Notules
dominicales de culture domestique n°96 - 2 février 2003
DIMANCHE.
Vie familiale. Nous avons convié
les parents de Caroline à la croûte. Avant de les recevoir,
il faut rédiger et envoyer les notules, préparer à
manger, courir en ville acheter ce qu'on ne peut faire soi-même,
baigner les filles, enrayer le début d'inondation causé
par Alice qui a écopé une demi-baignoire à la cuvette
et parier sur le Prix d'Amérique. Quand les invités arrivent,
avec leur mine reposée et leur appétit aiguisé juste
à point, on a en fait plus envie de se mettre au lit qu'à
table.
Presse. Parution dans L'Est Magazine
de l'entretien sur le cinéma que Ch. et moi avions eu avec une
journaliste. Bonne surprise, nos propos sont à peu près
respectés et il n' y a pas de coquilles. Bien sûr, les photos
ne sont pas flatteuses, pour tout dire nous ressemblons à de véritables
gargouilles, mais ça ne dépare pas dans le dossier du magazine
consacré au Festival du Film Fantastique de Gérardmer.
Lecture. L'expédition polaire
à bicyclette (The Life Polar Expedition, articles parus
dans Life 1926-1927, traduit de l'américain par Frédéric
Brument, Le Dilettante 2002).
1926, c'est l'année où les expéditions Byrd et Amundsen
atteignent le pôle Nord, qui en hydravion, qui en dirigeable. Robert
Benchley, humoriste, acteur de cinéma, critique dramatique, prend
le parti de se moquer gentiment de cette soif d'aventures - qui n'en était
pas encore au stade d' "aller jusqu'au bout de soi-même
et attendre qu'on vienne vous rechercher en hélicoptère"
- en mettant sur pied sa propre expédition polaire. Il choisit
quelques bras-cassés en guise de compagnons, la bicyclette comme
moyen de déplacement et envoie six chroniques au magazine Life
au rythme de l'avancée du groupe qui, parti de New York, mettra
six mois à atteindre Mount Kisco, distant tout de même d'une
bonne cinquantaine de kilomètres.
On a ici affaire à un humour proche de celui de P.G. Wodehouse,
à une parodie d'épopée du style de celle racontée
par Jerome K. Jerome dans Trois hommes dans un bateau, drôle
et rafraîchissante. Le même volume contient trois autres articles
tirés du Liberty Magazine dans lesquels Benchley s'emploie,
avec le même regard amusé, à décrire trois
activités très prisées des Américains (suivre
le porteur, observer et somnoler) et rassemblés sous le titre Sporting
Life in America.
Extrait. "Sur la route du pôle avec l'expédition polaire
Life, traversée de la 125° Rue, Manhattan, 12 mai. - Après
avoir décollé avec succès du trottoir situé
devant les bureaux de Life au 598 Madison Avenue, New York City,
nous avons progressé lentement jusqu'à la 59° Rue. Là,
nous avons découvert que la roue arrière du lieutenant-colonel
Connelly était toujours cadenassée - une précaution
que nous avions prise alors que les engins attendaient sur le parking
à vélos situé devant les bureaux. Cet antivol avait
considérablement limité la vitesse du lieutenant-colonel,
provoquant une sensation bizarre de frottement à laquelle il ne
savait comment remédier, jusqu'à ce qu'un passant attire
son attention sur la roue bloquée. Le problème a été
réglé en un tour de main, et l'expédition a pu reprendre
sa route sur Madison Avenue, à une allure plus soutenue.
Ce petit incident, au tout début de notre voyage, quoique insignifiant
en lui-même, est assez révélateur de la volonté
qui anime nos hommes, et de leur détermination à aller jusqu'au
bout, quel qu'en soit le prix. Le lieutenant-colonel Connelly aurait très
bien pu se décourager en s'apercevant que sa roue arrière
ne tournait pas, et tout laisser tomber; mais, faisant preuve du vrai
cran des vieux briscards, il a continué à rouler droit devant
avec une unique roue valide, et se serait probablement acharné
ainsi jusqu'à arriver au pôle, mort ou vif. Voilà
le genre de bravoure qui nous rend tous optimistes."
TV. The Sopranos (diffusé
ce jour sur Canal Jimmy). Carmella Soprano en a assez des frasques extra-conjugales
de son mari et lui signifie son congé. Celui-ci tente bien un retour
sur l'air "Si tu me quittes est-ce que je peux venir aussi ? "
mais l'épouse est intraitable. Que va devenir Tony ? C'est le dernier
épisode de la saison. Il paraît que l'auteur veut s'arrêter
après la prochaine. Qu'on enchaîne ce type à sa table
de travail.
LUNDI.
TV. Human Nature (Michel Grondy,
USA/France, 2001 avec Patricia Arquette, Rhys Ifans, Tim Robbins, Rosie
Perez, Mary Kay Place; diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Une naturaliste et un chercheur rencontrent un homme des bois et entreprennent
de lui faire découvrir les bienfaits de la civilisation.
On attendait beaucoup du nouveau scénario de Charlie Kaufman, l'auteur
de Dans la peau de John Malkovich. La déception est à
la hauteur de l'attente avec cette fable molle qui remet au goût
du jour le mythe du bon sauvage. Les meilleurs moments sont ceux qui sont
consacrés au bon gros comique, quand la créature des bois
ne peut réfréner ses pulsions sexuelles au contact des femmes
que lui fait découvrir la civilisation. Reste qu'on gardera en
mémoire la vision de Patricia Arquette à poils, puisqu'elle
incarne une naturaliste qu'un dérèglement hormonal a pourvue
d'une pilosité envahissante.
MARDI.
TV. Les Innocents aux mains sales
(Claude Chabrol, France, 1974 avec Romy Schneider, Rod Steiger, Paolo
Giusti, Jean Rochefort; diffusé sur TV5 en juillet 1999).
Louis et Julie Wurmser vivent dans une somptueuse villa de Saint-Tropez.
Julie tombe amoureuse de leur jeune voisin. Les deux amants décident
d'éliminer le mari.
Chabrol a adapté assez fidèlement un Série Noire
de Richard Neely paru deux ans plus tôt, se contentant de déplacer
l'action de la Californie à la Côte d'Azur. On y trouve le
triangle classique mari-femme-amant dont le premier élément
doit disparaître. La patte de Chabrol se trouve dans le fait qu'aucun
des personnages n'est présenté sous un jour sympathique.
Les êtres sont gouvernés par leurs appétits sexuels
ou par l'appât du gain. Romy Schneider joue comme d'habitude sur
le registre de la grande bourgeoise énigmatique.
Curiosités. C'est fou ce que Rod Steiger ressemble à Jean
Richard.
L'avocat Seth Spiegal du livre, interprété par Jean Rochefort,
s'appelle dans le film maître Légal. Un bon point de départ
si l'on veut s'intéresser aux aptonymes cinématographiques.
MERCREDI.
TV. Simon le Juste (film TV
de Gérard Mordillat, diffusé ce jour sur France 2).
Simon est un inspecteur du travail épris de justice, toujours en
mouvement pour mettre fin aux agissements des employeurs qui en prennent
à leur aise avec le Code du Travail. Je pratique très rarement
le genre téléfilm français mais ici, le nom de Gérard
Mordillat m'a attiré. D'autant que l'on aperçoit dans une
scène de comité d'entreprise ses complices des Papous Hervé
Le Tellier et Jacques Jouet qui jouent avec conviction des délégués
du personnel. A part ça, il faut bien dire que cette œuvre ne laissera
pas un souvenir impérissable même si on a plaisir à
retrouver, dans l'environnement familial de Simon et dans ses convictions,
l'univers du Mordillat de Vive la sociale ! et de Rue des Rigoles.
JEUDI.
Courrier. Je reçois un CD de
Mary Gauthier et des nouvelles de l'Aveyron. J'envoie des coupures à
Y. et à l'AGP.
Cinéma. Respiro (Emanuele
Crialese, France/Italie, 2002 avec Valeria Golino, Vincenzo Amato, Veronica
D'Agostino, Francesco Casisa, Filippo Pucillo).
Un village de pêcheurs au sud de la Sicile. Grazia a trois enfants,
un mari et un mode de vie décalé qui attire les regards
et les reproches. On essaie de l'envoyer à Milan pour y soigner
ses nerfs.
Avec peu de choses, principalement du soleil, de l'eau et des couleurs,
Crialese a réalisé une chronique très séduisante
qui a probablement des antécédents dans le cinéma
italien mais qui évoque aussi le cinéma de Robert Guédiguian.
C'est une ode à la famille, une famille atypique ici dont l'élément
central, Grazia, choque la communauté par sa façon sensuelle
et libre de vivre. Les enfants y rejouent la Guerre des boutons,
les petits frères veillent jalousement sur les fréquentations
de leurs grandes sœurs et les Vespa bourdonnent. Il y a peut-être
du cliché dans tout ça mais Crialese ne force jamais le
trait et dépeint avec beaucoup de respect chacun de ses personnages.
Beau dernier plan sur une forêt de jambes qui s'agitent sous l'eau.
VENDREDI.
TV. Storytelling (Todd Solondz,
USA, 2001 avec Selma Blair, Leo Fitzpatrick, Robert Wisdom; diffusé
sur Canal + en janvier 2003).
Fiction : un étudiant handicapé est humilié en classe
par son professeur.
Nonfiction : un documentariste tourne un film sur les adolescents au collège.
Rien ne relie ces deux histoires, si ce n'est peut-être qu'elles
se terminent toutes deux par une vengeance, du point de vue thématique.
En revanche, la façon de filmer, le regard, sont bien les mêmes
d'une histoire à l'autre. Solodz appartient à cette école
de cinéma américain indépendant mise à l'honneur
chaque année au Festival de Sundance et qui donne des films bâtis
sur des scénarios assez lâches, servis par des acteurs peu
connus (même si ici John Goodman fait une composition réjouissante)
et souvent intéressants. C'est le cas ici. Dans Fiction, Solondz
s'en prend avec férocité aux cours de "creative writing"
des universités américaines. Dans Nonfiction, c'est la famille
américaine qui sert de cible dans un jeu de massacre efficace.
Le goût de Solondz pour l'absurde et l'humour noir valent le déplacement.
SAMEDI.
Vie familiale. Les parents de Caroline
partent en vacances et nous laissent leur chien en pension. Voilà
qui va me mettre d'humeur charmante toute la semaine.
Vie automobile. Un vendeur d'autos
d'occasion nous fait signer un bon de commande pour un véhicule
plus spacieux. C'est une des conséquences imprévisibles
du nouvel emploi du temps de Caroline qui s'était contentée
jusque là de consacrer son jour de congé hebdomadaire au
renouvellement de la garde-robe des filles et qui hier s'est attaquée
à la vétusté et à l'exiguïté de
notre parc automobile. Comme le vendeur s'appelle David Douillet, on peut
croire en la robustesse des véhicules qu'il propose à la
vente.
Vie sociale. Nous ossobuccons en compagnie
des G. et des C. qui ont bravé la neige pour l'occasion.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°97 - 9 février 2003
DIMANCHE.
TV. Le Comptoir (Sophie Tatischeff,
France, 1998, avec Mireille Perrier, Christophe Odent, Maurane, Jacques
Penot, Isabelle Habiague; diffusé sur Canal + en octobre 1999).
En 1975, deux jeunes Parisiennes qui séjournent en Bretagne achètent
un comptoir de bistrot fabriqué en 1912 et l'installent chez elles.
Les villageois prennent l'habitude de se réunir autour du comptoir.
L'ancienne propriétaire du café plonge dans son passé.
Autour de ce meuble convivial, Sophie Tatischeff (fille du grand Jacques)
filme une chronique familiale très classique, construite sur une
série de retours en arrière qui nous conduisent de la Première
Guerre Mondiale aux années 70. Sur fond de Bretagne rurale se déroule
l'histoire de Marie, la tenancière du café, courtisée
par plusieurs hommes. On suit son histoire sans passion, mais sans ennui.
Les scènes "modernes" sont les plus intéressantes
: le maison des deux jeunes femmes se transforme peu à peu en café,
fait revivre le village, renoue les liens entre les gens. Le cadre et
le côté bohème des personnages rappellent les films
que Manuel Poirier a tournés dans la région.
Lecture. Blanc comme neige
(Right As Rain, George P. Pelecanos, 2001, traduit de l'américain
par François Lasquin et Lise Dufaux, Éditions de l'Olivier,
coll. Soul Fiction, 2002).
Derek Strange habite à Washington. Il est noir. Après avoir
quitté la police, il a pris une licence de détective privé.
Il emploie un enquêteur, Ron Lattimer, et une secrétaire,
Janine, qui est aussi sa petite amie. Il est croyant et pratiquant, rend
régulièrement visite à sa mère à l'hospice,
possède un chien nommé Greco, aime les musiques d'Ennio
Morricone et la soul des années 60-70. Mme Wilson l'engage pour
qu'il enquête sur la mort de son fils, un flic tué par un
de ses collègues.
Pelecanos commence à faire parler de lui en France, même
hors de la sphère des spécialistes du polar (Le Magazine
littéraire lui a consacré un long entretien l'été
dernier). Son héros, Derek Strange, apparaît dans tous ses
livres qui arrivent chez nous traduits dans le désordre. Il réunit
sur lui un bon nombre de clichés attachés au personnage
du privé, ce qui n'est pas gênant dans la mesure ou ça
change un peu de ces auteurs qui cherchent à créer des personnages
forcément originaux. Strange aime la musique, les voitures, donne
son opinion sur les problèmes de société, il appartient
à son monde, à son époque et ne cherche pas à
s'en démarquer.
Son monde, c'est Washington, la capitale des États-Unis, une ville
qu'on a peu l'habitude de voir mise à l'honneur. Dans les 124 livres
étudiés dans mon Atlas de la Série Noire, Washington
apparaît 15 fois, mais presque toujours sous forme métonymique
("J'ai téléphoné à Washington pour obtenir
l'autorisation d'intervenir"), jamais comme cadre de l'action. Chez
George Pelecanos (appelons-le George Pelec, ça ira plus vite),
Washington existe, il y vit, c'est une vraie ville avec des cafés,
des noms de rues, des quartiers, ce n'est pas qu'un siège administratif.
Et la réalité de Washington, c'est celle d'une ville aux
deux tiers habitée par des Noirs, dont 80% ont déjà
eu des ennuis avec la police ou la justice, c'est la violence, la drogue,
la misère. Dans cet univers, Derek Strange se débat, essaie
de servir la justice à sa faible échelle. Comme l'intrigue
policière est en plus bien menée et intéressante,
il est probable que je n'en ai pas fini avec George Pelec.
LUNDI.
Vieux jours. Le premier ministre Raffarin
parle des retraites devant le Conseil Économique et Social. Comme
à son habitude, il ne s'engage guère mais l'augmentation
de la durée des cotisations semble inévitable. Ça
m'embête, et pas qu'un peu. Depuis l'an passé, j'ai abandonné
toute ambition de rapprocher mon lieu de travail de mon domicile et, à
moins d'une mise à pied ou d'un décès prématuré,
je finirai donc mon activité professionnelle - je pourrais dire
"carrière", mais dans mon cas ce serait déplacé
- dans l'établissement où j'exerce actuellement. Établissement
que je ne peux atteindre que par la voie automobile. Or j'ai constaté
que, du fait de l'augmentation conjointe de la circulation et de mon appréhension
au volant, je conduisais de moins en moins vite. Comme tout le monde,
j'ai commencé par rouler au-delà des limites imposées
mais aujourd'hui, sur la portion limitée à 110 km/h que
j'emprunte, je ne dépasse jamais le 100. J'estime ma perte de vitesse
à 5 km/h par an. Si je prends ma retraite à 60 ans, je finirai
à 20 à l'heure. Ce n'est pas très rapide, mais avec
un emploi du temps resserré - privilège de l'âge -
ça peut se faire. En revanche, si je suis obligé de travailler
jusqu'à 65 ans, il arrivera fatalement un jour où j'atteindrai
une vitesse NÉGATIVE. Là, le problème me semble insoluble.
J'hésite à faire part de mes réflexions au ministre
des Affaires Sociales.
TV. Les Rois mages (Bernard
Campan et Didier Bourdon, France, 2001 avec Didier Bourdon, Bernard Campan,
Pascal Légitimus; diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Les rois mages sont téléportés en l'an 2001. Réunis
à Paris, ils recherchent l'étoile qui les mènera
auprès de Jésus.
Des personnages du passé projetés dans une époque
moderne, des auteurs et acteurs qui n'ont pas toujours brillé par
leur finesse, un film qui louche ouvertement sur le succès des
Visiteurs : il y avait beaucoup à redouter des ces Rois
mages. Eh bien non, ce n'est pas si mauvais que ça, c'est une
bonne surprise. A la différence de ce qu'on voyait justement dans
Les Visiteurs, chaque objet ou personne rencontrés par les
personnages hors de leur époque n'est pas prétexte à
un affrontement : les rois mages s'étonnent peu de ce qu'ils trouvent
sur leur chemin, ils intègrent facilement les éléments
de leur nouvel environnement. Pour eux, un Noir est un Numide, un Arabe
un Sarrasin, les bouteilles du mini-bar de l'hôtel contiennent des
onguents, un chauffeur de bus est un aurige et ainsi de suite. Ils apportent
un message de paix, des notions de tolérance et d'hospitalité
qui surprennent, on s'en doute, les gens qu'ils rencontrent. C'est donc
plutôt sympathique, et à certains moments franchement drôle.
Le problème, c'est qu'au bout d'une heure on a fait le tour de
sujet et que le film s'étire et ennuie dans son dernier tiers (passage
des rois mages à la télévision, découverte
d'un bébé abandonné dans les couloirs du métro).
MARDI.
Presse. Belle
dépêche trouvée dans Le Monde du jour : "Un automobiliste
ivre, sous l'emprise du cannabis, qui conduisait sans permis une voiture
volée a été écroué, dimanche 2 février,
pour son implication dans un accident mortel, la veille, à Avignon."
Si, en plus, il chantonnait au moment de son arrestation une version parodique
de La Marseillaise, il n'est pas près de revoir le jour...
TV. Misery (Rob Reiner, USA,
1990, avec James Caan, Kathy Bates, Frances Sternhagen, Lauren Bacall;
diffusé sur Téva en ?).
Un écrivain à succès est séquestré
par une de ses admiratrices dans une maison du Colorado isolée
par la neige.
Où l'on découvre une forme d'écriture à contrainte
sur laquelle à ma connaissance l'Oulipo ne s'est jamais penché
: la contrainte physique. Annie Wilkes, l'admiratrice, force Paul Sheldon,
l'écrivain, à écrire un nouveau livre, l'enferme
chez elle et lui casse les pieds. Au sens propre, avec une masse. C'est
un huis-clos bien fait et captivant, filmé sans génie mais
avec un certain savoir-faire. Dans le rôle d'Annie, Kathy Bates
fait une composition vraiment inquiétante qui lui valut un Oscar.
L'histoire est tirée d'un roman de Stephen King, souvent bien servi
par le cinéma (Christine, Shining). Dans le rôle du
shérif local, on trouve Richard Farnsworth qui allait plus tard
connaître la célébrité en conduisant une tondeuse
à gazon pour David Lynch (Une histoire vraie) avant de se
donner la mort. Au générique, on trouve aussi un cascadeur
nommé James Dean et, comme directeur de la photographie, Barry
Sonnenfeld, futur réalisateur de Men In Black.
Lecture. La dernière phrase
(David McNeil, Gallimard, nrf, 1999).
A son troisième livre, l'univers de David McNeil est maintenant
clairement reconnaissable. Ses personnages, à la limite de la folie
(limite intérieure, plutôt) délirent gentiment d'une
obsession à l'autre (ici celle des tétons, déjà
présente dans une chanson de McNeil), débitent de longues
phrases pleines de digressions, de coq-à-l'âne, de sinuosités,
d'énumérations, de noms de lieux, de personnes, de marques
qui ont souvent un certain charme (mais parfois mal orthographiés
: Dallio pour Dalio, Vuiton pour Vuitton, Danny Kay pour Danny Kaye).
Ce livre poursuit donc la voie entamée avec Lettres à
Mademoiselle Blumenfeld et Si je ne suis pas revenu dans trente
ans prévenez mon ambassade avec une ambition poétique
supplémentaire puisque McNeil semble avoir suivi une contrainte
d'écriture en alexandrins plus ou moins lâches, comme le
montre cet extrait : "En rentrant du travail le chef du personnel
a reconnu les fleurs destinées à sa rousse dans un vase
en cristal posé sur la console, après quelques menaces,
une fessée, une douche froide, sans doute deux ou trois choses
que la morale réprouve et les canards aussi, la fragile créature
a dû lui avouer que parfois en semaine elle voyait un livreur, j'étais
le seul livreur livrant dans le quartier, alors convocation."
MERCREDI.
Emplettes. J'achète des volumes
de Cendrars et Malcolm Lowry, plus un essai vanté à quelques
jours d'intervalle par Le Canard Enchaîné et par A.Z.
Vie familiale. Les filles cassent
un peu de Daum en début d'après-midi, ce qui me décide
à aller les aérer un brin. Luge et bonhomme de neige au
programme.
Cinéma. Rire et Châtiment
(Isabelle Doval, France, 2002 avec José Garcia, Laurent Lucas,
Isabelle Doval, Benoît Poelvoorde, Véronique Picciotto, Philippe
Uchan, Judith El Zein, Marie Mergey).
Vincent est un ostéopathe envahissant, fêtard, bavard, soûlant.
Le soir où sa femme le quitte, il s'aperçoit que son rire
peut tuer des gens autour de lui.
José Garcia est certainement un bon acteur, doté d'un beau
potentiel comique. Celui-ci est malheureusement stérile dans ce
film où il s'agite en vain pour essayer de remuer une mécanique
qui tourne à vide. La réalisatrice oscille entre la comédie
sentimentale, la remise en cause d'un personnage qui cherche à
reconquérir un amour perdu et le film noir parodique sans convaincre
dans aucun des genres. Heureusement, Garcia a sur la fin quelques scènes
avec Benoît Poelvoorde (ils étaient déjà en
tandem sur Le Vélo de Ghislain Lambert), une autre réelle
force comique qui, avec très peu de place, s'exprime de façon
plus convaincante.
JEUDI.
Cinéma. Batman (Tim
Burton, USA, 1989 avec Michael Keaton, Jack Nicholson, Kim Basinger, Robert
Wuhl; vu dans le cadre de l'opération Collège au cinéma).
Gotham City. Le crime règne dans la ville. Batman, un mystérieux
homme chauve-souris, joue les justiciers.
Le genre heroic fantasy auquel appartient le film n'est pas celui
que je préfère. Aussi, l'ennui que j'ai ressenti à
sa vision n'est peut-être pas mérité. Car il n'y a
rien à dire sur l'emballage, le soin avec lequel Tim Burton a donné
chair à ces personnages de bande dessinée pour une histoire
classique de lutte entre le bien et le mal. Mal incarné par le
personnage de Joker qui donne à Jack Nicholson l'occasion de s'amuser
comme un fou et de faire de l'ombre à ses partenaires.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et à l'AGP.
Toile. J'achève, un peu en
retard sur la chronologie religieuse, la lecture du calendrier de l'Avent
concocté par Hervé Le Tellier et Xavier Gorce. Un petit
bijou qu'on peut de toute façon aussi bien lire en plein Carême,
rempli de trouvailles, de curiosités scientifiques et littéraires,
disponible, pour les amateurs, sur http://www.inzemoon.com/monde/test/numeriks
(après chargement - gratuit - de Flashplayer via http://www.macromedia.com/downloads).
Cinéma. Gangs of New York
(Martin Scorsese, USA, 2002 avec Daniel Day-Lewis, Leonardo DiCaprio,
Cameron Diaz, Jim Broadbent, Liam Neeson, Brenda Gleeson, John C. Reilly,
Henry Thomas).
1862, New York. Le jeune Amsterdam sort d'une maison de correction bien
décidé à venger son père, assassiné
par le chef de gang des "natifs" de la ville, Bill le boucher.
Pour Scorsese, New York, c'est toujours la jungle (voir son film précédent
A tombeau ouvert). C'était même la jungle dans la
deuxième moitié du XIX° siècle. Il filme le quartier
de Five Points, où s'affrontent continuellement les gangs du titre
(natifs, Irlandais et autres) comme une sorte de Cour des Miracles où
règne la violence. Je ne sais ce que vaut l'interprétation
historique de Scorsese (je n'avais jamais entendu parler des émeutes
populaires contre la conscription censitaire qui occupent la dernière
partie du film) mais là n'est pas le problème : l'histoire
américaine a assez souvent été mythifiée et
déformée en ce qui concerne son côté rural,
avec les westerns, pour qu'on accepte le même traitement pour son
côté urbain. Le problème, c'est que 2 heures 50, c'est
bien long pour une histoire de vengeance banale qui ne parvient jamais
à passionner. Les vociférations de Day-Lewis et la belle
bouille de DiCaprio ne meublent pas un film. Les morceaux de bravoure,
un combat de boxe, les affrontements entre gangs rivaux, une pendaison,
les émeutes précitées n'y changent rien : beaucoup
de travail, beaucoup de soin, beaucoup de figurants, beaucoup d'argent,
mais pas d'âme.
VENDREDI.
Obituaire. Le Monde fait part de la
mort de Mowgli Jospin, demi-frère de l'ancien premier ministre,
survenue mardi, soit la veille de la sortie du Livre de la Jungle 2.
"Je me souviens d'un musicien de jazz qui s'appelait Mowgli Jospin."
(Georges Perec, Je me souviens, JmS n° 343)
Courrier. Joël Henry, animateur
du Latourex (Laboratoire de Tourisme Expérimental) m'envoie sa
dernière création : un revue de 32 pages de 7 cm sur 5,
que La Poste a tout de même distribuée.
TV. Insomnies (Chasing Sleep,
Michael Walker, USA, 2000 avec Jeff Daniels, Emily Bergl, Gil Bellows;
diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Ed Saxon ne peut plus trouver le sommeil : sa femme a disparu et le monde
se détraque autour de lui.
Belle réussite que ce premier film dans lequel on ne quitte pas
la maison d'Ed Saxon une seconde. Le monde extérieur n'existe que
par l'intermédiaire du téléphone et des visiteurs
reçus par Saxon (une de ses élèves, les enquêteurs
qui cherchent sa femme et quelques autres). Avec des mouvements de caméra
glissants et des zooms intelligents, Michael Walker construit un huis-clos
inquiétant où le dérèglement de Saxon devient
contagieux. La maison se délabre au même rythme que l'état
mental du personnage : gouttières, fuites, conduites bouchées,
murs envahis par l'humidité, l'élément liquide est
omniprésent. Rêves, fantasmes, psychose, hallucinations,
perte de repères, le monde d'Insomnies n'a rien de confortable
mais exerce une fascination qui doit beaucoup à David Lynch.
SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
TV. Les Sorcières d'Eastwick
(The Witches of Eastwick, George Miller, USA, 1987 avec Jack Nicholson,
Cher, Susan Sarandon, Michelle Pfeiffer; diffusé sur RTL 9 en ?).
Un inconnu arrive dans la petite ville d'Eastwick, Nouvelle-Angleterre,
et séduit trois jeunes femmes. Son attitude est jugée scandaleuse
par la communauté.
Cet inconnu, c'est un envoyé du démon, celui par qui le
scandale arrive, qui libère les fantasmes et soulève le
carcan des bonnes mœurs. Je ne sais ce que vaut le livre de John Updike
qui est à la source du film. George Miller s'est contenté
de rassembler, autour d'un Nicholson cabotinant, trois valeurs féminines
du box-office et d'aligner les scènes tantôt comiques (ou
voulues telles) tantôt effrayantes avec la même platitude.
Et ça dure deux heures.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°98 - 16 février 2003
DIMANCHE.
Informatique. Impossible de relire
ma contribution aux Cahiers du LIS (Laboratoire d'Inventions Scientifiques)
que H.M. me renvoie pour correction éventuelle sur un fichier Word :
Word m'est depuis deux semaines inaccessible, la machine se coince dès
que j'essaie d'ouvrir un de mes dossiers. Ça m'embête, j'ai
là-dessus quelques écrits qu'il me fâcherait de perdre.
Radio. Fin de l'écoute de La
Montagne magique en feuilleton radiophonique enregistré cet
été. Magnifique.
TV. Foutaises (Jean-Pierre
Jeunet, France, 1989 avec Dominique Pinon; diffusé sur Canal +
en septembre 2002).
L'influence de Perec qu'on avait pu déceler dans Le fabuleux
destin d'Amélie Poulain n'était pas une nouveauté
chez Jeunet. C'est ce que prouve ce court-métrage qui fut tourné
avant Delicatessen, son premier long. Jeunet illustre une série
de "J'aime... Je n'aime pas..." énoncés par Dominique
Pinon, exercice auquel s'était livré Perec dans L'Arc
en 1979 et qui sera repris en ouverture d'Amélie Poulain. On y
trouve des éléments qui font partie de l'énumération
de Perec (la Tour Eiffel, la radio...), une allusion à La Vie
mode d'emploi ("J'aime croquer les oreilles des petits-beurres")
et, pour que les choses soient bien claires, la phrase "J'aime retrouver
du sable entre les pages d'un livre" est illustrée par un
plan des pages 88 et 89 de Je me souviens. Il y a aussi cette phrase,
"Je n'aime pas les barbus sans moustache", qui me dit quelque
chose sans que je retrouve d'où elle provient.
LUNDI.
Courriel. A.N. me fait part de ses
avis divergents sur Scorsese et Les Sorcières d'Eastwick.
Courrier. Une carte postale de La
Garenne-Colombes et un CD de Rudy Vallée "and his famous World
War II US Coast Guard Band". Si j'en crois les informations, il est
temps de se mettre aux musiques martiales.
Lecture. "Des psychologues sont sur place..."
(Jacques Gaillard, Mille et une nuits, 2003)
Essai.
Jacques Gaillard étudie avec un œil aigu et amusé ce qu'il
appelle la "rhétorique des catastrophes", à savoir
le discours et les actes qui accompagnent aujourd'hui l'annonce d'une
inondation, d'un crash aérien, d'un tremblement de terre. Il relève
la popularité soudaine de certaines expressions comme "travail
de deuil", de certaines phrases comme celle qu'il a choisie pour
titre (en relevant que lesdits psychologues ne sont jamais "en route",
encore moins "arrivés", mais toujours "sur place"),
souligne l'ambiguïté de la tournure "couvrir un événement"
qui procède aussi bien de la dissimulation que du dévoilement.
La présence de ces brigades de psychologues montre que le survivant
est désormais considéré comme autant sinon plus important
que la victime décédée ou disparue qui a le tort
de ne plus pouvoir s'exprimer devant un micro : "les chiens écrasés
restent ce qu'ils sont, mais on spécule sur la façon dont
leur maître se remettra de l'accident". Le deuil n'est plus
une affaire personnelle mais une sorte de "travail d'intérêt
collectif" pratiqué devant témoin. Le statut de la
catastrophe s'est aussi transformé. On refuse la fatalité,
la malchance : "le malheur est injuste parce que le bonheur est devenu
un droit". Il faut un responsable, avec un compte en banque garni
pour passer à la phase suivante : le procès.
Gaillard voit juste, démonte habilement la construction médiatique,
met à nu les rouages de la mise en scène. En le lisant,
on apprend pourquoi les images des habitations inondées montrent
toujours un congélateur hors d'usage et pourquoi "une chapelle
ardente sans plantes vertes n'est pas prise au sérieux".
Un regret : le travail bâclé de l'éditeur qui laisse
passer une ribambelle de fautes et coquilles (en vrac : la Tchéchénie,
un symbôle, l'imbécilité, sussurrer, le métro
Couronne, Steeve McQueen, la possibilté, les brancarts...).
MARDI.
Courrier. M. envoie le dépliant
concernant notre résidence de vacances savoyardes. Où l'on
commence à regretter la confiance et les tarifs autrichiens.
TV. Destination : Graceland
(3000 Miles to Graceland, Demian Lichtenstein, USA, 2001 avec Kevin
Costner, Kurt Russell, Courteney Cox; diffusé sur Canal + en janvier
2003).
Deux ex-taulards braquent un casino à Las Vegas et s'affrontent
pour le partage du butin.
Le film est sorti en France le 1° août 2001 et illustre parfaitement
la politique des distributeurs qui profitent de la saison creuse pour
vider leurs fonds de tiroir. Cette course-poursuite qui nous mène
de Las Vegas à Seattle est de bout en bout sans intérêt.
Le braquage et l'affrontement final sont d'un tape-à-l'œil affligeant
(Lichtenstein vient du domaine du clip et de la publicité). On
peut s'interroger sur le tour que Costner est en train de donner à
sa carrière.
MERCREDI.
Vie familiale. Les filles sont calmes.
Seule une lampe halogène tombe au champ d'honneur.
Obituaire. Mort d'Edmond Robaye, un habitué de la [listeoulipo]
qui signait ses messages Abdomen de Roy. Je ne le connaissais que par
web-dire, mais cette disparition électronique crée une drôle
de sensation.
Cinéma. Une couple épatant
(Lucas Belvaux, France, 2002 avec Ornella Muti, François Morel,
Valérie Mairesse, Bernard Mazzinghi, Dominique Blanc, Gilbert Melki,
Catherine Frot, Lucas Belvaux).
Grenoble. Patron d'une petite entreprise, Alain est persuadé que
ses jours sont comptés. Sa femme Cécile se demande ce qu'il
lui cache.
C'est le premier volet d'une trilogie dont les trois éléments,
qui rassemblent les mêmes personnages, sont sortis simultanément.
Premier volet qui laisse perplexe. Les angoisses d'Alain, qui se transforment
en une belle paranoïa, servies par l'interprétation de François
Morel (tendance Bernard Menez) tirent le film du côté de
la comédie. On n'oubliera pas la scène où il émerge
d'un champ de maïs, comme Cary Grant dans La Mort aux trousses,
avec bruit d'avion en prime. Du côté d'Ornella Muti, c'est
autre chose, c'est le récit d'un couple que l'usure du temps commence
à faire vaciller. Il y a aussi les enfants, un flic (Melki, qui
élargit son registre avec talent) qui vit avec une morphinomane,
un médecin ami d'Alain qui convoite Cécile... L'action qui
se déroule aux quatre coins de la ville dans un temps limité
passe d'un personnage à un autre, tisse des liens au gré
des rencontres et des coïncidences. Belvaux refait ici avec Grenoble
ce que Pascal Thomas avait fait avec Nantes dans Mercredi folle journée
! On ne sait pas très bien où l'on va et il faudra attendre
de voir les deux autres parties du triptyque pour se faire une idée
plus précise du projet du réalisateur.
JEUDI.
Bougies. Anniversaire de mariage.
Le temps des confidences. Celle que Caroline me fait me surprend un peu
: "Je ne t'ai jamais vu courir." Pourtant, il me semblait qu'une
fois, pour attraper un bus... Mais c'était il y a longtemps et
il n'y avait sans doute pas de témoins.
Cinéma. Arrête-moi
si tu peux (Catch Me If You Can, Steven Spielberg, USA, 2002
avec Leonardo DiCaprio, Tom Hanks, Christopher Walken, Nathalie Baye,
Aly Adams, Jennifer Garner, James Brolin).
Dans les années 60, Frank Abagnale quitte à 16 ans le domicile
familial après le divorce de ses parents. Il passe maître
dans l'art de falsifier les chèques, se fait successivement passer
pour un co-pilote de la Pan Am, un médecin et un avocat. Carl Hanratty,
agent du FBI, fait de la traque de Frank sa mission prioritaire.
Retrouvailles avec Spielberg dont j'avais délaissé les récentes
incursions dans la science-fiction, (A.I., Minority Report).
Avec ce film, il pend au clou sa blouse grise de professeur d'histoire
(Schindler, Ryan) pour redevenir tout simplement un raconteur d'histoire.
Et c'est un véritable bonheur. Le thème de la traque d'un
homme aux identités multiples est souvent bien traité par
le cinéma (Plein soleil de René Clément),
on parle d'ailleurs aujourd'hui d'une éventuelle adaptation de
la vie de l'escroc Rocancourt, actuellement emprisonné à
Vancouver après une cavale pas très éloignée
de celle de Frank Abagnale. Dans le rôle du chasseur, Tom Hanks
se montre une nouvelle fois le roi de la composition, DiCaprio est bien
meilleur que chez Scorsese et tous les seconds rôles sont intéressants.
Deux heures vingt de film et pas un temps mort, de l'aventure, de l'humour,
bref du cinéma narratif qui prend le spectateur par la main et
le tient captif. Une merveille.
VENDREDI.
Courrier. Je reçois le dernier
disque de Sinéad O'Connor.
Saint-Valentin. Départ pour
Paris par le 19 h 36.
Lecture. Les Revenentes (Georges
Perec, Julliard 1972, rééd. La Pochothèque, coll.
Classiques modernes, Le Livre de Poche 2002, édition établie
et présentée par Bernard Magné).
Relecture.
L'œuvre romanesque de Perec peut être vue comme une série
de couples : la fantaisie de Quel petit vélo...? répond
au sérieux sociologique des Choses, Un cabinet d'amateur
reprend des scènes de La Vie mode d'emploi et, bien sûr,
Les Revenentes, roman monovocalique en e, renvoi à
La Disparition où cette voyelle n'apparaissait jamais. Deux
choses à remarquer à l'occasion de cette relecture. Premièrement,
le débridement de l'écriture (au fil du texte, Perec prend
de plus en plus de libertés avec la norme pour caser ses e : "le
feedèle secrétère reste renségné des
fêts et gestes de l'évêqe"; "le ventre d'Hélène
est tellement bègné de sperme que l'étancher demanderè
des serpeehères !") accompagne celui de l'action et celui
des sens (le livre se termine par une partouze, un "pense-fesses"
qui donne à réfléchir sur la prétendue "pudeur
de Perec" traitée par David Bellos). Autre chose notable :
la liberté que prend l'auteur (je pense que Magné a respecté
son manuscrit) avec les accents : Genêt (l'auteur), pénêtre,
émèt, frèle, décrête, prètres,
règner, empèche, rêglé...
SAMEDI.
Vie parisienne. Séminaire Perec
à Jussieu. Peter Ronge, un Allemand plutôt jovial, tente
d'inscrire Les Revenentes dans le sillage d'Etiemble, en réaction
à son Parlez-vous franglais ?, ce qui laisse l'assemblée
dubitative. Marcel Bénabou joue son rôle de Grand Témoin
et explique sa perplexité à l'aide de quelques rappels historiques.
Ronge est plus convaincant quand il établit le parallèle
entre la trame des Revenentes et celle de L'Histoire de Juliette
de Sade, et plus intéressant quand il évoque sa traduction
du roman (devenu Dee Weedergenger), des difficultés qu'il a rencontrées
et des subterfuges qu'il a imaginés pour y remédier. Bernard
Magné répond à mes interrogations au sujet des accents
: Perec les utilisait de façon très lâche, la version
originale des Revenentes était pleine de fautes d'accents,
fautes qu'il a préféré conserver dans le volume Pochothèque.
David Bellos est présent, quelques jours seulement après
la sortie du n° 7 des Cahiers Georges Perec dont l'essentiel est consacré
à une critique de sa biographie, Georges Perec, une vie dans
les mots.
J'achète deux Série Noire cartonnés rue du Cardinal-Lemoine.
C'est l'ouverture du Tournoi des Six Nations, un jour à dévorer
du rosbif. Je tortore un tartare au Petit Cardinal et abats mes quatre
heures de travail à la Bibliothèque des Littératures
Policières. Retour au Petit Cardinal pour une mi-temps d'Angleterre-France.
Boulevard Saint-Germain, je me mêle un moment aux manifestants anti-guerre,
feuillette les Cahiers Georges Perec à La Hune, récupère
un stylo en réparation rue de Rennes, achète des bricoles
aux filles au Bon Marché et regagne ma chambrette, les nougats
un rien échauffés. Je m'amuse beaucoup à la Brasserie
de l'Est où, à la table voisine de la mienne, deux couples
de grands voyageurs disent tout le mal qu'ils pensent des Vosges en général
et d'Épinal en particulier.
Bonne semaine.
N.B. Mon
ordinateur entre demain en clinique, me condamnant au mutisme électronique
pour un temps indéterminé.
Notules
dominicales de culture domestique n°99 - 23 février 2003
DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Je suis au
Louvre à l'ouverture. Pas de queue, salles désertes : les
citoyens de l'Empire du Soleil-Levant ne sont pas encore levés.
La sagesse et l'état de mon dos me font prendre l'option homéopathie
: une petite heure, une demi-douzaine de salles. Je choisis au hasard
celles consacrées à la peinture hollandaise du XVII°
(aile Richelieu, 2° étage, salles 34 à 39). En
vedette, Vermeer, bien sûr. Découvertes : les toiles de Gabriel
Metsu, un Marché aux herbes et un Déjeuner de
harengs, un Maître d'école de A. Van Ostade, et,
d'une façon générale, les scènes d'intérieur
(toujours éclairées par la gauche) remplies de détails
comme ce Savant alchimiste au travail d'un certain Th. Wick. Je
ne retrouve pas les Pantoufles de Samuel van Hoogstraten découvertes
lors d'une précédente visite et qui devraient pourtant se
situer dans le secteur.
Je rejoins Saint-Germain-des-Prés par le pont du Carrousel, le
quai Malaquais et la rue Bonaparte et précède de peu Claude-Jean
Philippe au Café du Métro, rue de Rennes.
Cinéma. Le Roi (Pierre
Colombier, France, 1936 avec Victor Francen, Raimu, Gaby Morlay, Elvire
Popesco, André Lefaur, Frédéric Duvallès,
Hélène Robert; vu dans le cadre du ciné-club de Claude-Jean
Philippe à l'Arlequin, rue de Rennes).
Le roi de Cerdagne effectue une visite officielle en France où
les aventures sentimentales l'intéressent plus que les affaires
politiques.
Il s'agit de l'adaptation d'un vaudeville à succès de Flers
et Caillavet qui égratigne gentiment les mœurs politiques de la
III° République. C'est, il faut le dire, un peu long et on
se lasse sur la fin de la diction "exotique" de Victor Francen.
Mais l'ensemble est très plaisant, semé de mots et de situations
convenus mais cocasses, et les acteurs savent faire partager leur plaisir.
Gaby Morlay jouait alors des rôles légers, avant que Le
Voile bleu de Jean Stelli ne vienne empeser sa carrière.
Le film, prévu pour durer une heure trois quarts environ, s'étire
bien au-delà de deux heures à cause d'une bonne douzaine
de coupures. Je profite d'une de celles-ci pour m'éclipser et mettre
le cap sur la gare de l'Est.
Lecture. Retour après la
nuit (Roses, Roses, Bill James, 1993, traduit de l'anglais
par Danièle et Pierre Bondil, Rivages/noir n° 310, 1998).
Colin Harpur est policier dans la grande banlieue de Londres. Sa femme
Megan est assassinée alors qu'elle s'apprêtait à le
quitter pour un autre homme.
Drôle de personnage que ce Colin Harpur : il ne dit quasiment pas
un mot de tout le livre, il n'est apprécié ni de sa famille
ni de ses collègues, il subit les événements plutôt
que d'essayer de peser sur eux à la manière d'un héros
de polar habituel. On peut trouver ça original, on peut trouver
ça aussi pesant et terne, ce qui est mon cas. Dans le polar britannique,
Bill James est loin derrière John Harvey.
Retour. Caroline et les filles viennent
me chercher à la gare dans la nouvelle auto.
LUNDI.
Frayeur. Appel alarmant de la crèche
à propos d'Alice, en difficulté respiratoire. Rien de grave,
en fait. Les responsables de la crèche ont tellement peur d'être
taxées d'imprévoyance qu'elles ont tôt fait d'alarmer
les populations.
TV. Le Costaud des Batignolles
(Guy Lacourt, France, 1951 avec Raymond Bussières, Annette Poivre,
Armand Bernard; diffusé sur CinéClassics en ?).
Jojo, livreur chétif, rêve de devenir une force de la nature.
Il s'aperçoit un jour que les baisers que lui prodigue sa fiancée
Nénette lui donnent une force herculéenne.
Le nanar dans toute sa splendeur, un modèle du genre. Scénario
inepte, personnages surjoués, son pourri, et on regarde ça
avec plaisir parce que la force nostalgique est bien présente,
parce que ce n'est pas tous les jours qu'on voit Raymond Bussières
en vedette, parce que ça permet, en une seule prise, de voir 50%
de l'œuvre cinématographique de Guy Lacourt qui, après ce
premier film, ne tournera plus ensuite que Mon frangin du Sénégal,
avec le même Bussières flanqué cette fois de de Funès.
A part ça on peut noter une citation de Branquignol au début
avec le gag de la pissotière, deux ou trois scènes qui font
sourire, le nom du champion du monde de boxe qu'affronte Jojo (Ray Sugar...
Crusoë) et cette réplique, au moment où des malfrats
(dont Pierre Mondy dans un de ses premiers rôles) font l'inventaire
d'un butin dérobé au cours d'un cambriolage :
"Un secrétaire Empire !
- Note un secrétaire tout court. On s'en fout de savoir en quoi
il est."
MARDI.
Informatique. Retour de l'ordinateur
en état de marche. Je ne comprends pas grand-chose aux explications
du clinicien mais ça ne semble pas très grave. Quoique dans
ce cas, vu mon ignorance, je suis peut-être dans la situation du
patient soulagé d'être admis en service d'oncologie alors
qu'il croyait souffrir d'un cancer. Tout est une question de langage...
MERCREDI.
Emplettes. J'achète un Pelecanos,
un essai sur la peinture, L'année 2002 dans Le Monde, une carte
routière de la Suisse et une vignette m'autorisant à vagabonder
sur son réseau autoroutier.
Cinéma. Cavale (Lucas
Belvaux, France, 2002 avec Catherine Frot, Lucas Belvaux, Ornella Muti,
Gilbert Melki, Patrick Descamps, Olivier Darimont, Alexis Tomassian).
Bruno s'évade de prison et retourne à Grenoble où
il veut se venger en supprimant l'homme qui l'a donné.
Bruno, on l'a aperçu dans deux scènes de Un couple épatant,
le premier film de la trilogie de Belvaux. C'est l'amant énigmatique
qu'Agnès (Dominique Blanc) cache dans un chalet des hauteurs grenobloises.
Du premier épisode, certains personnages ont disparu (exit François
Morel), remplacés par d'autres. Disparu aussi tout l'aspect comédie,
c'est ici à un film noir assez lourd qu'on a affaire. L'action,
rappelons-le, se déroule en même temps, ce n'est pas une
suite. On cherche donc à faire le lien entre les deux histoires,
ce qui n'est pas évident car les sutures sont assez subtiles. On
voit par exemple d'où vient le bruit d'hélicoptère
(j'avais cru un avion) qu'on entend dans le premier volet. On a du mal
à croire à l'histoire au début, à ce personnage
de clandestin un peu stéréotypé et Belvaux acteur,
dans un registre atonal, ne fait rien pour faciliter les choses. Et puis,
peu à peu, le personnage se dévoile, fascine et glace. C'est
un ancien gauchiste activiste, auteur d'attentats, à qui quinze
ans de prison n'ont rien ôté de sa détermination à
poursuivre la lutte. Sa course vers le néant le rapproche du Roberto
Succo de Cédric Kahn et finit par gagner l'intérêt
du spectateur.
Lecture. Au piano (Jean Echenoz,
Éditions de Minuit, 2003).
Max est un pianiste reconnu qui meurt de trac à chaque fois qu'il
doit jouer en public. Au retour d'un gala de bienfaisance, il meurt pour
de bon, attaqué par des voyous, ce qui ne signifie pas pour autant
la fin de son existence.
Echenoz a abandonné les trames policières présentes
dans ses premiers romans, jusqu'aux Grandes blondes. Il a gardé
son style, assez neutre, léger, et son goût pour le vocabulaire
recherché. L'histoire aussi est légère, plaisante
à suivre, souvent amusante. Echenoz fait du roman léger,
c'est un compliment.
Extrait. "Et vers sept heures et demie, l'un soutenant l'autre tant
bien que mal, ils descendaient doucement l'avenue de Messine en direction
de la salle Gaveau. Et à huit heures pile, après bien des
soucis pour faire tenir Max debout, Bernie le propulsa vers le piano selon
sa technique habituelle. De manière imprévisible, l'autre
marcha d'un pas ferme vers l'instrument bien que, dans sa vision troublée
par l'imprégnation, le clavier ne fût plus comme d'habitude
un simple maxillaire mais une authentique paire de mâchoires qui
s'apprêtaient cette fois, le plus sérieusement du monde,
à l'absorber pour le disloquer en le mastiquant. Or comme, à
peine apparut-il sur scène, la salle entière se dressait
pour l'acclamer, interminable Niagara d'applaudissements, plus vif encore
que la semaine dernière, comme l'ovation plus enthousiaste que
jamais se prolongeait sans faiblir, Max qui n'avait plus toute sa tête
crut pouvoir en déduire que le concert était fini. Il salua
donc profondément le public à plusieurs reprises avant de
retourner d'un pas non moins ferme vers la coulisse sous le regard horrifié
de Parisy - mais, ni une ni deux, Bernie reprit aussitôt Max par
les épaules et le retourna sur lui-même et, d'une robuste
poussée, le renvoya vigoureusement sur scène et allez :
sonate."
On pense à Paul Gonsalves, saxophoniste ténor chez Duke
Ellington, à qui il arrivait, dit la légende, de s'endormir
sur scène, un peu rond, et de sortir en saluant sans avoir rien
joué, réveillé par les applaudissements adressés
à un de ses camarades de pupitre.
Musique. J'écoute Diminuendo In Blue and Crescendo
In Blue enregistré par Duke Ellington à Newport le 7
juillet 1956, avec les 27 chorus consécutifs de Paul Gonsalves,
qu'on avait dû secouer un peu brutalement.
JEUDI.
Chute des corps. Alice dévale
l'escalier du grenier tout schuss. Elle sort de l'expérience un
peu hébétée, on dirait Paul Gonsalves mal réveillé.
Cinéma. La Fleur du mal
(Claude Chabrol, France, 2002 avec Nathalie Baye, Benoît Magimel,
Suzanne Flon, Bernard Le Coq, Mélanie Doutey, Thomas Chabrol).
Près de Bordeaux, François Vasseur retrouve sa famille après
un séjour aux États-Unis : son père Gérard,
pharmacien prospère, sa belle-mère Anne qui se présente
aux élections municipales, sa cousine Michèle qu'il aime
et la tante Line qui est dépositaire d'un lourd secret de famille.
J'ai vu la bande annonce de La Fleur du mal il y a un mois environ.
En trois plans - une caméra qui progresse dans un parc, puis pénètre
dans une riche demeure, un gros plan du visage de Suzanne Flon - et deux
mesures de musique, je savais qu'il s'agissait d'un Chabrol. Cela pour
dire que Chabrol a un style, une marque de fabrique (ce qui peut se concevoir,
à son 53° film). Mais pour dire aussi que Chabrol ne surprend
plus. Une fois de plus, le voici occupé à gratter le vernis
d'une famille bourgeoise, à faire tomber les masques de respectabilité
dont s'affublent quelques notables de province. C'est bien filmé,
impeccablement joué, agréable à suivre. Mais ça
manque de mordant, et on se dit que Chabrol n'a pas mordu depuis La Cérémonie,
qu'il devient un peu lisse et prévisible. Seule ici l'activité
politique d'Anne, notamment sa visite des HLM, recèle encore un
peu de véritable acidité. Et pour ce qui concerne le secret
de famille qui hante les personnages, il faut bien dire que, comme Chabrol,
on s'en fiche un peu.
VENDREDI.
Tradition. Au bout de deux heures
de vacances, Alice rejoint Lucie dans le camp des 39° de fièvre,
ce qui n'améliore guère un caractère déjà
peu conciliant à l'ordinaire.
TV. Un été pour tout
vivre (New Year's Day, Suri Krishnamma, G.-B., avec Andrew
Lee-Potts, Bobby Barry, Marianne Jean-Baptiste, Jacqueline Bisset, Anastasia
Hille, Sue Johnston; diffusé sur Canal + en février 2003).
Deux adolescents anglais perdent tous leurs amis dans une avalanche. Ils
décident de vivre un an avant de se suicider.
L'idée est intéressante : pour meubler l'année qui
leur reste à vivre, les deux jeunes gens vont réaliser les
vœux de leurs camarades qui, avant de mourir, ont enregistré une
vidéo où ils expriment ce qu'ils souhaitent faire un jour
: frapper un flic, essayer toutes les drogues, mettre le feu à
leur école, casser une voiture... Idée mal servie par une
mise en scène chaotique, qui fait du film un collage de scènes
hétéroclites. L'alternance forcée entre les moments
paroxystiques (la réalisation des vœux) et les moments de calme
(intimité familiale, entretiens avec une psychologue) est des plus
lassantes et le final est d'une couardise décevante. Seule satisfaction
: voir qu'il existe un cinéma britannique à côté
des films de critique sociale et des comédies ethniques.
SAMEDI.
Santé. Je passe une partie
de la matinée chez le docteur avec les filles.
TV. Bandits, bandits (Time
Bandits, Terry Gilliam, 1981 avec Craig Warnock, Sean Connery, John
Cleese, Shelley Duvall, Michael Palin; diffusé sur ARTE en décembre
1999).
Une nuit, le jeune Kevin voit débarquer dans sa chambre six nains
en compagnie desquels il va voyager dans le temps.
Des Monty Python, Terry Gilliam a conservé son goût pour
l'absurde, la démesure et la fantaisie iconoclaste. Son talent
est ici noyé dans un fatras un peu lourd qui donne l'impression
que Gilliam a mal digéré son passage de l'artisanat aux
gros budgets.
J'ai conscience que ce compte rendu est un peu bref, ce qui est dû
à un endormissement prématuré. Ce n'est pas la première
fois que je m'endors devant un film. En revanche, c'est la première
fois que je suis réveillé par un tremblement de terre.
Bon dimanche.
N.B. En raison des vacances, le n° 100 des notules sera servi le 9
mars.
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