Notules dominicales 2003
 
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Notules dominicales de culture domestique n°128 - 5 octobre 2003

DIMANCHE.
Pause. Pas d'Itinéraire patriotique départemental ce dimanche. Caroline emmène Lucie pédaler dans le quartier, on fait des compotes, plante quelques clous, met des photos de vacances en album : si on m'avait dit un jour que j'aurais la nostalgie de Romorantin...

Courriel. Parution du calendrier des séances du séminaire Perec 2003-2004, et donc des escapades parisiennes à venir.
J.-M. P. m'annonce qu'il organise une rencontre sur les fous littéraires à Bruxelles en décembre. Et si je remplaçais une escapade parisienne par une escapade bruxelloise ?
M.C. me parle de Denys Arcand et du XIV° arrondissement.

TV. Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (Alain Chabat, France, 2002 avec Christian Clavier, Gérard Depardieu, Jamel Debbouze, Alain Chabat, Monica Bellucci; diffusé sur Canal + en septembre 2003).
Cléopâtre entreprend de faire construire un palais somptueux en plein désert. L'architecte Numérobis a trois mois pour réaliser le projet.
Le palais, c'est le film : on imagine assez bien que les problèmes de coût, de main-d'œuvre, de délais sont communs à Numérobis l'architecte et au producteur Claude Berri. Le résultat final est le même : c'est surprenant mais l'édifice tient debout. Alain Chabat utilise, pour les parodier, des éléments de la société contemporaine, de la télévision (référence primordiale, les acteurs issus de la télé, Baer, Debbouze, dament le pion à ceux qui viennent du cinéma, Depardieu en tête), de la publicité, du show-business, ce qui n'est pas très éloigné de la démarche de Goscinny et Uderzo dans leurs albums. On peut toutefois noter, prudence oblige, l'absence de références politiques. Le ressort principal du comique est l'anachronisme, le procédé privilégié est le calembour, assez mauvais pour faire mouche à chaque fois. C'est donc une réussite, un film drôle qui s'affaisse malheureusement dans sa dernière demi-heure où les scènes s'allongent inutilement (le combat de kung-fu) pour délayer la sauce.

Obituaire. Mort d'Elia Kazan. Perec voulait le rencontrer, dixit Bellos dans sa biographie, pour lui confier la réalisation de W ou le souvenir d'enfance en collaboration avec Stanley Kubrick, rien de moins.

LUNDI.
TV. Lignes, formes et couleurs. Pigments : les couleurs de la terre, de Lascaux à Picasso (documentaire de Marie-José et Alain Jaubert, 2003; diffusé la veille sur France 5).
C'est le premier volet d'une série de six émissions consacrées à la peinture vue sous son aspect matériel, technique. Ce qui peut effrayer, mais la signature d'Alain Jaubert, maître d'œuvre de Palettes, rassure. Il se transforme ici en minéralogiste, puis chimiste pour tracer l'origine des couleurs utilisées par les peintres, montre comment le progrès technique (l'invention du tube par exemple) a modifié leur travail. Progrès qui n'a pas effacé le lien solide qui unit la nature et la peinture, comme le montre Cézanne qui peint la montagne Sainte-Victoire avec les ocres issus de la terre dans laquelle est planté son chevalet.
Dans la foulée, France 5 propose un long portrait d'Édouard Vuillard, actuellement exposé au Grand Palais où j'irais bien faire un tour.

MARDI.
TV. Desperate (Anthony Mann, USA, 1947, avec Steve Brodie, Audrey Long, Douglas Fowley, Raymond Burr, Jason Robards; diffusé sur CinéClassics en ?).
Un chauffeur de camion participe à son corps défendant à un hold-up, prend peur et s'enfuit.
Resté célèbre pour ses westerns, Anthony Mann a aussi tourné au début de sa carrière quelques thrillers, comme La Rue de la mort et ce Desperate, récemment exhumés par CinéClassics. Ce sont des films courts, de première partie de programme pour les cinémas de l'époque, utilisant des acteurs de second plan. Le seul qui soit un peu connu ici est Raymond Burr, alors débutant. Le personnage central est un brave type qui, heureux de rentrer chez lui célébrer ses quatre mois (!) de mariage, se trouve embarqué dans une histoire qui lui vaudra d'être poursuivi à la fois par des truands et par la police. On reconnaît là une situation classique du polar américain dans laquelle s'illustra William Irish. Grâce à sa ténacité, à son entourage, à son courage, le camionneur fera triompher la justice : il ne peut rien arriver aux innocents. Anthony Mann sera plus noir dans ses westerns.

Lecture. La mémoire et l'oblique. Georges Perec autobiographe (Philippe Lejeune, P.O.L. 1991, 258 p., 19,82  , dédicacé par l'auteur "à Philippe Didion, en toute amitié perecquienne").
Philippe Lejeune rassemble dans cet essai des communications qu'il a faites au cours de divers colloques ou séminaires, centrées sur les écrits autobiographiques de Perec. Même si je ne l'avais pas encore lu en entier, son travail de généticien sur W ne m'était pas inconnu, notamment par la réactualisation qu'il en avait faite le 5 juin 1999 (j'y étais) à l'École Normale Supérieure, à la lumière de la découverte par David Bellos d'un manuscrit perdu, dit "manuscrit de Stockholm". Où l'on voit la longue maturation qui a abouti au texte définitif en deux parties (fiction et autobiographie) après une étape fiction seule publiée en feuilleton dans La Quinzaine littéraire et un projet en trois parties (un volet "intertexte" devant s'ajouer aux deux autres). Lejeune insiste sur la souffrance, les doutes, les difficultés de Perec pour exhumer ses souvenirs et venir à bout de cette "autobiographie psychanalytique", souffrance qu'il dit ressentir aussi en tant que lecteur.
Un autre chapitre est consacré à un projet de Perec qui n'a jamais vu le jour, celui de Lieux (deux fois douze descriptions de douze lieux parisiens pendant douze ans) dont on ne connaissait que des fragments parus en revues. Grâce à Ela Bienenfeld, Lejeune a eu accès aux enveloppes scellées par Perec au fil de son travail et qu'il n'avait prévu d'ouvrir qu'en 1981, douze ans donc après sa mise en route. Lejeune s'interroge sur l'éventualité d'une publication et sur la forme que devrait prendre celle-ci si elle devait voir le jour (ce qui, à ma connaissance, n'a jamais été d'actualité). L'interruption puis l'abandon de Lieux devront beaucoup à l'analyse entreprise avec Pontalis qui permettra également la mise en forme définitive de W.
Enfin, dernier texte purement autobiographique de Perec, Je me souviens. Philippe Lejeune démontre à quel point se sont trompés ceux qui ont vu dans l'accumulation de ces souvenirs (repris en ce moment au théâtre par Sami Frey) un aimable amusement. Les tentatives d'imitation qui en ont été faites (Nourissier, Sollers, Libération et toutes celles qu'on voit surgir régulièrement dans la presse) n'ont jamais pu en reproduire la richesse et l'originalité, principalement parce qu'elles ont négligé un aspect essentiel du travail de Perec, le temps, la durée (celui qui existe entre le souvenir et son évocation écrite, celle de l'introspection pratiquée avant la rédaction du souvenir).

MERCREDI.
Bibliothèque municipale. J'ai plaisir à voir que l'établissement a acquis la biographie de Perec par David Bellos. Comme quoi les suggestions d'achat que l'on peut faire ne sont pas toujours vaines.

Cinéma. Je reste ! (Diane Kurys, France, 2003 avec Sophie Marceau, Vincent Perez, Charles Berling, Sasha Alliel, Colette Maire, Pascale Roberts, Jean-Claude de Goros, Jacques Duby).
Marie-Do s'ennuie auprès de Bertrand, époux égoïste et macho. Elle prend un amant, Antoine, scénariste bohème. Mais Bertrand refuse le divorce et s'incruste.
On ne va pas se plaindre. Le film est conforme à son emballage de comédie sentimentale standard. Il s'agit de présenter, dans un premier temps, un homme en tous points détestable avant de lui faire petit à petit regagner l'estime de sa femme et du spectateur. Le programme est respecté à la lettre, on s'ennuie à peine, on s'amuse parfois et on se dit qu'il y a dans la vie des choses ou plutôt des êtres moins agréables à regarder que Sophie Marceau. Il y a même le plaisir de retrouver Jacques Duby dans un petit rôle. Non, ce qui fâche vraiment, c'est de voir comment Diane Kurys se montre film après film incapable de retrouver la fraîcheur et la sincérité de son premier Diabolo menthe.

JEUDI.
Bonne journée. Arrivée au courrier d'une montre Léonard de Vinci.
Le PMU financera mon prochain voyage à Paris.

TV. Dix-sept fois Cécile Cassard (Christophe Honoré, France, 2000 avec Béatrice Dalle, Romain Duris, Jeanne Balibar; diffusé sur Canal + en septembre 2003).
Cécile Cassard a perdu son mari. Elle confie son fils Lucas à une amie et part avec l'intention de se suicider.
Réflexion 1. Quand on s'appelle Cassard, on n'appelle pas son fils Lucas. On pense à l'omniprésence de la scatologie dans les conversations de cours de récréation.
Réflexion 2. Cécile Cassard, hantée par la mort, passe beaucoup de temps dans les cimetières. Elle est interprétée par Béatrice Dalle. Une Dalle funéraire donc.
C'est tout ce que j'ai pu tirer de ce film démesurément ennuyeux qui accumule tous les travers du jeune cinéma d'auteur nombriliste. Pénible.

VENDREDI.
Courrier. J'envoie une revue de presse à Y. et à l'AGP.

Quotient familial.
Les filles rapportent deux poissons rouges de la fête foraine. Bienvenue à Vermillon II et III.

SAMEDI.
TV. 24 heures chrono (saison 2, épisodes 5 & 6, diffusés sur Canal + le soir-même).
Où l'on retrouve de vieilles connaissances (et où l'on piétine un peu).

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°129 - 12 octobre 2003

DIMANCHE.
Nous croûtons chez mes parents. J'en profite pour demander à ma mère des éclaircissements sur mon souvenir "perdu dans Paris" évoqué dans les notules 127. Je veux savoir s'il est authentique, s'il a été modifié ou totalement inventé. Ma mère ne se souvient plus mais me confirme l'existence, dans la même rue, de deux épiceries "Goulet-Turpin" dont la présence était pour moi à l'origine de ma perte et de mon errance et qui est donc gage d'authenticité. L'enquête continue.

TV. Six Feet Under (saison 2, épisode 13; saison 3, épisode 1; diffusé le soir-même sur Canal Jimmy).
On avait quitté la famille Fisher réunie à l'hôpital où Nate subissait une opération au cerveau. La nouvelle série commence par un coup de théâtre dont on a beaucoup de mal à se remettre...

LUNDI.
TV. Atlantique latitude 41° (A Night to Remember, Roy Baker, G.-B., 1958 avec Kenneth More, David Mc Callum, Jill Dixon, Laurence Naismith; diffusé sur Canal + en novembre 1999).
1912. L'orgueilleux Titanic prend la mer pour la première fois...
En 1958, on en est déjà à la sixième version du naufrage. Celle de James Cameron, que je n'ai pas vue, devait être à peu près la douzième. Roy Baker perd peu de temps à présenter les personnages avant l'embarquement et même avant le choc avec l'iceberg. Ce qui l'intéresse, c'est de les montrer en présence de la catastrophe. Comme c'est un film anglais, il prend bien soin de souligner la haute tenue morale, la dignité des membres de l'équipage et des voyageurs qui se font des politesses et des ronds de jambe avant d'embarquer dans les canots de sauvetage. La panique ne viendra qu'avec l'irruption des passagers de l'entrepont dont l'attitude est nettement moins policée : il faut dire qu'on leur avait interdit l'accès au pont et que ce n'étaient que des Irlandais candidats à l'immigration.

MARDI.
TV. Lignes, formes et couleurs. La touche, la main du peintre (documentaire de Marie-José et Alain Jaubert, 2003; diffusé le 5 octobre sur France 5).
Belle illustration de la lutte éternelle entre les partisans de la touche lisse, invisible, et ceux de la touche apparente.

Lecture. Kangouroad Movie (A.D.G., Gallimard 2003, coll. La Noire, 326 p., 17,50  ).
Dans le Nord australien, Paddy O'Flaherty et son équipier aborigène Pickwick-Pickwick Kadigbaku sont chargés de l'entretien de la clôture anti-dingos. Ils découvrent qu'un quintuple meurtre a été commis dans leur secteur et recueillent l'unique rescapée.
A.D.G. a été un des piliers français de la Série Noire des années 70-80, maître du polar rural berrichon (Berry Story, La nuit des grands chiens malades porté à l'écran par Lautner sous le titre Quelques messieurs trop tranquilles) mettant en scène un personnage d'avocat anarchiste individualiste dont j'ai oublié le nom. J'aimais ça (une douzaine de titres lus), c'était drôle et féroce, j'aimais sa façon d'orthographier "Deuchouaux" le véhicule que je conduisais à l'époque. Et puis A.D.G. est devenu moins fréquentable, a fricoté avec l'extrême-droite, écrit dans Minute, s'est exilé en Nouvelle-Calédonie d'où il a envoyé quelques polars plus faibles (Joujoux sur le caillou), des romans d'aventure conventionnels que je n'ai pas lus. On le retrouve ici en grande forme avec un nouveau cadre, le Bush australien, qu'il a semble-t-il étudié soigneusement. L'histoire est riche en rebondissements, ce qui ne saurait surprendre au pays des kangourous. Elle propulse un narrateur-baroudeur dans une affaire de trafic d'oiseaux rares et de terrains miniers convoités par des hommes d'affaires sans scrupules et des tribus belliqueuses, qui n'est qu'un prétexte pour faire découvrir ce drôle de pays et ses drôles d'habitants. L'ambition didactique de l'auteur est visible aux nombreuses (parfois trop) notes en bas de page qui portent sur des détails botaniques, zoologiques, linguistiques ou sociologiques. La question aborigène est bien sûr un thème privilégié et quelques lieux communs et légendes (Crocodile Dundee) sont allègrement piétinés. Le regard sur le pays est dur mais on sent que la fascination qu'il exerce conduit à l'indulgence, voire à l'admiration.
Extrait. (Les personnages sont en train de déjeuner, on leur offre des tartines de Vegemite, "substance bitumeuse obtenue à partir de levure que les Aussies adorent tartiner à toute heure de la journée", qui doit être équivalent au Marmite anglais) : "Anaïs mordilla le bout d'une tartine et grimaça de nouveau.
- Comment pouvez-vous manger ça ? Ça ressemble à du goudron...
-On est obligés, dis-je la bouche pleine. Sinon il faudrait l'exporter."

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un nouveau radio-cassettes pour remplacer celui qui, la veille, n'a pas survécu à une chute violente, le dernier Modiano, seule concession à la rentrée littéraire, un volume d'Henri Thomas, des chaussettes, un plan de la ville de Besançon, le hors-série du Figaro sur Botticelli, du matériel pour mettre sous verre des buvards publicitaires pharmaceutiques.

Courrier. Une carte postale de B.

Courriel. D.C. et M.C. soulignent les lacunes qui apparaissaient dans ma chronique des Invasions barbares (le rôle des enfants).
J'avertis les amateurs de la parution d'un nouveau livre de Michael Connely.

Cinéma. Pur sang, la légende de Seabiscuit (Seabiscuit, Gary Ross, USA, 2003 avec Tobey Maguire, Jeff Bridges, Chris Cooper, Elizabeth Banks, Gary Stevens, William H. Macy).
États-Unis, 1936. Charles Howard achète un cheval, Seabiscuit, délaissé par le milieu des courses et en fait un crack.
The Story of Seabiscuit de David Butler fut, en 1949, le dernier film de Shirley Temple. Il avait l'avantage sur ce remake de ne durer que 98 minutes. Car ici, le premier obstacle, c'est la distance : 2 heures 20, dont une heure consacrée à faire se rencontrer les quatre éléments de la future dream team, le cheval, l'entraîneur, le jockey et le propriétaire. Chacun est porteur d'un handicap qui semble lui interdire les portes de la gloire : le premier est ombrageux et peu rapide, le deuxième est un ancien cowboy solitaire et misanthrope, le troisième est trop grand et trop lourd, le dernier abattu par la mort de son fils et le départ de sa femme. Alors se produit le miracle, Seabiscuit s'assagit, allonge la foulée, devient un champion. On a droit alors à de bons moments, des courses palpitantes vécues de l'intérieur. Mais le film souffre du début à la fin d'une autre tare : la lourdeur du terrain. Gary Ross veut faire une oeuvre édifiante et parsème son récit d'images d'archives (essor industriel des années 20, crise de 29, Grande Dépression, New Deal) censées mettre en parallèle l'histoire du cheval et celle du peuple américain. Tout ça pour bien montrer qu'il ne faut jurer de rien, que c'est dans la défaite que se forge le caractère, après la pluie le beau temps, la victoire est en nous, we shall overcome et autres fadaises de la même avoine.

JEUDI.
Vie professionnelle. Je sèche l'école pour suivre, à Épinal, une formation dans le cadre de l'opération "Collège au cinéma". Première satisfaction : pas besoin de voiture, plaisir de me rendre au boulot en bus. La journée commence au cinéma avec la projection de Citizen Kane, d'Orson Welles, que je vois pour la première fois sur grand écran. Pour la première fois également avec un oeil perecquien. L'expérience est instructive. Perec n'a eu qu'à se pencher pour cueillir les échos de sa propre existence dans l'histoire de Kane (la séparation avec sa mère) et les éléments qu'il intégrera plus tard dans son oeuvre : le gros W tapé à la machine, les puzzles, la manie de la collection, la fortune et l'ennui d'un Kane qui ressemble comme un frère au Bartlebooth à venir dans La Vie mode d'emploi. Je note aussi le beau plan d'ouverture sur un gros "K" au pied d'un château qui semble inaccessible...
"Le docteur LaJoie est radié de l'ordre des médecins pour avoir déclaré en public que William Randolph Hearst, sortant d'une projection de Citizen Kane, aurait monnayé l'assassinat d'Orson Welles", titre d'un tableau de Hutting dans lequel se cache le nom de Queneau, chapitre LIX de La Vie mode d'emploi. L'après-midi est consacrée à un lumineux découpage plan par plan de quelques séquences du film mené par l'ami H.D.

TV. L'Amour extra-large (Shallow Hal, Bobby & Peter Farrelly, USA, 2001 avec Gwyneth Paltrow, Jack Black, Jason Alexander; diffusé sur Canal + en octobre 2003).
Dragueur lourd et sans succès, Hal bénéficie des services d'un gourou qui lui permet de voir la beauté intérieure des êtres. Hal tombe amoureux d'une obèse qu'il est le seul à voir comme un top model.
Privés de la présence de Jim Carrey, leur acteur fétiche, les frères Farrelly semblent avoir perdu tout le mordant iconoclaste qui faisait l'intérêt - réduit tout de même - de leurs films précédents. Pourtant, Jack Black n'est pas trop mal dans son rôle de remplaçant. La déception vient d'un scénario à l'eau de rose qui finit par unir l'abruti et le monstre, scénario que les réalisateurs semblent assumer sans aucun désir de le pervertir.

VENDREDI.
Santé. Caroline va visiter son père hospitalisé à Nancy.

Offre d'emploi. D.C. me propose de prendre en charge, à sa suite, la réalisation du bulletin de l'Association Georges Perec. J'ai une semaine pour réfléchir à ma réponse.

Courrier. J'envoie une revue de presse à Y. et à l'AGP (si je m'occupe du bulletin, j'économiserai des timbres) et un bel aptonyme à A.Z. : le docteur Tortuyaux, spécialiste en chirurgie digestive au CHU de Nancy (merci J.-P.).

TV. Les Innocents (The Innocents, Jack Clayton, G.-B., 1961, avec Deborah Kerr, Michael Redgrave, Martin Stephens, Pamela Franklin, Peter Wyngarde, Clytie Jessop; diffusé sur Canal + en juillet 2001).
Miss Giddens est engagée comme gouvernante auprès de deux enfants. Leur comportement étrange et la réapparition de deux domestiques défunts transforment sa mission en cauchemar.
"We are not alone. There are still... the others" dit un des enfants à la fin du film. Les autres, ce sont les fantômes, Les Autres (The Others) c'est aussi le titre d'un film récent d'Alejandro Amenabar qui a puisé ici beaucoup d'éléments : la demeure gothique, les enfants porteurs d'un lourd secret, les domestiques, la présence fantomatique d'anciens occupants. C'est Truman Capote qui a ici adapté Le Tour d'écrou, de Henry James. L'utilisation du noir et blanc (on trouve à la photo Freddie Francis, un maître que David Lynch ira rechercher pour Une histoire vraie) est un atout que ne possède pas le film d'Amenabar. On peut aussi trouver des prémices de L'Exorciste dans le phénomène de possession dont sont victimes les enfants, qui se manifeste par une conscience sexuelle précoce et la crudité du langage. Le film n'offre pas de conclusion rationnelle et laisse le spectateur à son malaise et à ses doutes.

SAMEDI.
Radio. Nous partons pour Besançon où a lieu l'enregistrement d'une séance publique des Papous dans la tête dirigée par Bertrand Jérôme et Françoise Treussard, avec Patrick Besnier, Patrice Caumon, Hélène Delavault, Lucas Fournier, Hervé Le Tellier, Dominique Muller et Jean-Bernard Pouy. La séance est prévue à 18 heures 30, nous arrivons de bonne heure et trouvons sans difficulté le Nouveau Théâtre qui doit l'accueillir, sans doute grâce au plan de la ville qui est resté at home. Dans le Parc du Casino, les Papous papotent incognito, prennent la température d'un public qui ne connaît pas leurs visages. Avec son long imperméable entrouvert sous un soleil presque printanier, Lucas Fournier aura de la chance s'il ne finit pas la journée au poste. Pouy nicotinise consciencieusement tous les arbres du parc. Le pantalon d'Hervé Le Tellier est un peu court, la jupe de Dominique Muller aussi mais c'est moins gênant. Comme à chaque fois, je suis surpris par l'affluence (personne dans mon entourage immédiat n'écoute les Papous, à part mes parents quand je suis chez eux). Bien sûr, la salle est plus petite que celle de la Maison de la Radio mais les Papouphiles se pressent et on refuse du monde. Cependant, je n'ai pas le sentiment d'appartenir à une communauté privilégiée, ne ressens aucun désir de communiquer avec les autres membres de cette confrérie : trop de poseurs et de gommeux. La séance débute à l'heure, trois heures de pur bonheur et de drôlerie, dirigées par un Bertrand Jérôme qui fait peur tant il semble fragile et prêt à se briser en plusieurs morceaux au moindre faux-pas. Diffusion à partir du dimanche 19 sur France Culture à 12 heures 45, l'épisode "roman interactif" est à ne pas manquer pour ceux qui aiment l'absurde.

Bon dimanche,

D'.

P.S. Vds plan de Besançon (index des rues, sens uniques, tourisme, transports), état neuf, jamais servi.

N.B. Le numéro 130 des notules sera servi avec retard.

 

Notules tardives de culture domestique n°130 - 30 octobre 2003

PRÉAMBULE. Ce numéro relate la semaine du 12 au 18 octobre 2003. Il aurait dû être envoyé le dimanche 19. Les archives devant servir à sa réalisation ont presque toutes disparu. Les notulien(ne)s voudront bien par conséquent excuser son côté réchauffé et lacunaire.

DIMANCHE.
Record. Il y a des jours difficiles à négocier quand on est archiviste cassettomaniaque. Celle-ci commence à 4 heures 26 avec la rediffusion du "Grand oral du bac philo 1997" sur France Culture, exercice de virtuosité parodique qui rassemble un certain nombre de Papous (Le Tellier, Cueco...). Ça se poursuit à 8 heures 50 à la télévision avec le troisième volet du documentaire Lignes, formes, couleurs. Jusque là, avec des programmateurs soigneusement installés, rien de périlleux. Ça se corse à 11 heures où France Musiques diffuse Les greniers de la mémoire consacrés à Jean Sablon et France Culture L'Esprit public à la même heure. Attention : la première émission dure 90 minutes, la seconde 60, il faut prévoir des cassettes de durées différentes et ne pas oublier de les retourner, ce qui oblige à intercaler le triptyque pain-presse-PMU entre 11 heures 30 et 11 heures 45. Après, ça se calme avec les Papous qui ne commencent qu'à 12 heures 45 mais la vigilance s'impose pour la partie de l'émission présentée par Jean-Christophe Averty qui fait l'objet d'un enregistrement sur une cassette à part. La famille me regarde, vaguement interloquée, valser d'un magnétophone à un autre.

Couriel. Suite à la chronique du roman d'A.D.G., G.N. me donne le nom de son héros récurrent (Pascal Delcroix), Ch. me parle de l'Australie et de Douglas Kennedy et C.J. de gastronomie suisse.

TV. Six Feet Under (saison 3, épisodes 2 & 3, diffusés le soir-même sur Canal Jimmy).
Après le coup de théâtre du premier épisode, ça tourne un peu à l'étalage de névroses, et elles sont légion chez les membres de la famille Fisher, croque-morts qui accueillent peu de clients décédés dans leur lit. Je connais un peu le dossier : il existe à Épinal une société "Pompes funèbres DIDION", tenue par un parent éloigné. Comme j'ai également une sœur sage-femme, on peut ici passer du lange au linceul sans changer de famille d'accueil. Sans compter un frère médecin et une épouse pharmacienne qui peuvent, c'est selon, ralentir ou accélérer la durée du transfert de l'un à l'autre.

LUNDI.
Vie familiale. Depuis le début de son année au Cours Préparatoire, Lucie apprend à lire. Depuis peu, elle essaie de déchiffrer tous les mots qui passent à sa portée. Quand elle rentre de l'école, elle s'attarde à la pharmacie. Tout aveuglement paternel mis à part, je ne pense pas qu'il y ait dans sa classe beaucoup d'élèves aussi à l'aise qu'elle avec les mots Oscillococcinum, Dextropropoxyphène ou Zopiclone.

TV. 24 heures chrono (saison 2, épisodes 7 & 8, diffusés sur Canal + le 11 octobre).
Tout ce que je peux dire (j'ai promis les cassettes vidéo à des abonnés), c'est que ça se corse.

MARDI.
Courriel. Réapparition surprise d'un ancien membre de Garlamb'Hic qui a retrouvé ma trace grâce au site des notules.
Une demande d'abonnement en provenance de Belgique.

TV. Lignes, formes, couleurs. Support : l'invention du tableau (documentaire de Marie-José et Alain Jaubert, 2003, diffusé sur France 5 le 12 octobre).
Le bois, la toile qui permet le passage aux grands formats, tout ceci est très bien mais je suis un peu déçu : je m'attendais à voir également traitées les fresques, connaître les secrets de l'arriccio et de l'intonaco mais il n'en sera pas question.

Lecture. Fous littéraires, nouveaux chantiers, Sixième Colloque des Invalides, 29 novembre 2002 (Du Lérot, éditeur, coll. "En marge", an III, textes réunis par Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens, 210 p., 25  ).
"Les à-côtés du siècle", "Les ratés de la littérature", "Les romans à clefs", "Les mystifications littéraires", "Ce que je ne sais pas", "Fous littéraires, nouveaux chantiers", les thèmes des Colloques des Invalides organisés par les responsables de la revue Histoires littéraires sont toujours alléchants. Chacun des colloques a fait l'objet d'un recueil, qui reprend les communications prononcées ainsi que les discussions auxquelles elles ont donné lieu.
Sont réunis ici autour des fous littéraires et sous le haut patronage posthume de Raymond Queneau et d'André Blavier, François Caradec, Jacques Neefs, Dominique Noguez, David Bellos, Alain Chevrier, Marc Decimo, Christophe Bourseiller et d'autres amateurs ou spécialistes plus ou moins connus. Les auteurs évoqués sont les fous reconnus (Paulin Gagne, Auguste Boncors, Raoul Ouffard) les anciens fous à qui la renommée a donné un vernis de normalité (Raymond Roussel, Jean-Pierre Brisset), et surtout ceux qui sont en marge de la folie littéraire, qui marchent au bord du gouffre (Debord, Queneau, Tzara, Breton, Perec). On parle aussi des regroupements, des écoles (les celtomaniaques, les fous scientifiques).
La question qui court tout au long du colloque est celle de la définition. Qu'est-ce qu'un fou littéraire ? La définition de Queneau,"un auteur imprimé dont les élucubrations s'éloignent de toutes celles professées par la société dans laquelle il vit (...) ne se rattachent pas à des doctrines antérieures et de plus n'ont eu aucun écho. Bref, un fou littéraire n'a ni maître ni disciples", est discutée, amendée, complétée. Roger Grenier insiste sur le côté "collant", monomaniaque du fou littéraire, Alain Chevrier sur le rapport du fou au pouvoir, Jean-Jacques Lefrère sur la notion de ratage : "Enlevons sa gloire à Victor Hugo, il serait aujourd'hui un polygraphe qui s'en est pris de manière maniaque et hargneuse à Napoléon III et qui a écrit un livre interminable sur un bagnard évadé."
Je ne suis pas un spécialiste des fous littéraires, je connais assez bien Jean-Pierre Brisset mais je n'ai jamais lu Les enfants du limon de Queneau et je n'en suis qu'à la page 270 du dictionnaire d'André Blavier dont les 168 pages d'introduction me sont un peu restées sur l'estomac. Mais ils m'intéressent et cet intérêt a été grandement servi par ces spécialistes qui savent, dans chacune de leurs interventions, faire partager leur passion et leur érudition. La découverte de Paulin Gagne, défenseur de la philanthropophagie ("pour éradiquer la faim dans le monde, soyons cannibales, le cannibalisme est un humanisme, mangeons-nous les uns les autres comme Il nous a demandé de le manger, faisons une hostie de notre corps, donnons-nous."), de Pierre-Paul Poulalion, l'ennemi des participes passés ("J'étais fait pour une plus vaste scène. Et puis j'ai eu des malheurs."), d'Auguste Boncors ("La critique me fait l'effet d'une équipe de balayeurs frottant l'asphalte à l'issue des solennités de mon triomphe inouï), de Raoul Ouffard (Ma vessie et mes lanternes, journal inédit de 126 000 pages), de Jean Descombes (Témoin d'hier et de demain, histoire de France en 700 sonnets) constitue le charme essentiel de ce recueil.
Les intervenants ne le cachent pas : l'intérêt pour les fous littéraires est souvent purement bibliophilique. On découvre un fou, on le traque, on l'achète et on le range. Parce que pour ce qui est de le lire in extenso, les extraits publiés ici le prouvent, c'est nettement moins rigolo...
Le Septième Colloque des Invalides aura lieu le vendredi 28 novembre 2003 au Centre culturel canadien (5, rue de Constantine, 75007 Paris) sur le thème "Les Têtes de Turc".

MERCREDI.
Bibliothèque municipale, matin. J'accompagne Alice à "L'heure du conte". En l'attendant, je feuillette Libération et apprends avec tristesse la mort de François Béranger.

Nessie. Le monde perecquien est en effervescence : on a trouvé un E dans La Disparition ! Plus exactement, à la page 119 de la dernière édition du texte dans la collection "L'Imaginaire" de Gallimard, une coquille qui semble volontaire. Je cherche en vain un exemplaire du livre, appelé à devenir un collector.

Panne. L'ordinateur tombe en carafe, ne me laissant accès qu'à un certain "mode sans échecs" qui interdit l'accès à internet.

Bibliothèque municipale, soir. J'assiste à une rencontre autour de l'œuvre d'Henri Thomas, écrivain d'origine vosgienne né à Anglemont (où il n' y a pas de monument aux morts) il y a cent ans. Perec a toujours manifesté de l'intérêt pour Henri Thomas, je crois que son premier texte publié, dans une revue lycéenne ou quelque chose comme ça, était une critique d'un roman de cet auteur. Les lectures qui sont données ce soir ne me transportent pas vraiment mais je lirai pour voir.

JEUDI.
Vie professionnelle. Je vais au cinéma le matin revoir Les quatre cents coups de Truffaut dans le cadre de la formation pour "Collège au cinéma". Je m'attache à des détails manqués lors des visions précédentes, le nom de Robert Bober (assistant-réalisateur) au générique, la bière Lutèce, les Série Noire sur l'étagère, les huîtres Wepler, "Chabrol, vous voulez que je vous aide ?", la Librairie d'Assas, le Palace Clichy, l'Isetta garée dans la rue, la pissotière métallique dont j'ai encore vu un exemplaire en août dernier boulevard de Port-Royal, les réminiscences de Jean Vigo et surtout, surtout, l'affiche qui m'intrigue à chaque fois "Votez Raymond Barre - Jean Pageot". Que diable faisait Raymond Barre en 1959 ? L'après-midi est consacrée à l'étude du film. Le formateur me fait découvrir les liens entre Les quatre cents coups et le néo-réalisme italien (Sciuscia de Vittorio de Sica, Europe 51 de Rossellini) mais son propos ne me satisfait pas vraiment, me paraît incomplet. Je ne la ramène pas, je ne suis pas là pour enquiquiner le monde.

TV. Le Chignon d'Olga (Jérôme Bonnell, France, 2001, avec Hubert Benhamdine, Nathalie Boutefeu, Serge Riaboukine, Florence Loiret, Antoine Goldet, Delphine Rollin; diffusé sur Canal + en octobre 2003).
Un an après la mort de sa mère, Julien souffre terriblement de son absence. En quête d'affection, il s'éprend d'une vendeuse qui travaille dans une librairie.
Un premier film intéressant sous la forme de scènes de la vie de province. Les portraits des jeunes adultes sont inégaux, ratés du côté féminin avec des comédiennes interchangeables, réussis en ce qui concerne le rôle principal qui révèle Hubert Benhamdine. A l'étage au-dessus, Riaboukine parvient à rendre crédible un personnage d'écrivain, ce qui est très rare au cinéma. Chacun des personnages doit guérir, faire ce qu'on appelle aujourd'hui son travail de deuil après la mort de la mère, jamais évoquée mais toujours présente.

VENDREDI.
Santé. L'ordinateur entre en clinique.

Vie professionnelle (exaltante). Je passe la matinée à faire le planton pour le cross du collège et à me geler toutes les extrémités de mon être. Je fuis vers Paris par le 16 heures 37.

Lecture. La poche Parmentier (Georges Perec, in Théâtre I, Hachette 1981, rééd. Hachette Littératures, 142 p., 12,04  ).
Perec a plusieurs fois parlé de son désir d'aborder tous les compartiments de la littérature, du livret d'opéra au roman d'aventures en passant par la recette de cuisine. Il était donc normal qu'il aborde le théâtre à un moment donné. Dans La poche Parmentier, cinq personnages sont occupés à éplucher des pommes de terre. Ils parlent, principalement de la pomme de terre, mais aussi de la guerre, de la raison qui les a réunis dans ce lieu et qu'ils ignorent, d'un passé indéfini...
Il est difficile de voir là-dedans une oeuvre majeure de Perec. Ça me semble plutôt tenir de la parodie (de Huis clos de Sartre), du pastiche (de Hamlet). Il y a certainement d'autres clés que j'espère découvrir demain au cours du séminaire consacré à cette pièce.

SAMEDI.
Presse. "La mémoire de Parmentier célébrée aux Invalides" (Le Monde du jour, rubrique "Il y a cinquante ans dans Le Monde").

Vie parisienne. Dans le métro, je lis le passage que Vasari consacre à Botticelli dans ses Hommes illustres (désormais disponibles en Folio bilingue). C'est l'ouverture du séminaire Perec 2003 - 2004 à Jussieu. Bernard Magné en prend les rênes à la suite de Marcel Bénabou. La séance est consacrée à La poche Parmentier, présentée par un jeune étudiant de HEC, Benjamin Leport, récent metteur en scène de la pièce. Pour une fois, ce n'est pas un oeil de chercheur qui scrute le texte de Perec mais celui d'un homme de théâtre, neuf et rafraîchissant. J'apprends que l'idée du texte est venue de la découverte par Perec d'un vieil almanach agricole dans la maison de campagne de Jacques Roubaud en 1971, que le texte est régi par une contrainte dite "quenine" qui fait intervenir et permuter cinq discours et cinq actions. Leport explique ses choix de mise en scène, son interprétation dans laquelle pomme de terre = cerveau. Ça ne rend pas le texte passionnant pour autant mais il a réussi à donner une version de la pièce intéressante et drôle, de l'avis de tous ceux qui ont pu y assister.
Je passe une heure à l'Epsilon avec D.C. à parler de la Perecquie et du bulletin destiné à ses membres.
J'achète le Série Noir 212 à L'Amour du Noir, sandwiche au petit Cardinal et sieste-bosse à la Bilipo jusqu'à la fermeture. Rue des Ecoles, j'entre chez L'Harmattan où j'avais repéré un traité d'iconologie et un bouquin sur les pharmaciens pour Caroline. Arrive le patron - c'est une vraie teigne, j'avais pu m'en rendre compte en l'entendant chez Jean Lebrun - qui se met à agonir sa caissière sous prétexte que je stationne près du comptoir et que j'ai l'air d'un voleur potentiel. J'abandonne les livres que j'ai fait sortir de la réserve et laisse cette famille unie à ses turpitudes. Je métrotte jusqu'à Sèvres-Babylone, achète une limace anglaise, enfile la rue de Varenne, la rue du Vieux-Colombier, la rue Bonaparte jusqu'au Luxembourg. Une demi-heure de queue pour entrer à l'exposition Botticelli, beaucoup de monde dans les salles, tableaux difficiles d'accès, protégés par vitres et barrières. Beaucoup d'obstacles donc pour un artiste que je ne brûlais pas vraiment de découvrir. Ne valait-il pas mieux se contenter des belles reproductions parues ces temps-ci dans un tas de magazines, d'autant que les grandes pièces, Le Printemps, La naissance de Vénus, n'ont bien sûr pas été déplacées ? Oui sans doute pour beaucoup d'œuvres exposées, notamment celles de la fin qui ne sont pas transcendantes (Repos pendant la fuite en Égypte), oui si on veut voir et étudier tous les détails de la Carte de l'Enfer illustrant Dante. Mais certes non pour voir comment se détache le noir de la robe de la Repentance dans La Calomnie, non pour la beauté du visage de la Vierge à l'Enfant qui vient du Louvre, non pour la rigueur de la construction géométrique des Épisodes de la vie de Virginie et non, trois fois non pour ce qui constitue le phare de cette présentation, les fresques, détachées, transportées et réinstallées je ne sais comment : la majesté du Saint Augustin et le souffle de l'Annonciation, souffle de l'ange qui pénètre de façon tangible dans la chambre de Marie. En étant patient, j'ai réussi à embrasser la fresque, à huit mètres de distance, sans aucune silhouette écran pendant une minute, la plus belle de ma journée. Autre joyau, la Marie-Madeleine de Piero di Cosimo avec son incroyable robe d'Arlequin, robe bleue couverte d'un surplis vert sombre, manche jaune, manteau rouge à doublure bleue, faveur rose sur l'épaule.
Je redescends sur terre et vais me gorger de choucroute à la Brasserie de l'Est.

A suivre.

Bonne soirée.

 

Notules tardives de culture domestique n°131 - 31 octobre 2003

PRÉAMBULE. Ce numéro relate la semaine du 19 au 25 octobre 2003. Il aurait dû être envoyé le dimanche 26. Les archives devant servir à sa réalisation ont presque toutes disparu. Les notulien(ne)s voudront bien par conséquent excuser son côté réchauffé et lacunaire.


DIMANCHE.
Lecture. Chirac père et fille (Claude Angeli & Stéphanie Mesnier, Grasset 2000, 170 p., 98 FF).
Le livre se veut une démonstration de l'influence de Claude Chirac, conseillère en communication du Président, sur son père mais n'est en fait qu'une relation assez banale des événements politiques français vus de l'Élysée à la veille de l'élection présidentielle de 2002 : les affaires, la Mairie de Paris, la Corse, les relations avec Jospin qui apparaît comme le seul rival imaginable. Malgré la présence de Claude Angeli, du Canard enchaîné, on n'en apprend pas plus qu'en lisant la presse quotidienne, sauf peut-être en ce qui concerne la politique étrangère (la gestion des événements en Côte d'Ivoire par exemple). C'est juste un élément du paquet de livres sortis à ce moment-là, vite écrit et vite lu.

Vie parisienne (suite). Je passe la matinée au Louvre pour ma Mémoire louvrière. Stupéfaction à l'entrée : grâce à une carte professionnelle que je me suis fait faire à tout hasard au collège, je peux entrer gratuitement alors que je pensais bénéficier d'une réduction d'une quinzaine de centimes d'euro. Je ne cours pas après les privilèges mais après tout, j'ai suffisamment payé plein tarif depuis que je fréquente l'endroit pour profiter de celui-ci sans vergogne. J'épuise la salle 5 du 2° étage de l'aile Richelieu dont la pièce maîtresse est la Nef des fous de Jérôme Bosch. Le tableau est petit, beaucoup de visiteurs passent à côté sans le voir. A la librairie, je repère un traité d'iconologie, bien meilleur que celui raté la veille, que je me promets d'acquérir la prochaine fois. J'achète une tour Eiffel en bonbons aux filles, prends le métro jusqu'à Poissonnière et lis le J.D.D. au Relais de Reims. Je recopie l'écriteau derrière le bar : "J'ai le regret de vous annoncer que M. Marc MOISSA ne fait plus partie du personnel mais qu'il a été remplacé par M. Jean CAISSE." Je rentre à temps pour constater le décès de Vermillon II. A moins que ce ne soit Vermillon III.

TV. Six Feet Under (saison 3, épisodes 4 & 5, diffusés le soir-même sur Canal Jimmy).
Les Fisher embauchent un nouvel apprenti, du nom d'Arthur Martin. Il s'occupera certainement des frigos.

LUNDI.
TV. 24 heures chrono (saison 2, épisodes 9 & 10, diffusés sur Canal + le 18 octobre 2003).
Ne pas manquer le coup de théâtre de 17 heures 57.

Lecture. Accident nocturne (Patrick Modiano, Gallimard, nrf 2003, 158 p., 15  ).
A la suite d'un accident de voiture, un jeune homme part en quête de ses souvenirs d'enfance.
Rien de neuf sous le ciel de Modiano, et c'est tant mieux. Il est toujours aussi troublant à lire, avec un atlas des rues de Paris à portée de main. Son Paris, qui n'est pas très éloigné de celui de Simenon, est toujours celui des cafés, des hôtels où il faut remplir une fiche, des commissariats traversés par des ombres aux identités incertaines. Son narrateur est toujours en quête de son passé, d'une vérité enfuie, d'un père énigmatiquement disparu. Est-ce qu'un jour Modiano livrera les clés de son oeuvre, le sens de cette quête ?
Citation. "Et puis nous étions un dimanche soir, et les dimanches soir laissent de drôles de souvenirs, comme de petites parenthèses de néant dans votre vie. Il fallait rentrer au collège ou à la caserne. Vous attendiez sur le quai d'une gare dont vous ne vous rappelez plus le nom. Un peu plus tard, vous dormiez d'un mauvais sommeil sous les veilleuses bleues d'un dortoir."

MARDI.
Visite. Passage de H., après une nouvelle opération, qui s'apprête à quitter Marseille pour Orange.

TV. Lignes, formes, couleurs. La couleur envahit les murs (documentaire de Marie-José et Alain Jaubert, 2003, diffusé sur France 5 le 19 octobre 2003).
Ce chapitre est consacré à la technique de la fresque dont je regrettais l'absence la semaine dernière. C'est l'occasion de voir les fresques de Piero della Francesca en l'église d'Arezzo et de comprendre ce qu'elles racontent, de se rappeler cette visite de l'été 1996 où elles étaient masquées par des échafaudages.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète le volume 8 d'Ed McBain et un "grand roman d'actualités politiques et sociales" du XIX° siècle. Je déniche une exemplaire fautif de La Disparition, récupère des gravures chez un encadreur.

Emploi du temps. L'absence d'ordinateur libère des plages de temps inhabituelles. Je corrige des copies, ce que je je ne fais jamais at home en temps normal, reprends la Correspondance de Flaubert et d'autres lectures de longue haleine.

Cinéma. Tais-toi ! (Francis Veber, France 2003, avec Jean Reno, Gérard Depardieu, André Dussollier, Richard Berry, Leonor Varela, Ticky Holgado, Michel Aumont, Jean-Pierre Malo).
Quentin, voleur minable et un peu simplet, s'attache à un dur, Ruby, dont il partage la cellule. Il parvient à s'évader avec lui et tient à l'accompagner dans une expédition punitive.
Francis Veber nous ressert un plat selon une recette qu'il a souvent utilisée et qui consiste à filmer les aventures mouvementées d'un tandem constitué d'un vrai dur et d'un benêt qui lui met des bâtons dans les roues. Pour éviter le goût de réchauffé, il change les ingrédients, incorpore Jean Reno et fait passer Depardieu du rôle du costaud à celui d'emmerdeur jadis dévolu à Pierre Richard. Ça a un peu de mal à démarrer, parce que Depardieu en fait des tonnes, mais petit à petit le tandem et le film trouvent leur équilibre et parviennent même à une sorte d'état de grâce comique pendant l'épisode de la cavale nocturne. La chute, qui doit bien sûr déboucher sur une amitié chèrement conquise, tarde à venir et incorpore bizarrement un personnage inutile de réfugiée albanaise qui, en France depuis trois jours, manie un français impeccable et sans accent. A part ces détails, c'est une comédie bien enlevée, très réjouissante.

JEUDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y., à l'A.G.P. et à G.N.

Cinéma. Mystic River (Clint Eastwood, USA, 2003 avec Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon, Lawrence Fishburne, Laura Linney, Marcia Gay Harden, Nelson Adam, Kevin Chapman, Céline du Tertre).
Boston. L'amitié de David, Jimmy et Sean, 11 ans, est cassée lorsque Dave est agressé par deux hommes. Vingt-cinq ans plus tard, l'assassinat de la fille de Jimmy les remet en contact.
Si l'on suit depuis un moment la carrière de Clint Eastwood, on sait que l'optimisme n'est pas son fort. Cependant, il n'étais peut-être pas allé aussi loin dans la noirceur depuis Un monde parfait en adaptant ce thriller de Dennis Lehane. Plus rien ne tient debout dans l'Amérique qu'il dépeint, l'amitié, la famille, le couple, la foi (on est à Boston, et il y a de nombreux plans sur le ciel ou sur des crucifix). La seule échappatoire, qui apparaît comme une fausse solution, consiste à se substituer à Dieu, à faire régner sa propre loi comme l'ont fait beaucoup de personnages interprétés par Eastwood lui-même ou comme Matt Scudder dans les polars de Lawrence Block. La mise en scène, impeccablement maîtrisée, culmine dans deux séquences en montage parallèle, celle qui fait coïncider la découverte du cadavre de la fille de Jimmy et la première communion de sa sœur et la fin où celui-ci se fait justice au moment où le véritable coupable est découvert. On sort de cette épreuve avec une déprime tenace et une seule prière possible, même si Dieu est mort (pour reprendre le titre d'un vieux John Ford), celle de pouvoir mourir avant ses enfants.

VENDREDI.
Bougies. Alice a trois ans et a droit à son baptême de cinéma.

Cinéma donc. Les Aventures de Porcinet (Piglet's Big Movie, Francis Glebas, USA, 2003).
Pour mettre en valeur un personnage secondaire de l'univers de Winnie l'Ourson, les studios Disney n'ont pas fait beaucoup d'efforts. L'histoire est un collage bancal de trois aventures différentes, le dessin est paresseux, les chansons vraiment pas terribles. Pourtant, les personnages sont intéressants, car outre leur mièvrerie et leur anthropomorphisme disneyens habituels, ils font preuve d'une crédulité et d'une stupidité de bon aloi dans un univers où on a plutôt tendance à glorifier les malins et les débrouillards. Ce qui est plus patent en version originale (voir l'orthographe des panneaux écrits) qu'en français : comment le public visé peut-il comprendre la joie qui les étreint lorsqu'ils brandissent un bout de bois et clament avoir découvert le pôle nord s'il ignore qu'en anglais "a pole" est un piquet ? Autre raison d'envier le public anglo-saxon : il a droit à Carly Simon pour les chansons, les petits francophones doient se contenter de Nicole Croisille.

TV. Décalogue 2 : Tu ne commettras point de parjure (Dekalog, dwa, Krzysztof Kieslowski, Pologne, 1988 avec Krystyna Janda, Aleksander Bardini, Olgierd Lukaszwicz; diffusé sur France 2 en ?).
Dorota veut savoir si son mari Andrzej va mourir de son cancer. Elle attend un enfant de son amant et ne sait si elle doit avorter. Pour sauver l'enfant à venir, le médecin lui déclare qu'Andrzej est condamné.
Cet épisode du Décalogue aurait tout aussi bien pu illustrer le commandement "Tu ne convoiteras pas la femme d'autrui" puisque tout part d'une histoire d'adultère. Kieslowski est plus subtil, il faut chercher derrière le faux diagnostic du médecin l'illustration du commandement. La Pologne filmée par Kieslowski est incroyablement déprimante : la grisaille et le froid semblent passer de l'autre côté de l'écran. Glaçant.

SAMEDI.
TV. Je goûte les 50 points passés aux Écossais par l'équipe de France de rugby.

24 heures chrono (saison 2, épisodes 11 & 12, diffusés sur Canal + le soir même).
A un moment, le principal suspect doit être identifié alors qu'il est en train de prier dans une mosquée. Ce qui requiert de solides notions de rétrophysiognomonie.

Bonne nuit.