Un peu comme si, sous le charme d'une pharmacienne, j'étais allé lui acheter des préservatifs.

MERCREDI.
Cinéma. Un taxi pour trois (Taxi para tres, Orlando Lübbert, Chili, 2001 avec Alejandro Trejo, Daniel Munos, Fernando Gómes Rovira).
Santiago. Deux délinquants attaquent Ulises Morales, un chauffeur de taxi, et le contraignent à devenir complice de leurs vols à la tire.
Un véritable ovni que ce film, sorti à Paris le 29 janvier, qui débarque à Épinal cinq mois plus tard en ayant tout perdu des effets de la critique bienveillante qu'il a pu susciter. Bilan : trois spectateurs, c'est parfait, ça rentre dans le taxi. J'imagine une critique bienveillante parce que c'est souvent comme ça que sont reçus ces films venus de pays cinématographiquement indigents, un peu comme des S.O.S., des bouteilles à la mer. Le fait est que les films des pays pauvres sont des films sur la pauvreté, ou du moins sur l'économie (La Vie peu ordinaire de Dona Linhares, Les neuf reines pour rester en Amérique du Sud). Le personnage central de ce Taxi est le taxi lui-même, une Lada aux formes audacieuses sur laquelle le chauffeur doit encore une douzaine de traites avant d'en devenir propriétaire. C'est ce qui le pousse à accepter une série de compromissions, à assumer l'illégalité en compagnie de complices qu'il finira par renier pour sauver sa peau. C'est un bon témoignage sur la débrouille à Santiago, la corruption, le poids du passé politique évoqué en passant par un des voyous qui parle de ses parents disparus. Lübbert a des lettres cinématographiques, il le prouve en filmant une version miteuse d'un braquage sur un champ de courses inspirée de L'ultime razzia de Kubrick et sait éviter le film thèse démonstratif. Un taxi pour trois n'est desservi que par une musique pompeuse et une photographie un peu criarde.

JEUDI.
Vie familiale. Sortie de fin d'année pour Lucie : croisière sur le Canal de l'Est à bord du Cadet-Rousselle, croûte au restaurant et visite de l'Imagerie. Le tout avec 39° de fièvre qui gâchent un peu la fête mais, compensation, en compagnie de Caroline qui a pris une remplaçante pour la journée afin de se joindre à la troupe.

Courrier. J'envoie des coupures à Y.

Cinéma. The Good Girl (Miguel Arteta, USA, 2001 avec Jennifer Aniston, Zooey Deschanel, Jake Gyllenhaal, Tim Blake Nelson, John C. Reilly, Mike White, Deborah Rush, John Doe, Roxanne Hart).
Justine, vendeuse de produits cosmétiques dans une grande surface, est mariée à Phil, peintre en bâtiment. Le couple ne peut pas avoir d'enfant. Justine s'ennuie sans que son mari s'en rende compte et trouve refuge dans l'adultère.
Le scénario n'est pas signé Flaubert mais le fait que Phil travaille sur un chantier dans un bled dont le nom ressemble à Bovary et qu'un personnage s'appelle Floberta n'est sans doute pas innocent. L'amant de Justine, avec ses rêves de littérature et de renommée est un parfait Léon et l'ami de Phil, qui surprend Justine au bras de son amant, ferait un très bon Binet. Les jeunes spectateurs ont pu être surpris de voir, dans le rôle de cette Emma texane, Jennifer Aniston, comédienne vedette de la série Friends, série que je n'ai jamais regardée mais qui, pour ce que j'en sais, présente des personnages plus lisses que celui de Justine. L'ennui qui suinte dans les petites villes de province est un thème couru chez les cinéastes indépendants américains. Dans le genre, The Good Girl est moins abouti que Ghost World de Terry Zwigoff mais bénéficie d'une justesse de ton, d'une vision pessimiste et d'une interprétation intéressantes.

VENDREDI.
Vacances. Caroline trouve enfin un remplaçant pour les deux premières semaines d'août. Le Loir-et-Cher nous tend les bras.

Courriel. W.W. me reproche d'avoir dit du bien de Bernard Magné dans les dernières notules.

Renommée. L'Est Républicain me cite et me montre dans un article sur l'opération "Collège au cinéma".

Courrier. Je reçois le double CD des Nocturnes de Georges Lang, une émission sur RTL qui a souvent servi de fond musical à mes insomnies avant que je ne bascule définitivement et continûment sur les Nuits de France Culture (à faible volume depuis que je ne dors plus seul).

TV. Je renonce à regarder le film prévu pour cause d'anéantissement morphique et réussis à émerger pour les dernières minutes de France-Japon (2-1, avec un but de Pires).

Lecture. Meurtriers sans visage (Mördare utan ansikte, Henning Mankell, 1991; Christian Bourgois, coll. "Policiers Bourgois" 1994 pour la traduction française, traduit du suédois par Philippe Bouquet; 386 p., 19,82  ).
Un double meurtre sauvage a lieu dans une ferme isolée de Scanie. Les derniers mots d'une des victimes accusent un étranger, suscitant une vague d'actions xénophobes. L'affaire est confiée à l'inspecteur Kurt Wallander.
Grâces soient ici rendues à Ch., qui m'a mis sur la piste de cette toute première apparition de Wallander. Paru en 1994, le livre est passé inaperçu et il faudra attendre Le guerrier solitaire, traduit au Seuil cinq ans plus tard, pour que Mankell rencontre le succès et que Wallander devienne une des vedettes du polar contemporain. C'est d'autant plus curieux que toutes les qualités qu'on reconnaît aujourd'hui aux livres de Mankell étaient déjà présentes dans ce premier épisode : personnage central attachant, chronique précise de la vie d'un commissariat, exotisme scandinave, suspense de l'enquête, réflexion pessimiste sur l'évolution de la société suédoise. Wallander a alors 43 ans, le bel âge, sa femme l'a quitté trois mois plus tôt, il roule déjà en Peugeot, son père commence à perdre la tête, son hygiène de vie est déplorable et il voit son pays changer d'une manière inquiétante (racisme, meurtres sanglants). Mankell ne fait pas de son personnage un modèle, Wallander est d'une maladresse redoutable avec les femmes, il conduit bourré, il est à deux doigts de reconnaître en lui-même des traces de xénophobie. C'est ce mélange d'humanisme et d'efficacité policière qui donne son prix aux livres de Mankell.

SAMEDI.
Vie familiale. Alice et Lucie souffrent d'angine, fruit des bienfaits des ambiances climatisées. Un piqûre d'insecte transforme la cheville de Caroline en tronc de baobab. Une préparatrice de la pharmacie, enceinte (vile fornicatrice !), qui devait être en congé de maternité en septembre, est arrêtée à partir d'aujourd'hui. Le Loir-et-Cher s'éloigne à grands pas. Pour clore la journée, je détruis une de mes lentilles au cours d'une fausse manoeuvre. Le petit bruit de la lentille rigide écrasée par une semelle plus rigide qu'elle est bien, dans sa brève intensité dramatique, aussi terrible que celui de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain du poète.

Lecture. Éphéméride (Patrick Modiano, Mercure de France, coll. Le Petit Mercure, 2002; 38 p., 2,50  ).
Dans ces quelques pages, Modiano rassemble des souvenirs épars qui constituent une sorte de "Je me souviens" qui ne veut pas dire son nom (quoique : "Je me souviens d'avoir lu Les Oberlé de René Bazin"). Si le "je" qui parle est bien l'auteur, il ressemble en tous points aux personnages de ses romans ou vice versa. Il est question d'un père aux activités et aux relations énigmatiques, de lieux modianiens (Paris, Annecy, Jouy-en-Josas), de lectures, de faits divers, de personnes réelles (Queneau), d'activités politiques et commerciales obscures : tout Modiano en moins de 40 pages !
Extrait. "A Paris, à la même époque, je vais déjeuner chez Raymond Queneau, le samedi. Souvent, au début de l'après-midi, nous prenons ensemble un taxi, et de Neuilly nous revenons tous deux sur la Rive Gauche.
Il me parle d'une promenade qu'il avait faite avec Boris Vian dans une petite rue que presque personne ne connaît, tout au fond du XIII° arrondissement, entre le quai de la Gare et la voie ferrée d'Austerlitz : rue de la Croix-Jarry. Il me conseille d'y aller.
Plus tard, chaque fois que nous nous verrons, nous parlerons de cette rue de la Croix-Jarry. Il y a quelque temps, j'ai lu que les moments où Queneau avait été le plus heureux, c'était quand il devait écrire des articles sur Paris pour L'Intransigeant et qu'il se promenait l'après-midi à travers les rues."
Dans ce passage, les moments les plus éloignés sont racontés au présent ("je vais déjeuner"), les plus proches au passé ("j'ai lu"), caractéristique du flou temporel modianien.

TV. Trop c'est trop ! (Say it isn't so ?, James B. Rogers, USA, 2000 avec Chris Klein, Heather Graham, Sally Field; diffusé sur Canal + en mai 2003).
Une petite ville de l'Indiana. Gilly est orphelin. Il travaille à la fourrière municipale. Il tombe amoureux d'une coiffeuse, Jo, avant d'apprendre qu'il s'agit de sa soeur.
Rogers fait partie de l'écurie des frères Farrelly (Mary à tout prix, Fous d'Irène, films cités ici par l'intermédiaire d'une mèche de cheveux rebelles et d'un troupeau de vaches sur une route) et se révèle, pour sa première réalisation, un épigone à leur hauteur. Prenant prétexte d'une banale histoire sentimentale, le film met à mal la famille, le mariage, la police, la political correctness avec un comique outré réjouissant. Gags énormes, situations scabreuses, règlements de comptes iconoclastes, le tout servi par des comédiens aux visages angéliques qu'on croirait à mille lieues de ces turpitudes. Sur le plan de l'intrigue, une idylle empêchée par la cupidité des parents, il n' y a rien de neuf sous le soleil depuis Molière si ce n'est un goût pour le sexuellement scabreux bienvenu dans un cinéma qui baigne plus volontiers dans l'asepsie.
Curiosité. On note la présence, dans un fauteuil roulant, de Richard Jenkins, le père fantôme de la série Six Feet Under.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°115 - 29 juin 2003

DIMANCHE.
Faiblesse. En achetant Les Thibault cet hiver, je m'étais dit que ça constituerait la lecture pavé des vacances. Seulement, je n'ai pas de volonté. Il me reste une semaine de travail et j'en entame la lecture. Je suis un misérable.

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 9; diffusé le même jour sur Canal Jimmy).
Tony file le parfait amour avec sa vendeuse de chars germains.

LUNDI.
Vie scolaire. Je commence à faire le ménage dans ma salle.
Je travaille à une nouvelle tâche que l'on m'a confiée : la rédaction d'un discours à l'occasion du départ d'une collègue. L'exercice me plaît, au moins pour la partie écriture : je m'amuse à citer Chateaubriand et à parler de syllepse de sens. Le prononcer, ce sera autre chose.

Vie familiale. Nous assistons à une représentation du cirque Pinder. Je ne suis pas allé au cirque depuis mon enfance. C'était sur le même Champ-de-Mars, c'était déjà le cirque Pinder, à l'époque Pinder-ORTF. Je ne me rappelle plus le spectacle mais je me souviens qu'à l'entracte nous avions eu droit à un enregistrement du Jeu des mille francs avec Lucien Jeunesse. A cette époque, la punition la plus cruelle que pouvaient m'infliger mes parents était de me priver de La Piste aux étoiles. Depuis, au vu de cette soirée, le cirque a perdu de sa superbe : l'orchestre se limite à une batterie, les clowns sont nuls, les paillettes sont ternes, les justaucorps mités et les fauves manquent de conviction. Mais le regard des enfants reste le même.

MARDI.
Vacances. J'inscris Lucie à deux stages pour les vacances, baby-gym et jeux de piste.

Courrier. Une lettre de la rue des Morillons : pas de trace de mon portefeuille aux Objets trouvés.

Téléphone. Deux minutes après avoir pris connaissance de la lettre des Morillons, je reçois un appel de la Mairie de Montrouge : mon portefeuille a été retrouvé à la bibliothèque municipale, derrière les rayonnages consacrés au genre policier. Moi qui parlais de jeu de piste... J'ai bien fait de ne pas me précipiter pour refaire mes papiers.

Gladiator. J'entame un combat qui promet d'être long pour changer le mode d'envoi des notules. Du fait du nombre d'abonnés, la formule courriel sature et les incidents se multiplient. J'essaie de mettre en place une liste de diffusion avec l'aide à distance de Y. mais ce n'est pas facile.

Vie scolaire. Cérémonies et agapes de fin d'année au collège. Je prononce mon discours sans encombre. Après coup, un auditeur, qui ne m'a pourtant jamais vu avec un outil en main, me dit qu'il a pensé à Monsieur Hulot en me regardant. Je prends ça pour un compliment. Caroline rejoint la troupe pour le barbecue final. Je suis dans un état moral bien meilleur que l'an passé à cette même époque mais il m'est toujours aussi difficile de passer du statut de bonnet de nuit à celui de joyeux drille.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète des vêtements légers en soldes, Mallarmé en Pléiade, Berlin Alexanderplatz de Döblin et les nervaliennes élucubrations d'Abaclar.

Cinéma. A la petite semaine (Sam Karmann, France, 2003 avec Gérard Lanvin, Jacques Gamblin, Clovis Cornillac, Liliane Rovère, Julie Durand, Philippe Nahon, Josiane Stoléru, Florence Pernel).
Jacques sort de prison, revoit ses anciens amis dont Francis qui l'admire et attendait son retour pour se lancer dans un coup préparé avec son copain Didier.
A la limite, si Sam Karmann s'était contenté d'un bon film noir à la française, façon José Giovanni, on aurait pu y croire. Il y a dans cette petite semaine des personnages d'anciens taulards portés par des comédiens peu connus mais aux belles trognes (Nahon, Jean-Pierre Lazzerini, Etienne Chicot, Jean-Paul Bonnaire), une révélation intéressante avec Cornillac qui interprète Didier, des moments où la mise en scène s'accélère, se resserre pour donner un peu de tension, une belle scène de flambe dans un casino aux accents dostoïevskiens. Mais le duo Lanvin-Gamblin n'est pas gâté et se révèle franchement mauvais. Lanvin trimballe une barbe et un visage creusé à la Denner sans avoir l'air de croire à son rôle de truand repenti. Gamblin joue le disciple, partagé entre son désir de réussir chez les durs et une passion pour le théâtre qui l'amène à déclamer du Marivaux dans une académie de billard au cours d'une scène d'un haut ridicule. Deuxième tentative de l'acteur Karmann dans la mise en scène après Kennedy et moi, deuxième flop.

JEUDI.
Vie scolaire. Surveillance des épreuves du Brevet des collèges. Je sais comme les heures de surveillance d'après-midi sont redoutables, et pour prévenir tout assoupissement intempestif je vais dormir dans les bois pendant la mi-journée. Ma collègue, moins aguerrie, manque de tomber de sa chaise à plusieurs reprises.

Football. France - Turquie (3-2). L'émotion des joueurs a beau être sincère après la mort de leur camarade Marc-Vivien Foé, il faut jouer. On ne peut aller contre les intérêts économiques en jeu, même pour une compétition de patronage comme cette Coupe des Confédérations. D'ailleurs, après le premier but de Thierry Henry, tout le monde, joueurs, commentateurs, téléspectateurs a oublié l'événement tragique. Il faudra, à la fin du match, l'intervention de Jacques Santini à l'accent comtois épaissi par le chagrin pour revenir à la réalité.

VENDREDI.
Vie familiale. Pour fêter mes vacances, je vais déjeuner avec Caroline dans un endroit couru, sur le port. Un lieu où l'on va apparemment plus pour se faire voir que pour la croûte : le poisson commandé arrive au bout d'une bonne heure. Nous renonçons au dessert et au café : je n'aime pas conduire de nuit.
Lucie fait des adieux à la maternelle, Alice à la crèche. Voir la vie comme une succession de lieux que l'on quitte.
Au soir, nous emmenons les filles, ravies, manger des trucs mous.

Courrier. J'envoie une revue de presse à Y., et à P.P., qui y vécut, une photo des immeubles démolis de la rue du Parc.

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 10; diffusé le 22 juin sur Canal Jimmy).
C'est l'épisode de Noël. Tony Soprano allume la télé et tombe sur La Vie est belle de Capra : "Not again !"

SAMEDI.
Performance. Je parviens à faire deux siestes dans l'après-midi, une at home et une autre à Saint-Jean-du-Marché où j'ai conduit les filles.

Rugby. Nouvelle-Zélande - France (31-23). C'était bien la peine de veiller jusqu'à une heure du matin. Pour donner moins de prise aux placages, certains Blacks portent désormais un maillot synthétique moulant qui les fait ressembler à des cyclistes au torse hypertrophié. C'est très laid.

Bon dimanche et, pour ceux que ça concerne, bonnes vacances.