Notules
dominicales de culture domestique n°170 - 1er août 2004
DIMANCHE.
Où sont passés les tuyaux ?
Premiers feux de forêt dans les Bouches-du-Rhône. Le moment
de ressortir cette lettre d'un temps où le chef de l'État
savait se faire respecter de ses commis et dénichée sur
le site de l'excellente association Pénombre http://www2.unil.ch/penombre/
Message
de l’Empereur (Napoléon Ier)
à monsieur le préfet du Var
“J’apprends
que des incendies ont éclaté dans les forêts du département
dont je vous ai confié l’administration. Je vous ordonne de faire
fusiller sur le lieu de leur forfait les individus convaincus de les avoir
allumés. Au surplus, s’ils se renouvelaient, je veillerais à
vous donner un remplaçant.”
TV.
Travail d'Arabe (Christian Philibert, France, 2003 avec Mohamed
Metina, Cyril Lecomte, Jacques Bastide, Jeanne Dhivers; diffusé
sur Canal + en juillet 2004).
Momo vient de purger deux mois de prison pour détention de cannabis.
Rendu à la vie civile, il est décidé à se
racheter une conduite et trouve un emploi dans une entreprise de plomberie.
Encore un film sorti dans la clandestinité en juillet dernier et
qu'on découvre avec plaisir. Pauvre Momo qui va se rendre compte
que rien n'est facile pour un Arabe repris de justice désireux
de mener une vie ordinaire. Plein de bonne volonté, Momo intègre
une PME qui est un vrai nid de serpents, de voyous qui dissimulent leur
malhonnêteté sous la faconde méditerranéenne
et le virent dès qu'il commence à se douter de leur véritable
valeur. Une installation défectueuse causera la mort d'une cliente
et Momo, aidé par un expert judiciaire, va se transformer en chevalier
blanc (!) pour faire condamner ses anciens employeurs. Les comédiens,
tous inconnus, sont excellents mais ce qui épate c'est le rythme
que Philibert parvient à insuffler dans son récit. On craint
un peu une fin angélique ou trop noire mais habilement, le réalisateur
termine par une pirouette qui surprend mais au moins ne déçoit
pas.
LUNDI.
Courrier. les D sont en Charente,
les N cherchent des traces de Walter Benjamin autour de Cerbère
et Port-Bou.
Lecture. L'été qui
ne s'achève jamais (Close to Home, Peter Robinson, 2003;
traduction française Éditions Albin Michel 2004, coll. Spécial
suspense, traduit de l'anglais par Valérie Malfoy; 448 p., 21,50
€).
Dans le Yorkshire,au cours d'un chantier, une pelleteuse met à
jour les ossements de Graham, un adolescent disparu dans les années
60. Au même moment, à quelques miles de là, le jeune
Luke Armitage est enlevé et retrouvé mort peu après.
L'inspecteur Banks, ami d'enfance de Graham, participe aux deux enquêtes.
C'est la troisième enquête de Banks traduite en français,
je ne connais pas les deux précédentes. Disons tout de suite
qu'il n'a pas vocation à compter parmi les figures incontournables
du genre. Pourtant, l'enquête, ou plutôt la double enquête
puisqu'on passe sans cesse (d'une façon un peu trop systématique)
de l'une à l'autre n'est pas plus mal fichue que chez Connelly
ou Mankell. Il manque ce je ne sais quoi qui fait que chez ces derniers,
Bosch et Wallander sont des géants et que Banks n'atteindra jamais
leur stature malgré les points communs qu'il partage avec eux (âge,
solitude, bleus à l'âme...). Et quand je dis je ne sais quoi,
c'est vraiment parce que j'ignore la teneur de ce petit quelque chose
en plus. D'où vient-il ? Du style ? du ton ? de la traduction ?
du climat général ? Pas facile à dire, à définir.
Il faut donc chercher ailleurs les points les plus intéressants
du livre. Il y a d'abord la plongée de Banks dans son passé,
dans les sixties où il a vécu avec une des victimes, qui
permet de recréer une ambiance d'époque (musique, émissions
de télévision, climat politique, mœurs) plutôt réussie.
Et aussi le fait qu'un des deux crimes est le fait d'une bande organisée,
d'une mafia locale made in England. On a en effet l'habitude dans le polar
britannique de présenter des tueurs (en série ou non) solitaires,
le crime organisé ne semble pas y trouver sa place, le livre de
Robinson apparaît donc comme une exception intéressante.
MARDI.
Presse. Jolie manchette, sur le plan
anagrammatique, de La Liberté de l'Est du jour, à propos
d'une entreprise dont le siège, si j'ose m'exprimer ainsi, est
à Cleurie.
Courrier.
Nous sommes conviés à fêter les trente ans de CD à
la fin août.
Vie sociale. Nous recevons un couple
de Voiron. Ils s'en vont. Ne sais quand nous nous revoirons.
MERCREDI.
Escapade. Je pars pour Paris par le
7 heures 40. C'est le boucher voisin qui me conduit à la gare.
Ça ne le détourne pas trop, chaque matin, vers les sept
heures, il va chercher près de la gare le pain qu'il vend dans
sa boutique. Car le voisin boucher vend du pain, ce qui n'étonnera
que ceux qui ignorent que le boulanger du quartier vend de la viande.
Le pain du boucher est d'ailleurs ce qu'il y a de meilleur et de plus
frais dans sa boucherie. Donc j'achète mon pain chez le boucher,
mais pas ma viande chez le boulanger. Pour la viande, je vais au marché
d'où je rapporte souvent du poisson. Il faut tout de même
acheter de temps en temps du pain chez le boulanger car la boulangère
est cliente de la pharmacie, il ne faut pas négliger la pratique...
Remarquez, le boucher est aussi client, mais plus rarement. Les bouchers
sont réputés de constitution robuste et durs au mal, c'est
le cas de notre voisin. Heureusement, il exerce un métier à
risque et réussit à se couper de temps en temps. C'est alors
que, passant du statut de voisin à celui de client, il franchit
le seuil de l'officine, le tablier un peu plus taché que d'habitude,
pour se faire confectionner une poupée en s'exclamant finement
"C'était pourtant pas le jour du boudin !"
Vie parisienne. Je croûte d'un
émincé de poulet au miel à la Brasserie de l'Est,
sieste lourdement et travaille légèrement à la Bibliothèque
des Littératures Policières.
Cinéma (Action Écoles,
rue des Écoles). Les Naufragés de l'île de la Tortue
(Jacques Rozier, France, 1976 avec Pierre Richard, Maurice Risch, Jacques
Villeret, Danielle Minazzoli, Pierre Barouh, Jean-François Balmer,
Caroline Cartier, Patrick Chesnais).
Non seulement les films de Rozier sont peu nombreux (quatre longs métrages
depuis 1962) mais ils sont rares et difficiles à voir. L'occasion
était donc belle de découvrir ces Naufragés,
de comparer leur odyssée à celle des voyageurs de Maine-Océan,
le seul autre film de Rozier que je connaisse. Ici, le voyage est un peu
particulier : deux employés d'une agence de tourisme ont imaginé
d'organiser un séjour aux Antilles où les clients devront
se débrouiller par eux-mêmes pour assurer leur subsistance.
Avec un beau sens de l'anticipation, Jacques Rozier imagine la vogue des
séjours de vacances remplis de noms en -ing et filme une sorte
de Koh-Lanta avec vingt-cinq ans d'avance sur TF1. Même si, en réalité,
la robinsonnade tourne court. Le rêve de la fuite est impossible.
Ce avec quoi il faut lutter, c'est la réalité du voyage,
dans la forêt et sur un bateau, c'est aussi la réalité
du tournage, les délais à respecter, les dialogues écrits
à la va-vite ou improvisés. Ce qui fait qu'on n'évite
pas certaines longueurs vite pardonnées devant le plaisir de voir
Pierre Richard dans un rôle non formaté, un Pierre Richard
sûr de lui et un peu escroc, maniant l'absurde et le mensonge avec
un art consommé.
JEUDI.
Cinéma (UGC Ciné Cité
Les Halles). Cause toujours ! (Jeanne Labrune, France, 2004 avec
Victoria Abril, Jean-Pierre Darroussin, Sylvie Testud, Didier Bezace,
Claude Perron, Richard Debuisne, Dominique Besnehard, Michèle Ernou).
S'il faut utiliser une expression toute faite en guise de titre, autant
prendre "Rien ne va plus" tant cette troisième fantaisie
de Jeanne Labrune après Ça ira mieux demain et C'est
le bouquet ! indique qu'elle a atteint les limites du genre qu'elle
a voulu mettre à l'honneur, la fantaisie donc, fondée sur
des chassés-croisés de personnages un peu lunaires, des
situations gentiment absurdes (une commode ou un bouquet qui passent de
main en main), des dialogues faisant eux aussi appel au nonsense. La séquence
d'ouverture annonce le film : Victoria Abril gesticule et parle dans
le vide, en cherchant à tuer les mites qu'elle a en horreur. A
partir de là se déroule un scénario poussif qui nous
mène à la recherche d'une femme disparue en compagnie d'un
homme muet, personnage énigmatique parfaitement ridicule interprété
par Debuisne, scénariste de la chose. Les dialogues, autrefois
brillants, tombent à plat, les répliques, autrefois délicieusement
absurdes, sonnent creux, les comédiens s'ennuient, c'est le fiasco
sur une musique particulièrement lourdingue de Bruno Fontaine.
La bonne nouvelle, c'est que Jeanne Labrune avait annoncé qu'elle
passerait à autre chose après ses trois fantaisies et qu'on
peut désormais attendre qu'elle utilise son talent à autre
chose (Si je t'aime... prend garde à toi avait prouvé
qu'elle pouvait traiter des sujets graves).
Vie parisienne. Au Louvre, les salles
où j'ai prévu de travailler sont fermées. Je ne m'attarde
pas, part en quête de babioles à rapporter aux filles, déniche
un recueil de Fred Kassak à vil prix (auteur de polar remis à
l'honneur dans la dernière livraison de la revue Temps noir), croûte
une salade au Petit Cardinal et finit la journée de façon
studieuse à la Bilipo.
Presse. Propos de M. Zapatero, chef
du gouvernement espagnol, dans Le Monde du jour : "... le langage
public européen est bien éloigné de la bonne littérature.
Il aurait fallu confier la Constitution à deux excellents écrivains
avant d'en donner la version finale." Voilà qui fera plaisir
au principal inspirateur du projet, M. Valéry Giscard d'Estaing,
de l'Académie française.
Courrier. Je trouve à mon retour
la réponse type de Laure Adler qui a beaucoup servi (je parle de
la lettre, on commence à voir apparaître les traits et taches
dus à la photocopieuse) et un CD de Loretta Lynn.
VENDREDI.
France Culture. Je signe la pétition
de soutien aux Décraqués sur http://decraques.ouvaton.org/
Courrier. J'envoie des coupures à
Y et à CG.
TV. La Vie passionnée de
Vincent Van Gogh (Lust For Life, Vincente Minnelli, E-U, 1956
avec Kirk Douglas, Anthony Quinn, James Donald, Everett Sloane; diffusé
sur TCM en mars 2002).
Biographie.
C'est un de mes films de chevet, une oeuvre qui m'avait laissé
ébloui lors d'une première vision adolescente qui me conduisit
plus tard en Provence sur les traces de Vincent, jusque dans le cloître
de Saint-Paul-de-Mausole, l'asile de Saint-Remy où Antonin Artaud
résida aussi à la même époque, et qui m'a toujours
empêché de voir ce que Maurice Pialat avait fait avec ce
même thème. Pialat, dans sa jeunesse, s'était essayé
à la peinture (on a pu revoir ses oeuvres après sa mort),
Minnelli peut-être pas mais il cherche à réaliser
un film de peintre, à utiliser le Scope comme une palette, à
saisir la lumière de la Provence pour l'opposer à la noirceur
du Borinage où Vincent entreprend une vie de pasteur. Minnelli
n'hésite pas non plus à se servir des vraies toiles, à
les mettre en rapport avec le paysage réel, comme au cours de ce
moment magique où la chambre de Van Gogh à Arles passe de
l'état de tableau à celui de plan réel. Autour de
Vincent, il y a l'histoire de la peinture qui vit à cette époque
une révolution. Minnelli, dans les scènes parisiennes, montre
des peintres, Seurat, Bernard, Pissaro, Gauguin bien sûr, les laisse
exposer leurs théories, retrouve le Paris stylisé et un
peu naïf d'Un Américain à Paris tourné cinq
ans auparavant. Comme souvent, Minnelli, aidé par la composition
tourmentée de Kirk Douglas, transforme un exercice de style hollywoodien
(ici le biopic, biographie filmée) en oeuvre personnelle d'esthète.
Lectures. La famille Kafka de Prague
(Die Familie Kafka aus Prag, Alena Wagnerova, 1997, Bollmann Verlag
GmbH Köln; 2004, Grasset et Fasquelle pour la traduction française;
traduit de l'allemand par Nicole Casanova; 280 p., 15 €).
Lettre à son père (Franz Kafka in Oeuvres complètes
IV, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 353;
traduit de l'allemand par Marthe Robert, édition présentée
et annotée par Claude David; 1520 p., 56,41 €).
Le travail d'Alena Wagnerova sur la famille Kafka apporte de nouveaux
éléments en amont de l'écrivain. Elle dresse le tableau
des Juifs villageois de Bohême dont faisait partie le père
de Kafka, élevé à la dure avant de quitter la campagne
pour Prague où il put s'établir à la tête d'un
commerce qui deviendra florissant grâce à son travail acharné.
La famille de sa mère, née Löwy et appartenant à
un milieu beaucoup plus aisé, fait également l'objet d'un
étude détaillée. On se perd un peu dans les noms,
dans les frères, les sœurs, les cousins, les oncles et tantes,
mais beaucoup des personnages ici présentés réapparaîtront
plus tard dans la vie de Kafka, la maison de ses parents à Prague
deviendra une sorte de point de ralliement pour tous les membres de la
famille.
Une fois que Franz apparaît, l'auteure, comme d'autres l'ont fait
avant elle, utilise les journaux et la correspondance de l'écrivain
pour nous dresser un tableau de la vie de la famille. Les faits sont connus,
c'est sûr, l'état des relations entre le père et le
fils a déjà été abondamment commenté
mais la figure du père bénéficie d'un éclairage
particulier et donne une image un peu plus précise du personnage.
Celui-ci est surtout connu par l'impitoyable Lettre à son père
que l'écrivain rédigea en 1919 et que le principal intéressé
n'a jamais lue, et destinée, comme le dit la dernière phrase
souvent citée "à nous apaiser un peu et nous rendre
à nous deux la vie et la mort plus faciles." Kafka y dresse
le bilan d'une éducation ratée dans tous les domaines, y
fait le portrait d'un père obtus, emporté, grossier, hermétique,
incapable de comprendre un fils qu'il destinait à lui succéder
dans les affaires et qu'il ne parvint jamais à comprendre. Malgré
toutes les précautions que prend Kafka, le réquisitoire
est sans pitié, souligne la responsabilité du père
dans les échecs successifs que furent l'éducation familiale,
l'éducation religieuse, ses relations aux autres et ses projets
de mariage avortés. Le travail d'Alena Wagnerova permet de lire
cette lettre sous un jour un peu différent, de mieux comprendre
le père, en donnant une image moins caricaturale et peut-être
plus proche de la réalité du personnage.
SAMEDI.
Jardin. Arrachage des épices.
Vie sociale. Nous recevons GN et sa
famille. GN est mon copain de régiment. Ma satisfaction de posséder
un copain de régiment, comme j'ai déjà dû le
dire, n'a d'égale que mon regret de ne pas avoir de camarade de
communion.
Bon dimanche.
Notules
saturnales de culture domestique n°171 - 7 août 2004
DIMANCHE.
Réaction aux notules. Messages
d'IM, la seule abonnée d'Italie, et d'AB qui parle de l'Anthologie
des Papous publiée chez Gallimard.
LUNDI.
Courrier. Carte postale des G qui
ont gagné Saint-Jean-de-Luz. Je reçois également
la Circulaire circumpolaire & phynanciëre du Collège
de 'Pataphysique accompagnée du Promptuaire des non-publications
du Collège et de plusieurs cartes postales (illustrant Ubu
en Suisse par Enrico Baj) mais à écrire celles-là.
TV. La Fureur dans le sang
(Wire in the Blood, série d'Andrew Grieve, G.-B., 2004,
saison 2, épisode 4/4, avec Robson Green, Hermione Norris; diffusé
sur Canal + en juillet 2004).
Un hôpital connaît une hausse inquiétante de patients
décédés. Les examens post mortem indiquent qu'il
ne s'agit pas de morts naturelles.
On dirait bien qu'on a affaire au meilleur épisode de la courte
série. Les soupçons se portent d'abord sur un chirurgien
particulièrement détestable, puis sur un anesthésiste
pas net, sur un type de l'entretien qui fréquente les intégristes,
avant que l'on s'aperçoive de la conduite pas franche d'un gars
qui...
Finalement, quand je me suis réveillé, on avait arrêté
un gros homme prénommé Colin. Je ne sais pas du tout ce
qu'il faisait dans cette histoire. Ces vacances me tuent.
MARDI.
Paquetage. Je me surprends à
boucler ma valise alors que le départ en vacances n'est prévu
que pour dans quatre jours. J'ai vraiment envie de changer d'air et l'Allier
m'apparaît comme un Eldorado. Pour un peu, je me mettrais incontinent
à beurrer les sandwichs pour la route.
Vie socio-familiale. Mon frère
paie son repas en m'abandonnant son exemplaire de l'Anthologie des
Papous.
MERCREDI.
Préparatifs. J'emmène
les filles à la Bibliothèque municipale faire le plein de
livres pour les vacances. Alice est fière de sa première
carte de lectrice. Je sillonne ensuite la ville pour prendre des photos
de Bars clos, de publicités et d'enseignes peintes. L'été
est propice aux ravalements de façades, aux changements d'enseignes
et aux fermetures discrètes. Je mets donc en boîte une ancienne
ferronnerie-serrurerie, le Restaurant de l'Abattoir ("Buvez Lamboley"),
l'Étoile d'Or et le café Aux amis de la cave où j'ai
donné deux concerts avec Garlamb'Hic. Mon manège intrigue
le jeune homme qui doit être le nouveau taulier de cet établissement,
déjà affairé à des travaux de transformation,
et qui me fait l'honneur d'un interrogatoire poussé sur le pourquoi
de mes activités photographiques. Il faut croire qu'avec mon short
et ma chemisette ouverte aux vents, j'ai tout de l'espion industriel.
En tout cas, lui a une tête à transformer la vénérable
enseigne en une raison sociale ronflante et si possible anglicisée.
C'est déjà comme ça que, pour ne citer que les exemples
spinaliens les plus récents, le café du Vallon, situé
à l'entrée du Vallon de Saint-Antoine, a été
rebaptisé Le Sélect (ce qui ne manque pas de sel pour ceux
qui comme moi l'ont fréquenté), le café de la Loge
Blanche, sis avenue de la Loge-Blanche, s'appelle désormais le
Highland Pub (!), le bar de la Tour, rue Georges-de-la-Tour, est devenu
l'Ambassade, le café du Marché, face au marché couvert,
s'est transformé en énigmatique P'tit Max... C'est toute
la raison de mon travail sur ces enseignes, garder la mémoire d'un
temps où tout était plus simple et plus naturel, d'un temps
où les cafés s'appelaient cafés et les coiffeurs
coiffeurs.
Lecture. Histoires littéraires
n° 12 (revue trimestrielle consacrée à la littérature
française des XIX° et XX° siècles, octobre-novembre-décembre
2002, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs).
L'entretien du trimestre est consacré à Jacques Neefs, ancien
président de l'Association Georges Perec et par ailleurs éminent
flaubertien. C'est ce que j'ai trouvé de plus intéressant
dans un numéro où les auteurs traités ne m'intéressaient
guère : Vitrac, Colette, Champfleury, Michelet. La Chronique des
ventes et catalogues permet de constater l'envolée de Gainsbourg
(manuscrit autographe de La Javanaise taché d'un rond de
verre inspirateur estimé 5 à 6 000 €) et la rubrique
Livres reçus, si je n'y ai rien relevé pour ma consommation
personnelle, recèle quelques pépites assassines comme celle-ci,
consacrée aux Mots de la presse écrite recueillis
par Serge Bénard : " L'auteur, journaliste de métier,
s'est fait lexicographe pour composer ce vocabulaire de la presse écrite
qui paraît dans une collection consacrée au français
retrouvé. Pour documenter son répertoire de mots désuets
et des néologismes les plus récemment forgés, Serge
Bénard a truffé ses notices d'anecdotes qui se laissent
savourer avec le même plaisir que celui pris dans la solitude du
petit matin, devant un café trop chaud, quand la seule lecture
à portée de la main est un journal vieux de trois mois qui
a servi la veille à contenir des haricots verts. "
Détente. Les filles villégiaturent
chez mes parents. Le soir venu, je croûte au port avec Caroline,
servi par un ancien élève. J'espère que le souvenir
qu'il a gardé de mon enseignement ne l'a pas conduit à cracher
dans la soupe.
JEUDI.
Bricolage. Je passe une partie de
la matinée à mastiquer, non par onanisme, mais pour essayer
de consolider quelques fenêtres aux carreaux vacillants.
Courriel. Un message du Monde à
qui j'avais demandé des nouvelles de mon abonnement, souscrit il
y a deux semaines : mon règlement ne leur est jamais parvenu.
J'avertis Alain Zalmanski de la nouvelles affectation sacerdotale de Mgr
Patenôtre, qui passe de l'évêché de Saint-Claude
à l'archevêché de Sens, ce qui n'ôte rien à
sa qualité d'aptonyme.
Toile. J'abandonne la consultation,
entreprise depuis une semaine, du site "Défense de France
Culture" dont le forum est décevant.
Courrier. J'envoie les dernières
coupures de la saison à Y.
Safari. Je place des pièges
destinés à éliminer une souris qui a élu domicile
dans l'appartement. J'ai peur qu'elle ne couche à ma place quand
nous serons en vacances.
Bar clos. Là aussi, le dernier
de la saison, du moins je l'espère. J'y ai croisé peu de
sportifs. La patronne, septuagénaire, est morte au début
du mois de juillet. Y aura-t-il un repreneur ?
TV.
Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Mykelti
Williamson, Donnie Wahlberg, Gary Basaraba; saison 2, épisode 5,
diffusé sur Canal + en avril 2004).
J'avais laissé cette série en plan en avril dernier après
quelques épisodes décevants. Celui-ci est de qualité.
L'enquête concerne un cadavre découvert emmuré vingt
ans après sa mort. Une fois le mort identifié, les policiers
réunissent ses connaissances de l'époque et cherchent à
savoir ce qui est arrivé. Pas de déplacement dans cet épisode
mais une succession d'interrogatoires serrés à l'intérieur
du commissariat pour aboutir à un final habile et surprenant.
VENDREDI.
In memoriam. Je termine la partie
spinalienne des vacances comme je l'ai commencée, à l'église
et en pantalon pour les obsèques de CR, mort au champ d'Alzheimer
à 57 ans, avec qui j'ai travaillé de nombreuses années
et qui fut souvent plus qu'un collègue. C'est à lui que
je devais mes premiers pas dans le monde littéraire, par la porte
de service, quand il m'avait confié la tâche de relire les
épreuves d'un livre d'histoire locale qu'il avait écrit,
Rehaincourt septembre 1944 - mai 1945 Chronique d'une population déchirée.
Je renonce à suivre la chorale qui, comme c'est souvent le cas
dans ces paroisses rurales, chante dans une tonalité qui n'appartient
qu'à elle et qu'elle semble peu désireuse de faire partager,
pour aller à la pêche aux souvenirs : un week-end au Chitelet
avec les F., le quart de finale France - Brésil de 1986 à
Hadigny-les-Verrières, un repas chez lui où je m'étais
fort mal tenu, la chambre de son fils où il m'alita plus souvent
qu'à mon tour, son écriture serrée, la grande manifestation
parisienne de 1994 à l'issue de laquelle nous avions été
les deux seuls à manquer le bus du retour, l'apéro du samedi
midi au Commerce à Nomexy, les concerts de Garlamb'Hic auxquels
il avait assisté (dont celui des Amis de la cave), notre escapade
à Amsterdam (l'auberge de jeunesse, les Van Gogh du petit matin),
une fin d'après-midi au café Foy à Nancy, sa seule
visite ici en 2002 alors qu'il allait encore presque bien, tout ça
pour finir par me dire que ce n'est pas aujourd'hui mais bien avant que
j'aurais dû revenir dans son village.
Football. Nice - Lyon (0-1). J'aime
les débuts de saison au football. J'en aurai rapidement ma claque
mais j'aime ce moment du recommencement, les pelouses sont belles, on
va au stade en chemisette, on croit les entraîneurs à leur
poste pour l'année entière, on se dit que le F.C. Metz et
le S.A. Spinalien vont se maintenir sans difficulté, j'achète
France Football, j'abandonne le PMU pour le Loto Foot et je regrette de
manquer les deux premiers matches à la Colombière pour cause
de...
SAMEDI.
...Vacances. Qui expliquent cet envoi
anticipé et reportent la parution du prochain numéro des
notules au dimanche 22 août.
Bonne quinzaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°172 - 22 août 2004
SAMEDI
1.
Didion futé. Nous prenons la
route des vacances à 10 heures 18. Un arrêt à Montigny-le-Roi,
pas pour raisons médicales cette fois, un autre à Beaune
pour croûter les sandwichs que les filles ont bien voulu nous laisser
(on comprend mieux à ce moment le calme relatif qu'elles ont observé
jusque là) et nous quittons l'autoroute au niveau de Chalon-sur-Saône.
Après Montceau-les-Mines, une route déserte traverse Gueugnon
et Bourbon-Lancy avant de nous amener aux environs de Moulins. En guise
de festival d'été, des affiches annoncent une "Fête
de la vapeur et de la moisson" dont on peut augurer qu'elle n'est
pas parrainée par Télérama. Pour connaître
une ambiance de vraies vacances, nous écoutons de temps à
autre, incrédules, les flashs de France Info qui font état
de conditions de circulation très difficiles. Nous devons nous
contenter d'un feu rouge à Bourbon-Lancy, et encore, sans personne
devant ni derrière nous. A 16 heures tapantes, comme prévu
- on va nous prendre pour des Suisses - nous arrivons à notre gîte,
un écart du hameau des Préaux, un écart d'Avermes
qui est un écart d'Yzeure à l'écart de Moulins. Nous
voulions être tranquilles, nous sommes servis, même les poules
sont discrètes. La propriétaire, épouse de céréalier
de l'Allier, nous fait faire le tour du propriétaire, nous présente
au chien Papaye et au corbeau Coco. Je devine déjà des adieux
déchirants. Les journaux nous attendent, l'abonnement au Monde
est finalement opérationnel. La maison a l'air agréable,
on ne devrait pas avoir froid dans les chambres situées sous les
toits et l'étang est de taille. Ses abords dégagés
devraient interdire une de mes spécialités, la pêche
en altitude consécutive à un lancer martial qui envoie ma
ligne dans les frondaisons. C'est ma première destination une fois
l'auto vidée. Lucie prend le premier poisson, je la suis de près
et nous entassons ablettes, rousses et petites perches. J'ai tellement
l'habitude de ce menu fretin que c'est sans méfiance que je pose
ma canne pour me rouler une cigarette et que je la vois, interloqué,
filer dans l'eau et partir à la remorque d'une carpe de belle taille.
J'attends que l'attelage se rapproche du bord pour me décarpiller
et plonger, un orteil après l'autre, à la chasse au carpillon
survitaminé. Je parviens à récupérer la bête
et mon matériel sous l'oeil goguenard et photographique de Caroline.
Je pêcherai un peu plus tard un autre spécimen de même
taille dans des conditions tout à fait banales cette fois. On ne
pouvait rêver meilleure entrée en matière, fût-elle
aquatique.
DIMANCHE 1.
Premier jour. Je progresse dans l'habileté
halieutique : si je me fais une fois de plus dépouiller de tout
mon saint-frusquin, je garde cette fois la canne en main. Urgent :
apprendre à faire des noeuds. Le nettoyage, plus que nécessaire,
du dessous d'évier où trône la poubelle m'apprend
que les locataires précédents, ceux de l'année passée
aussi bien, aimaient l'échalote, les olives noires, les cigarillos
ensachés individuellement et les chamallows qu'ils recrachaient
sans les avaler. Nous faisons une première incursion à Moulins.
Ceux qui pensent que leur ville est morte le dimanche matin devraient
venir plus souvent à Moulins. Les filles font un tour de manège
place d'Allier. Un tour interminable : dans sa guérite, plongé
dans un magazine de fesses apparemment passionnant, le tenancier de l'attraction
a totalement oublié les bambins qui tournoient sous son nez et
n'arrête le manège que lorsque ceux-ci sont au bord de la
nausée. On aurait pu lui démonter la moitié de ses
chevaux de bois sans qu'il s'en aperçoive. J'achète La Montagne,
apprends avec stupeur que le S.A. Spinalien a remporté son premier
match 6 - 0. Nous finissons la journée par la spécialité
locale, le pâté aux pommes de terre, ce type de plat frais
et estival qui vous fait sentir pour de vrai l'attraction terrestre.
LUNDI 1.
Vie sociale. Les G, de passage au
camping de Moulins sur leur chemin du retour, nous visitent pour un barbecue
en nocturne. Échange d'impressions de vacances, finissantes pour
les uns, débutantes pour les autres.
MARDI 1.
Météo. Premier jour
de pluie. Nous ramassons des escargots. Toujours ce goût marqué
pour la course.
Lecture. Los Angeles River
(The Narrows, Michael Connelly, Éditeur original Little,
Brown and Company, 2004; Éditions du Seuil, coll. Policiers, juin
2004 pour la traduction française; traduit de l'américain
par Robert Pépin; 384 p., 21 €).
Dans ce nouvel épisode des aventures de Harry Bosch, Michael Connelly
fait du recyclage. Outre les personnages qui entourent habituellement
l'ex-flic du LAPD devenu détective privé, il ressort le
tueur en série héros du Poète (où Bosch n'apparaissait
pas si je me souviens bien) et Terry McCaleb, agent du FBI rencontré
dans Créance de sang, roman porté à l'écran
par Clint Eastwood. Habilement, Connelly intègre d'ailleurs le
film à son histoire, il est question des centaines de lettres que
McCaleb a reçues après sa sortie et le Bosch narrateur en
parle très librement : "Du Hollywood tout craché. C'était
Clint Eastwood qui avait joué le rôle de Terry bien qu'il
eût plusieurs années de plus que lui. Le film n'avait connu
qu'un succès relatif."
On apprend au début de Los Angeles River la mort de McCaleb.
Vu qu'il était greffé du coeur, on songe à une crise
cardiaque mais sa veuve a retrouvé ses médicaments trafiqués
et demande à Bosch d'enquêter. Bosch trouve rapidement une
piste qui le conduit au Poète et c'est parti pour la traque. Comme
le FBI est aussi sur l'affaire, Bosch est en concurrence et prouve une
fois de plus son habileté à se mettre tout le monde à
dos, à l'exception d'un agent féminin qui accepte d'être
de son côté. L'intrigue est sans temps mort, très
tendue, sans ces pauses que l'on ménage parfois pour décrire
la solitude ou la vie familiale du héros. On sait que Bosch a une
fille depuis Lumière morte mais les rapports conflictuels
qu'il entretient avec la mère de l'enfant ne font qu'ajouter à
la tension. Le dénouement se déroule dans les canaux de
la Los Angeles River gonflés par des pluies torrentielles
qui sont à la mesure, mythique, du personnage.
MERCREDI 1.
Pèlerinage. Nous passons la
matinée à Jaligny, sur les traces de René Fallet.
L'exposition consacrée à l'auteur, qui s'empoussiérait
gentiment au-dessus de la Mairie, a été transférée
pour l'été à la Maison de la Pêche. S'il y
avait un Bar clos que je ne souhaitais pas photographier, c'est
bien l'Hôtel de France, le quartier général de Fallet
dans le Bourbonnais, qui semblait véritablement sorti des Vieux
de la vieille et qui était encore ouvert en 2000 ("Vin rouge
ou vin blanc ?"). Heureusement, il n'est pas fermé pour cause
de décès puisque nous apercevons l'Aimée, la taulière
historique, sortir de chez elle. L'appareil photo, lui aussi en état
de choc, tombe d'ailleurs en panne et refuse de prendre le cliché.
Plouf. Il y a à Yzeure un joli
plan d'eau où nous avons l'intention de nous ébattre après
la sieste, la chaleur étant revenue. Belle aubaine, il est presque
désert quand nous y arrivons. Nous allons vite comprendre pourquoi
: la baignade y est interdite depuis le 7 août pour cause de présence
de cyanobactéries dans le bouillon. Nous nous rabattons sur la
piscine de Moulins où nous prenons un bain d'humanité.
JEUDI 1.
Emplettes. Achat d'un appareil photo
jetable.
Excursion. La journée est maussade,
nous explorons les environs immédiats en auto. Au bout de quelques
kilomètres, nous sommes dans la Nièvre. C'est extrêmement
dépaysant.
Football. Zidane prend sa retraite
internationale. Cette fois, on ne m'a pas demandé de prononcer
de discours.
VENDREDI 1.
Injoignable. Toutes les lignes de
votre correspondant sont occupées. Je suis à la pêche.
J.O. J'aimerais qu'il y ait un jour
des Jeux Olympiques au Caire pour que je puisse parler de cérémomie
d'ouverture.
Lecture. L'Égypte de Franz
Kafka (Jean-Pierre Gaxie, éditions Maurice Nadeau, 2002; 184
p., 18 €).
Essai.
Au tour de Jean-Pierre Gaxie de proposer une lecture de Kafka. Après
tant d'autres, il le sait, il les cite, il s'en sert. L'oeuvre de Kafka,
labourée dans tous les sens depuis des décennies, permet
encore le tracé d'un nouveau sillon, elles est assez riche et malléable
pour ça. Gaxie commence par souligner les impasses auxquelles ont
conduit les diverses interprétations qu'on a essayé de donner
aux textes de Kafka : interprétation théologique à
la suite de Max Brod, interprétation symbolique, interprétation
fantastique, interprétation psychanalytique. A la suite de quoi
il propose sa vision des choses, à savoir tenter d'éclairer
Kafka sous l'angle égyptien. Bien sûr, les traces d'Égypte
chez Kafka sont rares : la ville imaginaire de Ramsès dans le dernier
chapitre de L'Amérique, la structure pyramidale de l'administration
du Château, quelques allusions dans des textes moins connus.
Il faut donc chercher plus loin, provoquer la coïncidence. Gaxie
va donc étudier la symbolique du scarabée dans l'Égypte
antique pour éclairer La Métamorphose, rapprocher
le K des noms des personnages du "ka" égyptien qui, chez
tout homme, joue le rôle du protecteur du vivant jusque dans la
mort. Plus largement, l'auteur fait appel à la Bible pour voir
deux tendances dans l'oeuvre de Kafka : la Fuite en Égypte (recherche
de la Terre Promise, du mariage, de la littérature, de la judéité,
de la Palestine même où Franz Kafka envisage de se rendre)
et l'Exode, la fuite hors Égypte (pour échapper à
la famille, au père surtout, au salariat, à la maladie).
Cette vision a le mérite de la nouveauté, elle n'est pas
toujours facile à saisir parce que la phrase est tortueuse et le
vocabulaire parfois difficile (qu'est-ce qu'un "caractère
apotropaïque", p. 153 ? Le Nouveau Larousse des débutants
que j'ai déniché dans la maison n'a pas pu m'éclairer).
Elle n'empêche pas l'auteur de faire comme les autres, c'est à
dire de fouiller dans la correspondance et dans le journal, et de donner
sa propre vision des textes les plus connus comme la parabole du Gardien
dans Le Procès. A propos de ce roman, il émet l'idée
intéressante selon laquelle le dernier chapitre - qui n'est à
cette place que parce que Max Brod la lui a attribuée, on ne sait
quel ordre l'auteur aurait donné à ses chapitres - pourrait
n'être qu'un rêve et intervenir plus tôt dans le récit.
SAMEDI 2.
TV. Nous suivons le parcours athénien
d'Aurore Mongel, une nageuse que j'ai connue élève et plus
fluette au collège où j'exerce. Pour une fois que ce n'est
pas dans la chronique judiciaire que je retrouve un ancien élève...
Journée littéraire.
On a beau choisir des lieux de vacances où il n'y a rien à
faire ou à visiter, j'arrive toujours à dénicher
des endroits à parcourir pour y poursuivre mes marottes littéraires.
J'embarque donc pour commencer ma patiente troupe à Vichy où
elle devrait trouver de quoi s'occuper pendant que je traque l'ombre de
Valery Larbaud dans le petit musée qui lui est consacré
à la bibliothèque qui porte son nom. Je n'ai jamais lu Larbaud,
j'ai emporté son Barnabooth dans mes bagages sans savoir
si j'aurai le temps de le parcourir avant la fin du séjour, mais
je travaille souvent à la Bilipo, rue Cardinal-Lemoine, qui se
trouve presque en face de la maison qu'il habita. La plaque qui rappelle
sa présence ne mentionne pas le fait qu'il laissa longtemps cette
maison à la disposition de James Joyce et de sa famille. Las, l'exposition
ne se visite qu'accompagné et à heure fixe, une heure trop
éloignée pour que je fasse subir une trop longue attente
aux miens.
Rabattons nous donc sur Joyce, puisqu'il était question de lui.
A quelques kilomètres de Vichy se trouve, sur la Nationale 7, le
village de Saint-Gérand-le-Puy où se réfugia l'écrivain
à la fin de l'année 1939. Son amie Maria Jolas y avait installé
une école bilingue, au château de la Chapelle exactement,
où il inscrivit son petit-fils Stephen et il eut l'intention de
placer sa fille Lucia à l'asile de Moulins. Le séjour dura
une année environ, les Joyce partant ensuite pour Zürich où
l'écrivain devait mourir un peu plus tard. Je demande des nouvelles
de Joyce au bureau de tabac : le buraliste m'apprend qu'il n'existe pas
de carte postale de Saint-Gérand-le-Puy (j'en aurais volontiers
adressé à quelques amis joyciens), on peut encore voir la
maison de Joyce dans le haut du village et l'Hôtel de la Paix où
il séjourna à son arrivée, il y a une petite exposition
à la Mairie qui n'est visible que le mercredi après-midi.
Je me contente donc de prendre une photo de la façade de l'Hôtel
de la Paix, avec enseigne peinte d'origine semble-t-il.
Pour finir, un petit crochet par Jaligny, histoire de prendre enfin en
photo l'Hôtel de France, raté la dernière fois pour
cause d'appareil déficient et j'arrête d'enquiquiner mon
monde. A moins qu'on ne sache pas quoi faire mercredi après-midi
prochain...
DIMANCHE 2.
Apto catho. Le pape goûte à
l'eau de Lourdes. L'évêque local étant Mgr Jacques
Perrier, il aurait pu en profiter pour se fendre d'une bulle. On peut
en tout cas présumer qu'il a rencontré Mgr Ricard, président
de la conférence épiscopale, à l'heure de l'apéritif.
J.O. Nous suivons la victoire de Laure
Manaudou dans le 400 mètres nage libre, amusés par le lyrisme
cocardier des commentateurs. La palme, si l'on peut dire, à un
certain Alexandre Boyon pour cette phrase : "Une princesse est née
dans la piscine d'Athènes." Un nouvel Homère aussi
apparemment. Quant à Nelson Monfort, il ressemble de plus en plus
à Darry Cowl. Il nous ressort le vieux truc insupportable du coup
de téléphone aux parents de la championne ("On vous
a réservé une surprise", tu parles), particulièrement
savoureux ce soir dans la mesure où la jeune fille ne reconnaît
même pas la voix de son père.
LUNDI 2.
J.O. Nouvelle médaille pour
Laure Manaudou, "la nouvelle princesse, la nouvelle reine, la nouvelle
naïade de la natation française" (Alexandre Boyon). Nous
suivons même quelques assauts d'escrime. C'est dire si la météo
laisse à désirer.
MARDI 2.
Météo. Nous commençons
à nous habituer à ce climat tropical qui veut que la journée
se termine sous la pluie. Le problème, c'est que cette averse vespérale
ne fait que succéder à celle du début d'après-midi
qui est elle-même la continuation des précipitations matinales
faisant suite à une nuit arrosée. Dieu merci, la maison
est riche en puzzles et jeux divers et il y a les livres, même si
les couvertures commencent à gondoler. La climatisation de l'auto,
qui l'été passé servait à rafraîchir
l'habitacle, fait désormais office de chauffage.
MERCREDI 2.
Pèlerinage. Nous enfilons nos
derniers vêtements secs pour la visite des vestiges joyciens de
Saint-Gérand-le-Puy. J'ai pris soin de téléphoner
à la mairie hier pour annoncer ma venue. Le Musée James
Joyce est une petite pièce attenante à la bibliothèque
municipale. C'est la bibliothécaire, charmante et enjouée,
qui fait les présentations, rappelle l'historique des liens de
Joyce avec Saint-Gérand, des liens toujours d'actualité
("la pharmacienne a été à Dublin!"), s'enquiert
des motivations des visiteurs ("Vous l'avez lu ? ou !"). Les
trésors sont modestes, des photos des lieux à l'époque
où Joyce les fréquenta (l'Hôtel de la Paix, l'Hôtel
du Commerce, le château de la Chapelle, la maison de Mme Ponthenier
dont il loua le premier étage) des photos moins locales (Joyce
et Sylvia Beach), l'ensemble des oeuvres de Joyce traduites en français,
quelques ouvrages critiques, la reproduction des lettres et cartes écrites
de Saint-Gérand à Valery Larbaud, quelques dessins et marionnettes
réalisés par les élèves de l'école
(il existe un village, en France, où l'on bassine les enfants avec
Joyce dès l'école primaire !), et des objets tout simples
rattachés à Joyce (le tableau des clés de l'Hôtel
de la Paix où Joyce avait la chambre n° 19, les deux livres
de caisse du cordonnier datés d'octobre 1940 où l'on peut
lire que Mr Joes (sic) a payé un franc pour faire ressemeler des
sandales en chevreau). La bibliothécaire raconte l'inauguration
de cet espace James Joyce en 1994, nous montre les photos où Monsieur
le Maire côtoie l'Ambassadeur d'Irlande à Paris et Stephen
Joyce, revenu sur les lieux qu'il avait découverts en compagnie
de son grand-père en 1940. Nous regardons une vidéo : on
a pris soin d'enregistrer les témoignages des personnes qui avaient
côtoyé l'Irlandais à l'époque : son barbier
(enseigne : Coiffeur, d'un banal...), la propriétaire du château
de la Chapelle, la femme de chambre de l'Hôtel de la Paix, le cordonnier,
le taxi-garagiste racontent leurs humbles souvenirs. Il y a dans tout
ceci, dans cette exposition, dans ces témoignages, dans les paroles
de la bibliothécaire, un mélange de respect et de simplicité
tel que je quitte les lieux très ému. Je ne suis jamais
allé à Dublin, j'aurais dû épouser la pharmacienne
de Sain-Gérand, je n'irai probablement jamais et ne puis dire si
on peut y croiser l'âme de Joyce. Mais je sais que j'ai trouvé
un morceau de cette âme dans les quinze mètres carrés
d'une salle perdue dans un coin de l'Allier.
TV. Football. France - Bosnie-Herzégovine
1 - 1. Je suis de ceux qui regrettent le départ de Zidane. Un match
de l'équipe de France sans Zidane, c'est comme un dimanche sans
notules.
Lecture. Sous les vents de Neptune
(Fred Vargas, Éditions Viviane Hamy 2004, coll. Chemins nocturnes;
448 p.).
Le commissaire Adamsberg est obsédé par une série
de meurtres qui s'étend sur plusieurs décennies et dans
lesquels il croit reconnaître la même signature.
J'avais abandonné Fred Vargas après son Homme à
l'envers qui m'avait déçu, laissant de côté
Pars vite et reviens tard, son titre précédent. Les
retrouvailles n'en sont que plus agréables, avec cette enquête
de longue haleine dans laquelle elle propose une variation intéressante
sur le thème du tueur en série. Adamsberg s'y bat contre
un tueur énigmatique et fantomatique puisque les meurtres qu'il
lui impute continuent à se produire après sa mort. Adamsberg
était déjà le personnage principal de L'Homme
à l'envers mais je n'en avais pas gardé un souvenir
marquant. C'est un héros dont l'esprit décalé évoque
le commissaire Laviolette des romans de Pierre Magnan, intéressant
dans la mesure où les éléments de son caractère
qui le distinguent, son goût pour le travail en solitaire, son intuition,
son obstination, son originalité ne lui valent pas que des sympathies
au sein de son équipe et ressemblent parfois à de la morgue,
voire du mépris pour ses semblables. On remarquera qu'il parvient
à bout de son enquête grâce à l'aide d'une vieille
femme experte en ordinateurs, un subterfuge souvent utilisé par
les auteurs de polars qui hésitent à doter leurs héros
de capacités dans le domaine de l'informatique et préfèrent
leur adjoindre un auxiliaire versé dans cette discipline (Mankell,
Westlake...).
Au cours de son enquête, Adamsberg est amené à effectuer
deux séjours au Québec et à collaborer avec la police
locale. Fred Vargas utilise alors à fond son dictionnaire de français
québécois et multiplie les locutions fleuries dans les paroles
des enquêteurs de Gatineau, qui ne parlent qu'en utilisant des expressions
idiomatiques : "Tu m'as quand même bien niaisé en prenant
le bord tout d'une fripe, interrompit Laliberté en secouant vigoureusement
Adamsberg. Pour te parler dans la face, je dois te dire que je me suis
fâché noir." Bien sûr, ces expressions existent,
sont utilisées, mais Fred Vargas semble vouloir privilégier
le folklore en omettant le fait qu'il arrive aux Québécois
de parler un français standard, voire académique.
JEUDI 2.
Éole. Nous nous essayons à
l'art du cerf-volant. Curieusement, avec assez de réussite pour
ne pas coincer la chose dans un arbre dès la première tentative.
VENDREDI 2.
Moulins art. Nous faisons nos adieux
à Moulins, non sans aller saluer les deux joyaux de la ville, le
Grand Café, un magnifique café rococo avec balcon pour l'orchestre
où l'on a envie de commander une tournée d'absinthe, et
le triptyque du Couronnement de la Vierge, un retable dû au Maître
de Moulins conservé dans une chapelle de la cathédrale et
qui dévoile ce matin ses splendeurs à quatre pèlerins,
quatre Didion. Le néant touristique de ce coin m'épate parfois.
SAMEDI
3.
Retour. Dernier coup de pêche
à l'étang, je quitte mes compagnons de l'aube, martins-pêcheurs,
hérons et grande aigrette avec un solide fishing elbow et un sentiment
de plénitude qui n'appartient qu'aux grands prédateurs.
J'en ai à peu près pour huit jours à voir un bouchon
rouge danser sur l'eau et s'enfoncer à chaque fois que je fermerai
les yeux. La route est calme et nous ramène à Épinal
de bonne heure malgré un détour par le Morvan. Le temps
de poser les valises et je fonce au stade de la Colombière pour
mes retrouvailles avec le football en direct et la victoire du Stade Athlétique
Spinalien 1-0 face à la réserve de l'A.S. Nancy-Lorraine.
Après dégustation des tomates du jardin, pas trop dévasté
par les intempéries, je consulte courriel et courrier : les L.
en Turquie, PP à Sète et R. dans les gorges du Tarn envoient
leurs civilités vacancières.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°173 - 29 août 2004
DIMANCHE.
Tracas. Le retour aux choses ordinaires
s'effectue par la face abrupte. L'ordinateur, tout miel hier soir pour
m'accueillir, refuse ce matin de se mettre en route. Je ferraille pour
installer le modem sur le portable, y parviens trop tard pour envoyer
les notules avant midi. Mes retrouvailles avec Saint-Jean-du-Marché,
où les températures sont propres à nous éviter
tout choc thermique, sont un peu gâchées. Le soir venu, j'envoie
le numéro du jour à l'aide d'un fichier d'adresses de secours
qui me semble complet.
TV. Football : F.C. Metz - Olympique
Lyonnais 1 - 1. La jeunesse messine est prometteuse.
LUNDI.
Démarches. J'hospitalise l'ordinateur
souffrant, fais ma rentrée au PMU et achète des billets
de train.
Courier. Une carte postale des M &
M en vacances dans l'Ariège, une autre des C. en Pologne.
TV. Boomtown (série
américaine de Graham Yost, avec Mykelti Williamson, Donnie Wahlberg,
Gary Basaraba; saison 2, épisode 6, diffusé sur Canal +
en avril 2004).
C'est sur cet épisode que la série s'est interrompue, après
une quinzaine de numéros. On a dit que c'était parce qu'elle
était trop ambitieuse, trop difficile à suivre pour le public.
Rappelons qu'elle reposait sur le principe de la multiplication des points
de vue, chaque affaire policière étant montrée selon
l'angle des enquêteurs, des victimes, des criminels, d'un témoin,
avec des retours en arrière, des répétitions... Ce
cahier des charges n'a été en fait respecté que dans
quelques épisodes, dont un ou deux, au début de la première
saison, qui étaient vraiment ingénieux, stimulants, pas
faciles à saisir mais qui se méritaient. Rapidement, on
en est revenu à une série policière plus classique
présentant le travail d'une brigade du LAPD, dans laquelle on remarquait
surtout le personnage interprété par Gary Basaraba, une
découverte intéressante. Il semblerait donc que ce n'est
pas l'excès d'ambition qui a tué cette série mais
que c'est le renoncement aux ambitions du début qui a conduit au
ressassement et à l'étouffement du projet. Dommage.
MARDI.
TV. Allons donc papa (Father's
Little Dividend, Vincente Minnelli, E.-U., 1951 avec Spencer Tracy, Joan
Bennett, Elizabeth Taylor, Don Taylor; diffusé sur CinéClassics
en ?).
Sa fille est mariée, ses fils sont grands, Stanley Banks pense
enfin atteindre le calme et la sérénité dans sa vie.
Il se sent même rajeunir. C'est à ce moment qu'il apprend
qu'il va être grand-père.
La vie de Stanley Banks avait déjà été fortement
ébranlée par le mariage de sa fille dans Le Père
de la mariée. Après avoir tourné Un Américain
à Paris, où il a pu donner libre cours à tout
son sens artistique, Minnelli revient aux commandes de studio, reprend
la même distribution et renoue avec la comédie familiale.
Tout est aisément prévisible dans cette histoire qui traite
de façon plaisante les mille et un tracas dont s'accompagnent l'attente
et l'arrivée d'un bébé dans une famille. C'est le
jeu de Spencer Tracy qui en constitue le principal intérêt.
Il semble vraiment s'amuser, sans faire trop d'efforts pour passer du
râleur invétéré (c'est lui le véritable
enfant du film) au papy gâteau pour le plus grand plaisir du spectateur.
MERCREDI.
Vie parisienne. Je prends le 7 heures
40 pour Paris. Je fais la fermeture de la Bilipo, progresse sur mon Atlas
de la Série Noire. Après cela, je n'ai pas envie de
m'enfermer au cinéma. Le Louvre fait nocturne le mercredi et c'est
le moment ou jamais d'utiliser le passe-droit que constitue ma carte professionnelle
: c'est le 1° septembre qu'intervient l'abolition des privilèges.
Je rate de peu le défilé commémorant le 60° anniversaire
de la Libération de Paris qui passait boulevard saint-Michel. Je
bois mon thé au Café Marly, un établissement plutôt
agréable avec sa galerie donnant sur la Cour Napoléon, un
lieu plutôt cher et plutôt chic, le genre d'endroit où
j'adore dégainer mon France Football et fumer mes cigarettes informes
au milieu des conversations feutrées, ce dont je ne me prive pas
aujourd'hui. Bon, assez rigolé, je suis là pour bosser et
m'en vais inventorier les tableaux de l'aile Richelieu, 2° étage,
salle 10, cabinet II, Pays-Bas XVII° siècle qui contient une
saisissante Tentation de saint Antoine de Peter Huys qui doit beaucoup
à Jérôme Bosch.
Lecture.
Prières pour la pluie (Prayers For Rain, Dennis Lehane,
1999; Éditions Payot & Rivages pour la traduction française,
coll. Thriller; traduit de l'américain par Isabelle Maillet; 368
p., 20 ).
Aidé par le succès de Mystic River au cinéma,
Dennis Lehane est une valeur montante dans le monde du polar. Je l'avais
découvert en janvier dernier avec Shutter Island, un livre un peu
atypique où le policier se mêlait au fantastique. Les personnages
récurrents de Lehane sont Patrick Kenzie et Angela Gennaro, un
couple de détectives privés qui opèrent à
Boston. Il y a eu de l'eau dans le gaz de leurs relations puisque c'est
Patrick Kenzie qui est seul en scène au début de cette histoire.
Une jeune fille a fait appel à lui pour se débarrasser d'un
importun qui la harcèle. Kenzie règle l'affaire rapidement
et oublie la jeune femme jusqu'au jour où il apprend son suicide
et décide de savoir ce qui a pu la mener à cette issue.
L'enquête est vite captivante. Patrick Kenzie n'est pas un personnage
uniquement cérébral. Il a ses tourments (sa liaison avec
Angela donc), ses doutes mais surtout une ténacité qui le
pousse à ne jamais lâcher le morceau. C'est un peu un détective
à l'ancienne, de l'école hard boiled, qui n'hésite
pas à faire le coup de poing et à prendre ses aises avec
la légalité pour parvenir à ses fins. Il est secondé
par une armoire à glace, un ancien baroudeur reconverti dans le
trafic d'armes nommé Bubba, qui joue un peu le même rôle
que Mick Ballou dans les romans de Lawrence Block mettant en scène
Matt Scudder. Cette personnalité et cet entourage donnent lieu
à des éclairs de violence proprement fulgurants. Pour donner
une image de sa ville, Dennis Lehane n'a pas recours à des discours
théoriques, politiques ou sociologiques, il fait bouger son enquêteur
dans différents milieux socio-géographiques (la banlieue
cossue, un repaire de la maffia, un motel pourri...) qui, mis bout à
bout, donnent une sorte de galerie d'images de Boston. La violence, l'humour
froid, les rebondissements forment au total un mélange très
efficace. On regrettera simplement une bourde du traducteur qui, à
deux reprises, p. 248 et p. 353, présente son personnage en train
d'écouter "les Muddy Waters" alors que Muddy Waters était
un bluesman et non un groupe musical.
JEUDI.
Vie parisienne (suite). Je métrotte
jusqu'à Saint-Sulpice, enfile le boulevard Raspail à l'envers
avant de retrouver ma boutique de prédilection où je m'offre
mon annuel falzar. Je prospecte pour les cadeaux d'anniversaire des filles,
trouve la poupée souhaitée par Alice à la Samaritaine.
Il est temps de retourner à la bibliothèque, je prends le
quai de la Mégisserie. Plus je m'approche de l'Hôtel de Ville
et plus les barrières et les cars de CRS sont nombreux. Je passe
la Seine au pont d'Arcole. Au moment de traverser la rue d'Arcole, un
policier plante une barrière Vauban sous mon nez et me prie d'attendre
le passage du Président. Comme le beau temps et mes emplettes m'ont
mis de bonne humeur, j'accepte de bonne grâce. Arrive donc Jacques
Chirac, qui sort de la messe donnée à Notre-Dame pour l'anniversaire
de la Libération. Lui ne voyage pas à l'abri des vitres
fumées de sa berline. Il a le coude à la portière
et me fait un signe de remerciement en passant. J'ai le temps d'admirer
son bronzage qui ne doit rien au soleil de l'Allier. Le reste du cortège,
voitures hermétiquement closes, est plus difficile à reconnaître.
Etait-ce Raffarin dans la deuxième voiture ? En tout cas, dans
la troisième, c'est bien Philippe de Gaulle, on ne peut pas le
louper. Avec ça, je complète ma collection de chefs d'état
: de ceux qui ont exercé de mon vivant, je n'avais jamais vu Chirac,
c'est fait, ni De Gaulle, son fils fera l'affaire. En revanche, j'avais
vu Pompidou enfant devant la préfecture d'Épinal (c'est
moi qui étais enfant, il ne s'agit pas d'une variation sur le "crâne
de Voltaire enfant" d'Alphonse Allais), Giscard à Carpentras
et Mitterrand à Nancy. Jacques Toubon passe lui à pied sur
le trottoir dans un total incognito. Son heure est passée, je ne
sais même pas s'il est encore maire du XIII° arrondissement...
Je mets un temps fou à me dépêtrer de ce guêpier,
toutes les rues sont bloquées. J'essaie de contourner Notre-Dame
par l'arrière, il y a une ouverture par le pont de l'Archevêché.
Juste avant le pont, un nouvel attroupement à l'entrée du
square des Déportés. On devine des drapeaux dans le square
dont l'entrée est masquée par un petit groupe de personnes
en costume sombre, une rose à la main. Il y a des caméras,
des micros, des flics, ça ne peut-être qu'une des manifestations
prévues pour la commémoration. J'attends, je guette, essaie
de reconnaître une tête, si je pouvais voir le prochain président
de la République, je prendrais un peu d'avance sur ma collection.
Le petit groupe s'agite, un grand homme blond à lunettes et un
petit brun qui s'accroche à ses basques sortent du square, disent
quelques mots face à la caméra... et rentrent dans le square.
Qui est-ce ? Le grand, c'est peut-être Serge Klarsfeld, je ne connais
pas la tête de Serge Klarsfeld mais enfin il serait ici à
sa place... Bon, j'attends encore un peu. Quelques minutes plus tard,
même manège, même sortie, même arrêt devant
la caméra, même demi-tour. Je n'y comprends rien. Il me faudra
quatre prises, quatre, pour enfin réaliser que je suis en train
d'assister au tournage d'un film. Pourtant, il y avait des indices :
les policiers d'ici sont beaucoup plus détendus que de l'autre
côté de Notre-Dame, les micros ne sont pas siglés
au nom d'une chaîne d'information, les membres du petit groupe passent
leur temps à se raconter des blagues et à rigoler quand
la caméra n'est pas là, il y a même un clap... Mais
je ne me suis douté de rien : la présence, à quelques
mètres de distance, de deux scènes appartenant à
la même thématique commémorative, deux scènes
presque semblables, l'une vraie et l'autre fausse, m'ont totalement embrouillé
l'esprit. L'expérience me laisse dans un état de confusion
très agréable. Je reste encore un peu, on tourne toujours
la même scène, j'essaie de mettre des noms sur des visages
en puisant cette fois dans un registre de personnalités différent
mais je ne connais personne, ni parmi les comédiens, ni dans l'équipe
technique.
Le Petit Cardinal est fermé, on semble y faire des travaux, je
me rabats sur la rue Monge où je sandwiche en terrasse. Je retourne
à la Bilipo où mon travail est un peu distrait par la découverte
d'un numéro de la revue Rocambole qui présente un dossier
passionnat sur Enid Blyton. J'abandonne Paris libéré par
le 18 heures 50. Peu après le départ de ma correspondance
à Nancy, le contrôleur vient me demander si je sais assez
d'anglais pour expliquer à une voyageuse étrangère
que le train est remplacé par un autocar à partir de Blainville
à cause de travaux sur la voie. Je veux bien essayer mais sans
succès : la dame est polonaise et ne parle que le polonais.
Au retour, je trouve une carte postale de J. (Aix-en-Provence), l'annonce
d'un spectacle théâtral consacré à Jean-Pierre
Brisset (adaptation de Gilles Rosière, notulien) et un courriel
de JMP qui m'apprend le sens de l'adjectif apotropaïque (qui conjure
le mauvais sort) avec une citation à l'appui : "Depuis que
j'ai dû lire ligne à ligne une collection qui a sans doute
à titre apotropaïque, pris comme signe et label une coquille
(...) j'en découvre maintenant chez les autres ! partout ! Dans
les dictionnaires les plus chevronnés." (Raymond Queneau,
Bords, Bourbaki et les mathématiques 1962, p 24-25).
VENDREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y., une réponse à un questionnaire des Gîtes de France,
une notice nécrologique aux G, ma phynance héroïfique
au voiturin pataphysique et des choses sur Joyce glanées dans l'Allier
à A.N.
Technique. Je récupère
l'ordinateur, alimentation rétablie, connexion impossible, même
après trois heures de bagarre. A réhospitaliser lundi. Il
me semblait aussi que le délai était un peu court dans la
mesure où la norme veut que je sois privé de cet engin quinze
jours tous les trois mois. Heureusement j'arrive à travailler à
peu près normalement avec l'engin de secours.
Souvenirs de vacances. Les clichés
pris avec l'appareil photo jetable ne sont pas tous à jeter. Certains
viennent compléter mes collections de publicités peintes
(Cognac Martell, Pharmacie Normale P. Robillot, Soies lyonnaises, Ceinture
Dr Gibaud, Hôtel de la Paix à Saint-Gérand-le-Puy)
et de Bars clos (Bar la Tomate, Hôtel de France à
Jaligny-sur-Besbre), d'autres prendront place dans mon Invent'Hair
(Epi Tête à Vichy, Les Frang'ines à Saint-Gérand-le-Puy,
Distinc'tif à Varenne-sur-Allier). Le dernier, qui fut la raison
de notre crochet par le Morvan au retour, me permet de réaliser
un vieux rêve, à savoir mettre une photo de ma femme à
Poil sur Internet. J'ai aussi une photo de mes filles dans les mêmes
conditions mais elles sont encore un peu jeunes.
SAMEDI.
Agriculture. Récolte des pommes
de terre. L'hiver peut arriver.
Bon dimanche.
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