Notules dominicales 2003
 
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Notules dominicales de culture domestique n°137 - 7 décembre 2003

DIMANCHE.
TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisodes 3 & 4, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Un épisode, suffisamment peu passionnant pour m'endormir, est consacré à la guerre des gangs dans le milieu du rap angeleno. L'autre présente un basketteur des Lakers retenu illégalement par l'équipe de ripoux dirigée par Vick Mackey. Pour le taquiner, les flics l'appellent "sport" : "Come on, sport", "Listen, sport", etc. Je n'avais jamais vu ou entendu ce mot utilisé pour qualifier une personne ailleurs que dans The Great Gatsby de Fitzgerald où les personnages s'interpellent à coups de continuels "old sport" ("You're selling bonds, aren't you, old sport ?"), traduits par "cher vieux" dans la traduction de Jacques Tournier.

LUNDI.
Réactions aux notules. J. me trouve trop dur avec les frères Coen. F.P. a déniché un professeur de mathématiques nommé Lecomte.

Lecture. Preuve vivante (Living Proof, John Harvey, 1995; 2000, Éditions Payot & Rivages pour la traduction française, coll. Rivages/noir n° 360; traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias, 384 p.).
Cathy Jordan, auteure américaine, est l'invitée du Festival du polar de Nottingham. Elle a reçu des lettres de menace. L'inspecteur Resnick est chargé de sa protection.
Septième volet des aventures de Charles Resnick, personnage solitaire et humaniste, Preuve vivante est un roman un peu décevant. Peut-être justement parce que Resnick y est un peu en retrait, John Harvey semblant plus intéressé par le personnage de Cathy Jordan, auteure moderne en opposition avec une représentante du roman policier traditionnel anglais à énigme. Pierre Siniac dans L'utilisation des restes, Pascal Garnier dans Nul n'est à l'abri du succès, Jean-Jacques Fiechter dans Tiré à part ont déjà évoqué le quotidien d'un écrivain dans le cadre d'un polar, le milieu littéraire se prêtant bien aux intrigues et aux règlements de comptes. Ici, l'enquête policière se dénoue dans un dernier chapitre assez habile mais pour les familiers de John Harvey, c'est la figure de Resnick qui est primordiale, son quotidien, ses sandwiches, ses virées au club polonais, ses chats, toutes choses un peu délaissées ici, ce qui laisse le lecteur inconditionnel sur sa faim.

TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 1, diffusé sur Canal + le 30 novembre 2003).
Il s'agit d'une série sur les extra-terrestres produite par Steven Spielberg. Les petits hommes verts vont envahir le quotidien de trois familles américaines. L'histoire débute après la seconde Guerre Mondiale et doit nous promener sur cinquante ans d'histoire américaine. Nous sommes sur la base de Rockwell, où fut capturée en 1947 la créature que TF1 essaya de nous revendre il y a quelques années. La mise en place est plutôt laborieuse, mais ça peut s'améliorer. De toute façon, je ne quitterai pas le vaisseau, fût-il spatial, en cours de route : les séries (24 heures chrono, Six Feet Under, The Shield, P.J. qui reprend la semaine prochaine) sont en train d'envahir mon quotidien télévisuel aux dépens des films. Un peu par facilité, sans doute : c'est confortable, une série, c'est un rendez-vous avec des personnages qui entrent dans votre vie au fil des épisodes, ça fait appel à des sentiments basiques, ça ne demande pas, contrairement à un film, une remise à zéro du compteur émotionnel personnel et ça marche, du moins avec moi.

MARDI.
Iconologie. DDL me conseille les Caractéristiques des saints dans l'art populaire du P. Ch. Cahier, 1867, réédité en 1982 en 7 exemplaires dont un se trouve à la Bibliothèque municipale d'Épinal.

MERCREDI.
Figaro (1). En face de la pharmacie, le magasin du marchand de télés qui n'avait jamais vendu de télés est devenu un salon de coiffure. Il a ouvert lundi. Il s'appelle "N.B. Coiffure". N.B., ce sont les initiales du merlan. Celui-ci fait preuve d'une certaine audace en employant le mot coiffure dans sa raison sociale. Ça ne se fait plus. De même que les cafés ne s'appellent plus café, les salons de coiffure ne s'appellent plus salon de coiffure, ça fait ringard. On préfère aujourd'hui des enseignes qui jouent plutôt platement avec les mots "hair", "style", "coupe" ou l'apocope "coiff". Sur Épinal, on a le choix entre "Coiff'elles", "Evolu'tif", "Imagin'Hair", "Golfhair", "Un Hair de Caro" et mon préféré, le délicieux "Jean Rob'Hair". Il reste de la place pour "Hair O'Nimo" (spécialiste en nattes indiennes), "Style O'Bath" (architecte du cheveu), "Hair Tonte Senna" (coiffure express), "Hair Bivore" (coiffure végétarienne) ou son concurrent féroce "Hamburg'Hair". Pour saluer cette audace et pour des raisons vicino-commerciales, j'ai pris rendez-vous ce matin. Le magazine qu'on m'offre à feuilleter en attendant mon tour, couvert de photos d'éphèbes en tenue légère ou sans tenue du tout, me fait découvrir un domaine de la presse dont je suis peu familier. On ne reconnaît plus le joyeux capharnaüm du marchand de télés, un artiste local a transformé la place en foire aux croûtes. Je m'en veux un peu de brimer la créativité que je sens poindre au bout des ciseaux du figaro, vu que je ne vais chez le coiffeur que pour ne pas avoir à acheter de peigne, mais l'homme est charmant, m'accueille aimablement, ne se formalise pas de mon art sommaire de la conversation et je me réjouis que son commerce redonne un peu de vie au quartier.

Cinéma. Pas sur la bouche (Alain Resnais, France, 2003 avec Pierre Arditi, Sabine Azéma, Lambert Wilson, Isabelle Nanty, Jalil Lespert, Audrey Tautou, Darry Cowl, Daniel Prévost, Françoise Gillard).
Gilberte Valendray a toujours caché à son mari Georges son premier mariage avec l'Américain Eric Thomson. Mais Georges entre en affaires avec Eric et se lie d'amitié avec lui.
Toujours à la recherche de nouvelles formes d'expression, Alain Resnais choisit ici de ressusciter, avec la complicité orchestrale de Bruno Fontaine, un genre oublié, l'opérette française de l'entre-deux-guerres. Genre oublié, mais pas de tous puisque l'excellente émission de Benoît Duteurtre permet d'entendre chaque samedi (11 h - 12 h 30 sur France Musiques) des airs tirés des oeuvres de Maurice Yvain, comme celle-ci, Messager, Chabrier, Lecoq ou Boieldieu. Le passage de la scène à l'écran n'est pas vraiment convaincant et on pense souvent à la tentative similaire de François Ozon à partir du théâtre policier de boulevard dans 8 femmes. On a l'impression d'ouvrir une belle boîte à musique, riche, confortable, dans laquelle s'agitent mécaniquement les personnages. Il y a bien sûr le plaisir de retrouver la famille Resnais, Arditi et Azéma en tête, et des invités comme Daniel Prévost, jamais aussi sobre ni aussi bon qu'ici, mais ça ne suffit pas, sauf dans les dernières scènes de la première partie : là, les duos laissent place au chant choral, et Resnais devient metteur en scène de comédie musicale, trouve à utiliser les décors de façon ludique et inventive.
A remarquer que personne, ni les critiques lus depuis, ni Resnais lui-même dans les divers entretiens accordés, n'a signalé l'existence d'une version de Pas sur la bouche datant de 1931 réalisée par Nicolas Evreinov et Nicolas Rimsky avec Pierre Ferval, Mireille Perrey et Alice Tissot. Le film n'étant pas non plus mentionné dans les dictionnaires des films, on peut penser qu'il a probablement disparu.

JEUDI.
Érection. Installation d'un sapin de 4 mètres devant la pharmacie. Heureusement que les préparatrices ont des maris dévoués et habiles. L'idée seule d'avoir à grimper sur l'escabeau pour installer la guirlande me donnait le vertige.

Lecture. Mondo et autres histoires (J.M.G. Le Clézio, Éditions Gallimard, 1978, coll. Folio n° 1365, 320 p.).
Nouvelles.
J'ai beau faire quelques efforts de temps en temps, je n'arrive pas à trouver un grand intérêt à l'œuvre de Le Clézio. Les nouvelles ici rassemblées sont centrées sur le même thème, l'enfance. Les personnages successifs, des enfants vivant dans un cadre méditerranéens, rêvent de quitter leur milieu, aspirent au voyage, à la mer, à l'ailleurs. Ils ont un rapport contemplatif à la nature - descriptions, foisonnement d'images au service d'une écriture dite poétique - pratiquent l'errance, rencontrent des adultes énigmatiques qui sont autant d'initiateurs. C'est beau comme une photo glacée et d'un ennui sidéral.

VENDREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y. et la liste de mes meilleurs films de l'année à Télérama :
1. Arrête-moi si tu peux (Steven Spielberg)
2. Les Invasions barbares (Denys Arcand)
3. Un homme, un vrai (Arnaud et Jean-Marie Larrieu)
4. Elephant (Gus Van Sant)
5. Zatoichi (Takeshi Kitano)
6. Mystic River (Clint Eastwood)
7. Un couple épatant (Lucas Belvaux)
8. Cavale (Lucas Belvaux)
9. Après la vie (Lucas Belvaux)
10. The Magdalene Sisters (Peter Mullan).

Pieds froids (1). C'est le défilé de Saint-Nicolas du quartier. Au fil des ans, on note une certaine amélioration. Cette année, il y a trois chars au lieu de deux et le boulanger local a généreusement renoncé à distribuer sur le parcours ses bouts de pain rassis. De plus, une vraie fanfare défile, remplaçant avantageusement la sono habituelle qui nous gratifiait d'airs de saison genre "Un dos tres" ou "Macarena".

SAMEDI.
Figaro (2). Je ne suis pas James Stewart, je n'ai pas la jambe dans le plâtre, et pourtant, j'ai l'impression de jouer dans Fenêtre sur cour. Mon bureau donnant sur la rue, j'ai tout loisir d'observer de ma fenêtre les mouvements occasionnés par l'ouverture du nouveau coiffeur dont le salon est devenu en quelques jours le dernier salon où l'on cause. Ainsi, cet après-midi, j'ai la surprise d'y voir entrer une collègue qui n'en sortira que cinq heures plus tard, j'ai bien dit cinq heures, bel exemple de ferveur capillaire. Au moins, j'aurai quelque chose à raconter en salle des professeurs lundi matin. A moins que je n'en fasse part à son mari par téléphone, il a dû s'inquiéter pendant tout ce temps, le pauvre.

Pieds froids (2). Défilé de Saint-Nicolas, rayons grandes tailles cette fois au centre d'Épinal. L'occasion de revoir les G. qui m'offrent le dernier roman de Philippe Claudel et de flatter mon goût, réel, pour les batteries-fanfares, cliques et orphéons. Nous croûtons chez mes parents avec la branche comtoise de ma fratrie.

Bon dimanche,

N.B. Le numéro 138 des notules sera servi avec retard.

 

Notules dominicales de culture domestique n°138 - 14 décembre 2003

DIMANCHE.
Réactions aux notules 1. AZ partage mon manque d'enthousiasme pour Le Clézio et parle des enseignes des salons de coiffure vésigondins. Sur ce même sujet, RC fait une proposition judicieuse (comment n'y ai-je pas pensé ?) : un salon situé face à une pharmacie se devait de s'appeler "Hair comprimé". Le voisin coiffeur est passé à la pharmacie ces jours-ci. Il a acheté un litre d'eau oxygénée à 110 volumes. D'après Caroline, on vend surtout cette tisane aux gens qui souhaitent décaper de façon radicale portes et boiseries. Surveiller les têtes d'après-coupe des clients à venir.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisodes 5 & 6, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Deux épisodes captivants, jouant parfaitement sur l'ambiguïté du personnage de Vick Mackey. On se surprend à croiser les doigts pour qu'il retrouve la voiture qu'on lui a volée et dans laquelle il a planqué la came subtilisée au cours d'une rafle et qu'il destine à son commerce personnel.

LUNDI.
Réactions aux notules 2.
PA a fui le dernier Resnais avant la fin et me fait part de sa sélection cinématographique de l'année.
Y. parle du professeur Lecomte et de Bruno Fontaine.

Courrier. Le dernier bulletin de l'Association Georges Perec signale, à un conditionnel qui n'est plus de saison, mon passage aux manettes.

TV. 24 heures chrono (saison 2, épisodes 23 & 24, diffusés sur Canal + le 6 décembre 2003).
The end. C'est l'heure du bilan. Bilan qui laisse apparaître une légère déception. Le téléspectateur est devenu plus exigeant. C'est vrai que la nouveauté (tentative de récit en temps réel, ou presque) n'en est plus une, puisque le procédé est répété. Contrairement à la première saison, il y a eu des épisodes creux. Il y a eu moins de surprises aussi. Le personnage de Kim Bauer, qui faisait partie de la première intrigue est relégué ici dans une histoire secondaire sans intérêt. Ces faiblesses sont en partie compensées par un contenu politique plus percutant et sans équivoque, traduit par la mise au premier plan du président David Palmer. Il s'agit clairement de dénoncer les va-t-en-guerre et une politique étrangère fondée sur des réactions primaires plutôt que sur la négociation et la recherche de preuves. L'ensemble reste captivant et on sera là pour la troisième saison.

MARDI.
Vie professionnelle. Je sèche le Grand Débat sur l'avenir de l'école. Je n'ai rien d'un débatteur, encore moins d'un Grand Débatteur et j'arrive de moins en moins à faire semblant de m'intéresser à des choses qui ne m'intéressent pas. De plus, il faut bien que je commence un jour à récupérer les quinze lundis de Pentecôte qu'on va me sucrer d'ici à ma retraite.

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète le dernier polar de John Harvey et des billets de train.

Courrier. FP m'envoie le certificat d'exercice du professeur de mathématiques Lecomte, qui s'appelle en vérité Lecompte, ce qui est aptonymiquement parlant préférable.

Cinéma. Kill Bill : Vol. 1 (Quentin Tarantino, USA, 2003 avec Uma Thurman, David Carradine, Daryl Hannah, Michael Madsen, Vivica A. Fox, Lucy Liu, Julie Dreyfus).
Une jeune femme est victime d'un gang le jour de son mariage. Après quatre années passées dans le coma, elle entreprend de se venger.
Sur ce scénario qui convoque aussi bien Le Comte de Monte-Cristo que La Mariée était en noir, Tarantino donne libre cours à sa virtuosité époustouflante. A rebours de John Woo ou Ang Lee, on dirait qu'il se lance dans le film asiatique après avoir fait le tour du cinéma américain (en trois films !). La vengeance de la mariée est impitoyable, sanglante, prétexte à des scènes de combat travaillées à l'extrême (huit semaines de tournage pour les vingt minutes du combat de la Villa Bleue). L'espace est utilisé sous tous les angles, dans toutes ses dimensions. Le catalogue de références est épais, de George Sidney à Sergio Leone en passant par Kitano et Jackie Chan. Car le matériau, ce que travaille Tarantino, ce n'est pas une histoire, ce n'est pas un personnage, c'est le cinéma dans son ensemble. La dérision n'est jamais loin, comme dans ce duel d'ouverture entre un couteau de cuisine et une poêle à frire. Bref, Tarantino se dépense, s'amuse, mais il est parfois seul à le faire. Comme tout le monde, j'ai été soufflé par ses débuts dans Reservoir Dogs mais j'ai l'impression que depuis il a du mal à dépasser le statut d'élève surdoué qui étale un peu vainement un savoir-faire exceptionnel.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y. et à G.N., l'aptonyme Lecompte à A.Z.

TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 2, diffusé sur Canal + le 7 décembre 2003).
Ce n'est qu'à l'issue de ce deuxième épisode que je commence à distinguer un peu les personnages les uns des autres, à m'intéresser à leurs faits et gestes, à m'interroger sur ce qui va advenir de l'un ou de l'autre. Ça n'a pas été sans mal. Il semblerait que les extra-terrestres dont il est question soient dotés d'un pouvoir non prévu dans le cahier des charges, celui de me faire fermer les paupières au bout d'un quart d'heure. Trois soirées nécessaires pour regarder un épisode de 90 minutes, je me suis connu plus efficace.

VENDREDI.
Fugue. Départ pour Paris par le 16 heures 08. Caroline a accepté de différer ses retrouvailles avec Bruno Wolkowitch pour m'accompagner. Le séjour, placé donc sous le signe du couple, commence naturellement par un duo de ris et rognons de veau à la Brasserie de l'Est.

Lecture.
Lumière morte (Lost Light, Michael Connely, Éditions du Seuil, 2003, traduit de l'américain par Robert Pépin; 354 p, 21  ).
Harry Bosch a rendu son insigne. C'était à la dernière page de Wonderland Avenue, le volume précédent. Retraité du Los Angeles Police Department, il a pris une licence de privé qui lui permet d'assouvir sa soif de justice. Quatre ans avant le début de cette histoire, Angella Benton, une jeune assistante de production, a été retrouvée assassinée quelques jours avant un gros hold-up sur un tournage à Hollywood. L'affaire est enterrée mais Bosch n'a pas oublié. Pour lui, les deux histoires sont liées et il s'emploie à rouvrir le dossier. Ce qui ne plaît pas à tout le monde : Bosch, même à l'écart, conserve une faculté stupéfiante à se faire des ennemis partout où il passe.
Comme il travaille ici principalement sur dossiers, son enquête manque un peu de spectaculaire, d'action. C'est ce qu'on se dit pendant les trois-quarts du livre, jusqu'au moment où tout s'emballe pour un dénouement qui vient effacer ce jugement en demi-teinte. Parallèlement, la vie de Bosch sur le plan sentimental et personnel continue à évoluer avec ses tentatives pour renouer avec Eleanor, son ex-femme devenue joueuse professionnelle à Las Vegas, tentatives qui aboutissent à un joli coup de théâtre final. Comme d'habitude, on attend la suite.
Citation. "Je sortis le saxophone de son étui et le plaçai comme il fallait : j'étais prêt à jouer. Je commençais toujours la leçon en essayant de jouer Lullaby, chanson de George Cables que j'avais découverte sur un disque de Frank Morgan. Il s'agit d'une ballade lente, donc plus facile à jouer. C'est aussi un très beau morceau. Il ne dure même pas une minute et demie (...)" Une minute et vingt-neuf secondes exactement sur l'album Mood Indigo. Bien joué Connely : j'aime les choses précises.

SAMEDI.
Vie parisienne. La journée s'ouvre par le séminaire Perec à Jussieu. Wilfrid Mazzorato est venu parler des "récipients perecquiens", non pas sous forme de catalogue comme je m'y attendais mais en se consacrant à trois d'entre eux (le bol des Lieux d'une fugue, le Graal qui apparaît au chapitre 22 de La Vie mode d'emploi et la bassine de plastique rose d'Un homme qui dort) qu'il essaie de relier à l'écriture autobiographique. L'exégèse perecquienne s'affine. On verra de moins en moins d'intervenants prêts à s'attaquer, comme Cécile De Bary le mois dernier, au réalisme chez Perec, à la judéité ou à l'autobiographie en général. Il devient difficile de trouver de nouveaux angles d'attaque dans ces domaines. Alors on se fait plus pointu : la cartographie l'an dernier, les récipients aujourd'hui, et à l'avenir peut-être le bestiaire perecquien, le poil chez Perec ou autres. L'absence de Bernard Magné délie les langues, particulièrement celle de Roland Brasseur.
Je croûte avec Caroline au Celtique, rue des Écoles. Onglet et frites luisantes, de quoi se passer de stick à lèvres pour le reste du séjour. Les rodomontades de nos voisins de tables, des vendeurs du Vieux Campeur, me conduisent à souhaiter que le réchauffement de la planète s'accélère de façon à ce qu'il n'y ait plus de neige, plus de sports d'hiver et surtout plus de vendeurs de matériel de sports d'hiver. Je magasine avec Caroline autour du Bon Marché, l'abandonne rue de Grenelle pour me rendre à mon rendez-vous. Rue de Sèvres, rue du Vieux-Colombier, rue Bonaparte, rue Guynemer, rue Vavin, rue Bréa, boulevard du Montparnasse, rue d'Odessa, rue de la Gaîté où je remue mes souvenirs de Brassens à Bobino (1977, mon premier voyage solo à Paris), avenue du Maine. Je suis attendu dans les locaux du commissariat du XIV° arrondissement par le lieutenant R., si on ne dit pas encore la lieutenante, de la 3° D.P.J. qui recueille ma déposition dans le cadre de l'instruction ouverte contre mon voleur de portefeuille. Je m'aperçois que j'ai été chanceux. Parmi les autres victimes de ce rat de bibliothèque, une dizaine en tout, plusieurs ont vu leurs comptes bancaires ponctionnés à l'aide des papiers et cartes bancaires qui leur ont été volés. J'enrichis mon vocabulaire : j'apprends que j'ai été victime d'un "dos à dos" (le pickpocket s'assied derrière vous et fouille vos fouilles en posant sa veste sur le dossier de la chaise adossée à la vôtre) et le verbe "marianner" ("Il n'y a plus qu'à marianner tout ça", dit l'officier en s'emparant du tampon à l'effigie de Marianne). Je ressors libre, et retrouve Caroline boulevard Haussmann, ce qui constitue une sorte d'exploit en cette période de l'année. Toujours sous le signe du couple, nous avalons une choucroute "Formidable pour deux" qui nous étend pour le compte.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°139 - 21 décembre 2003

DIMANCHE.
Cinéma (l'Arlequin, rue de Rennes, Paris VI°). La Poison (Sacha Guitry, France, 1951 avec Michel Simon, Jean Debucourt, Pauline Carton, Jacques Varennes, Jeanne Fusier-Gir, Georges Bever, Duvaleix, Germaine Reuver, Louis de Funès, Marcelle Arnold, Jacques de Feraudy; vu dans le cadre du ciné-club animé par Claude-Jean Philippe et non dans celui du week-end placé sous le signe du couple).
Un horticulteur qui veut se débarrasser de sa femme consulte un avocat célèbre qui, sans s'en douter, lui fournit la recette du crime parfait.
Sacha Guitry et Michel Simon au meilleur de leur forme. Le premier a ciselé une merveille de cynisme qui lui permet de dire tout le bien qu'il pense de la province, du clergé, du mariage, de la justice. On devine que les soucis que lui a valus, à la Libération, son attitude pendant l'Occupation ne sont pas étrangers à ce règlement de comptes. Michel Simon entre parfaitement dans le projet de Guitry, on sent la complicité et l'admiration qui unit les deux hommes. A propos de l'interprétation, il est intéressant de comparer La Poison à son remake, Un crime au Paradis de Jean Becker. Si Jacques Villeret a ajouté au personnage de Michel Simon un côté benêt qui n'était pas utile, en revanche, le jeu de Balasko, qui pouvait sembler outré, correspond parfaitement à celui de Germaine Reuver.
Curiosité : le film a été tourné en 11 jours. Un peu rapide peut-être, car il subsiste un faux raccord dans la scène du café.

Vie parisienne (fin). Nous quittons le débat qui suit le film en cours de route pour attraper le 13 heures 44. Le couple redevient quatuor à 17 heures 35.

LUNDI.
TV. Bowling For Columbine (Michael Moore, USA, 2002).
Documentaire.
On peut reprocher beaucoup de choses à Michael Moore. Sa façon de se mettre en avant, de se présenter comme le chevalier blanc pourfendant tour à tour le délabrement social (The Big One) et ici le lobby des armes à feu. Sa manière abrupte dans les interviews qu'il mène de façon à ne laisser place à aucune contradiction. Sa tendance à appuyer sur la note sensible pour appeler indignation et compassion. En cela, Michael Moore est plus un homme de télévision que de cinéma. Cependant, on ne peut lui enlever la légitimité des causes qu'il défend, l'efficacité qu'il met à leur service et la justesse de ses analyses. Dans Bowling, il a vite fait de mettre à mal les raisons qui font des États-Unis le pays au monde où l'on compte le plus de décès par arme à feu. Racisme, poids de l'Histoire et des traditions, programmes télévisés violents existent dans d'autres pays (la comparaison avec le Canada est édifiante) sans produire les mêmes effets. Moore se détourne de ces raisons prétextes pour accuser la politique sociale et la politique étrangère de son pays. Son côté efficace, on le voit quand il parvient à obtenir de la chaîne Wall-Mart la promesse (fut-elle tenue ?) d'arrêter la vente de munitions dans ses magasins. The Big One se terminait par un face à face entre le P.-D.G. de Nike et le réalisateur. Moore reproduit le procédé ici avec une rencontre avec Charlton Heston, président de la National Rifle Association, qui n'a pas besoin de ça pour être ridicule. Un ridicule qui tue pour de vrai, celui-là.

MARDI.
TV. P.J. (série française réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode 1, diffusé sur France 2 le 19 décembre 2003).
Agréable surprise. Alors qu'on attendait le ronron, l'épisode est nerveux, même le commissaire Meurthaux se démène. Lamoujie est arrêté, accusé de pédophilie, une affaire d'autodéfense s'avère plus complexe qu'elle ne paraît. Souhaitons que la série maintienne le rythme.

Lecture. Eau dormante (Still Water, John Harvey, 1997; Éditions Payot & Rivages 2003 pour la traduction française, coll. Rivages/noir n° 479; traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias; 418 p., 10,40 €).
Nottingham. Plusieurs femmes sont retrouvées noyées dans des canaux, dont Jane Peterson, l'amie de la compagne de l'inspecteur Resnick. Au cours de son enquête, Resnick découvre la violence du mari de Jane. Celle-ci a-t-elle été victime de son mari ou d'un noyeur en série ?
On avait quitté Charles Resnick, à la fin de Preuve vivante, célibataire confirmé. On le retrouve au premier chapitre d'Eau dormante quasiment en concubinage avec Hannah, une enseignante dont on n'avait vu trace dans aucun des épisodes précédents. Un des inspecteurs de la brigade, Mark Divine, a cessé de travailler après avoir été victime d'un viol dont on n'a pas non plus entendu parler. Est-ce que c'est John Harvey qui ménage lui-même des ellipses dans sa série ou est-ce que ce sont les épisodes qui sont traduits dans le désordre ? Mystère. Ce n'est pas très important, on a tôt fait de relier les fils un peu lâches pour se plonger dans cette nouvelle aventure où Resnick enquête à la fois sur les noyades criminelles et sur une affaire de tableaux volés, celle-ci se révélant un peu faiblarde. La fin est ouverte mais il me semble avoir lu quelque part que Harvey avait l'intention d'abandonner son personnage fétiche. Les connaisseurs croiseront les doigts pour qu'il n'en fasse rien ou pour qu'il reste, justement, des épisodes intermédiaires à découvrir.

MERCREDI.
Vie familiale. Lucie est invitée à fêter les 6 ans d'une camarade. Au bowling. Si j'avais eu un garçon, il célébrerait sans doute les anniversaires de ses condisciples dans un cercle de jeux clandestins, autour d'une table de poker.

Réactions aux notules. P. se souvient des aptonymes commerciaux du Golbey de sa jeunesse. S.C.T. envoie des aptonymes fantaisistes illustrés. Les enseignes de coiffeurs semblent inspirer les notuliens. L. signale un merlan ambulant qui sillonne les environs du plateau des Glières (haut-lieu de la Résistance savoyarde) dans une camionnette siglée "Combat'tif".

Cinéma. Après vous... (Pierre Salvadori, France, 2003, avec Daniel Auteuil, Sandrine Kiberlain, Marilyne Canto, Michèle Moretti, Garance Clavel, Fabio Zenoni, Ange Ruzé).
Antoine est maître-d'hôtel dans une brasserie parisienne. Un soir, en rentrant de son travail, il sauve un homme du suicide, l'installe chez lui et veut l'aider à reconquérir celle pour qui il a voulu se tuer.
Pierre Salvadori réussit le dosage parfait entre comédie et histoire sentimentale dans un film à accueillir comme le premier cadeau de Noël. Sur un schéma éprouvé (trop d'hommes pour une seule femme), les trois comédiens principaux font étalage de leur talent : Auteuil, qu'on sent soulagé de revenir à un rôle moins lourd que d'habitude (L'Adversaire), José Garcia, enfin dirigé et non pas livré à lui-même comme dans Rire et Châtiment, et Sandrine Kiberlain égale à elle-même. Les gags, même les plus éculés (la porte en verre) foncionnent parce qu'ils ne sont pas appuyés (sauf dans la scène de l'entretien d'embauche et la scène d'ivresse d'Antoine). L'image du Bon Samaritain que veut se donner Antoine est vite entachée par son égoïsme. Chez qui (Hugo ?) ai-je lu ce passage sur l'aspect égoïste de la charité ? Finalement, le personnage joué par Auteuil n'est pas si simple...

JEUDI.
Obituaire. Le Monde fait part du décès de Daniel Arasse, historien de l'art que j'ai beaucoup lu et beaucoup écouté et à qui je dois une bonne part, sinon de mes connaissances, du moins de ma curiosité pour les choses de l'art.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisodes 7 & 8, diffusés sur Canal Jimmy le 14 décembre 2003).
Vick Mackey échappe à une enquête de l'I.D. (l'I.G.S. locale) et devient même pote avec le collègue qui l'avait dénoncé.

VENDREDI.
Courrier. Je reçois le Bulletin annuel de l'Association des Amis de Marcel Proust, les vœux de N. en provenance de Stockholm, envoie des coupures à Y.

Gastro(nomie). Pour fêter le premier bulletin trimestriel de Lucie, les premiers travaux artistiques d'Alice (une sorte de version plus légère de certaines toiles de Pierre Soulages) et pour utiliser les invitations accordées par la direction de McDonald's France en récompense de mon mauvais caractère, nous faisons ripaille au McDonald's d'Épinal. Les filles ont bien du mal à se frayer un chemin et à trouver des bribes de civilité dans la cage aux fauves qui tient lieu d'espace de jeux dans ce genre d'établissement. Ces hangars à trucs mous impliquent toute une sociologie du comportement qui a très bien été traitée par Francis Grossmann dans une page de son blog (5 novembre 2003) que je reproduis ici :

"Je vais enfin tout comprendre, me suis-je dit ! Le hasard fait bien les choses. La stochastique est une bien belle science (chacune des deux phrases précédentes est une traduction de l'autre.) Hier soir, avec Nathan, mon plus jeune fils, nous avions décidé, pour gagner du temps, de passer prendre des macdos pour le dîner. Vu que la file des voitures faisait déjà le tour du restaurant nous avons préféré, toujours pour gagner du temps, éviter le macdrive et nous présenter directement aux caisses, à pied. Au Macdo comme chacun sait, on fait la queue. La restauration rapide n'est pas, contrairement à ce qu'on croit, un service rapide. Il faut prendre l'expression au pied de la lettre : ce qui est rapide, c'est la restauration, c'est-à-dire, le fait de se restaurer. Mais je ne parlerai pas de la qualité de la restauration, de l'"être là" (là, dans mon estomac) de la restauration, comme dirait Heiddeger, ce n'est pas mon propos. Et puis cela friserait le mauvais esprit, voire la mauvaise conscience, comme dirait Sartre : si on va à Macdo, c'est qu'on accepte de jouer le jeu (sinon, on n'y va pas, on va dans un resto lent, où on paie après avoir mangé (parce que les restos lents acceptent de prendre des risques, ce que ne peut pas se permettre Macdo) ou alors on se fait livrer des pizzas, par exemple, ce qui est aussi une forme de restauration rapide.) Mais si on va à Macdo, on fait la queue. Bon. Le jeu est le suivant : sachant qu'il y a quatre ou cinq files de clients aux heures de pointe dans un Macdo moyen, quelle file choisir pour aller plus vite ? Quelle stratégie choisir pour gagner un peu de temps ? Au fil du temps, j'ai élaboré deux ou trois martingales qui valent ce qu'elles valent. Par exemple entre la file d'un serveur garçon et celle d'un serveur fille (sic) je choisis en général la fille, parce qu'elle est plus dégourdie, en général. S'il n'y a que des garçons, je choisis toujours celui qui me semble le plus vieux, pour les mêmes raisons. S'il n'y a que des filles, c'est plus difficile, à cause de leurs minois, j'ai malheureusement tendance à choisir celle de la plus jolie, mais ça me consolera de n'avoir pas su choisir éventuellement la plus rapide. Une autre stratégie, assez communément pratiquée, si on n'est pas seul à faire la queue, est de se diviser en autant de groupes qu'il y a de files d'attente et de sauter au dernier moment tous ensembles sur la plus rapide, quand on arrive à la caisse. Si on est seul, on pratique alors le changement de file, comme dans les embouteillages en voiture. Cela demande beaucoup d'intuition, d'observation et de doigté. Il faut par exemple tenter de repérer les grosses commandes, qui prennent plus de temps, la grande soeur qui passe commande de huit Sundays caramel dont un au chocolat (resic) pour ses huit petits frères déjà assis en salle (savoir qu'un Sunday, c'est au moins cinq étapes : prendre un pot, verser la crème glacée, puis le caramel, puis les cacahuètes pilées, puis recouvrir du couvercle, ne pas oublier les cuilleres, ça fait six et j'en oublie), la maman qui demande six menus différents et qui oublie (elle aussi) de préciser qu'elle préfère la mayonnaise au ketchup dans le menu Deluxe, se méfier du grand duduche seul qui demande un simple hamburger mais sans les cornichons et sans la sauce car enlever les cornichons et la sauce d'un seul hamburger prend pratiquement autant de temps que de confectionner huit Sundays, éviter trop de vieux dans la même file parce qu'ils se font expliquer la composition de chaque menu par le menu et qu'en plus, il faut leur répéter parce qu'ils n'ont pas compris, etc. En réalité tout cela n'est qu'illusion. La durée d'attente au Macdo est une durée d'attente moyenne, un point c'est tout. Ce n'est pas parce qu'il y a plus de files qu'on attendra moins : il y a plus de files parce qu'il y a plus de monde. On attend autant sur cinq, voire six files, à midi un mercredi qu'un lundi à trois heures et demie sur une seule (c'est précisément qui me fait rager les lundis à trois heures et demie, bien que je le sache parfaitement.) C'est une loi mathématique. Hier soir, même en tenant compte de ladite illusion et du caractère éminemment psychologique de l'attente, nous avons été au dessous de tout : nous avons d'abord pris la file la plus courte (ce qu'il ne faut jamais faire : il y a toujours une mauvaise raison pour que la file soit la plus courte, en revanche, il peut très bien y en avoir de bonnes, et pas seulement le jolis minois de la serveur (reresic) fille, pour que la file soit longue), file courte qui était, qui plus était, celle d'un serveur garçon, et jeune, qui encore plus était, ce qui est très mauvais signe comme je l'ai déjà dit. Il était, ce garçon, d'une lenteur incroyable et ça n'avait absolument pas l'air de le gêner. Il se comportait dignement en travailleur déjà convaincu qu'on l'exploitait et qui n'en rajouterait certainement pas dans l'effort, par conscience pour ainsi dire syndicale. D'après Nathan c'était son premier soir. Sage explication. Nous avons donc patienté avec une indulgence de moins en moins compréhensive malgré tout au fil des minutes et des quarts d'heures. Le piège s'était refermé sur nous : les autres files s'étaient tellement mises à s'allonger qu'il n'était plus raisonnable d'en changer, alors que nos suivants pouvaient, eux tenter le coup, et, donc allonger les autres files, ce qui était d'ailleurs l'explication de leur anormal accroissement. Notre file restait la plus courte, ce qui n'était satisfaisant que pour l'esprit car elle n'avançait désespérément pas. Je me suis d'abord énervé, comme d'habitude et mon fils a fait comme si nous n'étions pas ensemble, puis je me suis auto-accusé d'avoir mal calculé notre coup, comme d'habitude, et il m'a sermonné, parlé du pauvre jeune homme et de son salaire de misère et je lui ai répondu que tout de même et j'ai fini par me résigner, comme d'habitude (à chaque fois, je constate que le moment de la résignation dans une queue de Macdo ou dans un embouteillage est un grand moment de paix intérieure.) Nous avons pu poursuivre tranquillement notre conversation sur le cinéma avant d'arriver une bonne demie heure plus tard à la terre promise, la caisse. Nous avons, tout aussi tranquillement rejoint notre petite auto sur le parking, encombrés de nos sacs en papier craft trop pleins et des verres en carton de maxi-cocas qui commençaient déjà à fuir."

TV. P.J. (série française réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode 2, diffusé sur France 2 le soir-même).
Le ronron redouté à tort la semaine dernière s'instaure ici, dès le deuxième épisode. Le retour de Bruno Wolkowitch en héros romantique tourmenté n'arrange rien.

SAMEDI.
TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 3, diffusé sur Canal + le 14 décembre 2003).
Les personnages grandissent, on atteint ici les années 60. On craint les missiles de Cuba, on voit Kennedy à la télévision, on écoute Bob Dylan. Et on ne sait toujours pas si les petits hommes verts, plutôt gris d'ailleurs, sont animés d'intentions pacifiques ou autres...

Bon dimanche et joyeux Noël.

 

Notules dominicales de culture domestique n°140 - 28 décembre 2003

DIMANCHE.
Lecture. Les âmes grises (Philippe Claudel, Éditions Stock 2003, 290 p.; dédicacé par l'auteur "pour Philippe, Les âmes grises, petit roman des beautés perdues, des lumières qui s'éteignent. Bonne lecture - en m'excusant de ne pas lui avoir répondu jadis...").
Une petite ville de l'est de la France, proche du front au cours de la Première Guerre Mondiale. Une jeune institutrice se suicide, une petite fille est assassinée.
En très peu de temps (son premier roman date de 1999), Philippe Claudel a acquis un métier consommé. Cette histoire, couronnée par le Prix Renaudot, est un modèle dans le genre récit de province sur fond d'histoire tragique. Le cadre et les personnages sont très bien dessinés, les révélations et les explications arrivent petit à petit, avec un effet soigneusement ménagé qui fait qu'on a du mal à lâcher le livre une fois celui-ci entamé. On a parlé de Giono, que je connais très mal, ça m'a plutôt fait penser aux histoires de Claude Courchay (Retour à Malaveil, Chronique des collines), idéales matières à téléfilms. Un beau titre (ce n'est pas si courant), une langue soignée, un récit prenant, ce serait tout à fait suffisant si on n'avait en mémoire un roman précédent de Claudel, J'abandonne, où il faisait preuve d'une originalité de propos et de ton absente ici. On y trouvait déjà un narrateur désabusé à la suite du même drame (une femme morte en donnant naissance à son enfant) qui portait sur le monde contemporain un regard aigu et désenchanté. Claudel mérite sûrement mieux que de devenir un romancier "qualité française" assuré de belles ventes à France Loisirs. Reste à savoir s'il en aura l'ambition quand le tourbillon médiatique sera apaisé (une pleine page sur lui dans Le Monde de cette semaine, le bloc-notes de Libération d'hier).
Curiosité. Le roman est dédié "A la mémoire d'André Vers", ancien copain de Brassens et Fallet dont j'avais lu les souvenirs (C'était quand hier ?) en 1990.
Citation. "Je suis resté des heures, assis dans une salle, au côté d'un soldat qui avait perdu son bras gauche. Je me souviens qu'il disait être bien content d'avoir perdu un bras, en plus le bras gauche, une vraie chance pour lui qui était droitier. Dans six jours il était chez lui, et pour toujours. Loin de cette guerre de cocus, comme il disait. Un bras perdu, des années de gagnées. Des années de vie. Voilà ce qu'il répétait sans cesse en montrant son bras absent. Il lui avait même donné un nom à son bras absent : Gugusse. Et il lui parlait sans cesse à Gugusse, le prenant à témoin, l'apostrophant, le taquinant. Ça tient à pas grand-chose le bonheur. Parfois ça tient à un fil, parfois à un bras. La guerre, c'est le monde cul par-dessus tête : elle parvient à faire d'un amputé le plus heureux des hommes. Il s'appelait Léon Castrie, ce soldat. Il venait du Morvan. Il m'a fait fumer quantité de cigarettes. Il m'a saoulé de paroles, et j'en avais bien besoin. Il ne me demandait même pas de faire la conversation. Il la faisait tout seul avec son bras perdu. Au moment où il s'est résolu à me quitter, en se levant il m'a dit "Faut qu'on y aille, Gugusse et moi !". C'était l'heure de la soupe. Castrie. Léon Castrie, trente et un ans, caporal au 127°, Morvandiau, célibataire et paysan. Qui aimait la vie et la soupe aux choux. Voilà ce que j'ai retenu."

LUNDI.
TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisodes 9 & 10, diffusés sur Canal Jimmy le 21 décembre 2003).
Il faut qu'on se le dise pour le jour où cette série passera sur une chaîne moins confidentielle que Jimmy : The Shield est un petit bijou. Vick Mackey occupe le devant de la scène bien sûr, mais au fur et à mesure des épisodes, les personnages secondaires prennent de l'épaisseur et de l'intérêt, deviennent on ne peut plus attachants.

MARDI.
Courrier. Le dernier disque d'Emmylou Harris, des voeux en provenance d'Allemagne.

P.J. Au tour de Caroline de découvrir l'arrière-cuisine des commissariats pour un faux billet de cent euros qu'on lui a refilé à la pharmacie.

Cinéma.
In the Cut (Jane Campion, E-U, 2003 avec Jennifer Jason Leigh, Meg Ryan, Mark Ruffalo, Alison Nega, Dominick Aries, Susan Gardner, Sharrieff Pugh, Nick Damici, Heather Litteer, Daniel T. Booth).
New York. Une femme tombe amoureuse d'un policier chargé d'enquêter sur un crime dont elle a été indirectement témoin. Et dont il pourrait bien être l'auteur...
Voilà un bon polar, vénéneux à souhait, dans la veine du Lantana de Ray Lawrence. Ce qui intéresse Jane Campion est moins la résolution de l'énigme que l'atmosphère délétère qu'elle parvient à mettre en place, construite sur le déséquilibre, l'instabilité : instabilité des images avec une caméra parfois flottante, ambiguïté du personnage du flic coupable ou non, des relations troubles entre les êtres (entre les deux demi-sœurs, entre le prof et son élève, entre les deux amants), instabilité du climat (orages), déséquilibre physique de la femme (qui perd une chaussure et claudique à plusieurs reprises), instabilité acoustique avec les bruits de la boîte à go-go girls qui pénètrent dans l'appartement, ambiguïté des mots (le "cut" du titre qui se réfère autant aux coupures des cadavres démembrés qu'à la fente sexuelle), incertitude des motivations (qu'est-ce qui peut attirer cette femme lettrée et intelligente chez ce flic beaufisant qui porte la moustache de Magnum ?). Tout fonctionne et le spectateur est peu à peu saisi par ce malaise pour son plus grand plaisir.

MERCREDI.
Courrier. Des vœux en provenance de Lyon et de Mulhouse.

JEUDI.
Noël. "BALLADE POUR LES REPAS D'HIVER

Alleluia, bientôt l'hiver sera levé;
Chantons, pour nous le jour de gloire est arrivé;
Jetons toques, chapeaux, képis, bonnets et mitres,
Car nous allons manger des truffes et des huîtres;
Dedans le restaurant au mobilier moelleux,
Où nous sommes si bien quand il neige ou qu'il pleut,
-N'en déplaise aux censeurs, n'en déplaise aux Tartuffes,-
Nous irons y manger des huîtres et des truffes.

Chantons, rions, dansons, réjouissons-nous, morbleu,
Et faisons-nous monter du vin rouge, blanc, bleu;
De Graves et de Chablis faisons sauter les litres;
Car nous allons manger des truffes et des huîtres.
Mais avant de goûter ces mets dignes d'un roi,
Pour bien y faire honneur, novice, purge-toi,
De crainte que devant eux, tu ne te rebuffes,
Car nous allons manger des huîtres et des truffes.

Qu'importent les brouillards, qu'importent les frimas,
Qu'importent les frissons, la neige et le verglas;
Qu'importe si le froid fait congeler les vitres,
Car nous allons manger des truffes et des huîtres !
Et par les malheureux sans feux, ni lieux, ni pain,
Qui grelottent de froid et pâlissent de faim,
Nous nous ferons traiter de repus et de muffes !
Car nous allons manger des huîtres et des truffes...

ENVOI

Ô princesse qui trône au restaurant Sylvain,
Toi qui sais commander le dîner et le vin
A ces maîtres d'hôtels aux figures de pitres,
Viens; nous allons manger des truffes et des huîtres..."

Henry J.-M. Levet, in Le Courrier français, 6 octobre 1895.

T.V. Palettes : Arerea de Paul Gauguin (Documentaire d'Alain Jaubert, France, 2003; diffusé sur ARTE le 20 décembre 2003).
Plaisir de retrouver la finesse d'analyse de Jaubert et la voix de Marcel Cuvelier. Même si, sans que je sache vraiment pourquoi, je ne me suis jamais senti attiré par Gauguin. Peut-être parce que j'ai cru très jeune qu'il fallait choisir entre Van Gogh et Gauguin comme il fallait le faire entre les Beatles et les Rolling Stones. J'ai choisi Van Gogh et les Stones et suis sans doute passé à côté de belles choses.

VENDREDI.
Ushuaia. A l'issue d'une sélection impitoyable, trois départements restent en lice pour servir de cadre à nos vacances d'été. Le tirage au sort désigne l'Allier vainqueur devant la Nièvre et le Cher. Ça sent bon l'aventure.

Cinéma. Le Monde de Nemo (Finding Nemo, Andrew Stanton & Lee Unkrich, E-U, 2003).
Un poisson-clown part à la recherche de son fils capturé par un plongeur.
Disney et les studios Pixar ont sorti le grand jeu pour leur livraison de Noël avec la création d'un monde sous-marin foisonnant, riche en personnages et en péripéties. Ces dernières, sur une durée d'une heure quarante-cinq, finissent par paraître répétitives (obstacles à la quête du père, tentatives d'évasion du fiston), d'autant qu'elles conduisent au dénouement attendu. A ce propos, on notera avec satisfaction l'abandon d'une des figures imposées du genre, la chanson guimauve. Dans ce flot d'images, on trouve des pépites formidables : la recréation des formes de l'Opéra de Sydney par un banc de poissons, une réunion de requins sur le modèle de celles des Alcooliques Anonymes, l'imitation hilarante du chant des baleines, le personnage du poisson taulard au visage couturé de cicatrices. Pour juger des qualités d'invention des studios Pixar, les non-aquariophiles pourront se contenter du court-métrage présenté en ouverture : l'histoire d'un bonhomme de neige enfermé dans une boule décorative, amoureux d'une sirène bibelot. Cinq minutes seulement, musique de Bobby McFerrin, une petite merveille qui démontre que c'est le format court qui convient le mieux au dessin animé (imagine-t-on un long métrage de Tex Avery ?).
Curiosité. la discrimination positive fait des ravages. Pour la première fois, le héros d'un dessin animé est un authentique handicapé physique : le jeune Nemo a une nageoire atrophiée.

TV. P.J. (série française réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode 3, diffusé sur France 2 le soir-même).
On s'était attaché à cette série pour les scènes intimistes, les petits drames de la vie ordinaire des membres du commissariat, le divorce de Léonetti, les amours de Fournier, les problèmes de drogue de Nadine... Les scénaristes semblent tourner le dos à ces petits faits terre à terre pour se consacrer à des affaires criminelles filandreuses filmées avec trois francs six sous. C'est quelquefois intéressant, le plus souvent amusant, ici franchement ridicule avec l'attaque du commissariat par une bande de loubards d'opérette.

SAMEDI.
Courrier. J'envoie des vœux, des vidéos à J., des coupures à Y. et une philippique au directeur de la concession Renault locale.

TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 4, diffusé sur Canal + le 21 décembre 2003).
1970. Une drôle de momie est découverte dans une forêt de l'Alaska. Les petits hommes verts ne sont pas loin... Même Vermillon II ou III (qui a failli être rebaptisé Nemo, les filles ne pratiquant pas la persistance onomastique) n'a pas l'air rassuré dans son aquarium. Un épisode terrifiant, où Spielberg s'inspire nettement du Projet Blair Witch.

Bon dimanche.