Notules
dominicales de culture domestique n°107 - 5 mai 2003
DIMANCHE
1.
Courriel. J.S. pense que les lecteurs
québécois des dernières notules ont dû bien
s'amuser en découvrant la traduction française du titre
Honey I Shrunk the Kids (Chérie, j'ai rétréci
les gosses !).
TV. L'Aventurier du Rio Grande
(The Wonderful Country, Robert Parrish, USA, 1959 avec Robert Mitchum,
Julie London, Gary Merrill, Pedro Armendariz, Jack Oakie; diffusé
sur France 2 en septembre 1992).
Martin Brady est un gringo qui vit au Mexique comme homme de main des
frères Castro. Au cours d'une mission, il est immobilisé
au Texas à cause d'une jambe cassée et fait la connaissance
de Mme Colton, la femme d'un officier de la garnison locale.
A partir de cette rencontre, Brady va essayer de changer de vie, d'abandonner
son statut d'aventurier pour conquérir cette femme, sorte de Bovary
texane. Pas facile, tant le fatum pèse sur lui depuis qu'il a tué,
dans sa jeunesse, l'assassin de son père. Recherché par
les autorités américaines, poursuivi par ses employeurs
mexicains après qu'il leur eut annoncé son intention de
les quitter, Brady incarne le héros de western prisonnier de son
destin. La classe de Mitchum sert parfaitement ce rôle dans un film
très sombre.
Lecture. Souvenirs d'outre-monde,
Histoire d'une naissance (Georges Belmont, Calmann-Lévy, 2001).
Autobiographie.
Avant cette lecture, Georges Belmont était pour moi un parfait
inconnu. Cependant, je reconnais que la vie d'un inconnu m'intéresse
à partir du moment où elle dépasse les 400 pages
et les 500 grammes, ce qui est le cas ici.
Pour être inconnu, Georges Belmont n'en est pas pour autant n'importe
qui : traducteur d'Henry James, d'Henry Miller, de Burgess, lui-même
auteur de quelques livres, homme de presse (fondateur de Jours de France),
c'est un parfait témoin du siècle dernier puisqu'il est
né en 1909. Ce premier tome de ses souvenirs s'arrête en
1939. Les premières pages, sur les racines familiales et géographiques
(enfance rurale dans le Jura, puis à Beauvais), sorte de point
de passage obligé du genre, ne sont pas bouleversantes d'intérêt.
Ce n'est que lorsque ses études le conduisent à Paris que
la vie de Belmont devient franchement intéressante. A Louis-le-Grand,
il rencontre Roger Vailland et entre rue d'Ulm où il se lie d'amitié
avec Samuel Beckett. Comme Maurice Nadeau, il raconte que l'amitié
avec Beckett se nourrissait essentiellement de silences. Il part deux
ans à Dublin, s'y marie et rentre à Paris en 1931. Il rencontre
Desnos mais le milieu surréaliste le déçoit, puis
Jean Paulhan qui lui fait rédiger des "notules" pour
la Nrf. Il fréquente aussi Joyce, qui est en plein Finnegans Wake.
Pourtant, je n'ai trouvé le nom de Belmont sans aucun des volumes
de ma joyceothèque. Il n'apparaît pas dans le Joyce de
Richard Ellmann, pas plus que dans Sur Joyce d'Eugène Jolas,
directeur de la revue transition (qu'il écrit Transition
comme Tiphaine Samoyault) à qui il dit avoir donné des textes...
Même s'il a sur ce dernier sujet un peu embelli la réalité,
le livre de Belmont est une somme captivante. Dans une langue plus que
riche ('l' "outre-monde" doit beaucoup à l' "outre-tombe"
de l'autre), l'auteur s'y montre sans complaisance avec les autres ni
avec lui-même. Voir son portrait de Paul Claudel qui possédait
une demeure près de chez les Belmont : "C'est qu'ils étaient
odieux, "les Claudel", ceux du nom comme les latéraux
et collatéraux. Le Paul, tout poète qu'il fût, un
jour qu'il débarquait du train de Paris de six heures du matin
sur le quai de la petite gare de Virieu-le-Grand (...) je l'entendis apostropher
un paysan qui se trouvait là comme moi par flânerie et curiosité,
mains dans les poches, pour lui enjoindre de porter ses valises jusqu'à
la voiture à cheval du "courrier", en usant pour cela
d'un tutoiement : "Hé, là, toi... !" dont
le ton valait un rudoiement de poigne féodale et m'a sans doute
empêché plus tard, en restant dans ma mémoire, de
jamais goûter les ampoulades péguygnolesques de son théâtre
et de ses prosopoésiopopées. L'écho en était
encore dans mes oreilles et dans la suée de répugnance que
j'eus du glorieux vieillard assis dans sa superbe, bouffi de fausse bonhomie,
une fois (il n'y en eut pas de seconde) où je lui fis visite, par
je ne sais quelle nécessité professionnelle, dans les années
cinquante."
On imagine que son souci de la belle phrase et du mot juste a dû
souffrir à la vue des quelques erreurs qui parsèment le
volume : Aristide Bruand pour Bruant (p. 175), Châteaubriant pour
Chateaubriand - c'était bien la peine d'évoquer ses mânes
dans le titre - (p. 216), une paire de richelieux là où
le Robert indique un mot invariable ou doté d'un s au pluriel (p.
289). Détails qui ne m'empêcheront pas d'attendre la suite
de ses souvenirs s'il a le temps de l'écrire.
LUNDI 1.
Lecture. Effroyables jardins
(Michel Quint, éditions Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, 2000).
C'est à partir de ce court texte baptisé pourtant "roman"
que Jean Becker a brodé pour construire son film du même
nom. On voit ce qui l'y a attiré, le thème de la filiation,
de l'héritage de la mémoire. La surprise vient de la révélation
de l'identité du clown-soldat à qui le livre est dédié,
et qui n'est autre que Bernhard Wicki - né en Autriche de parents
helvético-hongrois en 1919 et mort en 2000, l'année du livre
- co-réalisateur, entre autres du Jour le plus long.
Itinéraire patriotique départemental.
Nous partons à la découverte du monument aux morts de Ban-de-Sapt.
J'ai le sentiment que j'aurai de plus en plus de mal à obtenir
un consentement familial unanime pour ce genre d'expédition. J'imagine
déjà les filles dans quelques années, allongées
sur le divan d'un obscur praticien d'une quelconque Berggasse en train
de chercher l'origine de leurs névroses, confier en soupirant :
"Jusqu'à l'âge de x ans, notre père prenait prétexte
de nous faire progresser dans la pratique cycliste pour nous embarquer
chaque dimanche (et elles seront crues, même si ce n'est pas vrai)
dans d'interminables virées, tout ça pour photographier
les monuments aux morts du département, et ce dans l'ordre alphabétique
des communes" (et elles ne seront pas crues, même si c'est
vrai).
TV. The Sopranos (saison 3,
épisode 11; diffusé sur France 2 en avril 2003).
Ce n'est que tardivement que je me suis aperçu que France 2 diffusait
des épisodes des Sopranos pendant la nuit du jeudi au vendredi.
Malgré un un nombre important de handicaps (prendre ainsi un épisode
isolé des autres, le suivre en version française quand on
est habitué aux voix originales, voir l'enregistrement s'interrompre
avant la fin de l'épisode, fruit de l'incroyable impéritie
du service public en matière d'horaires qui commande que l'on prévoie
une cassette de 4 heures pour enregistrer un épisode de 52 minutes),
c'est un vrai plaisir. La mésaventure des deux équipiers
de Tony Soprano perdus dans les bois ("Je ne m'arrêterai pas
avant d'avoir touché du béton") est un grand moment.
MARDI 1.
Appel du large. Je pars pour Paris
par le 6 h 57. Un petit tiercé au Triomphe de l'Est, tout un programme,
et bus jusqu'à Saint-Michel. Je remonte le boulevard, en prêtant
une attention particulière au secteur situé entre les numéros
73 et 145. Je croûte un sandwich thon-crudités sur un banc,
face à l'église du Val-de-Grâce, au milieu de jeunes
échappés du lycée Lavoisier. Je descends la rue Claude-Bernard,
pour voir à quoi ressemble le siège du Monde. En venant
d'Épinal, je ne peux avoir autre chose que des images dans la tête
: le hall envahi par les coursiers, les livreurs, les reporters à
chapeau qui démarrent en trombe vers l'incendie de la Tour Eiffel,
les badauds qui se pressent devant les placards de la toute fraîche
édition du jour. Au lieu de ça, je ne trouve qu'une façade
morte et close qui aurait eu du mal à inspirer à Joyce l'épisode
d'Éole dans Ulysse. Je remonte la rue Mouffetard, sans autos
et avec de vrais commerces, jusqu'à la Contrescarpe, descends la
rue Cardinal-Lemoine. J'achète des Série Noire à
l'Amour du Noir et vais travailler sur ceux que je n'ai pas trouvés
à la Bibliothèque des Littératures Policières
parmi les coups de marteau ponctuant l'installation de l'exposition Simenon.
A 17 h 30, je gagne le boulevard Saint-Germain et le café El
Sur où officie désormais Jean Lebrun chaque mardi soir
pour son Pot-au-feu de France Culture. On est loin du beau cadre Art Nouveau
du Bouillon Racine mais Lebrun retrouve un quartier qui lui va mieux que
la Palais de Tokyo où il s'était un temps exilé.
El Sur est un café argentin, l'émission est consacrée
aux élections argentines toutes proches et je dois être le
seul auditeur présent à ne pas avoir passé son enfance
dans la pampa et à boire autre chose que la bière Quilmes
en bouteille bleue. A 19 h 30, je métrotte jusqu'à la Porte
d'Orléans. Claude Burgelin, président de l'Association Georges
Perec, donne une conférence sur "Perec et la judéité"
à l'Institut Mutualiste Montsouris (l'ancienne Cité Universitaire
apparemment) dans le cadre du séminaire Babel (Psychanalyse, littérature
et arts). Je retrouve avec un rien d'émotion ce coin du XIV°
où j'ai fait, enfant, mes premiers pas à Paris, chez ma
grand-mère qui habitait rue Maurice-Bouchor. C'est un peu ça
qui m'a décidé à venir car la prix d'entrée
est plutôt dissuasif : 12 €, rien que ça. A ce tarif-là,
j'imaginais le président Burgelin entouré de femmes nues
et de danseuses sans linge mais je ne trouve qu'un parterre de lacaniens
austères qui sont venus en taxi. Burgelin s'écarte des textes
les plus juifs de Perec (W et Récits d'Ellis Island)
pour traquer la judéité là où on l'attend
moins : Les choses (bof), La disparition et surtout Un
homme qui dort. Il considère que deux moments de ce texte,
la réclusion et le vagabondage correspondent à deux aspects
de la judéité, la vie de ghetto et l'errance. Je quitte
les lieux avant la discussion (j'ai faim, je ne suis pas venu en taxi
et je crains les métros tardifs, en outre je ne crois plus à
l'apparition des bayadères) sous le regard noir des lacaniens réprobateurs.
Je finis la journée par un filet de rascasse à la Brasserie
de l'Est à l'heure du réveillon.
MERCREDI 1.
Vie parisienne. Je profite du beau
temps et passe la matinée à lire sur un banc au Jardin des
Plantes. J'achète les Pensées de Marc-Aurèle à
la librairie Dédale. M'est avis qu'un soupçon de philosophie
stoïcienne ne me fera pas de mal dans la perspective de ma prochaine
inspection. Une salade auvergnate au Petit Cardinal et une après-midi
de travail à la Bilipo. Je prends des nouvelles de Lucie en stage
"Sportifs en herbe". L'animatrice a souligné sa timidité
mais tout se passe bien, mon estomac se dénoue.
Retour. Je voyage dans un wagon de la Deutsche Bahn bien rempli.
Pintades et pintadeaux caquètent dans leurs téléphones
de poche et m'agacent jusqu'à ce que je m'aperçoive que
j'ai la solution à mes problèmes à portée
de main : je dégaine mon Marc-Aurèle. Page 115 : "Tu
ne peux plus lire ! Mais tu peux repousser toute démesure; tu peux
dominer les plaisirs et les peines; tu peux être au-dessus de la
vaine gloire; tu peux ne point t'irriter contre les grossiers et les ingrats;
tu peux, en outre, leur témoigner de la sollicitude". Merci
Marcus.
Lecture. Les chiens de Riga (Hundarna
i Riga, Henning Mankell, 1992, traduit du suédois par Anna
Gibson, éditions du Seuil, coll. Policiers, 2003).
Deux cadavres sont retrouvés dans un canot pneumatique échoué
sur une plage de Scanie. Les victimes semblent avoir des liens avec la
mafia lettone, ce qui conduit l'inspecteur Wallander à mener une
enquête à Riga.
Nous sommes en 1991. Wallander a 43 ans et sa santé commence à
s'user. Ce roman, qui apparaît en France en cinquième position,
est en fait le deuxième de la série. Y en a-t-il d'autres
qui occupent les trois années qui le séparent du Guerrier
solitaire, qui marqua l'entrée de Mankell en France ? Je n'en
sais rien. C'est en tout cas assez frustrant de découvrir cette
œuvre dans le désordre, alors que des Suédois qu'on ne connaît
même pas ont pu la suivre chronologiquement. D'autant que cet épisode
est important dans la construction du personnage. D'abord, Wallander rencontre
Baiba, veuve d'un collègue letton dont on entendra toujours parler
par la suite, mais sans la voir. Surtout, il fait la connaissance et l'apprentissage
d'un monde inconnu. En 1991, la Lettonie (qui n'avait peut-être
pas été à l'honneur dans le polar depuis la première
aventure de Maigret, Pietr-le-Letton) est encore soviétique
mais craque de toutes parts. On s'agite dans l'ombre, et notamment dans
les milieux policiers, pour s'emparer des leviers d'un pouvoir bientôt
vacant. Propulsé dans un monde en déliquescence auquel il
ne comprend rien, Wallander, tel un Tintin en Syldavie, refuse
de se laisser faire, s'agite (il n'a pas encore la lourdeur enrobée
qui viendra plus tard), se bat. Et puis il apprend, il enregistre et s'inquiète
de la tournure prise par les événements. On comprend mieux
après cet épisode son fatalisme, sa résignation qui
ne l'empêchent pas de creuser obstinément un sillon solitaire
vers la vérité et la justice.
Extrait. "A sa descente d'avion à Stockholm la semaine précédente,
il avait éprouvé un sentiment confus, de chagrin peut-être.
En même temps, il était soulagé d'avoir quitté
ce pays où on le surveillait sans cesse. Cela avait provoqué
un accès de spontanéité inhabituel pour lui. "Ça
fait du bien de rentrer", avait-il dit à la femme du contrôle
des passeports. Elle lui avait à peine jeté un regard, comme
s'il avait fait une avance déplacée, et lui avait rendu
son passeport sans même l'ouvrir.
Et voilà la Suède, pensa Wallander. En surface, tout est
clair et lumineux. Nos aéroports sont conçus de telle sorte
qu'aucune saleté, aucune ombre n'y trouve prise. Tout est visible,
tout est conforme aux apparences. Notre religion et notre pauvre espoir
national, c'est la sécurité inscrite dans notre Constitution,
qui fait savoir au monde entier que chez nous, personne ne meurt de faim.
Mais nous n'adressons pas la parole aux inconnus; car l'inconnu peut nous
faire du mal, salir notre propreté, obscurcir nos néons.
Nous n'avons jamais bâti un empire, et cela nous a épargné
la peine de le voir s'effondrer. Mais nous étions convaincus d'avoir
créé le meilleur des mondes - quoique petit -, nous étions
les gardiens officiels du paradis et maintenant que la fête est
terminée, nous nous vengeons en ayant les contrôleurs de
passeports les plus froids du monde."
Courrier. Je trouve à mon arrivée une carte postale
de l'Yonne contenant un amical salut de l'enseignante avec laquelle j'ai
échangé quelques courriels dénués de tendresse
la semaine précédente ou à peu près. Surprise
et soulagement. Mais ce n' est pas tout : son texte est suivi d'un
petit mot tout aussi amical d'un hôte de passage qui n'est autre
que... David Bellos. Elle m'avait pourtant prévenu qu'elle connaissait
du monde...
JEUDI 1.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et à l'AGP, ainsi qu'un brelan d'aptonymes à A.Z. (une
dame Boulier comptable, un Miche boulanger et un Rossignol gardien de
prison).
Courriel. Je reçois le Petit
dictionnaire à l'usage des malentendus de Patrice D. Nicolas
Graner, de la [listeoulipo], m'envoie ma version d'El Desdichado
de Nerval pour relecture avant mise en ligne. Je vais apparaître
sur la liste des auteurs à côté des grands. J'ai l'impression
de recevoir mon épée d'académicien.
VENDREDI 1.
Courrier. Une carte postale de JVC
en vacances à Marrakech. Souvenir d'un vieux sketch de Bedos :
"Ma femme et moi on a été en vacances à Marrakech.
C'est plein d'Arabes."
Vacances. Nous partons pour notre
cure d'azote sur la Côte d'Azur. Départ prévu 16 heures,
départ réel 16 h 07, on a rarement fait mieux. On écoute
la radio de l'autoroute, afin d'être tenus au courant de l'état
du trafic sur notre parcours. Les seuls accidents signalés ont
lieu dans le sens opposé au nôtre, alors on s'ennuie un peu
avant un arrêt-buffet dans une cafétéria fantôme
de Feyzin digne d'un film de Mocky et les filles s'endorment jusqu'à
notre arrivée à Mandelieu. Le parrain (ce n'est guère
original d'avoir un parrain sur la Côte d'Azur) a refait l'appartement,
plus clair et plus grand.
SAMEDI 1.
Lecture. La mort en gros sabots
(The Deadly Percheron, John Franklin Bardin, 1946, traduit de l'américain
par Jean Benoit, éditions Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, 2000).
Psychiatre à New York, le Dr Matthews est intrigué par un
client, Jacob Blunt, qui prétend être au service de créatures
magiques. Il décide de l'accompagner à un rendez-vous au
cours duquel Jacob doit justement rencontrer un de ses employeurs.
Une bonne initiative que cette réédition d'un livre qui
est une réussite majeure sur le thème couru de l'amnésique
à la recherche de son passé. A l'issue du rendez-vous auquel
il accompagne Blunt, Matthews va en effet être victime d'un accident
(?) et se réveiller plusieurs mois plus tard avec un visage qu'il
reconnaît à peine et séjourner, lui le psychiatre,
dans un établissement spécialisé. La quête
de la vérité va être difficile, tortueuse, confuse
parfois pour le lecteur mais le rythme sur lequel elle est menée
emporte tout.
Là-dessus se greffe une touche d'absurde bienvenue. On sait que
les serial killers ont l'habitude de laisser sur les lieux de leurs crimes
un objet, un signe (une rose, une signature...) pour authentifier ceux-ci.
Le tueur qui officie dans cette histoire ne déroge pas à
la règle : il abandonne un percheron attaché devant la demeure
de ses victimes.
Extrait. "- On vient d'arrêter Jacob, docteur ! criait-elle
au bout du fil. A cause du meurtre de France Raye ! On l'a trouvée
morte dans son appartement, et il était là, au même
moment, complètement ivre, sonnant à sa porte et essayant
d'entrer ! Oh, docteur, ils croient que c'est lui qui l'a tuée
!
- Qu'a-t-il fait du cheval ? demandai-je.
C'est tout ce que je trouvai à répondre."
Occupation. Le temps est maussade.
On se promène le long des quais après la sieste. Des plaisanciers
ont démonté le moteur de leur bateau. Je n'aurai jamais
de bateau, j'ai déjà assez de problèmes avec ma tondeuse
à gazon. Le soir venu, les filles regardent L'Ecole des fans.
DIMANCHE 2.
Lecture. La note sensible (Valentine
Goby, Gallimard, coll. nrf, 2002; sélectionné pour le Prix
René-Fallet 2003).
Une jeune femme emménage à Paris dans un immeuble où
son voisin est un musicien dont elle tombe amoureux.
Le premier roman de Valentine Goby ressemble à une composition
d'élève appliquée. Une succession de rédactions
sur les sujets suivants : une soirée à l'Opéra Bastille,
le retour de l'enfant prodigue dans la demeure familiale (avec confitures
du terroir et sachets de lavande dans les armoires), l'enterrement de
la grand-mère (avec poignée de terre sur le cercueil), racontez
l'émotion ressentie à l'écoute d'un morceau de musique
et ainsi de suite. Pas de quoi pour l'instant bouleverser la littérature
française.
Extrait. "Plus le mois de mars avançait, plus le soleil se
levait tôt. Plus il faisait nuit tard." Au moins, un sens aigu
de l'observation.
Occupation. On se risque dans la piscine.
Jusqu'à mi-mollet.
TV. Tenue correcte exigée
(Philippe Lioret, France, 1997 avec Jacques Gamblin, Elsa Zylberstein,
Zabou; diffusé le même jour sur France 2).
Richard, sans domicile fixe, tente de retrouver sa femme dans un grand
hôtel parisien. Il doit lui faire signer les papiers du divorce
afin d'éviter la prison.
On peut difficilement trouver mieux pour un dimanche de vacances que cette
comédie réjouissante. Le casting est parfait (Gamblin, Zinédine
Soualem, Jacques Boudet qui travailleront à nouveau avec Lioret
sur Mademoiselle trois ans plus tard; Urbain Cancelier, Jean Yanne et
Daniel Prévost dans de grands numéros), le scénario
mêle habilement le vaudeville et la satire sociale sans gros sabots,
les répliques font mouche. Du beau travail.
LUNDI 2.
Lecture. Métaphysique du
chien (Philippe Ségur, Buchet/Chastel 2002; sélectionné
pour le Prix René-Fallet 2003).
Toulouse. Paul abandonne tout pour vivre avec Knult, un chien, partager
sa niche et sa pitance.
Ce point de départ, l'homme qui décide de vivre comme son
chien, vient d'un conte de Restif de la Bretonne. Philippe Ségur
ne s'en contente pas et fait apparaître, autour de Paul et de Knult,
une série de personnages qui vont s'entrecroiser au gré
de hasards et de coïncidences bienvenus : une jeune vétérinaire
amoureuse de Paul, un boucher philanthrope, un beauf en survêtement,
une mémère et son chienchien, un voleur de chiens justement
et un policier aux trousses de ce dernier. Là non plus, on ne va
pas bouleverser la littérature mais au moins on ne s'ennuie pas,
Philippe Ségur a le sens du rythme et sait rendre discrètes
les dimensions philosophiques qu'il souhaite donner à son roman.
Extrait. "Ce matin, j'ai mangé mon chien. Sans doute vous
demandez-vous comment j'ai pu faire ? Je l'ai dépecé comme
un vulgaire lapin. Il suffit d'avoir un bon couteau, un couteau qui coupe.
Le mien m'avait été prêté par Luciano, le boucher
d'à côté. Il nous aimait bien, mon chien et moi, depuis
le temps. Avec une lame effilée, j'ai accompli ma triste besogne.
J'ai taillé la peau de mon pauvre Knult."
TV. Box of Moonlight (Tom DiCillo,
USA, 1996 avec John Turturro, Sam Rockwell, Catherine Keener; diffusé
le même jour sur Arte).
Le chantier que dirige Al Fountain dans le Tennessee est interrompu. Al
décide de ne pas rentrer tout de suite chez lui. Il loue une voiture
et part sur les routes. Il rencontre le Kid, un jeune marginal déguisé
en Davy Crockett.
DiCillo livre un beau portrait d'homme touché par la quarantaine.
Un cheveu blanc apparaît un matin et sert de révélateur.
Al Fountain prend conscience de ses difficultés à communiquer
avec les ouvriers qu'il dirige, de l'automatisme de ses rapports avec
sa famille qu'il appelle chaque soir à heure fixe. Dans ce rôle
de coincé, Turturro est magnifique. La rencontre du Kid, les quelques
jours partagés en sa compagnie, l'amitié, l'insouciance
retrouvée, apparaissent comme une parenthèse enchantée
dans sa vie, une découverte des plaisirs ordinaires que DiCillo
filme avec beaucoup de simplicité, d'humour et de pudeur.
MARDI 2.
Vice. Je fais ma rentrée (gagnante)
au PMU locale où les clients ont des têtes qui ne dépareraient
pas dans un épisode des Sopranos.
Occupation. Atelier cartes postales.
TV. Questions pour un champion
spécial Grandes Écoles (France 3).
A l'heure où, tout près d'ici, TF1 racole la jeunesse avec
Nice People, le service public continue courageusement ses émissions
pour les retraités. Je me laisse faire. J'aime les activités
de retraité : j'aime me lever avant l'aube, aller à la pêche
pour ne rien attraper, bêcher mon jardin, traîner en charentaises,
lire Marcel Proust, aller sur la Côte d'Azur hors-saison, faire
la sieste, m'asseoir dans les jardins publics et changer de banc avec
le soleil. En fait, plus j'y réfléchis et plus la retraite
m'apparaît non pas comme une fatalité, ni même une
issue, mais comme une vocation.
MERCREDI 2.
Vices. Caroline et Lucie vont magasiner
à Cannes. J'entraîne sournoisement Alice au PMU.
TV. Football : France - Égypte
5 - 0 (TF1).
Joie de voir un but de Robert Pires, que son long passage au F.C. Metz
m'a rendu à jamais sympathique.
JEUDI 2.
1°-Mai. Là où, à
Épinal, les vendeurs de muguet à la sauvette se marchent
sur les pieds et sont plus nombreux que les clients, les trottoirs de
Mandelieu sont vides de toute vente ambulante. Seuls les fleuristes proposent
les brins recherchés. Toujours mon goût pour les images :
j'imagine volontiers que les deux fleuristes locaux ont envoyé
des nervis casser bras et jambes à leurs concurrents occasionnels
les années précédentes et que ceux-ci ont retenu
la leçon.
Occupation. Nous passons une petite
heure sur la plage du château à La Napoule en fin de matinée.
L'eau de mer fait du bien à l'eczéma de Lucie.
Plagiat. "L'Allemagne a déclaré
la guerre à la Russie. - Après-midi piscine." (Franz
Kafka, Journal, I° août 1914).
"George Bush annonce la fin de la guerre en Irak. - Après-midi
piscine aussi." (Ph. D., notules, 1° mai 2003).
Lecture. L'Heure de la sortie
(Christophe Dufossé, Denoël 2002; sélectionné
pour le Prix René-Fallet 2003).
Un professeur se suicide dans un collège d'Indre-et-Loire. Un de
ses collègues est intrigué par l'état d'esprit d'une
classe qu'il reprend à la suite du mort.
C'est un premier roman qui a longtemps traîné dans un tiroir
ou qui a visité pas mal de maisons d'édition avant d'atterrir
chez Denoël (il date apparemment de 1995). L'auteur y tombe dans
le travers le plus courant : une implication autobiographique trop importante.
Dufossé vit en Touraine, a le même âge que son narrateur
et on peut être sûr qu'il enseigne en collège. Son
soin à transposer sur papier son univers personnel l'amène
à parler dans son livre de notions aussi romanesques que l'indemnité
de suivi et d'orientation ou la dotation horaire globale. Nul doute que
son roman aura été accueilli comme un événement
dans sa salle des professeurs mais au-delà...
Il y a pourtant des promesses qui apparaissent mais qui ne sont pas tenues,
comme le comportement collectif de cette classe bizarre (des élèves
de 4° qui sont d'une maturité que je rencontre chez très
peu d'adultes) qu'on suit malheureusement de trop loin, l'auteur étant
trop occupé à développer la vie intérieure
de son personnage, donc de lui-même. On peut aussi, si on est du
métier, s'amuser à reconnaître certains types dans
la salle des professeurs, certaines situations vécues, même
si là encore une conversation comme celle-ci est plutôt rare
dans le milieu : "Au fond (...) il n'y a vraiment qu'un seul grand
problème dans l'existence : à partir de quand devient-on
un fantôme ?
-Tu veux dire : à quel moment devient-on le fantôme de sa
propre vie ?
-Tu as raison, Pierre."
Enfin, certaines remarques sur le métier, sur les relations avec
les élèves, ne manquent pas de justesse : "J'aime les
fiches pour cela. Leur mission principale n'est pas d'être informatives
sur des détails connus à l'avance mais de me rappeler que
l'univers intellectuellement cossu dans lequel j'ai toujours eu l'habitude
d'évoluer me cachait en fait l'essentiel. Céline est et
restera à jamais la fille du garagiste qui habite le lotissement
à côté, Mahler est le nom du type qui a écrit
une musique pour des pâtes au fromage et John Ford doit certainement
être une marque de voiture." Le problème est que tout
cela ne forme pas un roman.
Curiosité. Le professeur suicidé (bizarrement d'ailleurs,
il se jette d'une fenêtre, or si le collège est neuf comme
le dit l'auteur, le système d'ouverture des fenêtres est
conçu de façon à éviter justement ce genre
de mésaventure) s'appelle Éric Capadis. Hommage peut-être
à Alain Pacadis, journaliste à Libération, symbole
punk-mondain de la vie nocturne décédé lui aussi
d'une mort violente en 1986.
VENDREDI 2.
Occupation. Nous excursionnons jusqu'à
Vence, où, après une croûte dans une brasserie qui,
ô merveille fait aussi PMU, nous nous mettons en quête de
l'endroit où Chagall avait sa maison, pas très loin de la
chapelle de Matisse ("On peut s'étonner de l'entrain qu'ont
les vieux artistes à bâtir des chapelles, mais tous les gens
âgés rachètent leurs péchés en faisant
quelque chose, eux le font de façon plus voyante, voila tout."
David McNeil, Quelques pas dans les pas d'un ange), quête
qui sera compensée un peu plus tard dans la journée par
celle d'une paire de sandales pour Alice à l'issue d'un arpentage
minutieux de la rue d'Antibes à Cannes.
Lecture. Quelques pas dans les
pas d'un ange (David McNeil, Gallimard, coll. nrf, 2003).
Souvenirs.
Heureuse initiative prise ici par David McNeil qui, fuyant une inspiration
romanesque un peu en perte de vitesse, se tourne vers l'autobiographie.
Si on ajoute son talent d'écriture, qui reste inchangé,
à l'intérêt de sa vie, on obtient un petit livre tout
à fait remarquable. C'est que McNeil a eu pour père un personnage
peu ordinaire, Marc Chagall. Un père âgé, un peu distant
(McNeil passe sa jeunesse en pension), dominé par sa dernière
compagne et qui, d'un point de vue artistique faisait marcher à
l'époque ce qu'Olivier Céna dans un récent article
de Télérama appelait "la machine à saucisses",
à savoir la répétition des mêmes thèmes
picturaux rémunérateurs et peu exigeants.
David McNeil ne cherche pas à donner l'illusion d'une vie suivie
ou d'une intimité réelle avec son père. Il n'a que
quelques anecdotes à livrer, quelques sensations qui lui sont restées
de la maison de Vence, de la rivalité entre Matisse et son père,
quelques personnages aperçus par un gamin qui ne savait pas qui
ils étaient (Picasso, les Maeght, Prévert, Calder, Miro,
Aragon, Amado...), quelques moments complices avec son père à
Paris (une visite au Louvre, un dialogue à propos du plafond de
l'Opéra, passage le plus savoureux du livre malheureusement dévoilé
en quatrième de couverture). Avec en toile de fond une grande tendresse
pour ce père lointain et le regret n'avoir pu faire que "quelques
pas" dans les siens.
SAMEDI.
Retour. C'est la journée la
plus chaude, celle où la piscine est vraiment tentante. Nous passons
9 heures sur la route.
Bonne semaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°108 - 11 mai 2003
DIMANCHE.
Procrastination. Il y en a des choses
à faire quand on rentre de vacances, même d'un court séjour :
faire tourner des machines à laver, lire le courrier (le directeur
du cinéma local m'envoie deux places suite à mes démêlés
avec sa caissière; une carte postale d'un collègue représentant
le PMU de Fraize), la presse en retard, le courriel, recopier des notes
littéraires et cinématographiques, rédiger un numéro
double de notules, acheter des victuailles, tondre le gazon, planter les
patates... Vu l'ampleur de la tâche, la meilleure solution est de
la remettre à plus tard : nous partons nous mettre les doigts de
pied en éventail à Saint-Jean-du-Marché.
LUNDI.
Phrase du jour. Je la trouve dans
le billet quotidien d'Hervé Le Tellier : "Dans une vie, on
marcherait 38 000 km derrière un caddie de grande surface
(d'où, sans doute, le nom de supermarché). Ça fait
du chemin dans l'autre sens si on a oublié le beurre."
Courriel. Beaucoup de réactions
aux notules qui entraînent des échanges avec F.P. et B.V.
sur l'art tumulo-funéraire, G.N. sur les stoïciens, F.G. sur
le Boul' Mich' et A.Z. sur l'aptonymie boulangère dans le Lunévillois.
TV. P.J. (saison 10, épisode
3; diffusé sur France 2 le 25 avril 2003).
Un enfant (interprété par Damien Jouillerot, celui de Monsieur
Batignole et d'Effroyables jardins) cogne sur ses parents.
Le fils du lieutenant Porret est victime de racket. C'est ce que devine
le téléspectateur au bout de dix minutes. Les limiers de
la P.J. Saint-Martin mettent beaucoup plus de temps.
MARDI.
Vie familiale. Visite fraternelle
en provenance de Lisieux.
Lucie perd sa deuxième dent de lait.
Lecture. Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline,
1932, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade).
Relecture.
Ma découverte de Céline et ma première lecture du
Voyage datent de 1979. Je m'aperçois, à la remontée
des souvenirs et à la consultation de mes notes de l'époque
combien cette lecture était philosophico-politique. "Invoquer
sa postérité, c'est faire un discours aux asticots",
"Il n'y a de repos pour les petits que dans le mépris des
grands qui ne peuvent penser au peuple que par intérêt ou
sadisme", "Presque tous les désirs du pauvre sont punis
de prison", voilà les phrases que j'avais relevées
et qui m'étaient restées en mémoire.
Aujourd'hui bien sûr, c'est à une lecture plus rassise que
je me suis livré, qui m'a fait voir d'autres aspects du livre.
Le côté picaresque de la première partie pour commencer.
Le rythme des aventures de Ferdinand, de la guerre en Afrique, de l'Afrique
à New York, de New York à la banlieue est véritablement
frénétique. Le Voyage n'est pas pour autant un itinéraire
d'apprentissage, de formation, car le personnage possède dès
le départ son pessimisme et son absence de foi en l'homme que ses
diverses aventures ne viendront que confirmer.
Relire le Voyage, c'est aussi s'apercevoir qu'on va un peu vite
en évoquant la révolution de style accomplie par Céline.
En fait, la déstructuration de la langue sera plus évidente
plus tard, à partir de Mort à crédit. Bien
sûr, il y a les tournures familières, les procédés
inhabituels (comme cette répétition quasi systématique
du sujet en bout de proposition : "Il avait raison, Robinson...";
"On n'en revenait pas, nous autres,..."; "Nous étions
hébergés, nous, les blessés troubles..."; procédé
qui doit porter un nom que je ne retrouve pas en rhétorique), les
phrases hachées interrompues par les points d'exclamation et de
suspension, mais ce langage populaire est intégré à
un ensemble d'un grand classicisme. On trouve des subjonctifs imparfaits
("il fallut bien que je la prisse"), des métaphores homériques
("La balle dans le ventre, ils auraient continué à
ramasser de vieilles sandales sur la route, qui pouvaient encore servir.
Ainsi le mouton, sur le flanc dans le pré, agonise et broute encore.",
des alexandrins parfaits ("Cette folle rumeur de la foule en remous")
et des phrases carrément précieuses ("Émue durablement,
elle manda licence de faire frapper en vers, par un poète de ses
admirateurs, les plus intenses passages de mes récits"). De
quoi éloigner Céline de l'image de torchonneur qu'on lui
colle trop souvent par facilité.
Le propre des grands textes est de dévoiler de nouvelles richesses
à chaque rencontre. Le Voyage confirme l'adage.
Extrait (pour le plaisir)."Le zinc du canal ouvrait juste avant le
petit jour à cause des bateliers. L'écluse commence à
pivoter lentement sur la fin de la nuit. Et puis c'est tout le paysage
qui se ranime et se met à travailler. Les berges se séparent
du fleuve tout doucement, elles se lèvent, se relèvent des
deux côtés de l'eau. Le boulot émerge de l'ombre.
On recommence à tout voir, tout simple, tout dur. Les treuils ici,
les palissades aux chantiers là-bas et loin dessus la route voici
que reviennent de plus loin encore les hommes. Ils s'infiltrent dans le
jour sale par petits paquets transis. Ils se mettent du jour plein la
figure pour commencer en passant devant l'aurore. Ils vont plus loin.
On ne voit bien d'eux que leurs figures pâles et simples; le reste
est encore à la nuit. Il faudra bien qu'ils crèvent tous
un jour aussi. Comment qu'ils feront ?
Ils montent vers le pont. Après, ils disparaissent peu à
peu dans la plaine et il en vient toujours des autres, des hommes, des
plus pâles encore, à mesure que le jour monte de partout.
A quoi qu'ils pensent ?"
TV. The Sopranos (saison 3,
épisode 12; diffusé sur France 2 le 25 avril 2003).
L'épisode est moyen. Isaach de Bankolé est crédité
au générique final mais je ne l'ai pas reconnu. A propos
de générique, c'est celui d'ouverture qu'il ne faut pas
manquer. Un petit bijou au cours duquel on suit Tony Soprano en voiture,
sur une chanson qui n'est pas créditée mais qui pourrait
bien être de J.J. Cale. Au début de l'histoire, Carmella
Soprano tombe en pâmoison devant le Mariage mystique de sainte
Catherine de Jusepe de Ribera. La scène se passe dans un musée
new yorkais que je n'ai pas réussi à identifier. Celui-ci
est désert, ce qui me donne envie de le visiter. Mais on y entend
une musique d'ambiance du genre de celle que les Fisher diffusent dans
leur salon funéraire dans Six Feet Under. Je raccroche le
téléphone avant d'avoir obtenu la liaison avec une compagnie
aérienne.
MERCREDI.
Anniversaire. Certains ont l'âge
de leurs artères. J'atteins aujourd'hui celui de ma pointure.
Courrier. J. envoie une carte postale
de New York et A.Z. un numéro hors commerce de la revue Formules
intitulé "L'insoutenable légèreté des
contraintes".
Courriel. Échange avec L. sur
le mystère judiciaire du moment, l'histoire de la famille Flactif
qui a disparu quasiment sous ses fenêtres.
Cinéma. Tristan (Philippe
Harel, France, 2003 avec Mathilde Seigner, Nicole Garcia, Jean-Jacques
Vanier, Jean-Louis Loca, Adina Cartianu, Daniel Cohen, Michel Duchaussoy).
Une jeune commissaire enquête sur une série de suicides amoureux.
J'aime bien les films de Philippe Harel, ses comédies avec Benoît
Poelvoorde (Les Randonneurs, Le Vélo de Ghislain Lambert)
et sa Femme défendue, plutôt originale. Son incursion
dans le domaine du thriller est moins convaincante. Mathilde Seigner est
à peu près aussi crédible que les inspectrices de
P.J., c'est dire. Le film ressemble d'ailleurs à un épisode
allongé de la série, dont un des grands mérites est
la brièveté. Alors pour passer le temps jusqu'à la
révélation finale, qui vaut ce qu'elle vaut mais qui a au
moins le mérite d'exister, on s'intéresse aux acteurs. Mathilde
Seigner fait la gueule de la première à la dernière
minute. Nicole Garcia hérite d'un rôle de psychologue-profileuse
d'un haut ridicule. Harel est plus heureux avec les hommes, Jean-Jacques
Vanier qui a un rôle plus étoffé que ceux que lui
offre habituellement Manuel Poirier mais qui garde le même air de
se foutre éperdument de ce qui se passe, Daniel Cohen, une découverte,
véritable sosie de Louis de Funès qui interprète
le commissaire Meurteaux local et, surprise, Patrice Minet, le plus drôle
à mon goût des Papous de France Culture.
JEUDI.
Vie professionnelle. Dans les intervalles
que me laissent les filles (Caroline assure un nycthémère
de garde jusqu'à demain 8 heures), je prépare d'arrache-pied
mon inspection. Pour parer à toute éventualité et
obéir à ce que Caroline appellera mon incorrigible optimisme,
je plante 90 pieds de pommes de terre destinés à nourrir
ma famille l'hiver prochain en cas de coup dur. J'étudie attentivement
la course du tiercé. Je cherche des enseignements du côté
de Marc-Aurèle ("Vois ce qu'ils sont lorsqu'ils mangent, dorment,
s'accouplent, vont à la selle, etc. Vois-les ensuite lorsqu'ils
se donnent de grands airs, font les fiers, se fâchent et vous accablent
de leur supériorité. Peu avant, de combien de maîtres
étaient-ils les esclaves, et par quelles sujétions ! Peu
après, ils se retrouveront réduits au même état
!").
Pour me mettre dans l'ambiance, je relis en diagonale Le Château
de Kafka en remplaçant les mots "Château" par "Rectorat",
"fonctionnaires" par "inspecteurs" et "villageois"
par "professeurs". Le résultat est assez concluant. Coïncidence,
je trouve dans la revue envoyée par A.Z. un texte d'Hervé
Le Tellier intitulé "Collection d'antonomases" dans lequel
il imagine cinquante-trois images représentant des célébrités
avant leur passage à la postérité : "Photographie
de Joseph S. Klaxon, âgé de six ans, soufflant dans sa petite
trompette"; "Porcelaine de Saxe représentant Antoine-Auguste
Parmentier, se brûlant les mains avec une pomme de terre brûlante,
avant de la piétiner"; "Image d'Épinal représentant
John Montagu Sandwich, excédé, demandant à sa femme
: Dites-moi, ma mie, où avez-vous rangé les fourchettes
?", etc. La première de la liste est une "photographie
en noir et blanc représentant Franz Kafka se faisant expliquer
la procédure à suivre pour se faire rembourser une note
de frais par L'Éducation Nationale".
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et à l'AGP, des remerciements au directeur du cinéma,
une procuration pour le Prix René-Fallet (je serai à Paris
le jour du vote) et une demande de renseignements à l'université
de Cluj (Roumanie).
TV. P.J. (saison 10, épisode
4; diffusé sur France 2 le 2 mai 2003).
Un bon épisode avec le dilemme de Porret, pris, face au racketteur
de son fils, entre le respect de la procédure que commande son
boulot de flic et son désir de vengeance.
VENDREDI.
Vie professionnelle. Jour d'inspection.
Avant de partir, une petite dose de Marc-Aurèle. "Dès
l'aurore, dis-toi par avance : je rencontrerai un indiscret, un ingrat,
un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable." Ce serait bien
de ne pas retrouver les six dans la même personne aujourd'hui. Après
M. G. et Mme P., je poursuis ma tentative d'épuisement des services
d'inspection de l'Académie avec une dame dont j'ignore le nom.
Trois visites en douze mois alors que la norme est d'une tous les dix
ans, je suis gâté. Au cours de l'entretien qui suit mon cours,
j'ai droit aux reproches (bénins) auxquels je pouvais m'attendre
mais la dame dresse un tableau juste, et parfois louangeur, de mon travail
et ne me laisse pas de doute quant à l'issue de ma demande de changement
de corps. A la fin, je ne peux m'empêcher de lui dire mon étonnement
quant au fait que, en servant la même soupe, je sois ainsi passé
du statut d'empoisonneur à celui, peut-être pas de maître
queux, mais au moins d'honnête gargotier. Elle me parle alors de
G. et de P., me donne les vraies raisons de ma mise au pilori que je ne
peux répéter ici mais qui sont de caractère paranoïde
et renversantes d'abjection, considère ma situation comme "un
cas exemplaire de distorsion de la réalité". C'est
fini. A l'issue de ma première inspection l'an dernier, j'avais
envie de pleurer, après la deuxième j'avais envie de vomir,
là j'ai envie de courir les bois en poussant des cris de Tarzan.
Me voilà réhabilité, tel un capitaine Dreyfus au
petit pied. Je me félicite d'avoir continué à mener
ma barque sans changer de cap, d'avoir envoyé paître le tuteur
que voulait m'imposer Mme P., de ne pas avoir répondu à
ses convocations, de ne pas m'être compromis. Même si ce fut
loin d'être facile à vivre, même si la honte, l'humiliation
et la haine sont en moi à demeure et ont tué les projets
d'avenir que je formais. Je vais enfin pouvoir fréquenter la salle
des professeurs sans appréhension, montrer un visage plus avenant
aux collègues et à tous les autres qui ont eu sur moi moins
de doutes que je n'en ai moi-même nourri et dont j'ai apprécié
les manifestations de soutien sans toujours le montrer ouvertement.
Comme de plus Ch., qui passait sur le gril avant moi s'en est également
sortie avec les honneurs et une note gonflée à l'hélium
(je craignais aussi, en faisant entrer le loup dans la bergerie, d'occasionner
des dommages collatéraux), comme je trouve dans mes chaussons les
dernières œuvres de Pennac, de Yann Tiersen et le deuxième
coffret de Signé Furax, j'estime que j'ai passé une bonne
journée. "Recouvre ton bon sens, reviens à toi et,
une fois sorti de ton sommeil, rends-toi compte que c'étaient des
songes qui te troublaient; une fois réveillé, regarde les
choses comme auparavant tu les regardais" (Marc-Aurèle, bien
sûr).
TV. P.J. (saison 10, épisode
5; diffusé le même jour sur France 2).
Une histoire met en cause des pompiers. L'un d'eux s'appelle Lancelot,
ce qui me fait bien rigoler mais ce soir je suis bon public.
SAMEDI.
Courrier. Une carte postale des N.
en provenance de Grèce.
Jardin. Je me mets le dos en capilotade
en essayant de démarrer la tondeuse à gazon. Le voisin réparateur
a fermé boutique depuis que sa femme l'a quitté la semaine
dernière. Mon beau-père me prête son engin qui tombe
en panne au bout de dix minutes. La vie reprend son cours habituel.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules, la troisième de la semaine.
TV. The Sopranos (saison 3,
épisode 13; diffusé sur France 2 le 2 mai 2003).
A regarder comme je l'ai fait cette semaine en alternance une honnête
série française (P.J.) et une série américaine
haut de gamme (The Sopranos), il y a de quoi perdre un peu de son
antiaméricanisme primaire.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°109 - 18 mai 2003
DIMANCHE.
Vie familiale. Nous mangeons les premières
asperges de la saison chez mes parents. On m'offre un conte de Joyce que
je ne connaissais pas, Le Chat et le Diable, écrit pour
son petit-fils et illustré dans cette édition par Blachon,
l'auteur de la page la plus intéressante de L'Équipe Magazine.
LUNDI.
Vie professionnelle. Pour la première
fois depuis des lustres, je pars au travail sans appréhension,
en dégustant le Boudin sacré de Pierre Dac et Francis
Blanche.
Courriel. J. m'entretient des musées
new-yorkais.
H., pas dégoûté, s'est remis à l'escalade.
TV. The Pledge (Sean Penn,
USA, 2000 avec Jack Nicholson, Robin Wright Penn, Sam Shepard, Aaron Eckhart;
diffusé sur Canal + en avril 2003).
Nevada. Malgré son désir de profiter d'une calme retraite,
l'inspecteur de police Jerry Black ne peut oublier la promesse qu'il a
faite à une femme de retrouver l'assassin de sa fille.
La précédente collaboration de Sean Penn et Jack Nicholson
sur Crossing Guard (1994) était déjà intéressante.
Principalement dans le refus de conclure une histoire convenue (la vengeance
d'un père contre l'assassin de son fils) de manière attendue.
The Pledge, dans son final inabouti, révèle le même
souci de s'écarter des canons d'un genre. Ici aussi, c'est la mort
d'un enfant qui sert de déclencheur, qui va modifier l'orientation
d'une vie. Si le talent de Nicholson n'est plus à souligner, celui
de Sean Penn réside dans sa façon de tenir à distance
le côté obsessionnel du personnage principal. La moitié
du film montre Jerry Black dans des activités paisibles de retraité,
en train de pêcher, de chiner, de boire des coups. Le souvenir de
la promesse qu'il a faite est cependant toujours en lui et le conduit
à passer le reste de son temps à essayer d'attirer l'assassin
sur une autre proie. En utilisant, pour cela, la fille de sa compagne,
il ajoute un autre dilemme à sa vie.
Des personnages comme celui de Jerry Black, on n'en trouve pas souvent.
Des acteurs qui maîtrisent la mise en scène de cette façon
non plus. Une référence s'impose, et de taille : Eastwood.
MARDI.
Courriel. J.-M. P. donne des précisions
sur la toponymie viennoise et les figures de rhétorique (celle
utilisée par Céline dont je parlais récemment est
tout simplement le rejet, mâtiné toutefois d'un soupçon
d'hyperbate).
Lecture. Vie et mort de Bobby Z
(The Death and Life of Bobby Z, Don Winslow, 1997, traduit de l'américain
par Oristelle Bonis, Belfond, coll. Nuits Noires, 1998).
Tim Kearney, taulard sans envergure, a un atout : sa ressemblance presque
parfaite avec le caïd Bobby Z. Le chef de la brigade des stups lui
demande d'interpréter le rôle du caïd pour attirer de
plus gros poissons dans son filet.
C'est un polar honnête, du genre trépidant, souvent assez
drôle, dont l'intérêt majeur est historique : les premiers
Série Noire, à la fin des années 40, mettaient souvent
en scène des personnages, policiers, détectives, qui avaient
participé à la Guerre de 14. Vinrent ensuite les vétérans
de la Deuxième Guerre Mondiale, de Corée et bien sûr
du Vietnam. Ici, c'est la première fois que je rencontre un ancien
de la Guerre du Golfe, première du nom désormais. Tim Kearney
est un ancien marine, qui a obtenu la Navy Cross avant de se faire jeter
de l'armée. Ce qui explique que ceux qui le prennent pour un minable
sont un peu surpris : il se révèle particulièrement
coriace quand une multitude de durs (des Mexicains du commerce de la drogue,
des Hell's Angels, la brigade des stups) décident de l'éliminer.
Kearney, à la manière du premier Rambo, réutilise
alors toutes les ficelles apprises à l'armée et cause pas
mal de dégâts.
Extrait. "Cruz a été la star de l'école de tir
de Pendleton. L'instructeur qui l'a eu dans son groupe chez les marines
prétendait qu'il aurait pu tirer dans les couilles d'une puce.
Quand il était dans le Golfe avec son unité, Cruz s'entraînait
à dégommer des officiers irakiens du plus loin possible.
Par exemple à l'instant T tu as un Irakien qui est tranquillement
en train de faire Allah Akbar, à l'instant T + 1 ton Irakien se
retrouve chez Allah. Avec les compliments de R. Cruz, Tireur d'Élite."
TV. Lire et relire : Georges Perec
(Magazine de Pierre Dumayet, réalisation : Robert Bober; diffusé
sur ARTE le 2 février 1994).
L'émission est contemporaine de la sortie du Cahier des charges
de La Vie mode d'emploi et s'intéresse donc aux contraintes
qui régissent le livre. Jacques Neefs montre les brouillons, le
travail préparatoire de Perec, Bernard Magné livre quelques
pistes. Dumayet, on le devine, a peur de faire apparaître le livre
comme un monstre combinatoire réservé à une élite
et rappelle à plusieurs reprises qu'il est avant tout un plaisir
de lecture bourré d'histoires. Il force ses interlocuteurs à
la simplicité. Quand Magné évoque la diagonale cachée
dans les vers du Compendium, il a envie d'ajouter "sénestro-descendante"
mais il se retient, quand il parle des traces autobiographiques, le mot
"autobiographème" lui brûle les lèvres mais
pas question d'effrayer le téléspectateur. Comme récemment
dans leur émission sur la correspondance de Kafka, Dumayet et Bober
se révèlent indépassables quand il s'agit de dévoiler
avec simplicité et pédagogie les arcanes d'une œuvre.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète des poèmes
de Henry J.-M. Levet et le dernier Pouy, récupère des photos
qui me permettent de mettre à jour mon Itinéraire et mes
Bars clos.
Jardin. Je sème de l'alysse
odorant, plus par intérêt homophonique que par véritable
goût floral.
Cinéma. The Hours (Stephen
Daldry, USA, 2002 avec Meryl Streep, Nicole Kidman, Julianne Moore, Ed
Harris, Toni Colette, Claire Danes, Jeff Daniels, Miranda Richardson).
Après le carton réalisé avec Billy Elliot, Stephen
Daldry a été autorisé à jouer dans la cour
des grands, à Hollywood. Son film, comme je suppose le livre de
Michael Cunningham dont il est issu, repose sur un artifice : la mise
en parallèle d'une période de la vie de Virginia Woolf (1923,
elle écrit Mrs. Dalloway à Richmond où elle
a établi la Hogarth Press avec son mari), et des épisodes
fictifs concernant une lectrice de Mrs. Dalloway dans le Los Angeles de
1951 et une autre femme qui semble incarner le personnage titre du roman
dans le New York d'aujourd'hui. D'où un montage parallèle
assez scolaire (les trois réveils qui sonnent l'un après
l'autre en ouverture, les trois femmes qui se lèvent et ainsi de
suite) et des correspondances un peu téléphonées.
Je partais dans cette histoire avec un handicap, celui de ne pas avoir
lu Mrs. Dalloway, et mon intérêt a décliné
peu à peu, au fil des interminables scènes de dialogue et
de la musique lancinante de Philip Glass dont la conjugaison a fini par
m'assommer pour le compte. C'est dommage parce qu'il n'est pas fréquent
de voir des écrivains mis en scène (je ne sais ce que Soderbergh
a fait de Kafka, je n'ai pas vu Shakespeare in Love mais je ne
sais pas si je dois le regretter, mais récemment l'écrivain
central d'A la rencontre de Forrester de Gus Van Sant ressemblait
beaucoup à Salinger). Ici, la transformation de Nicole Kidman en
Virginia Woolf est vraiment saisissante, elle semble sortie d'un cliché
de Gisèle Freund. A la fin, on se dit que chacune des vies présentées
aurait pu avantageusement faire l'objet d'un film autonome. L'histoire
de la femme interprétée par Julianne Moore (celle des années
50), ici pleine de trous, de non-dit, de surprises (elle tente de se suicider
en découvrant Mrs. Dalloway, elle abandonne sa famille à
la naissance de son deuxième enfant) possède un potentiel
certain. Au lieu de ça, la construction pâtissière
de Stephen Daldry apparaît un rien indigeste.
JEUDI.
Courrier. Les C. écrivent de
Pompéi (la carte a mis 8 jours de plus à nous atteindre
que celle qui nous est arrivée de New York la semaine dernière).
J'envoie des coupures à Y. et une photo de Bar Clos à J.S.
Lecture. Viridis Candela n°
9 (15 septembre 2002)
Carnets trimestriels du Collège de 'Pataphysique.
2002 oblige, le dossier central du numéro est consacré au
palindrome. Celui-ci a droit à une présentation historique
suivie de nombreuses illustrations dues à des virtuoses parmi lesquels
on trouve des habitués de la [listeoulipo]. Alain Zalmanski propose
un voyage à travers des contrées palindromiques comme Laval,
Noyon et bien sûr Senones. On retrouve les oulipiens dans la présentation
du volume Je suis le ténébreux, 101 avatars de Nerval
où sont regroupées autant de variations sur le poème
"El Desdichado" suivant des contraintes plus ou moins dures.
Les Carnets publient ensuite l'acte II de Vive la France ! de Franc-Nohain,
d'où j'extrais cet échange :
"MADAME : Et maintenant, avec cela, vous aimez la musique, monsieur
? Vous devez aimer la musique.
L'ANGE : Je joue de la harpe quelquefois. Obligation professionnelle."
Philippe Cathé raconte la première de la pièce, qui
date de 1898, et rapporte l'anecdote suivante sur le Théâtre
des Pantins où elle eut lieu : "Un soir, un honnête
spectateur demeurait silencieux à sa place, le spectacle dès
longtemps achevé, et alors que s'éteignaient les dernières
chandelles vertes; on dut s'approcher, le prévenir qu'on allait
clore les portes; alors il s'éloigna en donnant de grands coups
de canne dans les tentures, et en prononçant des paroles inintelligibles.
On n'a jamais su s'il était fou avant, ou simplement s'il l'était
devenu..."
Enfin Senninger livre la dernière partie de son "Dictionnaire
exemplaire" dans lequel il utilise les mots polysémiques de
façon plutôt farce. Exemples :
TORCHER v.t. Bâcler, faire vite et mal.
Ex. Torcher un enfant.
TRANCHER v.t. Diviser en tranches.
Ex. Trancher la tête d'un homme.
VERGE n.f. Organe de la copulation.
Ex. On voyait passer le père Fouettard, avec son paquet de verges
sous le bras.
T.V. Rush Hour 2 (Brett Ratner,
USA, 2000 avec Jackie Chan, Chris Tucker, John Lone; diffusé sur
Canal + en mai 2003).
Je n'ai pas beaucoup de goût pour les films d'action pure mais j'avoue
un faible pour Jackie Chan, que j'ai découvert avec Jackie Chan
dans le Bronx. Il retourne ici aux États-Unis avec un collègue
noir devenu son ami. J'atteins là malheureusement la limite de
mon indulgence : la faconde de Chris Tucker, censée être
un ressort comique, n'est que source d'agacement, et les scènes
d'action manquent de l'inventivité qui est souvent la marque de
Jackie Chan. Même les chutes traditionnellement mêlées
au générique final dans une sorte de bêtisier sont
mauvaises.
VENDREDI.
Ubiquité. Les trois cénacles
littéraires auxquels je participe se sont donné le mot pour
occuper ma fin de semaine : j'ai le choix entre le vote du Prix René-Fallet
à Jaligny, la Journée des aubépines à Illiers-Combray
et un séminaire Perec à Paris. Je choisis Paris, attrait
de la grande ville. Le trafic SNCF est perturbé au départ,
non pas à cause des grèves, mais d'un suicide (ça
manquait à mon palmarès) sur la voie entre Remiremont et
Epinal mais je parviens à attraper ma correspondance à Nancy.
SAMEDI.
Vie parisienne. Je commence à
Jussieu par le séminaire Perec. Je remercie David Bellos pour le
petit mot qu'il m'a écrit sur la carte de son amie qui fut un temps
mon ennemie et échange avec lui quelques mots sur la difficulté
d'exprimer une opinion personnelle en public. Le thème du jour
est "Cartographie et totalité dans l'œuvre de Georges Perec",
traité par Jean-Luc Joly, professeur dans une université
marocaine et récent organisateur du colloque de Rabat. La partie
cartographie donne lieu à un relevé des cartes, plans, atlas
et portulans présents dans les textes perecquiens et à un
parallèle entre les chapitres 2 et 99 de La Vie mode d'emploi.
Sans grande surprise mais intéressant pour qui aime le mélange
littérature - géographie. Concernant le désir de
totalité présent chez Perec comme chez tout collectionneur
et chez tout rédacteur de liste, d'inventaire, d'épuisement,
de saturation, de combinaison, il souligne que ce désir peut devenir
totalitaire puisqu'il signifie un désir de possession du monde,
tout ou partie. Travers que Perec évite par sa pratique du clinamen,
du manque, de l'oubli volontaire (les 100 chapitres de La Vie mode
d'emploi qui ne sont que 99) mais dans lequel je m'aperçois
que je tombe volontiers quand je pratique ce genre d'exercices. Où
il appert que ma totalisation à moi est une totalisation totalisante
totalitaire totalement névrotique. Ce qui ne me surprend qu'à
moitié.
J'achète deux Série Noire à L'Amour du Noir, déjeune
de viande crue au Petit Cardinal et vais travailler et siester à
la Bibliothèque des Littératures Policières. J'en
suis chassé à 16 heures, la salle de travail devenant salle
de conférence pour une intervention d'un auteur belge sur le thème
"Maigret et Paris". Fin de la partie travail, début de
la partie loisirs. C'est à ce moment charnière que je m'aperçois
que je me suis fait subtiliser mon portefeuille. Je retourne à
la Bilipo à la fin de la conférence, interroge le personnel.
Nib. Je vais signaler la chose (qui ne manque pas de saveur, un vol dans
le temple du polar, sous le haut patronage de Simenon) au commissariat
du 5° arrondissement, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève,
bien plus calme que la ruche de P.J. Je me retrouve sans papiers, avec
2,80 € en poche, plutôt loin de mon hôtel qu'il
me reste à payer. Je marche jusqu'à la Gare de l'Est où
je vois que je peux anticiper mon départ avec le train de 19 heures
45 qui peut me conduire jusqu'à Nancy mais que je n'ai pas le droit
de prendre (le tarif préférentiel dont je bénéficie
m'oblige à repartir le dimanche). Je retourne chercher mes affaires
à l'hôtel, le tenancier, compréhensif, s'offre même
à me prêter de l'argent pour me dépanner. J'écorne
mon pécule pour acheter Le Monde et monte dans le train dont j'attends
le départ avant d'expliquer ma situation au contrôleur, procès-verbal
de dépôt de plainte en main. Je suis redevable d'un supplément
et, comme je n'ai pas les moyens de le régler, auteur d'un délit.
Ceci dans la théorie car là aussi je tombe sur quelqu'un
d'indulgent qui écrit sur mon billet, à l'intention de ses
collègues : "Ne pas inquiéter". Je me ferais bien
tatouer ça sur le front. J'arrive à Nancy à 22 heures
35 où mon père m'attend pour me convoyer à Épinal
(la même mésaventure lui était arrivée il y
a quelque temps à Lille, avec un petit supplément : le voleur
lui avait ensuite téléphoné à son hôtel,
en se faisant passer pour un policier, pour essayer de lui soutirer le
code de sa carte bancaire; c'était une vraie mise en scène,
on entendait en arrière-plan un homme supplier "Ne me frappez
pas, je vais tout vous dire !") et je rentre au foyer la queue basse.
L'attrait de la grande ville. Finalement, j'aurais peut-être dû
aller à Jaligny ou à Combray.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°110 - 25 mai 2003
DIMANCHE.
Sueurs froides. Je me réveille
en eau à cinq heures du matin, imaginant ce qu'un individu sans
scrupules peut faire avec une carte bancaire, un ordinateur et une connexion
Internet dans les quelques heures comprises entre le vol et le blocage
de la carte en question. Un autre aspect taraudant de la chose est le
fait de ne pas savoir si les tickets de PMU contenus dans mon portefeuille
étaient gagnants ou non. Je veux bien contribuer dans la limite
de mes moyens à la chute de Sarkozy, voire du gouvernement tout
entier, en faisant grimper les chiffres de la petite délinquance
mais je serais froissé qu'un indélicat étoffe son
patrimoine en profitant de ma perspicacité de turfiste.
Farniente. Nous partons nous remettre
de mes émotions à Saint-Jean-du-Marché, en écoutant
en chemin Thomas Fersen dont les "cheveux mayonnaise" et le
"pull caca d'oie" mettent Lucie en joie.
Courrier. J'envoie un chèque
à l'hôtel où j'aurais dû me réveiller
ce matin.
Courriel. Parmi les messages indésirables
qui polluent de temps à autre ma boîte à lettres,
il en est un aujourd'hui qui répond on ne peut mieux aux circonstances
:
SPECTACLES
- ANIMATIONS
ÉVÉNEMENTS
TOUT PUBLICS
SPECTACLES
DE MAGIE DE SCENE & DE SALON
SPECTACLES
DE VENTRILOQUIE
SPECTACLE
DE PICKPOCKET
ANIMATIONS
- HYPNOSE
MAGIE
BURLESQUE
LATINO
DANCE
TV. P.J. (saison 10, épisode
5; diffusé sur France 2 le 16 mai 2003).
Dernier épisode d'une bien courte saison, qui met en scène
une enfant précoce (interprétée par Hanna Berthaut,
la fille de l'ogre dans Le Petit Poucet d'Olivier Dahan) et à l'issue
duquel Fournier prend deux pruneaux dans le buffet. Ce qui permet le rassemblement
de l'équipe à l'hôpital dans l'attente d'une opération
chirurgicale incertaine, final calqué sur celui de la deuxième
saison de Six Feet Under. Mais là n'est pas l'essentiel
: apparemment, personne n'a rapporté mon portefeuille au commissariat.
LUNDI.
Courrier. Une carte anniversaire en
provenance de N.H.
Courriel. A.-M.B. me conseille la
lecture de Perversions à La Havane, roman du Cubain Miguel
Mejides dont la construction serait proche de celle de La Vie mode
d'emploi.
Deux demandes d'abonnement aux notules.
Lecture. Le dictateur et le hamac
(Daniel Pennac, Gallimard, coll. nrf, 2003).
Ce roman apporte la confirmation du fait plutôt triste que, sorti
des aventures de la tribu Malaussène, Daniel Pennac peine à
trouver sa voie. Il a ici recours au vieux truc qui consiste à
se mettre soi-même en scène en train d'écrire son
roman. Les passages purement fictifs - une histoire de dictateur brésilien
qui met en place un sosie pour le remplacer - et les séquences
autobiographiques alternent, se mélangent parfois, mais là
où un Vassilis Alexakis par exemple sait se dépeindre avec
distance et ironie, Pennac s'enferre dans un autoportrait d'auteur en
quête de personnages lourd et pénible.
Un des thèmes de l'intrigue imaginée touche à l'histoire
du cinéma au temps du muet (Chaplin et Valentino apparaissent).
On pense alors au dernier roman de Paul Auster, Le livre des illusions,
et la comparaison n'est pas à l'avantage de Pennac. Auster se lit
d'une traite sans ennui (comme le Pennac des Malaussène d'ailleurs)
alors qu'ici on est ravi d'atteindre enfin le terme de ces 400 pages (plus
deux de remerciements "à l'américaine").
TV. Satin rouge (Raja Amari, France-Tunisie,
2000 avec Hiam Abbass, Hend El Fahem, Maher Kamoun; diffusé sur
Canal + en mai 2003).
Tunisie. Depuis la mort de son mari, Lilia vit recluse. Les travaux de
couture qu'elle effectue la conduisent un jour dans un cabaret où
elle va devenir danseuse.
Au début, on a une opposition entre la mère, cloîtrée,
et sa fille qui s'émancipe. Peu à peu les trajectoires vont
s'inverser et c'est la mère qui va sortir en cachette de sa fille.
C'est ce cheminement insolite qui constitue le principal atout du film.
C'est un portrait de femme appliqué et sincère, un peu languide
mais heureusement pimenté par un imbroglio sentimental sur la fin.
Les amateurs de danse apprécieront les séquences de cabaret.
MARDI.
Lecture. Cahiers Georges Perec n°7
(Le Castor astral, 2003).
Antibiotiques. Travaux réunis et présentés
par Éric Beaumatin.
Le titre, franchement maladroit, annonce clairement la couleur. Il s'agit
de régler son compte à la biographie de David Bellos parue
en 1994 sous le titre Georges Perec, une vie dans les mots et dont
Bernard Magné put dire un jour que son principal mérite
résidait dans le fait qu'elle était la seule existante.
Magné, on le retrouve ici bien sûr, comme dans tout travail
perecquien, domaine qu'il maîtrise et domine si bien qu'il pourrait
avantageusement mettre de côté l'ironie méchante avec
laquelle il remballe ceux qui se permettent un autre avis que le sien.
On sait que Bellos n'est pas son partenaire de belote préféré
(quoique j'aie vu un jour les deux hommes copains comme cochons dans un
café de la rue Linné, ce qui semble indiquer qu'il y a une
part de jeu dans leurs joutes). Il reprend des points du livre de Bellos,
citations à l'appui, pour en arriver à conclure que celui-ci
n'a rien compris au système de contraintes de La Vie mode d'emploi.
Le procédé est repris par d'autres contributeurs, ce qui
fait que le volume ressemble à un catalogue d'errata plutôt
lassant. Si on suit et comprend les cousines de Perec, Bianca Lamblin
et Ela Bienenfeld, qui ont des choses à dire à propos de
leur famille au sein de laquelle Perec fut élevé après
la mort de ses parents, des contre-vérités à dénoncer,
on saisit moins l'opportunité de savoir par exemple si la bibliothèque
de leur père contenait La Montagne magique de Thomas Mann
en allemand ou en traduction (à ce sujet, je tiens à signaler
à mes futurs biographes que je possède les deux versions).
Si on veut aller par là, toute biographie peut être soumise
à ce genre d'exercice et on peut très bien imaginer un monde
éditorial partagé en deux champs d'activité, les
biographies et les corrections à apporter aux biographies. L'exercice
est sans fin car les corrections peuvent également être corrigées
(ce que Willy Wauquaire ne se prive pas de faire depuis la publication
de ces Cahiers sur la [listeperec]) ou complétées
(personne ne signale l'erreur de la page 208 du Bellos où celui-ci
prend le sigle F.O. pour l'abréviation de Force Ouvrière
alors qu'il s'agit du raccourci de France Observateur).
Il n'est pas question de dire ici que Bellos est exempt de tout reproche.
Trop souvent, il pense à la place de Perec, il bâtit des
raisonnements sur des suppositions et des spéculations hasardeuses.
Il porte des jugements hâtifs sur la famille Bienenfeld, sur le
quartier de Belleville qu'il transforme abusivement en ghetto. Il se plaît
à décrire un Perec non pas truqueur et rusé, mais
franchement menteur et dissimulateur. Et surtout, il commet l'erreur de
ne pas citer nommément ses sources mais de rassembler celles-ci
dans une liste qui clôt chacun de ses chapitres et qui ne permet
pas de savoir qui a dit quoi.
Intermède biographique, puisque c'est le sujet. J'ai découvert
Perec en trois étapes. D'abord en mars 1992, date à laquelle
France Culture a diffusé une batterie d'émissions pour célébrer
le dixième anniversaire de la mort de l'écrivain. C'est
là que je me suis rendu compte qu'un auteur avait déjà
écrit tout ce que je voulais écrire, l'avait nommé
(inventaires, épuisements, saturations), théorisé
(l'infra-ordinaire) et ne s'était pas arrêté là.
Ce fut ensuite la lecture de La Vie mode d'emploi dont je ne connaissais
aucun secret de fabrication (et encore aujourd'hui je ne souhaite à
personne d'aborder le livre autrement) puis celle de Bellos, en mai 1994,
au cours d'un voyage scolaire en Grande-Bretagne avec des élèves
qui n'auront gardé de moi pendant cette semaine que l'image d'une
nuque penchée sur un lourd volume. Bellos fut pour moi un passeur
essentiel, un précieux défricheur de territoire et ça
m'étonnerait qu'il n'ait joué ce rôle que pour moi.
Et pourtant, jamais dans ces Cahiers (ou alors vraiment du bout
des lèvres) on ne le remercie pour le travail qu'il a fait. Bellos
ne mérite peut-être pas d'éloges ou d'hommages démesurés
mais j'estime qu'on aurait pu au moins saluer son travail, fût-il
imparfait. Les Cahiers Georges Perec transformés en entreprise
de dénigrement systématique, voilà qui me semble
sortir de leur véritable vocation.
Vocabulaire. Dans son introduction, Daniel Mandelénat parle d'un
travail de correction et d' "émendation", un mot
que je ne connaissais pas et que je n'ai retrouvé que dans le Dictionnaire
français-français des mots rares et précieux paru
chez Seghers en 1965 ("Action de corriger un texte") et dans
le Larousse universel en deux volumes de 1923 ("Correction d'un texte
défectueux").
TV. Un siècle d'écrivains
: Georges Perec (collection de Bernard Rapp, documentaire de Pierre-Oscar
Lévy, 2000; diffusé sur France 3 en novembre 2000).
Réalisation très sophistiquée pour une présentation
des œuvres de Perec dans l'ordre chronologique par l'auteur en personne
grâce à une utilisation intelligente des archives télé
et radio. L'effet est un peu hiératique et émollient.
MERCREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et à l'AGP.
Cinéma. Swimming Pool
(François Ozon, France, 2002 avec Charlotte Rampling, Ludivine
Sagnier, Charles Dance, Marc Fayolle, Jean-Marie Lamour, Mireille Mossi,
Michel Faux, Jean-Claude Lassas).
Sarah Morton, auteur de romans policiers, quitte Londres pour la maison
de son éditeur dans le Luberon. Elle espère y écrire
au calme mais Julie, la fille de l'éditeur, débarque et
c'en est fini de la quiétude de l'endroit.
Premier clapotis en provenance de Cannes, Swimming Pool renoue
le couple Ozon - Rampling inauguré dans Sous le sable après
la parenthèse plutôt mièvre de 8 femmes. On
peut parler de couple tant Ozon semble fasciné par son actrice.
Ici encore, il la suit, s'attache à chacun de ses pas, l'encadre
dans des fenêtres et des miroirs, emplit l'écran de son visage
au bout de longs zooms marquant une mise en scène très fluide.
La vague intrigue policière qui se greffe sur son opposition avec
Ludivine Sagnier n'est qu'un prétexte et n'est pas claire du tout.
Ce qui n'a aucune importance. Dans sa dimension entomologique, le film
bâti sur le trio réalisateur-objectif-actrice est une réussite
et se suffit à lui-même.
JEUDI.
Cinéma 1. Zéro de
conduite (Jean Vigo, France 2003 avec Jean Dasté, Louis Lefebvre,
Gilbert Pruchon, Gérard de Bédarieux, Constantin Kelber,
Robert le Flon, Blanchar; présenté dans le cadre de l'opération
Collège au cinéma).
La vie d'un pensionnat où quatre garçons prennent la tête
d'un mouvement de rébellion contre l'autorité.
Quand le film fut interdit par la censure (il ne sera "libéré"
qu'en 1946) on imagine mal que Jean Vigo ait pu en être surpris.
Son film est un véritable brûlot contre l'autorité,
et il n'agit pas de façon allusive. C'est une guerre à visage
découvert contre la bêtise institutionnelle. On y dit franchement
"merde" au professeur et au principal (un nain !), on y piétine
le drapeau tricolore pour le remplacer par un symbole anarchiste, on y
dévoile des parties génitales, on y évoque une amitié
homosexuelle, on y montre un professeur pédophile, on y canarde
le curé et le Préfet, on y parodie une procession religieuse.
Jean Vigo a alors 28 ans, il mourra un an plus tard et il se montre si
ouvertement iconoclaste qu'on pourrait croire qu'il savait que le temps
lui était compté. Son film est un appel à la rébellion
mais aussi un hommage à la poésie avec la figure lunaire
du surveillant Huguet (Dasté) et la célèbre bataille
de polochons filmée au ralenti.
A noter que le cinéma, en 1933, se nourrit déjà de
citations : Dasté imite Chaplin et la scène d'ouverture,
où deux enfants dans un train se montrent des tours et des farces,
est reprise d'un film de Laurel et Hardy.
Courrier. C.D., pourvoyeuse officielle
en chocolat au marzipan et en suppléments de La Libre Belgique
consacrés à Simenon, raconte son voyage en Allemagne sur
une carte postale envoyée d'Épinal.
Cinéma 2. Blue Velvet (David
Lynch, USA, 1986 avec Kyle MacLachlan, Isabella Rossellini, Dennis Hopper,
Laura Dern; présenté dans le cadre du cycle "Reflets
sur le cinéma noir" et non comme on pourrait le croire après
Satin rouge dans celui d'une rétrospective "Etoffes
et couleurs au cinéma").
Jeffrey découvre une oreille coupée dans un terrain vague.
Il mène l'enquête avec sa voisine Sandy, fille d'un policier,
et s'intéresse aux activités de la chanteuse Dorothy Vallens.
Si j'avais vu les films de David Lynch dans l'ordre de leur sortie, j'aurais
certainement été moins sidéré par Mulholland
Drive (promis à une prochaine re-vision scientifique car constituant
actuellement l'unique DVD de notre collection). Blue Velvet contient
déjà tout ce qui fait la valeur du dernier film de Lynch
avec cette plongée d'un jeune homme dans un véritable cauchemar,
cette dernière expression étant peut-être à
prendre au sens propre. Même illustration musicale (Badalamenti
déjà), même transformation d'un monde ordinaire en
univers déstabilisant, mêmes créatures monstrueuses
(Hopper), même femme victime de forces inconnues (Rossellini), même
enquête menée par un amateur (MacLachlan), même sophistication
dans la mise en scène, avec ici un jeu subtil sur les couleurs
fondamentales présentes en ouverture et en conclusion du film et,
par moments, un enchaînement rapide des péripéties
qui évoque le Hitchcock des Trente-neuf marches. On reconnaît
les grands auteurs au cinéma en ce qu'ils présentent un
univers qui leur est propre, inimitable et immédiatement repérable.
Takeshi Kitano et David Lynch me semblent être les deux réalisateurs
en activité qui correspondent le mieux à cette définition.
VENDREDI.
TV. 15 minutes (John Herzfeld,
USA, 2001 avec Robert De Niro, Edward Burns, Kelsey Grammer; diffusé
sur Canal + en mai 2003).
Deux individus arrivent à New York en provenance de l'Europe de
l'Est (l'un est tchèque et s'appelle Slovak). Ils accumulent les
meurtres sadiques qu'ils prennent la précaution de filmer afin
de les vendre à un producteur télé sans scrupules.
Face à eux, un flic et un pompier (promu au statut de héros
alors que les Twin Towers sont encore debout). Il faut passer rapidement
sur le procédé malsain qui consiste à montrer avec
complaisance ce qu'on veut dénoncer (ici la violence des images
télévisées, la course à la notoriété
qui conduit à faire n'importe quoi) qui fait de ce film un objet
plutôt détestable et retenir, à la rigueur, une traque
policière classique et un De Niro qui porte le film sans conviction
avant de s'éclipser au milieu. La conclusion, vociférante
et pétaradante, est cauchemardesque.
SAMEDI.
Jardin. Je plante des haricots, opération
qui ne peut être productive que si elle est effectuée, comme
le veut l'adage que me rappelait G.N. récemment, "tous les
samedis de mai".
TV. Comme un cheveu sur la soupe
(Maurice Régamey, France, 1957 avec Louis de Funès, Noëlle
Adam, Jacques Jouanneau, Nadine Tallier; diffusé sur RTL en ?).
A la suite d'un dépit amoureux, l'obscur compositeur Pierre Cousin
cherche à se supprimer. Il engage un tueur pour faire le boulot.
Suite à une heureuse rencontre avec une chanteuse elle aussi en
devenir, il atteint la célébrité et ne tient plus
du tout à perdre la vie.
Comment empêcher un contrat lancé contre soi-même,
thème utilisé à plusieurs reprises dans le polar
écrit ou filmé (encore récemment dans Bulworth
de Warren Beatty, 1997) et traité ici de façon très
amusante et dynamique avec un final destructeur dans un cabaret qui est
presque le brouillon de la fin du Playtime de Tati. Louis de Funès
apparaît ici pour la première fois en vedette (alors qu'on
croit souvent que c'est Yves Robert qui lui offrit son premier rôle
principal avec Ni vu ni connu mais Comme un cheveu... fut
tourné juste avant) et on le voit avec plaisir jouer du piano pour
accompagner deux belles romances de Georges Van Parys interprétées
par Noëlle Adam.
Bon dimanche et, comme on dit à la télévision, bonne
fête à toutes les mamans.
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