Notules
dominicales de culture domestique n°137 - 7 décembre 2003
DIMANCHE.
TV. The Shield (série
américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison
1, épisodes 3 & 4, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Un épisode, suffisamment peu passionnant pour m'endormir, est consacré
à la guerre des gangs dans le milieu du rap angeleno. L'autre présente
un basketteur des Lakers retenu illégalement par l'équipe
de ripoux dirigée par Vick Mackey. Pour le taquiner, les flics
l'appellent "sport" : "Come on, sport",
"Listen, sport", etc. Je n'avais jamais vu ou entendu
ce mot utilisé pour qualifier une personne ailleurs que dans The
Great Gatsby de Fitzgerald où les personnages s'interpellent
à coups de continuels "old sport" ("You're
selling bonds, aren't you, old sport ?"), traduits par "cher
vieux" dans la traduction de Jacques Tournier.
LUNDI.
Réactions aux notules. J. me
trouve trop dur avec les frères Coen. F.P. a déniché
un professeur de mathématiques nommé Lecomte.
Lecture. Preuve vivante (Living
Proof, John Harvey, 1995; 2000, Éditions Payot & Rivages
pour la traduction française, coll. Rivages/noir n° 360; traduit
de l'anglais par Jean-Paul Gratias, 384 p.).
Cathy Jordan, auteure américaine, est l'invitée du Festival
du polar de Nottingham. Elle a reçu des lettres de menace. L'inspecteur
Resnick est chargé de sa protection.
Septième volet des aventures de Charles Resnick, personnage solitaire
et humaniste, Preuve vivante est un roman un peu décevant.
Peut-être justement parce que Resnick y est un peu en retrait, John
Harvey semblant plus intéressé par le personnage de Cathy
Jordan, auteure moderne en opposition avec une représentante du
roman policier traditionnel anglais à énigme. Pierre Siniac
dans L'utilisation des restes, Pascal Garnier dans Nul n'est à
l'abri du succès, Jean-Jacques Fiechter dans Tiré
à part ont déjà évoqué le quotidien
d'un écrivain dans le cadre d'un polar, le milieu littéraire
se prêtant bien aux intrigues et aux règlements de comptes.
Ici, l'enquête policière se dénoue dans un dernier
chapitre assez habile mais pour les familiers de John Harvey, c'est la
figure de Resnick qui est primordiale, son quotidien, ses sandwiches,
ses virées au club polonais, ses chats, toutes choses un peu délaissées
ici, ce qui laisse le lecteur inconditionnel sur sa faim.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton,
Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode
1, diffusé sur Canal + le 30 novembre 2003).
Il s'agit d'une série sur les extra-terrestres produite par Steven
Spielberg. Les petits hommes verts vont envahir le quotidien de trois
familles américaines. L'histoire débute après la
seconde Guerre Mondiale et doit nous promener sur cinquante ans d'histoire
américaine. Nous sommes sur la base de Rockwell, où fut
capturée en 1947 la créature que TF1 essaya de nous revendre
il y a quelques années. La mise en place est plutôt laborieuse,
mais ça peut s'améliorer. De toute façon, je ne quitterai
pas le vaisseau, fût-il spatial, en cours de route : les séries
(24 heures chrono, Six Feet Under, The Shield, P.J. qui reprend
la semaine prochaine) sont en train d'envahir mon quotidien télévisuel
aux dépens des films. Un peu par facilité, sans doute :
c'est confortable, une série, c'est un rendez-vous avec des personnages
qui entrent dans votre vie au fil des épisodes, ça fait
appel à des sentiments basiques, ça ne demande pas, contrairement
à un film, une remise à zéro du compteur émotionnel
personnel et ça marche, du moins avec moi.
MARDI.
Iconologie. DDL me conseille les Caractéristiques
des saints dans l'art populaire du P. Ch. Cahier, 1867, réédité
en 1982 en 7 exemplaires dont un se trouve à la Bibliothèque
municipale d'Épinal.
MERCREDI.
Figaro (1). En face de la pharmacie,
le magasin du marchand de télés qui n'avait jamais vendu
de télés est devenu un salon de coiffure. Il a ouvert lundi.
Il s'appelle "N.B. Coiffure". N.B., ce sont les initiales du
merlan. Celui-ci fait preuve d'une certaine audace en employant le mot
coiffure dans sa raison sociale. Ça ne se fait plus. De même
que les cafés ne s'appellent plus café, les salons de coiffure
ne s'appellent plus salon de coiffure, ça fait ringard. On préfère
aujourd'hui des enseignes qui jouent plutôt platement avec les mots
"hair", "style", "coupe" ou l'apocope "coiff".
Sur Épinal, on a le choix entre "Coiff'elles", "Evolu'tif",
"Imagin'Hair", "Golfhair", "Un Hair de Caro"
et mon préféré, le délicieux "Jean Rob'Hair".
Il reste de la place pour "Hair O'Nimo" (spécialiste
en nattes indiennes), "Style O'Bath" (architecte du cheveu),
"Hair Tonte Senna" (coiffure express), "Hair Bivore"
(coiffure végétarienne) ou son concurrent féroce
"Hamburg'Hair". Pour saluer cette audace et pour des raisons
vicino-commerciales, j'ai pris rendez-vous ce matin. Le magazine qu'on
m'offre à feuilleter en attendant mon tour, couvert de photos d'éphèbes
en tenue légère ou sans tenue du tout, me fait découvrir
un domaine de la presse dont je suis peu familier. On ne reconnaît
plus le joyeux capharnaüm du marchand de télés, un
artiste local a transformé la place en foire aux croûtes.
Je m'en veux un peu de brimer la créativité que je sens
poindre au bout des ciseaux du figaro, vu que je ne vais chez le coiffeur
que pour ne pas avoir à acheter de peigne, mais l'homme est charmant,
m'accueille aimablement, ne se formalise pas de mon art sommaire de la
conversation et je me réjouis que son commerce redonne un peu de
vie au quartier.
Cinéma. Pas sur la bouche
(Alain Resnais, France, 2003 avec Pierre Arditi, Sabine Azéma,
Lambert Wilson, Isabelle Nanty, Jalil Lespert, Audrey Tautou, Darry Cowl,
Daniel Prévost, Françoise Gillard).
Gilberte Valendray a toujours caché à son mari Georges son
premier mariage avec l'Américain Eric Thomson. Mais Georges entre
en affaires avec Eric et se lie d'amitié avec lui.
Toujours à la recherche de nouvelles formes d'expression, Alain
Resnais choisit ici de ressusciter, avec la complicité orchestrale
de Bruno Fontaine, un genre oublié, l'opérette française
de l'entre-deux-guerres. Genre oublié, mais pas de tous puisque
l'excellente émission de Benoît Duteurtre permet d'entendre
chaque samedi (11 h - 12 h 30 sur France Musiques) des airs tirés
des oeuvres de Maurice Yvain, comme celle-ci, Messager, Chabrier, Lecoq
ou Boieldieu. Le passage de la scène à l'écran n'est
pas vraiment convaincant et on pense souvent à la tentative similaire
de François Ozon à partir du théâtre policier
de boulevard dans 8 femmes. On a l'impression d'ouvrir une belle
boîte à musique, riche, confortable, dans laquelle s'agitent
mécaniquement les personnages. Il y a bien sûr le plaisir
de retrouver la famille Resnais, Arditi et Azéma en tête,
et des invités comme Daniel Prévost, jamais aussi sobre
ni aussi bon qu'ici, mais ça ne suffit pas, sauf dans les dernières
scènes de la première partie : là, les duos laissent
place au chant choral, et Resnais devient metteur en scène de comédie
musicale, trouve à utiliser les décors de façon ludique
et inventive.
A remarquer que personne, ni les critiques lus depuis, ni Resnais lui-même
dans les divers entretiens accordés, n'a signalé l'existence
d'une version de Pas sur la bouche datant de 1931 réalisée
par Nicolas Evreinov et Nicolas Rimsky avec Pierre Ferval, Mireille Perrey
et Alice Tissot. Le film n'étant pas non plus mentionné
dans les dictionnaires des films, on peut penser qu'il a probablement
disparu.
JEUDI.
Érection. Installation d'un
sapin de 4 mètres devant la pharmacie. Heureusement que les préparatrices
ont des maris dévoués et habiles. L'idée seule d'avoir
à grimper sur l'escabeau pour installer la guirlande me donnait
le vertige.
Lecture. Mondo et autres histoires
(J.M.G. Le Clézio, Éditions Gallimard, 1978, coll. Folio
n° 1365, 320 p.).
Nouvelles.
J'ai beau faire quelques efforts de temps en temps, je n'arrive pas à
trouver un grand intérêt à l'œuvre de Le Clézio.
Les nouvelles ici rassemblées sont centrées sur le même
thème, l'enfance. Les personnages successifs, des enfants vivant
dans un cadre méditerranéens, rêvent de quitter leur
milieu, aspirent au voyage, à la mer, à l'ailleurs. Ils
ont un rapport contemplatif à la nature - descriptions, foisonnement
d'images au service d'une écriture dite poétique - pratiquent
l'errance, rencontrent des adultes énigmatiques qui sont autant
d'initiateurs. C'est beau comme une photo glacée et d'un ennui
sidéral.
VENDREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et la liste de mes meilleurs films de l'année à Télérama :
1. Arrête-moi si tu peux (Steven Spielberg)
2. Les Invasions barbares (Denys Arcand)
3. Un homme, un vrai (Arnaud et Jean-Marie Larrieu)
4. Elephant (Gus Van Sant)
5. Zatoichi (Takeshi Kitano)
6. Mystic River (Clint Eastwood)
7. Un couple épatant (Lucas Belvaux)
8. Cavale (Lucas Belvaux)
9. Après la vie (Lucas Belvaux)
10. The Magdalene Sisters (Peter Mullan).
Pieds froids (1). C'est le défilé
de Saint-Nicolas du quartier. Au fil des ans, on note une certaine amélioration.
Cette année, il y a trois chars au lieu de deux et le boulanger
local a généreusement renoncé à distribuer
sur le parcours ses bouts de pain rassis. De plus, une vraie fanfare défile,
remplaçant avantageusement la sono habituelle qui nous gratifiait
d'airs de saison genre "Un dos tres" ou "Macarena".
SAMEDI.
Figaro (2). Je ne suis pas James Stewart,
je n'ai pas la jambe dans le plâtre, et pourtant, j'ai l'impression
de jouer dans Fenêtre sur cour. Mon bureau donnant sur la
rue, j'ai tout loisir d'observer de ma fenêtre les mouvements occasionnés
par l'ouverture du nouveau coiffeur dont le salon est devenu en quelques
jours le dernier salon où l'on cause. Ainsi, cet après-midi,
j'ai la surprise d'y voir entrer une collègue qui n'en sortira
que cinq heures plus tard, j'ai bien dit cinq heures, bel exemple de ferveur
capillaire. Au moins, j'aurai quelque chose à raconter en salle
des professeurs lundi matin. A moins que je n'en fasse part à son
mari par téléphone, il a dû s'inquiéter pendant
tout ce temps, le pauvre.
Pieds froids (2). Défilé
de Saint-Nicolas, rayons grandes tailles cette fois au centre d'Épinal.
L'occasion de revoir les G. qui m'offrent le dernier roman de Philippe
Claudel et de flatter mon goût, réel, pour les batteries-fanfares,
cliques et orphéons. Nous croûtons chez mes parents avec
la branche comtoise de ma fratrie.
Bon dimanche,
N.B. Le numéro 138 des notules sera servi avec retard.
Notules
dominicales de culture domestique n°138 - 14 décembre 2003
DIMANCHE.
Réactions aux notules 1. AZ
partage mon manque d'enthousiasme pour Le Clézio et parle des enseignes
des salons de coiffure vésigondins. Sur ce même sujet, RC
fait une proposition judicieuse (comment n'y ai-je pas pensé ?)
: un salon situé face à une pharmacie se devait de s'appeler
"Hair comprimé". Le voisin coiffeur est passé
à la pharmacie ces jours-ci. Il a acheté un litre d'eau
oxygénée à 110 volumes. D'après Caroline,
on vend surtout cette tisane aux gens qui souhaitent décaper de
façon radicale portes et boiseries. Surveiller les têtes
d'après-coupe des clients à venir.
TV. The Shield (série
américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison
1, épisodes 5 & 6, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Deux épisodes captivants, jouant parfaitement sur l'ambiguïté
du personnage de Vick Mackey. On se surprend à croiser les doigts
pour qu'il retrouve la voiture qu'on lui a volée et dans laquelle
il a planqué la came subtilisée au cours d'une rafle et
qu'il destine à son commerce personnel.
LUNDI.
Réactions aux notules 2.
PA a fui le dernier Resnais avant la fin et me fait part de sa sélection
cinématographique de l'année.
Y. parle du professeur Lecomte et de Bruno Fontaine.
Courrier. Le dernier bulletin de l'Association
Georges Perec signale, à un conditionnel qui n'est plus de saison,
mon passage aux manettes.
TV. 24 heures chrono (saison
2, épisodes 23 & 24, diffusés sur Canal + le 6 décembre
2003).
The end. C'est l'heure du bilan. Bilan qui laisse apparaître une
légère déception. Le téléspectateur
est devenu plus exigeant. C'est vrai que la nouveauté (tentative
de récit en temps réel, ou presque) n'en est plus une, puisque
le procédé est répété. Contrairement
à la première saison, il y a eu des épisodes creux.
Il y a eu moins de surprises aussi. Le personnage de Kim Bauer, qui faisait
partie de la première intrigue est relégué ici dans
une histoire secondaire sans intérêt. Ces faiblesses sont
en partie compensées par un contenu politique plus percutant et
sans équivoque, traduit par la mise au premier plan du président
David Palmer. Il s'agit clairement de dénoncer les va-t-en-guerre
et une politique étrangère fondée sur des réactions
primaires plutôt que sur la négociation et la recherche de
preuves. L'ensemble reste captivant et on sera là pour la troisième
saison.
MARDI.
Vie professionnelle. Je sèche
le Grand Débat sur l'avenir de l'école. Je n'ai rien d'un
débatteur, encore moins d'un Grand Débatteur et j'arrive
de moins en moins à faire semblant de m'intéresser à
des choses qui ne m'intéressent pas. De plus, il faut bien que
je commence un jour à récupérer les quinze lundis
de Pentecôte qu'on va me sucrer d'ici à ma retraite.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète le dernier
polar de John Harvey et des billets de train.
Courrier. FP m'envoie le certificat
d'exercice du professeur de mathématiques Lecomte, qui s'appelle
en vérité Lecompte, ce qui est aptonymiquement parlant préférable.
Cinéma. Kill Bill : Vol.
1 (Quentin Tarantino, USA, 2003 avec Uma Thurman, David Carradine,
Daryl Hannah, Michael Madsen, Vivica A. Fox, Lucy Liu, Julie Dreyfus).
Une jeune femme est victime d'un gang le jour de son mariage. Après
quatre années passées dans le coma, elle entreprend de se
venger.
Sur ce scénario qui convoque aussi bien Le Comte de Monte-Cristo
que La Mariée était en noir, Tarantino donne libre
cours à sa virtuosité époustouflante. A rebours de
John Woo ou Ang Lee, on dirait qu'il se lance dans le film asiatique après
avoir fait le tour du cinéma américain (en trois films !).
La vengeance de la mariée est impitoyable, sanglante, prétexte
à des scènes de combat travaillées à l'extrême
(huit semaines de tournage pour les vingt minutes du combat de la Villa
Bleue). L'espace est utilisé sous tous les angles, dans toutes
ses dimensions. Le catalogue de références est épais,
de George Sidney à Sergio Leone en passant par Kitano et Jackie
Chan. Car le matériau, ce que travaille Tarantino, ce n'est pas
une histoire, ce n'est pas un personnage, c'est le cinéma dans
son ensemble. La dérision n'est jamais loin, comme dans ce duel
d'ouverture entre un couteau de cuisine et une poêle à frire.
Bref, Tarantino se dépense, s'amuse, mais il est parfois seul à
le faire. Comme tout le monde, j'ai été soufflé par
ses débuts dans Reservoir Dogs mais j'ai l'impression que
depuis il a du mal à dépasser le statut d'élève
surdoué qui étale un peu vainement un savoir-faire exceptionnel.
JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et à G.N., l'aptonyme Lecompte à A.Z.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton,
Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode
2, diffusé sur Canal + le 7 décembre 2003).
Ce n'est qu'à l'issue de ce deuxième épisode que
je commence à distinguer un peu les personnages les uns des autres,
à m'intéresser à leurs faits et gestes, à
m'interroger sur ce qui va advenir de l'un ou de l'autre. Ça n'a
pas été sans mal. Il semblerait que les extra-terrestres
dont il est question soient dotés d'un pouvoir non prévu
dans le cahier des charges, celui de me faire fermer les paupières
au bout d'un quart d'heure. Trois soirées nécessaires pour
regarder un épisode de 90 minutes, je me suis connu plus efficace.
VENDREDI.
Fugue. Départ pour Paris par
le 16 heures 08. Caroline a accepté de différer ses retrouvailles
avec Bruno Wolkowitch pour m'accompagner. Le séjour, placé
donc sous le signe du couple, commence naturellement par un duo de ris
et rognons de veau à la Brasserie de l'Est.
Lecture. Lumière morte (Lost Light, Michael
Connely, Éditions du Seuil, 2003, traduit de l'américain
par Robert Pépin; 354 p, 21 ).
Harry Bosch a rendu son insigne. C'était à la dernière
page de Wonderland Avenue, le volume précédent. Retraité
du Los Angeles Police Department, il a pris une licence de privé
qui lui permet d'assouvir sa soif de justice. Quatre ans avant le début
de cette histoire, Angella Benton, une jeune assistante de production,
a été retrouvée assassinée quelques jours
avant un gros hold-up sur un tournage à Hollywood. L'affaire est
enterrée mais Bosch n'a pas oublié. Pour lui, les deux histoires
sont liées et il s'emploie à rouvrir le dossier. Ce qui
ne plaît pas à tout le monde : Bosch, même à
l'écart, conserve une faculté stupéfiante à
se faire des ennemis partout où il passe.
Comme il travaille ici principalement sur dossiers, son enquête
manque un peu de spectaculaire, d'action. C'est ce qu'on se dit pendant
les trois-quarts du livre, jusqu'au moment où tout s'emballe pour
un dénouement qui vient effacer ce jugement en demi-teinte. Parallèlement,
la vie de Bosch sur le plan sentimental et personnel continue à
évoluer avec ses tentatives pour renouer avec Eleanor, son ex-femme
devenue joueuse professionnelle à Las Vegas, tentatives qui aboutissent
à un joli coup de théâtre final. Comme d'habitude,
on attend la suite.
Citation. "Je sortis le saxophone de son étui et le plaçai
comme il fallait : j'étais prêt à jouer. Je commençais
toujours la leçon en essayant de jouer Lullaby, chanson
de George Cables que j'avais découverte sur un disque de Frank
Morgan. Il s'agit d'une ballade lente, donc plus facile à jouer.
C'est aussi un très beau morceau. Il ne dure même pas une
minute et demie (...)" Une minute et vingt-neuf secondes exactement
sur l'album Mood Indigo. Bien joué Connely : j'aime les choses
précises.
SAMEDI.
Vie parisienne. La journée
s'ouvre par le séminaire Perec à Jussieu. Wilfrid Mazzorato
est venu parler des "récipients perecquiens", non pas
sous forme de catalogue comme je m'y attendais mais en se consacrant à
trois d'entre eux (le bol des Lieux d'une fugue, le Graal qui apparaît
au chapitre 22 de La Vie mode d'emploi et la bassine de plastique
rose d'Un homme qui dort) qu'il essaie de relier à l'écriture
autobiographique. L'exégèse perecquienne s'affine. On verra
de moins en moins d'intervenants prêts à s'attaquer, comme
Cécile De Bary le mois dernier, au réalisme chez Perec,
à la judéité ou à l'autobiographie en général.
Il devient difficile de trouver de nouveaux angles d'attaque dans ces
domaines. Alors on se fait plus pointu : la cartographie l'an dernier,
les récipients aujourd'hui, et à l'avenir peut-être
le bestiaire perecquien, le poil chez Perec ou autres. L'absence de Bernard
Magné délie les langues, particulièrement celle de
Roland Brasseur.
Je croûte avec Caroline au Celtique, rue des Écoles. Onglet
et frites luisantes, de quoi se passer de stick à lèvres
pour le reste du séjour. Les rodomontades de nos voisins de tables,
des vendeurs du Vieux Campeur, me conduisent à souhaiter que le
réchauffement de la planète s'accélère de
façon à ce qu'il n'y ait plus de neige, plus de sports d'hiver
et surtout plus de vendeurs de matériel de sports d'hiver. Je magasine
avec Caroline autour du Bon Marché, l'abandonne rue de Grenelle
pour me rendre à mon rendez-vous. Rue de Sèvres, rue du
Vieux-Colombier, rue Bonaparte, rue Guynemer, rue Vavin, rue Bréa,
boulevard du Montparnasse, rue d'Odessa, rue de la Gaîté
où je remue mes souvenirs de Brassens à Bobino (1977, mon
premier voyage solo à Paris), avenue du Maine. Je suis attendu
dans les locaux du commissariat du XIV° arrondissement par le lieutenant
R., si on ne dit pas encore la lieutenante, de la 3° D.P.J. qui recueille
ma déposition dans le cadre de l'instruction ouverte contre mon
voleur de portefeuille. Je m'aperçois que j'ai été
chanceux. Parmi les autres victimes de ce rat de bibliothèque,
une dizaine en tout, plusieurs ont vu leurs comptes bancaires ponctionnés
à l'aide des papiers et cartes bancaires qui leur ont été
volés. J'enrichis mon vocabulaire : j'apprends que j'ai été
victime d'un "dos à dos" (le pickpocket s'assied derrière
vous et fouille vos fouilles en posant sa veste sur le dossier de la chaise
adossée à la vôtre) et le verbe "marianner"
("Il n'y a plus qu'à marianner tout ça", dit l'officier
en s'emparant du tampon à l'effigie de Marianne). Je ressors libre,
et retrouve Caroline boulevard Haussmann, ce qui constitue une sorte d'exploit
en cette période de l'année. Toujours sous le signe du couple,
nous avalons une choucroute "Formidable pour deux" qui nous
étend pour le compte.
Bonne semaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°139 - 21 décembre 2003
DIMANCHE.
Cinéma (l'Arlequin, rue de
Rennes, Paris VI°). La Poison (Sacha Guitry, France, 1951 avec
Michel Simon, Jean Debucourt, Pauline Carton, Jacques Varennes, Jeanne
Fusier-Gir, Georges Bever, Duvaleix, Germaine Reuver, Louis de Funès,
Marcelle Arnold, Jacques de Feraudy; vu dans le cadre du ciné-club
animé par Claude-Jean Philippe et non dans celui du week-end placé
sous le signe du couple).
Un horticulteur qui veut se débarrasser de sa femme consulte un
avocat célèbre qui, sans s'en douter, lui fournit la recette
du crime parfait.
Sacha Guitry et Michel Simon au meilleur de leur forme. Le premier a ciselé
une merveille de cynisme qui lui permet de dire tout le bien qu'il pense
de la province, du clergé, du mariage, de la justice. On devine
que les soucis que lui a valus, à la Libération, son attitude
pendant l'Occupation ne sont pas étrangers à ce règlement
de comptes. Michel Simon entre parfaitement dans le projet de Guitry,
on sent la complicité et l'admiration qui unit les deux hommes.
A propos de l'interprétation, il est intéressant de comparer
La Poison à son remake, Un crime au Paradis de Jean
Becker. Si Jacques Villeret a ajouté au personnage de Michel Simon
un côté benêt qui n'était pas utile, en revanche,
le jeu de Balasko, qui pouvait sembler outré, correspond parfaitement
à celui de Germaine Reuver.
Curiosité : le film a été tourné en 11 jours.
Un peu rapide peut-être, car il subsiste un faux raccord dans la
scène du café.
Vie
parisienne (fin). Nous quittons le débat qui suit le
film en cours de route pour attraper le 13 heures 44. Le couple redevient
quatuor à 17 heures 35.
LUNDI.
TV. Bowling For Columbine (Michael
Moore, USA, 2002).
Documentaire.
On peut reprocher beaucoup de choses à Michael Moore. Sa façon
de se mettre en avant, de se présenter comme le chevalier blanc
pourfendant tour à tour le délabrement social (The Big
One) et ici le lobby des armes à feu. Sa manière abrupte
dans les interviews qu'il mène de façon à ne laisser
place à aucune contradiction. Sa tendance à appuyer sur
la note sensible pour appeler indignation et compassion. En cela, Michael
Moore est plus un homme de télévision que de cinéma.
Cependant, on ne peut lui enlever la légitimité des causes
qu'il défend, l'efficacité qu'il met à leur service
et la justesse de ses analyses. Dans Bowling, il a vite fait de
mettre à mal les raisons qui font des États-Unis le pays
au monde où l'on compte le plus de décès par arme
à feu. Racisme, poids de l'Histoire et des traditions, programmes
télévisés violents existent dans d'autres pays (la
comparaison avec le Canada est édifiante) sans produire les mêmes
effets. Moore se détourne de ces raisons prétextes pour
accuser la politique sociale et la politique étrangère de
son pays. Son côté efficace, on le voit quand il parvient
à obtenir de la chaîne Wall-Mart la promesse (fut-elle tenue
?) d'arrêter la vente de munitions dans ses magasins. The Big
One se terminait par un face à face entre le P.-D.G. de Nike
et le réalisateur. Moore reproduit le procédé ici
avec une rencontre avec Charlton Heston, président de la National
Rifle Association, qui n'a pas besoin de ça pour être ridicule.
Un ridicule qui tue pour de vrai, celui-là.
MARDI.
TV. P.J. (série française
réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles
Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode
1, diffusé sur France 2 le 19 décembre 2003).
Agréable surprise. Alors qu'on attendait le ronron, l'épisode
est nerveux, même le commissaire Meurthaux se démène.
Lamoujie est arrêté, accusé de pédophilie,
une affaire d'autodéfense s'avère plus complexe qu'elle
ne paraît. Souhaitons que la série maintienne le rythme.
Lecture.
Eau dormante (Still Water, John Harvey, 1997; Éditions Payot
& Rivages 2003 pour la traduction française, coll. Rivages/noir
n° 479; traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias; 418 p., 10,40
€).
Nottingham. Plusieurs femmes sont retrouvées noyées dans
des canaux, dont Jane Peterson, l'amie de la compagne de l'inspecteur
Resnick. Au cours de son enquête, Resnick découvre la violence
du mari de Jane. Celle-ci a-t-elle été victime de son mari
ou d'un noyeur en série ?
On avait quitté Charles Resnick, à la fin de Preuve vivante,
célibataire confirmé. On le retrouve au premier chapitre
d'Eau dormante quasiment en concubinage avec Hannah, une enseignante
dont on n'avait vu trace dans aucun des épisodes précédents.
Un des inspecteurs de la brigade, Mark Divine, a cessé de travailler
après avoir été victime d'un viol dont on n'a pas
non plus entendu parler. Est-ce que c'est John Harvey qui ménage
lui-même des ellipses dans sa série ou est-ce que ce sont
les épisodes qui sont traduits dans le désordre ? Mystère.
Ce n'est pas très important, on a tôt fait de relier les
fils un peu lâches pour se plonger dans cette nouvelle aventure
où Resnick enquête à la fois sur les noyades criminelles
et sur une affaire de tableaux volés, celle-ci se révélant
un peu faiblarde. La fin est ouverte mais il me semble avoir lu quelque
part que Harvey avait l'intention d'abandonner son personnage fétiche.
Les connaisseurs croiseront les doigts pour qu'il n'en fasse rien ou pour
qu'il reste, justement, des épisodes intermédiaires à
découvrir.
MERCREDI.
Vie familiale. Lucie est invitée
à fêter les 6 ans d'une camarade. Au bowling. Si j'avais
eu un garçon, il célébrerait sans doute les anniversaires
de ses condisciples dans un cercle de jeux clandestins, autour d'une table
de poker.
Réactions
aux notules. P. se souvient des aptonymes commerciaux du Golbey
de sa jeunesse. S.C.T. envoie des aptonymes fantaisistes illustrés.
Les enseignes de coiffeurs semblent inspirer les notuliens. L. signale
un merlan ambulant qui sillonne les environs du plateau des Glières
(haut-lieu de la Résistance savoyarde) dans une camionnette siglée
"Combat'tif".
Cinéma.
Après vous... (Pierre Salvadori, France, 2003, avec Daniel
Auteuil, Sandrine Kiberlain, Marilyne Canto, Michèle Moretti, Garance
Clavel, Fabio Zenoni, Ange Ruzé).
Antoine est maître-d'hôtel dans une brasserie parisienne.
Un soir, en rentrant de son travail, il sauve un homme du suicide, l'installe
chez lui et veut l'aider à reconquérir celle pour qui il
a voulu se tuer.
Pierre Salvadori réussit le dosage parfait entre comédie
et histoire sentimentale dans un film à accueillir comme le premier
cadeau de Noël. Sur un schéma éprouvé (trop
d'hommes pour une seule femme), les trois comédiens principaux
font étalage de leur talent : Auteuil, qu'on sent soulagé
de revenir à un rôle moins lourd que d'habitude (L'Adversaire),
José Garcia, enfin dirigé et non pas livré à
lui-même comme dans Rire et Châtiment, et Sandrine
Kiberlain égale à elle-même. Les gags, même
les plus éculés (la porte en verre) foncionnent parce qu'ils
ne sont pas appuyés (sauf dans la scène de l'entretien d'embauche
et la scène d'ivresse d'Antoine). L'image du Bon Samaritain que
veut se donner Antoine est vite entachée par son égoïsme.
Chez qui (Hugo ?) ai-je lu ce passage sur l'aspect égoïste
de la charité ? Finalement, le personnage joué par
Auteuil n'est pas si simple...
JEUDI.
Obituaire. Le Monde fait part du décès
de Daniel Arasse, historien de l'art que j'ai beaucoup lu et beaucoup
écouté et à qui je dois une bonne part, sinon de
mes connaissances, du moins de ma curiosité pour les choses de
l'art.
TV.
The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott
Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisodes 7 & 8, diffusés
sur Canal Jimmy le 14 décembre 2003).
Vick Mackey échappe à une enquête de l'I.D. (l'I.G.S.
locale) et devient même pote avec le collègue qui l'avait
dénoncé.
VENDREDI.
Courrier. Je reçois le Bulletin
annuel de l'Association des Amis de Marcel Proust, les vœux de N. en provenance
de Stockholm, envoie des coupures à Y.
Gastro(nomie). Pour fêter le
premier bulletin trimestriel de Lucie, les premiers travaux artistiques
d'Alice (une sorte de version plus légère de certaines toiles
de Pierre Soulages) et pour utiliser les invitations accordées
par la direction de McDonald's France en récompense de mon mauvais
caractère, nous faisons ripaille au McDonald's d'Épinal.
Les filles ont bien du mal à se frayer un chemin et à trouver
des bribes de civilité dans la cage aux fauves qui tient lieu d'espace
de jeux dans ce genre d'établissement. Ces hangars à trucs
mous impliquent toute une sociologie du comportement qui a très
bien été traitée par Francis Grossmann dans une page
de son blog (5 novembre 2003) que je reproduis ici :
"Je vais enfin tout comprendre, me suis-je dit ! Le hasard fait bien
les choses. La stochastique est une bien belle science (chacune des deux
phrases précédentes est une traduction de l'autre.) Hier
soir, avec Nathan, mon plus jeune fils, nous avions décidé,
pour gagner du temps, de passer prendre des macdos pour le dîner.
Vu que la file des voitures faisait déjà le tour du restaurant
nous avons préféré, toujours pour gagner du temps,
éviter le macdrive et nous présenter directement aux caisses,
à pied. Au Macdo comme chacun sait, on fait la queue. La restauration
rapide n'est pas, contrairement à ce qu'on croit, un service rapide.
Il faut prendre l'expression au pied de la lettre : ce qui est rapide,
c'est la restauration, c'est-à-dire, le fait de se restaurer. Mais
je ne parlerai pas de la qualité de la restauration, de l'"être
là" (là, dans mon estomac) de la restauration, comme
dirait Heiddeger, ce n'est pas mon propos. Et puis cela friserait le mauvais
esprit, voire la mauvaise conscience, comme dirait Sartre : si on va à
Macdo, c'est qu'on accepte de jouer le jeu (sinon, on n'y va pas, on va
dans un resto lent, où on paie après avoir mangé
(parce que les restos lents acceptent de prendre des risques, ce que ne
peut pas se permettre Macdo) ou alors on se fait livrer des pizzas, par
exemple, ce qui est aussi une forme de restauration rapide.) Mais si on
va à Macdo, on fait la queue. Bon. Le jeu est le suivant : sachant
qu'il y a quatre ou cinq files de clients aux heures de pointe dans un
Macdo moyen, quelle file choisir pour aller plus vite ? Quelle stratégie
choisir pour gagner un peu de temps ? Au fil du temps, j'ai élaboré
deux ou trois martingales qui valent ce qu'elles valent. Par exemple entre
la file d'un serveur garçon et celle d'un serveur fille (sic) je
choisis en général la fille, parce qu'elle est plus dégourdie,
en général. S'il n'y a que des garçons, je choisis
toujours celui qui me semble le plus vieux, pour les mêmes raisons.
S'il n'y a que des filles, c'est plus difficile, à cause de leurs
minois, j'ai malheureusement tendance à choisir celle de la plus
jolie, mais ça me consolera de n'avoir pas su choisir éventuellement
la plus rapide. Une autre stratégie, assez communément pratiquée,
si on n'est pas seul à faire la queue, est de se diviser en autant
de groupes qu'il y a de files d'attente et de sauter au dernier moment
tous ensembles sur la plus rapide, quand on arrive à la caisse.
Si on est seul, on pratique alors le changement de file, comme dans les
embouteillages en voiture. Cela demande beaucoup d'intuition, d'observation
et de doigté. Il faut par exemple tenter de repérer les
grosses commandes, qui prennent plus de temps, la grande soeur qui passe
commande de huit Sundays caramel dont un au chocolat (resic) pour ses
huit petits frères déjà assis en salle (savoir qu'un
Sunday, c'est au moins cinq étapes : prendre un pot, verser la
crème glacée, puis le caramel, puis les cacahuètes
pilées, puis recouvrir du couvercle, ne pas oublier les cuilleres,
ça fait six et j'en oublie), la maman qui demande six menus différents
et qui oublie (elle aussi) de préciser qu'elle préfère
la mayonnaise au ketchup dans le menu Deluxe, se méfier du grand
duduche seul qui demande un simple hamburger mais sans les cornichons
et sans la sauce car enlever les cornichons et la sauce d'un seul hamburger
prend pratiquement autant de temps que de confectionner huit Sundays,
éviter trop de vieux dans la même file parce qu'ils se font
expliquer la composition de chaque menu par le menu et qu'en plus, il
faut leur répéter parce qu'ils n'ont pas compris, etc. En
réalité tout cela n'est qu'illusion. La durée d'attente
au Macdo est une durée d'attente moyenne, un point c'est tout.
Ce n'est pas parce qu'il y a plus de files qu'on attendra moins : il y
a plus de files parce qu'il y a plus de monde. On attend autant sur cinq,
voire six files, à midi un mercredi qu'un lundi à trois
heures et demie sur une seule (c'est précisément qui me
fait rager les lundis à trois heures et demie, bien que je le sache
parfaitement.) C'est une loi mathématique. Hier soir, même
en tenant compte de ladite illusion et du caractère éminemment
psychologique de l'attente, nous avons été au dessous de
tout : nous avons d'abord pris la file la plus courte (ce qu'il ne faut
jamais faire : il y a toujours une mauvaise raison pour que la file soit
la plus courte, en revanche, il peut très bien y en avoir de bonnes,
et pas seulement le jolis minois de la serveur (reresic) fille, pour que
la file soit longue), file courte qui était, qui plus était,
celle d'un serveur garçon, et jeune, qui encore plus était,
ce qui est très mauvais signe comme je l'ai déjà
dit. Il était, ce garçon, d'une lenteur incroyable et ça
n'avait absolument pas l'air de le gêner. Il se comportait dignement
en travailleur déjà convaincu qu'on l'exploitait et qui
n'en rajouterait certainement pas dans l'effort, par conscience pour ainsi
dire syndicale. D'après Nathan c'était son premier soir.
Sage explication. Nous avons donc patienté avec une indulgence
de moins en moins compréhensive malgré tout au fil des minutes
et des quarts d'heures. Le piège s'était refermé
sur nous : les autres files s'étaient tellement mises à
s'allonger qu'il n'était plus raisonnable d'en changer, alors que
nos suivants pouvaient, eux tenter le coup, et, donc allonger les autres
files, ce qui était d'ailleurs l'explication de leur anormal accroissement.
Notre file restait la plus courte, ce qui n'était satisfaisant
que pour l'esprit car elle n'avançait désespérément
pas. Je me suis d'abord énervé, comme d'habitude et mon
fils a fait comme si nous n'étions pas ensemble, puis je me suis
auto-accusé d'avoir mal calculé notre coup, comme d'habitude,
et il m'a sermonné, parlé du pauvre jeune homme et de son
salaire de misère et je lui ai répondu que tout de même
et j'ai fini par me résigner, comme d'habitude (à chaque
fois, je constate que le moment de la résignation dans une queue
de Macdo ou dans un embouteillage est un grand moment de paix intérieure.)
Nous avons pu poursuivre tranquillement notre conversation sur le cinéma
avant d'arriver une bonne demie heure plus tard à la terre promise,
la caisse. Nous avons, tout aussi tranquillement rejoint notre petite
auto sur le parking, encombrés de nos sacs en papier craft trop
pleins et des verres en carton de maxi-cocas qui commençaient déjà
à fuir."
TV. P.J. (série française
réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles
Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode
2, diffusé sur France 2 le soir-même).
Le ronron redouté à tort la semaine dernière s'instaure
ici, dès le deuxième épisode. Le retour de Bruno
Wolkowitch en héros romantique tourmenté n'arrange rien.
SAMEDI.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton,
Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode
3, diffusé sur Canal + le 14 décembre 2003).
Les personnages grandissent, on atteint ici les années 60. On craint
les missiles de Cuba, on voit Kennedy à la télévision,
on écoute Bob Dylan. Et on ne sait toujours pas si les petits hommes
verts, plutôt gris d'ailleurs, sont animés d'intentions pacifiques
ou autres...
Bon dimanche et joyeux Noël.
Notules
dominicales de culture domestique n°140 - 28 décembre 2003
DIMANCHE.
Lecture. Les âmes grises
(Philippe Claudel, Éditions Stock 2003, 290 p.; dédicacé
par l'auteur "pour Philippe, Les âmes grises, petit
roman des beautés perdues, des lumières qui s'éteignent.
Bonne lecture - en m'excusant de ne pas lui avoir répondu jadis...").
Une petite ville de l'est de la France, proche du front au cours de la
Première Guerre Mondiale. Une jeune institutrice se suicide, une
petite fille est assassinée.
En très peu de temps (son premier roman date de 1999), Philippe
Claudel a acquis un métier consommé. Cette histoire, couronnée
par le Prix Renaudot, est un modèle dans le genre récit
de province sur fond d'histoire tragique. Le cadre et les personnages
sont très bien dessinés, les révélations et
les explications arrivent petit à petit, avec un effet soigneusement
ménagé qui fait qu'on a du mal à lâcher le
livre une fois celui-ci entamé. On a parlé de Giono, que
je connais très mal, ça m'a plutôt fait penser aux
histoires de Claude Courchay (Retour à Malaveil, Chronique des
collines), idéales matières à téléfilms.
Un beau titre (ce n'est pas si courant), une langue soignée, un
récit prenant, ce serait tout à fait suffisant si on n'avait
en mémoire un roman précédent de Claudel, J'abandonne,
où il faisait preuve d'une originalité de propos et de ton
absente ici. On y trouvait déjà un narrateur désabusé
à la suite du même drame (une femme morte en donnant naissance
à son enfant) qui portait sur le monde contemporain un regard aigu
et désenchanté. Claudel mérite sûrement mieux
que de devenir un romancier "qualité française"
assuré de belles ventes à France Loisirs. Reste à
savoir s'il en aura l'ambition quand le tourbillon médiatique sera
apaisé (une pleine page sur lui dans Le Monde de cette semaine,
le bloc-notes de Libération d'hier).
Curiosité. Le roman est dédié "A la mémoire
d'André Vers", ancien copain de Brassens et Fallet dont j'avais
lu les souvenirs (C'était quand hier ?) en 1990.
Citation. "Je suis resté des heures, assis dans une salle,
au côté d'un soldat qui avait perdu son bras gauche. Je me
souviens qu'il disait être bien content d'avoir perdu un bras, en
plus le bras gauche, une vraie chance pour lui qui était droitier.
Dans six jours il était chez lui, et pour toujours. Loin de cette
guerre de cocus, comme il disait. Un bras perdu, des années de
gagnées. Des années de vie. Voilà ce qu'il répétait
sans cesse en montrant son bras absent. Il lui avait même donné
un nom à son bras absent : Gugusse. Et il lui parlait sans cesse
à Gugusse, le prenant à témoin, l'apostrophant, le
taquinant. Ça tient à pas grand-chose le bonheur. Parfois
ça tient à un fil, parfois à un bras. La guerre,
c'est le monde cul par-dessus tête : elle parvient à faire
d'un amputé le plus heureux des hommes. Il s'appelait Léon
Castrie, ce soldat. Il venait du Morvan. Il m'a fait fumer quantité
de cigarettes. Il m'a saoulé de paroles, et j'en avais bien besoin.
Il ne me demandait même pas de faire la conversation. Il la faisait
tout seul avec son bras perdu. Au moment où il s'est résolu
à me quitter, en se levant il m'a dit "Faut qu'on y aille,
Gugusse et moi !". C'était l'heure de la soupe. Castrie. Léon
Castrie, trente et un ans, caporal au 127°, Morvandiau, célibataire
et paysan. Qui aimait la vie et la soupe aux choux. Voilà ce que
j'ai retenu."
LUNDI.
TV. The Shield (série
américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison
1, épisodes 9 & 10, diffusés sur Canal Jimmy le 21 décembre
2003).
Il faut qu'on se le dise pour le jour où cette série passera
sur une chaîne moins confidentielle que Jimmy : The Shield
est un petit bijou. Vick Mackey occupe le devant de la scène bien
sûr, mais au fur et à mesure des épisodes, les personnages
secondaires prennent de l'épaisseur et de l'intérêt,
deviennent on ne peut plus attachants.
MARDI.
Courrier. Le dernier disque d'Emmylou
Harris, des voeux en provenance d'Allemagne.
P.J. Au tour de Caroline de découvrir
l'arrière-cuisine des commissariats pour un faux billet de cent
euros qu'on lui a refilé à la pharmacie.
Cinéma. In the Cut (Jane Campion, E-U, 2003 avec
Jennifer Jason Leigh, Meg Ryan, Mark Ruffalo, Alison Nega, Dominick Aries,
Susan Gardner, Sharrieff Pugh, Nick Damici, Heather Litteer, Daniel T.
Booth).
New York. Une femme tombe amoureuse d'un policier chargé d'enquêter
sur un crime dont elle a été indirectement témoin.
Et dont il pourrait bien être l'auteur...
Voilà un bon polar, vénéneux à souhait, dans
la veine du Lantana de Ray Lawrence. Ce qui intéresse Jane
Campion est moins la résolution de l'énigme que l'atmosphère
délétère qu'elle parvient à mettre en place,
construite sur le déséquilibre, l'instabilité : instabilité
des images avec une caméra parfois flottante, ambiguïté
du personnage du flic coupable ou non, des relations troubles entre les
êtres (entre les deux demi-sœurs, entre le prof et son élève,
entre les deux amants), instabilité du climat (orages), déséquilibre
physique de la femme (qui perd une chaussure et claudique à plusieurs
reprises), instabilité acoustique avec les bruits de la boîte
à go-go girls qui pénètrent dans l'appartement, ambiguïté
des mots (le "cut" du titre qui se réfère autant
aux coupures des cadavres démembrés qu'à la fente
sexuelle), incertitude des motivations (qu'est-ce qui peut attirer cette
femme lettrée et intelligente chez ce flic beaufisant qui porte
la moustache de Magnum ?). Tout fonctionne et le spectateur est peu à
peu saisi par ce malaise pour son plus grand plaisir.
MERCREDI.
Courrier. Des vœux en provenance de
Lyon et de Mulhouse.
JEUDI.
Noël. "BALLADE POUR LES
REPAS D'HIVER
Alleluia, bientôt l'hiver sera levé;
Chantons, pour nous le jour de gloire est arrivé;
Jetons toques, chapeaux, képis, bonnets et mitres,
Car nous allons manger des truffes et des huîtres;
Dedans le restaurant au mobilier moelleux,
Où nous sommes si bien quand il neige ou qu'il pleut,
-N'en déplaise aux censeurs, n'en déplaise aux Tartuffes,-
Nous irons y manger des huîtres et des truffes.
Chantons, rions, dansons, réjouissons-nous, morbleu,
Et faisons-nous monter du vin rouge, blanc, bleu;
De Graves et de Chablis faisons sauter les litres;
Car nous allons manger des truffes et des huîtres.
Mais avant de goûter ces mets dignes d'un roi,
Pour bien y faire honneur, novice, purge-toi,
De crainte que devant eux, tu ne te rebuffes,
Car nous allons manger des huîtres et des truffes.
Qu'importent les brouillards, qu'importent les frimas,
Qu'importent les frissons, la neige et le verglas;
Qu'importe si le froid fait congeler les vitres,
Car nous allons manger des truffes et des huîtres !
Et par les malheureux sans feux, ni lieux, ni pain,
Qui grelottent de froid et pâlissent de faim,
Nous nous ferons traiter de repus et de muffes !
Car nous allons manger des huîtres et des truffes...
ENVOI
Ô princesse qui trône au restaurant Sylvain,
Toi qui sais commander le dîner et le vin
A ces maîtres d'hôtels aux figures de pitres,
Viens; nous allons manger des truffes et des huîtres..."
Henry J.-M. Levet, in Le Courrier français, 6 octobre 1895.
T.V. Palettes : Arerea de
Paul Gauguin (Documentaire d'Alain Jaubert, France, 2003; diffusé
sur ARTE le 20 décembre 2003).
Plaisir de retrouver la finesse d'analyse de Jaubert et la voix de Marcel
Cuvelier. Même si, sans que je sache vraiment pourquoi, je ne me
suis jamais senti attiré par Gauguin. Peut-être parce que
j'ai cru très jeune qu'il fallait choisir entre Van Gogh et Gauguin
comme il fallait le faire entre les Beatles et les Rolling Stones. J'ai
choisi Van Gogh et les Stones et suis sans doute passé à
côté de belles choses.
VENDREDI.
Ushuaia. A l'issue d'une sélection
impitoyable, trois départements restent en lice pour servir de
cadre à nos vacances d'été. Le tirage au sort désigne
l'Allier vainqueur devant la Nièvre et le Cher. Ça sent
bon l'aventure.
Cinéma.
Le Monde de Nemo (Finding Nemo, Andrew Stanton &
Lee Unkrich, E-U, 2003).
Un poisson-clown part à la recherche de son fils capturé
par un plongeur.
Disney et les studios Pixar ont sorti le grand jeu pour leur livraison
de Noël avec la création d'un monde sous-marin foisonnant,
riche en personnages et en péripéties. Ces dernières,
sur une durée d'une heure quarante-cinq, finissent par paraître
répétitives (obstacles à la quête du père,
tentatives d'évasion du fiston), d'autant qu'elles conduisent au
dénouement attendu. A ce propos, on notera avec satisfaction l'abandon
d'une des figures imposées du genre, la chanson guimauve. Dans
ce flot d'images, on trouve des pépites formidables : la recréation
des formes de l'Opéra de Sydney par un banc de poissons, une réunion
de requins sur le modèle de celles des Alcooliques Anonymes, l'imitation
hilarante du chant des baleines, le personnage du poisson taulard au visage
couturé de cicatrices. Pour juger des qualités d'invention
des studios Pixar, les non-aquariophiles pourront se contenter du court-métrage
présenté en ouverture : l'histoire d'un bonhomme de neige
enfermé dans une boule décorative, amoureux d'une sirène
bibelot. Cinq minutes seulement, musique de Bobby McFerrin, une petite
merveille qui démontre que c'est le format court qui convient le
mieux au dessin animé (imagine-t-on un long métrage de Tex
Avery ?).
Curiosité. la discrimination positive fait des ravages. Pour la
première fois, le héros d'un dessin animé est un
authentique handicapé physique : le jeune Nemo a une nageoire atrophiée.
TV. P.J. (série française
réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles
Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode
3, diffusé sur France 2 le soir-même).
On s'était attaché à cette série pour les
scènes intimistes, les petits drames de la vie ordinaire des membres
du commissariat, le divorce de Léonetti, les amours de Fournier,
les problèmes de drogue de Nadine... Les scénaristes semblent
tourner le dos à ces petits faits terre à terre pour se
consacrer à des affaires criminelles filandreuses filmées
avec trois francs six sous. C'est quelquefois intéressant, le plus
souvent amusant, ici franchement ridicule avec l'attaque du commissariat
par une bande de loubards d'opérette.
SAMEDI.
Courrier. J'envoie des vœux, des vidéos
à J., des coupures à Y. et une philippique au directeur
de la concession Renault locale.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton,
Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode
4, diffusé sur Canal + le 21 décembre 2003).
1970. Une drôle de momie est découverte dans une forêt
de l'Alaska. Les petits hommes verts ne sont pas loin... Même Vermillon
II ou III (qui a failli être rebaptisé Nemo, les filles ne
pratiquant pas la persistance onomastique) n'a pas l'air rassuré
dans son aquarium. Un épisode terrifiant, où Spielberg s'inspire
nettement du Projet Blair Witch.
Bon dimanche.
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