Notules dominicales 2003
 
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Notules dominicales de culture domestique n°96 - 2 février 2003

DIMANCHE.
Vie familiale. Nous avons convié les parents de Caroline à la croûte. Avant de les recevoir, il faut rédiger et envoyer les notules, préparer à manger, courir en ville acheter ce qu'on ne peut faire soi-même, baigner les filles, enrayer le début d'inondation causé par Alice qui a écopé une demi-baignoire à la cuvette et parier sur le Prix d'Amérique. Quand les invités arrivent, avec leur mine reposée et leur appétit aiguisé juste à point, on a en fait plus envie de se mettre au lit qu'à table.

Presse. Parution dans L'Est Magazine de l'entretien sur le cinéma que Ch. et moi avions eu avec une journaliste. Bonne surprise, nos propos sont à peu près respectés et il n' y a pas de coquilles. Bien sûr, les photos ne sont pas flatteuses, pour tout dire nous ressemblons à de véritables gargouilles, mais ça ne dépare pas dans le dossier du magazine consacré au Festival du Film Fantastique de Gérardmer.

Lecture. L'expédition polaire à bicyclette (The Life Polar Expedition, articles parus dans Life 1926-1927, traduit de l'américain par Frédéric Brument, Le Dilettante 2002).
1926, c'est l'année où les expéditions Byrd et Amundsen atteignent le pôle Nord, qui en hydravion, qui en dirigeable. Robert Benchley, humoriste, acteur de cinéma, critique dramatique, prend le parti de se moquer gentiment de cette soif d'aventures - qui n'en était pas encore au stade d' "aller jusqu'au bout de soi-même et attendre qu'on vienne vous rechercher en hélicoptère" - en mettant sur pied sa propre expédition polaire. Il choisit quelques bras-cassés en guise de compagnons, la bicyclette comme moyen de déplacement et envoie six chroniques au magazine Life au rythme de l'avancée du groupe qui, parti de New York, mettra six mois à atteindre Mount Kisco, distant tout de même d'une bonne cinquantaine de kilomètres.
On a ici affaire à un humour proche de celui de P.G. Wodehouse, à une parodie d'épopée du style de celle racontée par Jerome K. Jerome dans Trois hommes dans un bateau, drôle et rafraîchissante. Le même volume contient trois autres articles tirés du Liberty Magazine dans lesquels Benchley s'emploie, avec le même regard amusé, à décrire trois activités très prisées des Américains (suivre le porteur, observer et somnoler) et rassemblés sous le titre Sporting Life in America.
Extrait. "Sur la route du pôle avec l'expédition polaire Life, traversée de la 125° Rue, Manhattan, 12 mai. - Après avoir décollé avec succès du trottoir situé devant les bureaux de Life au 598 Madison Avenue, New York City, nous avons progressé lentement jusqu'à la 59° Rue. Là, nous avons découvert que la roue arrière du lieutenant-colonel Connelly était toujours cadenassée - une précaution que nous avions prise alors que les engins attendaient sur le parking à vélos situé devant les bureaux. Cet antivol avait considérablement limité la vitesse du lieutenant-colonel, provoquant une sensation bizarre de frottement à laquelle il ne savait comment remédier, jusqu'à ce qu'un passant attire son attention sur la roue bloquée. Le problème a été réglé en un tour de main, et l'expédition a pu reprendre sa route sur Madison Avenue, à une allure plus soutenue.
Ce petit incident, au tout début de notre voyage, quoique insignifiant en lui-même, est assez révélateur de la volonté qui anime nos hommes, et de leur détermination à aller jusqu'au bout, quel qu'en soit le prix. Le lieutenant-colonel Connelly aurait très bien pu se décourager en s'apercevant que sa roue arrière ne tournait pas, et tout laisser tomber; mais, faisant preuve du vrai cran des vieux briscards, il a continué à rouler droit devant avec une unique roue valide, et se serait probablement acharné ainsi jusqu'à arriver au pôle, mort ou vif. Voilà le genre de bravoure qui nous rend tous optimistes."

TV. The Sopranos (diffusé ce jour sur Canal Jimmy). Carmella Soprano en a assez des frasques extra-conjugales de son mari et lui signifie son congé. Celui-ci tente bien un retour sur l'air "Si tu me quittes est-ce que je peux venir aussi ? " mais l'épouse est intraitable. Que va devenir Tony ? C'est le dernier épisode de la saison. Il paraît que l'auteur veut s'arrêter après la prochaine. Qu'on enchaîne ce type à sa table de travail.

LUNDI.
TV. Human Nature (Michel Grondy, USA/France, 2001 avec Patricia Arquette, Rhys Ifans, Tim Robbins, Rosie Perez, Mary Kay Place; diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Une naturaliste et un chercheur rencontrent un homme des bois et entreprennent de lui faire découvrir les bienfaits de la civilisation.
On attendait beaucoup du nouveau scénario de Charlie Kaufman, l'auteur de Dans la peau de John Malkovich. La déception est à la hauteur de l'attente avec cette fable molle qui remet au goût du jour le mythe du bon sauvage. Les meilleurs moments sont ceux qui sont consacrés au bon gros comique, quand la créature des bois ne peut réfréner ses pulsions sexuelles au contact des femmes que lui fait découvrir la civilisation. Reste qu'on gardera en mémoire la vision de Patricia Arquette à poils, puisqu'elle incarne une naturaliste qu'un dérèglement hormonal a pourvue d'une pilosité envahissante.

MARDI.
TV. Les Innocents aux mains sales (Claude Chabrol, France, 1974 avec Romy Schneider, Rod Steiger, Paolo Giusti, Jean Rochefort; diffusé sur TV5 en juillet 1999).
Louis et Julie Wurmser vivent dans une somptueuse villa de Saint-Tropez. Julie tombe amoureuse de leur jeune voisin. Les deux amants décident d'éliminer le mari.
Chabrol a adapté assez fidèlement un Série Noire de Richard Neely paru deux ans plus tôt, se contentant de déplacer l'action de la Californie à la Côte d'Azur. On y trouve le triangle classique mari-femme-amant dont le premier élément doit disparaître. La patte de Chabrol se trouve dans le fait qu'aucun des personnages n'est présenté sous un jour sympathique. Les êtres sont gouvernés par leurs appétits sexuels ou par l'appât du gain. Romy Schneider joue comme d'habitude sur le registre de la grande bourgeoise énigmatique.
Curiosités. C'est fou ce que Rod Steiger ressemble à Jean Richard.
L'avocat Seth Spiegal du livre, interprété par Jean Rochefort, s'appelle dans le film maître Légal. Un bon point de départ si l'on veut s'intéresser aux aptonymes cinématographiques.

MERCREDI.
TV. Simon le Juste (film TV de Gérard Mordillat, diffusé ce jour sur France 2).
Simon est un inspecteur du travail épris de justice, toujours en mouvement pour mettre fin aux agissements des employeurs qui en prennent à leur aise avec le Code du Travail. Je pratique très rarement le genre téléfilm français mais ici, le nom de Gérard Mordillat m'a attiré. D'autant que l'on aperçoit dans une scène de comité d'entreprise ses complices des Papous Hervé Le Tellier et Jacques Jouet qui jouent avec conviction des délégués du personnel. A part ça, il faut bien dire que cette œuvre ne laissera pas un souvenir impérissable même si on a plaisir à retrouver, dans l'environnement familial de Simon et dans ses convictions, l'univers du Mordillat de Vive la sociale ! et de Rue des Rigoles.

JEUDI.
Courrier. Je reçois un CD de Mary Gauthier et des nouvelles de l'Aveyron. J'envoie des coupures à Y. et à l'AGP.

Cinéma. Respiro (Emanuele Crialese, France/Italie, 2002 avec Valeria Golino, Vincenzo Amato, Veronica D'Agostino, Francesco Casisa, Filippo Pucillo).
Un village de pêcheurs au sud de la Sicile. Grazia a trois enfants, un mari et un mode de vie décalé qui attire les regards et les reproches. On essaie de l'envoyer à Milan pour y soigner ses nerfs.
Avec peu de choses, principalement du soleil, de l'eau et des couleurs, Crialese a réalisé une chronique très séduisante qui a probablement des antécédents dans le cinéma italien mais qui évoque aussi le cinéma de Robert Guédiguian. C'est une ode à la famille, une famille atypique ici dont l'élément central, Grazia, choque la communauté par sa façon sensuelle et libre de vivre. Les enfants y rejouent la Guerre des boutons, les petits frères veillent jalousement sur les fréquentations de leurs grandes sœurs et les Vespa bourdonnent. Il y a peut-être du cliché dans tout ça mais Crialese ne force jamais le trait et dépeint avec beaucoup de respect chacun de ses personnages. Beau dernier plan sur une forêt de jambes qui s'agitent sous l'eau.

VENDREDI.
TV. Storytelling (Todd Solondz, USA, 2001 avec Selma Blair, Leo Fitzpatrick, Robert Wisdom; diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Fiction : un étudiant handicapé est humilié en classe par son professeur.
Nonfiction : un documentariste tourne un film sur les adolescents au collège.
Rien ne relie ces deux histoires, si ce n'est peut-être qu'elles se terminent toutes deux par une vengeance, du point de vue thématique. En revanche, la façon de filmer, le regard, sont bien les mêmes d'une histoire à l'autre. Solodz appartient à cette école de cinéma américain indépendant mise à l'honneur chaque année au Festival de Sundance et qui donne des films bâtis sur des scénarios assez lâches, servis par des acteurs peu connus (même si ici John Goodman fait une composition réjouissante) et souvent intéressants. C'est le cas ici. Dans Fiction, Solondz s'en prend avec férocité aux cours de "creative writing" des universités américaines. Dans Nonfiction, c'est la famille américaine qui sert de cible dans un jeu de massacre efficace. Le goût de Solondz pour l'absurde et l'humour noir valent le déplacement.

SAMEDI.
Vie familiale. Les parents de Caroline partent en vacances et nous laissent leur chien en pension. Voilà qui va me mettre d'humeur charmante toute la semaine.

Vie automobile. Un vendeur d'autos d'occasion nous fait signer un bon de commande pour un véhicule plus spacieux. C'est une des conséquences imprévisibles du nouvel emploi du temps de Caroline qui s'était contentée jusque là de consacrer son jour de congé hebdomadaire au renouvellement de la garde-robe des filles et qui hier s'est attaquée à la vétusté et à l'exiguïté de notre parc automobile. Comme le vendeur s'appelle David Douillet, on peut croire en la robustesse des véhicules qu'il propose à la vente.

Vie sociale. Nous ossobuccons en compagnie des G. et des C. qui ont bravé la neige pour l'occasion.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°97 - 9 février 2003

DIMANCHE.
TV. Le Comptoir (Sophie Tatischeff, France, 1998, avec Mireille Perrier, Christophe Odent, Maurane, Jacques Penot, Isabelle Habiague; diffusé sur Canal + en octobre 1999).
En 1975, deux jeunes Parisiennes qui séjournent en Bretagne achètent un comptoir de bistrot fabriqué en 1912 et l'installent chez elles. Les villageois prennent l'habitude de se réunir autour du comptoir. L'ancienne propriétaire du café plonge dans son passé.
Autour de ce meuble convivial, Sophie Tatischeff (fille du grand Jacques) filme une chronique familiale très classique, construite sur une série de retours en arrière qui nous conduisent de la Première Guerre Mondiale aux années 70. Sur fond de Bretagne rurale se déroule l'histoire de Marie, la tenancière du café, courtisée par plusieurs hommes. On suit son histoire sans passion, mais sans ennui. Les scènes "modernes" sont les plus intéressantes : le maison des deux jeunes femmes se transforme peu à peu en café, fait revivre le village, renoue les liens entre les gens. Le cadre et le côté bohème des personnages rappellent les films que Manuel Poirier a tournés dans la région.

Lecture. Blanc comme neige (Right As Rain, George P. Pelecanos, 2001, traduit de l'américain par François Lasquin et Lise Dufaux, Éditions de l'Olivier, coll. Soul Fiction, 2002).
Derek Strange habite à Washington. Il est noir. Après avoir quitté la police, il a pris une licence de détective privé. Il emploie un enquêteur, Ron Lattimer, et une secrétaire, Janine, qui est aussi sa petite amie. Il est croyant et pratiquant, rend régulièrement visite à sa mère à l'hospice, possède un chien nommé Greco, aime les musiques d'Ennio Morricone et la soul des années 60-70. Mme Wilson l'engage pour qu'il enquête sur la mort de son fils, un flic tué par un de ses collègues.
Pelecanos commence à faire parler de lui en France, même hors de la sphère des spécialistes du polar (Le Magazine littéraire lui a consacré un long entretien l'été dernier). Son héros, Derek Strange, apparaît dans tous ses livres qui arrivent chez nous traduits dans le désordre. Il réunit sur lui un bon nombre de clichés attachés au personnage du privé, ce qui n'est pas gênant dans la mesure ou ça change un peu de ces auteurs qui cherchent à créer des personnages forcément originaux. Strange aime la musique, les voitures, donne son opinion sur les problèmes de société, il appartient à son monde, à son époque et ne cherche pas à s'en démarquer.
Son monde, c'est Washington, la capitale des États-Unis, une ville qu'on a peu l'habitude de voir mise à l'honneur. Dans les 124 livres étudiés dans mon Atlas de la Série Noire, Washington apparaît 15 fois, mais presque toujours sous forme métonymique ("J'ai téléphoné à Washington pour obtenir l'autorisation d'intervenir"), jamais comme cadre de l'action. Chez George Pelecanos (appelons-le George Pelec, ça ira plus vite), Washington existe, il y vit, c'est une vraie ville avec des cafés, des noms de rues, des quartiers, ce n'est pas qu'un siège administratif. Et la réalité de Washington, c'est celle d'une ville aux deux tiers habitée par des Noirs, dont 80% ont déjà eu des ennuis avec la police ou la justice, c'est la violence, la drogue, la misère. Dans cet univers, Derek Strange se débat, essaie de servir la justice à sa faible échelle. Comme l'intrigue policière est en plus bien menée et intéressante, il est probable que je n'en ai pas fini avec George Pelec.

LUNDI.
Vieux jours. Le premier ministre Raffarin parle des retraites devant le Conseil Économique et Social. Comme à son habitude, il ne s'engage guère mais l'augmentation de la durée des cotisations semble inévitable. Ça m'embête, et pas qu'un peu. Depuis l'an passé, j'ai abandonné toute ambition de rapprocher mon lieu de travail de mon domicile et, à moins d'une mise à pied ou d'un décès prématuré, je finirai donc mon activité professionnelle - je pourrais dire "carrière", mais dans mon cas ce serait déplacé - dans l'établissement où j'exerce actuellement. Établissement que je ne peux atteindre que par la voie automobile. Or j'ai constaté que, du fait de l'augmentation conjointe de la circulation et de mon appréhension au volant, je conduisais de moins en moins vite. Comme tout le monde, j'ai commencé par rouler au-delà des limites imposées mais aujourd'hui, sur la portion limitée à 110 km/h que j'emprunte, je ne dépasse jamais le 100. J'estime ma perte de vitesse à 5 km/h par an. Si je prends ma retraite à 60 ans, je finirai à 20 à l'heure. Ce n'est pas très rapide, mais avec un emploi du temps resserré - privilège de l'âge - ça peut se faire. En revanche, si je suis obligé de travailler jusqu'à 65 ans, il arrivera fatalement un jour où j'atteindrai une vitesse NÉGATIVE. Là, le problème me semble insoluble. J'hésite à faire part de mes réflexions au ministre des Affaires Sociales.

TV. Les Rois mages (Bernard Campan et Didier Bourdon, France, 2001 avec Didier Bourdon, Bernard Campan, Pascal Légitimus; diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Les rois mages sont téléportés en l'an 2001. Réunis à Paris, ils recherchent l'étoile qui les mènera auprès de Jésus.
Des personnages du passé projetés dans une époque moderne, des auteurs et acteurs qui n'ont pas toujours brillé par leur finesse, un film qui louche ouvertement sur le succès des Visiteurs : il y avait beaucoup à redouter des ces Rois mages. Eh bien non, ce n'est pas si mauvais que ça, c'est une bonne surprise. A la différence de ce qu'on voyait justement dans Les Visiteurs, chaque objet ou personne rencontrés par les personnages hors de leur époque n'est pas prétexte à un affrontement : les rois mages s'étonnent peu de ce qu'ils trouvent sur leur chemin, ils intègrent facilement les éléments de leur nouvel environnement. Pour eux, un Noir est un Numide, un Arabe un Sarrasin, les bouteilles du mini-bar de l'hôtel contiennent des onguents, un chauffeur de bus est un aurige et ainsi de suite. Ils apportent un message de paix, des notions de tolérance et d'hospitalité qui surprennent, on s'en doute, les gens qu'ils rencontrent. C'est donc plutôt sympathique, et à certains moments franchement drôle. Le problème, c'est qu'au bout d'une heure on a fait le tour de sujet et que le film s'étire et ennuie dans son dernier tiers (passage des rois mages à la télévision, découverte d'un bébé abandonné dans les couloirs du métro).

MARDI.
Presse. Belle dépêche trouvée dans Le Monde du jour : "Un automobiliste ivre, sous l'emprise du cannabis, qui conduisait sans permis une voiture volée a été écroué, dimanche 2 février, pour son implication dans un accident mortel, la veille, à Avignon." Si, en plus, il chantonnait au moment de son arrestation une version parodique de La Marseillaise, il n'est pas près de revoir le jour...

TV. Misery (Rob Reiner, USA, 1990, avec James Caan, Kathy Bates, Frances Sternhagen, Lauren Bacall; diffusé sur Téva en ?).
Un écrivain à succès est séquestré par une de ses admiratrices dans une maison du Colorado isolée par la neige.
Où l'on découvre une forme d'écriture à contrainte sur laquelle à ma connaissance l'Oulipo ne s'est jamais penché : la contrainte physique. Annie Wilkes, l'admiratrice, force Paul Sheldon, l'écrivain, à écrire un nouveau livre, l'enferme chez elle et lui casse les pieds. Au sens propre, avec une masse. C'est un huis-clos bien fait et captivant, filmé sans génie mais avec un certain savoir-faire. Dans le rôle d'Annie, Kathy Bates fait une composition vraiment inquiétante qui lui valut un Oscar. L'histoire est tirée d'un roman de Stephen King, souvent bien servi par le cinéma (Christine, Shining). Dans le rôle du shérif local, on trouve Richard Farnsworth qui allait plus tard connaître la célébrité en conduisant une tondeuse à gazon pour David Lynch (Une histoire vraie) avant de se donner la mort. Au générique, on trouve aussi un cascadeur nommé James Dean et, comme directeur de la photographie, Barry Sonnenfeld, futur réalisateur de Men In Black.

Lecture. La dernière phrase (David McNeil, Gallimard, nrf, 1999).
A son troisième livre, l'univers de David McNeil est maintenant clairement reconnaissable. Ses personnages, à la limite de la folie (limite intérieure, plutôt) délirent gentiment d'une obsession à l'autre (ici celle des tétons, déjà présente dans une chanson de McNeil), débitent de longues phrases pleines de digressions, de coq-à-l'âne, de sinuosités, d'énumérations, de noms de lieux, de personnes, de marques qui ont souvent un certain charme (mais parfois mal orthographiés : Dallio pour Dalio, Vuiton pour Vuitton, Danny Kay pour Danny Kaye). Ce livre poursuit donc la voie entamée avec Lettres à Mademoiselle Blumenfeld et Si je ne suis pas revenu dans trente ans prévenez mon ambassade avec une ambition poétique supplémentaire puisque McNeil semble avoir suivi une contrainte d'écriture en alexandrins plus ou moins lâches, comme le montre cet extrait : "En rentrant du travail le chef du personnel a reconnu les fleurs destinées à sa rousse dans un vase en cristal posé sur la console, après quelques menaces, une fessée, une douche froide, sans doute deux ou trois choses que la morale réprouve et les canards aussi, la fragile créature a dû lui avouer que parfois en semaine elle voyait un livreur, j'étais le seul livreur livrant dans le quartier, alors convocation."

MERCREDI.
Emplettes. J'achète des volumes de Cendrars et Malcolm Lowry, plus un essai vanté à quelques jours d'intervalle par Le Canard Enchaîné et par A.Z.

Vie familiale. Les filles cassent un peu de Daum en début d'après-midi, ce qui me décide à aller les aérer un brin. Luge et bonhomme de neige au programme.

Cinéma. Rire et Châtiment (Isabelle Doval, France, 2002 avec José Garcia, Laurent Lucas, Isabelle Doval, Benoît Poelvoorde, Véronique Picciotto, Philippe Uchan, Judith El Zein, Marie Mergey).
Vincent est un ostéopathe envahissant, fêtard, bavard, soûlant. Le soir où sa femme le quitte, il s'aperçoit que son rire peut tuer des gens autour de lui.
José Garcia est certainement un bon acteur, doté d'un beau potentiel comique. Celui-ci est malheureusement stérile dans ce film où il s'agite en vain pour essayer de remuer une mécanique qui tourne à vide. La réalisatrice oscille entre la comédie sentimentale, la remise en cause d'un personnage qui cherche à reconquérir un amour perdu et le film noir parodique sans convaincre dans aucun des genres. Heureusement, Garcia a sur la fin quelques scènes avec Benoît Poelvoorde (ils étaient déjà en tandem sur Le Vélo de Ghislain Lambert), une autre réelle force comique qui, avec très peu de place, s'exprime de façon plus convaincante.

JEUDI.
Cinéma. Batman (Tim Burton, USA, 1989 avec Michael Keaton, Jack Nicholson, Kim Basinger, Robert Wuhl; vu dans le cadre de l'opération Collège au cinéma).
Gotham City. Le crime règne dans la ville. Batman, un mystérieux homme chauve-souris, joue les justiciers.
Le genre heroic fantasy auquel appartient le film n'est pas celui que je préfère. Aussi, l'ennui que j'ai ressenti à sa vision n'est peut-être pas mérité. Car il n'y a rien à dire sur l'emballage, le soin avec lequel Tim Burton a donné chair à ces personnages de bande dessinée pour une histoire classique de lutte entre le bien et le mal. Mal incarné par le personnage de Joker qui donne à Jack Nicholson l'occasion de s'amuser comme un fou et de faire de l'ombre à ses partenaires.

Courrier. J'envoie des coupures à Y. et à l'AGP.

Toile. J'achève, un peu en retard sur la chronologie religieuse, la lecture du calendrier de l'Avent concocté par Hervé Le Tellier et Xavier Gorce. Un petit bijou qu'on peut de toute façon aussi bien lire en plein Carême, rempli de trouvailles, de curiosités scientifiques et littéraires, disponible, pour les amateurs, sur http://www.inzemoon.com/monde/test/numeriks (après chargement - gratuit - de Flashplayer via http://www.macromedia.com/downloads).

Cinéma. Gangs of New York (Martin Scorsese, USA, 2002 avec Daniel Day-Lewis, Leonardo DiCaprio, Cameron Diaz, Jim Broadbent, Liam Neeson, Brenda Gleeson, John C. Reilly, Henry Thomas).
1862, New York. Le jeune Amsterdam sort d'une maison de correction bien décidé à venger son père, assassiné par le chef de gang des "natifs" de la ville, Bill le boucher.
Pour Scorsese, New York, c'est toujours la jungle (voir son film précédent A tombeau ouvert). C'était même la jungle dans la deuxième moitié du XIX° siècle. Il filme le quartier de Five Points, où s'affrontent continuellement les gangs du titre (natifs, Irlandais et autres) comme une sorte de Cour des Miracles où règne la violence. Je ne sais ce que vaut l'interprétation historique de Scorsese (je n'avais jamais entendu parler des émeutes populaires contre la conscription censitaire qui occupent la dernière partie du film) mais là n'est pas le problème : l'histoire américaine a assez souvent été mythifiée et déformée en ce qui concerne son côté rural, avec les westerns, pour qu'on accepte le même traitement pour son côté urbain. Le problème, c'est que 2 heures 50, c'est bien long pour une histoire de vengeance banale qui ne parvient jamais à passionner. Les vociférations de Day-Lewis et la belle bouille de DiCaprio ne meublent pas un film. Les morceaux de bravoure, un combat de boxe, les affrontements entre gangs rivaux, une pendaison, les émeutes précitées n'y changent rien : beaucoup de travail, beaucoup de soin, beaucoup de figurants, beaucoup d'argent, mais pas d'âme.

VENDREDI.
Obituaire. Le Monde fait part de la mort de Mowgli Jospin, demi-frère de l'ancien premier ministre, survenue mardi, soit la veille de la sortie du Livre de la Jungle 2. "Je me souviens d'un musicien de jazz qui s'appelait Mowgli Jospin." (Georges Perec, Je me souviens, JmS n° 343)

Courrier. Joël Henry, animateur du Latourex (Laboratoire de Tourisme Expérimental) m'envoie sa dernière création : un revue de 32 pages de 7 cm sur 5, que La Poste a tout de même distribuée.

TV. Insomnies (Chasing Sleep, Michael Walker, USA, 2000 avec Jeff Daniels, Emily Bergl, Gil Bellows; diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Ed Saxon ne peut plus trouver le sommeil : sa femme a disparu et le monde se détraque autour de lui.
Belle réussite que ce premier film dans lequel on ne quitte pas la maison d'Ed Saxon une seconde. Le monde extérieur n'existe que par l'intermédiaire du téléphone et des visiteurs reçus par Saxon (une de ses élèves, les enquêteurs qui cherchent sa femme et quelques autres). Avec des mouvements de caméra glissants et des zooms intelligents, Michael Walker construit un huis-clos inquiétant où le dérèglement de Saxon devient contagieux. La maison se délabre au même rythme que l'état mental du personnage : gouttières, fuites, conduites bouchées, murs envahis par l'humidité, l'élément liquide est omniprésent. Rêves, fantasmes, psychose, hallucinations, perte de repères, le monde d'Insomnies n'a rien de confortable mais exerce une fascination qui doit beaucoup à David Lynch.

SAMEDI.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

TV. Les Sorcières d'Eastwick (The Witches of Eastwick, George Miller, USA, 1987 avec Jack Nicholson, Cher, Susan Sarandon, Michelle Pfeiffer; diffusé sur RTL 9 en ?).
Un inconnu arrive dans la petite ville d'Eastwick, Nouvelle-Angleterre, et séduit trois jeunes femmes. Son attitude est jugée scandaleuse par la communauté.
Cet inconnu, c'est un envoyé du démon, celui par qui le scandale arrive, qui libère les fantasmes et soulève le carcan des bonnes mœurs. Je ne sais ce que vaut le livre de John Updike qui est à la source du film. George Miller s'est contenté de rassembler, autour d'un Nicholson cabotinant, trois valeurs féminines du box-office et d'aligner les scènes tantôt comiques (ou voulues telles) tantôt effrayantes avec la même platitude. Et ça dure deux heures.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°98 - 16 février 2003

DIMANCHE.
Informatique. Impossible de relire ma contribution aux Cahiers du LIS (Laboratoire d'Inventions Scientifiques) que H.M. me renvoie pour correction éventuelle sur un fichier Word : Word m'est depuis deux semaines inaccessible, la machine se coince dès que j'essaie d'ouvrir un de mes dossiers. Ça m'embête, j'ai là-dessus quelques écrits qu'il me fâcherait de perdre.

Radio. Fin de l'écoute de La Montagne magique en feuilleton radiophonique enregistré cet été. Magnifique.

TV. Foutaises (Jean-Pierre Jeunet, France, 1989 avec Dominique Pinon; diffusé sur Canal + en septembre 2002).
L'influence de Perec qu'on avait pu déceler dans Le fabuleux destin d'Amélie Poulain n'était pas une nouveauté chez Jeunet. C'est ce que prouve ce court-métrage qui fut tourné avant Delicatessen, son premier long. Jeunet illustre une série de "J'aime... Je n'aime pas..." énoncés par Dominique Pinon, exercice auquel s'était livré Perec dans L'Arc en 1979 et qui sera repris en ouverture d'Amélie Poulain. On y trouve des éléments qui font partie de l'énumération de Perec (la Tour Eiffel, la radio...), une allusion à La Vie mode d'emploi ("J'aime croquer les oreilles des petits-beurres") et, pour que les choses soient bien claires, la phrase "J'aime retrouver du sable entre les pages d'un livre" est illustrée par un plan des pages 88 et 89 de Je me souviens. Il y a aussi cette phrase, "Je n'aime pas les barbus sans moustache", qui me dit quelque chose sans que je retrouve d'où elle provient.

LUNDI.
Courriel. A.N. me fait part de ses avis divergents sur Scorsese et Les Sorcières d'Eastwick.

Courrier. Une carte postale de La Garenne-Colombes et un CD de Rudy Vallée "and his famous World War II US Coast Guard Band". Si j'en crois les informations, il est temps de se mettre aux musiques martiales.

Lecture.
"Des psychologues sont sur place..." (Jacques Gaillard, Mille et une nuits, 2003)
Essai.
Jacques Gaillard étudie avec un œil aigu et amusé ce qu'il appelle la "rhétorique des catastrophes", à savoir le discours et les actes qui accompagnent aujourd'hui l'annonce d'une inondation, d'un crash aérien, d'un tremblement de terre. Il relève la popularité soudaine de certaines expressions comme "travail de deuil", de certaines phrases comme celle qu'il a choisie pour titre (en relevant que lesdits psychologues ne sont jamais "en route", encore moins "arrivés", mais toujours "sur place"), souligne l'ambiguïté de la tournure "couvrir un événement" qui procède aussi bien de la dissimulation que du dévoilement. La présence de ces brigades de psychologues montre que le survivant est désormais considéré comme autant sinon plus important que la victime décédée ou disparue qui a le tort de ne plus pouvoir s'exprimer devant un micro : "les chiens écrasés restent ce qu'ils sont, mais on spécule sur la façon dont leur maître se remettra de l'accident". Le deuil n'est plus une affaire personnelle mais une sorte de "travail d'intérêt collectif" pratiqué devant témoin. Le statut de la catastrophe s'est aussi transformé. On refuse la fatalité, la malchance : "le malheur est injuste parce que le bonheur est devenu un droit". Il faut un responsable, avec un compte en banque garni pour passer à la phase suivante : le procès.
Gaillard voit juste, démonte habilement la construction médiatique, met à nu les rouages de la mise en scène. En le lisant, on apprend pourquoi les images des habitations inondées montrent toujours un congélateur hors d'usage et pourquoi "une chapelle ardente sans plantes vertes n'est pas prise au sérieux".
Un regret : le travail bâclé de l'éditeur qui laisse passer une ribambelle de fautes et coquilles (en vrac : la Tchéchénie, un symbôle, l'imbécilité, sussurrer, le métro Couronne, Steeve McQueen, la possibilté, les brancarts...).

MARDI.
Courrier. M. envoie le dépliant concernant notre résidence de vacances savoyardes. Où l'on commence à regretter la confiance et les tarifs autrichiens.

TV. Destination : Graceland (3000 Miles to Graceland, Demian Lichtenstein, USA, 2001 avec Kevin Costner, Kurt Russell, Courteney Cox; diffusé sur Canal + en janvier 2003).
Deux ex-taulards braquent un casino à Las Vegas et s'affrontent pour le partage du butin.
Le film est sorti en France le 1° août 2001 et illustre parfaitement la politique des distributeurs qui profitent de la saison creuse pour vider leurs fonds de tiroir. Cette course-poursuite qui nous mène de Las Vegas à Seattle est de bout en bout sans intérêt. Le braquage et l'affrontement final sont d'un tape-à-l'œil affligeant (Lichtenstein vient du domaine du clip et de la publicité). On peut s'interroger sur le tour que Costner est en train de donner à sa carrière.

MERCREDI.
Vie familiale. Les filles sont calmes. Seule une lampe halogène tombe au champ d'honneur.

Obituaire.
Mort d'Edmond Robaye, un habitué de la [listeoulipo] qui signait ses messages Abdomen de Roy. Je ne le connaissais que par web-dire, mais cette disparition électronique crée une drôle de sensation.

Cinéma. Une couple épatant (Lucas Belvaux, France, 2002 avec Ornella Muti, François Morel, Valérie Mairesse, Bernard Mazzinghi, Dominique Blanc, Gilbert Melki, Catherine Frot, Lucas Belvaux).
Grenoble. Patron d'une petite entreprise, Alain est persuadé que ses jours sont comptés. Sa femme Cécile se demande ce qu'il lui cache.
C'est le premier volet d'une trilogie dont les trois éléments, qui rassemblent les mêmes personnages, sont sortis simultanément. Premier volet qui laisse perplexe. Les angoisses d'Alain, qui se transforment en une belle paranoïa, servies par l'interprétation de François Morel (tendance Bernard Menez) tirent le film du côté de la comédie. On n'oubliera pas la scène où il émerge d'un champ de maïs, comme Cary Grant dans La Mort aux trousses, avec bruit d'avion en prime. Du côté d'Ornella Muti, c'est autre chose, c'est le récit d'un couple que l'usure du temps commence à faire vaciller. Il y a aussi les enfants, un flic (Melki, qui élargit son registre avec talent) qui vit avec une morphinomane, un médecin ami d'Alain qui convoite Cécile... L'action qui se déroule aux quatre coins de la ville dans un temps limité passe d'un personnage à un autre, tisse des liens au gré des rencontres et des coïncidences. Belvaux refait ici avec Grenoble ce que Pascal Thomas avait fait avec Nantes dans Mercredi folle journée ! On ne sait pas très bien où l'on va et il faudra attendre de voir les deux autres parties du triptyque pour se faire une idée plus précise du projet du réalisateur.

JEUDI.
Bougies. Anniversaire de mariage. Le temps des confidences. Celle que Caroline me fait me surprend un peu : "Je ne t'ai jamais vu courir." Pourtant, il me semblait qu'une fois, pour attraper un bus... Mais c'était il y a longtemps et il n'y avait sans doute pas de témoins.

Cinéma. Arrête-moi si tu peux (Catch Me If You Can, Steven Spielberg, USA, 2002 avec Leonardo DiCaprio, Tom Hanks, Christopher Walken, Nathalie Baye, Aly Adams, Jennifer Garner, James Brolin).
Dans les années 60, Frank Abagnale quitte à 16 ans le domicile familial après le divorce de ses parents. Il passe maître dans l'art de falsifier les chèques, se fait successivement passer pour un co-pilote de la Pan Am, un médecin et un avocat. Carl Hanratty, agent du FBI, fait de la traque de Frank sa mission prioritaire.
Retrouvailles avec Spielberg dont j'avais délaissé les récentes incursions dans la science-fiction, (A.I., Minority Report). Avec ce film, il pend au clou sa blouse grise de professeur d'histoire (Schindler, Ryan) pour redevenir tout simplement un raconteur d'histoire. Et c'est un véritable bonheur. Le thème de la traque d'un homme aux identités multiples est souvent bien traité par le cinéma (Plein soleil de René Clément), on parle d'ailleurs aujourd'hui d'une éventuelle adaptation de la vie de l'escroc Rocancourt, actuellement emprisonné à Vancouver après une cavale pas très éloignée de celle de Frank Abagnale. Dans le rôle du chasseur, Tom Hanks se montre une nouvelle fois le roi de la composition, DiCaprio est bien meilleur que chez Scorsese et tous les seconds rôles sont intéressants. Deux heures vingt de film et pas un temps mort, de l'aventure, de l'humour, bref du cinéma narratif qui prend le spectateur par la main et le tient captif. Une merveille.

VENDREDI.
Courrier. Je reçois le dernier disque de Sinéad O'Connor.

Saint-Valentin. Départ pour Paris par le 19 h 36.

Lecture. Les Revenentes (Georges Perec, Julliard 1972, rééd. La Pochothèque, coll. Classiques modernes, Le Livre de Poche 2002, édition établie et présentée par Bernard Magné).
Relecture.
L'œuvre romanesque de Perec peut être vue comme une série de couples : la fantaisie de Quel petit vélo...? répond au sérieux sociologique des Choses, Un cabinet d'amateur reprend des scènes de La Vie mode d'emploi et, bien sûr, Les Revenentes, roman monovocalique en e, renvoi à La Disparition où cette voyelle n'apparaissait jamais. Deux choses à remarquer à l'occasion de cette relecture. Premièrement, le débridement de l'écriture (au fil du texte, Perec prend de plus en plus de libertés avec la norme pour caser ses e : "le feedèle secrétère reste renségné des fêts et gestes de l'évêqe"; "le ventre d'Hélène est tellement bègné de sperme que l'étancher demanderè des serpeehères !") accompagne celui de l'action et celui des sens (le livre se termine par une partouze, un "pense-fesses" qui donne à réfléchir sur la prétendue "pudeur de Perec" traitée par David Bellos). Autre chose notable : la liberté que prend l'auteur (je pense que Magné a respecté son manuscrit) avec les accents : Genêt (l'auteur), pénêtre, émèt, frèle, décrête, prètres, règner, empèche, rêglé...

SAMEDI.
Vie parisienne. Séminaire Perec à Jussieu. Peter Ronge, un Allemand plutôt jovial, tente d'inscrire Les Revenentes dans le sillage d'Etiemble, en réaction à son Parlez-vous franglais ?, ce qui laisse l'assemblée dubitative. Marcel Bénabou joue son rôle de Grand Témoin et explique sa perplexité à l'aide de quelques rappels historiques. Ronge est plus convaincant quand il établit le parallèle entre la trame des Revenentes et celle de L'Histoire de Juliette de Sade, et plus intéressant quand il évoque sa traduction du roman (devenu Dee Weedergenger), des difficultés qu'il a rencontrées et des subterfuges qu'il a imaginés pour y remédier. Bernard Magné répond à mes interrogations au sujet des accents : Perec les utilisait de façon très lâche, la version originale des Revenentes était pleine de fautes d'accents, fautes qu'il a préféré conserver dans le volume Pochothèque. David Bellos est présent, quelques jours seulement après la sortie du n° 7 des Cahiers Georges Perec dont l'essentiel est consacré à une critique de sa biographie, Georges Perec, une vie dans les mots.
J'achète deux Série Noire cartonnés rue du Cardinal-Lemoine.
C'est l'ouverture du Tournoi des Six Nations, un jour à dévorer du rosbif. Je tortore un tartare au Petit Cardinal et abats mes quatre heures de travail à la Bibliothèque des Littératures Policières. Retour au Petit Cardinal pour une mi-temps d'Angleterre-France. Boulevard Saint-Germain, je me mêle un moment aux manifestants anti-guerre, feuillette les Cahiers Georges Perec à La Hune, récupère un stylo en réparation rue de Rennes, achète des bricoles aux filles au Bon Marché et regagne ma chambrette, les nougats un rien échauffés. Je m'amuse beaucoup à la Brasserie de l'Est où, à la table voisine de la mienne, deux couples de grands voyageurs disent tout le mal qu'ils pensent des Vosges en général et d'Épinal en particulier.

Bonne semaine.

N.B. Mon ordinateur entre demain en clinique, me condamnant au mutisme électronique pour un temps indéterminé.

 

Notules dominicales de culture domestique n°99 - 23 février 2003

DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Je suis au Louvre à l'ouverture. Pas de queue, salles désertes : les citoyens de l'Empire du Soleil-Levant ne sont pas encore levés. La sagesse et l'état de mon dos me font prendre l'option homéopathie : une petite heure, une demi-douzaine de salles. Je choisis au hasard celles consacrées à la peinture hollandaise du XVII° (aile Richelieu, 2° étage, salles 34 à 39). En vedette, Vermeer, bien sûr. Découvertes : les toiles de Gabriel Metsu, un Marché aux herbes et un Déjeuner de harengs, un Maître d'école de A. Van Ostade, et, d'une façon générale, les scènes d'intérieur (toujours éclairées par la gauche) remplies de détails comme ce Savant alchimiste au travail d'un certain Th. Wick. Je ne retrouve pas les Pantoufles de Samuel van Hoogstraten découvertes lors d'une précédente visite et qui devraient pourtant se situer dans le secteur.
Je rejoins Saint-Germain-des-Prés par le pont du Carrousel, le quai Malaquais et la rue Bonaparte et précède de peu Claude-Jean Philippe au Café du Métro, rue de Rennes.

Cinéma. Le Roi (Pierre Colombier, France, 1936 avec Victor Francen, Raimu, Gaby Morlay, Elvire Popesco, André Lefaur, Frédéric Duvallès, Hélène Robert; vu dans le cadre du ciné-club de Claude-Jean Philippe à l'Arlequin, rue de Rennes).
Le roi de Cerdagne effectue une visite officielle en France où les aventures sentimentales l'intéressent plus que les affaires politiques.
Il s'agit de l'adaptation d'un vaudeville à succès de Flers et Caillavet qui égratigne gentiment les mœurs politiques de la III° République. C'est, il faut le dire, un peu long et on se lasse sur la fin de la diction "exotique" de Victor Francen. Mais l'ensemble est très plaisant, semé de mots et de situations convenus mais cocasses, et les acteurs savent faire partager leur plaisir. Gaby Morlay jouait alors des rôles légers, avant que Le Voile bleu de Jean Stelli ne vienne empeser sa carrière.
Le film, prévu pour durer une heure trois quarts environ, s'étire bien au-delà de deux heures à cause d'une bonne douzaine de coupures. Je profite d'une de celles-ci pour m'éclipser et mettre le cap sur la gare de l'Est.

Lecture. Retour après la nuit (Roses, Roses, Bill James, 1993, traduit de l'anglais par Danièle et Pierre Bondil, Rivages/noir n° 310, 1998).
Colin Harpur est policier dans la grande banlieue de Londres. Sa femme Megan est assassinée alors qu'elle s'apprêtait à le quitter pour un autre homme.
Drôle de personnage que ce Colin Harpur : il ne dit quasiment pas un mot de tout le livre, il n'est apprécié ni de sa famille ni de ses collègues, il subit les événements plutôt que d'essayer de peser sur eux à la manière d'un héros de polar habituel. On peut trouver ça original, on peut trouver ça aussi pesant et terne, ce qui est mon cas. Dans le polar britannique, Bill James est loin derrière John Harvey.

Retour. Caroline et les filles viennent me chercher à la gare dans la nouvelle auto.

LUNDI.
Frayeur. Appel alarmant de la crèche à propos d'Alice, en difficulté respiratoire. Rien de grave, en fait. Les responsables de la crèche ont tellement peur d'être taxées d'imprévoyance qu'elles ont tôt fait d'alarmer les populations.

TV. Le Costaud des Batignolles (Guy Lacourt, France, 1951 avec Raymond Bussières, Annette Poivre, Armand Bernard; diffusé sur CinéClassics en ?).
Jojo, livreur chétif, rêve de devenir une force de la nature. Il s'aperçoit un jour que les baisers que lui prodigue sa fiancée Nénette lui donnent une force herculéenne.
Le nanar dans toute sa splendeur, un modèle du genre. Scénario inepte, personnages surjoués, son pourri, et on regarde ça avec plaisir parce que la force nostalgique est bien présente, parce que ce n'est pas tous les jours qu'on voit Raymond Bussières en vedette, parce que ça permet, en une seule prise, de voir 50% de l'œuvre cinématographique de Guy Lacourt qui, après ce premier film, ne tournera plus ensuite que Mon frangin du Sénégal, avec le même Bussières flanqué cette fois de de Funès.
A part ça on peut noter une citation de Branquignol au début avec le gag de la pissotière, deux ou trois scènes qui font sourire, le nom du champion du monde de boxe qu'affronte Jojo (Ray Sugar... Crusoë) et cette réplique, au moment où des malfrats (dont Pierre Mondy dans un de ses premiers rôles) font l'inventaire d'un butin dérobé au cours d'un cambriolage :
"Un secrétaire Empire !
- Note un secrétaire tout court. On s'en fout de savoir en quoi il est."

MARDI.
Informatique. Retour de l'ordinateur en état de marche. Je ne comprends pas grand-chose aux explications du clinicien mais ça ne semble pas très grave. Quoique dans ce cas, vu mon ignorance, je suis peut-être dans la situation du patient soulagé d'être admis en service d'oncologie alors qu'il croyait souffrir d'un cancer. Tout est une question de langage...

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un Pelecanos, un essai sur la peinture, L'année 2002 dans Le Monde, une carte routière de la Suisse et une vignette m'autorisant à vagabonder sur son réseau autoroutier.

Cinéma. Cavale (Lucas Belvaux, France, 2002 avec Catherine Frot, Lucas Belvaux, Ornella Muti, Gilbert Melki, Patrick Descamps, Olivier Darimont, Alexis Tomassian).
Bruno s'évade de prison et retourne à Grenoble où il veut se venger en supprimant l'homme qui l'a donné.
Bruno, on l'a aperçu dans deux scènes de Un couple épatant, le premier film de la trilogie de Belvaux. C'est l'amant énigmatique qu'Agnès (Dominique Blanc) cache dans un chalet des hauteurs grenobloises. Du premier épisode, certains personnages ont disparu (exit François Morel), remplacés par d'autres. Disparu aussi tout l'aspect comédie, c'est ici à un film noir assez lourd qu'on a affaire. L'action, rappelons-le, se déroule en même temps, ce n'est pas une suite. On cherche donc à faire le lien entre les deux histoires, ce qui n'est pas évident car les sutures sont assez subtiles. On voit par exemple d'où vient le bruit d'hélicoptère (j'avais cru un avion) qu'on entend dans le premier volet. On a du mal à croire à l'histoire au début, à ce personnage de clandestin un peu stéréotypé et Belvaux acteur, dans un registre atonal, ne fait rien pour faciliter les choses. Et puis, peu à peu, le personnage se dévoile, fascine et glace. C'est un ancien gauchiste activiste, auteur d'attentats, à qui quinze ans de prison n'ont rien ôté de sa détermination à poursuivre la lutte. Sa course vers le néant le rapproche du Roberto Succo de Cédric Kahn et finit par gagner l'intérêt du spectateur.

Lecture. Au piano (Jean Echenoz, Éditions de Minuit, 2003).
Max est un pianiste reconnu qui meurt de trac à chaque fois qu'il doit jouer en public. Au retour d'un gala de bienfaisance, il meurt pour de bon, attaqué par des voyous, ce qui ne signifie pas pour autant la fin de son existence.
Echenoz a abandonné les trames policières présentes dans ses premiers romans, jusqu'aux Grandes blondes. Il a gardé son style, assez neutre, léger, et son goût pour le vocabulaire recherché. L'histoire aussi est légère, plaisante à suivre, souvent amusante. Echenoz fait du roman léger, c'est un compliment.
Extrait. "Et vers sept heures et demie, l'un soutenant l'autre tant bien que mal, ils descendaient doucement l'avenue de Messine en direction de la salle Gaveau. Et à huit heures pile, après bien des soucis pour faire tenir Max debout, Bernie le propulsa vers le piano selon sa technique habituelle. De manière imprévisible, l'autre marcha d'un pas ferme vers l'instrument bien que, dans sa vision troublée par l'imprégnation, le clavier ne fût plus comme d'habitude un simple maxillaire mais une authentique paire de mâchoires qui s'apprêtaient cette fois, le plus sérieusement du monde, à l'absorber pour le disloquer en le mastiquant. Or comme, à peine apparut-il sur scène, la salle entière se dressait pour l'acclamer, interminable Niagara d'applaudissements, plus vif encore que la semaine dernière, comme l'ovation plus enthousiaste que jamais se prolongeait sans faiblir, Max qui n'avait plus toute sa tête crut pouvoir en déduire que le concert était fini. Il salua donc profondément le public à plusieurs reprises avant de retourner d'un pas non moins ferme vers la coulisse sous le regard horrifié de Parisy - mais, ni une ni deux, Bernie reprit aussitôt Max par les épaules et le retourna sur lui-même et, d'une robuste poussée, le renvoya vigoureusement sur scène et allez : sonate."
On pense à Paul Gonsalves, saxophoniste ténor chez Duke Ellington, à qui il arrivait, dit la légende, de s'endormir sur scène, un peu rond, et de sortir en saluant sans avoir rien joué, réveillé par les applaudissements adressés à un de ses camarades de pupitre.

Musique.
J'écoute Diminuendo In Blue and Crescendo In Blue enregistré par Duke Ellington à Newport le 7 juillet 1956, avec les 27 chorus consécutifs de Paul Gonsalves, qu'on avait dû secouer un peu brutalement.

JEUDI.
Chute des corps. Alice dévale l'escalier du grenier tout schuss. Elle sort de l'expérience un peu hébétée, on dirait Paul Gonsalves mal réveillé.

Cinéma. La Fleur du mal (Claude Chabrol, France, 2002 avec Nathalie Baye, Benoît Magimel, Suzanne Flon, Bernard Le Coq, Mélanie Doutey, Thomas Chabrol).
Près de Bordeaux, François Vasseur retrouve sa famille après un séjour aux États-Unis : son père Gérard, pharmacien prospère, sa belle-mère Anne qui se présente aux élections municipales, sa cousine Michèle qu'il aime et la tante Line qui est dépositaire d'un lourd secret de famille.
J'ai vu la bande annonce de La Fleur du mal il y a un mois environ. En trois plans - une caméra qui progresse dans un parc, puis pénètre dans une riche demeure, un gros plan du visage de Suzanne Flon - et deux mesures de musique, je savais qu'il s'agissait d'un Chabrol. Cela pour dire que Chabrol a un style, une marque de fabrique (ce qui peut se concevoir, à son 53° film). Mais pour dire aussi que Chabrol ne surprend plus. Une fois de plus, le voici occupé à gratter le vernis d'une famille bourgeoise, à faire tomber les masques de respectabilité dont s'affublent quelques notables de province. C'est bien filmé, impeccablement joué, agréable à suivre. Mais ça manque de mordant, et on se dit que Chabrol n'a pas mordu depuis La Cérémonie, qu'il devient un peu lisse et prévisible. Seule ici l'activité politique d'Anne, notamment sa visite des HLM, recèle encore un peu de véritable acidité. Et pour ce qui concerne le secret de famille qui hante les personnages, il faut bien dire que, comme Chabrol, on s'en fiche un peu.

VENDREDI.
Tradition. Au bout de deux heures de vacances, Alice rejoint Lucie dans le camp des 39° de fièvre, ce qui n'améliore guère un caractère déjà peu conciliant à l'ordinaire.

TV. Un été pour tout vivre (New Year's Day, Suri Krishnamma, G.-B., avec Andrew Lee-Potts, Bobby Barry, Marianne Jean-Baptiste, Jacqueline Bisset, Anastasia Hille, Sue Johnston; diffusé sur Canal + en février 2003).
Deux adolescents anglais perdent tous leurs amis dans une avalanche. Ils décident de vivre un an avant de se suicider.
L'idée est intéressante : pour meubler l'année qui leur reste à vivre, les deux jeunes gens vont réaliser les vœux de leurs camarades qui, avant de mourir, ont enregistré une vidéo où ils expriment ce qu'ils souhaitent faire un jour : frapper un flic, essayer toutes les drogues, mettre le feu à leur école, casser une voiture... Idée mal servie par une mise en scène chaotique, qui fait du film un collage de scènes hétéroclites. L'alternance forcée entre les moments paroxystiques (la réalisation des vœux) et les moments de calme (intimité familiale, entretiens avec une psychologue) est des plus lassantes et le final est d'une couardise décevante. Seule satisfaction : voir qu'il existe un cinéma britannique à côté des films de critique sociale et des comédies ethniques.

SAMEDI.
Santé. Je passe une partie de la matinée chez le docteur avec les filles.

TV. Bandits, bandits (Time Bandits, Terry Gilliam, 1981 avec Craig Warnock, Sean Connery, John Cleese, Shelley Duvall, Michael Palin; diffusé sur ARTE en décembre 1999).
Une nuit, le jeune Kevin voit débarquer dans sa chambre six nains en compagnie desquels il va voyager dans le temps.
Des Monty Python, Terry Gilliam a conservé son goût pour l'absurde, la démesure et la fantaisie iconoclaste. Son talent est ici noyé dans un fatras un peu lourd qui donne l'impression que Gilliam a mal digéré son passage de l'artisanat aux gros budgets.
J'ai conscience que ce compte rendu est un peu bref, ce qui est dû à un endormissement prématuré. Ce n'est pas la première fois que je m'endors devant un film. En revanche, c'est la première fois que je suis réveillé par un tremblement de terre.

Bon dimanche.

N.B. En raison des vacances, le n° 100 des notules sera servi le 9 mars.