Notules
dominicales de culture domestique n°104 - 6 avril 2003
DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Je ne vais
presque jamais au théâtre. Ce matin, je visite la Comédie
Française, dans un groupe cornaqué par un guide. Quitte
à aller au théâtre, autant qu'il soit vide et renommé.
La visite est intéressante, on voit le fauteuil de Molière
(dont on ne voudrait pas dans un vide-grenier), la salle bien sûr
où s'affairent plateautiers et cintriers (j'apprends du vocabulaire),
je recueille les anecdotes et les données historiques qui pourront
me servir dans mes cours sur le théâtre. Je croque-madame
en terrasse au Nemours, place Colette où déambule le comédien
Michel Robin.
Lecture/écriture. Mots croisés
5 (Michel Laclos, Zulma, coll. Grain d'orage, 2001).
80 grilles 20 x 20.
Les mots croisés de Michel Laclos sont exactement à ma taille
sur le plan de la difficulté, à mi-chemin entre ceux de
Philippe Dupuis (Le Monde), parfois décevants, et ceux de Robert
Scipion qui m'effraient toujours un peu. Laclos sait réaliser un
parfait dosage entre fantaisie et érudition, et agrémente
considérablement les voyages ferroviaires.
Lecture. La moisson de glace
(The Ice Harvest, Scott Phillips, 2000, traduit de l'américain
par Patrice Carrer, Gallimard, coll. Série Noire n° 2655, 2002).
Wichita, Kansas. L'avocat Charlie Arglist s'apprête à quitter
la ville le soir de Noël avec les fruits d'une arnaque juteuse.
Avant de partir, Arglist, nostalgique, fait la tournée des bars
qu'il a fréquentés, des personnes qu'il a connues, pour
un dernier adieu. Mais le plan qu'il a minutieusement préparé
se trouve contrarié par une série d'événements
imprévus. Au fur et à mesure que la nuit avance, Arglist
s'empêtre dans les difficultés, accumule les bourdes, cède
peu à peu à la panique. Scott Phillips a très bien
rendu cette chute en cascade, ainsi que l'ambiance d'une petite ville
du Kansas des années 70 au soir de Noël. Alexandre Lous, dans
sa chronique du Magazine Littéraire de novembre 2002, évoque
à son sujet les noms de Charles Williams et de Jim Thompson (j'y
ajouterais, ne serait-ce que pour le titre qui rappelle La moisson
rouge, Dashiell Hammett) et fait figurer La moisson de glace
"dans le palmarès des meilleurs romans noirs publiés
en France 2002."
Curiosité. Wichita, qui sert de cadre au roman, est la ville natale
de Scott Phillips. Elle apparaît pour la première fois dans
la Série Noire sous la plume de Raymond Chandler dans La grande
fenêtre (n° 45) : le père de Merle Davis y tient
une clinique vétérinaire et habite une vieille maison de
bois, le long d'une rue tranquille et ombragée. Il faut bien que
mon Atlas de la Série Noire serve de temps en temps.
LUNDI.
Courriel. A.N. parle de Nicolas de
Staël, W.W. m'envoie son travail sur les 243 cartes postales de Perec
et des commentaires sur les notules, André Bougaieff, professeur
de l'Université du Québec à Trois-Rivières,
me livre les clés de son site sur les aptonymes québécois.
TV. La vie normale (spectacle
de Gad Elmaleh, diffusé sur Canal + en ? 2002).
J'attendais de ce spectacle une réconciliation avec l'exercice
comique en one man show qui n'est pas vraiment venue. Il y a un très
bon sketch sur un agent immobilier mais le reste m'a paru pesant, en dépit
des éclats de rire du public complice, accompagnement obligé
du genre. C'est dans le dernier sketch que Gad Elmaleh interprète
le personnage de Chouchou, bien enrichi par Merzak Allouache dans son
film.
MARDI.
Garde-robe. J'achète deux chaussures
identiques.
Courrier. Je reçois ma carte
de Grand Voyageur SNCF.
TV. Gueule d'amour (Jean Grémillon,
France, 1937 avec Jean Gabin, Mireille Balin, René Lefèvre;
diffusé sur La Cinquième en ?).
En garnison à Orange, le sous-officier Lucien Bourrache est surnommé
Gueule d'amour en raison de ses succès féminins. Démobilisé,
il devient ouvrier à Paris et tombe sous la coupe d'une aventurière.
Un vrai film noir d'avant-guerre, un genre dans lequel Grémillon
s'illustrera encore l'année suivante avec L'étrange Monsieur
Victor. Mireille Balin incarne une femme fatale qui détruit
les hommes qui s'attachent à elle. Gabin écorne son personnage
de beau gosse, passe de Gueule d'amour à une gueule cassée
par l'amour qui ne trouve consolation et espoir que dans l'amitié
partagée avec le personnage interprété par René
Lefèvre.
MERCREDI.
Courrier. Arrivée d'un lecteur
de DVD. Caroline va devoir vendre environ 3,5 tonnes de compresses.
Jardin. "La guerre pourrait être plus longue que
prévu" (les journaux). Je plante des topinambours.
Cinéma. Le Cœur des hommes (Marc Esposito, France,
2003 avec Gérard Darmon, Jean-Pierre Darroussin, Bernard Campan,
Ludmila Mikaël, Fabienne Babe, Zoé Félix, Florence
Thomassin, Catherine Wilkening).
Quatre hommes, autour de la cinquantaine, quatre amis. L'un trompe sa
femme, un autre quitte sa femme parce qu'elle le trompe, le troisième
trouve l'amour et le dernier prend une retraite prématurée
avec une jeunesse.
Il y a deux ans, 15 août, de Patrick Alessandrin, présentait
le même canevas, les bons copains d'âge mûr bien enquiquinés
par leurs femmes mais qui trouvent consolation dans une saine et virile
camaraderie. Alessandrin cherchait à retrouver l'esprit des comédies
d'Yves Robert de la fin des années 70. Esposito (fondateur du magazine
Studio) se veut plus sérieux, visant l'héritage de Claude
Sautet mais utilise les mêmes ficelles : des comédiens rodés
et sympathiques entourés d'actrices plus jeunes qui ne leur servent
que de faire-valoir, le week-end à Deauville, la maison en Provence,
l'amitié qui n'empêche pas les frictions, le tout enrobé
d'un machisme un peu veule. Ce n'est pas désagréable à
regarder mais c'est tellement vide et vain que ça ne laisse aucune
trace.
Remarque. Mon jugement a peut-être été faussé
par une altercation avec la caissière du cinéma (démontrant
une fois de plus ma dilection pour l'esprit de l'escalier) qui a un peu
gâché mon plaisir.
JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et à l'AGP, des extraits de Flaubert et de Proust repris par
Perec dans La Vie mode d'emploi à W.W. et une lettre au
directeur du cinéma local dont je livre ici la teneur :
"Monsieur,
je me permets d'attirer votre attention sur les faits suivants. Je fréquente
votre cinéma plusieurs fois par semaine et, suivant les conseils
dont vous êtes prodigue, j'essaie dans la mesure du possible d'acheter
mes billets à l'avance. Réaction de la caissière
il y a quelques semaines : "Vous avez de la chance qu'il n'y ait
pas beaucoup de monde sinon je ne vous les aurais pas vendus." Hier
soir, 20 h 15, je demande une place pour la séance qui va suivre
et une pour une séance du lendemain. Réaction de la même
préposée : "Il y a du monde, vous n'avez qu'à
acheter l'autre billet demain, bonsoir." Je passe sur la conception
toute néandertalienne de la politesse qu'entretient votre employée
pour m'interroger : combien de temps prend l'émission d'un ticket
supplémentaire attendu que je paie par carte d'abonnement, ce qui
évite tout encaissement et rendu de monnaie ? Est-ce qu'on dit
aux personnes qui se présentent en couple qu'on ne leur vendra
qu'un billet et que leur conjoint ou ami n'aura qu'à revenir le
lendemain ? Comment peut-on déplorer qu'il y ait une longue file
d'attente si l'on refuse de vendre des billets à l'avance ? Comment,
enfin, peut-on faire de la publicité pour une prestation qui est
refusée aux caisses ?
Je sais que vous êtes dans une situation de monopole qui peut autoriser
certaines personnes à considérer le spectateur comme un
captif qui de toute façon n'a pas la possibilité de se tourner
vers la concurrence. Il n'empêche qu'il me semble fâcheux
de tenir d'un côté des propos alarmistes sur la baisse de
fréquentation des salles et de l'autre accueillir le spectateur
comme un chien dans un jeu de quilles.
Je vous signale par ailleurs que nombre de salles parisiennes affichent
les heures pendant lesquelles on peut acheter des billets à l'avance,
ce qui est peut-être un bon moyen d'éviter des désagréments.
Je vous informe enfin que si la même chose devait se reproduire
avec la même personne, je ne quitterai pas le guichet avant d'avoir
obtenu mes billets, ce qui fera certainement gagner du temps à
tout le monde.
Veuillez agréer, etc."
J'ajoute un mot plus gentil et personnel pour le directeur, avec qui je
suis à l'ordinaire en termes amicaux.
Cinéma. Effroyables jardins
(Jean Becker, France, 2003 avec Jacques Villeret, André Dussoliier,
Thierry Lhermitte, Benoît Magimel, Isabelle Candelier, Suzanne Flon).
Lucien, 14 ans, a honte de son père, Jacques, qui fait le clown
dans les fêtes de village. André, le meilleur ami de Jacques,
raconte à Lucien un épisode de l'Occupation qui est à
l'origine de la vocation de son père.
On sait à quoi on s'attend désormais quand on va voir un
film de Jean Becker. On s'attend à être agacé par
sa vision d'une province figée, par ses bourgades inlassablement
animées par une kermesse, une course cycliste ou un 14-Juillet,
par ses acteurs interprétant les mêmes personnages. Ici,
comme à l'habitude, Dussollier dussollise, Villeret villerette
et Flon flonne. Mais si on y va, c'est aussi parce qu'on sait qu'on va
à coup sûr se laisser porter un moment, peut-être avec
un peu de réticence, se laisser prendre à une histoire bien
contée. Celle d'Effroyables jardins est particulièrement
édifiante. Un père y regagne l'estime de son fils après
que celui-ci eut pris connaissance de son comportement pendant l'Occupation.
Ce qui n'est pas sans rappeler le propos du Père tranquille
de Noël-Noël, qui était un film plus urgent : il
importait à l'époque (1946) de se bercer dans la douce illusion
que tous les Français avaient participé à la Résistance.
Becker nous emmène dans un long flash-back sur les traces des deux
amis, Jacques et André, devenus otages des Allemands après
un acte de sabotage. Il est question de trahison, d'esprit de sacrifice
et de fidélité au cours de péripéties qui
ne brillent pas par leur vraisemblance. Le personnage du clown allemand,
à qui Jacques doit sa vocation, est particulièrement incongru
et on peut s'amuser à voir un Magimel body-buildé à
souhait interpréter un jeune homme qu'on aurait supposé
plus chétif après quatre années de restrictions imposées
par l'occupant.
VENDREDI.
Lecture. Mystère dans la
Vallée des Rois (Bernard Barokas, Rageot-Éditeur 1983,
réédition Gallimard Jeunesse, coll. Folio Junior n°
747, 1998).
Le jeune Romain Caire est envoyé en reportage dans les environs
de Louxor où il doit s'intéresser aux fouilles curieuses
du professeur Mancuso. Mais à son arrivée, Mancuso s'avère
introuvable.
Un livre de jeunesse plutôt réussi, sur fond de trafic d'antiquités
égyptiennes. L'absence de temps mort permet de ne pas s'attarder
sur les libertés prises avec la vraisemblance. Les personnages,
le jeune reporter et les amis qu'il se fait sur place, sont dessinés
sans lourdeur et échappent au simplisme et au stéréotype.
A noter que le méchant s'appelle Arbakos, ce qui permet d'initier
la jeunesse aux joies de l'anagramme.
Actualité. En remettant le
nez dans Flaubert ces jours derniers, je suis tombé sur la phrase
suivante : "Nous allons entrer dans une ère stupide. On sera
utilitaire, militaire, américain et catholique."
TV. Concurrence déloyale
(Concorrenza sleale, Ettore Scola, Italie-France, 2001 avec Sergio
Castellitto, Diego Abatantuono, Gérard Depardieu, Jean-Claude Brialy,
Claude Rich).
Rome, 1938. Un tailleur et un mercier, dont les boutiques sont voisines,
se livrent une concurrence sans merci. Jusqu'au jour où Mussolini
promulgue les lois antisémites. Or, l'un des deux commerçants
est juif, l'autre pas.
Ça commence comme une comédie familiale poussive. La haine
que se vouent les deux pères de famille est tempérée
par l'amitié qui lie leurs enfants, dont l'un est le narrateur
de l'histoire. On s'ennuie gentiment jusqu'à ce que l'autre histoire,
la grande, vienne rendre dérisoires les querelles de voisinage.
Défilé des jeunesses fascistes, visite de Hitler, premières
mesures antisémites, un caillou dans une vitrine... Ettore Scola
est beaucoup plus à l'aise dans le sérieux que dans le comique
et, chose rare, sait terminer un film sans verser dans le cliché
rassurant. Après avoir craint le pire, on termine non pas conquis
mais indulgent.
SAMEDI.
Lecture. Viridis Candela n° 8
(2002).
Carnets trimestriels du Collège de 'Pataphysique.
Pour célébrer le deuxième anniversaire de la Désoccultation,
les Carnets disent tout sur la fonction de Dataire du Collège.
Le cœur du numéro est occupé par le premier acte de Vive
la France ! , pièce de Franc-Nohain qui ne fut jouée
qu'une fois en 1898 et disparue depuis. Je n'en connaissais que la fameuse
réplique "les capitaines vainqueurs ont une odeur forte",
une phrase qu'on attribue souvent à Cami et qui n'apparaît
pas dans le premier acte.
Obituaire. "L'Ouvroir de littérature
potentielle a la tristesse d'annoncer que son président, Noël
Arnaud, est excusé aux réunions de l'Oulipo depuis le mardi
1° avril 2003, pour cause de décès" (Le Monde).
TV. La Veuve noire (Black
Widow, Bob Rafelson, USA, 1986 avec Debra Winger, Theresa Russell,
Sami Frey, Dennis Hopper; diffusé sur CinéCinémas
en ?).
Alexandra Barnes, agent fédéral, enquête sur une femme
qui multiplie les mariages et les veuvages rémunérateurs.
La traque d'une séductrice qui élimine ses amants après
les avoir épousés et dépouillés, voilà
qui fait penser à Mortelle randonnée. Malheureusement,
le personnage interprété par Theresa Russell n'a pas la
densité de celui d'Adjani. La poursuite ne dure d'ailleurs qu'un
temps, puis l'action s'arrête à Hawaii pour un final languissant.
On peut tout de même s'intéresser aux relations entre les
deux femmes, qui sont un mélange d'attirance, de jalousie et de
fascination.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°105 - 13 avril 2003
DIMANCHE.
Itinéraire patriotique départemental.
Nous partons à la découverte du monument aux morts de Ban-de-Laveline,
au-delà de Saint-Dié. Un peu de vélo sur le chemin
du retour pour remercier les filles de leur collaboration à mes
lubies. J'ai privé Lucie de ses stabilisateurs, j'essaie de la
maintenir en équilibre mais ce n'est pas une sinécure, il
y a du roulis.
Nouvelles technologies. Caroline s'attelle
à la mise en service du lecteur DVD en fin d'après-midi.
Nous sommes en mesure de regarder notre premier disque sur les coups de
22 h 15. Pourtant, je le jure, je n'ai touché à
rien.
LUNDI.
Courriel. Échange de messages
sanglants avec une enseignante parisienne, poétesse de surcroît,
qui me prend de haut et m'agonit à propos d'un passage, pas très
malin il est vrai, d'anciennes notules. Au lieu de laisser courir, de
faire amende honorable et de passer à autre chose, je rumine, la
taupinière prend des proportions himalayennes, je me braque, je
fais le faraud et réponds vertement. Et ainsi de suite. Ces épisodes,
car ce n'est pas le premier, me laissent dans un état de nausée
et de délitement complet. Je suis bien trop pleutre et friable
pour me battre, ma lutte stérile de l'an passé contre les
services d'inspection (et qui va reprendre, j'ai appris ce matin la prochaine
visite d'un représentant de ce corps prestigieux) qui m'a laissé
définitivement exsangue et aphasique sur le plan professionnel
me l'a suffisamment prouvé. La [listeperec] est régulièrement
secouée par des joutes qui, pour être intellectuelles, n'en
sont pas moins féroces. Les antagonistes s'envoient des nasardes
d'une telle violence qu'elles me laissent pantois et un peu admiratif :
comment font-ils pour rester debout sans rendre leur quatre heures après
de tels assauts alors qu'un mot de travers sur mes notules me met sur
le flanc pour une semaine ? La tentation est forte de lisser ces
notules, de les écrêter et d'y déclarer tout et chacun
beau et gentil mais il n'est pas dit que tous les abonnés apprécieraient
d'être condamnés au régime sans sel. Pour bien me
maintenir la tête sous l'eau, la dame claironne qu'elle va faire
profiter son entourage (c'est qu'elle en connaît du monde, et du
prestigieux me dit-elle) de mes propos afin d'amuser la galerie. J'aimerais
mieux être du côté des Parisiens qui rigolent plutôt
que de celui du plouc dont on se gausse mais c'est ainsi. Parallèlement,
elle confie trouver ce qu'elle appelle mon entreprise "parfois intéressante".
Ce qui, au vu de l'affection qu'elle doit me porter, équivaut à
peu de choses près à un Prix Nobel. Dieu merci, un mot aimable
d'A.Z., une mention louangeuse sur le site de F.G. et des échanges
de liens viennent me rasséréner un brin.
Lecture. Chevauchée avec
le diable (Woe to Live On, Daniel Woodrell, 1987, traduit de
l'américain par Dominique Mainard, Rivages/Thriller 2000).
1860. La Guerre de Sécession fait rage. Loin des combats menés
par les armées régulières, le jeune Jake Roedel s'engage
chez les rebelles sudistes et se bat dans le Kansas et le Missouri.
Le film d'Ang Lee (chroniqué dans les notules
103, dimanche) reprend à peu près tous les événements
du livre. Les scénaristes ont juste fait de Roedel un Allemand
plutôt qu'un Hollandais et ajouté la scène des adieux
entre lui et Holt, le Noir sécessionniste. Le roman est d'une noirceur
absolue. Les escarmouches qui opposent Bushwhackers (Sudistes non enrôlés)
et Jayhawkers (les mêmes du côté Nord) n'ont rien de
noble et Woodrell réussit bien à montrer la lassitude puis
le dégoût qui s'emparent de Roedel, qui finira par déposer
les armes.
Dans les années 70, la Série Noire publiait régulièrement
des romans estampillés "western". Le champion du genre
était Clifton Adams, avec des titres comme Les rails sont rouges,
La parole est aux colts ou Du rif pour le shérif.
On assiste aujourd'hui à une timide renaissance du western avec
Woodrell, déjà auteur du très rural Faites-nous
la bise, et James Carlos Blake (Les amis de Pancho Villa, L'homme
aux pistolets, Crépuscule sanglant) tous deux publiés
chez Rivages.
MARDI.
Toile. A.Z. envoie sa livraison d'aptonymes
du printemps.
TV. Ocean's Eleven (Steven
Soderbergh, USA, 2001 avec George Clooney, Matt Damon, Andy Garcia, Brad
Pitt, Julia Roberts; non encore diffusé à la télévision).
A peine sorti de prison, Danny Ocean met sur pied le casse du siècle.
Il réunit une équipe de spécialistes et s'attaque
aux trois plus grand casinos de Las Vegas. Or son ex-femme partage désormais
la vie du patron des casinos en question.
Première expérience de lecture DVD. Il y a bien eu un moment
de frayeur quand, une fois la V.O. sélectionnée, les premiers
sous-titres apparurent en grec en bas de l'écran mais tout est
rentré dans l'ordre assez rapidement. Seul le film fera l'objet
d'un commentaire car il faudrait disposer de plusieurs vies à rallonge
pour s'appuyer tout ce qui l'accompagne sur ce nouveau support, reportages,
interviews et autres bandes annonces.
Soderbergh réalise depuis un moment des films de studio tout à
fait estimables (Erin Brockowich, Hors d'atteinte) et parfois
même ambitieux (Traffic). Il pratique le star-system dans
ce qu'il a de meilleur, à savoir la mise en valeur de figures exceptionnelles
(Clooney, Roberts). Seulement ici, on dirait qu'il est arrivé à
saturation, que le système qu'il avait si habilement su utiliser
jusqu'à maintenant était en train de l'avaler. Trop de moyens,
trop de décors, trop de costumes, trop de plans, trop de technologie,
trop de stars : le pudding devient étouffant. Heureusement, l'histoire
est solide et a fait ses preuves (une précédente version
du film a été tournée en 1960 par Lewis Milestone),
Clooney, Pitt et Roberts ont un charme fou et la photo - bien mise en
valeur par le support DVD - est superbe.
MERCREDI.
Socialisation. J'inscris Lucie à
un stage "Sportifs en herbe" pour les prochaines vacances.
Emplettes. J'achète deux revues
(Poétique et La Gazette fortéenne), le dernier
Mankell, des souvenirs de Georges Belmont et des billets de train.
Presse. Le Monde devient facétieux
: on trouve, dans un article consacré au premier jour de la vente
Breton, ce passage : "Au lot 78 (l'Anthologie du nonsense, de Robert
Benayoun), Cyrille Cohen [le commissaire-priseur] devient inaudible :
une panne de micro brouille l'écoute."
Contrainte. J'envoie deux phrases
à la [listeoulipo] : "Cet homme ne va jamais au cinéma.
Le seul film que je l'aie entendu dire être allé voir était
Vivre & laisser mourir". Soit une guirlande de dix verbes
consécutifs.
Cinéma. Moi César,
10 ans 1/2, 1m39 (Richard Berry, France, 2003 avec Jules Sitruk, Maria
de Medeiros, Jean-Philippe Ecoffey, Joséphine Berry, Mabô
Kouyaté, Anna Karina, Stéphane Guillon, Katrine Boorman,
Guilaine Londez, Jean-Paul Rouve, Jean Benguigui).
Le César en question est amoureux de sa condisciple Sarah Delgado
qui semble lui préférer le jeune Morgan. Le trio part pour
Londres à la recherche du père de Morgan.
Mine de rien, Richard Berry a le goût du risque. Il navigue ici
brillamment entre les écueils et mène à bon port
un film qui n'était pas gagné d'avance (voir la bande annonce
détestable). Comme écueil principal, il y a la mise en vedette
de Jules Sitruk, déjà remarqué dans Monsieur Batignole
de Jugnot (une vraie pouponnière car on y trouvait aussi le futur
Lucien d'Effroyables jardins), à l'âge où la
différence entre bonne bouille et tête à claques est
souvent ténue. Berry sait trouver le ton juste et le bon angle
avec les enfants, leçon sans doute apprise auprès de Christine
Pascal qui le dirigea dans Le petit prince a dit. Autre écueil,
la peinture du milieu familial, entre comédie et réalisme.
Le personnage du père de Sarah, divorcé faussement copain
et jovial, est un régal. Les problèmes des jeunes enfants
sonnent juste : puberté, jalousie, détestation de son corps,
jonglage entre les parents éparpillés (un seul des trois
vit avec son père et sa mère), difficultés à
répondre aux aspirations des parents. A partir de là, on
marche, on accepte tout, même un final de conte de fées et
on dit chapeau.
Curiosité. Gad Elmaleh est décidément dans l'air
du temps puisque Berry lui pique son à-peu-près année
sabbatique/année sympathique.
JEUDI.
Contrainte (suite). Alain Chevrier
ajoute un verbe à ma phrase. Éric Angelini me livre un texte
constitué de 110 verbes consécutifs. Je rentre sous terre.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. à l'AGP, à A.N. et une demande d'invitation au cinéma
à Libération.
TV. Un étrange voyage (Alain
Cavalier, France, 1980 avec Jean Rochefort, Camille de Casabianca; diffusé
sur Canal + en ?).
Pierre et sa fille Amélie arpentent une voie ferrée à
la recherche de la mère de Pierre.
C'est un des derniers films de fiction d'Alain Cavalier, avant qu'il n'y
renonce pour se consacrer à des documentaires qui n'atteignent
jamais nos contrées. La tentation documentaire est visible dans
la façon de filmer certaines ambiances (les buffets de gare) et
certains aspects des personnages (la boulimie d'Amélie). La quête
de la grand-mère va permettre le rapprochement entre le père
et la fille au terme d'un film pudique sur l'amour filial. François
Berléand et Dominique Besnehard, qui débutaient, sont à
vingt ans de distance méconnaissables.
VENDREDI.
TV. P.J. La nouvelle saison de cette
série débute par un épisode totalement irréaliste.
Il y est en effet question d'une pharmacienne volage qui trompe son mari
(en plus avec ce vieux barbon de commissaire Meurteaux). Incroyable.
SAMEDI.
Écrits. Je récupère
une pellicule de photos et mets à jour mes Bars clos et
mon Itinéraire.
TV. Rue des plaisirs (Patrice
Leconte, France, 2001 avec Patrick Timsit, Laetitia Casta; diffusé
sur Canal + en avril 2003).
Au temps des maisons closes, Petit Louis homme à tout faire dans
un de ces établissements, s'emploie à faire le bonheur de
Marion, une pensionnaire.
Un film d'une rare vacuité, bâti sur une nostalgie un peu
rance (ah le bon temps des "maisons"). Pour meubler cette nostalgie,
Leconte se contente d'enquiller les chansons de Mistinguett et de Jean
Sablon sur la bande son. Les comédiens ont l'air d'être accablés
par le vide de leurs personnages. Pour passer le temps, Laetitia Casta
chante aussi. Très mal. Imaginer de lui faire gagner un radio-crochet
comme c'est le cas dans cette histoire est une insulte au goût de
l'époque.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°106 - 20 avril 2003
DIMANCHE.
Farniente. Ouverture de la saison
de chaise-longue à Saint-Jean-du-Marché. Comme chaque année,
j'éprouve une satisfaction intense à retrouver ce lieu,
je suis encore plus énervé que les filles, j'en deviendrais
presque bavard. J'en arrive à former le vœu imbécile de
hâter les vingt années qui me restent avant de partager ma
vie, c'est ainsi du moins que je la rêve, entre les deux endroits
où je trouve le repos, entre Paris et Saint-Jean-du-Marché,
entre la ruche et la thébaïde.
TV. La Malédiction des hommes-chats
(The Curse of the Cat People, Robert Wise et Gunther von Fritsch,
USA, 1944 avec Simone Simon, Kent Smith; diffusé sur Cinéclassics
en janvier 2001).
La petite Amy inquiète ses parents à cause de son imagination
débordante : toutes les aventures qu'elle prétend vivre
sont-elles vraies ?
Il s'agit de la suite que la RKO a tenu à donner à La
Féline de Jacques Tourneur (ce qui éclaire le titre,
car on ne voit pas plus d'hommes-chats que de femmes-autruches). On y
retrouve les mêmes personnages, interprétés par Simone
Simon (la femme morte) et Kent Smith (l'homme vivant, remarié,
père de la petite Amy). Amy entre en contact avec la morte, ce
qui a le mérite de montrer que le cinéma américain
n'a pas attendu L'Exorciste et encore moins Sixième sens
pour doter les enfants d'étranges pouvoirs. On peut aussi noter
que le film évoque la légende du cavalier sans tête,
que Tim Burton mettra en scène bien plus tard dans Sleepy Hollow.
LUNDI.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules en provenance du Québec.
Echange avec A.N. à propos de Soderbergh.
TV. Nid de guêpes (Florent
Emilio Siri, France, 2002 avec Benoît Magimel, Samy Naceri, Nadia
Farès, Pascal Greggory; diffusé sur Canal + en mars 2003).
Dans un entrepôt de la banlieue de Strasbourg, une bande de malfrats
se retrouve coincée avec un caïd albanais et son escorte.
Comment se sont-ils retrouvés là, réunis pour contrer
les assauts d'un groupe surarmé cherchant à libérer
le caïd, je n'en sais rien. Personne n'en sait rien d'ailleurs, tant
le film semble être éloigné de tout souci de logique
et d'explication. Ce n'est qu'un prétexte pour multiplier les scènes
de fusillade filmées de façon épileptique. Ce genre
de chose peut à la rigueur intéresser les collectionneurs
d'armes ou les phrénologues (pour l'abondance des crânes
rasés). Magimel et Naceri rivalisent de ridicule sans pour autant
arriver à la cheville de Nadia Farès, une spécialiste
il faut dire. Seul Greggory parvient à garder un minimum de tenue
malgré la moustache dont on l'a affublé et qui lui donne
un air de Jean Bouise sans lunettes (!). Haut la main, pour ce que
j'en ai vu, le film le plus nul de l'année 2002.
MARDI.
Photo. Je prends une série
de clichés de Bars clos spinaliens.
TV. L'Appât (The Naked
Spur, Anthony Mann, USA, 1953 avec James Stewart, Robert Ryan, Janet
Leigh, Millard Mitchell, Ralph Meeker; diffusé sut TCM en ?).
Howard Kemp est à la poursuite d'un hors-la-loi. Pour sa capture,
il reçoit l'aide de deux hommes mais n'a pas l'intention de partager
la récompense promise avec eux.
Je connais mal les westerns d'Anthony Mann, les cinq qu'il a tournés
avec James Stewart, j'ai juste un souvenir lointain de Winchester 73
qui m'avait plutôt ennuyé. L'Appât est un film
sombre. Ses protagonistes sont des hommes désabusés, marqués
par des échecs dans la recherche de l'or, dans l'armée ou
dans l'élevage. L'argent que la rançon peut leur apporter
est leur seul chance et entraîne bien sûr des tensions dans
leur groupe. Pourtant, l'espoir est au rendez-vous avec une fin surprenante
qui marque le départ d'Howard Kemp pour une nouvelle vie.
MERCREDI.
TV. Jurassic Park III (Joe
Johnston, USA, 2001 avec Sam Neill, William H. Macy, Téa Leoni;
diffusé sur Canal + en avril 2003).
Un couple engage le professeur Grant pour retrouver leur fils perdu sur
l'île de Jurassic Park.
Au troisième volet, Spielberg s'efface et passe la main à
Joe Johnston, réalisateur de Chérie, j'ai rétréci
les gosses. La machine est bien lancée, efficace, et n'a plus
besoin de sa caution. Et c'est vrai que ça fonctionne toujours,
les créatures sont toujours impressionnantes et les acteurs, bien
choisis, crédibles. Le danger provient du côté répétitif
des combats qui peut lasser. Pour l'éviter, les auteurs ont choisi
de ne pas s'étendre : au bout d'une heure trente, les Marines débarquent
sur l'île et ramènent toute le monde à la maison en
deux minutes. On retiendra l'idée du téléphone portable
ingurgité par un dinosaure et que les aventuriers doivent aller
récupérer dans ses bouses encore fumantes.
JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et des félicitations au lauréat d'un concours administratif.
Cinéma. Bon voyage (Jean-Paul
Rappeneau, France, 2003, avec Isabelle Adjani, Gérard Depardieu,
Virginie Ledoyen, Yvan Attal, Grégori Derangère, Peter Coyote).
Juin 1940. A Bordeaux, un jeun écrivain, Frédéric,
est partagé entre deux femmes, Viviane, une star de cinéma,
et Camille, une étudiante passionnée.
En l'espace de douze mois, Monsieur Batignole, Laissez-passer,
Amen, Le Pianiste, Un monde presque paisible, Effroyables
jardins et aujourd'hui Bon voyage, et ce, rien que pour la
production française. Question : sans la guerre, qu'est-ce qu'on
irait voir au cinéma ? Bon voyage se distingue sur deux
plans (outre le fait qu'il est produit par Michèle et Laurent Pétin,
ce qui ne manque pas de sel) : le cadre et l'intention. On quitte Paris,
vu trop souvent, pour Bordeaux par le dernier train partant de la Gare
d'Austerlitz juste avant l'arrivée des Allemands. La peinture de
la ville, cautionnée par la présence de Patrick Modiano
au scénario, est une vraie nouveauté, avec les rue, les
ponts, les parcs envahis par la foule des réfugiés et les
hôtels pris d'assaut et occupés par le gouvernement et les
parlementaires. Par l'intention, le film se démarque par le fait
que contrairement à ses prédécesseurs, Rappeneau
n'a pas de leçon à donner. Il poursuit dans la veine de
la comédie brillante qu'il manie à merveille depuis plus
de trente ans. Vaudeville, action, romance, politique, engagement individuel,
espionnage sont ici rassemblés pour deux heures trépidantes
et jubilatoires. Frédéric (Derangère) est catapulté
dans l'Histoire à la manière d'un Rouletabille et finit
par se tirer des pattes des Allemands, des espions et d'une femme fatale
au bout d'une succession de rebondissements incessants.
Un mot sur Adjani, qui n'apparaît pas très à l'aise.
Elle joue une écervelée, a ressorti ses lunettes noires
de Mortelle randonnée, virevolte, prend des poses. Ledoyen
(née en 1976), dans le rôle de l'étudiante jeune,
sérieuse, sincère, engagée, cache mal son désir
de chausser les cothurnes de son aînée (née en 1955).
La scène finale se passe dans une salle de cinéma. Sur l'écran,
une Adjani en noir et blanc chante en play-back dans un film poussiéreux.
Dans les rangs des spectateurs, Derangère embrasse une Ledoyen
fraîche et vivante. Ça ressemble fort à une passation
de pouvoir.
SAMEDI.
Courriel. Pierre Jullien, du Monde,
répond à mes interrogations sur le devenir du timbre Perec.
Je transmets à la [listeperec].
TV. P.J. Bonne nouvelle pour les petites
et les grandes : Bruno Wolkowich reprend du service et, faisant fi de
ses nouvelles responsabilités au cabinet du Préfet de police,
n'hésite pas à remettre les mains dans le cambouis pour
aider ses petits copains de la P.J. Saint-Martin.
Bon dimanche.
N.B. En raison des vacances, le prochain numéro des notules sera
servi le dimanche 4 mai.
|