Notules dominicales 2003
 
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Notules dominicales de culture domestique n°107 - 5 mai 2003

DIMANCHE 1.
Courriel. J.S. pense que les lecteurs québécois des dernières notules ont dû bien s'amuser en découvrant la traduction française du titre Honey I Shrunk the Kids (Chérie, j'ai rétréci les gosses !).

TV. L'Aventurier du Rio Grande (The Wonderful Country, Robert Parrish, USA, 1959 avec Robert Mitchum, Julie London, Gary Merrill, Pedro Armendariz, Jack Oakie; diffusé sur France 2 en septembre 1992).
Martin Brady est un gringo qui vit au Mexique comme homme de main des frères Castro. Au cours d'une mission, il est immobilisé au Texas à cause d'une jambe cassée et fait la connaissance de Mme Colton, la femme d'un officier de la garnison locale.
A partir de cette rencontre, Brady va essayer de changer de vie, d'abandonner son statut d'aventurier pour conquérir cette femme, sorte de Bovary texane. Pas facile, tant le fatum pèse sur lui depuis qu'il a tué, dans sa jeunesse, l'assassin de son père. Recherché par les autorités américaines, poursuivi par ses employeurs mexicains après qu'il leur eut annoncé son intention de les quitter, Brady incarne le héros de western prisonnier de son destin. La classe de Mitchum sert parfaitement ce rôle dans un film très sombre.

Lecture. Souvenirs d'outre-monde, Histoire d'une naissance (Georges Belmont, Calmann-Lévy, 2001).
Autobiographie.
Avant cette lecture, Georges Belmont était pour moi un parfait inconnu. Cependant, je reconnais que la vie d'un inconnu m'intéresse à partir du moment où elle dépasse les 400 pages et les 500 grammes, ce qui est le cas ici.
Pour être inconnu, Georges Belmont n'en est pas pour autant n'importe qui : traducteur d'Henry James, d'Henry Miller, de Burgess, lui-même auteur de quelques livres, homme de presse (fondateur de Jours de France), c'est un parfait témoin du siècle dernier puisqu'il est né en 1909. Ce premier tome de ses souvenirs s'arrête en 1939. Les premières pages, sur les racines familiales et géographiques (enfance rurale dans le Jura, puis à Beauvais), sorte de point de passage obligé du genre, ne sont pas bouleversantes d'intérêt. Ce n'est que lorsque ses études le conduisent à Paris que la vie de Belmont devient franchement intéressante. A Louis-le-Grand, il rencontre Roger Vailland et entre rue d'Ulm où il se lie d'amitié avec Samuel Beckett. Comme Maurice Nadeau, il raconte que l'amitié avec Beckett se nourrissait essentiellement de silences. Il part deux ans à Dublin, s'y marie et rentre à Paris en 1931. Il rencontre Desnos mais le milieu surréaliste le déçoit, puis Jean Paulhan qui lui fait rédiger des "notules" pour la Nrf. Il fréquente aussi Joyce, qui est en plein Finnegans Wake. Pourtant, je n'ai trouvé le nom de Belmont sans aucun des volumes de ma joyceothèque. Il n'apparaît pas dans le Joyce de Richard Ellmann, pas plus que dans Sur Joyce d'Eugène Jolas, directeur de la revue transition (qu'il écrit Transition comme Tiphaine Samoyault) à qui il dit avoir donné des textes...
Même s'il a sur ce dernier sujet un peu embelli la réalité, le livre de Belmont est une somme captivante. Dans une langue plus que riche ('l' "outre-monde" doit beaucoup à l' "outre-tombe" de l'autre), l'auteur s'y montre sans complaisance avec les autres ni avec lui-même. Voir son portrait de Paul Claudel qui possédait une demeure près de chez les Belmont : "C'est qu'ils étaient odieux, "les Claudel", ceux du nom comme les latéraux et collatéraux. Le Paul, tout poète qu'il fût, un jour qu'il débarquait du train de Paris de six heures du matin sur le quai de la petite gare de Virieu-le-Grand (...) je l'entendis apostropher un paysan qui se trouvait là comme moi par flânerie et curiosité, mains dans les poches, pour lui enjoindre de porter ses valises jusqu'à la voiture à cheval du "courrier", en usant pour cela d'un tutoiement : "Hé, là, toi... !" dont le ton valait un rudoiement de poigne féodale et m'a sans doute empêché plus tard, en restant dans ma mémoire, de jamais goûter les ampoulades péguygnolesques de son théâtre et de ses prosopoésiopopées. L'écho en était encore dans mes oreilles et dans la suée de répugnance que j'eus du glorieux vieillard assis dans sa superbe, bouffi de fausse bonhomie, une fois (il n'y en eut pas de seconde) où je lui fis visite, par je ne sais quelle nécessité professionnelle, dans les années cinquante."
On imagine que son souci de la belle phrase et du mot juste a dû souffrir à la vue des quelques erreurs qui parsèment le volume : Aristide Bruand pour Bruant (p. 175), Châteaubriant pour Chateaubriand - c'était bien la peine d'évoquer ses mânes dans le titre - (p. 216), une paire de richelieux là où le Robert indique un mot invariable ou doté d'un s au pluriel (p. 289). Détails qui ne m'empêcheront pas d'attendre la suite de ses souvenirs s'il a le temps de l'écrire.

LUNDI 1.
Lecture. Effroyables jardins (Michel Quint, éditions Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, 2000).
C'est à partir de ce court texte baptisé pourtant "roman" que Jean Becker a brodé pour construire son film du même nom. On voit ce qui l'y a attiré, le thème de la filiation, de l'héritage de la mémoire. La surprise vient de la révélation de l'identité du clown-soldat à qui le livre est dédié, et qui n'est autre que Bernhard Wicki - né en Autriche de parents helvético-hongrois en 1919 et mort en 2000, l'année du livre - co-réalisateur, entre autres du Jour le plus long.

Itinéraire patriotique départemental. Nous partons à la découverte du monument aux morts de Ban-de-Sapt. J'ai le sentiment que j'aurai de plus en plus de mal à obtenir un consentement familial unanime pour ce genre d'expédition. J'imagine déjà les filles dans quelques années, allongées sur le divan d'un obscur praticien d'une quelconque Berggasse en train de chercher l'origine de leurs névroses, confier en soupirant : "Jusqu'à l'âge de x ans, notre père prenait prétexte de nous faire progresser dans la pratique cycliste pour nous embarquer chaque dimanche (et elles seront crues, même si ce n'est pas vrai) dans d'interminables virées, tout ça pour photographier les monuments aux morts du département, et ce dans l'ordre alphabétique des communes" (et elles ne seront pas crues, même si c'est vrai).

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 11; diffusé sur France 2 en avril 2003).
Ce n'est que tardivement que je me suis aperçu que France 2 diffusait des épisodes des Sopranos pendant la nuit du jeudi au vendredi. Malgré un un nombre important de handicaps (prendre ainsi un épisode isolé des autres, le suivre en version française quand on est habitué aux voix originales, voir l'enregistrement s'interrompre avant la fin de l'épisode, fruit de l'incroyable impéritie du service public en matière d'horaires qui commande que l'on prévoie une cassette de 4 heures pour enregistrer un épisode de 52 minutes), c'est un vrai plaisir. La mésaventure des deux équipiers de Tony Soprano perdus dans les bois ("Je ne m'arrêterai pas avant d'avoir touché du béton") est un grand moment.

MARDI 1.
Appel du large. Je pars pour Paris par le 6 h 57. Un petit tiercé au Triomphe de l'Est, tout un programme, et bus jusqu'à Saint-Michel. Je remonte le boulevard, en prêtant une attention particulière au secteur situé entre les numéros 73 et 145. Je croûte un sandwich thon-crudités sur un banc, face à l'église du Val-de-Grâce, au milieu de jeunes échappés du lycée Lavoisier. Je descends la rue Claude-Bernard, pour voir à quoi ressemble le siège du Monde. En venant d'Épinal, je ne peux avoir autre chose que des images dans la tête : le hall envahi par les coursiers, les livreurs, les reporters à chapeau qui démarrent en trombe vers l'incendie de la Tour Eiffel, les badauds qui se pressent devant les placards de la toute fraîche édition du jour. Au lieu de ça, je ne trouve qu'une façade morte et close qui aurait eu du mal à inspirer à Joyce l'épisode d'Éole dans Ulysse. Je remonte la rue Mouffetard, sans autos et avec de vrais commerces, jusqu'à la Contrescarpe, descends la rue Cardinal-Lemoine. J'achète des Série Noire à l'Amour du Noir et vais travailler sur ceux que je n'ai pas trouvés à la Bibliothèque des Littératures Policières parmi les coups de marteau ponctuant l'installation de l'exposition Simenon. A 17 h 30, je gagne le boulevard Saint-Germain et le café El Sur où officie désormais Jean Lebrun chaque mardi soir pour son Pot-au-feu de France Culture. On est loin du beau cadre Art Nouveau du Bouillon Racine mais Lebrun retrouve un quartier qui lui va mieux que la Palais de Tokyo où il s'était un temps exilé. El Sur est un café argentin, l'émission est consacrée aux élections argentines toutes proches et je dois être le seul auditeur présent à ne pas avoir passé son enfance dans la pampa et à boire autre chose que la bière Quilmes en bouteille bleue. A 19 h 30, je métrotte jusqu'à la Porte d'Orléans. Claude Burgelin, président de l'Association Georges Perec, donne une conférence sur "Perec et la judéité" à l'Institut Mutualiste Montsouris (l'ancienne Cité Universitaire apparemment) dans le cadre du séminaire Babel (Psychanalyse, littérature et arts). Je retrouve avec un rien d'émotion ce coin du XIV° où j'ai fait, enfant, mes premiers pas à Paris, chez ma grand-mère qui habitait rue Maurice-Bouchor. C'est un peu ça qui m'a décidé à venir car la prix d'entrée est plutôt dissuasif : 12 €, rien que ça. A ce tarif-là, j'imaginais le président Burgelin entouré de femmes nues et de danseuses sans linge mais je ne trouve qu'un parterre de lacaniens austères qui sont venus en taxi. Burgelin s'écarte des textes les plus juifs de Perec (W et Récits d'Ellis Island) pour traquer la judéité là où on l'attend moins : Les choses (bof), La disparition et surtout Un homme qui dort. Il considère que deux moments de ce texte, la réclusion et le vagabondage correspondent à deux aspects de la judéité, la vie de ghetto et l'errance. Je quitte les lieux avant la discussion (j'ai faim, je ne suis pas venu en taxi et je crains les métros tardifs, en outre je ne crois plus à l'apparition des bayadères) sous le regard noir des lacaniens réprobateurs. Je finis la journée par un filet de rascasse à la Brasserie de l'Est à l'heure du réveillon.

MERCREDI 1.
Vie parisienne. Je profite du beau temps et passe la matinée à lire sur un banc au Jardin des Plantes. J'achète les Pensées de Marc-Aurèle à la librairie Dédale. M'est avis qu'un soupçon de philosophie stoïcienne ne me fera pas de mal dans la perspective de ma prochaine inspection. Une salade auvergnate au Petit Cardinal et une après-midi de travail à la Bilipo. Je prends des nouvelles de Lucie en stage "Sportifs en herbe". L'animatrice a souligné sa timidité mais tout se passe bien, mon estomac se dénoue.

Retour.
Je voyage dans un wagon de la Deutsche Bahn bien rempli. Pintades et pintadeaux caquètent dans leurs téléphones de poche et m'agacent jusqu'à ce que je m'aperçoive que j'ai la solution à mes problèmes à portée de main : je dégaine mon Marc-Aurèle. Page 115 : "Tu ne peux plus lire ! Mais tu peux repousser toute démesure; tu peux dominer les plaisirs et les peines; tu peux être au-dessus de la vaine gloire; tu peux ne point t'irriter contre les grossiers et les ingrats; tu peux, en outre, leur témoigner de la sollicitude". Merci Marcus.

Lecture. Les chiens de Riga (Hundarna i Riga, Henning Mankell, 1992, traduit du suédois par Anna Gibson, éditions du Seuil, coll. Policiers, 2003).
Deux cadavres sont retrouvés dans un canot pneumatique échoué sur une plage de Scanie. Les victimes semblent avoir des liens avec la mafia lettone, ce qui conduit l'inspecteur Wallander à mener une enquête à Riga.
Nous sommes en 1991. Wallander a 43 ans et sa santé commence à s'user. Ce roman, qui apparaît en France en cinquième position, est en fait le deuxième de la série. Y en a-t-il d'autres qui occupent les trois années qui le séparent du Guerrier solitaire, qui marqua l'entrée de Mankell en France ? Je n'en sais rien. C'est en tout cas assez frustrant de découvrir cette œuvre dans le désordre, alors que des Suédois qu'on ne connaît même pas ont pu la suivre chronologiquement. D'autant que cet épisode est important dans la construction du personnage. D'abord, Wallander rencontre Baiba, veuve d'un collègue letton dont on entendra toujours parler par la suite, mais sans la voir. Surtout, il fait la connaissance et l'apprentissage d'un monde inconnu. En 1991, la Lettonie (qui n'avait peut-être pas été à l'honneur dans le polar depuis la première aventure de Maigret, Pietr-le-Letton) est encore soviétique mais craque de toutes parts. On s'agite dans l'ombre, et notamment dans les milieux policiers, pour s'emparer des leviers d'un pouvoir bientôt vacant. Propulsé dans un monde en déliquescence auquel il ne comprend rien, Wallander, tel un Tintin en Syldavie, refuse de se laisser faire, s'agite (il n'a pas encore la lourdeur enrobée qui viendra plus tard), se bat. Et puis il apprend, il enregistre et s'inquiète de la tournure prise par les événements. On comprend mieux après cet épisode son fatalisme, sa résignation qui ne l'empêchent pas de creuser obstinément un sillon solitaire vers la vérité et la justice.
Extrait. "A sa descente d'avion à Stockholm la semaine précédente, il avait éprouvé un sentiment confus, de chagrin peut-être. En même temps, il était soulagé d'avoir quitté ce pays où on le surveillait sans cesse. Cela avait provoqué un accès de spontanéité inhabituel pour lui. "Ça fait du bien de rentrer", avait-il dit à la femme du contrôle des passeports. Elle lui avait à peine jeté un regard, comme s'il avait fait une avance déplacée, et lui avait rendu son passeport sans même l'ouvrir.
Et voilà la Suède, pensa Wallander. En surface, tout est clair et lumineux. Nos aéroports sont conçus de telle sorte qu'aucune saleté, aucune ombre n'y trouve prise. Tout est visible, tout est conforme aux apparences. Notre religion et notre pauvre espoir national, c'est la sécurité inscrite dans notre Constitution, qui fait savoir au monde entier que chez nous, personne ne meurt de faim. Mais nous n'adressons pas la parole aux inconnus; car l'inconnu peut nous faire du mal, salir notre propreté, obscurcir nos néons. Nous n'avons jamais bâti un empire, et cela nous a épargné la peine de le voir s'effondrer. Mais nous étions convaincus d'avoir créé le meilleur des mondes - quoique petit -, nous étions les gardiens officiels du paradis et maintenant que la fête est terminée, nous nous vengeons en ayant les contrôleurs de passeports les plus froids du monde."

Courrier.
Je trouve à mon arrivée une carte postale de l'Yonne contenant un amical salut de l'enseignante avec laquelle j'ai échangé quelques courriels dénués de tendresse la semaine précédente ou à peu près. Surprise et soulagement. Mais ce n' est pas tout : son texte est suivi d'un petit mot tout aussi amical d'un hôte de passage qui n'est autre que... David Bellos. Elle m'avait pourtant prévenu qu'elle connaissait du monde...

JEUDI 1.
Courrier. J'envoie des coupures à Y. et à l'AGP, ainsi qu'un brelan d'aptonymes à A.Z. (une dame Boulier comptable, un Miche boulanger et un Rossignol gardien de prison).

Courriel. Je reçois le Petit dictionnaire à l'usage des malentendus de Patrice D. Nicolas Graner, de la [listeoulipo], m'envoie ma version d'El Desdichado de Nerval pour relecture avant mise en ligne. Je vais apparaître sur la liste des auteurs à côté des grands. J'ai l'impression de recevoir mon épée d'académicien.

VENDREDI 1.
Courrier. Une carte postale de JVC en vacances à Marrakech. Souvenir d'un vieux sketch de Bedos : "Ma femme et moi on a été en vacances à Marrakech. C'est plein d'Arabes."

Vacances. Nous partons pour notre cure d'azote sur la Côte d'Azur. Départ prévu 16 heures, départ réel 16 h 07, on a rarement fait mieux. On écoute la radio de l'autoroute, afin d'être tenus au courant de l'état du trafic sur notre parcours. Les seuls accidents signalés ont lieu dans le sens opposé au nôtre, alors on s'ennuie un peu avant un arrêt-buffet dans une cafétéria fantôme de Feyzin digne d'un film de Mocky et les filles s'endorment jusqu'à notre arrivée à Mandelieu. Le parrain (ce n'est guère original d'avoir un parrain sur la Côte d'Azur) a refait l'appartement, plus clair et plus grand.

SAMEDI 1.
Lecture. La mort en gros sabots (The Deadly Percheron, John Franklin Bardin, 1946, traduit de l'américain par Jean Benoit, éditions Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, 2000).
Psychiatre à New York, le Dr Matthews est intrigué par un client, Jacob Blunt, qui prétend être au service de créatures magiques. Il décide de l'accompagner à un rendez-vous au cours duquel Jacob doit justement rencontrer un de ses employeurs.
Une bonne initiative que cette réédition d'un livre qui est une réussite majeure sur le thème couru de l'amnésique à la recherche de son passé. A l'issue du rendez-vous auquel il accompagne Blunt, Matthews va en effet être victime d'un accident (?) et se réveiller plusieurs mois plus tard avec un visage qu'il reconnaît à peine et séjourner, lui le psychiatre, dans un établissement spécialisé. La quête de la vérité va être difficile, tortueuse, confuse parfois pour le lecteur mais le rythme sur lequel elle est menée emporte tout.
Là-dessus se greffe une touche d'absurde bienvenue. On sait que les serial killers ont l'habitude de laisser sur les lieux de leurs crimes un objet, un signe (une rose, une signature...) pour authentifier ceux-ci. Le tueur qui officie dans cette histoire ne déroge pas à la règle : il abandonne un percheron attaché devant la demeure de ses victimes.
Extrait. "- On vient d'arrêter Jacob, docteur ! criait-elle au bout du fil. A cause du meurtre de France Raye ! On l'a trouvée morte dans son appartement, et il était là, au même moment, complètement ivre, sonnant à sa porte et essayant d'entrer ! Oh, docteur, ils croient que c'est lui qui l'a tuée !
- Qu'a-t-il fait du cheval ? demandai-je.
C'est tout ce que je trouvai à répondre."

Occupation. Le temps est maussade. On se promène le long des quais après la sieste. Des plaisanciers ont démonté le moteur de leur bateau. Je n'aurai jamais de bateau, j'ai déjà assez de problèmes avec ma tondeuse à gazon. Le soir venu, les filles regardent L'Ecole des fans.

DIMANCHE 2.
Lecture. La note sensible (Valentine Goby, Gallimard, coll. nrf, 2002; sélectionné pour le Prix René-Fallet 2003).
Une jeune femme emménage à Paris dans un immeuble où son voisin est un musicien dont elle tombe amoureux.
Le premier roman de Valentine Goby ressemble à une composition d'élève appliquée. Une succession de rédactions sur les sujets suivants : une soirée à l'Opéra Bastille, le retour de l'enfant prodigue dans la demeure familiale (avec confitures du terroir et sachets de lavande dans les armoires), l'enterrement de la grand-mère (avec poignée de terre sur le cercueil), racontez l'émotion ressentie à l'écoute d'un morceau de musique et ainsi de suite. Pas de quoi pour l'instant bouleverser la littérature française.
Extrait. "Plus le mois de mars avançait, plus le soleil se levait tôt. Plus il faisait nuit tard." Au moins, un sens aigu de l'observation.

Occupation. On se risque dans la piscine. Jusqu'à mi-mollet.

TV. Tenue correcte exigée (Philippe Lioret, France, 1997 avec Jacques Gamblin, Elsa Zylberstein, Zabou; diffusé le même jour sur France 2).
Richard, sans domicile fixe, tente de retrouver sa femme dans un grand hôtel parisien. Il doit lui faire signer les papiers du divorce afin d'éviter la prison.
On peut difficilement trouver mieux pour un dimanche de vacances que cette comédie réjouissante. Le casting est parfait (Gamblin, Zinédine Soualem, Jacques Boudet qui travailleront à nouveau avec Lioret sur Mademoiselle trois ans plus tard; Urbain Cancelier, Jean Yanne et Daniel Prévost dans de grands numéros), le scénario mêle habilement le vaudeville et la satire sociale sans gros sabots, les répliques font mouche. Du beau travail.

LUNDI 2.
Lecture. Métaphysique du chien (Philippe Ségur, Buchet/Chastel 2002; sélectionné pour le Prix René-Fallet 2003).
Toulouse. Paul abandonne tout pour vivre avec Knult, un chien, partager sa niche et sa pitance.
Ce point de départ, l'homme qui décide de vivre comme son chien, vient d'un conte de Restif de la Bretonne. Philippe Ségur ne s'en contente pas et fait apparaître, autour de Paul et de Knult, une série de personnages qui vont s'entrecroiser au gré de hasards et de coïncidences bienvenus : une jeune vétérinaire amoureuse de Paul, un boucher philanthrope, un beauf en survêtement, une mémère et son chienchien, un voleur de chiens justement et un policier aux trousses de ce dernier. Là non plus, on ne va pas bouleverser la littérature mais au moins on ne s'ennuie pas, Philippe Ségur a le sens du rythme et sait rendre discrètes les dimensions philosophiques qu'il souhaite donner à son roman.
Extrait. "Ce matin, j'ai mangé mon chien. Sans doute vous demandez-vous comment j'ai pu faire ? Je l'ai dépecé comme un vulgaire lapin. Il suffit d'avoir un bon couteau, un couteau qui coupe. Le mien m'avait été prêté par Luciano, le boucher d'à côté. Il nous aimait bien, mon chien et moi, depuis le temps. Avec une lame effilée, j'ai accompli ma triste besogne. J'ai taillé la peau de mon pauvre Knult."

TV. Box of Moonlight (Tom DiCillo, USA, 1996 avec John Turturro, Sam Rockwell, Catherine Keener; diffusé le même jour sur Arte).
Le chantier que dirige Al Fountain dans le Tennessee est interrompu. Al décide de ne pas rentrer tout de suite chez lui. Il loue une voiture et part sur les routes. Il rencontre le Kid, un jeune marginal déguisé en Davy Crockett.
DiCillo livre un beau portrait d'homme touché par la quarantaine. Un cheveu blanc apparaît un matin et sert de révélateur. Al Fountain prend conscience de ses difficultés à communiquer avec les ouvriers qu'il dirige, de l'automatisme de ses rapports avec sa famille qu'il appelle chaque soir à heure fixe. Dans ce rôle de coincé, Turturro est magnifique. La rencontre du Kid, les quelques jours partagés en sa compagnie, l'amitié, l'insouciance retrouvée, apparaissent comme une parenthèse enchantée dans sa vie, une découverte des plaisirs ordinaires que DiCillo filme avec beaucoup de simplicité, d'humour et de pudeur.

MARDI 2.
Vice. Je fais ma rentrée (gagnante) au PMU locale où les clients ont des têtes qui ne dépareraient pas dans un épisode des Sopranos.

Occupation. Atelier cartes postales.

TV. Questions pour un champion spécial Grandes Écoles (France 3).
A l'heure où, tout près d'ici, TF1 racole la jeunesse avec Nice People, le service public continue courageusement ses émissions pour les retraités. Je me laisse faire. J'aime les activités de retraité : j'aime me lever avant l'aube, aller à la pêche pour ne rien attraper, bêcher mon jardin, traîner en charentaises, lire Marcel Proust, aller sur la Côte d'Azur hors-saison, faire la sieste, m'asseoir dans les jardins publics et changer de banc avec le soleil. En fait, plus j'y réfléchis et plus la retraite m'apparaît non pas comme une fatalité, ni même une issue, mais comme une vocation.

MERCREDI 2.
Vices. Caroline et Lucie vont magasiner à Cannes. J'entraîne sournoisement Alice au PMU.

TV. Football : France - Égypte 5 - 0 (TF1).
Joie de voir un but de Robert Pires, que son long passage au F.C. Metz m'a rendu à jamais sympathique.

JEUDI 2.
1°-Mai. Là où, à Épinal, les vendeurs de muguet à la sauvette se marchent sur les pieds et sont plus nombreux que les clients, les trottoirs de Mandelieu sont vides de toute vente ambulante. Seuls les fleuristes proposent les brins recherchés. Toujours mon goût pour les images : j'imagine volontiers que les deux fleuristes locaux ont envoyé des nervis casser bras et jambes à leurs concurrents occasionnels les années précédentes et que ceux-ci ont retenu la leçon.

Occupation. Nous passons une petite heure sur la plage du château à La Napoule en fin de matinée. L'eau de mer fait du bien à l'eczéma de Lucie.

Plagiat. "L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. - Après-midi piscine." (Franz Kafka, Journal, I° août 1914).
"George Bush annonce la fin de la guerre en Irak. - Après-midi piscine aussi." (Ph. D., notules, 1° mai 2003).

Lecture. L'Heure de la sortie (Christophe Dufossé, Denoël 2002; sélectionné pour le Prix René-Fallet 2003).
Un professeur se suicide dans un collège d'Indre-et-Loire. Un de ses collègues est intrigué par l'état d'esprit d'une classe qu'il reprend à la suite du mort.
C'est un premier roman qui a longtemps traîné dans un tiroir ou qui a visité pas mal de maisons d'édition avant d'atterrir chez Denoël (il date apparemment de 1995). L'auteur y tombe dans le travers le plus courant : une implication autobiographique trop importante. Dufossé vit en Touraine, a le même âge que son narrateur et on peut être sûr qu'il enseigne en collège. Son soin à transposer sur papier son univers personnel l'amène à parler dans son livre de notions aussi romanesques que l'indemnité de suivi et d'orientation ou la dotation horaire globale. Nul doute que son roman aura été accueilli comme un événement dans sa salle des professeurs mais au-delà...
Il y a pourtant des promesses qui apparaissent mais qui ne sont pas tenues, comme le comportement collectif de cette classe bizarre (des élèves de 4° qui sont d'une maturité que je rencontre chez très peu d'adultes) qu'on suit malheureusement de trop loin, l'auteur étant trop occupé à développer la vie intérieure de son personnage, donc de lui-même. On peut aussi, si on est du métier, s'amuser à reconnaître certains types dans la salle des professeurs, certaines situations vécues, même si là encore une conversation comme celle-ci est plutôt rare dans le milieu : "Au fond (...) il n'y a vraiment qu'un seul grand problème dans l'existence : à partir de quand devient-on un fantôme ?
-Tu veux dire : à quel moment devient-on le fantôme de sa propre vie ?
-Tu as raison, Pierre."
Enfin, certaines remarques sur le métier, sur les relations avec les élèves, ne manquent pas de justesse : "J'aime les fiches pour cela. Leur mission principale n'est pas d'être informatives sur des détails connus à l'avance mais de me rappeler que l'univers intellectuellement cossu dans lequel j'ai toujours eu l'habitude d'évoluer me cachait en fait l'essentiel. Céline est et restera à jamais la fille du garagiste qui habite le lotissement à côté, Mahler est le nom du type qui a écrit une musique pour des pâtes au fromage et John Ford doit certainement être une marque de voiture." Le problème est que tout cela ne forme pas un roman.
Curiosité. Le professeur suicidé (bizarrement d'ailleurs, il se jette d'une fenêtre, or si le collège est neuf comme le dit l'auteur, le système d'ouverture des fenêtres est conçu de façon à éviter justement ce genre de mésaventure) s'appelle Éric Capadis. Hommage peut-être à Alain Pacadis, journaliste à Libération, symbole punk-mondain de la vie nocturne décédé lui aussi d'une mort violente en 1986.

VENDREDI 2.
Occupation. Nous excursionnons jusqu'à Vence, où, après une croûte dans une brasserie qui, ô merveille fait aussi PMU, nous nous mettons en quête de l'endroit où Chagall avait sa maison, pas très loin de la chapelle de Matisse ("On peut s'étonner de l'entrain qu'ont les vieux artistes à bâtir des chapelles, mais tous les gens âgés rachètent leurs péchés en faisant quelque chose, eux le font de façon plus voyante, voila tout." David McNeil, Quelques pas dans les pas d'un ange), quête qui sera compensée un peu plus tard dans la journée par celle d'une paire de sandales pour Alice à l'issue d'un arpentage minutieux de la rue d'Antibes à Cannes.

Lecture. Quelques pas dans les pas d'un ange (David McNeil, Gallimard, coll. nrf, 2003).
Souvenirs.
Heureuse initiative prise ici par David McNeil qui, fuyant une inspiration romanesque un peu en perte de vitesse, se tourne vers l'autobiographie. Si on ajoute son talent d'écriture, qui reste inchangé, à l'intérêt de sa vie, on obtient un petit livre tout à fait remarquable. C'est que McNeil a eu pour père un personnage peu ordinaire, Marc Chagall. Un père âgé, un peu distant (McNeil passe sa jeunesse en pension), dominé par sa dernière compagne et qui, d'un point de vue artistique faisait marcher à l'époque ce qu'Olivier Céna dans un récent article de Télérama appelait "la machine à saucisses", à savoir la répétition des mêmes thèmes picturaux rémunérateurs et peu exigeants.
David McNeil ne cherche pas à donner l'illusion d'une vie suivie ou d'une intimité réelle avec son père. Il n'a que quelques anecdotes à livrer, quelques sensations qui lui sont restées de la maison de Vence, de la rivalité entre Matisse et son père, quelques personnages aperçus par un gamin qui ne savait pas qui ils étaient (Picasso, les Maeght, Prévert, Calder, Miro, Aragon, Amado...), quelques moments complices avec son père à Paris (une visite au Louvre, un dialogue à propos du plafond de l'Opéra, passage le plus savoureux du livre malheureusement dévoilé en quatrième de couverture). Avec en toile de fond une grande tendresse pour ce père lointain et le regret n'avoir pu faire que "quelques pas" dans les siens.

SAMEDI.
Retour. C'est la journée la plus chaude, celle où la piscine est vraiment tentante. Nous passons 9 heures sur la route.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°108 - 11 mai 2003

DIMANCHE.
Procrastination. Il y en a des choses à faire quand on rentre de vacances, même d'un court séjour : faire tourner des machines à laver, lire le courrier (le directeur du cinéma local m'envoie deux places suite à mes démêlés avec sa caissière; une carte postale d'un collègue représentant le PMU de Fraize), la presse en retard, le courriel, recopier des notes littéraires et cinématographiques, rédiger un numéro double de notules, acheter des victuailles, tondre le gazon, planter les patates... Vu l'ampleur de la tâche, la meilleure solution est de la remettre à plus tard : nous partons nous mettre les doigts de pied en éventail à Saint-Jean-du-Marché.

LUNDI.
Phrase du jour. Je la trouve dans le billet quotidien d'Hervé Le Tellier : "Dans une vie, on marcherait 38 000 km derrière un caddie de grande surface (d'où, sans doute, le nom de supermarché). Ça fait du chemin dans l'autre sens si on a oublié le beurre."

Courriel. Beaucoup de réactions aux notules qui entraînent des échanges avec F.P. et B.V. sur l'art tumulo-funéraire, G.N. sur les stoïciens, F.G. sur le Boul' Mich' et A.Z. sur l'aptonymie boulangère dans le Lunévillois.

TV. P.J. (saison 10, épisode 3; diffusé sur France 2 le 25 avril 2003).
Un enfant (interprété par Damien Jouillerot, celui de Monsieur Batignole et d'Effroyables jardins) cogne sur ses parents. Le fils du lieutenant Porret est victime de racket. C'est ce que devine le téléspectateur au bout de dix minutes. Les limiers de la P.J. Saint-Martin mettent beaucoup plus de temps.

MARDI.
Vie familiale. Visite fraternelle en provenance de Lisieux.
Lucie perd sa deuxième dent de lait.

Lecture. Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline, 1932, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade).
Relecture.
Ma découverte de Céline et ma première lecture du Voyage datent de 1979. Je m'aperçois, à la remontée des souvenirs et à la consultation de mes notes de l'époque combien cette lecture était philosophico-politique. "Invoquer sa postérité, c'est faire un discours aux asticots", "Il n'y a de repos pour les petits que dans le mépris des grands qui ne peuvent penser au peuple que par intérêt ou sadisme", "Presque tous les désirs du pauvre sont punis de prison", voilà les phrases que j'avais relevées et qui m'étaient restées en mémoire.
Aujourd'hui bien sûr, c'est à une lecture plus rassise que je me suis livré, qui m'a fait voir d'autres aspects du livre. Le côté picaresque de la première partie pour commencer. Le rythme des aventures de Ferdinand, de la guerre en Afrique, de l'Afrique à New York, de New York à la banlieue est véritablement frénétique. Le Voyage n'est pas pour autant un itinéraire d'apprentissage, de formation, car le personnage possède dès le départ son pessimisme et son absence de foi en l'homme que ses diverses aventures ne viendront que confirmer.
Relire le Voyage, c'est aussi s'apercevoir qu'on va un peu vite en évoquant la révolution de style accomplie par Céline. En fait, la déstructuration de la langue sera plus évidente plus tard, à partir de Mort à crédit. Bien sûr, il y a les tournures familières, les procédés inhabituels (comme cette répétition quasi systématique du sujet en bout de proposition : "Il avait raison, Robinson..."; "On n'en revenait pas, nous autres,..."; "Nous étions hébergés, nous, les blessés troubles..."; procédé qui doit porter un nom que je ne retrouve pas en rhétorique), les phrases hachées interrompues par les points d'exclamation et de suspension, mais ce langage populaire est intégré à un ensemble d'un grand classicisme. On trouve des subjonctifs imparfaits ("il fallut bien que je la prisse"), des métaphores homériques ("La balle dans le ventre, ils auraient continué à ramasser de vieilles sandales sur la route, qui pouvaient encore servir. Ainsi le mouton, sur le flanc dans le pré, agonise et broute encore.", des alexandrins parfaits ("Cette folle rumeur de la foule en remous") et des phrases carrément précieuses ("Émue durablement, elle manda licence de faire frapper en vers, par un poète de ses admirateurs, les plus intenses passages de mes récits"). De quoi éloigner Céline de l'image de torchonneur qu'on lui colle trop souvent par facilité.
Le propre des grands textes est de dévoiler de nouvelles richesses à chaque rencontre. Le Voyage confirme l'adage.
Extrait (pour le plaisir)."Le zinc du canal ouvrait juste avant le petit jour à cause des bateliers. L'écluse commence à pivoter lentement sur la fin de la nuit. Et puis c'est tout le paysage qui se ranime et se met à travailler. Les berges se séparent du fleuve tout doucement, elles se lèvent, se relèvent des deux côtés de l'eau. Le boulot émerge de l'ombre. On recommence à tout voir, tout simple, tout dur. Les treuils ici, les palissades aux chantiers là-bas et loin dessus la route voici que reviennent de plus loin encore les hommes. Ils s'infiltrent dans le jour sale par petits paquets transis. Ils se mettent du jour plein la figure pour commencer en passant devant l'aurore. Ils vont plus loin. On ne voit bien d'eux que leurs figures pâles et simples; le reste est encore à la nuit. Il faudra bien qu'ils crèvent tous un jour aussi. Comment qu'ils feront ?
Ils montent vers le pont. Après, ils disparaissent peu à peu dans la plaine et il en vient toujours des autres, des hommes, des plus pâles encore, à mesure que le jour monte de partout. A quoi qu'ils pensent ?"

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 12; diffusé sur France 2 le 25 avril 2003).
L'épisode est moyen. Isaach de Bankolé est crédité au générique final mais je ne l'ai pas reconnu. A propos de générique, c'est celui d'ouverture qu'il ne faut pas manquer. Un petit bijou au cours duquel on suit Tony Soprano en voiture, sur une chanson qui n'est pas créditée mais qui pourrait bien être de J.J. Cale. Au début de l'histoire, Carmella Soprano tombe en pâmoison devant le Mariage mystique de sainte Catherine de Jusepe de Ribera. La scène se passe dans un musée new yorkais que je n'ai pas réussi à identifier. Celui-ci est désert, ce qui me donne envie de le visiter. Mais on y entend une musique d'ambiance du genre de celle que les Fisher diffusent dans leur salon funéraire dans Six Feet Under. Je raccroche le téléphone avant d'avoir obtenu la liaison avec une compagnie aérienne.

MERCREDI.
Anniversaire. Certains ont l'âge de leurs artères. J'atteins aujourd'hui celui de ma pointure.

Courrier. J. envoie une carte postale de New York et A.Z. un numéro hors commerce de la revue Formules intitulé "L'insoutenable légèreté des contraintes".

Courriel. Échange avec L. sur le mystère judiciaire du moment, l'histoire de la famille Flactif qui a disparu quasiment sous ses fenêtres.

Cinéma. Tristan (Philippe Harel, France, 2003 avec Mathilde Seigner, Nicole Garcia, Jean-Jacques Vanier, Jean-Louis Loca, Adina Cartianu, Daniel Cohen, Michel Duchaussoy).
Une jeune commissaire enquête sur une série de suicides amoureux.
J'aime bien les films de Philippe Harel, ses comédies avec Benoît Poelvoorde (Les Randonneurs, Le Vélo de Ghislain Lambert) et sa Femme défendue, plutôt originale. Son incursion dans le domaine du thriller est moins convaincante. Mathilde Seigner est à peu près aussi crédible que les inspectrices de P.J., c'est dire. Le film ressemble d'ailleurs à un épisode allongé de la série, dont un des grands mérites est la brièveté. Alors pour passer le temps jusqu'à la révélation finale, qui vaut ce qu'elle vaut mais qui a au moins le mérite d'exister, on s'intéresse aux acteurs. Mathilde Seigner fait la gueule de la première à la dernière minute. Nicole Garcia hérite d'un rôle de psychologue-profileuse d'un haut ridicule. Harel est plus heureux avec les hommes, Jean-Jacques Vanier qui a un rôle plus étoffé que ceux que lui offre habituellement Manuel Poirier mais qui garde le même air de se foutre éperdument de ce qui se passe, Daniel Cohen, une découverte, véritable sosie de Louis de Funès qui interprète le commissaire Meurteaux local et, surprise, Patrice Minet, le plus drôle à mon goût des Papous de France Culture.

JEUDI.
Vie professionnelle. Dans les intervalles que me laissent les filles (Caroline assure un nycthémère de garde jusqu'à demain 8 heures), je prépare d'arrache-pied mon inspection. Pour parer à toute éventualité et obéir à ce que Caroline appellera mon incorrigible optimisme, je plante 90 pieds de pommes de terre destinés à nourrir ma famille l'hiver prochain en cas de coup dur. J'étudie attentivement la course du tiercé. Je cherche des enseignements du côté de Marc-Aurèle ("Vois ce qu'ils sont lorsqu'ils mangent, dorment, s'accouplent, vont à la selle, etc. Vois-les ensuite lorsqu'ils se donnent de grands airs, font les fiers, se fâchent et vous accablent de leur supériorité. Peu avant, de combien de maîtres étaient-ils les esclaves, et par quelles sujétions ! Peu après, ils se retrouveront réduits au même état !").
Pour me mettre dans l'ambiance, je relis en diagonale Le Château de Kafka en remplaçant les mots "Château" par "Rectorat", "fonctionnaires" par "inspecteurs" et "villageois" par "professeurs". Le résultat est assez concluant. Coïncidence, je trouve dans la revue envoyée par A.Z. un texte d'Hervé Le Tellier intitulé "Collection d'antonomases" dans lequel il imagine cinquante-trois images représentant des célébrités avant leur passage à la postérité : "Photographie de Joseph S. Klaxon, âgé de six ans, soufflant dans sa petite trompette"; "Porcelaine de Saxe représentant Antoine-Auguste Parmentier, se brûlant les mains avec une pomme de terre brûlante, avant de la piétiner"; "Image d'Épinal représentant John Montagu Sandwich, excédé, demandant à sa femme : Dites-moi, ma mie, où avez-vous rangé les fourchettes ?", etc. La première de la liste est une "photographie en noir et blanc représentant Franz Kafka se faisant expliquer la procédure à suivre pour se faire rembourser une note de frais par L'Éducation Nationale".

Courrier. J'envoie des coupures à Y. et à l'AGP, des remerciements au directeur du cinéma, une procuration pour le Prix René-Fallet (je serai à Paris le jour du vote) et une demande de renseignements à l'université de Cluj (Roumanie).

TV. P.J. (saison 10, épisode 4; diffusé sur France 2 le 2 mai 2003).
Un bon épisode avec le dilemme de Porret, pris, face au racketteur de son fils, entre le respect de la procédure que commande son boulot de flic et son désir de vengeance.

VENDREDI.
Vie professionnelle. Jour d'inspection. Avant de partir, une petite dose de Marc-Aurèle. "Dès l'aurore, dis-toi par avance : je rencontrerai un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable." Ce serait bien de ne pas retrouver les six dans la même personne aujourd'hui. Après M. G. et Mme P., je poursuis ma tentative d'épuisement des services d'inspection de l'Académie avec une dame dont j'ignore le nom. Trois visites en douze mois alors que la norme est d'une tous les dix ans, je suis gâté. Au cours de l'entretien qui suit mon cours, j'ai droit aux reproches (bénins) auxquels je pouvais m'attendre mais la dame dresse un tableau juste, et parfois louangeur, de mon travail et ne me laisse pas de doute quant à l'issue de ma demande de changement de corps. A la fin, je ne peux m'empêcher de lui dire mon étonnement quant au fait que, en servant la même soupe, je sois ainsi passé du statut d'empoisonneur à celui, peut-être pas de maître queux, mais au moins d'honnête gargotier. Elle me parle alors de G. et de P., me donne les vraies raisons de ma mise au pilori que je ne peux répéter ici mais qui sont de caractère paranoïde et renversantes d'abjection, considère ma situation comme "un cas exemplaire de distorsion de la réalité". C'est fini. A l'issue de ma première inspection l'an dernier, j'avais envie de pleurer, après la deuxième j'avais envie de vomir, là j'ai envie de courir les bois en poussant des cris de Tarzan. Me voilà réhabilité, tel un capitaine Dreyfus au petit pied. Je me félicite d'avoir continué à mener ma barque sans changer de cap, d'avoir envoyé paître le tuteur que voulait m'imposer Mme P., de ne pas avoir répondu à ses convocations, de ne pas m'être compromis. Même si ce fut loin d'être facile à vivre, même si la honte, l'humiliation et la haine sont en moi à demeure et ont tué les projets d'avenir que je formais. Je vais enfin pouvoir fréquenter la salle des professeurs sans appréhension, montrer un visage plus avenant aux collègues et à tous les autres qui ont eu sur moi moins de doutes que je n'en ai moi-même nourri et dont j'ai apprécié les manifestations de soutien sans toujours le montrer ouvertement.
Comme de plus Ch., qui passait sur le gril avant moi s'en est également sortie avec les honneurs et une note gonflée à l'hélium (je craignais aussi, en faisant entrer le loup dans la bergerie, d'occasionner des dommages collatéraux), comme je trouve dans mes chaussons les dernières œuvres de Pennac, de Yann Tiersen et le deuxième coffret de Signé Furax, j'estime que j'ai passé une bonne journée. "Recouvre ton bon sens, reviens à toi et, une fois sorti de ton sommeil, rends-toi compte que c'étaient des songes qui te troublaient; une fois réveillé, regarde les choses comme auparavant tu les regardais" (Marc-Aurèle, bien sûr).

TV. P.J. (saison 10, épisode 5; diffusé le même jour sur France 2).
Une histoire met en cause des pompiers. L'un d'eux s'appelle Lancelot, ce qui me fait bien rigoler mais ce soir je suis bon public.

SAMEDI.
Courrier. Une carte postale des N. en provenance de Grèce.

Jardin. Je me mets le dos en capilotade en essayant de démarrer la tondeuse à gazon. Le voisin réparateur a fermé boutique depuis que sa femme l'a quitté la semaine dernière. Mon beau-père me prête son engin qui tombe en panne au bout de dix minutes. La vie reprend son cours habituel.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules, la troisième de la semaine.

TV. The Sopranos (saison 3, épisode 13; diffusé sur France 2 le 2 mai 2003).
A regarder comme je l'ai fait cette semaine en alternance une honnête série française (P.J.) et une série américaine haut de gamme (The Sopranos), il y a de quoi perdre un peu de son antiaméricanisme primaire.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°109 - 18 mai 2003

DIMANCHE.
Vie familiale. Nous mangeons les premières asperges de la saison chez mes parents. On m'offre un conte de Joyce que je ne connaissais pas, Le Chat et le Diable, écrit pour son petit-fils et illustré dans cette édition par Blachon, l'auteur de la page la plus intéressante de L'Équipe Magazine.

LUNDI.
Vie professionnelle. Pour la première fois depuis des lustres, je pars au travail sans appréhension, en dégustant le Boudin sacré de Pierre Dac et Francis Blanche.

Courriel. J. m'entretient des musées new-yorkais.
H., pas dégoûté, s'est remis à l'escalade.

TV. The Pledge (Sean Penn, USA, 2000 avec Jack Nicholson, Robin Wright Penn, Sam Shepard, Aaron Eckhart; diffusé sur Canal + en avril 2003).
Nevada. Malgré son désir de profiter d'une calme retraite, l'inspecteur de police Jerry Black ne peut oublier la promesse qu'il a faite à une femme de retrouver l'assassin de sa fille.
La précédente collaboration de Sean Penn et Jack Nicholson sur Crossing Guard (1994) était déjà intéressante. Principalement dans le refus de conclure une histoire convenue (la vengeance d'un père contre l'assassin de son fils) de manière attendue. The Pledge, dans son final inabouti, révèle le même souci de s'écarter des canons d'un genre. Ici aussi, c'est la mort d'un enfant qui sert de déclencheur, qui va modifier l'orientation d'une vie. Si le talent de Nicholson n'est plus à souligner, celui de Sean Penn réside dans sa façon de tenir à distance le côté obsessionnel du personnage principal. La moitié du film montre Jerry Black dans des activités paisibles de retraité, en train de pêcher, de chiner, de boire des coups. Le souvenir de la promesse qu'il a faite est cependant toujours en lui et le conduit à passer le reste de son temps à essayer d'attirer l'assassin sur une autre proie. En utilisant, pour cela, la fille de sa compagne, il ajoute un autre dilemme à sa vie.
Des personnages comme celui de Jerry Black, on n'en trouve pas souvent. Des acteurs qui maîtrisent la mise en scène de cette façon non plus. Une référence s'impose, et de taille : Eastwood.

MARDI.
Courriel. J.-M. P. donne des précisions sur la toponymie viennoise et les figures de rhétorique (celle utilisée par Céline dont je parlais récemment est tout simplement le rejet, mâtiné toutefois d'un soupçon d'hyperbate).

Lecture. Vie et mort de Bobby Z (The Death and Life of Bobby Z, Don Winslow, 1997, traduit de l'américain par Oristelle Bonis, Belfond, coll. Nuits Noires, 1998).
Tim Kearney, taulard sans envergure, a un atout : sa ressemblance presque parfaite avec le caïd Bobby Z. Le chef de la brigade des stups lui demande d'interpréter le rôle du caïd pour attirer de plus gros poissons dans son filet.
C'est un polar honnête, du genre trépidant, souvent assez drôle, dont l'intérêt majeur est historique : les premiers Série Noire, à la fin des années 40, mettaient souvent en scène des personnages, policiers, détectives, qui avaient participé à la Guerre de 14. Vinrent ensuite les vétérans de la Deuxième Guerre Mondiale, de Corée et bien sûr du Vietnam. Ici, c'est la première fois que je rencontre un ancien de la Guerre du Golfe, première du nom désormais. Tim Kearney est un ancien marine, qui a obtenu la Navy Cross avant de se faire jeter de l'armée. Ce qui explique que ceux qui le prennent pour un minable sont un peu surpris : il se révèle particulièrement coriace quand une multitude de durs (des Mexicains du commerce de la drogue, des Hell's Angels, la brigade des stups) décident de l'éliminer. Kearney, à la manière du premier Rambo, réutilise alors toutes les ficelles apprises à l'armée et cause pas mal de dégâts.
Extrait. "Cruz a été la star de l'école de tir de Pendleton. L'instructeur qui l'a eu dans son groupe chez les marines prétendait qu'il aurait pu tirer dans les couilles d'une puce. Quand il était dans le Golfe avec son unité, Cruz s'entraînait à dégommer des officiers irakiens du plus loin possible. Par exemple à l'instant T tu as un Irakien qui est tranquillement en train de faire Allah Akbar, à l'instant T + 1 ton Irakien se retrouve chez Allah. Avec les compliments de R. Cruz, Tireur d'Élite."

TV. Lire et relire : Georges Perec (Magazine de Pierre Dumayet, réalisation : Robert Bober; diffusé sur ARTE le 2 février 1994).
L'émission est contemporaine de la sortie du Cahier des charges de La Vie mode d'emploi et s'intéresse donc aux contraintes qui régissent le livre. Jacques Neefs montre les brouillons, le travail préparatoire de Perec, Bernard Magné livre quelques pistes. Dumayet, on le devine, a peur de faire apparaître le livre comme un monstre combinatoire réservé à une élite et rappelle à plusieurs reprises qu'il est avant tout un plaisir de lecture bourré d'histoires. Il force ses interlocuteurs à la simplicité. Quand Magné évoque la diagonale cachée dans les vers du Compendium, il a envie d'ajouter "sénestro-descendante" mais il se retient, quand il parle des traces autobiographiques, le mot "autobiographème" lui brûle les lèvres mais pas question d'effrayer le téléspectateur. Comme récemment dans leur émission sur la correspondance de Kafka, Dumayet et Bober se révèlent indépassables quand il s'agit de dévoiler avec simplicité et pédagogie les arcanes d'une œuvre.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète des poèmes de Henry J.-M. Levet et le dernier Pouy, récupère des photos qui me permettent de mettre à jour mon Itinéraire et mes Bars clos.

Jardin. Je sème de l'alysse odorant, plus par intérêt homophonique que par véritable goût floral.

Cinéma. The Hours (Stephen Daldry, USA, 2002 avec Meryl Streep, Nicole Kidman, Julianne Moore, Ed Harris, Toni Colette, Claire Danes, Jeff Daniels, Miranda Richardson).
Après le carton réalisé avec Billy Elliot, Stephen Daldry a été autorisé à jouer dans la cour des grands, à Hollywood. Son film, comme je suppose le livre de Michael Cunningham dont il est issu, repose sur un artifice : la mise en parallèle d'une période de la vie de Virginia Woolf (1923, elle écrit Mrs. Dalloway à Richmond où elle a établi la Hogarth Press avec son mari), et des épisodes fictifs concernant une lectrice de Mrs. Dalloway dans le Los Angeles de 1951 et une autre femme qui semble incarner le personnage titre du roman dans le New York d'aujourd'hui. D'où un montage parallèle assez scolaire (les trois réveils qui sonnent l'un après l'autre en ouverture, les trois femmes qui se lèvent et ainsi de suite) et des correspondances un peu téléphonées. Je partais dans cette histoire avec un handicap, celui de ne pas avoir lu Mrs. Dalloway, et mon intérêt a décliné peu à peu, au fil des interminables scènes de dialogue et de la musique lancinante de Philip Glass dont la conjugaison a fini par m'assommer pour le compte. C'est dommage parce qu'il n'est pas fréquent de voir des écrivains mis en scène (je ne sais ce que Soderbergh a fait de Kafka, je n'ai pas vu Shakespeare in Love mais je ne sais pas si je dois le regretter, mais récemment l'écrivain central d'A la rencontre de Forrester de Gus Van Sant ressemblait beaucoup à Salinger). Ici, la transformation de Nicole Kidman en Virginia Woolf est vraiment saisissante, elle semble sortie d'un cliché de Gisèle Freund. A la fin, on se dit que chacune des vies présentées aurait pu avantageusement faire l'objet d'un film autonome. L'histoire de la femme interprétée par Julianne Moore (celle des années 50), ici pleine de trous, de non-dit, de surprises (elle tente de se suicider en découvrant Mrs. Dalloway, elle abandonne sa famille à la naissance de son deuxième enfant) possède un potentiel certain. Au lieu de ça, la construction pâtissière de Stephen Daldry apparaît un rien indigeste.

JEUDI.
Courrier. Les C. écrivent de Pompéi (la carte a mis 8 jours de plus à nous atteindre que celle qui nous est arrivée de New York la semaine dernière). J'envoie des coupures à Y. et une photo de Bar Clos à J.S.

Lecture. Viridis Candela n° 9 (15 septembre 2002)
Carnets trimestriels du Collège de 'Pataphysique.
2002 oblige, le dossier central du numéro est consacré au palindrome. Celui-ci a droit à une présentation historique suivie de nombreuses illustrations dues à des virtuoses parmi lesquels on trouve des habitués de la [listeoulipo]. Alain Zalmanski propose un voyage à travers des contrées palindromiques comme Laval, Noyon et bien sûr Senones. On retrouve les oulipiens dans la présentation du volume Je suis le ténébreux, 101 avatars de Nerval où sont regroupées autant de variations sur le poème "El Desdichado" suivant des contraintes plus ou moins dures.
Les Carnets publient ensuite l'acte II de Vive la France ! de Franc-Nohain, d'où j'extrais cet échange :
"MADAME : Et maintenant, avec cela, vous aimez la musique, monsieur ? Vous devez aimer la musique.
L'ANGE : Je joue de la harpe quelquefois. Obligation professionnelle."
Philippe Cathé raconte la première de la pièce, qui date de 1898, et rapporte l'anecdote suivante sur le Théâtre des Pantins où elle eut lieu : "Un soir, un honnête spectateur demeurait silencieux à sa place, le spectacle dès longtemps achevé, et alors que s'éteignaient les dernières chandelles vertes; on dut s'approcher, le prévenir qu'on allait clore les portes; alors il s'éloigna en donnant de grands coups de canne dans les tentures, et en prononçant des paroles inintelligibles. On n'a jamais su s'il était fou avant, ou simplement s'il l'était devenu..."
Enfin Senninger livre la dernière partie de son "Dictionnaire exemplaire" dans lequel il utilise les mots polysémiques de façon plutôt farce. Exemples :
TORCHER v.t. Bâcler, faire vite et mal.
Ex. Torcher un enfant.
TRANCHER v.t. Diviser en tranches.
Ex. Trancher la tête d'un homme.
VERGE n.f. Organe de la copulation.
Ex. On voyait passer le père Fouettard, avec son paquet de verges sous le bras.

T.V. Rush Hour 2 (Brett Ratner, USA, 2000 avec Jackie Chan, Chris Tucker, John Lone; diffusé sur Canal + en mai 2003).
Je n'ai pas beaucoup de goût pour les films d'action pure mais j'avoue un faible pour Jackie Chan, que j'ai découvert avec Jackie Chan dans le Bronx. Il retourne ici aux États-Unis avec un collègue noir devenu son ami. J'atteins là malheureusement la limite de mon indulgence : la faconde de Chris Tucker, censée être un ressort comique, n'est que source d'agacement, et les scènes d'action manquent de l'inventivité qui est souvent la marque de Jackie Chan. Même les chutes traditionnellement mêlées au générique final dans une sorte de bêtisier sont mauvaises.

VENDREDI.
Ubiquité. Les trois cénacles littéraires auxquels je participe se sont donné le mot pour occuper ma fin de semaine : j'ai le choix entre le vote du Prix René-Fallet à Jaligny, la Journée des aubépines à Illiers-Combray et un séminaire Perec à Paris. Je choisis Paris, attrait de la grande ville. Le trafic SNCF est perturbé au départ, non pas à cause des grèves, mais d'un suicide (ça manquait à mon palmarès) sur la voie entre Remiremont et Epinal mais je parviens à attraper ma correspondance à Nancy.

SAMEDI.
Vie parisienne. Je commence à Jussieu par le séminaire Perec. Je remercie David Bellos pour le petit mot qu'il m'a écrit sur la carte de son amie qui fut un temps mon ennemie et échange avec lui quelques mots sur la difficulté d'exprimer une opinion personnelle en public. Le thème du jour est "Cartographie et totalité dans l'œuvre de Georges Perec", traité par Jean-Luc Joly, professeur dans une université marocaine et récent organisateur du colloque de Rabat. La partie cartographie donne lieu à un relevé des cartes, plans, atlas et portulans présents dans les textes perecquiens et à un parallèle entre les chapitres 2 et 99 de La Vie mode d'emploi. Sans grande surprise mais intéressant pour qui aime le mélange littérature - géographie. Concernant le désir de totalité présent chez Perec comme chez tout collectionneur et chez tout rédacteur de liste, d'inventaire, d'épuisement, de saturation, de combinaison, il souligne que ce désir peut devenir totalitaire puisqu'il signifie un désir de possession du monde, tout ou partie. Travers que Perec évite par sa pratique du clinamen, du manque, de l'oubli volontaire (les 100 chapitres de La Vie mode d'emploi qui ne sont que 99) mais dans lequel je m'aperçois que je tombe volontiers quand je pratique ce genre d'exercices. Où il appert que ma totalisation à moi est une totalisation totalisante totalitaire totalement névrotique. Ce qui ne me surprend qu'à moitié.
J'achète deux Série Noire à L'Amour du Noir, déjeune de viande crue au Petit Cardinal et vais travailler et siester à la Bibliothèque des Littératures Policières. J'en suis chassé à 16 heures, la salle de travail devenant salle de conférence pour une intervention d'un auteur belge sur le thème "Maigret et Paris". Fin de la partie travail, début de la partie loisirs. C'est à ce moment charnière que je m'aperçois que je me suis fait subtiliser mon portefeuille. Je retourne à la Bilipo à la fin de la conférence, interroge le personnel. Nib. Je vais signaler la chose (qui ne manque pas de saveur, un vol dans le temple du polar, sous le haut patronage de Simenon) au commissariat du 5° arrondissement, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, bien plus calme que la ruche de P.J. Je me retrouve sans papiers, avec 2,80 € en poche, plutôt loin de mon hôtel qu'il me reste à payer. Je marche jusqu'à la Gare de l'Est où je vois que je peux anticiper mon départ avec le train de 19 heures 45 qui peut me conduire jusqu'à Nancy mais que je n'ai pas le droit de prendre (le tarif préférentiel dont je bénéficie m'oblige à repartir le dimanche). Je retourne chercher mes affaires à l'hôtel, le tenancier, compréhensif, s'offre même à me prêter de l'argent pour me dépanner. J'écorne mon pécule pour acheter Le Monde et monte dans le train dont j'attends le départ avant d'expliquer ma situation au contrôleur, procès-verbal de dépôt de plainte en main. Je suis redevable d'un supplément et, comme je n'ai pas les moyens de le régler, auteur d'un délit. Ceci dans la théorie car là aussi je tombe sur quelqu'un d'indulgent qui écrit sur mon billet, à l'intention de ses collègues : "Ne pas inquiéter". Je me ferais bien tatouer ça sur le front. J'arrive à Nancy à 22 heures 35 où mon père m'attend pour me convoyer à Épinal (la même mésaventure lui était arrivée il y a quelque temps à Lille, avec un petit supplément : le voleur lui avait ensuite téléphoné à son hôtel, en se faisant passer pour un policier, pour essayer de lui soutirer le code de sa carte bancaire; c'était une vraie mise en scène, on entendait en arrière-plan un homme supplier "Ne me frappez pas, je vais tout vous dire !") et je rentre au foyer la queue basse. L'attrait de la grande ville. Finalement, j'aurais peut-être dû aller à Jaligny ou à Combray.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°110 - 25 mai 2003

DIMANCHE.
Sueurs froides. Je me réveille en eau à cinq heures du matin, imaginant ce qu'un individu sans scrupules peut faire avec une carte bancaire, un ordinateur et une connexion Internet dans les quelques heures comprises entre le vol et le blocage de la carte en question. Un autre aspect taraudant de la chose est le fait de ne pas savoir si les tickets de PMU contenus dans mon portefeuille étaient gagnants ou non. Je veux bien contribuer dans la limite de mes moyens à la chute de Sarkozy, voire du gouvernement tout entier, en faisant grimper les chiffres de la petite délinquance mais je serais froissé qu'un indélicat étoffe son patrimoine en profitant de ma perspicacité de turfiste.

Farniente. Nous partons nous remettre de mes émotions à Saint-Jean-du-Marché, en écoutant en chemin Thomas Fersen dont les "cheveux mayonnaise" et le "pull caca d'oie" mettent Lucie en joie.

Courrier. J'envoie un chèque à l'hôtel où j'aurais dû me réveiller ce matin.

Courriel. Parmi les messages indésirables qui polluent de temps à autre ma boîte à lettres, il en est un aujourd'hui qui répond on ne peut mieux aux circonstances :

SPECTACLES - ANIMATIONS
ÉVÉNEMENTS TOUT PUBLICS
SPECTACLES DE MAGIE DE SCENE & DE SALON
SPECTACLES DE VENTRILOQUIE
SPECTACLE DE PICKPOCKET
ANIMATIONS - HYPNOSE
MAGIE BURLESQUE
LATINO DANCE

TV. P.J. (saison 10, épisode 5; diffusé sur France 2 le 16 mai 2003).
Dernier épisode d'une bien courte saison, qui met en scène une enfant précoce (interprétée par Hanna Berthaut, la fille de l'ogre dans Le Petit Poucet d'Olivier Dahan) et à l'issue duquel Fournier prend deux pruneaux dans le buffet. Ce qui permet le rassemblement de l'équipe à l'hôpital dans l'attente d'une opération chirurgicale incertaine, final calqué sur celui de la deuxième saison de Six Feet Under. Mais là n'est pas l'essentiel : apparemment, personne n'a rapporté mon portefeuille au commissariat.

LUNDI.
Courrier. Une carte anniversaire en provenance de N.H.

Courriel. A.-M.B. me conseille la lecture de Perversions à La Havane, roman du Cubain Miguel Mejides dont la construction serait proche de celle de La Vie mode d'emploi.
Deux demandes d'abonnement aux notules.

Lecture. Le dictateur et le hamac (Daniel Pennac, Gallimard, coll. nrf, 2003).
Ce roman apporte la confirmation du fait plutôt triste que, sorti des aventures de la tribu Malaussène, Daniel Pennac peine à trouver sa voie. Il a ici recours au vieux truc qui consiste à se mettre soi-même en scène en train d'écrire son roman. Les passages purement fictifs - une histoire de dictateur brésilien qui met en place un sosie pour le remplacer - et les séquences autobiographiques alternent, se mélangent parfois, mais là où un Vassilis Alexakis par exemple sait se dépeindre avec distance et ironie, Pennac s'enferre dans un autoportrait d'auteur en quête de personnages lourd et pénible.
Un des thèmes de l'intrigue imaginée touche à l'histoire du cinéma au temps du muet (Chaplin et Valentino apparaissent). On pense alors au dernier roman de Paul Auster, Le livre des illusions, et la comparaison n'est pas à l'avantage de Pennac. Auster se lit d'une traite sans ennui (comme le Pennac des Malaussène d'ailleurs) alors qu'ici on est ravi d'atteindre enfin le terme de ces 400 pages (plus deux de remerciements "à l'américaine").

TV. Satin rouge (Raja Amari, France-Tunisie, 2000 avec Hiam Abbass, Hend El Fahem, Maher Kamoun; diffusé sur Canal + en mai 2003).
Tunisie. Depuis la mort de son mari, Lilia vit recluse. Les travaux de couture qu'elle effectue la conduisent un jour dans un cabaret où elle va devenir danseuse.
Au début, on a une opposition entre la mère, cloîtrée, et sa fille qui s'émancipe. Peu à peu les trajectoires vont s'inverser et c'est la mère qui va sortir en cachette de sa fille. C'est ce cheminement insolite qui constitue le principal atout du film. C'est un portrait de femme appliqué et sincère, un peu languide mais heureusement pimenté par un imbroglio sentimental sur la fin. Les amateurs de danse apprécieront les séquences de cabaret.

MARDI.
Lecture. Cahiers Georges Perec n°7 (Le Castor astral, 2003).
Antibiotiques. Travaux réunis et présentés par Éric Beaumatin.
Le titre, franchement maladroit, annonce clairement la couleur. Il s'agit de régler son compte à la biographie de David Bellos parue en 1994 sous le titre Georges Perec, une vie dans les mots et dont Bernard Magné put dire un jour que son principal mérite résidait dans le fait qu'elle était la seule existante.
Magné, on le retrouve ici bien sûr, comme dans tout travail perecquien, domaine qu'il maîtrise et domine si bien qu'il pourrait avantageusement mettre de côté l'ironie méchante avec laquelle il remballe ceux qui se permettent un autre avis que le sien. On sait que Bellos n'est pas son partenaire de belote préféré (quoique j'aie vu un jour les deux hommes copains comme cochons dans un café de la rue Linné, ce qui semble indiquer qu'il y a une part de jeu dans leurs joutes). Il reprend des points du livre de Bellos, citations à l'appui, pour en arriver à conclure que celui-ci n'a rien compris au système de contraintes de La Vie mode d'emploi.
Le procédé est repris par d'autres contributeurs, ce qui fait que le volume ressemble à un catalogue d'errata plutôt lassant. Si on suit et comprend les cousines de Perec, Bianca Lamblin et Ela Bienenfeld, qui ont des choses à dire à propos de leur famille au sein de laquelle Perec fut élevé après la mort de ses parents, des contre-vérités à dénoncer, on saisit moins l'opportunité de savoir par exemple si la bibliothèque de leur père contenait La Montagne magique de Thomas Mann en allemand ou en traduction (à ce sujet, je tiens à signaler à mes futurs biographes que je possède les deux versions). Si on veut aller par là, toute biographie peut être soumise à ce genre d'exercice et on peut très bien imaginer un monde éditorial partagé en deux champs d'activité, les biographies et les corrections à apporter aux biographies. L'exercice est sans fin car les corrections peuvent également être corrigées (ce que Willy Wauquaire ne se prive pas de faire depuis la publication de ces Cahiers sur la [listeperec]) ou complétées (personne ne signale l'erreur de la page 208 du Bellos où celui-ci prend le sigle F.O. pour l'abréviation de Force Ouvrière alors qu'il s'agit du raccourci de France Observateur).
Il n'est pas question de dire ici que Bellos est exempt de tout reproche. Trop souvent, il pense à la place de Perec, il bâtit des raisonnements sur des suppositions et des spéculations hasardeuses. Il porte des jugements hâtifs sur la famille Bienenfeld, sur le quartier de Belleville qu'il transforme abusivement en ghetto. Il se plaît à décrire un Perec non pas truqueur et rusé, mais franchement menteur et dissimulateur. Et surtout, il commet l'erreur de ne pas citer nommément ses sources mais de rassembler celles-ci dans une liste qui clôt chacun de ses chapitres et qui ne permet pas de savoir qui a dit quoi.
Intermède biographique, puisque c'est le sujet. J'ai découvert Perec en trois étapes. D'abord en mars 1992, date à laquelle France Culture a diffusé une batterie d'émissions pour célébrer le dixième anniversaire de la mort de l'écrivain. C'est là que je me suis rendu compte qu'un auteur avait déjà écrit tout ce que je voulais écrire, l'avait nommé (inventaires, épuisements, saturations), théorisé (l'infra-ordinaire) et ne s'était pas arrêté là. Ce fut ensuite la lecture de La Vie mode d'emploi dont je ne connaissais aucun secret de fabrication (et encore aujourd'hui je ne souhaite à personne d'aborder le livre autrement) puis celle de Bellos, en mai 1994, au cours d'un voyage scolaire en Grande-Bretagne avec des élèves qui n'auront gardé de moi pendant cette semaine que l'image d'une nuque penchée sur un lourd volume. Bellos fut pour moi un passeur essentiel, un précieux défricheur de territoire et ça m'étonnerait qu'il n'ait joué ce rôle que pour moi. Et pourtant, jamais dans ces Cahiers (ou alors vraiment du bout des lèvres) on ne le remercie pour le travail qu'il a fait. Bellos ne mérite peut-être pas d'éloges ou d'hommages démesurés mais j'estime qu'on aurait pu au moins saluer son travail, fût-il imparfait. Les Cahiers Georges Perec transformés en entreprise de dénigrement systématique, voilà qui me semble sortir de leur véritable vocation.
Vocabulaire. Dans son introduction, Daniel Mandelénat parle d'un travail de correction et d' "émendation", un mot que je ne connaissais pas et que je n'ai retrouvé que dans le Dictionnaire français-français des mots rares et précieux paru chez Seghers en 1965 ("Action de corriger un texte") et dans le Larousse universel en deux volumes de 1923 ("Correction d'un texte défectueux").

TV. Un siècle d'écrivains : Georges Perec (collection de Bernard Rapp, documentaire de Pierre-Oscar Lévy, 2000; diffusé sur France 3 en novembre 2000).
Réalisation très sophistiquée pour une présentation des œuvres de Perec dans l'ordre chronologique par l'auteur en personne grâce à une utilisation intelligente des archives télé et radio. L'effet est un peu hiératique et émollient.

MERCREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y. et à l'AGP.

Cinéma. Swimming Pool (François Ozon, France, 2002 avec Charlotte Rampling, Ludivine Sagnier, Charles Dance, Marc Fayolle, Jean-Marie Lamour, Mireille Mossi, Michel Faux, Jean-Claude Lassas).
Sarah Morton, auteur de romans policiers, quitte Londres pour la maison de son éditeur dans le Luberon. Elle espère y écrire au calme mais Julie, la fille de l'éditeur, débarque et c'en est fini de la quiétude de l'endroit.
Premier clapotis en provenance de Cannes, Swimming Pool renoue le couple Ozon - Rampling inauguré dans Sous le sable après la parenthèse plutôt mièvre de 8 femmes. On peut parler de couple tant Ozon semble fasciné par son actrice. Ici encore, il la suit, s'attache à chacun de ses pas, l'encadre dans des fenêtres et des miroirs, emplit l'écran de son visage au bout de longs zooms marquant une mise en scène très fluide. La vague intrigue policière qui se greffe sur son opposition avec Ludivine Sagnier n'est qu'un prétexte et n'est pas claire du tout. Ce qui n'a aucune importance. Dans sa dimension entomologique, le film bâti sur le trio réalisateur-objectif-actrice est une réussite et se suffit à lui-même.

JEUDI.
Cinéma 1. Zéro de conduite (Jean Vigo, France 2003 avec Jean Dasté, Louis Lefebvre, Gilbert Pruchon, Gérard de Bédarieux, Constantin Kelber, Robert le Flon, Blanchar; présenté dans le cadre de l'opération Collège au cinéma).
La vie d'un pensionnat où quatre garçons prennent la tête d'un mouvement de rébellion contre l'autorité.
Quand le film fut interdit par la censure (il ne sera "libéré" qu'en 1946) on imagine mal que Jean Vigo ait pu en être surpris. Son film est un véritable brûlot contre l'autorité, et il n'agit pas de façon allusive. C'est une guerre à visage découvert contre la bêtise institutionnelle. On y dit franchement "merde" au professeur et au principal (un nain !), on y piétine le drapeau tricolore pour le remplacer par un symbole anarchiste, on y dévoile des parties génitales, on y évoque une amitié homosexuelle, on y montre un professeur pédophile, on y canarde le curé et le Préfet, on y parodie une procession religieuse.
Jean Vigo a alors 28 ans, il mourra un an plus tard et il se montre si ouvertement iconoclaste qu'on pourrait croire qu'il savait que le temps lui était compté. Son film est un appel à la rébellion mais aussi un hommage à la poésie avec la figure lunaire du surveillant Huguet (Dasté) et la célèbre bataille de polochons filmée au ralenti.
A noter que le cinéma, en 1933, se nourrit déjà de citations : Dasté imite Chaplin et la scène d'ouverture, où deux enfants dans un train se montrent des tours et des farces, est reprise d'un film de Laurel et Hardy.

Courrier. C.D., pourvoyeuse officielle en chocolat au marzipan et en suppléments de La Libre Belgique consacrés à Simenon, raconte son voyage en Allemagne sur une carte postale envoyée d'Épinal.

Cinéma 2. Blue Velvet (David Lynch, USA, 1986 avec Kyle MacLachlan, Isabella Rossellini, Dennis Hopper, Laura Dern; présenté dans le cadre du cycle "Reflets sur le cinéma noir" et non comme on pourrait le croire après Satin rouge dans celui d'une rétrospective "Etoffes et couleurs au cinéma").
Jeffrey découvre une oreille coupée dans un terrain vague. Il mène l'enquête avec sa voisine Sandy, fille d'un policier, et s'intéresse aux activités de la chanteuse Dorothy Vallens.
Si j'avais vu les films de David Lynch dans l'ordre de leur sortie, j'aurais certainement été moins sidéré par Mulholland Drive (promis à une prochaine re-vision scientifique car constituant actuellement l'unique DVD de notre collection). Blue Velvet contient déjà tout ce qui fait la valeur du dernier film de Lynch avec cette plongée d'un jeune homme dans un véritable cauchemar, cette dernière expression étant peut-être à prendre au sens propre. Même illustration musicale (Badalamenti déjà), même transformation d'un monde ordinaire en univers déstabilisant, mêmes créatures monstrueuses (Hopper), même femme victime de forces inconnues (Rossellini), même enquête menée par un amateur (MacLachlan), même sophistication dans la mise en scène, avec ici un jeu subtil sur les couleurs fondamentales présentes en ouverture et en conclusion du film et, par moments, un enchaînement rapide des péripéties qui évoque le Hitchcock des Trente-neuf marches. On reconnaît les grands auteurs au cinéma en ce qu'ils présentent un univers qui leur est propre, inimitable et immédiatement repérable. Takeshi Kitano et David Lynch me semblent être les deux réalisateurs en activité qui correspondent le mieux à cette définition.

VENDREDI.
TV. 15 minutes (John Herzfeld, USA, 2001 avec Robert De Niro, Edward Burns, Kelsey Grammer; diffusé sur Canal + en mai 2003).
Deux individus arrivent à New York en provenance de l'Europe de l'Est (l'un est tchèque et s'appelle Slovak). Ils accumulent les meurtres sadiques qu'ils prennent la précaution de filmer afin de les vendre à un producteur télé sans scrupules.
Face à eux, un flic et un pompier (promu au statut de héros alors que les Twin Towers sont encore debout). Il faut passer rapidement sur le procédé malsain qui consiste à montrer avec complaisance ce qu'on veut dénoncer (ici la violence des images télévisées, la course à la notoriété qui conduit à faire n'importe quoi) qui fait de ce film un objet plutôt détestable et retenir, à la rigueur, une traque policière classique et un De Niro qui porte le film sans conviction avant de s'éclipser au milieu. La conclusion, vociférante et pétaradante, est cauchemardesque.

SAMEDI.
Jardin. Je plante des haricots, opération qui ne peut être productive que si elle est effectuée, comme le veut l'adage que me rappelait G.N. récemment, "tous les samedis de mai".

TV. Comme un cheveu sur la soupe (Maurice Régamey, France, 1957 avec Louis de Funès, Noëlle Adam, Jacques Jouanneau, Nadine Tallier; diffusé sur RTL en ?).
A la suite d'un dépit amoureux, l'obscur compositeur Pierre Cousin cherche à se supprimer. Il engage un tueur pour faire le boulot. Suite à une heureuse rencontre avec une chanteuse elle aussi en devenir, il atteint la célébrité et ne tient plus du tout à perdre la vie.
Comment empêcher un contrat lancé contre soi-même, thème utilisé à plusieurs reprises dans le polar écrit ou filmé (encore récemment dans Bulworth de Warren Beatty, 1997) et traité ici de façon très amusante et dynamique avec un final destructeur dans un cabaret qui est presque le brouillon de la fin du Playtime de Tati. Louis de Funès apparaît ici pour la première fois en vedette (alors qu'on croit souvent que c'est Yves Robert qui lui offrit son premier rôle principal avec Ni vu ni connu mais Comme un cheveu... fut tourné juste avant) et on le voit avec plaisir jouer du piano pour accompagner deux belles romances de Georges Van Parys interprétées par Noëlle Adam.

Bon dimanche et, comme on dit à la télévision, bonne fête à toutes les mamans.