Notules dominicales 2004
 
janvier | février | mars | avril | mai | juin | juillet | août | septembre | octobre | novembre | décembre
 

Notules dominicales de culture domestique n°170 - 1er août 2004

DIMANCHE.
Où sont passés les tuyaux ? Premiers feux de forêt dans les Bouches-du-Rhône. Le moment de ressortir cette lettre d'un temps où le chef de l'État savait se faire respecter de ses commis et dénichée sur le site de l'excellente association Pénombre http://www2.unil.ch/penombre/

Message de l’Empereur (Napoléon Ier)
à monsieur le préfet du Var

“J’apprends que des incendies ont éclaté dans les forêts du département dont je vous ai confié l’administration. Je vous ordonne de faire fusiller sur le lieu de leur forfait les individus convaincus de les avoir allumés. Au surplus, s’ils se renouvelaient, je veillerais à vous donner un remplaçant.”

TV. Travail d'Arabe (Christian Philibert, France, 2003 avec Mohamed Metina, Cyril Lecomte, Jacques Bastide, Jeanne Dhivers; diffusé sur Canal + en juillet 2004).
Momo vient de purger deux mois de prison pour détention de cannabis. Rendu à la vie civile, il est décidé à se racheter une conduite et trouve un emploi dans une entreprise de plomberie.
Encore un film sorti dans la clandestinité en juillet dernier et qu'on découvre avec plaisir. Pauvre Momo qui va se rendre compte que rien n'est facile pour un Arabe repris de justice désireux de mener une vie ordinaire. Plein de bonne volonté, Momo intègre une PME qui est un vrai nid de serpents, de voyous qui dissimulent leur malhonnêteté sous la faconde méditerranéenne et le virent dès qu'il commence à se douter de leur véritable valeur. Une installation défectueuse causera la mort d'une cliente et Momo, aidé par un expert judiciaire, va se transformer en chevalier blanc (!) pour faire condamner ses anciens employeurs. Les comédiens, tous inconnus, sont excellents mais ce qui épate c'est le rythme que Philibert parvient à insuffler dans son récit. On craint un peu une fin angélique ou trop noire mais habilement, le réalisateur termine par une pirouette qui surprend mais au moins ne déçoit pas.

LUNDI.
Courrier. les D sont en Charente, les N cherchent des traces de Walter Benjamin autour de Cerbère et Port-Bou.

Lecture. L'été qui ne s'achève jamais (Close to Home, Peter Robinson, 2003; traduction française Éditions Albin Michel 2004, coll. Spécial suspense, traduit de l'anglais par Valérie Malfoy; 448 p., 21,50 €).
Dans le Yorkshire,au cours d'un chantier, une pelleteuse met à jour les ossements de Graham, un adolescent disparu dans les années 60. Au même moment, à quelques miles de là, le jeune Luke Armitage est enlevé et retrouvé mort peu après. L'inspecteur Banks, ami d'enfance de Graham, participe aux deux enquêtes.
C'est la troisième enquête de Banks traduite en français, je ne connais pas les deux précédentes. Disons tout de suite qu'il n'a pas vocation à compter parmi les figures incontournables du genre. Pourtant, l'enquête, ou plutôt la double enquête puisqu'on passe sans cesse (d'une façon un peu trop systématique) de l'une à l'autre n'est pas plus mal fichue que chez Connelly ou Mankell. Il manque ce je ne sais quoi qui fait que chez ces derniers, Bosch et Wallander sont des géants et que Banks n'atteindra jamais leur stature malgré les points communs qu'il partage avec eux (âge, solitude, bleus à l'âme...). Et quand je dis je ne sais quoi, c'est vraiment parce que j'ignore la teneur de ce petit quelque chose en plus. D'où vient-il ? Du style ? du ton ? de la traduction ? du climat général ? Pas facile à dire, à définir.
Il faut donc chercher ailleurs les points les plus intéressants du livre. Il y a d'abord la plongée de Banks dans son passé, dans les sixties où il a vécu avec une des victimes, qui permet de recréer une ambiance d'époque (musique, émissions de télévision, climat politique, mœurs) plutôt réussie. Et aussi le fait qu'un des deux crimes est le fait d'une bande organisée, d'une mafia locale made in England. On a en effet l'habitude dans le polar britannique de présenter des tueurs (en série ou non) solitaires, le crime organisé ne semble pas y trouver sa place, le livre de Robinson apparaît donc comme une exception intéressante.

MARDI.
Presse. Jolie manchette, sur le plan anagrammatique, de La Liberté de l'Est du jour, à propos d'une entreprise dont le siège, si j'ose m'exprimer ainsi, est à Cleurie.

Courrier. Nous sommes conviés à fêter les trente ans de CD à la fin août.

Vie sociale. Nous recevons un couple de Voiron. Ils s'en vont. Ne sais quand nous nous revoirons.

MERCREDI.
Escapade. Je pars pour Paris par le 7 heures 40. C'est le boucher voisin qui me conduit à la gare. Ça ne le détourne pas trop, chaque matin, vers les sept heures, il va chercher près de la gare le pain qu'il vend dans sa boutique. Car le voisin boucher vend du pain, ce qui n'étonnera que ceux qui ignorent que le boulanger du quartier vend de la viande. Le pain du boucher est d'ailleurs ce qu'il y a de meilleur et de plus frais dans sa boucherie. Donc j'achète mon pain chez le boucher, mais pas ma viande chez le boulanger. Pour la viande, je vais au marché d'où je rapporte souvent du poisson. Il faut tout de même acheter de temps en temps du pain chez le boulanger car la boulangère est cliente de la pharmacie, il ne faut pas négliger la pratique... Remarquez, le boucher est aussi client, mais plus rarement. Les bouchers sont réputés de constitution robuste et durs au mal, c'est le cas de notre voisin. Heureusement, il exerce un métier à risque et réussit à se couper de temps en temps. C'est alors que, passant du statut de voisin à celui de client, il franchit le seuil de l'officine, le tablier un peu plus taché que d'habitude, pour se faire confectionner une poupée en s'exclamant finement "C'était pourtant pas le jour du boudin !"

Vie parisienne. Je croûte d'un émincé de poulet au miel à la Brasserie de l'Est, sieste lourdement et travaille légèrement à la Bibliothèque des Littératures Policières.

Cinéma (Action Écoles, rue des Écoles). Les Naufragés de l'île de la Tortue (Jacques Rozier, France, 1976 avec Pierre Richard, Maurice Risch, Jacques Villeret, Danielle Minazzoli, Pierre Barouh, Jean-François Balmer, Caroline Cartier, Patrick Chesnais).
Non seulement les films de Rozier sont peu nombreux (quatre longs métrages depuis 1962) mais ils sont rares et difficiles à voir. L'occasion était donc belle de découvrir ces Naufragés, de comparer leur odyssée à celle des voyageurs de Maine-Océan, le seul autre film de Rozier que je connaisse. Ici, le voyage est un peu particulier : deux employés d'une agence de tourisme ont imaginé d'organiser un séjour aux Antilles où les clients devront se débrouiller par eux-mêmes pour assurer leur subsistance. Avec un beau sens de l'anticipation, Jacques Rozier imagine la vogue des séjours de vacances remplis de noms en -ing et filme une sorte de Koh-Lanta avec vingt-cinq ans d'avance sur TF1. Même si, en réalité, la robinsonnade tourne court. Le rêve de la fuite est impossible. Ce avec quoi il faut lutter, c'est la réalité du voyage, dans la forêt et sur un bateau, c'est aussi la réalité du tournage, les délais à respecter, les dialogues écrits à la va-vite ou improvisés. Ce qui fait qu'on n'évite pas certaines longueurs vite pardonnées devant le plaisir de voir Pierre Richard dans un rôle non formaté, un Pierre Richard sûr de lui et un peu escroc, maniant l'absurde et le mensonge avec un art consommé.

JEUDI.
Cinéma (UGC Ciné Cité Les Halles). Cause toujours ! (Jeanne Labrune, France, 2004 avec Victoria Abril, Jean-Pierre Darroussin, Sylvie Testud, Didier Bezace, Claude Perron, Richard Debuisne, Dominique Besnehard, Michèle Ernou).
S'il faut utiliser une expression toute faite en guise de titre, autant prendre "Rien ne va plus" tant cette troisième fantaisie de Jeanne Labrune après Ça ira mieux demain et C'est le bouquet ! indique qu'elle a atteint les limites du genre qu'elle a voulu mettre à l'honneur, la fantaisie donc, fondée sur des chassés-croisés de personnages un peu lunaires, des situations gentiment absurdes (une commode ou un bouquet qui passent de main en main), des dialogues faisant eux aussi appel au nonsense. La séquence d'ouverture annonce le film : Victoria Abril gesticule et parle dans le vide, en cherchant à tuer les mites qu'elle a en horreur. A partir de là se déroule un scénario poussif qui nous mène à la recherche d'une femme disparue en compagnie d'un homme muet, personnage énigmatique parfaitement ridicule interprété par Debuisne, scénariste de la chose. Les dialogues, autrefois brillants, tombent à plat, les répliques, autrefois délicieusement absurdes, sonnent creux, les comédiens s'ennuient, c'est le fiasco sur une musique particulièrement lourdingue de Bruno Fontaine. La bonne nouvelle, c'est que Jeanne Labrune avait annoncé qu'elle passerait à autre chose après ses trois fantaisies et qu'on peut désormais attendre qu'elle utilise son talent à autre chose (Si je t'aime... prend garde à toi avait prouvé qu'elle pouvait traiter des sujets graves).

Vie parisienne. Au Louvre, les salles où j'ai prévu de travailler sont fermées. Je ne m'attarde pas, part en quête de babioles à rapporter aux filles, déniche un recueil de Fred Kassak à vil prix (auteur de polar remis à l'honneur dans la dernière livraison de la revue Temps noir), croûte une salade au Petit Cardinal et finit la journée de façon studieuse à la Bilipo.

Presse. Propos de M. Zapatero, chef du gouvernement espagnol, dans Le Monde du jour : "... le langage public européen est bien éloigné de la bonne littérature. Il aurait fallu confier la Constitution à deux excellents écrivains avant d'en donner la version finale." Voilà qui fera plaisir au principal inspirateur du projet, M. Valéry Giscard d'Estaing, de l'Académie française.

Courrier. Je trouve à mon retour la réponse type de Laure Adler qui a beaucoup servi (je parle de la lettre, on commence à voir apparaître les traits et taches dus à la photocopieuse) et un CD de Loretta Lynn.

VENDREDI.
France Culture. Je signe la pétition de soutien aux Décraqués sur http://decraques.ouvaton.org/

Courrier. J'envoie des coupures à Y et à CG.

TV. La Vie passionnée de Vincent Van Gogh (Lust For Life, Vincente Minnelli, E-U, 1956 avec Kirk Douglas, Anthony Quinn, James Donald, Everett Sloane; diffusé sur TCM en mars 2002).
Biographie.
C'est un de mes films de chevet, une oeuvre qui m'avait laissé ébloui lors d'une première vision adolescente qui me conduisit plus tard en Provence sur les traces de Vincent, jusque dans le cloître de Saint-Paul-de-Mausole, l'asile de Saint-Remy où Antonin Artaud résida aussi à la même époque, et qui m'a toujours empêché de voir ce que Maurice Pialat avait fait avec ce même thème. Pialat, dans sa jeunesse, s'était essayé à la peinture (on a pu revoir ses oeuvres après sa mort), Minnelli peut-être pas mais il cherche à réaliser un film de peintre, à utiliser le Scope comme une palette, à saisir la lumière de la Provence pour l'opposer à la noirceur du Borinage où Vincent entreprend une vie de pasteur. Minnelli n'hésite pas non plus à se servir des vraies toiles, à les mettre en rapport avec le paysage réel, comme au cours de ce moment magique où la chambre de Van Gogh à Arles passe de l'état de tableau à celui de plan réel. Autour de Vincent, il y a l'histoire de la peinture qui vit à cette époque une révolution. Minnelli, dans les scènes parisiennes, montre des peintres, Seurat, Bernard, Pissaro, Gauguin bien sûr, les laisse exposer leurs théories, retrouve le Paris stylisé et un peu naïf d'Un Américain à Paris tourné cinq ans auparavant. Comme souvent, Minnelli, aidé par la composition tourmentée de Kirk Douglas, transforme un exercice de style hollywoodien (ici le biopic, biographie filmée) en oeuvre personnelle d'esthète.

Lectures. La famille Kafka de Prague (Die Familie Kafka aus Prag, Alena Wagnerova, 1997, Bollmann Verlag GmbH Köln; 2004, Grasset et Fasquelle pour la traduction française; traduit de l'allemand par Nicole Casanova; 280 p., 15 €).
Lettre à son père (Franz Kafka in Oeuvres complètes IV, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 353; traduit de l'allemand par Marthe Robert, édition présentée et annotée par Claude David; 1520 p., 56,41 €).
Le travail d'Alena Wagnerova sur la famille Kafka apporte de nouveaux éléments en amont de l'écrivain. Elle dresse le tableau des Juifs villageois de Bohême dont faisait partie le père de Kafka, élevé à la dure avant de quitter la campagne pour Prague où il put s'établir à la tête d'un commerce qui deviendra florissant grâce à son travail acharné. La famille de sa mère, née Löwy et appartenant à un milieu beaucoup plus aisé, fait également l'objet d'un étude détaillée. On se perd un peu dans les noms, dans les frères, les sœurs, les cousins, les oncles et tantes, mais beaucoup des personnages ici présentés réapparaîtront plus tard dans la vie de Kafka, la maison de ses parents à Prague deviendra une sorte de point de ralliement pour tous les membres de la famille.
Une fois que Franz apparaît, l'auteure, comme d'autres l'ont fait avant elle, utilise les journaux et la correspondance de l'écrivain pour nous dresser un tableau de la vie de la famille. Les faits sont connus, c'est sûr, l'état des relations entre le père et le fils a déjà été abondamment commenté mais la figure du père bénéficie d'un éclairage particulier et donne une image un peu plus précise du personnage. Celui-ci est surtout connu par l'impitoyable Lettre à son père que l'écrivain rédigea en 1919 et que le principal intéressé n'a jamais lue, et destinée, comme le dit la dernière phrase souvent citée "à nous apaiser un peu et nous rendre à nous deux la vie et la mort plus faciles." Kafka y dresse le bilan d'une éducation ratée dans tous les domaines, y fait le portrait d'un père obtus, emporté, grossier, hermétique, incapable de comprendre un fils qu'il destinait à lui succéder dans les affaires et qu'il ne parvint jamais à comprendre. Malgré toutes les précautions que prend Kafka, le réquisitoire est sans pitié, souligne la responsabilité du père dans les échecs successifs que furent l'éducation familiale, l'éducation religieuse, ses relations aux autres et ses projets de mariage avortés. Le travail d'Alena Wagnerova permet de lire cette lettre sous un jour un peu différent, de mieux comprendre le père, en donnant une image moins caricaturale et peut-être plus proche de la réalité du personnage.

SAMEDI.
Jardin. Arrachage des épices.

Vie sociale. Nous recevons GN et sa famille. GN est mon copain de régiment. Ma satisfaction de posséder un copain de régiment, comme j'ai déjà dû le dire, n'a d'égale que mon regret de ne pas avoir de camarade de communion.

Bon dimanche.

 

Notules saturnales de culture domestique n°171 - 7 août 2004

DIMANCHE.
Réaction aux notules. Messages d'IM, la seule abonnée d'Italie, et d'AB qui parle de l'Anthologie des Papous publiée chez Gallimard.

LUNDI.
Courrier. Carte postale des G qui ont gagné Saint-Jean-de-Luz. Je reçois également la Circulaire circumpolaire & phynanciëre du Collège de 'Pataphysique accompagnée du Promptuaire des non-publications du Collège et de plusieurs cartes postales (illustrant Ubu en Suisse par Enrico Baj) mais à écrire celles-là.

TV. La Fureur dans le sang (Wire in the Blood, série d'Andrew Grieve, G.-B., 2004, saison 2, épisode 4/4, avec Robson Green, Hermione Norris; diffusé sur Canal + en juillet 2004).
Un hôpital connaît une hausse inquiétante de patients décédés. Les examens post mortem indiquent qu'il ne s'agit pas de morts naturelles.
On dirait bien qu'on a affaire au meilleur épisode de la courte série. Les soupçons se portent d'abord sur un chirurgien particulièrement détestable, puis sur un anesthésiste pas net, sur un type de l'entretien qui fréquente les intégristes, avant que l'on s'aperçoive de la conduite pas franche d'un gars qui...
Finalement, quand je me suis réveillé, on avait arrêté un gros homme prénommé Colin. Je ne sais pas du tout ce qu'il faisait dans cette histoire. Ces vacances me tuent.

MARDI.
Paquetage. Je me surprends à boucler ma valise alors que le départ en vacances n'est prévu que pour dans quatre jours. J'ai vraiment envie de changer d'air et l'Allier m'apparaît comme un Eldorado. Pour un peu, je me mettrais incontinent à beurrer les sandwichs pour la route.

Vie socio-familiale. Mon frère paie son repas en m'abandonnant son exemplaire de l'Anthologie des Papous.

MERCREDI.
Préparatifs. J'emmène les filles à la Bibliothèque municipale faire le plein de livres pour les vacances. Alice est fière de sa première carte de lectrice. Je sillonne ensuite la ville pour prendre des photos de Bars clos, de publicités et d'enseignes peintes. L'été est propice aux ravalements de façades, aux changements d'enseignes et aux fermetures discrètes. Je mets donc en boîte une ancienne ferronnerie-serrurerie, le Restaurant de l'Abattoir ("Buvez Lamboley"), l'Étoile d'Or et le café Aux amis de la cave où j'ai donné deux concerts avec Garlamb'Hic. Mon manège intrigue le jeune homme qui doit être le nouveau taulier de cet établissement, déjà affairé à des travaux de transformation, et qui me fait l'honneur d'un interrogatoire poussé sur le pourquoi de mes activités photographiques. Il faut croire qu'avec mon short et ma chemisette ouverte aux vents, j'ai tout de l'espion industriel. En tout cas, lui a une tête à transformer la vénérable enseigne en une raison sociale ronflante et si possible anglicisée. C'est déjà comme ça que, pour ne citer que les exemples spinaliens les plus récents, le café du Vallon, situé à l'entrée du Vallon de Saint-Antoine, a été rebaptisé Le Sélect (ce qui ne manque pas de sel pour ceux qui comme moi l'ont fréquenté), le café de la Loge Blanche, sis avenue de la Loge-Blanche, s'appelle désormais le Highland Pub (!), le bar de la Tour, rue Georges-de-la-Tour, est devenu l'Ambassade, le café du Marché, face au marché couvert, s'est transformé en énigmatique P'tit Max... C'est toute la raison de mon travail sur ces enseignes, garder la mémoire d'un temps où tout était plus simple et plus naturel, d'un temps où les cafés s'appelaient cafés et les coiffeurs coiffeurs.

Lecture. Histoires littéraires n° 12 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, octobre-novembre-décembre 2002, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs).
L'entretien du trimestre est consacré à Jacques Neefs, ancien président de l'Association Georges Perec et par ailleurs éminent flaubertien. C'est ce que j'ai trouvé de plus intéressant dans un numéro où les auteurs traités ne m'intéressaient guère : Vitrac, Colette, Champfleury, Michelet. La Chronique des ventes et catalogues permet de constater l'envolée de Gainsbourg (manuscrit autographe de La Javanaise taché d'un rond de verre inspirateur estimé 5 à 6 000 €) et la rubrique Livres reçus, si je n'y ai rien relevé pour ma consommation personnelle, recèle quelques pépites assassines comme celle-ci, consacrée aux Mots de la presse écrite recueillis par Serge Bénard : " L'auteur, journaliste de métier, s'est fait lexicographe pour composer ce vocabulaire de la presse écrite qui paraît dans une collection consacrée au français retrouvé. Pour documenter son répertoire de mots désuets et des néologismes les plus récemment forgés, Serge Bénard a truffé ses notices d'anecdotes qui se laissent savourer avec le même plaisir que celui pris dans la solitude du petit matin, devant un café trop chaud, quand la seule lecture à portée de la main est un journal vieux de trois mois qui a servi la veille à contenir des haricots verts. "

Détente. Les filles villégiaturent chez mes parents. Le soir venu, je croûte au port avec Caroline, servi par un ancien élève. J'espère que le souvenir qu'il a gardé de mon enseignement ne l'a pas conduit à cracher dans la soupe.

JEUDI.
Bricolage. Je passe une partie de la matinée à mastiquer, non par onanisme, mais pour essayer de consolider quelques fenêtres aux carreaux vacillants.

Courriel. Un message du Monde à qui j'avais demandé des nouvelles de mon abonnement, souscrit il y a deux semaines : mon règlement ne leur est jamais parvenu.
J'avertis Alain Zalmanski de la nouvelles affectation sacerdotale de Mgr Patenôtre, qui passe de l'évêché de Saint-Claude à l'archevêché de Sens, ce qui n'ôte rien à sa qualité d'aptonyme.

Toile. J'abandonne la consultation, entreprise depuis une semaine, du site "Défense de France Culture" dont le forum est décevant.

Courrier. J'envoie les dernières coupures de la saison à Y.

Safari. Je place des pièges destinés à éliminer une souris qui a élu domicile dans l'appartement. J'ai peur qu'elle ne couche à ma place quand nous serons en vacances.

Bar clos. Là aussi, le dernier de la saison, du moins je l'espère. J'y ai croisé peu de sportifs. La patronne, septuagénaire, est morte au début du mois de juillet. Y aura-t-il un repreneur ?

Café des Sports

TV. Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Mykelti Williamson, Donnie Wahlberg, Gary Basaraba; saison 2, épisode 5, diffusé sur Canal + en avril 2004).
J'avais laissé cette série en plan en avril dernier après quelques épisodes décevants. Celui-ci est de qualité. L'enquête concerne un cadavre découvert emmuré vingt ans après sa mort. Une fois le mort identifié, les policiers réunissent ses connaissances de l'époque et cherchent à savoir ce qui est arrivé. Pas de déplacement dans cet épisode mais une succession d'interrogatoires serrés à l'intérieur du commissariat pour aboutir à un final habile et surprenant.

VENDREDI.
In memoriam. Je termine la partie spinalienne des vacances comme je l'ai commencée, à l'église et en pantalon pour les obsèques de CR, mort au champ d'Alzheimer à 57 ans, avec qui j'ai travaillé de nombreuses années et qui fut souvent plus qu'un collègue. C'est à lui que je devais mes premiers pas dans le monde littéraire, par la porte de service, quand il m'avait confié la tâche de relire les épreuves d'un livre d'histoire locale qu'il avait écrit, Rehaincourt septembre 1944 - mai 1945 Chronique d'une population déchirée. Je renonce à suivre la chorale qui, comme c'est souvent le cas dans ces paroisses rurales, chante dans une tonalité qui n'appartient qu'à elle et qu'elle semble peu désireuse de faire partager, pour aller à la pêche aux souvenirs : un week-end au Chitelet avec les F., le quart de finale France - Brésil de 1986 à Hadigny-les-Verrières, un repas chez lui où je m'étais fort mal tenu, la chambre de son fils où il m'alita plus souvent qu'à mon tour, son écriture serrée, la grande manifestation parisienne de 1994 à l'issue de laquelle nous avions été les deux seuls à manquer le bus du retour, l'apéro du samedi midi au Commerce à Nomexy, les concerts de Garlamb'Hic auxquels il avait assisté (dont celui des Amis de la cave), notre escapade à Amsterdam (l'auberge de jeunesse, les Van Gogh du petit matin), une fin d'après-midi au café Foy à Nancy, sa seule visite ici en 2002 alors qu'il allait encore presque bien, tout ça pour finir par me dire que ce n'est pas aujourd'hui mais bien avant que j'aurais dû revenir dans son village.

Football. Nice - Lyon (0-1). J'aime les débuts de saison au football. J'en aurai rapidement ma claque mais j'aime ce moment du recommencement, les pelouses sont belles, on va au stade en chemisette, on croit les entraîneurs à leur poste pour l'année entière, on se dit que le F.C. Metz et le S.A. Spinalien vont se maintenir sans difficulté, j'achète France Football, j'abandonne le PMU pour le Loto Foot et je regrette de manquer les deux premiers matches à la Colombière pour cause de...

SAMEDI.
...Vacances. Qui expliquent cet envoi anticipé et reportent la parution du prochain numéro des notules au dimanche 22 août.

Bonne quinzaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°172 - 22 août 2004

SAMEDI 1.
Didion futé. Nous prenons la route des vacances à 10 heures 18. Un arrêt à Montigny-le-Roi, pas pour raisons médicales cette fois, un autre à Beaune pour croûter les sandwichs que les filles ont bien voulu nous laisser (on comprend mieux à ce moment le calme relatif qu'elles ont observé jusque là) et nous quittons l'autoroute au niveau de Chalon-sur-Saône. Après Montceau-les-Mines, une route déserte traverse Gueugnon et Bourbon-Lancy avant de nous amener aux environs de Moulins. En guise de festival d'été, des affiches annoncent une "Fête de la vapeur et de la moisson" dont on peut augurer qu'elle n'est pas parrainée par Télérama. Pour connaître une ambiance de vraies vacances, nous écoutons de temps à autre, incrédules, les flashs de France Info qui font état de conditions de circulation très difficiles. Nous devons nous contenter d'un feu rouge à Bourbon-Lancy, et encore, sans personne devant ni derrière nous. A 16 heures tapantes, comme prévu - on va nous prendre pour des Suisses - nous arrivons à notre gîte, un écart du hameau des Préaux, un écart d'Avermes qui est un écart d'Yzeure à l'écart de Moulins. Nous voulions être tranquilles, nous sommes servis, même les poules sont discrètes. La propriétaire, épouse de céréalier de l'Allier, nous fait faire le tour du propriétaire, nous présente au chien Papaye et au corbeau Coco. Je devine déjà des adieux déchirants. Les journaux nous attendent, l'abonnement au Monde est finalement opérationnel. La maison a l'air agréable, on ne devrait pas avoir froid dans les chambres situées sous les toits et l'étang est de taille. Ses abords dégagés devraient interdire une de mes spécialités, la pêche en altitude consécutive à un lancer martial qui envoie ma ligne dans les frondaisons. C'est ma première destination une fois l'auto vidée. Lucie prend le premier poisson, je la suis de près et nous entassons ablettes, rousses et petites perches. J'ai tellement l'habitude de ce menu fretin que c'est sans méfiance que je pose ma canne pour me rouler une cigarette et que je la vois, interloqué, filer dans l'eau et partir à la remorque d'une carpe de belle taille. J'attends que l'attelage se rapproche du bord pour me décarpiller et plonger, un orteil après l'autre, à la chasse au carpillon survitaminé. Je parviens à récupérer la bête et mon matériel sous l'oeil goguenard et photographique de Caroline. Je pêcherai un peu plus tard un autre spécimen de même taille dans des conditions tout à fait banales cette fois. On ne pouvait rêver meilleure entrée en matière, fût-elle aquatique.

DIMANCHE 1.
Premier jour. Je progresse dans l'habileté halieutique : si je me fais une fois de plus dépouiller de tout mon saint-frusquin, je garde cette fois la canne en main. Urgent : apprendre à faire des noeuds. Le nettoyage, plus que nécessaire, du dessous d'évier où trône la poubelle m'apprend que les locataires précédents, ceux de l'année passée aussi bien, aimaient l'échalote, les olives noires, les cigarillos ensachés individuellement et les chamallows qu'ils recrachaient sans les avaler. Nous faisons une première incursion à Moulins. Ceux qui pensent que leur ville est morte le dimanche matin devraient venir plus souvent à Moulins. Les filles font un tour de manège place d'Allier. Un tour interminable : dans sa guérite, plongé dans un magazine de fesses apparemment passionnant, le tenancier de l'attraction a totalement oublié les bambins qui tournoient sous son nez et n'arrête le manège que lorsque ceux-ci sont au bord de la nausée. On aurait pu lui démonter la moitié de ses chevaux de bois sans qu'il s'en aperçoive. J'achète La Montagne, apprends avec stupeur que le S.A. Spinalien a remporté son premier match 6 - 0. Nous finissons la journée par la spécialité locale, le pâté aux pommes de terre, ce type de plat frais et estival qui vous fait sentir pour de vrai l'attraction terrestre.

LUNDI 1.
Vie sociale. Les G, de passage au camping de Moulins sur leur chemin du retour, nous visitent pour un barbecue en nocturne. Échange d'impressions de vacances, finissantes pour les uns, débutantes pour les autres.

MARDI 1.
Météo. Premier jour de pluie. Nous ramassons des escargots. Toujours ce goût marqué pour la course.

Lecture. Los Angeles River (The Narrows, Michael Connelly, Éditeur original Little, Brown and Company, 2004; Éditions du Seuil, coll. Policiers, juin 2004 pour la traduction française; traduit de l'américain par Robert Pépin; 384 p., 21 €).
Dans ce nouvel épisode des aventures de Harry Bosch, Michael Connelly fait du recyclage. Outre les personnages qui entourent habituellement l'ex-flic du LAPD devenu détective privé, il ressort le tueur en série héros du Poète (où Bosch n'apparaissait pas si je me souviens bien) et Terry McCaleb, agent du FBI rencontré dans Créance de sang, roman porté à l'écran par Clint Eastwood. Habilement, Connelly intègre d'ailleurs le film à son histoire, il est question des centaines de lettres que McCaleb a reçues après sa sortie et le Bosch narrateur en parle très librement : "Du Hollywood tout craché. C'était Clint Eastwood qui avait joué le rôle de Terry bien qu'il eût plusieurs années de plus que lui. Le film n'avait connu qu'un succès relatif."
On apprend au début de Los Angeles River la mort de McCaleb. Vu qu'il était greffé du coeur, on songe à une crise cardiaque mais sa veuve a retrouvé ses médicaments trafiqués et demande à Bosch d'enquêter. Bosch trouve rapidement une piste qui le conduit au Poète et c'est parti pour la traque. Comme le FBI est aussi sur l'affaire, Bosch est en concurrence et prouve une fois de plus son habileté à se mettre tout le monde à dos, à l'exception d'un agent féminin qui accepte d'être de son côté. L'intrigue est sans temps mort, très tendue, sans ces pauses que l'on ménage parfois pour décrire la solitude ou la vie familiale du héros. On sait que Bosch a une fille depuis Lumière morte mais les rapports conflictuels qu'il entretient avec la mère de l'enfant ne font qu'ajouter à la tension. Le dénouement se déroule dans les canaux de la Los Angeles River gonflés par des pluies torrentielles qui sont à la mesure, mythique, du personnage.

MERCREDI 1.
Pèlerinage. Nous passons la matinée à Jaligny, sur les traces de René Fallet. L'exposition consacrée à l'auteur, qui s'empoussiérait gentiment au-dessus de la Mairie, a été transférée pour l'été à la Maison de la Pêche. S'il y avait un Bar clos que je ne souhaitais pas photographier, c'est bien l'Hôtel de France, le quartier général de Fallet dans le Bourbonnais, qui semblait véritablement sorti des Vieux de la vieille et qui était encore ouvert en 2000 ("Vin rouge ou vin blanc ?"). Heureusement, il n'est pas fermé pour cause de décès puisque nous apercevons l'Aimée, la taulière historique, sortir de chez elle. L'appareil photo, lui aussi en état de choc, tombe d'ailleurs en panne et refuse de prendre le cliché.

Plouf. Il y a à Yzeure un joli plan d'eau où nous avons l'intention de nous ébattre après la sieste, la chaleur étant revenue. Belle aubaine, il est presque désert quand nous y arrivons. Nous allons vite comprendre pourquoi : la baignade y est interdite depuis le 7 août pour cause de présence de cyanobactéries dans le bouillon. Nous nous rabattons sur la piscine de Moulins où nous prenons un bain d'humanité.

JEUDI 1.
Emplettes. Achat d'un appareil photo jetable.

Excursion. La journée est maussade, nous explorons les environs immédiats en auto. Au bout de quelques kilomètres, nous sommes dans la Nièvre. C'est extrêmement dépaysant.

Football. Zidane prend sa retraite internationale. Cette fois, on ne m'a pas demandé de prononcer de discours.

VENDREDI 1.
Injoignable. Toutes les lignes de votre correspondant sont occupées. Je suis à la pêche.

J.O. J'aimerais qu'il y ait un jour des Jeux Olympiques au Caire pour que je puisse parler de cérémomie d'ouverture.

Lecture. L'Égypte de Franz Kafka (Jean-Pierre Gaxie, éditions Maurice Nadeau, 2002; 184 p., 18 €).
Essai.
Au tour de Jean-Pierre Gaxie de proposer une lecture de Kafka. Après tant d'autres, il le sait, il les cite, il s'en sert. L'oeuvre de Kafka, labourée dans tous les sens depuis des décennies, permet encore le tracé d'un nouveau sillon, elles est assez riche et malléable pour ça. Gaxie commence par souligner les impasses auxquelles ont conduit les diverses interprétations qu'on a essayé de donner aux textes de Kafka : interprétation théologique à la suite de Max Brod, interprétation symbolique, interprétation fantastique, interprétation psychanalytique. A la suite de quoi il propose sa vision des choses, à savoir tenter d'éclairer Kafka sous l'angle égyptien. Bien sûr, les traces d'Égypte chez Kafka sont rares : la ville imaginaire de Ramsès dans le dernier chapitre de L'Amérique, la structure pyramidale de l'administration du Château, quelques allusions dans des textes moins connus. Il faut donc chercher plus loin, provoquer la coïncidence. Gaxie va donc étudier la symbolique du scarabée dans l'Égypte antique pour éclairer La Métamorphose, rapprocher le K des noms des personnages du "ka" égyptien qui, chez tout homme, joue le rôle du protecteur du vivant jusque dans la mort. Plus largement, l'auteur fait appel à la Bible pour voir deux tendances dans l'oeuvre de Kafka : la Fuite en Égypte (recherche de la Terre Promise, du mariage, de la littérature, de la judéité, de la Palestine même où Franz Kafka envisage de se rendre) et l'Exode, la fuite hors Égypte (pour échapper à la famille, au père surtout, au salariat, à la maladie). Cette vision a le mérite de la nouveauté, elle n'est pas toujours facile à saisir parce que la phrase est tortueuse et le vocabulaire parfois difficile (qu'est-ce qu'un "caractère apotropaïque", p. 153 ? Le Nouveau Larousse des débutants que j'ai déniché dans la maison n'a pas pu m'éclairer). Elle n'empêche pas l'auteur de faire comme les autres, c'est à dire de fouiller dans la correspondance et dans le journal, et de donner sa propre vision des textes les plus connus comme la parabole du Gardien dans Le Procès. A propos de ce roman, il émet l'idée intéressante selon laquelle le dernier chapitre - qui n'est à cette place que parce que Max Brod la lui a attribuée, on ne sait quel ordre l'auteur aurait donné à ses chapitres - pourrait n'être qu'un rêve et intervenir plus tôt dans le récit.

SAMEDI 2.
TV. Nous suivons le parcours athénien d'Aurore Mongel, une nageuse que j'ai connue élève et plus fluette au collège où j'exerce. Pour une fois que ce n'est pas dans la chronique judiciaire que je retrouve un ancien élève...

Journée littéraire. On a beau choisir des lieux de vacances où il n'y a rien à faire ou à visiter, j'arrive toujours à dénicher des endroits à parcourir pour y poursuivre mes marottes littéraires. J'embarque donc pour commencer ma patiente troupe à Vichy où elle devrait trouver de quoi s'occuper pendant que je traque l'ombre de Valery Larbaud dans le petit musée qui lui est consacré à la bibliothèque qui porte son nom. Je n'ai jamais lu Larbaud, j'ai emporté son Barnabooth dans mes bagages sans savoir si j'aurai le temps de le parcourir avant la fin du séjour, mais je travaille souvent à la Bilipo, rue Cardinal-Lemoine, qui se trouve presque en face de la maison qu'il habita. La plaque qui rappelle sa présence ne mentionne pas le fait qu'il laissa longtemps cette maison à la disposition de James Joyce et de sa famille. Las, l'exposition ne se visite qu'accompagné et à heure fixe, une heure trop éloignée pour que je fasse subir une trop longue attente aux miens.
Rabattons nous donc sur Joyce, puisqu'il était question de lui. A quelques kilomètres de Vichy se trouve, sur la Nationale 7, le village de Saint-Gérand-le-Puy où se réfugia l'écrivain à la fin de l'année 1939. Son amie Maria Jolas y avait installé une école bilingue, au château de la Chapelle exactement, où il inscrivit son petit-fils Stephen et il eut l'intention de placer sa fille Lucia à l'asile de Moulins. Le séjour dura une année environ, les Joyce partant ensuite pour Zürich où l'écrivain devait mourir un peu plus tard. Je demande des nouvelles de Joyce au bureau de tabac : le buraliste m'apprend qu'il n'existe pas de carte postale de Saint-Gérand-le-Puy (j'en aurais volontiers adressé à quelques amis joyciens), on peut encore voir la maison de Joyce dans le haut du village et l'Hôtel de la Paix où il séjourna à son arrivée, il y a une petite exposition à la Mairie qui n'est visible que le mercredi après-midi. Je me contente donc de prendre une photo de la façade de l'Hôtel de la Paix, avec enseigne peinte d'origine semble-t-il.
Pour finir, un petit crochet par Jaligny, histoire de prendre enfin en photo l'Hôtel de France, raté la dernière fois pour cause d'appareil déficient et j'arrête d'enquiquiner mon monde. A moins qu'on ne sache pas quoi faire mercredi après-midi prochain...

DIMANCHE 2.
Apto catho. Le pape goûte à l'eau de Lourdes. L'évêque local étant Mgr Jacques Perrier, il aurait pu en profiter pour se fendre d'une bulle. On peut en tout cas présumer qu'il a rencontré Mgr Ricard, président de la conférence épiscopale, à l'heure de l'apéritif.

J.O. Nous suivons la victoire de Laure Manaudou dans le 400 mètres nage libre, amusés par le lyrisme cocardier des commentateurs. La palme, si l'on peut dire, à un certain Alexandre Boyon pour cette phrase : "Une princesse est née dans la piscine d'Athènes." Un nouvel Homère aussi apparemment. Quant à Nelson Monfort, il ressemble de plus en plus à Darry Cowl. Il nous ressort le vieux truc insupportable du coup de téléphone aux parents de la championne ("On vous a réservé une surprise", tu parles), particulièrement savoureux ce soir dans la mesure où la jeune fille ne reconnaît même pas la voix de son père.

LUNDI 2.
J.O. Nouvelle médaille pour Laure Manaudou, "la nouvelle princesse, la nouvelle reine, la nouvelle naïade de la natation française" (Alexandre Boyon). Nous suivons même quelques assauts d'escrime. C'est dire si la météo laisse à désirer.

MARDI 2.
Météo. Nous commençons à nous habituer à ce climat tropical qui veut que la journée se termine sous la pluie. Le problème, c'est que cette averse vespérale ne fait que succéder à celle du début d'après-midi qui est elle-même la continuation des précipitations matinales faisant suite à une nuit arrosée. Dieu merci, la maison est riche en puzzles et jeux divers et il y a les livres, même si les couvertures commencent à gondoler. La climatisation de l'auto, qui l'été passé servait à rafraîchir l'habitacle, fait désormais office de chauffage.

MERCREDI 2.
Pèlerinage. Nous enfilons nos derniers vêtements secs pour la visite des vestiges joyciens de Saint-Gérand-le-Puy. J'ai pris soin de téléphoner à la mairie hier pour annoncer ma venue. Le Musée James Joyce est une petite pièce attenante à la bibliothèque municipale. C'est la bibliothécaire, charmante et enjouée, qui fait les présentations, rappelle l'historique des liens de Joyce avec Saint-Gérand, des liens toujours d'actualité ("la pharmacienne a été à Dublin!"), s'enquiert des motivations des visiteurs ("Vous l'avez lu ? ou !"). Les trésors sont modestes, des photos des lieux à l'époque où Joyce les fréquenta (l'Hôtel de la Paix, l'Hôtel du Commerce, le château de la Chapelle, la maison de Mme Ponthenier dont il loua le premier étage) des photos moins locales (Joyce et Sylvia Beach), l'ensemble des oeuvres de Joyce traduites en français, quelques ouvrages critiques, la reproduction des lettres et cartes écrites de Saint-Gérand à Valery Larbaud, quelques dessins et marionnettes réalisés par les élèves de l'école (il existe un village, en France, où l'on bassine les enfants avec Joyce dès l'école primaire !), et des objets tout simples rattachés à Joyce (le tableau des clés de l'Hôtel de la Paix où Joyce avait la chambre n° 19, les deux livres de caisse du cordonnier datés d'octobre 1940 où l'on peut lire que Mr Joes (sic) a payé un franc pour faire ressemeler des sandales en chevreau). La bibliothécaire raconte l'inauguration de cet espace James Joyce en 1994, nous montre les photos où Monsieur le Maire côtoie l'Ambassadeur d'Irlande à Paris et Stephen Joyce, revenu sur les lieux qu'il avait découverts en compagnie de son grand-père en 1940. Nous regardons une vidéo : on a pris soin d'enregistrer les témoignages des personnes qui avaient côtoyé l'Irlandais à l'époque : son barbier (enseigne : Coiffeur, d'un banal...), la propriétaire du château de la Chapelle, la femme de chambre de l'Hôtel de la Paix, le cordonnier, le taxi-garagiste racontent leurs humbles souvenirs. Il y a dans tout ceci, dans cette exposition, dans ces témoignages, dans les paroles de la bibliothécaire, un mélange de respect et de simplicité tel que je quitte les lieux très ému. Je ne suis jamais allé à Dublin, j'aurais dû épouser la pharmacienne de Sain-Gérand, je n'irai probablement jamais et ne puis dire si on peut y croiser l'âme de Joyce. Mais je sais que j'ai trouvé un morceau de cette âme dans les quinze mètres carrés d'une salle perdue dans un coin de l'Allier.

TV. Football. France - Bosnie-Herzégovine 1 - 1. Je suis de ceux qui regrettent le départ de Zidane. Un match de l'équipe de France sans Zidane, c'est comme un dimanche sans notules.

Lecture. Sous les vents de Neptune (Fred Vargas, Éditions Viviane Hamy 2004, coll. Chemins nocturnes; 448 p.).
Le commissaire Adamsberg est obsédé par une série de meurtres qui s'étend sur plusieurs décennies et dans lesquels il croit reconnaître la même signature.
J'avais abandonné Fred Vargas après son Homme à l'envers qui m'avait déçu, laissant de côté Pars vite et reviens tard, son titre précédent. Les retrouvailles n'en sont que plus agréables, avec cette enquête de longue haleine dans laquelle elle propose une variation intéressante sur le thème du tueur en série. Adamsberg s'y bat contre un tueur énigmatique et fantomatique puisque les meurtres qu'il lui impute continuent à se produire après sa mort. Adamsberg était déjà le personnage principal de L'Homme à l'envers mais je n'en avais pas gardé un souvenir marquant. C'est un héros dont l'esprit décalé évoque le commissaire Laviolette des romans de Pierre Magnan, intéressant dans la mesure où les éléments de son caractère qui le distinguent, son goût pour le travail en solitaire, son intuition, son obstination, son originalité ne lui valent pas que des sympathies au sein de son équipe et ressemblent parfois à de la morgue, voire du mépris pour ses semblables. On remarquera qu'il parvient à bout de son enquête grâce à l'aide d'une vieille femme experte en ordinateurs, un subterfuge souvent utilisé par les auteurs de polars qui hésitent à doter leurs héros de capacités dans le domaine de l'informatique et préfèrent leur adjoindre un auxiliaire versé dans cette discipline (Mankell, Westlake...).
Au cours de son enquête, Adamsberg est amené à effectuer deux séjours au Québec et à collaborer avec la police locale. Fred Vargas utilise alors à fond son dictionnaire de français québécois et multiplie les locutions fleuries dans les paroles des enquêteurs de Gatineau, qui ne parlent qu'en utilisant des expressions idiomatiques : "Tu m'as quand même bien niaisé en prenant le bord tout d'une fripe, interrompit Laliberté en secouant vigoureusement Adamsberg. Pour te parler dans la face, je dois te dire que je me suis fâché noir." Bien sûr, ces expressions existent, sont utilisées, mais Fred Vargas semble vouloir privilégier le folklore en omettant le fait qu'il arrive aux Québécois de parler un français standard, voire académique.

JEUDI 2.
Éole. Nous nous essayons à l'art du cerf-volant. Curieusement, avec assez de réussite pour ne pas coincer la chose dans un arbre dès la première tentative.

VENDREDI 2.
Moulins art. Nous faisons nos adieux à Moulins, non sans aller saluer les deux joyaux de la ville, le Grand Café, un magnifique café rococo avec balcon pour l'orchestre où l'on a envie de commander une tournée d'absinthe, et le triptyque du Couronnement de la Vierge, un retable dû au Maître de Moulins conservé dans une chapelle de la cathédrale et qui dévoile ce matin ses splendeurs à quatre pèlerins, quatre Didion. Le néant touristique de ce coin m'épate parfois.

Couronnement de la Vierge

SAMEDI 3.
Retour. Dernier coup de pêche à l'étang, je quitte mes compagnons de l'aube, martins-pêcheurs, hérons et grande aigrette avec un solide fishing elbow et un sentiment de plénitude qui n'appartient qu'aux grands prédateurs. J'en ai à peu près pour huit jours à voir un bouchon rouge danser sur l'eau et s'enfoncer à chaque fois que je fermerai les yeux. La route est calme et nous ramène à Épinal de bonne heure malgré un détour par le Morvan. Le temps de poser les valises et je fonce au stade de la Colombière pour mes retrouvailles avec le football en direct et la victoire du Stade Athlétique Spinalien 1-0 face à la réserve de l'A.S. Nancy-Lorraine. Après dégustation des tomates du jardin, pas trop dévasté par les intempéries, je consulte courriel et courrier : les L. en Turquie, PP à Sète et R. dans les gorges du Tarn envoient leurs civilités vacancières.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°173 - 29 août 2004

DIMANCHE.
Tracas. Le retour aux choses ordinaires s'effectue par la face abrupte. L'ordinateur, tout miel hier soir pour m'accueillir, refuse ce matin de se mettre en route. Je ferraille pour installer le modem sur le portable, y parviens trop tard pour envoyer les notules avant midi. Mes retrouvailles avec Saint-Jean-du-Marché, où les températures sont propres à nous éviter tout choc thermique, sont un peu gâchées. Le soir venu, j'envoie le numéro du jour à l'aide d'un fichier d'adresses de secours qui me semble complet.

TV. Football : F.C. Metz - Olympique Lyonnais 1 - 1. La jeunesse messine est prometteuse.

LUNDI.
Démarches. J'hospitalise l'ordinateur souffrant, fais ma rentrée au PMU et achète des billets de train.

Courier. Une carte postale des M & M en vacances dans l'Ariège, une autre des C. en Pologne.

TV. Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Mykelti Williamson, Donnie Wahlberg, Gary Basaraba; saison 2, épisode 6, diffusé sur Canal + en avril 2004).
C'est sur cet épisode que la série s'est interrompue, après une quinzaine de numéros. On a dit que c'était parce qu'elle était trop ambitieuse, trop difficile à suivre pour le public. Rappelons qu'elle reposait sur le principe de la multiplication des points de vue, chaque affaire policière étant montrée selon l'angle des enquêteurs, des victimes, des criminels, d'un témoin, avec des retours en arrière, des répétitions... Ce cahier des charges n'a été en fait respecté que dans quelques épisodes, dont un ou deux, au début de la première saison, qui étaient vraiment ingénieux, stimulants, pas faciles à saisir mais qui se méritaient. Rapidement, on en est revenu à une série policière plus classique présentant le travail d'une brigade du LAPD, dans laquelle on remarquait surtout le personnage interprété par Gary Basaraba, une découverte intéressante. Il semblerait donc que ce n'est pas l'excès d'ambition qui a tué cette série mais que c'est le renoncement aux ambitions du début qui a conduit au ressassement et à l'étouffement du projet. Dommage.

MARDI.
TV. Allons donc papa (Father's Little Dividend, Vincente Minnelli, E.-U., 1951 avec Spencer Tracy, Joan Bennett, Elizabeth Taylor, Don Taylor; diffusé sur CinéClassics en ?).
Sa fille est mariée, ses fils sont grands, Stanley Banks pense enfin atteindre le calme et la sérénité dans sa vie. Il se sent même rajeunir. C'est à ce moment qu'il apprend qu'il va être grand-père.
La vie de Stanley Banks avait déjà été fortement ébranlée par le mariage de sa fille dans Le Père de la mariée. Après avoir tourné Un Américain à Paris, où il a pu donner libre cours à tout son sens artistique, Minnelli revient aux commandes de studio, reprend la même distribution et renoue avec la comédie familiale. Tout est aisément prévisible dans cette histoire qui traite de façon plaisante les mille et un tracas dont s'accompagnent l'attente et l'arrivée d'un bébé dans une famille. C'est le jeu de Spencer Tracy qui en constitue le principal intérêt. Il semble vraiment s'amuser, sans faire trop d'efforts pour passer du râleur invétéré (c'est lui le véritable enfant du film) au papy gâteau pour le plus grand plaisir du spectateur.

MERCREDI.
Vie parisienne. Je prends le 7 heures 40 pour Paris. Je fais la fermeture de la Bilipo, progresse sur mon Atlas de la Série Noire. Après cela, je n'ai pas envie de m'enfermer au cinéma. Le Louvre fait nocturne le mercredi et c'est le moment ou jamais d'utiliser le passe-droit que constitue ma carte professionnelle : c'est le 1° septembre qu'intervient l'abolition des privilèges. Je rate de peu le défilé commémorant le 60° anniversaire de la Libération de Paris qui passait boulevard saint-Michel. Je bois mon thé au Café Marly, un établissement plutôt agréable avec sa galerie donnant sur la Cour Napoléon, un lieu plutôt cher et plutôt chic, le genre d'endroit où j'adore dégainer mon France Football et fumer mes cigarettes informes au milieu des conversations feutrées, ce dont je ne me prive pas aujourd'hui. Bon, assez rigolé, je suis là pour bosser et m'en vais inventorier les tableaux de l'aile Richelieu, 2° étage, salle 10, cabinet II, Pays-Bas XVII° siècle qui contient une saisissante Tentation de saint Antoine de Peter Huys qui doit beaucoup à Jérôme Bosch.

La Tentation de Saint Antoine

Lecture. Prières pour la pluie (Prayers For Rain, Dennis Lehane, 1999; Éditions Payot & Rivages pour la traduction française, coll. Thriller; traduit de l'américain par Isabelle Maillet; 368 p., 20  ).
Aidé par le succès de Mystic River au cinéma, Dennis Lehane est une valeur montante dans le monde du polar. Je l'avais découvert en janvier dernier avec Shutter Island, un livre un peu atypique où le policier se mêlait au fantastique. Les personnages récurrents de Lehane sont Patrick Kenzie et Angela Gennaro, un couple de détectives privés qui opèrent à Boston. Il y a eu de l'eau dans le gaz de leurs relations puisque c'est Patrick Kenzie qui est seul en scène au début de cette histoire. Une jeune fille a fait appel à lui pour se débarrasser d'un importun qui la harcèle. Kenzie règle l'affaire rapidement et oublie la jeune femme jusqu'au jour où il apprend son suicide et décide de savoir ce qui a pu la mener à cette issue. L'enquête est vite captivante. Patrick Kenzie n'est pas un personnage uniquement cérébral. Il a ses tourments (sa liaison avec Angela donc), ses doutes mais surtout une ténacité qui le pousse à ne jamais lâcher le morceau. C'est un peu un détective à l'ancienne, de l'école hard boiled, qui n'hésite pas à faire le coup de poing et à prendre ses aises avec la légalité pour parvenir à ses fins. Il est secondé par une armoire à glace, un ancien baroudeur reconverti dans le trafic d'armes nommé Bubba, qui joue un peu le même rôle que Mick Ballou dans les romans de Lawrence Block mettant en scène Matt Scudder. Cette personnalité et cet entourage donnent lieu à des éclairs de violence proprement fulgurants. Pour donner une image de sa ville, Dennis Lehane n'a pas recours à des discours théoriques, politiques ou sociologiques, il fait bouger son enquêteur dans différents milieux socio-géographiques (la banlieue cossue, un repaire de la maffia, un motel pourri...) qui, mis bout à bout, donnent une sorte de galerie d'images de Boston. La violence, l'humour froid, les rebondissements forment au total un mélange très efficace. On regrettera simplement une bourde du traducteur qui, à deux reprises, p. 248 et p. 353, présente son personnage en train d'écouter "les Muddy Waters" alors que Muddy Waters était un bluesman et non un groupe musical.

JEUDI.
Vie parisienne (suite). Je métrotte jusqu'à Saint-Sulpice, enfile le boulevard Raspail à l'envers avant de retrouver ma boutique de prédilection où je m'offre mon annuel falzar. Je prospecte pour les cadeaux d'anniversaire des filles, trouve la poupée souhaitée par Alice à la Samaritaine. Il est temps de retourner à la bibliothèque, je prends le quai de la Mégisserie. Plus je m'approche de l'Hôtel de Ville et plus les barrières et les cars de CRS sont nombreux. Je passe la Seine au pont d'Arcole. Au moment de traverser la rue d'Arcole, un policier plante une barrière Vauban sous mon nez et me prie d'attendre le passage du Président. Comme le beau temps et mes emplettes m'ont mis de bonne humeur, j'accepte de bonne grâce. Arrive donc Jacques Chirac, qui sort de la messe donnée à Notre-Dame pour l'anniversaire de la Libération. Lui ne voyage pas à l'abri des vitres fumées de sa berline. Il a le coude à la portière et me fait un signe de remerciement en passant. J'ai le temps d'admirer son bronzage qui ne doit rien au soleil de l'Allier. Le reste du cortège, voitures hermétiquement closes, est plus difficile à reconnaître. Etait-ce Raffarin dans la deuxième voiture ? En tout cas, dans la troisième, c'est bien Philippe de Gaulle, on ne peut pas le louper. Avec ça, je complète ma collection de chefs d'état : de ceux qui ont exercé de mon vivant, je n'avais jamais vu Chirac, c'est fait, ni De Gaulle, son fils fera l'affaire. En revanche, j'avais vu Pompidou enfant devant la préfecture d'Épinal (c'est moi qui étais enfant, il ne s'agit pas d'une variation sur le "crâne de Voltaire enfant" d'Alphonse Allais), Giscard à Carpentras et Mitterrand à Nancy. Jacques Toubon passe lui à pied sur le trottoir dans un total incognito. Son heure est passée, je ne sais même pas s'il est encore maire du XIII° arrondissement... Je mets un temps fou à me dépêtrer de ce guêpier, toutes les rues sont bloquées. J'essaie de contourner Notre-Dame par l'arrière, il y a une ouverture par le pont de l'Archevêché. Juste avant le pont, un nouvel attroupement à l'entrée du square des Déportés. On devine des drapeaux dans le square dont l'entrée est masquée par un petit groupe de personnes en costume sombre, une rose à la main. Il y a des caméras, des micros, des flics, ça ne peut-être qu'une des manifestations prévues pour la commémoration. J'attends, je guette, essaie de reconnaître une tête, si je pouvais voir le prochain président de la République, je prendrais un peu d'avance sur ma collection. Le petit groupe s'agite, un grand homme blond à lunettes et un petit brun qui s'accroche à ses basques sortent du square, disent quelques mots face à la caméra... et rentrent dans le square. Qui est-ce ? Le grand, c'est peut-être Serge Klarsfeld, je ne connais pas la tête de Serge Klarsfeld mais enfin il serait ici à sa place... Bon, j'attends encore un peu. Quelques minutes plus tard, même manège, même sortie, même arrêt devant la caméra, même demi-tour. Je n'y comprends rien. Il me faudra quatre prises, quatre, pour enfin réaliser que je suis en train d'assister au tournage d'un film. Pourtant, il y avait des indices : les policiers d'ici sont beaucoup plus détendus que de l'autre côté de Notre-Dame, les micros ne sont pas siglés au nom d'une chaîne d'information, les membres du petit groupe passent leur temps à se raconter des blagues et à rigoler quand la caméra n'est pas là, il y a même un clap... Mais je ne me suis douté de rien : la présence, à quelques mètres de distance, de deux scènes appartenant à la même thématique commémorative, deux scènes presque semblables, l'une vraie et l'autre fausse, m'ont totalement embrouillé l'esprit. L'expérience me laisse dans un état de confusion très agréable. Je reste encore un peu, on tourne toujours la même scène, j'essaie de mettre des noms sur des visages en puisant cette fois dans un registre de personnalités différent mais je ne connais personne, ni parmi les comédiens, ni dans l'équipe technique.
Le Petit Cardinal est fermé, on semble y faire des travaux, je me rabats sur la rue Monge où je sandwiche en terrasse. Je retourne à la Bilipo où mon travail est un peu distrait par la découverte d'un numéro de la revue Rocambole qui présente un dossier passionnat sur Enid Blyton. J'abandonne Paris libéré par le 18 heures 50. Peu après le départ de ma correspondance à Nancy, le contrôleur vient me demander si je sais assez d'anglais pour expliquer à une voyageuse étrangère que le train est remplacé par un autocar à partir de Blainville à cause de travaux sur la voie. Je veux bien essayer mais sans succès : la dame est polonaise et ne parle que le polonais. Au retour, je trouve une carte postale de J. (Aix-en-Provence), l'annonce d'un spectacle théâtral consacré à Jean-Pierre Brisset (adaptation de Gilles Rosière, notulien) et un courriel de JMP qui m'apprend le sens de l'adjectif apotropaïque (qui conjure le mauvais sort) avec une citation à l'appui : "Depuis que j'ai dû lire ligne à ligne une collection qui a sans doute à titre apotropaïque, pris comme signe et label une coquille (...) j'en découvre maintenant chez les autres ! partout ! Dans les dictionnaires les plus chevronnés." (Raymond Queneau, Bords, Bourbaki et les mathématiques 1962, p 24-25).

VENDREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y., une réponse à un questionnaire des Gîtes de France, une notice nécrologique aux G, ma phynance héroïfique au voiturin pataphysique et des choses sur Joyce glanées dans l'Allier à A.N.

Technique. Je récupère l'ordinateur, alimentation rétablie, connexion impossible, même après trois heures de bagarre. A réhospitaliser lundi. Il me semblait aussi que le délai était un peu court dans la mesure où la norme veut que je sois privé de cet engin quinze jours tous les trois mois. Heureusement j'arrive à travailler à peu près normalement avec l'engin de secours.

Souvenirs de vacances. Les clichés pris avec l'appareil photo jetable ne sont pas tous à jeter. Certains viennent compléter mes collections de publicités peintes (Cognac Martell, Pharmacie Normale P. Robillot, Soies lyonnaises, Ceinture Dr Gibaud, Hôtel de la Paix à Saint-Gérand-le-Puy) et de Bars clos (Bar la Tomate, Hôtel de France à Jaligny-sur-Besbre), d'autres prendront place dans mon Invent'Hair (Epi Tête à Vichy, Les Frang'ines à Saint-Gérand-le-Puy, Distinc'tif à Varenne-sur-Allier). Le dernier, qui fut la raison de notre crochet par le Morvan au retour, me permet de réaliser un vieux rêve, à savoir mettre une photo de ma femme à Poil sur Internet. J'ai aussi une photo de mes filles dans les mêmes conditions mais elles sont encore un peu jeunes.

Caroline à Poil

SAMEDI.
Agriculture. Récolte des pommes de terre. L'hiver peut arriver.

Bon dimanche.